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[RP][Manoir Vernolien] Le retour de l'épouse prodigue

Judas
Il aurait bien envoyé le petit, mais trois beaux mâles à la robe sombre et feu eurent tôt fait de tirer le visiteur de son mutisme épieur, se ruant tous crocs sortis pourchasser la poule des sous-bois. Un fatras indescriptible se fit entendre, sans caquètement aucun, jusqu'à ce que le visage peu familier de Carys apparaisse un peu crispé des fourrés. Mordu peut-être, surpris sans doute, la fougère à l'oreille et la lèvre écumante. Judas se leva à la hâte, tout aussi désagréablement surpris de voir le larbin de Moulicent se la jouer voyeur du crépuscule.

Vous ici? Un message si important qui vaille de se perdre loin des bordels...?


Et le rire mauvais l'étreint, quoi que sans trop d'éclaboussure, la botte déjà occupée à déséquilibrer l'ensemble par un écart sensé atténuer l'excitation canine.


Gehe daher!*

Il hésita à taper l'épaule du brun d'une poignée amicale, comme on prend plaisir à décoiffer quelqu'un aux cheveux trop lissés... Mais se souvint qu'il finissait toujours par apparaitre quand il se mettait volontairement à l'écart de tout pour le ramener à des affaires qui éveillaient plus ou moins son envie de procrastiner. Le gant ouvrit simplement le veston voisin, comme une évidence, pour y trouver logé le doux rappel des vicomteries... Si Carrys avait traversé les bois pour le trouver, ce n'était certainement pas pour se faire bouffer par la petite vènerie de Frayner, il y avait forcément un pli urgent.
Ledit pli fut ouvert, ignorant la frustration ou l'agacement - au choix - du messager, et l'écriture toujours trop soignée du goupil le fit soupirer.

Et c'est tout? Se tournant vers Hugo: Allez jeune, on rentre.


    Les affaires sérieuses commencent...


* va-t-en!
_________________
Hugo_



L’apparition de l’intrus et l’ordre avaient clos la gueule du dogue, rabroué, penaud mais obéissant, chien fidèle que les colères du maitre n’amenaient pas à la rébellion mais à l’envie de mieux faire pour mériter la prochaine caresse au museau scellant la connivence du travail apprécié.
Le feu avait été éteint du pied, les restes dispersés aux mâchoires béantes des chiens de tête, et les chevaux rapidement scellés, assez reposés pour s’offrir la cavalcade nocturne que l’empressement subit du seigneur demandait. La meute avait sourdement rejoint le château familial, pattes griffues faisant voler la poussière des chemins dans le giron des corps massifs, sabots emportant avec eux les secrets du camps de fortune dans leur martèlement, humains aux prises de leurs contrats respectifs, silencieux jusqu’à atteindre le château seigneurial et au-delà même, en en rejoignant les murs épais qui ne protègeraient personne du venin qui y serait distillé.


Les heures avaient passé, laissant l’éclosion du matin s’installer dans l’heureux retour prématuré des chasseurs, bonheur aigre qui ne vivait que pour être mieux retiré, amenant le couple à des retrouvailles froides, sous le regard discret et attentif de l’adolescent. Ici, tout était à apprendre.

Aux heures, avaient succédé les jours, froide analyse de la routine empruntée par la maitresse de maison et du maitre, duo de danseurs désaccordés qui ne s’encombraient pas d’un quelconque paraitre lorsqu’ils étaient retranchés dans leur vie commune. Même les premiers pas tant attendus de l’héritier offerts le lendemain de leur retour n’avaient su rapprocher les parents par une quelconque fierté partagée, car preuve était faite que l’escapade de Judas avait porté ses fruits sur les jambes engourdies d’Amadeus , laissant Isaure indéniablement illisible devant eux quant à cette heureuse nouvelle qui ne faisait, au fond, que les pointer un peu plus du doigt, elle et sa couvaison maternelle.

Hugo savait ce qu’il avait à faire, tout comme il savait que la date de son contrat n’appartenait qu’à lui.
Le démiurge voulait que sur son monde, s’abatte l’ombre des Mains Rouges, et ce fut cinq jours après leur retour au sein du château qu’elles choisirent de frapper, d’envelopper de leur fraicheur toute la maisonnée sans aucune distinction.
Une presque semaine, mise à profit dans un rapprochement essentiel avec l’enfant, à apparaitre dans son champs de vision, à devenir commun tout autant que quantité négligeable, presqu’homme souriant n’usant que des moments où Judas s’accordait le temps de s’occuper de son fils pour l’approcher et le soumettre à sa présence, son odeur, sa voix… et bien au-delà des attentions qu’il lui donnait, concevoir le poids, la taille, la gaucherie des mouvements, foule d’informations qui se noyait sans aucun discernement possible aux yeux étrangers dans les jeux qu’il liait volontairement au petit garçon. Le maitre était aveuglé par son affection, père étrangement plus qu’homme dès que cela touchait à son fils, et s’il refusait de droguer l’enfant pour mener à bien ses plans, les cris du petit auraient tôt fait de réveiller tous les domestiques, même si sa mère aurait été incapable de se lever, aux entrelacs d’un sommeil né de son savoir. Il était indispensable qu’Amadeus n’ouvre pas la bouche pour autre chose que gazouiller tant qu’ils n’auraient pas quitté l’écurie.

Le pavot avait trouvé son chemin tout naturellement des paumes du dogue à la dernière tisane bue par l’épouse dupée, dispensé tous les soirs à doses légères pour une accoutumance indécelable jusqu’à augmenter la prescription au crépuscule choisi. Hugo avait semé patiemment dans l’ombre d’Isaure des nuits de plus en plus lourdes jusqu’à l’asservir pour quelques heures à un sommeil serein et épais. Demain, avant de trouver le berceau froid, il ne doutait pas qu’elle s’éveillerait sans heurt, peut être doucement vaporeuse, mais certain que le manque potentiel se cacherait derrière l’angoisse de la disparition sans qu’on ne puisse rien soupçonner de son travail, à l’exception bien sûr de Judas, prévenu le matin même par l'empreinte rouge d'un index sur un carré de vélin laissé à son bureau en guise de mot, que le contrat serait dument rempli pour le matin suivant.



Debout, dans la chambre d’Amadeus, sur les pas d’un minuit qui ne poindrait pas avant une bonne heure encore, dans le silence d’une demeure endormie, Hugo regardait l’héritier dont le souffle paisible gonflait lentement la petite poitrine. Dans sa poche, un tissu trempé dans une concoction légère de Valériane n’attendait que le premier vagissement enfantin pour s’embourber à la bouche, faisant fi des exigences paternalistes du seigneur.
La seule chose capable de se disputer la foi qu’il portait à Judas, restait l’inébranlable confiance en ses connaissances dès lors qu’il menait à bien un contrat, et à choisir, pour le bien de l’un, il n’hésiterait pas à transgresser l’autre, implacable assassin, frère des secrets et des simulacres, fils du braconnier et de la sorcière dont les vertes années solitaires avaient poussé l’extrême la logique à l’impartialité de sa survie, avant de ne plus concevoir que celle de son maitre, malgré lui s’il le fallait.


Je ferai, Maitre, autant que possible ce que vous me demanderez, mais je n‘hésiterai pas à vous protéger de vous-même, dussé-je outrager votre volonté, dussé-je donner ma tête pour sauver la vôtre.
Le Maitre retrouvera toujours un nouveau chien. Le chien, lui perd son âme quand il perd son Maitre.
Le mieux est encore de ne point les séparer l’un l’autre.



Le doigt juvénile caressa la joue sans réveiller l’enfançon, acclimatant sa présence aux rêves qui jalonnaient sa nuit jusqu’à glisser dextre et senestre le long du corps engourdi et de le soulever lentement, sans précipitation et sans hésitation, l’appuyant contre son épaule, et calant, sans pour autant le lâcher, la silhouette dans un tissu solidement attaché en bandoulière à son torse fluet, hamac de fortune qui lui permettrait une fois sur les routes la discrétion inhérente à son crime, car personne, pas même un paysan tardif, ne devait voir l’héritier Von Frayner sortir de cette maisonnée et arpenter la route soumise à la nuit.
Il resta immobile aussi longtemps qu’il lui parut nécessaire pour que l’oscillation du mouvement s’éloigne des rives de la conscience ensommeillée puis, lentement, disparut dans une ombre plus noire que les autres pour ne réapparaitre qu’aux portes de l’écurie, qu’il franchit, sans même s’arrêter pour se diriger vers un bosquet un peu éloigné, là où les pavés qui font résonner les sabots ferrés n’existe pas, là où la terre avale le bruit d’un cheval sans troubler le sommeil de quiconque.

Capuche rabattue, monture apprivoisée à leurs poids communs, le départ se fit au pas, mené sur le sentier étroit d’un chemin secondaire, et quand enfin, il sut que la demeure seigneuriale avait disparu dans son dos, il talonna l’animal pour le faire partir dans un galop qui ne manqua pas de réveiller Amadeus dont le corps restait lové contre lui, à l’abris de sa veste ample et dont les cris de stupeur s’estompèrent étrangement devant ce paysage nocturne encore jamais contemplé.
Pas une fois le cheval ne ralentit l’allure, pas une fois il ne freina la course folle qui le menait à Moulicent, terre de ce rendez-vous nocturne, et ce ne fut qu’enfin à hauteur de l’étang aux Demoiselles que le cavalier lui concéda la halte et le loisir de boire sans pour autant en descendre, dissolvant dans l’eau paisible, l’écume de son mords tandis que le regard clair et méfiant d’Hugo cherchait la silhouette attendue d’Anaon.


Isaure.beaumont
[La veille du départ pour la chasse]

Après avoir embrassé une dernière fois son fils, la jeune femme s'était retranchée dans ses appartements. Couché sur son grand lit froid, elle fixait le plafond sans parvenir à trouver le sommeil. Et d'ailleurs, il ne fallait pas qu'elle dorme. Ne pas dormir. Ne pas dormir pour ne pas manquer le départ de son fils. Elle l'embrasserait, l'habillerait de ses plus beaux atours et l'embrasserait encore. Puis elle s'impatienterait toute la journée de le voir revenir enfin. Sain et sauf. Et innocent. Toujours.
Mais le sommeil eut raison d'elle et bientôt elle erra dans ses rêves, peuplés de monstres et de Judas emportant son enfant. Bientôt, Amadeus disparaissait dans un brasier géant, consumant toute la forêt.


[Au petit matin: jour de chasse]

Le rouge des flammes laissèrent place aux paupières closes rougies par les premiers rayons du soleil. Le silence ambiant inquiéta la jeune femme. Pas de hennissements dans la cour, ni même de pas dans les couloirs ? Se pouvait-il que Judas ait abandonné cet absurde projet ? S'éjectant du lit, elle se précipita dans la chambre de son fils qu'elle trouvera résolument vide. Judas n'avait même pas pris la peine de la faire réveiller pour qu'elle puisse dire au revoir à son tout petit.

Elle avait déjeuné avec peine puis elle s'était installée sur les marches de la grande porte, guettant le retour des chasseurs. Mais elle attendit tout le jour et les chasseurs ne rentrèrent pas. Elle sauta le souper, le cœur au bord des lèvres. Etait-il arrivé malheur à Amadeus ? Ou bien Judas prenait un malin plaisir à la torturer ?

Cette nuit-là fut encore plus terrible que la précédente. La jeune mère resta éveillée toute la nuit, les oreilles aux aguets. Elle s'attendait à les voir rentrer à tout moment, las et ravis de retrouver leur foyer. Peut-être s'étaient-ils tout simplement égarés en forêt. Après tout, si Judas perdait ses duels, il pouvait tout à faire être le genre de chasseur capable de se perdre.

Mais la nuit ne fut pas plus amicale que le jour, et Isaure attendit encore et toujours. L'attente était angoissante. Elle resta toute la nuit durant dans la chambre de son fils, assise dans le grand fauteuil, les yeux rivés sur le petit berceau vide. Au petit matin, l'écho des sabots sur le pavé de la cour la tira de ses angoisses et elle se précipita à la rencontrer des cavaliers. Elle leur laissa à peine le temps de mettre pied à terre que déjà elle se saisissait d'Amadeus, petit pantin fatigué dans les bras de son père. Si les mots ne franchirent pas ses lèvres, son regard, lourd de reproches, précisa toute sa pensée et tout le mépris qu'elle vouait au père de son enfant. Que lui avait-il donc fait pour qu'il soit si exténué ? Elle s'en occupa tout le jour, ne le quittant plus d'une semelle. Elle occupait le fauteuil de sa chambre tandis qu'il dormait, inquiète de le voir si fatigué.
Puis les jours passèrent et elle dût bien, à contre cœur, laisser un peu de place à Judas. Le souvenir de ses poings la retenait de tout commentaire et quand le seigneur arrivait, elle s'effaçait. Elle pestait intérieurement de cette intrusion paternelle dans leur petit monde. Amadeus marchait à présent, et alors que cela aurait dû combler la jeune épouse, cela la rendait malade. C'est avec qu'elle qu'il aurait dû faire ses premiers pas.


[Soir de l'enlèvement]

Plus que tout autre soir, Isaure était lasse. Elle ne cessait de bailler et de se frotter les yeux. Elle ne s'éternisa pas ce soir-là au chevet d'Amadeus. Après la prière du soir, elle l'avait couché, bordé et embrassé. Puis elle était allée souper rapidement avant de s'adonner à son petit rituel du soir. Si le matin, elle préférait un lait cannelé, avant de se coucher, elle se plaisait à boire une tisane qu'elle aimait à varier. Et bientôt elle rejoignit son lit et par la même occasion, les bras de Morphée. Elle dormit profondément, d'un de ces sommeils sans rêve. Le réveil fut long, presque douloureux. Elle serait bien restée encore un moment dans le moelleux de ses couvertures, mais elle devait vaquer à ses occupations.

Comme à son habitude, elle procéda à ses ablutions avant de prendre quelques minutes pour sa prière du matin, après quoi, elle descendit aux cuisines boire son fameux lait à la cannelle et croquer dans une pomme. A présent bien réveillée, il était l'heure d'aller lever Amadeus.

Et au lieu du sourire radieux du petit garçon, ce fut un berceau vide qu'elle trouva. Le cœur isaurien se serra. Judas venait encore de lui ravir ses instants précieux avec Amadeus. Elle était certaine qu'il s'était fait une joie de venir lever leur fils bien avant elle. D'un pas vif, elle se rendit dans les appartements du seigneur de Courceriers.


- Vous ne pouvez pas me voler mes instants comme ça ! Vous ne pouvez pas ! Le visage rouge, elle s'avança vers son époux qu'elle avait pourtant évité ses derniers jours. Un index rageur s'agitait en sa direction. Je vous ai laissé me l'enlever pour cette stupide chasse, mais vous ne pouvez pas disposer de lui quand bon vous semble ! Il a besoin de sa mère, et qui mieux qu'une mère peut vous ouvrir ses bras au réveil ?! Rendez-le-moi. Où.. où est-il ?

Se rendant soudain compte qu'Amadeus n'était pas là, elle balaya la pièce du regard, soucieuse.
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Judas
Il agita la petite bourse devant son visage, comme une promesse mécène déjà tenue. Le visage de Judas pouvait parfois être lisse et tendre, malgré une barbe qui semblait être naissante depuis près d'un an... Ses yeux noirs être hublots donnant sur une nuit tranquille. Ses lèvres se laisser outrepasser de quelques paroles sans fiel, ou de quelques paroles tout court. Pour la satisfaction de blesser Isaure, de satisfaire Anaon et de repousser des soucis à plus tard, Judas arborait cette mine si atypique qu'on n'y croyait certainement pas, même à une ridule près...

La main adolescente avait pris de l'assurance, trop peut-être, c'est du moins ce que le claquement de langue Judéenne exprima lorsqu'il la vit se saisir avidement de l'aumonière garnie de quelques écus. Hugo vaquait diable savait où, tandis qu'il s'entretenait dans un dialogue de sourd avec le muet. Chacun sa besogne, une besogne à chacun, telle était la parole seigneuriale. Loin d'être servile, le jeune messager des amours judanaonniènes avait cependant toujours eu un faible pour l'or, de celui qu'en crève-dalle né il ne voyait pas souvent et dilapidait encore bien moins. Il se savait être l'exclusif porteur des discussions entre le seigneur et son amante hivernale, choisi pour son silence éternel et son écoute attentive. Il se savait avoir conquis la confiance de ceux qui le sollicitaient, et qu'importe s'il ne pouvait jamais révéler leurs secrets, entendre tinter ce bruit sec des pièces dans sa main valait bien de supporter toutes les nuances du faciès de Judas. Celui-ci croisa les bras, jaugeant le degré d'attention du muet.


Va lui porter ça. Si elle te demande si c'est pour cette nuit, dis lui oui. Elle te le demandera. Ho oui... Elle te le demandera.


Il laissa s'enfuir le garçon avec un brin de carte, qui dans sa partie la plus centrale et significative décrivait l'endroit qu'Anaon avait choisit des semaines auparavant pour que son fils lui soit remis. Il ne le regarda pas s'en aller. Le muet savait toujours où se trouvait Anaon, comme il savait toujours comment atteindre rapidement le Von Frayner, itinéraire invisible et pourtant réel de deux entités qui ne vont jamais l'une sans l'autre, même à des centaines de lieues de distance... Confiant, léger, il marcha avec lenteur jusqu'au manoir, se sentant l'élément détonateur d'une affaire qui n'en pouvait plus de se jouer. De ce simple geste agité au dessus de la trogne du muet il avait scellé le destin de toute une famille, le gout du métal sur le bout de sa langue.

La journée se passa comme les quatre dernières, Judas laissant Isaure jouer avec son fils, l'observant sans mot d'un oeil de chat patient. Parfois étendu nonchalemment sur un siège apporté dans le jardin il appelait l'enfant de sa voix rauque pour le plaisir de profiter de ces derniers instants, de l'arracher à l'attention maternelle, et aussi pour appuyer son exploit de lui avoir donné des jambes là où cette dernière lui avait donné des bras. Il ne posait pas une seconde ses yeux charbonneux sur cette épouse qu'il estimait ne pas le mériter, jamais, se délectant de l'aura de contrariété qu'elle émanait lorsqu'Amadeus répondait à l'appel paternel. Il restait là, loin d'elle mais jamais éloigné de sa vue, laissant la journée filer comme du sable entre ses mains de cuir. Hugo agirait avec la méticulosité larcine qu'il lui connaissait, exauçant ses jouissances secrètes lorsqu'au matin, le premier cri déchirant de la journée viendrait du fond des entrailles de la Wagner agiter une corde sensible en lui, comme une bourse que l'on agite à hauteur d'yeux...

Le diner fut presque gai, Judas but sans soif en jouant solitairement aux cartes tandis que son épouse restait silencieuse, Hugo observant les manoeuvres du seigneur. Une belle famille unie autour d'un dernier repas... Avant de se coucher, le seigneur vint embrasser l'enfant endormi, ne pouvant s'empêcher d'imaginer l'impatience fébrile qui devait ronger celle qui l'avait mis au monde, quelque part , non loin. Il eut un frisson léger lorsqu'il imagina la pluie qui s'abattrait sur le manoir les jours suivants, et ce fou sentiment d'avoir à choisir entre tuer la mère juvénile de ses mains sèches ou de la laisser s'étouffer dans un chagrin éternel , loin de son fils adoré. Des rouages sadiques du seigneur ne faisait que naitre des sensations plus perverses les unes que les autres, tandis qu'il se signa sans prier et ferma les yeux.


[Le lendemain matin]

Il était assez tard lorsqu'elle vint le déranger dans la répétition silencieuse de son affliction, pantomine rondement montée pour se préparer à l'inéluctable surprise... Il se tourna vers elle, petite poupée brune vociférant ses dix sept années en le pointant d'un index colérique et inutile et posa enfin ses yeux sur elle. Depuis combien de temps ne l'avait-il plus regardée? La question s'évapora lorsqu'il plissa un peu sa dextre, la retenant de s'arrimer à cette gorge pâle et étroite pour la faire cesser de s'emporter en une fraction de seconde qui valait bien toutes ls réponses de la terre... Il déglutit sourdement, terminant de lier les liens de sa chemise sur son torse, ne la quittant plus des yeux.


Bonjour Isaure.


Je dispose de mon enfant où je veux, quand je veux, ne me tentez pas... Vous croyez-vous détentrice d'un quelconque pouvoir de plus pour avoir hurlé des heures durant et finalement vous évanouir mollement en me l'offrant?


Il haussa les épaules méprisant.


Comment ça, "où est-il" ? Je ne m'occupe jamais de lui le matin, vous accordant ce... privilège... Et jusqu'à preuve du contraire je ne suis pas à la chasse.

Il mima un baiser vers elle qu'il interrompit, n'ayant nullement l'intention de l'embrasser, pour la fixer gravement.


Ne dites jamais que la chasse est stupide, je sais très bien que vous prenez des hanches en engraissant lorsqu j'ai le dos tourné de quelques oies que je ramène...


Va te faire ...

Amour. Passion. Et mots poisons.
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Isaure.beaumont
Ecoutant à peine les mots de l'époux, Isaure se tortillait pour voir toujours mieux derrière lui. Elle se risqua même à le contourner pour s'assurer que derrière la couche seigneuriale ne se cachait pas le petit bout d'homme. De nouveau à sa hauteur, elle leva les yeux vers lui, et si Amadeus n'avait pas été manquant à l'appel, elle aurait sans doute tressaillit sous ce regard. Elle retint une moue de dégoût avant de quitter la pièce.

Où est-il ? Se répéta-t-elle plus lentement. Et comment pour s'assurer qu'elle ne devenait pas folle, elle retourna visiter la chambre de l'enfant. Vide. Elle était vide et tout aussi froide que précédemment. Rien n'avait bougé depuis la veille, sauf Amadeus. Ses petits habits prévus pour la journée étaient encore posés sur la petite commode sculptée.

Un nouveau volte-face et elle descendait les escaliers. Elle irait visiter chaque pièce du manoir pour savoir qui s'était permis de prendre Amadeus. Elle ne parvenait pas à se retirer l'idée que Judas l'avait fait lever, s'il ne l'avait fait lui-même, dans le simple but d'exciter ses nerfs. Ni la cuisine, ni les pièces de réception et encore moins les écuries n'abritaient de jeune Amadeus Foulques.

La plaisanterie avait assez duré. Elle avait éc.umé tous les lieux possibles, mais Amadeus n'était nulle part. La gorge serrée, elle alla retrouver de nouveau son époux. Les yeux presque timidement levés vers lui, elle s'adressa à lui, une pointe de détresse naissante dans la voix.


- Je… Judas… Je vous en prie. Dites-moi où il est. Si j'ai agi de façon déplaisante à quelque moment que ce soit, je vous promets que je ne recommencerai pas, mais laissez-moi le voir.

Amadeus était là. Quelque part. comment pouvait-il en être autrement. Un enfant, même ayant acquis la marche, ne pouvait décemment pas disparaître seul.



[Bonjour, merci de ne pas oublier la balise de votre rp , cf règles d'or des arpenteurs.
Bon jeu.
Modo Eden]

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Judas
Du menton , le Von Frayner suivit le mouvement circulaire de sa jeune épouse jusque derrière lui, à la recherche de l'enfant comme d'un petit objet égaré.

Allons, une nourrice l'aurait levé... Il doit être dehors à jouer.


Il amorça tout de même un mouvement de tête vers une petite fenêtre donnant sur l'extérieur d'où on ne pouvait décemment pas voir plus qu'un bout du vivier récemment emménagé. S'il avait réellement cherché son fils, cette vision d'eau saumâtre et profonde lui aurait sans doute arraché un frisson. Le faciès revint à Isaure, ayant perdu toute trace de sarcasme. Judas avait cessé de servir de sa condescendance, l'air plus grave, afin qu'Isaure se fasse un sang d'encre si épais qu'elle s'en étoufferait. Le fait était qu'en réalité, le seigneur ne savait même pas si les femmes qui pouvaient approcher Isaure dans la maisonnée étaient des visiteuses, des suivantes ou des nourrices, se souciant d'elles comme de sa dernière chemise.


Depuis combien de temps le cherchez-vous?


Et sans lui laisser le temps de répondre, il la contourna en la bousculant presque pour sortir de la pièce, furibond. Il eut l'envie quasi irrépressible de lancer dans le couloir un "Avons nous idée d'avoir une mère aussi négligente! " mais décida que la torture était meilleure lorsqu'elle s'étendait comme un long coucher de soleil faisant place à une nuit sempiternelle. Judas garda les reproches pour plus tard, soigneusement occupé à revêtir un masque d'impulsivité inquiète, la colère aurait son heure de gloire. La maison trembla tandis qu'il excitait les chiens en appelant impérieusement son héritier, témoins silencieux d'une disparition qu'ils ne révèleraient jamais. L'homme descendit vers les jardins, appela Hugo tout aussi vertement et s'éloigna des murs épais du manoir en feintant de chercher l'apparition du petit garçon, jouant tout seul loin de l'inquiétude de ses parents.

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Anaon



      Mais Judas avait dit trois jours.
    Alors au troisième jours de leur retour de Bretagne, l'Anaon était là. Sur le bord de l'étang aux berges devenues noires sous la lune absente. Le pari était corsé, Judas lui avait promis de lui donner son fils pour quelques jours si elle trouvait de quoi le loger. Un endroit forcément décent, qui ne soit ni dans Verneuil-même, ni trop loin de la ville. Sortir du Duché était impensable, songer à Paris était exclu. Il fallait qu'elle se fasse suffisamment discrète pour qu'on ne la repère pas, et elle devait se tenir prête les jours prochains à mener une vie de paria. Elle ne savait pas concrètement ce qu'il en était des projets de Judas. Le mot "enlèvement" n'avait pas été prononcé, mais le seigneur l'avait prévenue à ce qu'Isaure remue ciel et terre pour retrouver l'enfant aux abonnés absenst. Et si c'est en ses bras qu'on le retrouvait, elle serait désignée coupable d'un odieux rapt de fils de nobles. Ironie. On lui octroierait la potence, elle aurait bien peu pour se défendre, et la sicaire avait bien compris, qu'entre la vérité et le mensonge, la mercenaire ou sa réputation, le choix de Judas serait bien vite pris.

    Alors les trois premiers jours ont été alloué à la quête de ne ce nid béni. La mercenaire a ratissé le duché comme serf en son champ jusqu'à tomber dans les grâces de la providence. Elle s'était retrouvée dans un hameau minuscule, formé de quatre fermes repliées autour d'un simulacre de place nue. Questionnant un vieil homme sur l'existence de ce qu'elle pouvait rechercher, ce dernier avait levé le doigt pour indiquer derrière elle une hauteur herbeuse. Pareille à une petite falaise chevelue qui protégeait les fermes du vent, l'Anaon ne pouvait voir ce que le paysan semblait lui indiquer derrière la pente raide de cette-dernière. Elle le suivi alors pour contourner l'abrupte et gagner un sentier menant sur la hauteur, et quand la sicaire fut sur la lisière de l'éminence, elle comprit. A sa droite en contre-bas, se trouvait le petit hameau, et à sa gauche, sur le faîte d'une légère colline, une petite ferme isolée du reste et cerclée de terres arables. C'est vers elle qu'ils se dirigèrent. La bâtisse était en retrait de l'excavation, si bien qu'il était impossible de voir le hameau de la ferme, et la ferme du hameau. Elle arborait un étrange mélange de vieilles planches et de pans mise à neuf, et le vieux fermier lui expliqua alors qu'elle appartenait à son fils mort au combat il y a quelques mois seulement. Sa femme, de chagrin l'avait rejoint dans la tombe, laissant la ferme abandonnée de tout occupant. Une large étable était accolée à la battisse, qui pour le reste n'était pas des plus petites. Elle n'avait rien d'opulent, pouvait s'enorgueillir de posséder plus d'une seule pièce, et ne transpirait pas pour autant la misère. Elle était meublée d'un rudimentaire nécessaire, seulement dépouillé à quelques endroits de ses attributs les plus précieux, mais l'Anaon décida que cela serait parfait, et une bourse pansue passa d'une main à l'autre.

    Et au soir du troisième jour, l'Anaon était là, à l'étang des Demoiselles. Mais personne ne vint... La sicaire s'en surprit, puis se dit que Judas devait avoir eu un contre-temps, ou que la nuit était trop noire pour trouver son chemin sans prendre le risque d'allumer une torche. Elle guetta sans fermer l'œil, se rendit jusqu'à l'étang du Chevreuil, juste à côté, des fois qu'Hugo se serait fourvoyé, et quand l'aube menaça de poindre, elle rentra à l'auberge pour s'effondrer de fatigue. Nul message de Judas ne lui parvint, mais au soir du quatrième jour, et se rendit à nouveau à l'étang, sans plus de succès que le soir précédent. L'inquiétude se mit à poindre furieusement, coupée seulement au matin du cinquième jour par l'arrivée d'un habitué. L'Anaon du deviner la certitude qu'il était censé lui livrer. Et après quelques vaines tentatives, c'est un hochement de tête qu'elle parvint à lui soutirer.

    _ Bien... Si le Seigneur demande à me voir ou savoir où je me trouve, tu le mèneras là où je vais te mener aujourd'hui. Souviens-toi bien, car je ne te donnerai rien par écris qui pourrait te guider.

    Et alors, elle conduisit le muet jusqu'au hameau, et à son tour lui désigna le sentier et le contre-haut herbeux. Elle ne lui parla ni de la ferme ni ne la lui montra. Si dans l'effervescence des jours à venir le muet venait à la trahir, elle le verrait venir par le sentier et aurait le temps de réagir. On pourrait se surprendre qu'après tout ce temps la sicaire fasse encore preuve d'une telle méfiance, mais la balafrée a appris à ses dépend que faire confiance c'est prendre le risque de se faire trahir. Et la trahison peut parfois se revêtir de conséquences bien dramatiques...


[ Soir du cinquième jour ]



      La lune se montre plus clémente, distillant une maigre lueur qui ondule parfois sur la surface goudronneuse de l'étang. Assise contre un rocher mousseux, l'Anaon patiente, le regard vague, l'expression grave et brisée dont elle n'a pu se départir depuis Bretagne. Celui qui se serait donné la peine d'essayer de la décortiquer, n'aurait su dire si c'est tristesse, l'inquiétude ou la colère qui étreint ainsi ses traits. Et elle-même semble ne pas savoir. La mercenaire ne bouge pas d'un cil, entrecoupant parfois le vide de ses pensées de quelques conjectures douloureuses et d'analyses poignantes sur le voyage écoulé. Tout son être s'interdit de songer aux jours à venir si ce n'est pour envisager les pires scénarios possibles, refusant de spéculer si une joie qui ne lui est pas encore acquise, et qui ne le sera pas, tant que son fils ne sera pas entre ses bras. Le doux bruissement du cheval broutant l'herbe aux alentours ne lui provoque aucun regard. L'Anaon se fait pierre contre la pierre.

    Ce n'est qu'au bout d'un temps ineffable que les azurites se laissent aller au mouvement. Fenrir allongé contre elle relève la tête, Visgrade émet un léger renâclement. Et ce n'est qu'après, que la sicaire sent parvenir jusqu'à elle une cadence mate qui s'étouffe sur le tendre de la terre. Une main autoritaire se pose sur le cou du chien pour le tenir couché près d'elle et lui interdire de se lever. Le cavalier apparaît. Forçant sa vue, l'Anaon identifie le jeune limier de Judas esquissé sous le blafard hésitant de la lune. La mercenaire attend quelques instants, analysant les lieux à la ronde avant de se lever, immédiatement imitée par le molosse. Elle contourne la petite étendue d'eau pour se rapprocher du cavalier et elle se plante à quelques pas de la monture.

    Hugo. Être qu'elle n'avait jamais cherché à approcher, obéissant à son instinct et évitant du même fait les inquiétudes de Judas. La première fois où il lui avait fait part de son existence, il lui avait sérieusement demandé de ne pas le "perturber", et qu'en le voyant, elle comprendrait pourquoi. Mais le fait est qu'en l'ayant observé par quelques détours de regards durant le voyage, et qu'en le regardant plus franchement présentement, l'Anaon n'avait toujours pas compris le pourquoi de cette crainte-là. Il était jeune. Mais elle avait été, durant son enfance, sous la tutelle d'une femme comme lui plus jeune encore. Et quand elle ne se résignait pas à l'indifférence, c'est de la méfiance qu'elle ressentait à l'égard de cet homologue qui rôdait sur les mêmes terres qu'elle. Comme le loup se méfie du loup. Parfois empoignée par une contrariété jalouse de voir cet autre prédateur prendre ses quartiers sur son propre territoire.

    La contemplation de ce visage rongé par les ombres est pourtant bien courte. Sans se défaire de ce regard en alerte et prêt à tout, l'Anaon tend des bras nerveux dans la direction du jeune nervi. Sans qu'aucun mot ne se prononce, et dans l'attente fébrile de pouvoir arracher son fils à ses bras auxquels elle ne voue absolument aucune confiance.

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TAMAGO ou RETRAITE à partir du 30/10 pendant une durée indéterminée
Hugo_



Le bruit du chien lui avait fait tourner la tête avant même qu’il ne le voit, ennemi naturel du souvenir d’enfance encore marqué par les mâchoires écumantes des dogues se refermant sur lui avant que le maitre ne l’assoit au sein de la meute. La silhouette d’Anaon redessina la pénombre sous l’œil vigilant de l’adolescent, observateur impassible de ce dénouement qui importait tant à l’un et à l’une, et qui ne soulevait pas l’once d’un frimas à son âme taillée par la maladie, fuselée à n’aimer qu’une fois par cycle de vie, et à semer, le reste du temps, les corps au bon vouloir d’un cœur sylvestre, insensible, épuré, apaisé, si loin du monde des hommes qu’il n’en percevait pas les rouages les plus élémentaires, trouvant souvent bien trop bruyant, leurs effusions, passions et revendications.
La dextre avait délaissé momentanément les rênes pour assurer le poids de l’enfant et la proximité de la lame glissée à la ceinture, conscient du prix de son colis, contemplant le visage abimé de la mercenaire, trouvant une certaine fluidité qu’il reconnaissait dans le silence des gestes sans pourtant les assimiler à une même famille. Il contempla les bras se tendre vers lui, y décelant l’impatience autant que la nervosité, ne pouvant s’empêcher de penser, pragmatique assassin, que s’il avait dû frapper, ç’aurait été cet instant ci qu’il aurait choisi, protégé par la masse d’Amadeus qu’elle n’aurait jamais osé sacrifier, visage rongé de prudence mais regard délavé d’inquiétude, assez haut pour tirer profit de la situation, et d’elle et du molosse à ses pieds.


Qu’il rend faible, cet enfant… Si jeune, si léger et pourtant si lourd d’attaches, d’espoirs et de craintes… On croit à tort que la lignée rend plus fort… Elle est un poids terrible, qui surpasse toutes les précautions…


Il délaissa le manche du poignard pour soulever à deux mains l’héritier aux prunelles encore engourdies de fatigue, papillonnantes sur les alentours, et se pencha, au fil d’un sourire étonnamment amical, livrant sans fard la bonhomie de son jeune âge et des traits encore tendres, contraste déconcertant de la rigueur cruelle que lui imposait ses affiliations et de la satisfaction canine d’avoir mené à bien cette tâche qui tenait tant au cœur judéen. Le danger que représentait Hugo ne tenait pas tant dans ses capacités pourtant affutées que dans son affliction molossoïde ; Bon chien, mais chien ne se référant qu’aux nuances de son maitre.
En quelques secondes, Amadeus fut offert à l’impératif de l’amour maternel, sans autre forme de bienveillance que celle de s’assurer qu’elle le tenait fermement avant de le lâcher.
Pas un mot n’avait, et ne serait échangé.
Nulle part le démiurge n’avait spécifié qu’il devait être dit quoique ce soit, aussi, à peine délesté de son surplus, Hugo raccourcit les brides de sa monture pour l’amener à piétiner le sol meuble dans un demi-tour rapide, jetant un dernier regard sur la mère et sa progéniture pour cueillir les retrouvailles d’une dernière attention née du besoin qu’aurait peut-être Judas à savoir comment elles s’étaient déroulées, avant de talonner les flancs de l’équidé et de disparaitre pour rallier avant l’aube, les frondaisons des terres seigneuriales.




Il n’avait pas été difficile de rejoindre la couche attribuée avant que le soleil ne perce la voute nocturne de ses premiers rayons, laissant la monture au pré où il l’avait mise la veille, la délestant de sa selle pour aller la poser à l’endroit exact de son rangement, et regagnant par des passes d’ombres pleines, la chambre à la petite fenêtre qui lui avait été allouée.
L’adrénaline du contrat avait fini de se diluer dans les veines et pourtant, méthodique, malgré la fatigue, il lava longuement ses mains dans le baquet d’eau à sa disposition, méticuleux, forçant le savon sous les ongles, n’épargnant aucune ligne, sans avoir besoin de sang à y délayer pour en percevoir les volutes se diluant dans l’onde. Une heure, peut être deux, avaient été employées au repos avant qu’il ne se lève en même temps que l’aube pour ne déroger à aucune des habitudes qu’il avait posé sur les terres du maitre, et après un petit déjeuner copieux en cuisine en compagnie du petit personnel, avait rejoint les extérieurs où il passait le plus clair de son temps, jusqu’à ce que résonne la voix courroucée de Judas.

Descendant de l’arbre où il s’était perché pour observer l’un des chats de la maison en chasse dans les hautes herbes, il se présenta au maitre en sautant à quelques mètres de lui, la silhouette fine tenue dans la veste brune et matelassée qui le quittait jamais, le regard clair de dévotion attendant l’ordre sans le moindre remous, sans la moindre attention pour le reste du monde.


Vous me cherchez?




Anaon


       Oui... Si l'Anaon avait été à la place d'Hugo, c'est ce qu'elle se serait dit, peut-être avec une once de mépris. Et c'est ce qu'elle s'est dit, en tendant les bras vers lui. Anaon a été trop écorchée, et a bien trop écorché, pour ne pas percevoir la moindre faille dans l'attitude de chacun passant sous son regard. Déformation professionnelle qui a tordu un instant l'esprit du jeune nervi. Mais avoir des enfants, c'est cela.... Un paradoxe. Ça vous rend plus méfiant, plus parano, plus craintif de tout... et pourtant, ça vous fait embrasser la plus profonde abnégation. Vous n'avez plus peur que pour eux, et c'est ce qui lui a fait tendre les bras vers lui, le jeune sicaire, dans cette imprudence consciente et vulnérabilité toute assumée. Car dans un calcul instinctif, la mère-cenaire a convenu sans douter qu'il était plus impératif de récupérer son fils que de jouer les précautionneuses pour garantir sa propre survie. Elle aurait tendu les bras de la même manière à quiconque aurait été sur ce cheval.

    Le regard acéré relève le moindre mouvement des ombres, et quand elle voit la petite masse sombre de Kenan se détacher du buste juvénile, elle approche d'un pas pour tendre les bras plus encore et s'en saisir. Elle le sent respirer sous ses mains, et perçoit son petit sursaut ensuqué de se sentir soudainement balloter dans le vide. Alors déjà rassurer par ce premier constat sous ses paumes, elle ne le regarde pas, gardant ses prunelles rivées sur le visage penché d'Hugo. Elle voit la pénombre sur son visage se mouvoir d'un sourire, auquel elle est incapable de répondre, gardant le marbre de ses traits où ne transperce aucune autre émotion que celle d'un animal aux aguets. Les bras se resserrent en camisole protectrice contre le petit corps. D'un pas elle recule... de deux, de trois, sous l'oeil vigilant de l'imposant canin, dans l'expectative, qui recule par mimétisme. Les azurites ne s'abaissent pas, guettant le départ d'Hugo, sans ciller. Le silence se referme derrière lui, brisé seulement par le couinement du chien, torturé de sentir sa "mère" si nerveuse. Jugeant alors que le nervi s'est suffisamment éloigné, la mercenaire change soudainement de visage.

    Comme un rempart qui s'effondre. Elle pose enfin les yeux sur l'enfant qui oscille entre sommeil et éveil, et la sévérité de ses traits se fond en une infinie douceur. Ses sourcils se font pourtant soucieux, marquant davantage la ride du lion déjà bien ancrée à même son front. Une main tendre et inquiète se pose sur la petite joue rebondie. Il semble se porter bien. Dieux, déjà dans les ténèbres qui faussent tout, elle le distingue changé et grandi. Six mois qu'elle ne l'a pas revu, six mois auparavant où elle n'avait pu jouir que de si peu de temps pour le découvrir après un an d'ignorance. Le cœur de la mercenaire se met soudainement à marteler sa poitrine d'une folle cadence. Désespéré, mais Ressuscité. Ses instincts de mère s'éveillent dans sa poitrine comme un ouragan. Une déferlante subite d'affection refoulée dans la frustration et le manque. Un débord que l'Anaon ne peut encore laisser s'exprimer. Pas ici. Pas maintenant.

    La sicaire scrute soudainement les alentours, comme si chaque arbre cachait un ennemi. Son fils est dans ses bras, mais ils ne sont pas à l'abri, pas tant qu'ils n'auront pas gagné la discrétion de la ferme. Vite, elle n'attend pas, elle rejoint son cheval comme une fautive traquée. Elle tire une large écharpe de sa selle, puis s'agenouille d'un seul genoux. Asseyant Kenan qu'elle garde contre sa poitrine sur sa cuisse, la mercenaire entreprend rapidement de nouer l'étoffe autour d'eux, assurant solidement l'enfant contre son sein. Puis elle se relève, ajuste le tout, en teste la sureté, avant de prendre l'ample cape noire qui drape les reins de sa monture et de s'en couvrir. Elle prend place en selle, avec une infime précaution, gardant une main maternelle en coupole sur le petit crâne aux cheveux de corbeaux. De l'autre, elle tire la cape pour qu'elle voile ses flancs, recouvrant quasiment l'enfant du secret d'un rideau dissimulateur.

    Puis alors, après avoir lancé un ultime regard aux alentours et scruter l'endroit où la forêt a englouti Hugo, elle envoie sa monture dans un amble tendre, devancée par Fenrir jouant les éclaireurs, et elle s'éloigne, sans plus se retourner, de l'étang des Demoiselles.

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TAMAGO ou RETRAITE à partir du 30/10 pendant une durée indéterminée
Judas
    [Judas: ce doit être usant. Lorsque L'amour n'est plus. un sentiment d'échec perpétuel...
    Anaon se tourne vers Judas, prise d'un soudaine sentiment d'angoisse.
    Anaon: S'il n'y a plus d'amour... c'est qu'il n'y en avait pas à la base... c'est tout.
    Judas ricane.
    Judas: C'est tout ce que tu sais de l'amour, Ann?]


Lorsqu'il apparut, frêle enfer en devenir, le jeune limier reçut la pression de la noueuse sénestre Judéenne sur le coin de l'épaule, pouce rencontrant clavicule et encoignures blanchissantes à la nervosité du geste. Les yeux noirs eux fouillèrent leur vis à vis, avides, d'une ténébreuse exclamation. Judas Gabryel Von Frayner venait de léguer sa plus lourde arme à la Roide, et comme une promesse que l'on redoute de tenir, l'excitation mêlée d'inquiétude ne prenait pas tout à fait le pas sur cette colère innée qu'il avait toujours abrité.

Rétif à l'idée qu'Anaon ne s'en aille avec l'enfant, progéniture qui la rendrait autosuffisante peut-être, émancipée à lui sans doute, libre ou courageuse de le devenir en s'affranchissant définitivement de son amour, les mécanismes Seigneuriaux hésitaient entre le plaisir de tuer Isaure de chagrin et la crainte de s'être compromis en se séparant de son enfant. Son objectif premier n'était pas perdu de vue, juste embrumé par quelques réflexions viciant ses machinations. Priver la jeune épouse de son droit illégitimement officieux de mère et accorder à l'amante le sien était un moyen radical mais sain d'équilibrer la situation actuelle: une Femme qu'il ne voulait pas, un amour qu'il n'avait jamais récompensé . Loin des complaintes de la maitresse de maison et de l'agitation de la maisonnée, là, à demi dissimulés par la dense végétation du Manoir, Judas ajouta à ses yeux la parole qu'il leur manquait. Ils avalèrent l'image sage et sereine du faux-fils, dépouillant tout, de tout , pour n'en garder que l'essentiel.


As-tu... ?
    A-t-elle...?


Il savait. Bien sûr qu'il savait. Mais entendre quelque chose valait toujours mieux que de s'en persuader. La main ne lâcha pas Hugo, demandeuse sans supplier. Impérieuse sans menacer. Judas sentait sa bile tourbillonner dans ses tripes, il imagina dans son moment d'intime folie l'épitaphe qu'il pourrait dresser à un Hugo mort pour ses souhaits.


    "Il était comme mon fils. Cette projection d'un moi en devenir que j'avais été dans le passé, sans mentor pour me modeler à son image. Sans moule. Dans mon inconscient, Hugo avait nourri longtemps mes terreurs nocturnes sans que je ne sache qu'il était un leg à venir, et dont j'étais la matrice. Brute. Une assurance de vie capitalisable, qui ferait perdurer ma propre personne lorsqu'elle ne serait plus. "


Le rythme cassant de son palpitant vide de sens le rappela à sa fébrilité extatique. Cette nuit, tout s'était joué. Pour lui, par lui, mais sans lui. Quel frustrant ressentiment.

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Hugo_



La silhouette judéenne engloutit son champ de vision, réduisant l’espace à ce qu’il devait être : le maitre et juste le maitre, agité, nerveux, jusque dans le besoin de demander au dogue si les Mains Rouges avaient mené à bien la mission qu’on leur avait confié au fil d’une interrogation suspendue. Mais elles ne faillaient jamais, les Mains Rouges, terribles instruments que l’on payait de son essence bien plus que de sa fortune, objets froids et sinistres qui s’accaparaient les noirceurs des tempes pour leur donner vie et en tracer les contours espérés, matrices des complots les plus furtifs et le plus personnels, prenant pour dû, de petit bouts d’âme dans l’insensé espoir de s’en forger une, travail de fourmi entre les doigts de l’épeire. En confiant Amadeus à la mercenaire, Hugo en avait collecté le premier de cette nouvelle vie.

As-tu... ?

Le regard noir du Démiurge s’accrocha si fort aux prunelles tendres, plus encore qu’à cette épaule prise en étau entre les doigts gantés, qu’il noya Hugo dans le débordement joyeux de la reconnaissance, assurant à son visage la bonhommie de l’enfant qui sait son travail exécuté.


J’ai.
Toujours, Maitre, sans le moindre doute, pour Vous, j’ai.
Ce n’est pas ma présence qui portera vos interrogations, mais mon absence. Le jour où je ne rentrerai pas à l’ombre de votre monde, alors ce jour-là, elles seront légitimes quoiqu’ayant leur réponse dans le vide que je laisserai.
L’échec ne se pardonne que par la mort
.



Oui.

Infernal silencieux, végétal cruel parmi les hommes, il eut pu se taire pour ne rien dire de plus s’il n’avait été à ce point gangréné par l’envie de voir le maitre satisfait, sa nébulosité enfler au rythme du contentement et lui sourire, à lui et à nul autre, non point par gratitude, mais par orgueil.
La présence lointaine des autres et le silence tourbillonnant autour d’eux amena l’adolescent à poursuivre de quelques mots choisis sans quitter la frondaison des charbonneux rivés sur lui :


Elle attendait à l’étang. Elle avait peur…


Les mains tendues d’Anon frémirent dans son esprit, et les azurs cillant d’inquiétude amènent irrémédiablement à sa bouche le gout métallique du sang, ravivant à son esprit mal-formé la sensation du chasseur qui avait laissé la vie sauve à la proie qui se tenait devant lui car ce jour-là, elle n’était tout simplement pas sienne.

Elle a eu peur jusqu’à ce que je m’éloigne, alors, après, elle a été heureuse.

Nul besoin de s’être attardé sur les retrouvailles orchestrées à la faveur du secret pour savoir exactement ce qu’avait ressenti la sicaire, quand bien même il était incapable d’en mesurer la profondeur, coquille vide ou presque, où croupissait la perpétuelle indifférence de ses semblables qui n’étaient pas Lui.
Le soulagement.
Elle avait gardé les yeux rivés sur lui quand bien même il lui avait donné l’enfant, louve pétrie d’angoisses qui ne cède pas la moindre once de terrain à l’homme qui la regarde, faisant fi de ses instincts les plus personnels pour n’écouter que ceux de la mère en elle. Le poids de son regard immense l’avait suivi jusqu’à ce qu’il disparaisse de sa vue. Après seulement, il le savait, don du limier au fait de sa besogne, elle avait respiré.
A cet instant ci, Judas aussi était suspendu à son propre souffle, seigneur dont le plan comportait l’inconnue de l’amour maternel et si Hugo ne le comprenait pas, il sentait dans l’attitude du maitre, les possibles inhérents à une machination tenant compte de l’humain et non pas de la mort.


Voulez-vous que je retourne le chercher ?
,
demanda-t-il simplement, se disputant l’intérêt d’apaiser le maitre et la fierté juvénile d’être le seul à qui l’on eut pu formuler telle demande.




Judas
La pression de la main s'étiola dans une tape sèche au bruit mat contre l'épaule du jeune - qui aurait pu soulever de la poussière s'il n'avait pas été depuis un petit moment blanchi par les lavandières de Frayner - en guise de remerciement. Rassuré Judas? Point. Mais une part de sa personne imagina les traits sereins de l'Anaon, les fines mèches brunes effleurées du bout de ses doigts et les lainages fourrés dont elle entourait l'héritier contre la froidure des courants d'air...

Oui. Même s'il lui avait murmuré lorsqu'elle avait engendré Amadeus qu'elle ne pourrait pas , jamais être une bonne mère, Judas savait que son geste signait son désaveu. Il secoua la tête, d'un pauvre presque-sourire désabusé à Hugo et renifla en se retournant vers le manoir où les pleurs d'Isaure commençaient à charger l'atmosphère.


- Non. Ce qui est fait est fait.


Ses sourcils corbeaux se froncèrent, accentuant plus encore le pli soucieux qu'on assimilait à son austérité. Ce qui se dressait devant lui était la part la plus compliqué du travail. Les prunelles de jais se perdirent en contemplation, un long moment durant lequel il ne fit plus attention à la présence de son jeune limier.

Il faut la faire taire...

Il soupira. La faire taire à tout jamais, il fallait qu'Isaure paye pour ce qu'elle était. Pour tout ce que Judas la détestait. Il se vit agripper sa tignasse tressée, la mettre à genoux sur un prie dieu en lui ordonnant de prier pour ses fautes. De prier pour sa négligence envers leur héritier, de prier miséricorde. Si Judas avait éloigné son enfant dans un premier temps, ce n'était que pour mieux briser celle qui ne lui avait jamais donné la vie loin de ses yeux d'innocence. Loin de ses oreilles. L'innocence n'avait plus sa place entre les murs de cette maisonnée et ce... Depuis bien longtemps... Il tourna son visage vers Hugo et l'inclina brièvement dans un mouvement l'invitant à le suivre. Il rebroussa chemin, le visage plus fermé qu'à l'accoutumée, repartit à la rencontre de la jeune femme éplorée.



Isaure.


    Regarde-moi Isaure
    .


La torture psychologique pouvait commencer.
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