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[RP] « Adieu et à jamais »

Eliance
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Été 1462
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Citation:


    Torvar,

    Plusieurs jours que j'hésite à écrire ce petit mot, plusieurs jours sans doute avant que je ne me décide à l'attacher à un volatile, plusieurs jours encore pour que ce foutu pigeon trouve où vous vous cachez. Bref, quand vous lirez ça, vous serez sans doute loin et avec un peu de chance, je n'entendrais pas votre grognement oursal de mécontentement qui ponctuera le début, le milieu et la fin de cette lettre.

    Et si vous en venez à grogner ce sera parce que j'ai quelque chose à avouer, un truc qui me tracasse, voir plusieurs trucs. J'ai pas l'habitude de mentir, je déteste ça, en fait, et je m'en pensais d'ailleurs incapable. J'aurais préféré ne pas connaître ce talent caché, j'ai peur de m'en servir à présent sans réfléchir et ça m'angoisse.

    Tout ce baratin pour vous endormir un peu et vous avouer l'air de rien que j'ai jamais eu de cheval, que je ne suis jamais monté sur le dos d'un et j'en serais foutrement incapable, adroite comme je suis.
    Le deuxième aveu concerne Kachina qui ne m'a jamais frappée et qui s'est contentée de m'aider à retrouver ma mémoire perdue à cause d'un cheval qui m'a défoncé la tronche, alors qu'elle n'était que ma voisine de chambrée dans une taverne de Dôle. On en revient toujours au cheval, je sais, le hasard des choses.

    Le troisième aveu explique le pourquoi du comment des mensonges précédents. Maryah voulait vous voir sourire, en gros, et j'ai accepté la mission, en la modifiant un peu à ma sauce quand même. J'ai donc inventé le cheval et Kachina pour arriver à vous parler, ou plutôt pour arriver à ce que vous m'écoutiez. J'ai accepté de faire ça parce que j'avais envie de vous connaître, j'avais envie de savoir ce qui se cachait sous ce type qui bougonnait dans son coin. La faute à ma curiosité, vous savez. Après ces deux éléments de conversations catastrophiques, je n'ai plus raconté de conneries, je n'ai plus menti sur rien. Je vous le promets. Tout ce qui est sorti de ma bouche était dit sincèrement. Je n'ai de même pas tout raconté à Maryah de nos discussions, comme vous aviez dit qu'elle n'en savait pas tant sur vous. J'ai respecté ça. J'ai essayé de rattraper mes erreurs du début.

    Je préfère vous décevoir maintenant plutôt que de continuer à mentir éternellement. Mentir, ne n'est pas moi. Pardonnez-moi ces maladresses, je ne regrette rien de ces journées passées avec vous. Elles me manquent, pour tout vous dire.

    Vous pouvez à présent m'insulter, déchirer cette lettre si ce n'est pas encore fait, avoir envie de m'étriper, que sais-je d'autre...
    Vous allez surement confirmer le « À jamais » de votre au revoir, et je le comprendrais. J'aurais eu plaisir à vous revoir malgré tout, mais comment vous en vouloir. Je déçois toujours. C'est ainsi. On s'y fait, avec le temps.

    Prenez soin de vous, Torvar.

    Eliance


    PS : Ne faites aucun reproche à Maryah. Elle voulait seulement vous aider à retrouver une certaine envie de vivre et s'en sentait incapable. Je lui en aurais voulu de ne pas m'avoir proposé ça. Passer à côté de quelqu'un comme vous, ça se regrette.





Eliance,

Si vous saviez quel regard je portais sur vous, vous vous seriez enfuie loin dès le départ et vous n’auriez pas cherché à approfondir une quelconque relation entre nous. Etre votre père, grasce à dieu je ne le suis pas. Je n’ai pas réussi à faire grand-chose dans la vie de mes filles et elles m’en ont toujours voulu… La preuve en est, la dernière a voulu me tuer. Etre votre ami, je peux vous apporter mon soutien et mon bras armé si un jour vous en avez besoin. Je vous l’ai dis Eliance, où que je sois, je serais toujours là. Ne cherchez pas à comprendre pourquoi, il y a des choses dont il est préférable de taire. Quant à être un mari… de une vous êtes déjà mariée et de deux, je fais un bien piètre époux. Mes femmes sont toutes mortes et je ne vous souhaite aucun mal. Je suis destiné à être celui que l’on cache, à ne pas être ouvertement celui que l’on met en avant. C’est comme ça. Je donne ce que je peux, je prends ce que l’on m’offre et je m’efface quand on ne veut plus de moi. Voilà ce que je suis, dans tous les cas. Une place partout ou aucune place du tout. Les hommes de l’ombre restent dans l’ombre.

Maintenant pour cette histoire de mensonge, je ne vous en veux point à vous mais Maryah… cela fait plusieurs jours que nous ne sommes plus sur la même longueur d’ondes. Elle me fait des crises de jalousie, des crises de sentiments et me reproche de ne pas en avoir envers elle. J’ai tout fais pour elle, j’ai été celui qui était là pour lui rendre sa féminité lorsqu’elle a été souillée par un homme, j’ai accepté ces frasques, de passer après son amie Sarah, de devenir un chien de garde quand nous devions affronter Ezequiel. J’ai été celui qui s’est confronté au baron borgne et pris pour un con par ce dernier mais j’ai ma fierté. Et je ne suis pas une ordure qui profite. Elle dit m’aimer, je ne peux pas lui donner ce qu’elle désire. Le peu de sentiments qu’il me reste sont pour autrui qu’à cela ne plaise, tant pis ! Elle ne cherche pas un mari mais un amant qui soit capable d’assumer son fils. Et je ne suis que son troisième choix. Je suis peut être un rustre mais pas non plus celui qui dit « amen » facilement.

Dignité mal placée ? Peut être, sans doute même mais je ne suis pas pire qu’un autre. Je sais donner mais je ne veux pas me sentir obliger. Avec vous cela c’est fait si facilement… vous m’avez touché peut être parce que vous avez une certaine fragilité que vous essayez de dissimuler aux autres, peut être parce que vous dégagez une force peu commune que l’on perçoit au fond de votre regard quand vous posez vos yeux sur les gens. Je ne saurais vous dire vraiment mais il est ainsi. Et jamais je ne reprendrais ce que je vous ai offert mais me mettre à l’écart c’est me préserver. Préserver ce qu’il me reste d’humanité si je ne veux pas devenir fou. Même si la folie est mienne car je sais l’apprivoiser.

Mais je vais m’arrêter là Eliance car je ne souhaite aucunement vous accabler, bien au contraire. Sachez que vous avez été une bouffée d’air dans ma vie, une touche teintée de beauté dans ma vie sombre et ensanglantée. Vous avez effleurée du doigt quelques désirs que j’avais enfoui au fond de moi, dépoussiéré une existence qui fut autrefois mienne. A cela je ne peux revenir en arrière mais éviter de me confronter à nouveau à vous me fera oublier ce que j’ai manqué.



Citation:


    Torvar,

    Dites-moi quel regard vous portiez sur moi, la première fois où vous m'avez vu. Quelque chose me dit que ça va me faire rire. Et j'en ai bien besoin ce soir.

    Vous avez pu être un père et un mari exécrable par le passé, ça ne veut pas dire que vous le serez toujours. Vous n'avez pas tué vos femmes. Et quand bien même, j'ai bien essayé de faire brûler mon premier mari, c'est pas pour ça que mon second aura ce même destin. Parfois, les choses changent suivant les personnes qui se trouvent sur votre chemin. Vous méritez d'avoir une place bien à vous. Des femmes seraient fières de vous côtoyer si elles vous connaissaient comme moi je vous connais. Si elles voyaient ce que je vois de vous. Ce que vous dites de vous-même me fend l'âme. Comment vous pouvez penser que c'est votre rôle que de n'être personne, de n'être que le suivant. Vous êtes Torvar le Cosaque. Vous êtes un guerrier, un homme de valeurs. Vous n'êtes pas un homme de l'ombre.

    Maryah m'a écrit. Elle voyait un apaisement dans vos relations ces derniers jours quand vous n'y perceviez qu'un éloignement constant. C'est étrange. Je vous comprends, vous, de vouloir vous sortir de là, n'en plus souffrir, mais je parviens pas à la comprendre, elle, j'arrive pas à savoir ce qu'elle souhaite réellement depuis le début. Vous l'avez toujours respecté. Vous êtes admirable, pour ça. Même si l'« entrainement » qui semble vous avoir ruiné un genou, évoqué dans sa lettre, me semble loin de tout respect, il faut bien que certaines choses me dépassent. Je ne parlerais pas de dignité mal placée, plutôt d'un instinct de survie qui vous empêche de replonger tête la première dans quelque chose qui vous détruit.
    Cette même chose qui vous gueule de rester à l'écart de moi. Je respecterais ça, Torvar. Je ne pensais pas ça possible... j'ai jamais voulu être source de souffrance. Diego dit que je le suis bien malgré moi. Souvent. Il faut croire qu'il a raison. Je suis maudite. Mon âme saigne de penser à ce qui aurait été. Je suis désolée, Torvar. J'aurais aimé ne pas être mariée pour vous rencontrer. J'aurais aimé vous montrer la place qui aurait pu être la vôtre. Celle que vous méritez.
    Mais vous voyez, mon instinct de survie à moi est quasiment nul. Je me détruis petit à petit. Ca vaut mieux pour vous que vous soyez loin de ça. Vous avez bien raison.

    Préservez ce que vous êtes.
    Si me lire est douloureux. Dites-le. J'arrêterais.
    Soyez prudent.

    Eliance


    PS : J'ai écrit quelque chose sur ce que vous m'avez appris de votre peuple. Peut-être sera-t-il publié à l'AAP si la cheffe considère ça intéressant. J'aimerais beaucoup. C'est une sorte d'hommage à un homme important.





Eliance,

Vous dire quel regard j’ai porté sur vous serez me dévoiler, vous avouer, vous faire entrer dans mon monde et ce que je ressens. Vous dire ce que j’apprécie ou non, vous donnez des détails sur ce qui me rend faible ou fort… et cela ne mènerait à rien… à rien que me faire regretter de ne pas avoir su profiter de votre présence un peu plus, d’avoir été un homme respectueux et bourré de principes, d’avoir respecté la part d’ombre qui est en moi et rester dans la pénombre justement afin de ne porter préjudice à personne au final.

Pour ce qui est d’avoir tué mes femmes… c’est tout comme. Aelis, la mère d’Apolinna est morte par ma faute. Elle a été prise pour cible par des mercenaires qui voulaient récupérer leur butin, butin que je n’avais pas et pour la faire parler, ils ont tous fait… jusqu’à lui ôter la vie. Je suis responsable. C’est comme si ma main avait tenue l’épée qui l’a transpercée. Quant à la mère de Kallista, elle était une ancienne esclave et n’a jamais vraiment réussi à s’intégrer malgré le fait qu’elle était ma femme et la mère de mon enfant légitime. Je crois que j’ai été sourd à ses problèmes et la mort l’a emporté sans que je lui témoigne réellement d’inquiétude ou même de respect… C’est ainsi que je le vois. J’étais derrière ces morts et je suis responsable, quoi que vous disiez. Et si je dis être un homme de l’ombre c’est que je le suis, croyez-moi Eliance.

Homme de main, homme de l’ombre, assassin, espion et même amant, je ne cherche pas à avoir un statut différent. Je voulais être diplomate, je suis un mercenaire, je n’agis point dans la lumière. Il y a longtemps que c’est ainsi et je ne changerais rien, il est trop tard pour moi.

Maryah vous a écrit. Je pense qu’elle a besoin d’une amie ou d’une personne à manipuler. Je ne saurais trop vous dire d’être sur vos gardes. Elle est abusive dans ses amours comme dans ses amitiés. Elle dit m’aimer depuis des semaines… imaginez après votre départ, elle a tenté le tout pour le tout. Elle a voulu me séduire une nouvelle fois, en taverne et je l’ai repoussé. Après quoi, elle m’a provoqué constamment jusqu’à aller à se dénigrer devant autrui en disant qu’elle était sale, que les hommes n’aiment pas sa couleur de peau, qu’on ne la respectait pas, que je préférais les autres et ne pas la toucher elle… elle a rien compris alors elle s’est mise en tête d’apprendre à se battre. Je jouis d’une certaine aisance au combat alors elle m’a tarabusté jusqu’à ce que je cède et l’entraine… Je n’aurais pas dû mais je n’avais pas cœur de la repousser constamment. Et cela s’est fini en combat de rue. Il me manque la rapidité de ma jeunesse et la vaillance de mon bras qui n’a pas répondu comme je le souhaitais. Il me reste des marques de morsures et d’étranglements en plus de douleurs dans les côtes et des bleus… mais cela n’a pas servi à grand-chose, elle est toujours aussi virulente. Mais elle s’est trouvée une nouvelle proie, une jeune aveugle… demain nous arrivons à Arles c’est la fin du voyage pour Maryah et moi. Je lui ai dis qu’on se séparait après ça. A force de trop tirer sur la corde, elle casse.

Et vous allez m’écouter petit chat sauvage. Vous n’êtes pas maudite, vous n’êtes pas responsable de ma souffrance. Je souffre parce que je le veux bien, parce que je suis un homme qui n’a plus rien à perdre, parce que ma vie s’étiole et s’étire vers la fin. J’ai vu en vous une lumière, une grasce, un peu de chaleur qui me faisait défaut depuis si longtemps…J’aurais voulu m’abreuver à votre source, vous garder pour moi, vous écouter encore des heures entières mais nous ne nous sommes pas rencontrés au bon moment ni au bon endroit. C’est là toute l’ironie de la vie. Vous avez un mari, j’ai une sangsue qui croit m’aimer c’est ainsi… il y aura encore des bordels sur ma route quoi qu’en dise Maryah, je trouverais le repos du guerrier entre les bras de ces femmes accueillantes et vous entre ceux de votre époux. Il n’y a rien à dire de plus, vous le savez bien Eliance. Vous ne détruirez jamais le lien qui vous unit à votre époux pour un homme comme moi. Si vous êtes une femme au passé torturé vous essayez de construire un meilleur présent. C’est tout à votre honneur. Et ne vous détruisez pas Eliance, je vous en prie. Je ne le supporterais pas. C’est comme si je vous regardais à vous ouvrir les veines… cela m’est insupportable. Et d’abord, pourquoi détruisez-vous ? Diego aurait-il fait quelque chose de mal ? Vous aurait-il mal traité ?

Et je n’admettrais aucun silence de votre part. j’ai été honnête avec vous et j’essaie de répondre au mieux à vos questions silencieuses alors faites-en de même avec celles que je pose carrément.

Quant à vous lire et ma douleur, elles vont de paires et me font me sentir encore un peu de ce monde. Laissez-moi encore ces quelques bonheurs et faites-moi part de vos mots destructeurs tout autant qu’ils sont enchanteurs. Racontez-moi encore petit chat sauvage… parlez-moi avec vos mots qui vous touchent et me font comprendre qui vous êtes vraiment.

A votre tour, restez sur vos gardes Eliance et dites-moi si cet article dont vous m’avez parlé est publié. J’aimerais lire ce que vous avez pu écrire. Vos mots ont la saveur qu’il faut pour me faire voyager et grasce à vous, je verrais surement les miens à travers vos yeux.

Я сумую за тобою



Citation:
    Torvar,

    Je ne vous remercierais jamais assez pour vos lettres. Pour ce qu'elles disent. Ce qu'elles dégagent.
    Cette droiture, cette résignation, ces mots me font tantôt sourire, tantôt trembler.
    Ne dévoilez pas ce que vous ne souhaitez pas. Je pose des questions, comme toujours, mais je ne souhaite pas être intrusive. Pardonnez ma curiosité. Je respecte votre silence. Je bois vos autres mots comme une offrande et c'est bien assez, bien mieux que rien du tout.

    Quand je vous lis évoquer vos femmes, je ne vois qu'un malheureux concours de circonstances et votre culpabilité qui ressort, mais pas seulement. Il n'y a pas de culpabilité sans amour. Vous les avez aimées, ces femmes. Mal peut-être parfois, mais vous les avez aimées plus que tout. Vous avez fait des erreurs. Tout le monde en fait. Laissez-vous oublier ça. Allégez votre conscience, Torvar. Vous dites amener le mal avec vous. Je ne suis pas d'accord. Vous êtes de ces hommes qui rassurent, qui protègent plus qu'ils ne détruisent. Croyez-moi.
    Vous voulez savoir pourquoi je me détruis ? Je vais vous répondre. Je vous dois bien ça, après tout. Confidence pour confidence...

    Diego a tué mon premier mari. Il m'a épargné un retour programmé en enfer. Je lui dois ma vie, ma liberté. Je l'aime pour ça, pour ce qu'il est et malgré ce qu'il est. Diego est un amoureux. Un vaste amoureux des femmes. Toutes les femmes. Voyez où je veux en venir ? Pour moi, il a calmé ses ardeurs. Pour moi, il a changé ses habitudes. Mais elles ne font que sommeiller. Alors je pardonne ou plutôt j'oublie. Voilà le cycle de mes journées. Certaines choses sont plus dures à oublier que d'autres. Je suis hantée par des visions qui ne me lâchent pas. Sa sœur, ne me lâche pas. Il l'aime. Sans doute autant ou davantage qu'il ne m'aime, moi. Et je ne peux rien y faire. Elle n'est pas uniquement sa sœur. Elle le manipule, le prend dans sa couche, me l'enlève. Lui se laisse faire. Il peut éviter et résister à toutes les femmes, mais elle, il ne peut pas, il ne sait pas. Il me l'a dit. Je dois vivre avec ça. Et c'est ça qui me détruit. Je peine à oublier. Je me contente de ce qu'il m'offre de bonheur. Je n'ai droit que à ça. De simples moments auxquels je m'accroche. N'allez pas penser que je suis une douce épouse parfaite. Je suis bourrée de défauts, de blocages en tout genre. Je supporte Diego autant qu'il me supporte.

    La folie aussi, je la connais. Une différente de la vôtre, sans doute. Mais je deviendrais folle, un jour, à force. Ayla l'a dit. Je fais des sortes de malaise. Elle a vu une femme en faire comme moi, puis mourir. Je suis maudite. Vous ne pouvez pas dire le contraire. Je me détruis, je détruis Diego qui ne supporte pas de me voir souffrir, je vous détruis vous, malgré ce que vous dites. Mon présent est ce qu'il est. Bien sûr, meilleur que mon passé, mais guère reluisant. C'est ainsi. Je me détruis et je n'y peux rien.
    Le petit chat sauvage a souvent envie de plonger du haut d'une falaise pour libérer ce monde des malédictions qu'il traîne dans ses pas. Vous voilà au courant de mes faiblesses. Même si vous les aviez sans doute devinées déjà. Vos yeux savent transpercer les âmes. C'est du moins l'impression qu'il en ressort quand ils se posent sur quelqu'un.

    Mais arrêtons de parler de moi, c'est peu intéressant. Maryah m'a écrit qu'elle avait essayé, oui, de vous séduire. Elle me tient d'ailleurs pour responsable de cet échec, même si elle ne m'en tient pas rigueur. Elle n'intègre pas qu'elle vous avait perdu bien avant que je vienne mettre un peu plus le bordel. Je la sais excessive. Je l'ai vu. Mais elle pardonne mes fautes, alors ça en fait une amie. Et Dieu sait que les amis se font rares. Je prends note de vos mises en garde. Je me méfie de tout le monde, en règle générale. Parfois pas assez, parfois trop. Mon instinct me fait défaut. Et puis, je me méfie toujours des femmes un peu plus que des hommes. Elles ont parfois une manière de vous faire parler pour vous nuire par la suite plus facilement. Je trouve ça effrayant. J'apprends à me taire. À ne pas tout raconter. Ou plutôt je ne raconte certaines choses qu'aux gens importants qui ne trahiront pas.

    Où allez-vous aller après Arles ?
    C'est idiot, mais je crains de vous savoir seul sur les routes. Je crains que vous disparaissiez une nuit, d'après une stupide sensation de n'être personne. Je crains de partager la même peur que vous de voir l'autre se détruire, s'éteindre. Je ne supporterais pas non plus. Pas vous.
    Je me consume de l'intérieur mais ne sauterait pas. La falaise reste seulement un réconfort dans un coin de ma tête. Je vous le promets. Faites de même... je vous en prie. Promettez-moi...

    Pardonnez-moi cette lettre. Elle est loin d'être folichonnement joyeuse. Simplement, elle reflète mon humeur matinale. Je ferais mieux la prochaine fois. Je préfère vous imaginer sourire en lisant mes mots. Alors je ferais mieux.
    Je vous préviendrais si l'article sur les Cosaques venait à être publié. Je voudrais que vous soyez le premier à le lire.

    Je me doute que vos tous derniers mots ne doivent pas être compris. Laissez-moi simplement vous dire qu'ils sont jolis, même sans savoir leur sens. Ils sont jolis.

    Merci.

    Eliance




Eliance,

Ne me remerciez point pour ce que je vous apporte car à mes yeux ce n’est que tourments et futilités. Je ne suis qu’un pauvre hère qui ne sait plus trop ce qu’il ressent… enfin… ce n’est pas tout à fait vrai car au fond de moi est venu fleurir quelques sentiments qui avaient été muet depuis tant d’années… Si je voulais être tout à fait honnête, je délierais ma langue mais la peur de vous voir me fuir est trop ancrée en moi pour vous avouer l’inavouable. Et pourtant, ce désir profond d’être moi-même jusqu’au bout… Eliance… Eliance… Eliance… un jour peut être je vous dirais ces mots qui brûlent mes entrailles et ne demandent qu’à sortir. Pour le moment, je sais que tant que je me tais, vous m’appartenez encore un peu. Ne serait-ce qu’un instant encore, un fugace instant… Mais arrêtons de parler de moi, ce n’est guère intéressant même si vous pensez le contraire.

Vous m’avez fait un merveilleux cadeau même si vous ne le voyez pas ainsi. Vous êtes venue me confier votre histoire, du moins une partie car je devine qu’il y a encore tant de choses cachées, enterrées, enfouies bien profondément pour ne pas être découvertes. Et je ne chercherais pas à vous les faire dire. Je juge qu’il vous appartient de vouloir vous confier et non vous forcer. Par contre, je suis étonné de ce qu’il se passe avec Diego. Loin de moi de le critiquer car il est l’homme qui vous a offert votre liberté mais je devine une forme d’asservissement vous concernant. Il vous aime, vous l’aimez, il vous a libérée de votre premier mari mais en contre partie, vous fermez les yeux sur ses incartades, ses besoins féminins, son appétit dévorant pour les autres et sa sœur… sa sœur Eliance… voyez, rien que ça, je ne puis cautionner le mal qu’il vous fait. Encore, s’il avait des maîtresses au détour d’un chemin, d’une ville visitée, d’un lieu donné, je pourrais faire comme si je m’en foutais même si je sais que cela vous atteint à chaque fois mais le même sang que lui… Et il ne peut faire autrement dites-vous ? Est-il un homme ou un fantôme qui ne sait plus qui il est ? A-t-il donc aucun respect pour vous qu’il va forniquer avec sa sœur ?

Je sais, mes mots sont durs et je ne suis pas du genre à condamner, à juger mais il vous met dans une position délicate, il vous impose un choix qui n’est pas votre. Mon petit chat sauvage, je sens la rage monter en moi quand je lis ces mots, quand je devine la douleur qui vous ravage parce qu’il est trop faible pour résister et je me rappelle soudainement vos confidences à propos de la pire de la famille. J’aurais aimé le savoir avant votre départ… peut être que j’aurais tenté de vous persuader de rester à mes côtés au moins quelque temps, non pas pour profiter de vous et vous mettre dans ma couche mais au moins pour vous donner la force d’affronter cette situation. La force, c’est tout ce qu’il me reste, c’est ce que je peux vous offrir.

Alors je me dis que je dois tenter quelque chose, vous soutenir, vous retrouver, venir jusqu’à vous pour ne pas vous laisser sombrer et vous laisser croire que vous me faites souffrir car ce que je vis n’est rien à comparer à ce que vous vivez. Même si je sais Diego votre mari, il n’a pas le droit de vous tourmenter ainsi. Il n’a pas le droit de vous faire de mal… S’il ne supporte pas de vous voir souffrir, qu’il arrête ce manège qu’il vous impose, qu’il soit un homme, un vrai, un homme qui prend des décisions, qui se fait respecter et qui offre à sa femme le respect qu’elle est en droit d’attendre. Qu’il ne soit pas uniquement un tombeur et un jouisseur…

Me voilà en rage et pourtant ce n’est pas ce que je souhaite vous montrer comme visage. Et ne venez pas vous fustiger, vous n’y êtes pour rien. J’ai assez entendu de choses à droite, à gauche que finalement, je ne devrais pas être étonné. Et j’aimerais vous épargner. Alors, à ma manière, je vous dirais de ne point faire confiance à tout le monde. Certaines personnes ont le don de vous faire parler et vous l’avez deviné, pour aller colporter de vilaines choses. Maryah vous semble une amie alors gardez-la comme telle. Entre nous, il y a un contentieux plus profond parce que sans doute nous avons vécu un bout de chemin ensemble mais je trouve que pour quelqu’un qui il y’a deux semaines à peine clamer partout que Niallan et elle formaient une famille avec leur fils et la fille de Niallan, pour quelqu’un qui n’hésitait pas à finir la nuit dans sa couche, elle change rapidement d’avis. Pourriez-vous aimer quelqu’un d’autre aussi vite vous ?

Je n’ai jamais bien compris les femmes mais là… aimer deux êtres en même temps, cela m’est arrivé. Le cœur des hommes est une telle merveille que je ne comprends pas tout son fonctionnement mais de là à changer d’avis si vite… je dois être le dernier des cons pour ne pas être aussi doué… enfin, cet épisode sera bientôt terminé. Après mes pas m’entraineront, ici ou là… peut être au nord, au sud, peut être dans votre direction si je sais où vous vous cachez, peut être ailleurs… mais je fais attention. De toute manière, mise à part à vous, je ne manquerais pas à grand monde alors je laisserais des instructions pour que l’on prévienne les personnes qui me sont importantes et vous en faites partie, n’en doutez point… peut être même la plus importante à mes yeux.

Je vais vous laisser Eliance. Il est temps que j’aille me dérouiller les jambes avec mon cheval. Il est le seul que j’ai envie de voir ces derniers temps, je ne fréquente même plus les tavernes pour éviter de me faire incendier… c’est dire… il me manque le temps où vous étiez à mes côtés … qu’il me manque… Et si vous trouvez mes mots jolis et que l’occasion nous est donné de nous revoir, je vous en apprendrais quelques uns si vous le souhaitez. Ils seront vôtre à votre tour.



Citation:

    Torvar,

    Je vous remercie si je veux. Et je le ferais sans doute bien d'autres fois encore. Que ça vous plaise ou non. Mes tourments ne proviennent pas de vous, soyez-en sûr. Ce ne sont pas les vôtres qui, en tout cas, me feront le plus trembler. Voyez comme je suis habitée. Mon mari est ce qui m'est arrivée de mieux dans ma courte vie. Je vous laisse imaginer le reste. Je vous raconterais, un jour, si vous le voulez. Si vous le demandez. Même si le récit n'est pas des plus passionnants.

    En attendant, gardez un peu de votre honnêteté pour vous-même. Ne me livrez pas tout. Pas que ça me ferait forcément fuir, mais l'inavouable s'avoue seulement avec le temps. Il y a un jour pour tout. Et aujourd'hui, c'est le temps des lettres. La suite amènera peut-être un autre lot. Si j'étais un tant soit peu franche avec vous, je vous dirais que ce genre de chose m'effraie grandement. Je vous dirais ne pas comprendre, n'avoir rien fait pour ça. Je vous dirais que vous vous trompez. Que je suis pas celle que vous pensez. Que je ne suis pas comme vous l'imaginez. Mais je me contenterais de vous écrire que je ne comprends pas comment un homme comme vous peut s'intéresser à un chat égaré comme moi et qu'il devrait même s'en méfier. Un chat enragé n'a jamais donné satisfaction à personne.

    Vos mots concernant Diego sont durs. Mais j'ai l'habitude. J'ai entendu des discours bien plus critiques, bien plus dégradants que le vôtre. Diego n'est pas un fantôme, non, simplement un homme qui a commis des erreurs et qui se voit contraint par ces mêmes erreurs, espérant se plier et se racheter un jour. Et ces erreurs, se sont sa sœur. Croyez bien qu'il s'impose cette vie autant qu'il me l'impose à moi. Je vais vous expliquer. Vous comprendrez mieux.

    Elle est leur demi-soeur depuis le remariage du père. Aussitôt débarquée dans la famille, les frères en ont fait leur souffre-douleur. Sauf Diego. Lui n'a pas pris parti. Lui n'a fait que regarder. Sans rien faire. Ni participer à leurs violences, ni empêcher ses frères. Aujourd'hui, il regrette. Il voudrait revenir en arrière et agir. Mais c'est impossible, alors il essaie de se racheter. Sauf qu'elle est devenue... une harpie. Elle ne souhaite que se venger. Il le sait. Et pourtant, il persiste. Il l'aime. Il regrette. Elle les anéantit les uns après les autres. Elle a fait tuer Ezequiel, puis Sawyer. Elle éliminera Diego et les autres de la même manière. Je suis celle qui l'embarrasse pour détruire Diego. Elle essaie de me virer en vain. Parce que si je pars, elle aura le champ libre pour le manipuler à sa guise. Elle le fera se perdre, elle lui fera oublier ses enfants, elle le fera se tuer. Si je pars, il meurt. C'est aussi simple que ça. Alors je supporte. Pour lui.
    Je lui dois bien ça, non ?
    Je ne veux pas que cette histoire vous mette en rage. Ce n'est pas le but. Il n'y a pas de but, d'ailleurs. Aucun. Je vous confie simplement un peu de moi comme vous l'avez fait.

    Je ne suis pas bonne juge pour estimer si l'attitude de Maryah est normale ou non. Vous êtes peut-être son second choix parce qu'elle a essayé de construire une famille avec le type qui sert de père à son fils. Mais elle vous aimait sûrement avant, déjà. Elle m'a dit qu'elle vous aimerait toujours, même si vous partiez. Mais qu'elle ne supporte plus de se faire engueuler comme une enfant. Pour répondre à votre question, et je vais vous décevoir, ces dernières semaines me font croire que j'ai l'amour un peu facile... Je suis naïve, Torvar. Et pas vraiment maline. J'ai cru aimer. Je me suis seulement fait manipuler en beauté. Ou bien j'ai réellement aimer un autre type que mon mari le temps de quelques jours. Je ne sais pas. À quoi bon savoir, après tout. Je suis pas bonne pour aimer les gens. Je n'ai pas ce qu'il faut pour rendre les hommes heureux. Le malheur de Diego vient aussi de moi. Il ne faut pas croire. Je suis une bien piètre épouse.

    Vous revoir serait inespéré, inconscient, et tout autre qualificatif de ce genre, mais j'en serais aussi heureuse, si vous ne venez pas seulement par culpabilité de m'avoir laissé à mon sort. Dans tous les cas, soyez rassuré, je ne sombrerais pas de suite. J'ai encore un peu de force pour surmonter tout ça. Vous n'avez aucune obligation envers moi. Vos lettres sont déjà un moment de réconfort. Vos lettres m'aident. Vos lettres me font me sentir moins seule. Mais si vous revenez en Savoie, vous me trouverez non loin de là où on s'est connu. Je marche dans les pas de mon frère. Ou plutôt de mes frères. Essayant de m'incruster dans cette famille qui ne me ressemble pas, qui n'est pas la mienne.
    Vous parlez de moi seule, en personne importante. Mais vous oubliez cet enfant, votre dernière mission. Lui est le plus important pour vous. Et cette chose a besoin de vous. Plus que moi.

    J'ai compris tout à l'heure pourquoi cette journée est aussi triste. C'est mon anniversaire. Je déteste ces jours-là. Je serais donc plus gaie demain. Soyez-en sûr. Les tavernes me semblent bien sombres, aussi, sans vous. C'est ainsi...

    Eliance


Citation:

    Torvar,

    Des jours sans nouvelles de vous. J'ai été patiente, mais je m'inquiète férocement.
    Alors je patiente encore un peu pour retarder le moment où j'écrirais à Maryah pour lui demander si elle vous a vu ces derniers jours. Je retarde, je ne le fais pas de suite parce que je sais que vous aimeriez pas ça.

    Dites-moi que vous êtes en vie.

    Eliance




Eliance,

Que vous dire aujourd’hui ?
Je suis heureux de vous lire bien entendu comme à chaque fois. Et ne vous inquiétez pas, ma vie est toujours accrochée à moi et je suis toujours de ce monde. Sinon, bien évidemment, vous ne recevriez point de mes nouvelles.

Que vous dire encore ?
J’attends la visite de mon neveu qui doit me ramener des poulains pour le fils de Maryah.

Quand je lui ai annoncé mon intention de partir, elle m’a supplié de l’aider à trouver une monture pour son petit. Il est très doué je dois bien l’avouer et quoi de plus satisfaisant pour moi que de lui faire ce cadeau. Je ne l’ai pas dis à Maryah mais je ne compte pas lui faire payer ce poulain. Il sera mon cadeau à Percy pour tout ce qu’il fait et pour la vie qu’il met dans la mienne. Et en attendant que Matveï vienne avec les montures, je leur apprends à s’occuper d’un cheval donc nos journées sont bien remplis. Tout autant que mes nuits.

Finalement j’ai passé un accord avec Maryah dont vous êtes la seule à savoir quoi que ce soit. Puisqu’elle se sent seule et que de mon côté c’est pareil, nous avons décidé de passer nos nuits ensemble. Au moins, nous aurons la satisfaction de nous apporter quelque chose même si Maryah m’a fait promettre de ne le dire à personne. Vous êtes la seule qui détenait ce secret. Je vous fais assez confiance pour tout vous dire… Voyez comme je suis aujourd’hui. Enfin voilà le pourquoi de mon silence Eliance mais je vous remercie de vous inquiétez autant pour moi.

Et vous dites-moi, que me racontez-vous donc de beau depuis tout ce temps ?
Avez-vous trouvé un endroit pour vivre ou du moins poser vos bagages ? Et avec Diego, tout se passe bien ?

Je me dépêche de vous faire parvenir ces quelques lignes afin de vous rassurer et vous dit peut être à bientôt… si vous le souhaitez.



Citation:

    Torvar,

    Une fois de plus, je me suis inquiétée pour rien. Vous devez me trouver bien ridicule. Mais c'est une occupation comme une autre, faut croire. Une occupation qui m'a fait oublier certaines choses, ou du moins y penser un peu moins. Voyez comme vous êtes utile, même loin.

    En vérité, je suis heureuse de vous lire si accaparé. Les journées sont plus douces lorsqu'elles sont bien remplies. Et ce cadeau que vous faites à ce gamin, c'est sans doute le plus beau qu'il ne recevra jamais. Il sera un peu cosaque ainsi, grâce à vous, grâce à ce que vous lui enseignez. Vous survivrez toujours quelque part dans sa mémoire, en lui, même sans être son père. Son père, il risque d'ailleurs de l'oublier bien vite puisqu'à en croire Maryah, il ne veut plus entendre parler de ce fils. Elle comptait sur lui pour l'aider à payer le cheval. Vous devriez le lui dire, à Maryah, que ce sera un cadeau sans contrepartie aucune. Elle risque de se saigner aux quatre sangs d'ici-là pour réunir la somme nécessaire.

    Ne lui faites pas la gueule, Torvar. Voyez comme je sais tout ! Elle fait tout pour son fils. Je la crois bien mieux à vos côtés. Vous la connaissez mieux que moi. Vous la savez perdue. Et son rôle de maman la transforme, j'ai l'impression. Ne lui en voulez pas des contacts qu'elle peut avoir avec Niallan. Elle essaie seulement qu'il ait un père. Elle ne m'a effectivement rien dit à propos de votre accord. Je trouve ça relativement normal à vrai dire. Vous ne faites rien de mal. Pourquoi toujours voir du noir là où il n'y en a pas ? Vous êtes tout de même mieux auprès d'elle qu'avec une de ces catins trop bavarde ! Vivez, Torvar, vous y avez droit.

    Je vais vous dire une chose, qui est possiblement erronée, mais qui reflète ce que je pense de tout ça. Je pense que le cheval est une excuse. Je pense qu'elle n'accepte pas votre départ. Plusieurs raisons à cela, mais je resterais en dehors de votre relation très personnelle à tous les deux, n'ayant aucun droit de m'immiscer dedans. L'excuse principale serait donc ce que vous êtes pour son fils. Quand je lis vos lettres, quand je lis les siennes, vos mots à tous deux évoquent cet homme que vous êtes et ce gamin, vos relations, votre complicité. Vous êtes sans doute le seul homme dans son entourage qui tienne la route, Torvar. Le seul qui s'occupe de son fils comme vous le faites. Le seul qui lui apprenne la vie, qui le faites rire sans doute. Vous êtes sûrement celui à qui il souhaite ressembler, plus tard. Je vous vois d'ici froncer les sourcils, marmonner que je raconte que des conneries, que ressembler à un homme sombre comme vous est idiotie. Arrêtez donc cette tête et réfléchissez. Ou du moins, non, arrêtez de réfléchir. Vous êtes quelqu'un pour ce gamin. Vous êtes quelqu'un pour sa mère. Vivez et ne réfléchissez pas à ce qui est judicieux de faire ou non. À quoi bon de telles réflexions ? Plus on songe et plus on fait de conneries. C'est ainsi.

    Je ne réfléchis guère, pour ma part. Je suis d'accord que je ne suis peut-être pas l'exemple à suivre, mais j'estime que je me pourris moins la vie que ceux qui cogitent.
    Poser les bagages n'est pas encore d'actualité pour moi. Je suis mes envies. Et mes envies se trouvent dans la terre foulée par mes bottes. Tout allait bien avec Diego ces derniers jours. Ça va faire un an qu'on est marié. Un an. Il en est tout heureux. Ces derniers jours passés ont été sous le signe de la légèreté. Les prochains semblent s'augurer bien plus compliqués. Hier, à Dijon, il a vu la mère de ses jumeaux. Moment difficile pour moi. Je préférerais qu'elle meurt, Torvar, plutôt que de la voir agir avec lui comme si je n'existais pas. Je vous livre le fonds de ma pensée. Ne me trouvez pas cruelle, par pitié. Ce n'est qu'une pensée. Une simple pensée. Je n'ai jamais fait de mal. J'en suis bien incapable. Nous allons la revoir bientôt, je le crains, et je ne sais pas comment réagir.

    Aujourd'hui, nos pas nous ont conduit en Champagne. Pas par hasard, non. Le but est bien d'explorer les malles de la mairie. L'idée ne vient pas de moi. C'est Kachina qui me l'a proposée. Je ne sais pourquoi, mais vous et Maryah ne l'aimez pas, ou peu. Pour moi, c'est différent. Je l'ai rencontrée un peu avant vous et les discussions que nous pouvons avoir ensemble me sont agréables. Parce que comme vous, elle me comprend sans que je rentre dans les détails de mon âme. Alors je me suis laissée tenter. Pourquoi pas, après tout ? Je verrais bien si je suis de celles-là. Et puis ça me fera oublier certaines choses, avec un peu de chance. Ça reporte mon inquiétude ailleurs.

    J'ai quitté mes frères. J'ai plus de place auprès d'inconnus de sang comme vous, Maryah, Kachina, qu'auprès d'eux. Vous me comprenez, vous cherchez à me comprendre. Eux m'ignorent, ne cherchant jamais à savoir qui je suis. C'est peut-être mieux ainsi, d'être partie. Mais vous savez, je comptais sur eux. Je pensais trouver en eux un réconfort, une alliance, une attache à la vie. Je n'y ai trouvé que des étrangers froids et distants emplis de secrets pour moi.

    Cette lettre est maussade. Pardonnez-moi. Je vous écris rarement quand mon sourire est au beau fixe. Je viendrais vous l'offrir, cependant, un jour, en face. Je compte bien revoir Maryah, je compte bien vous revoir, vous. Le hasard fera le reste.

    Prenez soin de vous, Torvar. Et n'oubliez pas : vivez !

    Eliance




Eliance,

J'ai bien lu votre courrier peu joyeux il est vrai mais c'est le propre de l'homme, ne jamais être heureux même quand il a tout alors je vous pardonne. Chacun vivant ce qu'il a à vivre et votre parcours n'étant pas le mien, je ne peux pas vous dire que vous avez tort ou raison d'être maussade ou peu entrain à être heureuse. Vous vivez des choses que je ne vis point. Cela s'arrête là.

Pour ce qui est de Maryah et de moi, cela ne va pas au delà de nuits passées ensembles et d'envies assouvies. Ne croyez pas qu'il y ait le moindre sentiment de ma part. Je ne suis personne pour son fils et je ne veux être personne pour elle. Comme je vous l'ai déjà dis, nous avons loupé le coche une fois et il n'y a aucun retour en arrière possible. C'est ainsi. Je ne reviendrais pas là-dessus. Maryah est une femme certes magnifique mais aucun amour ne vient émouvoir la bête que je suis depuis des années. Arrêtez donc de croire aux contes de fées et d'imaginer que je suis ce que je ne suis pas. Les apparences sont trompeuses ainsi que les confidences que l'on veut bien faire. Elles sont interprétées différemment suivant ce que l'on désire leur faire dire !

Maintenant, il est de mon devoir de vous dire que je ne continuerais pas à vous écrire. Non pas parce que vous ne trouvez pas en la vie ce que vous cherchez mais plutôt parce que vous avez fait des choix que je réprouve. Si vous trouvez en Kachina une amie qui vous veut du bien, je trouve en cette femme une ennemie qui a voulu ma peau et je ne cautionne pas le fait que vous partiez mettre votre vie en péril pour cette garce de bas étage.

La vie est faite de choix Eliance, vous avez fait les vôtres, j'ai depuis longtemps fait les miens. Ainsi tourne mon monde. Je n'ai pas à faire de sourire ni même à m'obliger à être heureux pour vous alors que je ne le suis pas et que le nid de vipères dans lequel vous venez de vous installer ne vous apportera que des ennuis. Vous êtes bien assez grande pour savoir ce que vous faites et comme je ne suis ni votre frère, ni votre mari, ni votre amant, nous en resterons donc là.

Le dernier conseil que je puis vous donner c'est de faire attention à vous. Un sourire ou une gentillesse peut cacher bien plus que ce que l'on imagine.

Je ne vous dis pas adieu puisque je l'ai souvent dis pour rien et que cette fois-ci est la dernière fois que je prendrais la plume pour vous répondre.
Que vos pas vous mènent là où ils le doivent.

Le Cosaque.


Citation:

    Torvar,

    Vous deviez vous douter que je n'en resterais pas là. Que votre lettre soit la dernière des dernières, soit. C'est votre décision et elle vous appartient. Je continuerais pour ma part à vous écrire, même si mes lettres doivent finir dans un fossé, brûlées, non lues ou sans retour aucun. Ne me jugez pas butée, il n'en est rien, j'aime seulement l'idée de vous imaginer me lire et ça me rapproche un peu de vous, pour ne pas dire que je ne me vois pas rompre ce dernier lien.

    J'ai parlé de vous à Kachina. Parce que cette histoire de vouloir vous trouer la peau m'a agacée. Parce que j'ai voulu savoir le pourquoi du comment. Ou peut-être parce que que cette histoire est la raison de votre décision de vous couper de moi. Et à ma grande surprise, elle a rit. Vous allez me ressortir votre refrain sur les apparences auxquelles il ne faut pas se fier, mais j'ai quand même écouté ses explications, dont je vous fais part ici-même. Elle ne veut plus du tout vous trouer la peau et si elle l'a voulu un jour, c'était pour défendre votre fille, qui, elle, semblait bien décidée à vous faire trépasser, comme vous me l'aviez d'ailleurs vous-même raconté. Mais puisque les choses se sont arrangées, semble-t-il, entre père et fille, elle ne garde aucun grief contre vous. Est-il utile d'ajouter qu'elle vous passe le bonjour et vous invite à nous rejoindre ? Je crois que ça ne fera que renforcer votre rancune, mais tant pis. Je ne cache rien. Je ne cache pas non plus que vous voir m'enchanterait. Je vous sais occupé et je n'insiste pas.

    J'ai peut-être mis maladroitement les pieds dans un nid de vipères, mais ne croyez pas que vous aurez à m'en sortir, me sauver, me protéger. J'ai pour habitude de me débrouiller seule, même si c'est pas toujours une réussite, je m'y emploie. Les amis ne sont pas pour moi à entraîner dans les bas-fond des emmerdes. Ne me demandez pas non plus comment je vois ça, j'en sais rien et n'ai aucune idée de ce qu'un ami peut faire ou non pour un autre. Vous êtes peut-être ni mon mari, ni mon amant, ni mon frère, mais vous êtes bien un ami, Torvar. Il est possible, d'ailleurs, que ce soit plus souhaitable que tout le reste. Je ne sais me débrouiller ni avec les uns, ni avec les autres. J'espère être meilleure en amitié. Être moins décevante.

    Je m'excuse si vous vous êtes senti obligé de faire semblant d'être heureux pour moi. J'ai pas voulu ça. Le bonheur est quelque chose de lointain et je connais votre philosophie sur le peu qu'il vous reste à vivre. Mais je n'accepte pas de lire que vous êtes une bête sans émotion depuis des années déjà. Peut-être ne ressentez-vous rien pour Maryah, mais vos lettres précédentes m'ont montrées que vous étiez un homme comme les autres, ou du moins, tout autant que vous êtes différent du commun, vous êtes capable de sentiments, vous êtes capable de sentir votre cœur battre. Ne dites pas le contraire ou bien je vous ressors ces fameuses lettres et vient vous les coller sous le nez. Vous y avez écris des choses. Je les ai toutes gardées. Je garde toujours les lettres. Les vôtres, du moins. Alors je refuse de vous entendre penser d'ici des stupidités pareilles. Que vous ne vouliez pas vous laisser aller, que ce soit avec Maryah ou une autre femme, est une chose. Mais ne dites pas que vous êtes une bête.

    D'ailleurs, je vous rassure, vous ne ressentirez plus rien en me voyant, je ne ressemble plus à rien. Ou du moins, je n'ai plus ce visage qui m'a joué tant de tours. Ça a failli me coûter un mariage, mais je ne regrette rien. Me voilà libérée tout à fait. J'ai trouvé un brave blond qui a accepté de me donner un nez de travers et quelles autres transformations nécessaires. Ainsi, vous pourrez être un ami, un vrai, sans que rien d'autre ne s'immisce et ne gâche ça. Ainsi, plus aucun homme ne me regardera avec des envies que je n'ose imaginer. Ainsi, je peux vivre normalement.

    Vous me manquez, Torvar. Viendrez-vous ?

    Eliance




Eliance,

Non je ne viendrais pas.
Vous vous ennuyez ? Demandez donc à vos amies et amis de combler votre manque.
Vous dites que vous avez parlé à Kachina et que l’affaire est close mais d’où tient-elle ça ?
Sachez une chose Eliance c’est que d’avoir voulu m’affronter, il lui en cuira quand on se retrouvera. Et puis rien n’est terminé. Ma fille a voulu la suivre, je lui en voudrais toujours pour ça. Elle est devenue la même que ceux qui ont tué sa mère. Et c’est à moi qu’elle en veut… Qui se fout du monde là ?

Bref, ceci est une histoire de famille et je n’ai pas à vous en parler.
Pour ce qui est du reste… je me doutais bien que vous ne m’aviez pas compris. Et j’en ai eu la preuve avec vos dires, vos mots, vos actes. Vous croyez que c’est votre visage qui me plaisait, qui m’attirait ? Vous croyez que j’étais comme tous ces hommes qui ont envie de vous parce que vous avez un joli minois ? Vous m’avez mis dans le même panier que les autres alors que j’ai été séduis par votre esprit mais aussi par votre cœur… Vous n’avez donc rien compris. Et au lieu de vous faire souffrir, arrêtez de vous trouver des excuses parce que vous avez du charme, assumez-le et quittez votre putain de mari s’il est trop jaloux. Il couche avec tout ce qui porte jupons et on n’a pas le droit de vous approcher… foutaises… Vous vous faites du mal pour ne pas avoir à assumer une relation avec un autre homme qui pourrait vous offrir de l’amour, du bonheur et des joies que vous ne voulez pas soupçonner. Je suis désolé pour vous que vous préfériez vous cacher que de vivre pleinement l’amour. J’étais prêt à jouer l’homme de l’ombre et de n’avoir que des miettes tel un chien attendant une caresse de sa maitresse mais même moi vous m’avez repoussé alors assumez vos choix bordel et ne venez pas me dire que vous avez fait ce qui devait être fait ! Je ne cautionne pas et je ne cautionnerais jamais que vous vous détruisiez pour lui. Jamais !

Alors non, vous ne me verrez pas… et sans doute plus jamais… Je ne suis pas adepte de me faire du mal contrairement à vous. J’ai très bien compris le message me concernant, pas la peine de me rabâcher les choses.
Si cela peut vous soulager de m’écrire, faites comme bon vous semble. Pour le moment je ne suis plus disposé à vous répondre.



Citation:

    Torvar,

    Il y a des choses que je comprends de travers. Mais vous non plus ne comprenez pas tout. Vous écrivez que je vous rejette. C'est pas tout à fait exact. Je rejette ce que vous voudriez que je sois et que je me sais incapable d'être pour vous. Vous pensez que je me fous de vous, tandis que j'essaie de vous préserver de ma poisse. Parce que je suis pas la douce Eliance que vous croyez que je suis. Je suis pas celle-là, Torvar.
    Je vais vous raconter qui je suis. Tout raconter.

    J'ai été élevée pour être mariée. J'ai grandit dans un grenier. Sans rire, sans amis, juste avec des leçons et mon père, à l'écart des autres. Mon père m'a fait des choses, pour que je sache faire à mon mari. Et puis il m'a marié. J'avais treize ans et mon mari... bien plus. Bien trop. Un fou, cet homme-là. Il a tué tous mes enfants, Torvar. Tous. Dans mon ventre. J'étais son jouet. Il aimait me prêter à ses amis. Il aimait regarder. Et récupérer son jouet tordu. Et le retordre encore un peu, après.

    Alors, les enfants, je peux pas. J'arrive plus à les aimer. J'arrive plus à les regarder.
    Et les hommes... j'y arrive pas non plus. Je sais pas y faire, avec les choses de l'amour. Diego n'est pas un mauvais type. Il a juste plus de besoin que je ne sais lui en donner. Et comme il ne veut pas me forcer, il va parfois voir ailleurs. Il m'aime malgré ça. Malgré ma froideur.

    Je ne le rends pas heureux, mais il ne le mérite pas forcément. C'est pour ça que je l'ai choisi. Il est loin d'être parfait, mais il sait comment je suis et fait avec. Et j'arrive à le regarder, justement parce qu'il ne mérite pas forcément mieux que moi.

    Je pourrais pas voir tous les jours de la déception dans le regard d'un homme comme vous, je pourrais pas supporter d'en être à l'origine, je pourrais pas supporter de vous gâcher la vie, de vous voir souffrir par ma faute. Vous, vous méritez une femme, une vraie. Une qui rend heureuse.

    Vous méritez tout, sauf moi.

    Eliance




Eliance,

Vous avez raison, je ne vous comprends pas et je ne veux pas vous comprendre. Je tire un trait sur cette histoire qui finalement n'a existé que dans ma tête. Et je vous dis merci de m’avoir remis les idées en place !

Et j’ai une dernière chose à vous dire, que ça vous plaise ou non, je n’en ai rien à foutre finalement.
Arrêtez de vous cacher derrière des prétextes. Ça ne sied qu’aux grands et vous êtes loin d’en avoir la carrure.
Vous m'avez fait la leçon durant des jours, des semaines à me répéter qu'il fallait que je vive, que j'oublie les choses qui font mal, que j’aille de l’avant et vous, vous faites quoi au juste ?

Vous m'offrez votre passé comme pour vous dédouaner ou plutôt vous trouver une excuse. Vous n’êtes pas la seule femme à avoir subi des atrocités et j’en connais qui ont au moins le courage pour ne pas dire les couilles de s’en sortir et de donner plutôt que de se lamenter sur ce qu’elles ont vécu.

Vous me parlez de votre poisse afin de me préserver. Mais qui êtes-vous pour penser ce qui me convient ou pas ? Vous avez simplement décidé dès le départ que vous ne finiriez pas dans mon lit et vous avez mené votre barque pour arriver là où vous le vouliez. Je dois dire que vous avez bien manœuvré. Mais qu’aurais-je pu attendre de vous finalement ? Rien, vous ne m’êtes rien.

Allez, restez donc dans votre petite vie, amusez-vous à vous faire tabasser et donnez le peu que vous pouvez à votre mari. Vous avez raison sur une chose, on ne se force pas dans la vie pour ressentir ou pas les choses. Mais au moins, certains ont les tripes de le dire.

Maintenant, vos courriers vous seront retournés sans être lu si d’aventures vous veniez à m’en faire parvenir. J’ai d’autres chats à fouetter que de m’occuper d’une gamine qui joue les allumeuses les soirs de pluie. Personnellement, je préfère les vraies femmes qui ont du répondant même si elles m’en foutent plein la gueule. A cela, vous n’arrivez pas à la cheville de Maryah. Elle a tout ce qu’il faut pour m’en faire baver mais même si nos petits arrangements et nos vies ne sont pas ce qu’il y a de mieux dans ce bas monde, cela nous rend heureux et offre au petit Percy quelque chose d’inoubliable.

Au plaisir de ne jamais vous recroiser.

Le Cosaque.


Citation:

    Torvar,

    Vous m'emmerdez. Non, je suis pas forte, ni courageuse. Je suis ce que je suis. Petite et minable.
    J'ai jamais dit que j'étais autre chose. Je me suis jamais cachée. Je suis pas de celles qui oublient et arrivent à vivre comme si de rien n'était, qui font semblant.

    J'ai jamais eu l'intention de vous envoyer bouler. Mais croyez bien ce qui vous arrange. J'ai simplement écrit ce que j'ai sur le cœur. Parce que ça me bouffe. Parce que ça me hante. Et quoi ? Je suis une allumeuse. Une moins que rien. Merci !

    Je suis maladroite, je sais. Je dis des choses sans parfois penser qu'on puisse les comprendre autrement. Mais vous, vous faites mal. Atrocement mal. Je vous avoue mes faiblesses et vous me les renvoyez dans les dents. Je vous avoue mes souffrances et vous les piétinez avant de me les retourner en pleine face. Je suis maladroite, mais honnête. Je le serais plus. Je vais garder pour moi ce qui est apparu. Ce que j'ai espéré. Ce que j'ai cru.

    Vous vous êtes jamais demandé pourquoi je vous écris ? Pourquoi j'ai persisté, toujours, même quand vous m'écriviez "adieu et à jamais" ? Pourquoi je garde chacune de vos lettres ? Pourquoi j'ai essayé de vous convaincre de vivre ? Non, vous vous en foutez et vous avez raison.
    J'ai besoin de vous. Mais ça aussi vous vous en foutez.

    Adieu

    Une gamine. Ou une allumeuse. Au choix


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Eliance
Eliance et les hommes. Eliance et sa naïveté. Eliance et ses méfiances. Eliance et ses traumatismes. Eliance et...
Sa vision du monde est souvent binairement basique. Il y a les méchants et les gentils. Parfois, les méchants ont un traitement de faveur et obtiennent d'avoir un peu de bon en eux. Mais sommairement, le monde est partagé en catégories assez larges et tranchées.

Il y a les amis importants, ceux pour qui elle vit, ceux pour qui elle agit, ceux pour qui elle ferait n'importe quoi, même apprendre à se battre. Et puis il y a les autres, potentiellement peu existants, tout juste bon à tenir des conversations de comptoir (ce en quoi elle excelle) pour passer le temps.

Chez les hommes, c'est un peu pareil. Il y a Diego, tout en haut, en sorte d'icône idolâtré malgré ses incompétences notoires à être fidèle, malgré sa propension un peu trop grande pour la bouteille et la pipe (à fumer, hein, évitons les confusions fâcheuses). Celui-là représente le Mâle dans toute sa splendeur : beau, même parfait physiquement, n'ayons pas peur des mots, il est celui qui rassure, protège, la virilité incarnée en somme. Il est celui à qui elle doit sa vie qu'elle lui voue entièrement désormais, au grand désarroi de son entourage saint d'esprit. Il est celui qui sait les gestes tendres, qui lui a appris à avoir confiance, qui lui a révélé la part d'agneau qui sommeille en l'homme.
Et puis, il y a les Grands Hommes. Ceux qui impressionnent, ceux qu'elle admire tout en frissonnant à leur contact. Ceux-là sont peu nombreux. Ceux-là sont hommes de pouvoir. Charismatiques au possible, ils lui donnent l'impression d'être Dieu descendu sur Terre. Elle tremble de leur colère, de leurs bougonnements. Elle admire les larges épaules, les paroles autoritaires et cette gestion infaillible de leur vie qui semble toute tracée dans leur esprit comme un choix fort. Son père est le premier de ces hommes-là. Elle l'aime autant qu'elle le déteste. Viennent ensuite son frère l'invincible secret, le terrifiant Jok' et le fier Cosaque.

Le reste des hommes réside dans la basse-fausse comme étant non digne de confiance ou non intéressants. Notons que Mike n'est pas spécialement considéré par Eliance comme étant un homme. Il est à ses yeux asexué, entrant pleinement dans la catégorie des amis, mais certainement pas des mâles quels qu'ils soient. À cela, plusieurs raisons : étant le mari de sa presque-sœur, il n'a jamais eu un geste « masculin » à son égard. Entendez par là qu'il ne s'est jamais intéressé à elle ni à sa féminité comme la plupart des hommes rencontrés. Il ne représente donc pas un potentiel danger comme les Grands Hommes mais est assez important pour entrer dans la catégorie des amis.

L'homme qui effleure son esprit à cet instant précis appartient pleinement à la catégorie des mâles terrifiants, j'ai nommé : Torvar. Du haut de sa carrure fière, le Cosaque en impose. Il semble savoir où il marche, il semble gérer toute sa vie en éloignant les déconvenues de la pointe d'un orteil, sans effort aucun. Pour ça, elle l'admire. Elle admire tout en lui. Elle le craint aussi. Un peu. Elle craint ses colères, même si elle n'a jamais assistée à aucune en direct, elle a souvenir d'une lettre terrible. Il semble d'une force d'esprit rare et puis... C'est à cet homme qu'elle pense. Parce qu'elle est dans sa ville. Nevers. Partie d'Autun pour se rendre en Savoie, sans carte et avec un sens de l'orientation plus qu'incertain, elle se retrouve à Nevers, ne sachant même pas si la route est la bonne. Mais peu importe. Elle marche. C'est là le plus important. Un instant, elle espère le voir franchir le pas de la porte de la taverne où elle a trouvé refuge le temps de se réchauffer les arpions. Mais le village semble désert. Alors elle prend une feuille et un crayon et commence à écrire.


Citation:

    Torvar,


Eliance
Un fait rare. Pour la première fois, les adieux entre le Cosaque et la Ménudière n'ont pas été couronnés du maintenant traditionnel « Adieu et à jamais ». Ces quelques mots, il les prononce toujours. À chaque au revoir latent. Comme une prière pour que la situation cesse, comme pour contrecarrer le sort qui leur est réservé. Cette fois, pas d'adieu véritable. La glace est rompue, un équilibre serein trouvé. Et de simples paroles rassurantes ainsi qu'un baiser au milieu des boucles débordantes ambrées d'Eliance ont accueilli le départ de l'homme.

Dans cette taverne, avec le Grand Homme en face, Eliance a eu un sentiment étrange. Elle s'est sentie en sécurité. Même pendant sa crise. Même alors qu'elle roulait au sol emporté par des spasmes incontrôlables, elle n'a pas eu peur. Il a su développer durant deux jours une atmosphère rassurante tout autour d'elle, une sorte de toile protectrice. Le nuage l'a poursuivi un peu après son départ, sur les chemins, pour s'estomper totalement avec l'éloignement.

Mais jamais le Cosaque ne sort totalement de l'esprit ménudiérien. Et même loin, même en chemin pour rejoindre Diego, il est là, quelque part à hanter de sa haute stature ses pensées. Alors à la première auberge trouvée, elle se met à écrire. À lui écrire. Ce qui lui était interdit devient salvateur. La mine est légère et glisse sur le vélin rapidement. Point de grand discours. Simplement la lettre d'une amie à un ami. De deux êtres qui ne sauront probablement jamais être tels que dans leurs rêves respectifs. Par respect pour elle. Par respect pour lui.

Un ami : elle est persuadée qu'il n'y a que de cette manière qu'elle ne le décevra pas.
Torvar. L'ami. L'ami... envoûtant, si déstabilisant...


Citation:

    Torvar,

    Cette fois, j'ose vous écrire.
    Vous allez me trouver bien impatiente. Cette lettre ne vous étonnera pas non plus. Si, de votre propre aveu, je vous connais comme peu de gens vous connaissent, l'inverse est aussi véridique.

    Je viens aux nouvelles. Je viens savoir comment Sandeo va. Est-ce qu'il s'est réveillé ? Je viens demander si vous avez trouvé un médecin compétent. Savoir combien vous en avez effrayé, pour ne pas écrire un autre mot qui serait plus adéquat mais que ma conscience n'arrive pas à vous apposer.
    Je viens savoir comment vous allez. Comment Eunice va. Transmettez-lui mon bonjour, si vous voulez bien.

    J'ai repris les chemins, comme vous sans doute. Votre proposition de vous suivre trotte encore dans ma tête, avec une sensation de « pas le choix ».
    Je n'ai pas refait de crise. Je n'ai pas repleuré. Je me contente de marcher et de me souvenir de toutes vos paroles. Elles m'aident tant.

    Torvar, je ne vous ai pas remercié. Je le dois.
    Merci. Merci pour tout. Merci pour ces quelques heures. Merci de tenir vos promesses. Merci pour l'homme que vous êtes.

    Je vous entends d'ici me dire qu'un homme comme vous n'a jamais besoin de personne et, pourtant, je vous le propose : si vous avez besoin de moi, écrivez-moi. Je saurais répondre présente. Je vous le dois.

    Faites attention à vous.

    Eliance


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Torvar
Ils s’étaient croisés, rencontrés, quittés pour mieux se retrouver puis ils s’étaient écrits, parlés, déchirés pour mieux s’oublier mais on n’oublie pas une rousse comme on n’oublie pas un cosaque. Les liens s’étaient tissés bien malgré eux. Les sentiments que Torvar avaient vu naître à la vue de l’écervellée s’en étaient à présent en allés pour ne plus venir le titiller. A présent, une solide affection avait laissé place à ce sentiment romanesque qui avait rongé le cœur de l’homme, le laissant vindicatif et malheureux durant de longs mois. Donc lorsqu’il avait revu Eliance une nouvelle fois, il ne fut pas surpris plus que cela. C’était écrit dans leurs destinées. Comme un père bienveillant, comme un ami sincère, il était là pour veiller même de loin sur cette jeune femme au cœur trop naïf pour y voir le mal que Torvar deviné de loin. Mais il s’était promis une chose, ne plus intervenir dans la vie d’Eliance sans qu’elle le lui en fasse la demande. Il donnait son avis sans pour autant la bousculer ou lui faire comprendre que… non c’était fini ce temps où il aurait aimé la secouer pour qu’elle sache enfin la vérité, qu’elle ouvre les yeux et regarde en face ce qui faisait mal. Eliance était de celles qui jusqu’au bout croirait en l’amour d’autrui… lui n’était qu’un homme désabusé par les sentiments d’autrui.

Donc depuis quelques jours trônaient sur la petite table de l’auberge une missive qu’il avait lu et relu avec intérêt avant de décider de lui répondre. L’attachante écervelée désirait qu’ils recommencent à s’écrire… soit, il répondrait comme il l’avait toujours fait… jusqu’à ce qu’il y ait un « adieu et à jamais ». Prenant sa plume et se plaçant à la table qui était éclairée par une petite bougie de fortune, la haute stature dessinait même quelques ombres chinoises sur le mur. Le cosaque réfléchissait sur ce qu’il allait lui dire, avouer, garder pour lui. Prenant le parti de la sincérité, une nouvelle fois, de sa plus belle écriture, il commença à faire crisser la plume sur le vélin.




Eliance,

Alors jeune voyageuse, je vous manque donc déjà ?
A peine m’avez-vous quitté que déjà votre missive vient me retrouver. Et je me rends compte que votre inquiétude se dirige vers ce petit bonhomme plutôt que vers moi, grand guerrier que je suis… j’en suis offusqué… bien que... finalement vous avez raison. Et je comprends tout à fait. Je tiens même à vous rassurer, si cela peut véritablement se faire. Sandeo est là, parmi nous mais il reste dans un état qui lui appartient. Je me sens d’ailleurs bien impuissant à l’en sortir. Sa tante et son oncle, un certain Edoran, sont à son chevet. Je veille de loin pour remplacer Eunice lorsque je vois sa fatigue se dessiner sur ses traits. Il ne sert à rien que les enfants se rendent compte qu’elle se tue à la tache pour eux. Ils ont besoin d’une femme forte à leur côté et je sais qu’elle l’est, même si parfois, je dirige un peu les choses afin qu’elle mange ou prenne l’air.

J’essaie de faire au mieux vous savez Eliance mais se sentir impuissant devant un enfant, j’ai du mal. Je voudrais pouvoir arracher ce brouillard qui le maintient ainsi dans cette léthargie mais que faire lorsque l’on n’est qu’un homme sans pouvoir ni science ? Mise à part tuer des gens, je ne sais rien… alors je continue ma quête et frappe aux portes des médecins que je croise… et promis, je n’en ai encore étripé aucun même si à mon humble avis ce ne sont là que des charlatans. Maudits soient-ils tous autant qu’ils sont… même pas capables d’apporter du réconfort à un petit…

Mais assez parlé de moi. Je suis heureux que vous alliez bien, enfin de ce que vous me dites, et que vos crises ne se soient plus manifestées. Cela m’inquiète aussi de vous savoir dans la nature avec cette bougresse que vous appelez ombre et je suis convaincue que c’est vous qui la traînez plutôt qu’elle qui vous escorte. Elle a beau être la fille de, ce n’est pas pour cela qu’elle sait se battre… je doute que tous mes enfants sachent tenir une épée… on n’hérite pas du courage ni de la facilité de nos parents surtout quand ils ne nous ont pas élevés. Et de ce que vous m’avez dit, j’imagine mal son père s’occuper d’elle… Donc priez pour qu’il ne vous arrive rien surtout en sa compagnie sinon je me verrais obligé de venir lui couper les mains l’une après l’autre pour vous avoir attiré des ennuis. Toutefois, vous connaissant un peu, je doute que vous m’avouez ce qui vous arrive… ou alors après coups comme d’habitude. Alors je ne dirais qu’une chose, gardez en mémoire que je suis là, près de vous et que je ferais mon possible pour vous protéger même de loin… ça vous mettre du baume au cœur et effacera cette peur qui tenaille vos entrailles sur les routes. Soyez donc un peu cosaque dans la nuit qui vous emmène loin de mes pas.

Maintenant, une nouvelle chose. Si vous me dites encore une fois merci, je vous baillonne. Il n’y aucun remerciement à me faire. J’étais là, je suis là et je serais là, qu’importe l’instant, qu’importe ce qu’il se passe, les destinées se croisent et se recroisent sans que nous puissions influées dessus Eliance. Dites-le vous une bonne fois pour toute !

Bien, pour une fois vous aurez un long courrier. Je pense que vous aurez de quoi lire et râler, vous dire que je ne dis pas tout comme à l’accoutumée ou bien que mon imagination est encore fertile… sans doute aurez-vous raison… ou pas… vous qui savez qui je suis, vous saurez aussi deviner entre les mots certaines de mes vérités.

Prenez soin de vous jeune dame et prenez garde à vos démons, parfois ils revêtent des apparences agréables et bienfaisantes qui sont tout aussi toxiques que du poison.


Eliance
Les retrouvailles, c'est jamais comme on l'a espéré.
C'est magique, puis décevant. Puis magique encore et à nouveau décevant. Parce que loin, de longs mois sans voir le Dracou, Eliance a fini par se l'imaginer différent. Elle a gardé ses traits principaux et son esprit a rajouté le reste. Oubliés les ennuis passés. Oubliés les enfants pondus ou en gestation ailleurs que dans son ventre. Oubliées les infidélités avérées. Oubliées les inquiétudes. Oubliés les coups de sang.

Sauf qu'après les premières heures, tout revient à grande foulée. Eliance s'accroche à son rêve, pourtant. Elle l'a rêvé, il est là, avec elle. La maison est trouvée et l'Italien travaille déjà à la retaper. Les fuites du toit doivent être réparées au plus vite. Les fenêtres doivent pouvoir fermées. Les jumeaux arrivent bientôt. La vie rêvée se dessine peu à peu. Mais elle est entachée des mêmes angoissées passées, des mêmes noirceurs. Si Diego a émis la volonté de faire table rase du passé, il n'aura pas dû englober l'enfant à naître de la Tarte dans le lot. Il en parle. Il l'attend. Il est fier.

La boule d'antan qui venait se coincer régulièrement dans la gorge ménudiérienne est de retour. Partir plutôt qu'entendre Diego raconter à Mike les détails de sa fratrie nombreuse. Fuir plutôt que de l'entendre clamer haut et fort qu'elle devrait y trouver son compte, elle qui ne veut pas engendrer. Affronter le froid plutôt que de devoir se rendre compte qu'il a oublié ses confidences. Se réfugier à l'auberge, dans sa piaule et s'asseoir dans un coin, par terre, près de la cheminée pour profiter un instant des flammes, puis prendre le paquet de lettres dans le baluchon et lire, comme pour se protéger. Retrouver le sourire, devant la dernière lettre de Torvar au ton libéré et gentillement moqueur. Prendre la plume pour lui répondre, pour avoir un moment de répit dans ces journées en yo-yo, tantôt joyeuses, tantôt désastreuses, mais toujours teintées d'une sensation étrange et dérangeante.


Citation:


    Torvar, vieux guerrier,
    ... pardon... grand guerrier !


    Vous savez mon affection pour les êtres morveux et babillants, et vous vous étonnez encore que mon attention se porte sur l'un d'eux endormi accidentellement. Si je ne m'inquiète pas pour vous, c'est que je vous sais mauvaise herbe increvable, qui, aussitôt déracinée, s'accrochera à une nouvelle terre pour y trouver les ressources suffisantes à sa survie. Mais si vous y tenez, je peux vous demander comment va mon cher ami cosaque. Je peux vous demander si vos vieux pieds supportent encore de faire de longues lieues harassantes. Si vos mains aguerries parviennent toujours à menacer avec la même hargne quelque médecin froussard. Je peux vous demander si vos sens détectent encore le Nord du Sud ou si vous vous perdez comme un vieillard dans les campagnes auvergnates. Mais tout ceci ne serait qu'une insulte pour le grand homme que vous êtes et ne refléterait en rien ce qui me passe par la tête quand je songe à vous. Je préfère lire entre les lignes vos humeurs ainsi que vos troubles. Ou dans vos mots, puisque vous me faites part sans vergogne de votre impuissance.

    Torvar, je sais que vous faites au mieux, pour cet enfant. Je sais aussi que vous faites au mieux pour soulager Eunice de sa peine. Je vous connais assez pour comprendre que sous vos airs glaciaires, vous ne supportez pas ce mal injustifié qui s'abat sur les innocents. Rassurez-vous. Il y a des cas où la connaissance n'y fait rien. Vous pourriez être le plus grand médecin du Royaume que vous seriez sans doute tout aussi impuissant que vous l'êtes à cette heure-ci. Ne vous morfondez pas. Vous êtes là pour eux. C'est déjà tellement. Continuez à leur fournir cette force guerrière que vous portez en vous. Tout le monde voudrait un Torvar à ses côtés, dans son ombre ou dans son sillage. Peu importe. Un Torvar offre cette sécurité dont lui seul à le secret.

    Et ne vous inquiétez pas pour la mienne. Mon Ombre a su me protéger des rencontres néfastes. En saignant un chien pour l'offrir à ses dieux contre notre protection... pensez bien que je l'ai appris à notre arrivée ! J'ai essayé d'être un peu cosaque, mais je pense que je n'en ai pas l'étoffe. J'en ferais une bien pleutre et je doute que votre peuple conserve les faibles de ma composition. Enfin, me voilà à Belley en un seul morceau. Avec des gens que vous détestez. Avec des gens qui vous détestent sans doute autant.

    Le baume au cœur m'est parvenu. Je vous en remercie. Peu importe si pour ce dernier mot, je me retrouve bâillonnée un jour. Certaines choses doivent être dites et je ne pense pas qu'un merci soit une insulte. Je râle rarement en lisant vos mots. Je souris par contre souvent en les imaginant sortir de votre bouche avec cet accent si particulier que je n'ai entendu nul part ailleurs. Sachez que je me contente très bien des phrases écrites de votre main. Je n'attends rien d'autre de vous que ce que vous voulez bien m'écrire et sais parfaitement lire un sens second dans quelques mots choisis par vos soins, même si je trouve cet exercice périlleux et approximatif. Nos lettres me contentent. Vous savez mon amour pour le papier et le traçage de pattes de mouches.

    J'aimerais par contre un cours sur ces démons dont vous parlez. J'ai beau chercher, faire des efforts, je suis nulle en démon. Je crains de m'empoisonner. Peut-être cette leçon fera-t-elle l'objet de notre prochaine hasardeuse rencontre, en plus de la torgnole que l'un ou l'autre recevra ?


    Prenez soin de mon vieux guerrier. Faites attention à ses humeurs et faites-le sourire, de temps à autre.


    Eliance



    PS : Ça y est, je le suis ! Merci de m'avoir rassurer de mes capacités. Vous êtes un des rares à avoir su éteindre ces inquiétudes-là.
    (Ceci 'est pas un merci en bon et dû forme et ne saura donc en aucun cas relever du cas du bâillonnement !)


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Eliance
Elle a attendu une réponse. Elle a cru que la relation nouvelle qui était née entre eux à leur dernière rencontre perdurerait. Que le ton amical et détendu de la lettre du Cosaque était annonciateur de bon. Mais voilà. Rien. Alors Eliance a arrêté d'attendre. Eliance a arrêté de penser au Cosaque. Eliance a enfermé ça dans un coin de sa mémoire. Mais ces petites bêtes sauvages n'aiment guère être enfermées. Après une longue période de silence, une longue période à étouffer, à ingurgiter la situation nouvelle, l'abandon, la roussi-blonde se met à repenser au Cosaque. À leur promesse, leur pari. Et lui écrire devient une évidence.

Citation:


    Torvar,

    J'ai vu les démons. De près. Trop près. Mais je crois que je vis encore. Du moins assez pour vous écrire.
    Vous aviez raison, Torvar. Vous avez gagné une belle torgnole à me mettre, à notre prochaine rencontre.

    Je développerai pas. Je crois que vous savez de quoi je parle. Je crois que vous l'avez toujours su.
    Je crois que vous avez une clairvoyance certaine. Comme mes amis. Je les écoute, du coup, maintenant. Je m'écoute plus moi. Ça vaudra mieux, n'est-ce pas ?

    J'ai aussi appris une chose, sur Maryah. Une chose qui n'a fait que... bref... Je me suis rendu compte qu'elle n'a jamais été mon amie. Que tous ses actes n'ont toujours eu pour seul but que sa personne à elle. J'ai appris que Maryah ne fait rien réellement pour les autres. J'ai appris que Maryah ment comme elle respire. J'ai appris... Ce que j'ai appris m'empêche de dormir. Encore davantage que les démons.

    Torvar, je m'excuse de vous écrire ainsi. De vous écrire ça.
    Cette lettre est nulle. Mais je devais vous l'écrire.

    Eliance


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Torvar
Une lettre de plus en ces jours maudits… à croire que tout le monde s’était donné le mot et pas des moindres… sauf que le cosaque, lui, n’avait pas envie de cajoler ni même de comprendre la misère des autres… fallait bien un jour ou l’autre apprendre à balayer devant sa porte alors autant commencer. Donc le vieux fit une réponse rapide avant de boucler ses malles en partance pour la capitale et ainsi y faire son devoir et y défendre ses terres adoptives.




Eliance,

Un vieux souvenir est venu vous titiller et vous rappeler mon nom ?
Depuis des lustres que je n’ai plus de nouvelles de vous… je m’imaginais même que vous aviez tiré un trait sur tout ça et ça m’aurait arrangé. Non pas qu’il fut un temps il me déplaisait de vous lire mais là… franchement je n’en ai rien à cirer de vos histoires. Oui j’avais raison pour vos démons et je ne suis pas clairvoyant, juste que j’ai vécu. Ce n’est pas au vieil ours que je suis qu’on apprend à danser !

Je vous avais prévenu que Diego ne serait jamais un mari pour vous. Vous, l’idéaliste, qui ne pensiez qu’à une chose réussir votre vie alors que vous aviez misé sur le mauvais cheval. Moi je me suis marré un moment et puis au final, je me suis dis que j’étais bien le plus con dans l’histoire puisque je vous offrais un peu de rêve et que vous, vous n’aviez d’yeux que pour l’homme qui vous écraserez un jour ! Maintenant que c’est fait, faut assumer vos choix. Diego est un homme à femmes, point. Et vous n’êtes pas sa préférée repoint ! A vous de vous choisir un second choix, ce dont je pense vous ne ferez pas bien évidemment. Votre pruderie vous l’interdit… A force d’être sourde et aveugle sur ce qu’un cœur peut offrir vous avez éloigné tout ceux qui auraient pu avoir quelque peu envie de vous aider.

Maintenant parlons peu mais parlons bien.
Si vous insinuez encore une seule méchanceté sur Maryah vous aurez affaire à moi. Oui elle n’est pas parfaite, oui elle a des torts et à ses propres règles mais quand vous étiez dans la merde, malade, limite mourante, elle n’a pas hésité à venir vous chercher au péril de sa vie alors ne venez pas lui cracher dessus… pour le remerciement qu’elle en a eu et moi avec… je vous ai accueilli chez moi parce qu’elle y a tenu… on vous a soigné et Dieu seul sait ce qu’elle a dû faire pour faire venir un médecin dans mon domaine pour panser ses plaies… Vous venez cracher votre venin sur Maryah mais de quel droit ? Vous pensez être mieux qu’elle ? Vous pensez qu’elle ne vous arrive pas à la cheville tant vous vous sentez supérieure à elle, vous la petite naïve qui aguiche les hommes sans jamais conclure sous prétexte que vous êtes mariée au plus formidable des hommes ? Vous n’êtes qu’une peste qui a raté sa vie et qui veut absolument foutre sa merde en dénigrant les autres alors ne parlez plus de la femme qui m’a donné un fils, de celle qui sait être mère avant d’être femme, de celle qui a donné la vie et fais son possible pour que cette vie grandisse dans les meilleures conditions. Qu’avez-vous donc fait, vous, à part être égoïste ?

Restez loin d’elle, de notre fils et de moi car vos mots ont eu le temps de déchirer le peu d’estime que j’avais encore pour vous. Tournez votre langue dans votre bouche et allez cracher votre rage ailleurs… vous avez perdu le droit de vous entretenir avec moi désormais.


Eliance
La sortie de taverne est mélancolique. Voir un Cosaque tourner les talons n'est jamais agréable, pour la roussi-blonde. Pourtant, ça fait parti de leurs habitudes. Et puis, quel autre dénouement ? Les remords, les regrets inondent chacune de leur rencontre. Eliance n'a à offrir que de « doux souvenirs ». C'est du moins l'achèvement de la matinée.

Elle a changé. Grâce à lui. Grâce à ses mots acerbes, injustes et piquants. Entre autre. Elle a changé pour que ces mots ne lui collent plus à la peau. Pour lui donner tort. Ce jour, elle lui a donné tort. Elle ne fuit plus, ne se cache plus. Elle vit. Ou du moins, elle tente de vivre. Elle n'a pas eu envie de rentrer à l'auberge. De voir Elias. Si elle a volontairement posé ses lèvres sur celles d'un autre, elle estime avoir embrassé un passé, un remords, un manque. Comme un retour en arrière. Un souvenir en retard. Pour lui, pour elle.

Mais elle n'a pas envie de voir Elias, là, de suite. Elle n'a pas envie de revenir dans le présent trop brutalement. Elle veut garder le timbre de voix particulier du Cosaque contre elle. Elle veut aussi conserver cette impression qu'elle ne saurait pas définir précisément. Alors elle est partie au hasard de la campagne mâconnaise, déambulant sans but, sans réflexion. Et puis, soudain, elle s'est mise à sourire, droit devant elle. À rien en particulier. À personne. Seulement à une idée qui vient de lui revenir, de traverser son esprit comme une averse s'invite un jour d'octobre.

Malgré le vent, la terre humide et l'automne environnant, son séant a rejoint le sol, permettant ainsi à ses genoux d'accueillir son calepin. C'est ainsi que la mine de plomb s'agite.


Citation:


    Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt ?!
    Vous le saviez, j'en suis sûre. Vous vous en souvenez, vous ! Vous vous souvenez toujours de tout. Vous ne faites rien au hasard.

    Mâcon ! On est à Mâcon !

    Mon cheval est blessé... donnez-moi des conseils... Vous vous souvenez ?
    Mâcon...

    Vous avez raison, peut-être que les étoiles décident de tout. Ou alors, vous faites en sortent de les suivre, de les faire parler. Avez-vous déjà songé que si elles s'étaient éteintes un certain soir, ce n'était pas pour fuir, mais pour mieux regarder une nouvelle briller ?



La feuille est détachée du calepin d'un coup sec. Le mot n'est pas signé. Pas vraiment écrit après réflexion. Il est instinctif.

Heyy, toi !

Un gamin chargé d'un sac au contenant mystérieux est hélé.

Viens !
J'te donne dix écus si tu portes ça.
Tu d'mandes le Cosaque. Il doit être au campement, avec les soldats et tout.


Dix écus pour un maigre mot, c'est une aubaine pour le crotté. Il a lâché son sac qui doit coûter bien moins et est parti à toute jambe en direction des tentes militaires, situées de l'autre côté du village. Même si le Cosaque ne crèche pas là, aucun doute qu'il saura le trouver ailleurs. Mâcon n'a rien du labyrinthe parisien.
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Torvar
Des souvenirs qui se forment, doucement, avec patience... des mots qui prennent soin d'effacer d'autres maux venus ronger l'âme du cosaque durant des mois... il n'a pas oublié, il n'a jamais oublié. Comment l'aurait-il pu alors qu'elle est la femme qui a su faire vibrer son âme torturée et silencieuse depuis tant d'années.
On lui en a reproché des choses au cosaque, on lui a dit qu'il faisait fausse route, qu'elle n'était pas pour lui, qu'il fallait abandonner cette femme-enfant parce qu'on ne peut pas prendre ce qui appartient à autrui. Alors il s'est muré dans ses silences qui en disent longs et il a fui... Eliance avait raison lorsqu'elle le lui avait dit. Cette certitude campée au fond du regard. Comment aurait-il pu en être autrement ?

L'arracher à son pseudo bonheur, il ne pouvait pas. Elle ne lui aurait pas pardonné de prendre ce qu'elle n'était pas prête à lui donner. Alors il s'était tu... longtemps et s'était montré froid, dur, méchant et mesquin. Comme il s'avait si bien le faire... Mais aujourd'hui, il avait devant lui cette vérité nue, triste constat des mois perdus et ne pouvant jamais se rattraper. Jamais elle ne lui appartiendrait, jamais elle ne renoncerait à sa vie d'hier ou d'aujourd'hui pour lui mais il ne pouvait que la remercier car grâce à elle, il avait touché du doigt ce que l'on appelait le bonheur... une fraction de seconde dans sa chienne de vie, il avait ressenti une paix immense l'envahir lorsque les lèvres d'Eliance était venue se poser sur les siennes. Telles des ailes de papillons, elles l'avaient à peine effleuré certes et il avait cru avoir rêvé avant qu'elle ne recommence... et ses doigts s'étaient alors glissés sur le velouté de cette peau tant admirée au cours des heures passées à la regarder...

La froidure d'automne venait mordre l'âme du cosaque. Il était à ce jour à nouveau plongé dans ce dilemme... l'envie de tout claquer, de partir, de ne jamais se retourner ou de se laisser mourir, enfin heureux d'avoir pu croire au bonheur l'espace d'un battement d'aile. Et puis un mioche était venu à sa rencontre, lui fourrant dans les pattes un papier griffonné... les doigts de Torvar se refermèrent dessus, il manquait d'air soudainement mais rappelant le gosse, il lui fit signe de le suivre.


- Installe-toi là... prends c'que tu veux à manger, y'en a trop pour moi... Dès que j'ai fini, tu iras porter ce pli à celle qui t'a confié le premier.

Torvar sortit quelques écus de son escarcelle, les posa devant le gamin puis s'installa lui-même sur son lit de fortune afin de répondre.



Macon... nos rencontres s'y sont fait à plusieurs reprises, il est vrai... la Bourgogne a toujours eu une signification particulière pour moi... peut être est-ce pour cela que j'ai accepté de m'y installer... Pour ne pas oublier ce regard que vous aviez porté sur moi la première fois... Entre la fièvre et les godets de Gorsalka, j'aurais pu oublier mais comment le faire lorsqu'il s'agit de vous ?

Si aujourd'hui je suis là ce n'était point pour vous faire du mal et vous le savez... Je n'aurais pas pu pointer mon épée sur vous parce que malgré ce que j'ai déclaré tant de fois, vous êtes et resterez celle qui a su me réchauffer de cet hiver qui enveloppait ma vie. Merci pour ce merveilleux cadeau que vous avez osé me donner... Le petit chat sauvage qui fut autrefois au centre de mes pensées s'est transformé en une douce étincelle de vie qui sait donner d'elle pour réchauffer les âmes meurtries... Votre moitié a bien de la chance mais ça je l'ai toujours su... Vous grandissez au fur et à mesure que le temps passe affrontant la vie drapée de votre aura chaleureuse et bienfaitrice. Vous faites partie de ces personnes qui sont faites pour briller Eliance contrairement à moi. Si mon ciel le jour de ma naissance était sombre comme la noirceur d'une âme damnée c'est qu'il y a une raison à cela... et je n'ai jamais cherché à être autre chose que ce que je suis... Mais merci d'avoir voulu me le faire croire... ne serais-ce qu'un court instant.

Je vous le redis, faites attention à vous. Les dangers rôdent et même si je sais que vous y êtes habituée, je ne puis faire autrement que de prier pour que vous traversiez la vie sans malheur ni encombre.

T.


Le gamin s'en était fourré plein les joues et les poches et Torvar lui offrit un regard bienveillant. Il n'allait pas lui interdire de grappiller un peu plus que ce qu'il pouvait avaler... il connaissait la faim et aujourd'hui c'était Byzance.
Le pli remis entre bonnes mains, le cosaque regarda le mioche reprendre le chemin qu'il avait fait à l'allé. Inspirant profondément, il remonta sa pelisse faite de peau d'ours et s'en enveloppa afin de se couper du monde, pénétrant dans sa tanière.
Eliance

Elle n'a pas bougé. Elle n'espérait pas revoir le gosse. Elle a juste oublié de cligner des yeux, de vivre pendant un instant. Elle est restée en suspend en elle-même, là, par terre au milieu de nul part, seule avec ses pensées. Alors quand il revient et lui agite un pli sous le nez, elle braque un regard hagard sur lui. Elle met un instant à comprendre. Mais quand elle saisit enfin, elle prend la lettre dans un geste presque brutal, lui file de nouveaux écus et le laisse filer, plus occupée à lire prestement qu'à le retenir.

Le froid l'a saisi. Elle n'a pas vu les heures s'égrainer et le soleil s'affadir. Elle a lu. Relu. Et puis elle a fini par se lever pour aller se réchauffer un bout de couenne dans une auberge. Tenir une mine de plomb entre des boudins congelés, ce n'est pas ce qu'il y a de plus pratique.


      ***
Les plans servent à ce qu'ils soient déroutés. Un plan qui se déroule sans encombre et surprise aucune n'est pas un plan. Le plan a vascillé, sur une porte pivotante. Le plan a vascillé, devant l'Ours entrant. Le plan a vascillé, titubé et est parti comme il était venu. La lettre en re-re-relecture s'est vue planquée sous un bras roussi-blond, dans un excès stupide de pudeur, et la conversation a repris son cours presque normal, si tant est qu'une chose soit banale entre les deux protagonistes du jour.

Ce n'est que plus tard, après un véritable adieu (ou devrait-on dire un énième adieu), que Eliance a ressorti la lettre, au calme d'une salle déserte, au coeur de la nuit. Le sommeil a préféré la fuir, ce soir-là, et l'idée lui est venue d'aller espionner les étoiles qui, paraît-il, décident de tout. Espionner à travers une fenêtre, il va sans dire, vu le froid glacial des alentours. C'est que l'hiver semble en bonne marche, ou du moins pas un automne de pacotille.

Trop de mots, trop de maux, en seulement deux petites journées. Entre les paroles du Cosaque et celles de Mahi dont l'avis tranchant est un peu sanglant parfois, Eliance a de quoi tergiverser avec elle-même. Et elle tergiverse, au gré du nez pratiquement collé au carreau, l'oeil davantage perdu dans la pénombre que détailleur de scintillement astral.

Et puis, parce qu'il faut bien que certaines choses sortent et se couchent dans l'encre, elle s'attaque à écrire.


Citation:

    C'est sans doute pour ça que je déteste cette ville comme elle m'attire. Elle n'a rien pour elle, la pauvre, si ce n'est votre présence à chaque fois, ou presque, que j'y pose les talons. Je ne suis pas sûre que ça puisse être un argument à faire-valoir pour sa promotion dans le Royaume, mais peu importe. Je sais à présent d'où vient cette étrange impression.

    De vous savoir en partance, ce soir, je la trouve changée. Les murs sont devenus plus froids. Plus silencieux. Plus moches. Il faudra m'expliquer comment vous faites. Votre amabilité, sans doute, qui court dessus et puis qui s'en va !

    Je crois que j'ai oublié de vous dire une chose. Enfin, nous avons bien dû en oublier une centaine, mais une me traverse particulièrement l'esprit, depuis quelques minutes. Un regret plus fort que les autres. Vous auriez dû ne pas me laisser le choix, un jour. Je ne sais pas quel jour. Vous auriez dû mettre votre hargne là-dedans plutôt que dans les mots. Vous auriez dû m'enfermer quelque part. Je ne sais pas où. Me traîner de force chez vous. Je ne sais pas comment.
    Ou accepter mon retour, après Diego. Simplement accepter que j'ai pu ouvrir les yeux, enfin.

    Ce présent, ce cadeau dont vous parlez, ce souvenir tardif, ne m'en remerciez pas. Ne prenez pas ça pour une offrande ou un sacrifice, ou je ne sais quoi d'autre. Je vous le devais. Je vous dois encore beaucoup. Nous aurions dû dessiner ce souvenir bien plus tôt. Et puis, je vous ai dit que j'ai changé. Un peu.

    Je ne vois pas en vous l'âme noircie que vous décrivez. Je vois tout autre chose. Et ce n'est pas pour vous arranger que je le dis sans cesse. Votre vision de moi est tout aussi stupide. Avez-vous déjà vu une gourde briller ? Ca doit pas avoir fameuse allure ! Et puis, voyez, à ma naissance, personne n'a eu l'idée de regarder le ciel. Je ne sais même pas si j'ai vu le jour sous un soleil de plomb au zénith, dans une épaisse purée de pois ou dans la pénombre des nuits sans étoiles. On m'a dit le jour, le mois. C'est tout. Chaque nuit que je remarquerai identique à votre naissance, je la considérerai comme un anniversaire. Vous ne saurez rien y changer.

    Je pourrais mentir et vous dire que je fais attention à moi. Mais pour dire vrai, je ne sais pas comment faire.
    Alors je vous demanderai seulement d'appliquer ceci à vous, de votre côté, même si je plains davantage celui qui tentera de vous briser un bras, vu ce qu'il se prendra dans la tête.

    E.

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Torvar
Il l'avait vu derrière les fenêtres de la taverne, il avait alors hésité, restant là, les deux mains dans les poches dans la froidure de la nuit... Un vieil alcoolique l'avait bousculé lui faisant détacher son regard pour mieux lancer des éclairs à celui qui s'était transformé en penaud en moins de dix secondes, s'excusant à tout va d'avoir si lamentablement échoué sur les bottes du cosaque. Jurant dans sa langue natale, Torvar avait donné une raison de plus au pauvre gars de se sentir mal dans sa peau. D'ailleurs il ne demanda pas son reste, ramassa son bonnet de meunier et s'en alla en direction du moulin du village...

Le cosaque redressa le menton, reprit sa position tout en faisant bien attention à se caler dans l'ombre de la nuit, sous ce porche qui lui permettait de voir sans être vu... il voulait juste être là, à la regarder se mouvoir, sourire ou bien encore s'en vouloir, froncer ce petit nez comme elle savait si bien le faire quand quelque chose lui déplaisait, peut être même rouler des yeux à l'annonce d'une vérité qu'elle ne souhaitait pas entendre ou qu'il avait transformé pour ne pas déranger... inspirant profondément, son coeur se serra de plus belle lorsqu'elle vint coller son minois contre la fenêtre... Eliance ne pouvait s'imaginer qu'il était là, face à elle avec l'envie de tendre les bras pour l'attraper... cette envie qui lui vrillait les tripes parce qu'il savait que ça lui était interdit... une fois de plus. Diego s'en était allé et Romanov avait pris sa place... toujours un qui avait un coup d'avance sur lui... Enfonçant son cou dans la pelisse d'ours, ses doigts vinrent remettre en place le col de ce mantel qui lui permettait de rester ainsi dans le froid et l'humidité. Mais pourtant il fallait que cela cesse, que tout se stoppe... un point final à une histoire avortée... mais avait-il simplement envie de renoncer à elle ? Elle était cette obsédante tentation, de celle qui se cache dans le moindre recoin de l'esprit, du coeur, de l'âme... vous faisant oublier jusqu'à votre propre existence. Se perdant dans les méandres de la nuit pour mieux revenir un jour éclater devant vous et vous illuminer de toute sa clarté... Mais pour l'heure, il devait s'en éloigner... encore... Adieu et à jamais...



*****



Les lieues avaient été avalées, seul dans cette nuit profonde et silencieuse. Seul le souffle de Vorobeï rappelait au cosaque qu'il faisait route vers sa destinée, celle qu'il avait choisi et qui s'était imposée au cours de ces derniers mois. Faisant une pause afin de boire quelques gorgées de gorsalka en attrapant son outre à la selle de son compagnon de route, il se laissa glisser à terre afin de faire quelques pas, se dégourdissant les muscles endoloris par le froid et la position du cavalier... l'habitude était une chose, l'âge une autre et les nuits fraîches n'arrangeaient en rien l'état du vieux cosaque... tic-tac, tic-tac, l'aiguille tournait dans le bon sens le rapprochant inéluctablement de la fin... A ce moment-là, le cri d'un corbeau lui arracha un sourire et Torvar osa regarder en arrière... les lueurs des chandelles semblant flotter derrière les carreaux des chaumières avaient disparu depuis belle lurette tandis qu'un soupir de lassitude s'extirpait de ses lèvres encore imbibés du liquide ambrée... une goutte, une odeur, un besoin de se rappeler encore ce regard et cette bouche qui goutait avec défi au breuvage du cosaque... un appel aux souvenirs, encore et à jamais... Torvar s'installa contre le tronc d'un arbre et au petit matin, tandis que le vent glacé de la plaine venait lui mordre les joues ainsi exposée, il sortit son nécessaire à écriture pour envoyer un mot à celle qu'il avait une nouvelle fois laissée à sa propre destinée.



Dikaya koshka,

Pardonnez-moi... je n'ai pas pu rester un soir de plus à Mâcon. Non pas que je ne le souhaitais pas mais je ne vous aurais apporté que des soucis... à force de nous voir ensemble... Et je ne suis pas certain que cela aurait été au gout de votre... enfin vous savez...

Un jour peut être nos pas se recroiseront... un jour peut être...le destin aime à se jouer de nous...

Mes pensées vous accompagnent Eliance... Dikaya koshka

T.


Le corbeau sifflé, le cosaque accrocha à la patte le message à envoyer... il ne pouvait pas partir ainsi et la laisser sans une explication. Pas une nouvelle fois... Reprenant la route, cette fois, il traça jusqu'à Chalon où l'attendait une chambre bien au chaud à l'auberge. Il n'avait pas vraiment envie de se reposer, sachant que son sommeil serait peuplé de visages qui viendraient encore le fustiger de ne pas avoir essayé... mais la fatigue et le froid aidant, Torvar se laissa choir sur le lit qui le reçu sans préambule, laissant l'homme s'enfoncer dans un sommeil de plomb jusqu'à son réveil en sursaut quelques heures plus tard.

Redressé au milieu de son lit, la grisaille du jour n'annonçait rien de bon et Torvar s'en rendit compte lorsque ses pupilles se posèrent sur la fenêtre... Grognement de circonstance, le cosaque se redressa tout en essayant de chasser le souvenir des lèvres d'Eliance sur les siennes. Ses doigts vinrent même à toucher cette bouche qui gardait ce secret afin de s'assurer que ce n'était pas le fruit de son imagination... à son âge, on aurait dit un gamin à son premier rencart... Mais un coup frappé à la porte et déjà cette dernière s'ouvrait sur l'aubergiste qui lui tendait un pli... Et la lecture ne fut pas longue. Non, Torvar dévora ses mots avant de se retenir d'hurler d'autres maux qui venaient s'enfoncer dans son coeur. Fermant les yeux, il froissa le vélin, le jeta au sol et alla se poster devant la fenêtre, se murant dans son silence. Quand il en sortit, il prit sa plume et répondit.




Dikaya koshka,

Vous ne me devez rien... comment dire le contraire alors que je n'ai absolument rien fais ? Vous le dites vous-même, j'aurais dû... Mais ma couardise a fait que je n'ai pas franchi cette distance qui nous séparait. J'ai eu peur de voir dans votre regard ce que je n'étais pas prêt à affronter... votre mépris alors j'ai reculé... J'ai préféré laisser faire le temps et aujourd'hui il me reste quoi mis à part nos souvenirs ?

Aujourd'hui c'est un autre qui profite de votre présence à ses côtés, aujourd'hui ce sont des amis qui vous entourent et vous guident, aujourd'hui, votre vie appartient à jamais à ceux que vous avez choisi.

J'aurais dû faire de vous ma prisonnière, vous prendre et me faire aimer de vous mais vous m'auriez détesté Eliance... vous auriez détesté devenir celle que vous ne vouliez pas être... vous m'en auriez voulu à la longue et nous aurions fini par ne plus pouvoir ni nous parler, ni même rêver d'étoiles qui parcourent notre existence.
Aujourd'hui nous pouvons le faire... nous avons réussi à surmonter un obstacle qui nous semblait infranchissable parce que je suis entier et que je ne voulais plus de vous dans ma vie... Nous faire du mal était pour moi la solution à cette situation que l'on vivait... vous éloignant de moi à jamais je pensais que vous trouveriez ce que vous sembliez être prête à chercher. Vos pas sont encore hésitants mais vous avancez... A chaque jour suffit sa peine et vous grandissez. Rien ne sert de provoquer les choses lorsqu'on n'est pas prêt à les accepter.

Est-ce qu'aujourd'hui encore, j'ai envie de vous voir à mes côtés Dikaya koshka ? Bien évidemment, encore plus qu'hier et pourtant, je suis parti, encore... une habitude chez moi n'est-ce pas ? Vous semblez plus épanouie, plus prompte à vous prendre en main, plus "guerrière" que vous ne l'avez jamais été... d'ailleurs vos lèvres sur les miennes le prouvent, vous n'auriez jamais osé le faire il y a de ça six mois en arrière alors voyez que tout est bien pour vous... votre route s'ouvre devant vous et il ne faut pas en avoir peur.

Moi, vous, nous... cela n'a peut être existé que dans ma tête et dans mon coeur. Aujourd'hui Romanov est à vos côtés. Pour que vous l'ayez choisi c'est qu'il est différent de Diego. Et je l'espère. Qu'il ne s'avise pas à vous faire de mal sinon... cette fois je ne regarderais pas dans sa direction pour savoir si je fais bien ou pas... je vous enlèverais et vous garderez pour moi... mais pour l'heure ce n'est pas le cas même si je ne l'ai pas vu à Macon... mais il n'était pas le seul à se terrer. Vous avez été la seule à sortir de votre cachette. L'agnelle que l'on sacrifie sur l'autel de la bonne éducation... Au lieu d'un sacrifice, nous avons découvert bien des choses vous et moi... enfin pour ma part c'est incontestable... Et si vous levez le nez vers le ciel, je suis certain que les étoiles dansent et s'illuminent au fur et à mesure que vous avancez. Vous avez le pouvoir de changer les choses, changez-les en bien Eliance... toujours... Faites vos propres choix et ne tenez compte que de vous. Les autres, Romanov, les jokers et même moi ne sont là que pour entrer dans la ronde et illuminer votre vie et vos étoiles. Alors non, vous n'êtes pas une gourde à mes yeux, juste un petit chat sauvage qui apprend la vie.

Ne faites donc pas attention à vous tout comme je ne ferais pas attention à moi. La prochaine fois que nous nous rencontrerons, nous pourrions faire un concours de cicatrices, ça pourrait être amusant...

T.


Le pli fut scellé puis descendu à l'aubergiste afin qu'il dépêche un coursier pour Mâcon tandis que le cosaque s'installait dans un coin, commandant un alcool fort, du moins le plus fort qu'il pouvait avoir. La seule chose qui lui importait aujourd'hui c'était d'embrumer son esprit... une fois encore la vie se refusait à lui donner le droit au bonheur, une fois encore, il repartait à la conquête du vide et de l'absence afin de les apprivoiser.


Dikaya koshka = chat sauvage
Eliance
Le temps coule, le souvenir reste. Chaque soir, Eliance s'endort en regardant le Russe d'un drôle d'oeil. Le choix. Il est son choix. Elle l'observe fermer les yeux, elle l'observe respirer plus profondément et tomber dans ce qu'on appelle le sommeil. Elle l'observe et un mot hurle en elle, de manière incessante, « choix ». Comme si Elias n'était devenu qu'un choix, ces derniers jours. Une décision prise comme une autre. Comme on jette son dévolu, un peu au hasard, sur la couleur d'un vêtement à l'aube ou de la viande à acheter au marché. Il est là, l'homme qui a souhaité l'épouser officieusement en réaction à une autre demande en mariage plus insolite. Il est là, l'homme qui s'est vexé sous les propos d'un jaloux éconduit. Il est là, le gamin aux yeux gris qui l'a faite rêver à la liberté pendant des années. Il est là, celui qui l'a libéré de la plupart de ses peurs et de ses tourments. Il est là et, pourtant, il ne porte plus que le nom de « choix », ces dernières heures.

Elle l'aime. C'est indubitable. Comme elle aime chacun de ses maris choisis. Comme elle aime chaque homme qui entre dans sa vie. Comme elle aime tout le monde, si on écoute ce qu'en dit Atro. Elle le trouve beau, le Russe, dans sa simplicité, dans sa carrure frêle, dans son teint pâle, dans ses manières qui rappellent sans cesse qu'il n'est pas homme de la terre. Mais elle le trouve lointain, aussi, parfois, quand il travaille le nez sur un galon, quand il mange sa soupe sans la regarder, quand il lui parle comme il parlerait peut-être à une autre.

Elle le trouve lointain depuis qu'un autre a été plus franc, plus direct. Depuis qu'un autre lui a apposé des mots incompréhensifs mais qui reflètent l'âme. Elle le trouve lointain, depuis qu'elle se prend à se demander ce qu'ont en commun ces deux hommes qui viennent du même coin du monde mais qui semblent si différents. L'un est jeune, l'autre moins. L'un est pâle, l'autre a la peau tannée. L'un est frêle, l'autre passe difficilement les portes. L'un lui a appris à vivre mieux, l'autre l'encourage à vivre toujours plus fort, toujours plus longtemps, toujours plus intensément. L'un l'épaule, l'autre l'apaise. L'un est constant, l'autre rassurant. L'un a les mains douces de celui qui ne tient ejtre ses doigts que tissus délicats et aiguilles, l'autre les a vivantes et calleuses, à force de combat et de vie dure.

Pourtant, l'idée qui l'obsède est que c'est le second qui lui a confié quelques mots de ses contrées. Que c'est les bras du second qui lui ont procuré un sentiment de protection intense. Que c'est au second qu'elle songe, quand elle regarde s'endormir le premier. Mais elle ne fera rien d'autre, cette nuit-là, que de se lever silencieusement pour aller prendre la plume. Elle laissera le premier s'apaiser avec ses songes rêvés pour mieux se souvenir du second et de ses étoiles.

Elle n'a rien dit à Elias, de sa rencontre avec le Cosaque. Elle n'a rien dit à Atro de sa rencontre avec le Cosaque. Seule Mahi a vu, deviné, su. Mais Mahi ne dira rien. Alors Eliance garde ces rencontres, ces souvenirs, comme un trésor précieux qui peut s'évanouir à tout moment si on n'y prend pas assez garde.


Citation:

    Ce que vous appeler couardise, je préfère la nommer honneur, respect, abnégation. Vous avez fait, si, tant de choses pour moi. Vous m'avez regardé d'une certaine manière, parlé avec une telle franchise, laissé vivre mes choix avec tant de panache. Vous m'avez soigné et laissé repartir sans un mot alors que vos rêves étaient tout autre. Vous avez su vous faire haïr pour mon bien, sans doute. Vous avez su vous effacer pour le vôtre. Mais tout ça, je ne l'oublie pas. Soyez-en assuré. Tout ça ne fait qu'ajouter à notre passé une note plus étrange, plus captivante.

    J'ai peur de ma route. J'ai peur de mes choix. La liberté coûte le repos de l'âme. Un prisonnier a la sienne entièrement libre. Il peut rêver, s'appuyer sur les autres, se laisser flotter à la vie, simplement. Comment savoir que nos choix sont les bons ? Comment ne pas regretter ces décisions prises chaque jour ? Comment faites-vous pour sembler si serein dans vos actes ? Parfois, je regrette d'être partie, de ne pas avoir suivi la vie que mon père avait choisi pour moi.

    Vous partez. Toujours. Je ne vous en veux pas. Je sais pourquoi. J'aimerai n'être que légèreté, pour vous. Je n'aime pas l'idée que vous puissiez repartir plus lourd que vous n'êtes venu. J'ai toujours peur que nos rencontres vous emmenent plus rapidement vers la tombe, qu'elles vous coûtent trop d'énergie, trop d'effort pour oublier. Dites-moi la vérité. Aimez-vous nos rencontres ? Rêvez-vous de me revoir ou de m'oublier ? Ne réfléchissez pas à ça, répondez simplement. Répondez-moi en votre âme et conscience. Laissez tomber le reste. Je veux seulement savoir la vérité brute.

    Pourquoi me serais-je terrée à Mâcon ? Je n'ai rien à me reprocher. Votre Duchesse me croit brigande. Votre admirateur blond me croit brigande. Vous, vous savez la vérité. Est-ce qu'avoir les amis que j'ai fait de moi une brigande ? Je ne vole pas aux pauvres gens. Je ne tue pas les pauvres gens. Mais qualifier un étranger de brigand est tellement facile. Je ne regrette rien. Je vous ai vu. Au hasard d'une de ces rencontres que votre destin ou vous aimez provoquer. Peut-être serait-ce mon hasard, qui provoquera la suivante. Qui sait...

    Vos mots me font réfléchir. Plus que jamais. Vous croyez en moi comme jamais personne n'y a cru. Je ne me sens pas capable de tout ce que vous dites. Je ne me sens pas le pouvoir de changer les choses. Ni de faire le bien. J'essaie de comprendre. Mais les étoiles ne sont pas très causantes. Elles n'indiquent aucun chemin. Et si je les regarde trop longtemps, elles semblent me narguer devant mon ignorance. Ca m'agace.

    Il n'y aura pas de concours de cicatrices. Vous gagneriez haut la main. Vous comme moi le savons. Ou alors, il faudrait que j'ai un sacré accident entre temps. À moins que certaines invisibles puissent être comptabilisées, je n'ai aucune chance de vous battre.

    J'ai songé à vous demander que veulent dire ces mots étranges et inconnus que vous tracez dans vos dernières lettres. J'y renonce. Je préfère qu'ils gardent leur mystère. Ca les rend plus beaux encore.

    Faites attention à vous. Quoique vous en pensiez. Vous comptez.

    E.

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Torvar
Il est arrivé au petit matin, dans la grisaille et le crachin d'octobre. Ne tenant plus en place la veille, il a scellé Vorobeï, payé rubis sur ongle ce qu'il devait et il a repris la route. Et à quelques lieues de Chalon il a bien failli tirer sur les brides de sa monture pour faire machine arrière... galoper en direction de Mâcon et aller prendre ce qu'il pense lui appartenir... Mais un souffle glacial est venu mettre un frein à son désir, l'obligeant à mettre pied à terre et trouver un abri pour lui et son vieux compagnon à quatre pattes. Et les heures se sont égrainés jusque tard dans la nuit. Aux premières lueurs du jour, Torvar a repris sa route pour Dijon. Le froid s'était retiré vers d'autres horizons et voyant cela comme un signe, le cosaque était revenu à la raison... un autre jour peut être mais pas aujourd'hui... non aujourd'hui, il se devait de retourner auprès de sa petite-fille.

L'auberge qui accueillait les cosaques n'était pas des plus rutilantes et c'était très bien ainsi. Les vieilles habitudes revenaient au galop ces derniers temps et Torvar se sentait mieux ainsi, toujours un peu plus éloigné de son titre de seigneur qui pourtant, aux dires d'Eliance, lui allait bien... Lui en était de moins en moins certain. Trop distant avec les affaires politiques, encore plus des manigances du pouvoir, il n'aimait pas ce qu'il voyait depuis des semaines voir des mois... un certain ras-le-bol, une envie de tout plaquer et vous obteniez un cosaque sur le fil du rasoir. Si en plus, il était agité de sentiments profonds et torturés alors le résultat risquait de devenir détonnant. Pour l'heure, seule la gamine le préoccupait.

Entrant dans la chambre alors que les premières lueurs de jour pointaient, il se dirigea vers le lit de l'enfant, posa une main sur son front pour chercher si la fièvre était toujours à l'ordre du jour avant de le caresser avec douceur, prenant soin de remettre quelques mèches rebelles qui s'échappaient dans toutes les directions. La porte s'entrouvrit alors. Le visage marqué par la lassitude du cosaque se tourna pour voir qui osait pénétrer dans ce sanctuaire de tranquillité et immédiatement, Torvar se détendit, un mouvement du menton afin de saluer l'arrivée de Drobomir qui lui, tenait dans sa main deux plis et les lui tendit.
Le premier qui fut lu n'était autre que celui de Maryah. L'espoir que Percy fut retrouvé lui fit rater un battement de cœur mais le visage se ferma, le regard se fit noir et les dents grincèrent malgré elles. En quelques mots, l'Epicée venait d'humilier Drobomir et les siens, en quelques lignes elle avait anéanti tout espoir qu'un jour, tout se passe au mieux entre elle et eux... Torvar posa un regard d'une tristesse infinie sur son cousin et murmura "izvinite" en laissant sa main reposer sur l'épaule de ce dernier, serrant ses doigts comme pour l'obliger à relever la tête qui s'était baissée.

Toujours entre deux mondes, Torvar comprenait que Maryah puisse en vouloir aux siens d'avoir laissé son enfant fuir loin d'eux mais refuser à un cosaque de réparer alors qu'il avait reçu pour cela un châtiment des plus cruels... Drobomir porterait à jamais les traces de dix coups de fouet sans avoir pu laver son honneur... Un gout amer se répandit dans la bouche du cosaque. Il fit alors un signe dans la direction de Cecy à celui qui portait des linges propres afin de lui faire la toilette tandis que lui-même allait se poster dans un fauteuil, à l'opposé de la pièce. Prendre connaissance du second courrier lui devenait vital à cet instant et chaque mot fut lui et relut plusieurs fois pour mieux s'en imprégner... A chaque fois qu'il dévorait une lettre d'Eliance, cela le retournait de façon irrationnelle mais en même temps, elle l'assagissait. Parce qu'il savait à ce moment-là que le fil tendu entre elle et lui existait, parce que c'était leur façon à eux de défier le monde et d'être plus unis que jamais, parce que pour rien au monde il aurait voulu détruire tout ceci. Loin, perdus au milieu des tempêtes, elle était là pour lui rappeler que lui aussi était humain, qu'il avait le droit de ressentir bien des choses et d'arrêter de s'enfermer dans une tour dont il aurait volontairement perdu la clé.

Fermant les yeux, Torvar laissa la mélancolie le pénétrer, s'immiscer dans ses veines, remontrer jusqu'aux palpitations de son cœur, prendre à bras le corps son âme afin de lui offrir une nouvelle danse. Et puis le besoin de lui répondre, là de suite, se fit impérieux comme si l'air allait lui manquait s'il ne s'exécutait pas... un vélin, son encre préféré et déjà, le cosaque était installé près de la cheminée qui ronronnait sereinement dans la pièce.



La peur est un sentiment que nous connaissons tous. Certains plus fortement que d'autres mais ne croyez pas que je ne sache pas ce que c'est. L'on m'a enseigné depuis ma plus tendre enfance à mesurer les dangers, évaluer ce qui pouvait être bon ou mauvais pour moi et pour les miens. Il m'arrive encore aujourd'hui de me tromper, de prendre un mauvais chemin, de m'enfoncer dans les méandres de l'irrationnel et d'en ressentir une angoisse qui me paralyse... Dans ces moments-là, je ferme les yeux et je chasse bien loin ce sentiment. De toute manière, lorsqu'on ressent cela, il est trop tard, le destin est déjà en marche...

Vous le savez aussi bien que moi, on a toujours le choix, bon ou mauvais, on a toujours le choix. Il faut écouter son cœur et sa raison pour mieux avancer Eliance et rester en accord avec ses principes et surtout sa petite âme. Elle mérite d'être apaisée et en accord avec soi-même. Vous avez peur de faire les mauvais choix alors demandez-vous si, tout simplement, votre vie d'aujourd'hui n'est-elle pas mieux que celle d'avant, si vous souriiez plus, si vous osez plus, si vous pardonnez plus... tout ceci est important et vous saurez si votre route est meilleure que celle d'autrefois. Oh il y aura bien des jours bons et des jours qui seront plus gris que d'autres mais peu importe après tout, vous êtes là où vous avez choisi d'être sinon vous ne seriez plus de ce monde. D'une façon ou d'une autre, vous auriez appelé la mort pour qu'elle vous prenne dans son sillage. Lorsqu'on n'y croit plus, on sait que cela ne sert plus à rien de se battre.

Concernant la liberté, elle fait mal. Ce n'est pas quelque chose que l'on attrape et que l'on garde au fond de la poche en se le tenant pour acquis. La liberté ça se mérite, ça se gagne, ça s'arrache aux prix d'innombrables sacrifices. Pour être libre et en ressentir les bienfaits, il faut avoir souffert au plus profond de sa chair, de son âme, de ce qui fait de nous des hommes. Vous en prenez conscience, vous dessinez les contours de ce que je suis depuis la nuit des temps... Mon peuple vit libre au prix du sang et de la mort... et c'est très cher payé mais cela ne nous viendrait pas à l'idée d'y renoncer... non, jamais... Mes ancêtres se sont battus pour cela, je ne pourrais pas me regarder en face si je les déshonorais en devenant autre chose que ce que je suis. Vous me direz que c'est paradoxal vu que je suis vassal de quelqu'un mais quelqu'un qui me connait et me laisse agir à ma guise... le jour où cela n'ira plus, je repartirais comme je suis venu. C'est aussi cela la liberté Eliance, savoir s'en aller lorsque c'est le bon moment.

Comme lorsque je pars loin de vous... les rares instants que l'on s'accorde à être ensemble sont un privilège que je chéris. Et c'est ainsi, on sait que l'on aimerait plus mais il ne sert à rien de sacrifier les autres pour son propre bonheur. Si nous faisions cela, nous ne réussirions qu'à nous en vouloir et nous détester. Alors il vaut mieux se lever et s'en aller même si le pas se fait lourd, si le cœur se serre, si le manque d'air se fait sentir... on ne doit pas regarder en arrière et surtout ne pas céder... vous et moi c'est ainsi. Je garde chaque rencontre comme un précieux trésor que la vie m'accorde, je garde en mémoire vos sourires et vos regards, je fais abstraction du reste et j'oublie que vous ne m'appartenez point... qu'un autre vous entoure de ses bras, qu'un autre vous regarde le soir au moment de vous coucher, qu'un autre sait comment vous êtes au réveil, ce qui vous rend triste ou gaie, ce que vous aimez ou pas... tout ceci n'a pas d'importance au final parce que je suis plus riche que lui... je savoure mes souvenirs avec tant de préciosité que rien ne pourra me les arracher et si je devais mourir demain, je le ferais dans la joie d'avoir rencontré ce petit supplément d'âme qui ravit tant la mienne. Et en lisant ces lignes, vous saurez au fond de vous ce qu'il en est... Oser me demander si je rêve de vous revoir ou de vous oublier tandis que je suis venu à Macon juste pour recroiser votre route... ma réponse a été nette, franche et sans appel... je vous l'ai donné lorsque nous nous sommes revus. Ne vous posez donc pas tant de questions Eliance alors que vous en avez chaque clé. Et surtout ne croyez pas que cela me mine au point de penser ne plus vous revoir... Si demain vous me donniez rendez-vous à l'autre bout du royaume, j'irais sans aucune hésitation juste pour avoir le bonheur de poser ne serait-ce qu'une fois encore sur votre joue et vous entendre dire mon nom... Je n'ai pas l'intention de quitter ce monde comme ça parce que vous ne m'appartenez pas. Oh non, je vais continuer à me battre, espérant qu'il y aura encore d'autres rencontres, d'autres chemins, d'autres étoiles qui nous mèneront à nous revoir. Et vous alors Eliance, désirez-vous me revoir ou bien ces rencontres fortuites ou non vous font du mal ?

Vous me demandez comme j'en suis à être serein dans mes actes, peut être tout simplement parce que certains sont commis pour rendre justice à quelqu'un, parce que d'autres le sont pour la liberté d'autrui que je défends ou bien tout simplement parce que je reste en accord avec mes principes. Et d'autres tout simplement parce que j'en ai besoin... c'est comme l'air que je respire, l'eau à laquelle je m'abreuve... c'est un tout qui fait que je suis ce que je suis hier comme aujourd'hui.

La duchesse croit, laissez-là croire ce qu'elle veut. De toute manière, je gage qu'elle ne sera jamais à même de changer d'avis. On l'a dit plutôt intransigeante, bornée et peu à l'écoute des autres donc c'est comme pisser sur ses parterres de fleurs devant son château, ça ne sert à rien... Et si cela fait de vous une brigande, alors vous êtes une mercenaire tout comme moi de vous retrouver à mes côtés avec un petit je-ne-sais-quoi de noble puisque je suis affublé d'un titre... joli parcours que vous avez l'a Dikaya koshka.

Quant à ces mots... je sais que vous pourriez demander facilement la traduction. Romanov vous la dirait sans problème mais là encore, c'est un lien qui nous unit vous et moi, que vous semblez vouloir garder rien que pour nous... faites-en bon usage, gardez-les comme un précieux trésor et un jour vous les comprendrez... je vous les ai déjà confié dans votre langue à vous mais pour une fois, je voulais que cela soit vous qui entriez dans mon monde... juste un petit peu...

T.
Eliance
Tout a repris son court normal. Tout ou presque. Un secret est en train d'être monté, lentement mais sûrement, comme un blanc d’œuf battu avec opiniâtreté va finir neigeux. Ce secret-là se crée, à coup de lettre reçue, de confidence notée, de réponse envoyée. Un secret si léger à porter. Un secret qui a un goût sucré.
    Dikaya koshka
En y réfléchissant bien, Eliance pourrait trouver, même sans l'aide d'Elias, la signification de ces deux mots. Mais elle aime essayer de les prononcer du bout des lèvres, presque en silence. Elle aime les imaginer sortant de celles du Cosaque. Elle aime qu'ils soient leur secret, rien qu'à eux, ces deux mots. Elle est Dikaya koshka dès qu'une missive se pointe. Pas n'importe quelles missives. Celles qui ont une couleur particulière, une manière particulière d'être pliées. Elle sait avant même de les ouvrir de qui elles proviennent. Et c'est à ce moment-là qu'elle devient Dikaya koshka pour quelques instants, à l'abri des regards de tous.

Elles sont une parenthèse dans ses journées. Et il lui faut s'absenter de sa tâche, s'égarer au coin d'une rue, déserter quelque conversation ou quelque compagnie pour bénéficier entièrement de ce qu'elles contiennent. Le secret ne se partage pas. Il se savoure égoïstement. Seule. Pour être ensuite enfoui dans une certaine boîte en bois où, normalement, personne ne fouille jamais. La boîte à secret. La boîte à tourments. Cette boîte renferme les paroles les plus intimes des hommes de sa vie. Cette boîte est sa vie.

Les mots de Diego, d'Elias et de Torvar s'y côtoient sans honte, révélant chacun à leur manière quelle Eliance est la leur. Souvent, quand quelque turpitude surgit, c'est vers cette boîte que la roussi-blonde se tourne, avant même de causer à Atro, de se piniouffer avec elle ou de rêver de falaise. Certaines lettres, plus lues que d'autres, ont les plis marqués de celles consultées souvent. D'autres sont seulement conservées dans un sentiment étrange de besoin. Les lettres tranchantes du Cosaque sont de celles-là. Jamais relues, mais jamais loin non plus. Eliance ne les déplie jamais. Elle les passe, sachant que trop bien ce qu'elles contiennent. Elle les garde, comme pour les contredire.

Celle qui vient d'être lue à l'instant, alors que les mains pâles sont encore humides de l'eau du lavoir, sera relue souvent, sans aucun doute. Eliance n'a pas pris le temps de retirer son linge de l'eau. Ni de repousser les boucles agitées par le décrassage qui ont envahi son visage. Le tout a été abandonné tel quel, quand le messager lui a confié une nouvelle partie du secret. Et c'est avec une hâte d'enfant que la roussi-blonde a déplié le papier, tandis que ses fesses prenaient appui sur les jambes déjà repliées sur elles-même. Il n'y a pas de position adéquate, pour partager un secret. Ni de moment adéquat. Il n'y a que l'aubaine de lire, de rougir des mots couchés là, d'en sourire, de devenir Dikaya koshka pour quelques minutes.

À cet instant, les regards scrutateurs braqués sur elle importent peu à Eliance. Elle se fiche des laveuses alentour détaillant celle qui abandonne son linge nonchalamment en pleine flotte et qui s'est saisie d'un papier et d'une mine de plomb, pour écrire à même ses jambes. Tout ça n'atteint pas Dikaya koshka. Elle est Dikaya koshka. Forte. Libre. indépendante.


Citation:

    J'entre dans votre monde, à chaque fois que je vois vos mots écris. À chaque fois que j'entends votre voix. J'entre dans votre monde quand je lis votre entièreté, votre indépendance, votre constance, votre dureté associée à cet aveu que vous n'êtes pas plus fort qu'un autre. Je suis stupide. Je ne parviens pas à vous imaginer angoissé. Ni faible. Ni défaillant. Peut-être que si un jour je vois vos blessures, je me rendrai compte que vous pouvez l'être. Je me rendrai compte qu'une lame a le même effet chez vous que chez moi. Qu'un mot trop dur aussi. Ou un manque. Un regret. Je vous vois si fort. Je sais ça stupide. Mais c'est ainsi.

    Je vous remercie. Vous avez répondu à ma question. Même si vous avez raison. Je l'avais avant de la lire. Seulement, je ne sais jamais si mon instinct me dicte les bonnes réponses ou non. Je préfère toujours m'en assurer auprès du concerné. Je voulais être sûre. Je le suis. Et, puisque vous me le demandez à votre tour, je m'en vais vous répondre au mieux.

    J'ai eu peur, en vous voyant. Peur de ressentir les souvenirs, peur que vous me soyez insultant, comme dans certaines lettres. J'ai eu peur de ne pas savoir vous affronter, tout simplement. Et puis, finalement, plus les heures passaient et plus tout ça s'évanouissait. Je n'ai ressenti qu'un bien-être profond. Vous savez, cette chose qui se produit quand on parle. Quand vous me regardez. Quand un sourire vous échappe. Je suis heureuse de vous avoir vu. Je suis heureuse de vous lire. Je suis heureuse de vous écrire. Je suis heureuse que le souvenir que je vous ai offert vous ai plu. Qu'il reste gravé en vous. Je suis heureuse, de notre secret.

    Ce matin, j'ai été réveillée en fanfare : me voilà en procès pour être l'amie de Mike. Et pour quelque raison obscure pas franchement édictée dans l'acte d'accusation. Je crois qu'un autre jour, j'aurais eu peur. Je crois qu'un autre jour, je ne serais pas allée au tribunal aussi sereinement. Aujourd'hui, j'y suis allée sûre de moi, sans trembler, sans être impressionnée par le juge. Ni par le procureur. Je ne ferais appel à aucun témoin. Je vais gérer seule. Je n'ai pas besoin de vous expliquer pourquoi, je me suis sentie si « guerrière ». Je voulais seulement vous le dire.

    Et puis, l'armée a déserté Mâcon. Le chef d'armée et nouveau maire aussi. La ville est à nouveau sans gérance ! Je n'ai jamais vu autant de n'importe quoi dans un duché. Au moins, nous, on la faisait vivre ! On n'est pas parti, encore. On n'a pas dit notre dernier mot.

    Et vous ? Racontez-moi ? Pas d'ennuis sur les chemins ? Vous êtes enfin arrivé auprès de votre petite-fille ?

    Je crois que je me sens libre. Je crois que vous m'apprenez, à force de discussion, le sens de ce mot. Et j'aime votre manière de voir les choses. J'aime que vous vous sentiez chanceux de notre secret. J'aime à vous imaginer espérer les étoiles, encore. Ça vous va bien mieux que de parler de votre fin, des années passées.

    J'entre dans votre monde.

    Dikaya koshka


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Torvar
Les étoiles dansaient, là-haut dans le ciel. L'une se blottissait contre sa voisine, l'autre s'échappait... Torvar, les yeux rivés à cet étrange spectacle ne pouvait que l'admirait. Sa grand-mère Töregene avait raison, on apprenait toujours des étoiles... Dommage que lui-même n'ait pas le don qu'elle avait, il aurait su y lire son avenir. L'enchanteresse qu'elle était savait tant de choses qu'il ignorait et qu'il ignorerait toujours. Il n'était qu'un homme et certains jours comme cette nuit, elle lui manquait. Son regard se posa sur sa petite-fille qui dormait dans la chambrée. Sa respiration était redevenue plus calme et moins sifflante. Les yeux du cosaque admirèrent le petit visage ainsi reposé et la ressemblance avec la vieille femme le frappa encore plus soudainement que la première fois qu'il avait croisé le chemin de Cecy. Voilà d'où venait ce sentiment qui l'enveloppait lorsqu'il était avec elle... le père de la gamine faisait partie de la même peuplade que sa grand-mère... Mais où Kallista avait-elle trouvé l'occasion de le rencontrer et pourquoi Matveï avait-il laissé faire les choses ? Torvar comprenait bien des choses avec retard mais il comprenait...

Reportant son attention sur les étoiles, il chercha une réponse au vide qu'il ressentait bien trop souvent. Parfois, le cosaque avait l'impression que ses pas étaient inutiles, que rien ne lui montrerait la voie à suivre, qu'il était voué à rester solitaire dans ce monde qui n'était pas fait pour lui... mais au détour d'un chemin complexe, il lui arrivait de rencontrer un petit bonheur auquel son coeur s'accrochait sans vergogne. Cecy en faisait partie parce qu'elle était entrée dans sa vie en la chamboulant, comme une petite furie qu'elle était mais il y avait aussi Percy et sa mère Maryah qui avaient été son point d'ancrage durant de longs mois... aujourd'hui, le petit garçon avait renvoyé au visage de Torvar son incapacité à élever un enfant, allant même jusqu'à le fuir, portant son échec aux yeux de tous et surtout à ceux de sa mère, mère avec laquelle il n'y avait pas vraiment moyen de communiquer en dehors de leur capacité mutuelle à vouloir s'entretuer et puis il y avait Della, sa suzeraine. Femme de tête et amie de longue date, elle était de celles que l'on admire et ce n'était pas peu dire pour le cosaque, lui qui laissait souvent les femmes à leur rôle de mère ou d'épouse... et enfin, dernier bonheur depuis de longs mois déjà, Eliance. Ce bonheur là n'avait pas de nom ni même de spécificité. C'était un tout qui rendait le cosaque encore plus con que la moyenne... à son âge, sa capacité à perdre les pédales avec elle en devenait presque inquiétant mais avait-il une raison de laisser ce bonheur lui échapper ? Bien sûr que non, il était et surtout, le cosaque voulait qu'il le reste à jamais... ces petits moments rien qu'à lui et à elle, leur petit secret bien gardé et à jamais au creux de leur âme.

L'envie mais surtout le besoin de se sentir proche d'elle lui vrilla les entrailles si bien qu'il prit un vélin et de l'encre, s'installa à même le sol, le dos contre la cheminée qui ronronnait au creux de ses braises encore chaudes, le visage illuminé par la lueur des étoiles qui l'observaient.




Vous n'êtes pas stupide Dikaya koshka, vous ouvrez simplement les yeux sur le reste du monde. Comme une petite le ferait, vous apprenez que nous sommes tous des colosses aux pieds d'argile, que nous avons nos faiblesses et nos limites même si, pour la plupart des hommes, nous le cachons.
jamais je ne montrerais mes faiblesses, mes peurs, mes angoisses parce que l'on attend de moi que je sois fort, convaincant, meneur et que je prenne les sages décisions. Mais que l'on soit Khan ou Roy, soldat ou simple paysan, on est dévoré par les mêmes questions. Est-ce que je fais les bons choix, est-ce que je fais les choses avec justesse ? Tous ces petits tracas du quotidien qui rendent la vie impossible... Est-ce que je suis sur le bon chemin, est-ce que j'ai bien fais de faire cela ? Se poser les questions c'est choisir et choisir c'est réfléchir. Inconsciemment, vous faites le pour et le contre et donc vous avancer. Personne ne peut dire si telle chose est bonne ou pas... il n'y a qu'à la longue que l'on sait. Et encore, ce n'est pas toujours évident... Alors oui, je ne suis qu'un homme, un homme fait de doutes et de questions mais aussi de joies, de peur, d'angoisses, de rires et de tristesse. Je suis comme tout le monde même si, me voir invincible dans votre regard me plait assez... Quant à voir mes blessures, celles du corps ne sont pas belles Eliance et j'aurais peine à vous les montrer, ce n'est pas un spectacle des plus admiratifs... quant à celles de l'âme, elles ne sont guères mieux mais au moins, invisible à l'oeil inexpérimenté ce qui les rendent plus... tolérables.


Vous savez, vous pouvez me poser toutes les questions qui vous viennent à l'esprit. Si certaines me dérangent, je ferais l'impasse comme je l'ai toujours fait. Vous avez toujours eu ce don de me faire répondre même lorsque je ne le souhaitais pas. Sans doute avez-vous un don particulier... votre regard ou bien ce petit air de sorcellerie que l'on accorde aux boucles rousses ! C'est ce que l'on dit dans votre pays il me semble, que les rousses ont un pouvoir qui vient d'ailleurs, du malin et qu'elles savent tout sur tout. Voilà sans doute mon attirance pour ces femmes mystérieuses au regard scrutateur et à la capacité infinie de répandre un sentiment de crainte mêlé à celui du désir. Car nous le savons bien, tout ce qui est interdit devient convoitable dans l'esprit de l'homme, sans doute pour cela qu'il pense pouvoir conquérir tant de territoires interdits...mais je m'égare moi-même dans mes pensées douce Dikaya koshka... je m'égare et cela fait du bien d'oublier un peu ses soucis du quotidien qui me rongent un peu plus chaque jour... Tout comme vous entrez dans mon monde, j'essaie de créer une bulle où rien ne peut venir m'atteindre lorsque je suis avec vos côtés durant ce laps de temps où ma plume glisse sur le vélin, où je lis vos mots, où je pense à vous... je garde mes pensées rien que pour vous et je me ferme aux autres... Vous avez réussi ce petit miracle à vous toute seule, bien longtemps que je ne laissais plus ma vie être menée par autre chose que mon honneur ou mes convictions... merci de me rendre un peu humain Eliance.

Et soyez heureuse, heureuse et fière. Vous parlez de procès, j'en ai eu vent. Bien évidemment, la Bourgogne ne pouvait pas laisser Mike et ses complices sans jugement... Haute Trahison pour ceux qui s'en prennent aux terres et la duchesse doit frémir de ravissement que de savoir les jokers au tribunal. En ce qui vous concerne, j'en suis désolé. Vous avez le don de suivre vos amis dans leurs péripéties et voilà où ça vous mène. Je ne peux pas intercéder en votre faveur Dikaya koshka mais je peux vous offrir asile sur les terres de Cheny si vous le souhaitez. Ce n'est pas grand chose mais ça vous fera oublier quelques temps. Et puis vous ne risquerez rien, j'ai de bons gardes qui viennent de mon peuple et qui vous protégerons comme si vous étiez l'une des leurs... Pensez-y Eliance, gardez ce coin de terre dans votre tête et si un jour vous en ressentez le besoin ou simplement l'envie, venez.

Et pour répondre à votre question, je n'ai eu aucun souci à mon retour. Je l'ai d'ailleurs écrit à votre amie... la brune qui m'est tombée dessus en taverne l'autre soir... bref, je lui ai écris afin de lui dire que la route était dégagée... un petit mouvement de sympathie de ma part et parce qu'elle vous connaissez... ce fut très instructif et très agressif... elle est pire que moi mais je ne lui en veux pas, elle m'a dit avoir eu envie de passer ses nerfs, si ça peut lui faire du bien, je suis prévenu maintenant... donc pour en revenir à nos moutons, Vorobeï connait bien le chemin et sait les pièges à éviter... et puis les armées faisant des gardes, je pense que les chemins sont plus sûrs que certains petits villages qui sont pris d'assaut par des bandes de renégats... même si j'avoue que pour une fois, Mâcon a vécu des heures qui vont rester marqué dans les registres des paroisses ! Il ne manquait plus qu'un grand feu de joie au milieu de la place du bourg et ça aurait été parfait !

Quant à Cecy, elle va un peu mieux. Ce n'est pas encore gagné mais elle a mangé un peu de pain et bu du bouillon depuis mon retour. Je pense que la peur de me perdre lui a joué un mauvais tour. Si je venais à disparaitre, mon cousin Drobomir serait chargé de la ramener chez nous et dans son esprit d'enfant, elle doit avoir peur de ce monde inconnu. Mais qui n'en n'aurait point peur, il peut être effrayant de partir loin de ce que l'on connait et de recommencer sa vie. Vous en savez quelque chose Eliance, vous avez dû vous battre pour être celle que j'ai rencontré il y a de ça quelques jours. Mais vous ne m'avez jamais dis comment vous vous retrouvez Romanov désormais. Vous passez de la chaleur des terres du sud à la froidure des terres de l'est... qu'a-t-il donc de particulier cet homme pour avoir réussi là où j'ai échoué ?

Pardonnez mes questions qui sont sans doute déplacées mais ma curiosité est piquée au vif...

Mes pensées vous accompagnent Dikaya koshka
T.
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