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[RP] « Adieu et à jamais »

Eliance
Elle a passé la nuit à épier l'agitation en bordure du village, planquée derrière un bosquet, enroulée dans un grand mantel pour éviter de se laisser rattraper par le froid. Prétexte idéal pour contempler au calme les étincelles qui percent le voile noir d'une nuit, sans que personne ne pose de question. Sans que personne ne s'inquiète de ce nouveau loisir soudain. Elle a plissé les yeux, retenu son souffle à chaque soldat plus grand, plus carré que les autres. Pour se rendre à une évidence évidente, au fil des heures : il n'est pas là. Elle le savait, qu'il ne ferait pas demi-tour. Une petite-fille malade est une charge importante. Mais l'espoir stupide reste toujours dans un petit coin de la caboche de la roussi-blonde.

Son réveil ce matin-là s'est révélé très peu agréable. L'humidité nocturne s'est engouffrée sous son mantel, se fichant bien de cette protection factice, et c'est en tremblant que les paupières se sont levées pour laisser les yeux marron, tout aussi brumeux que les alentours, se faire torturer par la luminosité naissante. Elle a fini par s'assoupir au milieu des étoiles et du silence, sans que les conditions peu adéquates n'y puissent rien changer.

Il aura fallu quelques tranches de pâté, quelque soupe brûlante et un bon réchauffage au coin du feu d'une auberge pour éveiller totalement la roussi-blonde et la ramener un peu sur terre. Ce n'est qu'après ça qu'elle ose franchir le seuil de sa chambre partagée d'ordinaire avec le Russe. Russe déjà sur le pied de guerre, armé d'aiguille, de fil, de tissu, en plein travail. Au regard interrogateur, Eliance répond par un baiser bref et un assuré
« J'ai surveillé l'armée qui est r'viendu. J'suis crevée ! » Aucun mensonge dans ses propos, même si c'est davantage une armée d'étoiles, qu'elle a surveillé de près.

C'est sur cette belle excuse qu'elle a pris le chemin de sa paillasse pour y dormir d'un sommeil véritable quelques heures. À son second réveil du jour, la chambre est vide de tailleur. Sans doute est-il parti en quête de quelque galon ou autre bricole manquante. Elle en profite pour se faire monter un baquet d'eau bouillante. Sa couenne a gardé une certaine froideur de la nuit passée dehors et les quelques écus piqués en vrac à la mairie de Mâcon lui permettent ce petit luxe. Mais à peine la toilette entamée, qu'on cogne à l'huis. Il lui faut s'enrubanner dans le premier tissu qu'elle trouve (prions pour que ce ne soit pas l'ouvrage actuel d'Elias) pour pouvoir entrebailler sans trop de honte un tout petit peu la porte et récupérer un pli tendu par la femme du tavernier.

Les pieds retournent immédiatement se recueillir dans l'eau fumante tandis que les fesses prennent possession d'une chaise et les prunelles marron des mots cosaques. La lettre est posée, seulement une fois la lecture finie et la toilette se poursuit, avec, sur le visage de la roussi-blonde, cet air vaporeux, lointain, invincible qui l'accompagne quand elle devient Dikaya koshka. La peine n'est pas franchement prise de se sécher convenablement. Elle a repris le tissu, s'est enroulée dedans et s'est mise à écrire frénétiquement au Cosaque. Elle a coutume de ne jamais laisser traîner une réponse. La distance fait assez cette chose-là, lui semble-t-il, pour ajouter une longueur supplémentaire.




Citation:


    Je savais qu'un jour, vous voudriez savoir. Je savais que vous poseriez la question ou alors que je ressentirai le besoin de vous raconter.
    Je ne pensais seulement pas que ça tomberait maintenant.

    Torvar, vous demandez la vérité, la sincérité et tout ce qui va avec. Je vais vous la donner. Comme je le fais toujours. Je ne veux pas par contre que ça vous chagrine. Que ça vous mine, ou que sais-je encore. Vous demandez, je réponds. Prenez ça pour une autre part de notre secret. Je vais vous dire depuis le début. Sans quoi, les choses seraient incompréhensibles et vous resteriez sur ce « qu'a-t-il donc de particulier cet homme pour avoir réussi là où j'ai échoué ? » qui ne me plaît guère.

    Ça remonte à longtemps, notre première vraie rencontre. Et là, je vais évoquer ce passé que j'aime peu ranimer, que je vous avais brièvement confié, une fois. Je vivais dans la mansarde. Seule. Avec pour seules visites quotidiennes celles de mon père. Mon seul bien était une lucarne qui m'ouvrait sur le monde d'en bas. Espionner ce monde d'en bas était un de mes passe-temps favori. Un jour, un gamin s'est arrêté, a levé le nez et m'a regardé longuement. C'était la première fois que je rencontrais un inconnu. C'était la première fois qu'un inconnu me voyait. C'était la première fois et j'ai eu si peur. Je n'ai jamais oublié ce regard.

    J'en ai rêvé, j'en ai tissé, des histoires, des songes, avec ces simples yeux braqués sur moi. J'ai fini par les retrouver un jour à Paris. Par hasard. Il y a peu de temps. Enfin, non, lui savait où il allait en venant au journal. Et il m'a regardé comme ce jour-là, avec ces mêmes yeux, ce même regard. Il a été ma première envie de liberté. Et le retrouver, là, à Paris... c'était étrange. On a parlé, fait connaissance. On s'est revu. Compris très rapidement.

    Quand Diego est parti, lui est resté dans l'ombre. Il a attendu. Il a fait ce qu'aucun homme n'avait jamais fait : prendre sur lui pour mon bien à moi. Je sais, vous l'avez fait aussi. À votre manière. C'est à cette époque que je vous ai écrit. Que vous m'avez envoyé paître. Voilà pourquoi Elias. Lui est resté. Il a su m'apprendre, lentement mais sûrement, un peu des hommes. Si vous me sentez plus libre, plus guerrière, plus audacieuse, c'est grâce à lui et sa patience. Lui et son tact. Il n'a pas les tendances désinvoltes de Diego. Il ne s'intéresse qu'à ses tissus et à moi. Ça a un côté rassurant.

    Vous venez des mêmes contrées froides, vous et lui. Pourtant, vous êtes si différents. Pourtant, la même indépendance vous caractérise. Je ne suis Romanov qu'à cause d'un prétendant plus insistant que les autres qui m'a demandé en mariage et qui m'a faite rire. À cause d'un champ de terre et d'une Atro devenue curé pour l'occasion. Ce n'est qu'un nom que j'ai voulu prendre pour être quelqu'un. Pour ne pas rester la fille de rien que j'étais. Je suis presque-mariée.

    Vous n'avez échoué nul part, Torvar. Le destin l'a voulu ainsi. Et puis, vous l'avez dit, dans une lettre précédente : est-ce qu'on ne se serait-on pas haïs, en se hâtant ? J'aime nos rencontres saugrenues. J'aime votre obstination à voir en moi certaines choses.

    J'espère que ces mots auront chassé l'amertume que j'ai ressenti en vous lisant.

    Je ne compte pas fuir mon procès. Si je dois passer quelques jours au trou, j'irai. J'ai acquis une sorte de certitude qui, parfois, me permet d'affronter les rigueurs : est-ce que je peux vivre des choses pires que celles que j'ai déjà vécues ? Mais votre offre, votre havre de paix, je le garde en mémoire. Je suis accusée de trahison et de trouble à l'ordre public, figurez-vous. Mais le procureur n'avance aucune preuve contre moi. Il ne fait que parler de Mike. J'ai seulement évoqué mes bonnes relations avec la Bourgogne et un certain seigneur. Sans vous nommer, bien sûr. Vous avez assez d'ennuis pour que j'attire les miens sur vous.

    D'ailleurs, pour éviter tout nouvel incident avec la justice pour soupçon de sorcellerie, je tiens à préciser que je suis roussi-blonde ! Pas rousse ! N'allez pas m'attirer un autre procès en colportant des rumeurs sur mes capacités magiques à vous soutirer des réponses, voulez-vous. Autant sauter d'une falaise ne m'effraie pas, autant finir cramée sur un bûcher me fait froid dans le dos. Froid d'être brûlée, oui. Encore une fois, c'est stupide, mais c'est ainsi. Et donc si vous me considérez comme ces femmes rousses que vous décrivez, vous me craignez, moi aussi ? Si tel est le cas, ce serait-inédit. Et j'avoue en sourire d'avance.

    Vous évoquez votre cousin. Vous ne vivez donc pas seul parmi les Bourguignons, à Cheny ? D'autres Cosaques sont avec vous ? Racontez-moi, bon sang, quelle vie réelle de seigneur vous vivez ! Et qu'est-ce qu'un Khan ? Vous avez écrit ce mot, dans votre lettre.
    Et puis, à moi de poser une question indiscrète : cette femme bretonne dont vous parliez avec le blond, n'a-t-elle pas tenté de vous rendre humain, elle aussi ?

    Je suis ravie de lire que votre petite-fille reprend vie. Je n'ai jamais douté que ce serait le cas, vu ce qui coule dans ses veines. Prenez bien soin d'elle. Et de vous, surtout.

    Dikaya koshka


         L'armée est revenue, cette nuit. J'ai espéré votre retour, à vous aussi.
         Mais aucune ombre n'a ressemblé à la vôtre.
         Le secret palpite.

_________________
             
                                            
Torvar
La veille, on lui avait fait une remarque au cosaque et cela l'avait travaillé toute la nuit. Au détour d'une conversation amicale, on lui avait fais observer que c'était étonnant qu'il ne soit pas du même avis que sa suzeraine, qu'il ne suivait donc pas sa "voie". Fronçant les sourcils, il avait alors argumenté qu'il était lui et que ses convictions lui appartenaient... et puis doucement, il y avait réfléchi, se remémorant parfois les mises en garde gentillettes lorsqu'il s'adressait à la duchesse ou un autre noble que sa suzeraine estimait... Et les questions fusèrent toute la nuit au point qu'au petit jour, elles laissèrent un cosaque en plein désarrois et surtout au bord de la fatigue. Et le mécanisme de son cerveau c'était mis en route cogitant sur ce qu'il devait faire ou pas, ce qu'il ne devait pas faire, quel rôle sa noblesse avait vraiment à ses yeux et aux yeux de tous... il n'était pas certain que cela ait changé profondément les choses et même pire, il se sentait écartelé entre deux mondes bien plus vivement qu'autrefois où il n'avait qu'à gérer son appartenance à son peuple et le fait de vivre sur les terres du royaume de France. Aujourd'hui, tout l'éloignait des gens qu'il connaissait et ceux des hautes sphères n'étaient pas prêt à accepter un homme comme lui... décidément, toute sa vie se résumait à une quête impossible à choisir qui il était au fond de lui.

Soupirs lâchés, traits tirés, les mains légèrement tremblantes vinrent se poser sur le visage tanné du cosaque essuyant une fatigue ancrée au plus profond de sa peau. Les soucis lui barraient le front et son esprit se posait en boucle la fameuse question : rendre ou ne pas rendre son titre. Il pouvait être au service de Della par n'importe quel moyen, il n'avait pas besoin d'être Seigneur de Cheny pour y arriver. Autrefois, il aurait même été fier de rester dans l'ombre... Qu'était-il donc venu foutre dans la lumière ?

Encore perdu, encore dans le flou le plus total, encore à se poser mille questions sans réponses, le cosaque resta toute la nuit à la taverne. Certaines avaient l'habitude de rester ouvertes pour y accueillir les soldats qui montaient la garde de jour comme de nuit... la paix avait peut être été signée mais il n'en restait pas moins que tout le monde se méfiait. Et ce n'était pas le coup des Jokers qui allait rassurer la duchesse et son conseil, tous prompt à montrer leur capacité à faire les cons dans une ville plus morte que vive. C'est donc là que Torvar prit le temps de répondre à Eliance, chat sauvage par excellence qui n'était qu'à quelques lieues de lui et qui paraissait si étrangement éloignée.





Y croire... toujours y croire... voilà ce que je me dis tous les matins lorsque mes yeux se posent sur le soleil levant. Mais aujourd'hui j'ai comme un mauvais pressentiment, une sensation de défaite s'immisce dans mes veines et me laisse comme un goût amer en moi... je ne saurais l'expliquer, je ne saurais dire pourquoi.... trop de questions et pas assez de réponses... J'aimerais que la vie soit plus simple et pourtant elle ne l'est pas.

Pardonnez-moi ce préambule Eliance, je tourne, je vire depuis hier que j'en suis à ne plus savoir ce que je raconte même à moi-même... j'ai la désagréable impression que je me fourvoie, que je me perds... chaque pas que je fais l'est au prix d'un terrible effort, d'une incommensurable réflexion et pourtant je ne vois pas le bout du tunnel, même j'ai l'impression de m'être fourvoyé... Vous m'avez dit que "seigneur" m'allait bien, je réponds que "saigneur" était parfait. J'aurais dû rester à mon niveau, me sentir à ma place... au lieu de ça j'ai essayé de briller mais je ne suis pas fait pour ça Eliance... non pas fait pour ça... mais veuillez me pardonner, je n'ai pas à vous parler de mes tourments et encore moins lorsqu'ils sont aussi ridicules et éloignés de vous.

Par contre je vous remercie d'avoir levé un peu le mystère de Romanov. Nous sommes du même pays certes mais je doute que nous ayons vécu les mêmes choses... je le vois bien être né dans les palais de la Moscovie tandis que je suis né sur les terres de mes ancêtres, au cœur des steppes, où nous devions nous battre pour survivre. La preuve en est, alors que chez nous ce sont les femmes qui tissent et brodes de magnifiques robes et chemises, votre Romanov en a fait son métier. Il est plus précieux que nos précieuses petites mains... mais je ne le fustige point. Il est ce qu'il est et s'il sait prendre soin de vous alors je l'en remercie. Vous méritez d'être heureuse Eliance, bien plus que vous ne voulez bien l'admettre. Et même si vous êtes mise dans les geôles du duché, soyez heureuse malgré tout. Gardez au fond de votre cœur la pensée éternelle que Romanov est là et qu'ailleurs, d'autres pensent à vous.

D'ailleurs parlons-en des geôles... ridicule procès fait juste pour montrer sa supériorité. Il faut bien que le conseil ducal se rassure comme il peut déjà que ses sbires sont incapables de reprendre la mairie... je me demande si la duchesse n'a pas trouvé ce prétexte pour aller conter fleurette et se faire soulever les jupes avec quelques hommes de troupes.... il se murmure ici qu'elle aime jouer les saintes nitouches mais qu'il n'en n'est rien. Peut être est-ce pour cela que vous trouviez qu'elle s'aplatissait bien devant moi... pour un peu j'en rirais si ce n'était pas si... pathétique. Etre au sommet et être si ridicule... ça me ramène à mes questions fondamentales... la noblesse est-elle vraiment vivable ? Plus je vous écris jolie Dikaya koshka, moins j'en suis convaincu... mais peu importe, je ne suis pas là pour vous décrire mes états d'âme mais plutôt pour en savoir plus sur votre vie là-bas, si près de moi tout en étant si éloignée... Pour un peu, je repartirais vous rendre visite si je n'avais pas peur que votre... mari... se doute de quelque chose... je n'ai jamais été très tolérant et s'il venait à poser son séant en taverne, nous risquerions l'incident. Et de ça je veux vous préserver. A peine mariée que déjà veuve... si cela ne me ferait ni chaud ni froid, je ne serais pas celui qui vous entrainera dans un malheur juste pour assouvir cette faim qui me dévore de l'intérieur. Je vous a... apprécie trop pour ça Eliance...

Et non, je ne vous crains pas mais les rousses ont un pouvoir que les autres n'ont pas. Elles savent être envoutantes sans même s'en rendre compte. Peut être la couleur chatoyante fait ouvrage, je ne sais point mais je vous assure que c'est quelque chose de difficile à raconter... peut être est-ce aussi parce que j'ai déjà frayé avec le feu lors de ma jeunesse et j'en garde les stigmates sur ma peau... le roux m'a toujours rappelé cette sensation si terriblement douloureuse qui s'immisçait en moi mais si attirante à la fois... hypnotisé que j'étais par la couleur des flammes... vous comprendrez sans difficulté ma fascination pour les charmantes rousses même si ces dernières sont "roussi-blondes"... nom tout à fait séduisant et qui vous va à ravir. Mais changeons de sujet, je ne voudrais pas trop vous flattez, vous risqueriez d'y prendre goût douce Dikaya koshka.

Alors pour répondre à vos questions concernant mon cousin, Drobomir est venu avec son fils et quelques hommes du clan quand j'en ai eu besoin lors des premières semaines du conflit avec l'Empire. Je n'étais pas encore engagé dans cette guerre harassante et lassante mais je tenais à avoir sous la main des hommes responsables, prêt à donner leur vie pour celle de Perceval. J'avais déjà reconnu le fils de Maryah comme le mien à cette époque et je savais qu'il serait en sécurité avec mon cousin. Depuis, Drobomir est resté à mes côtés et m'aide à me tenir sur le chemin long et difficile qui est le mien.
Il est celui en qui j'ai le plus confiance, il est le seul à pouvoir parler en mon nom, il est mon âme cosaque, celui qui me rappelle chaque jour d'où je viens et qui je suis. Quand je le regarde, je me vois et c'est un réel soulagement que de ne pas être seul par ici... Et je suis juste un petit seigneur qui récolte sa vigne, fait vivre un village pour le bien de tous, punis ceux qui doivent l'être et offre un meilleur... un seigneur de rien du tout qui n'aspire qu'à une chose, la tranquillité et je vous assure que ce n'est pas une mince affaire.

Maintenant passons à une petite leçon de terme étranger. Le khan est l'équivalent du souverain chez les Mongols. Vous en avez peut être entendu parler si vous avez eu vents des aventures de Marco Polo, ce commerçant vénitien qui a vécu longtemps sur les terres éloignées des Mongols. La Moscovie s'est longtemps battue contre les hordes du Khan, notre paix a été soumise à rudes épreuves... il fallut choisir son camp... ma grand-mère est mongol... ce ne fut pas une partie de plaisir pour mon clan, loin de là mais c'était écrit ainsi. Mais Dikaya koshka Romanov ne vous parle-t-il jamais de son pays ?

Maintenant, à moi de lever le voile puisque vous avez bien voulu mettre vos souvenirs à ma portée, je vous parlerais donc de Liz. C'était son nom... blonde comme un jour d'été, je l'appelais fille du soleil. Adorable, gentille, très souriante avec un propension à aimer les ours râleurs et grogneurs dès le matin.
Rencontrée en Bourgogne, je l'ai retrouvé chez elle, en Bretagne qu'elle voulait me faire visiter... mais vous me connaissez mieux que quiconque Eliance, je ne me laisse pas approcher, vraiment pas et puis... elle venait de se séparer de son mari qui lui aussi était infidèle, elle m'a vu pensant que je pourrais peut être lui faire oublier... de plus elle était très impliquée dans son village et dans la politique... d'ailleurs elle est duchesse de Bretagne aujourd'hui... je ne suis pas plus humain qu'hier Eliance, je ne le serais peut être jamais... je ne sais pas le faire et je ne voulais pas lui faire de mal... m'aimer c'est, et je m'en rends compte, un véritable poison. Je ne suis pas ce qu'on appelle un homme du monde, je suis même plutôt rébarbatif et pas marrant.... tout ce que vous, les jeunes femmes, n'aimez point alors c'est mieux ainsi... Je pense qu'elle est bien mieux sans moi de toute manière et bien plus heureuse.

Sur ces paroles qui mettent ma personnalité à jour je vais vous quitter Eliance... la fatigue commence à se faire sentir et j'ai encore mille choses à faire avant de prendre un peu de repos.

Faites attention à vous Dikaya koshka, l'armée rôde et ce n'est généralement jamais synonyme de bonnes choses...
T.
Eliance
Et merde !

La chausse a soulevé quelque poussière, en s'abattant par terre dans un mouvement rageux. Sa propriétaire ? C'est Eliance. Et c'est rare, qu'elle enrage. Elle a les yeux rivés sur l'armée qui ne semble pas vouloir décoller de la campagne mâconnaise. Elle a les yeux rivés vers ce barrage, cette frontière mouvante et si effrayante. Vers ce qui la sépare de sa volonté.

Elle n'ose pas affronter ça. Bonne excuse pour fuir une nouvelle fois ? Prudence sécuritaire ? Personne ne sait, à part elle. Et encore... pas sûre qu'elle soit bien au courant de tout ce qui travaille dans sa caboche. Alors, plutôt que de trouver une excuse bidon comme un petit trajet vers le Nord en vu d'aller quérir quelques pains à bouffer, elle se rentre au chaud, pour écrire. Parce que la lettre du Cosaque l'a tourneboulé.

L'échappée sauvage ne sera pas pour ce jour.


Citation:

    Amer, oui. Vos mots sont amers. Ne vous en excusez pas. Je préfère les savoir couchés sur un papier qu'en train de vous ronger de l'intérieur. À qui devraient revenir ces mots-là, ces tourments, au juste ? Pourquoi ne devraient-ils pas m'être adressés ? Tout ce qui est proche de vous l'est de moi, quelque part. Je n'ai pas besoin d'expliquer pourquoi ni comment, vous aurez compris, je pense.

    Vos questionnements sont stupides. Permettez-moi de vous le dire. Pour une fois que les idioties viennent de vous ! Vous êtes bien davantage seigneur que la plupart des seigneurs. Vous parlez de noblesse, mais vous vous comparez à des gens qui en sont dépourvus. Vous avez plus de qualité d'âme, Torvar, que bien des nobles de naissance. Ce que vous êtes aujourd'hui, c'est parce que vous l'avez mérité. Ce que vous êtes aujourd'hui, reflète plus que jamais ce que vous avez été hier.

    Vous vous contentez de voir votre noirceur, constamment. Croyez-vous réellement que votre suzeraine – dont j'ignore le nom, mais qui doit être une personne honorable – aurait offert une terre à n'importe qui ? Au premier type venu ? Si elle l'a fait, c'est qu'elle a vu en vous ce que j'y vois, moi aussi. Ce que vous vous refusez d'admettre, comme une excuse à votre morosité. En quoi seriez-vous plus mauvais qu'un autre, fondamentalement ? Tous ces sacrifices, que vous faites constamment, suis-je la seule à les voir ?

    Vous êtes seigneur. Et même si vous rendez ce titre, ces terres, vous le resterez. Vous l'êtes dans votre âme, dans le plus profond de vous-même. Des Cosaques sont là. Ils vous suivent. Vous soutiennent, vous obéissent aussi, sans doute. Pour vous, ils ont quittés leur vie, leur froid, leur contrée. Je doute qu'ils l'auraient fait pour quiconque d'autre que vous. Vous êtes leur seigneur. Avec ou sans terre. Vous m'avez parlé, un jour, de l'honneur cosaque. De l'extrême importance de cet honneur. Ou bien, l'avais-je deviné dans vos mots. Je ne me souviens plus. Ne doutez-pas de l'avoir, Torvar.

    Vous êtes Cosaque, seigneur et respectable, parce que vous êtes juste, bon, travailleur, honnête. Parce que vous ne cherchez pas à briller. Parce que quand vous devez agir, vous n'avez pas peur.Et par-dessus tout, vous êtes libre. Allez savoir si pour vos Cosaques, vous n'êtes pas un khan ! J'aimerai vous en tambouriner la tête jusqu'à ce que vous me croyiez. J'aimerai que vous lisiez dans mes yeux que je ne mens pas. Que ce n'est pas écrit pour vous faire plaisir. L'armée... je l'ai vu... Je fais attention. Du moins, nous ne bougeons pas de Mâcon. Ça évitera les dérives accidentelles. Mais ça m'empêche de vous convaincre en personne de votre valeur.

    Cette Liz, puisque c'est son nom, vous l'avez raté lamentablement. Vous l'avez refusé en vous morfondant encore une fois. Je ne suis pas tendre, je crois, avec vous, dans cette lettre. Mais arrêtez de fuir. Arrêtez de vous croire si bas dans l'échelle des qualités humaines. Quand je vous regarde, quand je vous parle, je ne vois pas l'homme que vous décrivez. Vous n'êtes pas un homme du monde, certes, mais est-ce grave ? Vous êtes marrant, parfois. Vous êtes humain, souvent. Vous êtes attachant, toujours. Il est des poisons plus nocifs que vous. Des poisons véritables qui pensent à eux, avant de penser aux autres. Un poison ne s'auto-détruit pas pour épargner une vie, Torvar. Vous, vous le faites constamment.

    Pour vous répondre, Elias ne parle jamais de son pays, non. Et il n'est pas né dans les steppes mais plutôt dans un lit douillet. Et il coud. Vous avez vu juste. Vous venez de l'Est, tous deux. Mais d'une vie tellement différente. Et je ne connais cette terre que par ce que vous m'en racontez, vous. Et vous savez comme j'aime quand vous m'en parlez. Préservez-moi si vous voulez. Ça ne changera pas notre secret.

    Dikaya koshka


_________________
             
                                            
Eliance
Louiiis ! Tu viens faire câlin ?
- Non !
- Mais... ?
- J'rogarde mes mains. Sont belles !
- Mais du coup... tu peux r'garder tes mains en m'faisant un câlin, non ?
- Non ! 'vas les abîmer.
- Ah...


L'âge ingrat. L'enfant ingrat. Le nez ménudiérien s'est froncé devant le refus catégorique du nain blondinet. La pillule est amère. Eliance a du mal à encaisser ce genre de chose. Mais que faire d'autre que de ranger ses dents, dans ces cas-là ? Rien. Alors elle range ses dents, mais surtout, elle rentre chez elle, abandonnant la chambre de la famille d'à côté pour rejoindre la sienne. Le temps où elle squattait le même lit que les enfants de Mike et Atro est révolu. Non. Maintenant, elle est presque-mariée, alors elle vit en concubinage. Et Louis grandit. Et Louis lui échappe. Comment pourrait-il en être autrement alors qu'elle n'est pas sa mère ?

La chose ne l'avait pas beaucoup effleuré avant d'observer Torvar et la petite. Avant de se souvenir que cette lueur-là, qui brille dans le sourire du Cosaque, elle l'a connu, un peu, alors qu'elle tentait de remonter la pente et surtout de ne pas succomber à sa falaise. Atro lui avait confié Louis, encore petit et elle était devenue nounou officielle, avant de se faire détrôner par l'ingrate soeur de Mike. La soeur de Mike s'est barrée, Louis s'est retrouvé sans nourrice attitrée, mais personne n'a demandé à Eliance de reprendre sa place. Personne, et puis, elle n'y a même pas pensé. Louis a grandi et si elle aime à le regarder évoluer, quelque chose s'est brisé.

Elle s'en rend compte, alors qu'elle ramasse ses dents. Elle se rend compte que le lien de sang est primordial, dans ce genre de relation. Qu'elle a beau être la marraine, la presque-tante, elle n'est rien, réellement, dans la vie du gamin. Juste celle qui l'a extirpé des entrailles de sa mère et qui l'a gardé petit, qui accède à tous ses caprices. Tandis qu'elle marche dans le couloir de l'auberge, elle jalouse Maryah et son fils, elle jalouse Torvar et sa petite-fille. Elle n'aura jamais ce lien de sang avec quiconque.

Dans une conversation chalonnaise, Torvar lui a conseillé de trouver son étincelle à elle. Lui a Cecy. La chose lui revient en mémoire. Avec une envie de beugler, de pleurer pour se libérer de cette douleur. Au lieu de ça, elle pousse la porte de la chambre, se saisit d'une chute de tissu laissée là par le tailleur et se met à découper, assembler, coudre. En suivant, elle écrira et enverra le tout, avant d'aller boire, pour oublier qu'elle n'a pas cette lueur en elle.


Citation:

    D'une étincelle
    Vers un nuage voyageur

    De quelle couleur êtes-vous teinté, ce jour ? Est-ce que la noirceur ombrage votre front ? Ou vos prunelles portent-elles la clarté et la douceur d'un tas de laine de mouton fraîchement tondue ?

    Je sais que peu de jours se sont écoulés, depuis votre départ. Je sais que peut-être ce message arrivera-t-il avant vous à Cheny. Mais j'aurai voulu que nos conversations ne s'arrêtent jamais. J'ai, je crois, encore tellement de choses à vous demander, de questions à vous poser, de secrets à tenter de percer à jour. Enfin, disons que certains secrets ne sont pas bons à fouiner ni à divulguer, mais que d'autres peuvent toujours apparaître bénéfiques ou, que sais-je, salvateurs. Vous l'aurez compris, vous me manquez et le prétexte de la curiosité n'en est qu'un parmi tant d'autres.

    J'ai pensé à une chose. Vous en ferez ce que vous voudrez. Je me suis dit que votre petite-fille voudrait peut-être un jour ressembler à une fille. Oui, parce que pour l'instant, on ne voit en elle que la guerrière. Je ne dis pas qu'une fille doit aimer minauder, broder et se coiffer. Mais si un jour elle vous en fait la demande, j'ai pensé qu'avoir un petit quelque chose pourrait vous aider. C'est une fleur en tissu. C'est petit, passe partout, ridicule. Mais c'est aussi quelque chose qui ne fane jamais, ne flétrit pas, reste constant quoiqu'il arrive. C'est éternel. Vous la trouverez dans le paquet attaché à cette lettre. Vous pourrez à votre guise la brûler, la planquer, la mettre à votre boutonnière ou l'obliger à la porter. Peu importe. Faites en ce qui vous plaira. Au pire, ça vous donnera la cruelle occasion de m'écrire ne serait-ce que pour vous foutre de cette idée stupide.

    Chacun ses lubies. Vous aimez surveiller le lever du jour, au cas où quelque chose se passe de travers, je couds des fleurs en tissu.
    Cette lettre est bien ridicule, je m'en rends compte. Alors je vais achever le ridicule ici, histoire d'arrêter l'étalage.

    J'espère que vous avez fait bonne route. Que Maryah ne vous a pas arraché les tripes en chemin et inversement. Et qu'aucun enfant n'a été égaré.

    Pour ne pas rendre ce pli totalement inutile, voici quelques questions qui piquent ma curiosité (et ne me dites pas que mon Romanov pourrait y répondre, Elias ne parle pas de son/votre pays).
    Est-ce que les nuages ont la même couleur, ici que là-bas ? Est-ce que les forêts sont les mêmes ? Est-ce que l'herbe y est du même vert ?
    Voilà, comme ça, tout est parfaitement ridicule, du début à la fin de cette lettre.

    Mon plafond s'est assombri depuis qu'un nuage s'en est allé.

    Dikaya koshka


_________________
             
                                            
Torvar
Les jours ressemblaient aux nuits, les nuits n'étaient qu'une éternelle contemplation des étoiles alliant questions et réponses à son imaginaire... Torvar avait la tranquillité apparente aux voyages groupés mais son esprit, lui, vagabondait vers d'autres cieux, d'autres horizons... il se taisait la plupart du temps, se permettait quelques indications à Della tout en sachant qu'elle connaissait bien son affaire et qu'elle ne se perdrait pas facilement tout en gardant sur Cecy un oeil bienveillant... Percy menait sa vie comme il l'avait prévu et les autres vaquaient à leurs propres occupations. La vie s'effilochait doucement, entrant de plein pied dans cet hiver qui allait les maintenir dans cet état léthargique qui l'arrangeait au final. Ainsi il pouvait conserver ses distances et cette froidure qui était sienne pour mieux penser à elle... Jusqu'au jour où il ne put retenir son besoin de lui écrire. Ils s'étaient promis de rester en contact l'un et l'autre, de ne plus se perdre une nouvelle fois même si la distance qui s'installait entre eux les séparait forcément. Torvar souffrait de cette absence alors il lui fallait recréer ce semblant de cocon qu'ils avaient su préserver à chacune de leur rencontre même si ce n'était que par des mots...




Dikaya koshka,

Que les jours me semblent longs et les nuits interminables. J'ai l'impression que nous nous sommes séparés depuis des mois et que rien ne pourra jamais me ramener vers vous... pourtant je sais que cela ne fait que commencer et mon espoir de vous revoir est déjà malmené. Qu'en sera-t-il dans quelques semaines lorsque l'hiver aura pris ses quartiers et viendra recouvrir de son blanc manteau l'horizon et que le ciel bleu n'existera plus ou que trop peu... J'aimerais m'endormir et ne m'éveiller qu'à mon retour pour vous trouver à mes côtés même si je sais que jamais cela ne se réalisera... Parfois les rêves font plus de mal que de bien... Mais je ne vais pas vous embêter avec mon humeur de ces derniers jours, cela serait vous contraindre à me rejoindre dans ce qui n'est pas votre monde jolie Eliance... juste l'infortune d'un vieil ours râleur qui voit sa vie prendre des chemins qu'il aurait voulu autres mais je ne dois pas me plaindre car grâce à vous j'ai su toucher le bonheur du bout des doigts... et nos rencontres sont toujours de merveilleuses surprises que j'affectionne à chaque fois. Même si ce n'est que déchirement de vous laisser dans les bras de l'autre... J'espère au moins qu'il mesure sa chance cet homme...

Ici la chance est aussi à nos côtés. Notre voyage se passe... bien. Mis à part le fils de ma suzeraine qui se perd un peu trop souvent parce que tête en l'air, il ne fait pas toujours attention à ce qu'on lui dit et suit facilement les animaux que nous croisons afin de les observer... malheureusement pour lui, il a dû mal à retrouver son chemin. J'envisage de lui coller un cosaque dans les pattes afin de le tenir dans nos rangs mais j'ai peur que cela ne soit pas du gout de sa mère... alors je laisse faire... peut être que je deviens laxiste avec le temps ou tout simplement parce que peu de choses me touchent réellement... l'hiver est là et impose sa loi, notre loi...

Chez moi, durant ces longs mois de silence et de blancheur nacrée, nous vivons encore plus proche les uns des autres... nos tentes ne sont généralement que de grandes yourtes dans lesquelles nous tenons à plusieurs et nous vivons ainsi, entre nous... Les hommes chassent pour nourrir la communauté et les femmes s'occupent à broder ou à préparer la pitance de chacun. Certaines plus maternelles que d'autres prennent en charge les plus petits et ainsi va la vie... Nous marchons au ralenti mais nous ne nous déplaçons guère minimisant nos forces pour la nouvelle saison, refaisant le plein de bonnes humeurs et de joyeusetés. Car les soirées sont mémorables autour du feu de camp... Si vous pouviez voir cela Eliance... la gorsalka coule à flots, les rires tonitruants résonnent au travers des bois et des monts qui nous entourent, parfois il y a quelques épreuves de force afin de garder la forme entre nous... et les souvenirs sont légions passant de l'un à l'autre, ne se perdant jamais dans la mémoire collective... et si l'on a bien mené sa vie, la nuit venue on se réchauffe auprès d'un corps attendri qui ne demande qu'à effacer pour quelques heures les cauchemars qui peuplent nos vies... voilà ce qu'est l'hiver chez moi et ici, je fais tout le contraire... ici c'est la solitude à l'état pur... on voyage mais au final on est seul dans son coin... enfin seul... Vorobeï est de bonne compagnie je vous rassure... et Cecy parfois me laisse l'approcher pour mieux répondre à quelques questions... mes frères ne comprennent pas ce que nous faisons là et s'épuisent... mais comme à un Khan, ils ont prété serment de veiller sur ma vie et le feront au mépris de la leur... et je pleure ce que je leur fais subir... Ils n'ont pas mérité d'être ainsi utilisé au mépris de nos traditions... je suis en train de me rendre compte que je tue mes croyances au profit de ce qui n'est pas mon monde... j'existe au travers de ces deux mondes depuis tant d'années mais je n'avais jamais eu à imposer tout cela à d'autres... aujourd'hui c'est le cas et je ne trouve aucune solution à cet avenir qui fait de nous ce que nous devenons aujourd'hui...

Pardonnez-moi Eliance, pardonnez tous ces mots qui causent mon trouble et que je déverse à vos pieds. J'aimerais vous parler plus joyeusement, vous dire combien vous comptez pour moi mais mon coeur n'est pas à la joie... il est simplement emprisonné dans un carcan de complications dont je n'ai pour l'instant pas trouvé la clé... peut être qu'un jour je saurais... je saurais quoi dire et faire au bon moment... En attendant, j'espère que ce courrier vous trouvera en meilleur état que moi et que votre moral sera au beau fixe. Racontez-moi un peu, avez-vous quitté Mâcon, êtes-vous retournée dans vos montagnes ? Etes-vous heureuse, ne serait-ce qu'un peu ?

Si vous le permettez et même si vous ne le permettez pas d'ailleurs, vous recevrez bientôt de la visite. J'ai demandé à Dobromir de me rendre un service et comme c'est un cousin qui a bon fond même si cela ne se voit pas au premier abord, il s'exécutera avec plaisir. Et n'ayez crainte, jamais il ne vous fera de mal... dites-vous qu'il est mon intermédiaire et même si vous aviez besoin de quoi que ce soit, vous pourriez le lui demander alors n'hésitez pas le cas échéant. Et ne tremblez surtout pas Dikaya koshka, je vous assure que Dobromir ne mord que lorsqu'il est sur un champ de bataille ! Cela devrait vous rassurer n'est-ce pas ?

Et avant de vous quitter de ces mots, je me dois de vous en donner un dans ma langue... un que vous m'avez demandé à maintes reprises et que jusqu'à maintenant je n'avais pas daigné vous offrir... aujourd'hui cela sera fait, aujourd'hui il vous appartient d'en faire ce que vous désirez... Et la prochaine fois que je vous retrouverai, je vous apprendrais à le prononcer dans ma langue afin d'y mettre la meilleure intonation qu'il faut... voici donc mon cadeau.... облако pour l'écriture mais dans votre langue on dit : oblako... j'espère que cela vous plaira...

Il est temps Dikaya koshka... il est temps de nous séparer... encore. Pensez un peu à moi de là où vous êtes, j'en ferais de même et la solitude qui nous entoure nous paraitra moins froide et dure à vivre...

T.

Eliance
Il lui a proposé. Il a osé.« Venez.... même si je sais que vous me direz non. »
Un instant, elle l'a regardé, étonnée, hésitante. L'invitait-il à entrer dans son quotidien ? À pousser le secret plus fortement dans sa réalité ? Répondre positivement était tentant. Effrayant. Tellement effrayant. Mais tellement tentant. Ca dépassait toute raisonnabilité. Sa pire crainte lui sautait à cet instant au visage : dans cette proposition dormait l'éventualité de décevoir le Cosaque, de le priver de sa liberté d'homme, de l'enchaîner contre son gré. Alors, une fois encore, elle a fui. Pour conserver intact leur lien. Sans doute a-t-elle laissé échapper un rire nerveux. Sans doute a-t-elle eu quelque geste tendre. Pour finir par décliner l'offre comme une chose somme toute naturelle, attendue et convenue entre eux depuis le départ.

Quelques mois plus tôt, la réponse aurait été autre. Leur secret n'est pas une mise en abîme de leur passé pour rien. Si Eliance a une mémoire énormément sélective, pour ne pas dire complètement pourrie, certaines choses restent gravées en elle et les rencontres avec le Cosaque sont de celles-là. Certains mots résonnent davantage que d'autres. La proposition de Torvar tourne en boucle sous la tignasse roussi-blonde. En refusant, elle a fait un choix. Un choix qui la rend mal à l'aise. Qui la hante. Mais qui parvient parfois à lui faire oublier cette crispation qui tord son abdomen. Un mal en soigne un autre. Ou est-ce plutôt la douceur de ce secret qui soigne le mieux ses torsions ventrales.

Les aller-retour au lavoir n'en finissent pas. S'agenouiller sur la pierre froide devient de plus en plus dur à chaque fois. Frotter ces linges tâchés aussi. Mais quand on est une femme, qu'on saigne et qu'on a mal, on se tait. Et on frotte. Les pensées ont cela de magiques qu'elles permettent de tenir, de surmonter à peu près tout. Tandis qu'une bande de tissu en chanvre se fait frapper à coup de battoir sans pitié, l'esprit d'Eliance voltige ailleurs. Dans des souvenirs proches et lointains à la fois. Elle déverse sa dernière énergie sur son linge. Ainsi, elle oublie un instant la douleur lancinante crispant ses entrailles.

C'est épuisée qu'Eliance ouvre la porte sur un coursier qui convoie une longue lettre. Derrière elle, le linge dégouline devant le feu, suspendu comme il peut. Les gouttes tombent dans un rythme irrégulier sur le plancher de la chambre. La fatigue et la douleur creusent son visage. Mais c'est vivement qu'elle prend sa mine de plomb. Ses yeux charrient une lueur particulière, alors que les mots sont lus pour la seconde fois, puis que de nouveaux sont tracés à leur tour sur un neuf papier. À cet instant, il n'y a plus de sang, plus de douleur, plus de tourments. Il n'y a que lui, elle et leur secret.


Citation:


    Oblako,

    Ce mot sonne bizarrement, dans mon imaginaire. Mais je l'aime déjà. Je tente de l'entendre de votre bouche. Autant vous dire qu'il en sort encore plus étrange. Je crois que je devrais me contenter de l'espionner écrit dans votre lettre, ça serait plus sage, jusqu'à ce que vous m'expliquiez comment on le dit en vrai. En attendant, je vais continuer à écouter les deux mots par lesquels vous m'appelez. Je les entends tous les jours, ces mots-là. Ils viennent dans un souffle se loger dans le creux de mon oreille. Et alors, je souris. Je souris donc de manière totalement inopinée, parfois. Les gens doivent se demander ce que je fiche. Je crois que je m'en moque.

    Mais pourquoi ai-je l'impression que notre secret vous fait du mal, à vous ? Pourquoi ai-je l'impression que vous le regrettez, dans un sens ? Pourquoi ai-je l'impression que vous doutez de lui ? De moi ? De nous ? De nos choix ? De le revivre un jour ?

    Mes doigts se sont crispés en vous lisant. Je me suis sentie tellement impuissante. Loin. Si loin et inutile. Le peu de bonheur dont vous parlez semble s'estomper devant tout le reste. J'aimerais que vos rêves ne soient pas tranchants. J'aimerais qu'ils soient au contraire un réconfort pour vous. J'imagine que d'avoir confier ces quelques tourments les aura apaisés un peu. En tout cas, je vous en remercie : vous tenez parole. Je préfère savoir la vérité. Toute la vérité. Et vous l'écrivez sans honte. J'imagine sans peine le reste des tracas qui vous assaillent. Je suis sûre qu'un jour, vous trouverez la réponse.

    Torvar, en vous lisant, j'ai entendu les rires. J'ai ressenti la chaleur du feu de camp. Celle des bras d'un certain homme. J'ai tâté la joie que vous décrivez. Je me suis même piquée à l'aiguille de ma broderie imaginaire. Je comprends votre trouble et vos regrets quant à ce temps-là, à votre pays. Je les comprends et les envie. La manière dont vous les évoquez ne trompe pas.

    Pourtant, je ne trouve pas que ça soit en opposition totale avec votre vie d'ici. Je crois qu'il fait beaucoup plus froid, dans les campagnes de vos origines. Il doit falloir davantage qu'un mince tapis de neige pour vous arrêter. Je pense que vos Cosaques doivent être de cet avis. Je peux le dire puisque j'aime marcher l'hiver, quand il neige et qu'on craint à chaque lieue franchie de ne pas retrouver tous ses orteils intacts à la prochaine halte. Il n'y a qu'à cet instant précis qu'on apprécie réellement la chaleur d'un feu. Le confort d'un toit.

    Ces souvenirs bénis, ils sont votre richesse. Ne les confrontez pas à votre présent. Additionnez-les, simplement. Vous avez la chance d'en avoir. Oui, c'est une chance que de pouvoir fermer les yeux et de se souvenir de telles choses. Voyez comme je suis obligée de m'approprier les souvenirs des autres. Votre récit hivernal m'a fait rêvée. Je n'ai pas une telle richesse en moi. Merci de les partager. Vous m'avez donné envie de reprendre la route. D'avoir froid. Mal aux pieds.

    Je crois qu'on part bientôt pour la Savoie. Dès que Mike sort de prison. Il y fait quelque petit séjour. Les Bourguignons ont une dent contre lui. Ce qui se comprend. Alors on attend. Un peu. En Savoie, on retrouvera le froid et un semblant de chez nous, si nos chaumières n'ont pas brûlé entre temps. On va retrouver les paysages abrupts. Le soleil qui se couche tôt derrière les hauts sommets. Les nuages qui se retrouvent coincés toute une journée entre les pointes des massifs. J'aurais l'impression d'être un peu dans votre monde, s'il y fait assez froid.

    Et puis, quand j'y réfléchis, je pense que vos deux mondes peuvent se cotoyer sans mal. Pourquoi choisir l'un en dépit de l'autre ? Votre nouvelle vie vous a fait promettre de vous rendre en Guyenne. Vous vous rendez en Guyenne. Rien ne vous empêche ensuite de vous arrêter pour le restant de l'hiver, quelque part, avec vos Cosaques. Je pense que vous parviendrez à trouver l'équilibre qu'il vous faut. Vous ne culpabiliserez plus d'entraîner vos proches dans votre sillage. Vous serez fier d'eux et puis fier de leur apprendre les coutumes d'ici.

    Je pourrais vous raconter comment je vais, après ça. Mais je mentirai. J'en sais trop rien. Je sais jamais ces choses-là. Je peux vous dire que je me sens en vie, par rapport à il y a quelques années. Je peux aussi dire que la même solitude m'entoure. Même en bonne compagnie. Je peux dire que je souris. Que je m'occupe. Que je pense à vous. Je ne sais pas réellement si c'est une chance que de m'avoir pour presque-femme. Jusqu'alors, ça n'a été une réussite pour aucun de mes époux, même si Elias ne semble pas s'en plaindre.
    Comment est-ce qu'on sait qu'on est heureux, Torvar ? Comment on sait que notre vie vaut la peine d'être vécue ? Qu'on est utile à quelque chose ? à quelqu'un ? Qu'il ne vaut pas mieux laisser sa place à un autre qui saura mieux s'y prendre ?

    Bizarrement, je me réjouis que vous m'envoyiez votre cousin. Il sera une part de vous près de moi. Un peu brute. Un peu pas très causante. Un peu effrayante. Mais je m'en contenterai. Je ne garantis pas cependant de dormir sur mes deux oreilles le temps qu'il sera là ! Il a voulu ma tête, quand même !

    J'ai beau écrire de plus en plus petit, la page s'achève bientôt. Mes mots se tassent. Ils ne représentent pas mes pensées. Ils sont tout l'inverse. Je pense à vous, Oblako. À vous et à bien d'autres choses.
    J'ai hâte qu'il neige. Pour m'inviter un temps dans votre monde.

               Dikaya koshka


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Torvar
Des semaines qu'il était parti en voyage, des semaines qu'il faisait le mort. Le froid était à nouveau entré dans sa vie sous la forme de plusieurs mensonges... à force, Torvar avait décidé de fermer la porte à double tour mais le retour en Bourgogne l'avait décidé à renouer avec ce passé qui avait été son présent durant quelques temps. Il ne savait pas s'il aurait réponse à cette missive mais au moins, il aurait été clair avec lui-même malgré les menaces de Drobomir qui lui avait interdit de reprendre une histoire quelconque avec une "joker" tout autant qu'avec une Epicée. Il lui avait même dit que si l'une ou l'autre l'approchait, il les réduirait au silence. Cela avait fait sourire le cosaque un court instant mais c'était déjà ça... pour rien au monde il autoriserait son cousin à faire du mal à des femmes et encore moins à Eliance mais il savait aussi que derrière cette menace devait y avoir un ordre venant du chef de clan lui même. Matveï ne laisserait pas s'enfoncer Torvar et si le ménage devait être fait... Secouant sa tignasse grisonnante, Torvar ronchonna pour la forme. Le premier qui s'approcherait d'Eliance signait son arrêt de mort. Ses choix étaient faits depuis des lustres et même si cela le torturait, cela ne regardait que lui. Et Dobromir avait été mis au parfum une bonne fois pour toute !

Ce matin-là, à quelques lieues de Cheny, dans une taverne dans laquelle il se réchauffait, le cosaque prit une plume et un vélin afin de faire ce qu'il aurait dû depuis bien longtemps.




Dikaya koshka,

Voilà bien longtemps que je n'ai point pris le temps de vous écrire dérogeant une fois de plus à ma promesse de vous donner des nouvelles. Mais que dire lorsque tout vous semble froid et inutile, que vous vous sentez vous-même d'aucune utilité pour personne ?
Je n'avais pas coeur à vous faire partager mes déconvenues et encore moins mon mauvais caractère. Si seulement vous m'aviez accompagné comme je vous l'avais offert, vous auriez sans doute trouvé les mots à appliquer tel un baume sur ma mauvaise humeur et mon âme malmenée... mais une fois de plus, vous avez préféré la sécurité de votre foyer et de vos amis... je me rends compte que je passerais éternellement en second. C'est le paradoxe de nos chemins Eliance... ils ne sont fait que pour se croiser et se défaire pour mieux se retrouver et sans doute se quitter à tout jamais.

Dans votre dernière lettre, vous m'aviez demandé si je regrettais... Comment le pourrais-je Eliance ? Vous tenir un instant dans mes bras... j'aurais donné tout l'or du monde pour voir accomplir ce semblant de bonheur mais une chose vient obscurcir mon enthousiasme, il est vrai. Une ombre que je ne peux combattre et dont vous dépendez. Mais à cela, je me fais une raison. Vos choix vous appartiennent et jamais je ne les influencerais d'une quelconque manière. Le bonheur est subjectif, la tristesse l'est tout autant. J'ai toujours su au fond de moi que vous ne m'appartiendrais pas entièrement. Une fois établie cette certitude, la vie semble moins amère mais il arrive quelques fois qu'elle se rappelle à vous et quand le moral à foutu l'camp, les piqures sont bien moins plaisantes et plus rudes à combattre. Ceci étant, je m'efforce de trouver du bon dans tout ce que je vis depuis des mois... et je remonte la pente doucement. On ne peut pas toujours être le meilleur tous les jours et encore moins lorsque la solitude vous envahit... c'est ainsi, il faut faire avec.

Mais assez de me plaindre, que devenez-vous Dikaya koshka ? Où êtes-vous ? Avez-vous quitté la Bourgogne pour de meilleurs paysages et de meilleurs entourages capables de comprendre votre chef de file dans son délire de "grandeur" ?
De mon côté, le voyage m'a emmené jusqu'en Anjou où j'y ai retrouvé l'une de mes filles. Catnys la bien nommée. Jolie brin de fille tout comme sa mère l'était, elle a un foutu caractère qui lui vient du froid mais sous ces airs de guerrière couve le feu et je suis fier de ce qu'elle est devenue... comme quoi, un père n'est pas si important même si aujourd'hui elle désire construire quelque chose, je m'essaie à lui offrir ce qu'elle désire dans les limites de mes possibilités. Mais je sais qu'une fois encore, la vie ne nous fait pas de cadeaux, nous mettant chacun d'un côté de la barrière. L'Anjou n'est pas réputé pour être royaliste, la Bourgogne si... à croire que nos vies sont faites de choix qui laissent toujours un gout amer dans nos cœurs et nos âmes.

Sinon pour ma part, je rentre un peu sur mes terres. Je vais prendre le temps de faire le tour de mes vignes, voir si l'hiver ne les a pas trop endommagées et voir si le village de Cheny n'est pas trop malmené lui aussi, entreprendre les travaux qu'ils se doivent et attendre de meilleurs jours pour un nouveau voyage... je pense que ma suzeraine aura à cœur de repartir vendre quelques futs de nos vins, autant s'en donner à cœur joie. Rien ne me retient de toute manière. Percy est parti vivre auprès d'un seigneur qui lui fait son éducation afin de devenir chevalier. Maryah a trouvé quelqu'un de bien auprès de Della, je pense que c'est le principal pour ce petit homme. Le reste appartient au passé.

Voilà, j'en arrive à la fin de ce courrier. Je voulais prendre de vos nouvelles et savoir comment vous alliez... si l'hiver n'avait pas été trop menaçant avec vous ni les autorités...

Que les étoiles veillent sur vous.

T.
Eliance
Qu'y a-t-il de pire que de ne pas savoir où est son mari ? Ne pas savoir où est son mari, manquer de crever toute seule dans son coin, partir à la recherche dudit mari et passer voir le Cosaque en chemin. Eliance est paumée, désespérée et c'est pas près de s'arranger. Mais, Torvar reste Torvar. Les mots reçus plus tôt ont eu un effet certain. C'est simple, la roussi-blonde a oublié tout le reste. La raison du voyage est notamment passée à la trappe et c'est sans complexe qu'elle fait une proposition presque indécente au Cosaque. Ces deux-là ont une propension certaine pour se remonter le moral. Alors autant profiter d'une proximité géographique. C'est du moins à ça que ressemble le programme d'Eliance.

La lettre prend vie rapidement entre les doigts ménudiériens. Il faut se dépêcher. Elle veut la confier à l'aubergiste avant de repartir. Et le départ est plus qu'imminent. Mais elle sait exactement quels mots écrire. C'est toujours comme ça. Ils se couchent docilement sur le papier quand ils sont adressés à Torvar. Et puis, l'espoir d'un sourire prochain l'envahit, met de l'entrain là où il n'y avait plus grand chose. Le prix fort est payé. Il faut que ça arrive au plus vite auprès du seigneur.


Citation:


    Oblako,

    Vous semblez plus sombre que jamais. Plus orageux. Davantage perdu.
    Quel vent vous a égaré ? a soufflé trop fort ? vous a emporté dans la pire des tempêtes ?

    Vous m'écrivez. Peu importe comment. Peu importe quand. Comment. Vous tenez parole. Vous écrivez. Sans mensonge ni rond de jambe. Vous m'écrivez comme vous êtes. Qui vous êtes. Ne vous en excusez pas, s'il vous plaît.

    Et, puisqu'on s'est juré vérité, vous et moi, je dois vous dire que je regrette. Je regrette une chose, Torvar. Je regrette d'être à l'origine de votre noirceur du moment. Je regrette ne savoir être que ça pour vous. Je regrette que les souvenirs ne suffisent pas à vous faire sourire. Je regrette d'avoir dit "non" à votre voyage. Vous me le reprochez. Vous avez raison. J'aurai dû venir. Je ne sais pas prendre les bonnes décisions. Pourtant, je ne regrette rien d'autre. Ni Cheny, ni nos lettres.

    Et si, pour me rattraper (ou voyez ça comme il vous plaira), je vous proposais de passer vous voir ? On a repris la route. Je vous en épargne la raison. On sera dans quelques jours en Bourgogne. Je vous attendrai mardi à Autun. Je serais bien venu à Cheny, mais j'économise les pas dans votre duché, chacun étant assombri de la menace d'une armée. Et puis, allez savoir si votre cousin me laisserait entrer vivante, cette fois-ci.

    Je vous dois une autre vérité, puisque les mauvaises nouvelles semblent nous harceler , vous et moi. Si je n'ai pas compté le temps passé depuis votre dernière lettre, c'est qu'un mal m'en a empêché. En savoir davantage ne vous avancera pas beaucoup. Sachez juste que tout va bien à présent.

    Je suis heureuse que vous ayez cotoyé votre fille. Une qui ne veuille pas vous tuer, j'entends. Ne négligez pas ce que vous pouvez être pour elle. On n'a jamais le père dont on rêve. Pourtant, en avoir un est bien mieux qu'un grand vide, je suppose.

    N'oubliez pas. Autun. Mardi.
    J'aimerai tellement vous y voir. Et observer le nuage changer de couleur, s'éclaircir et monter plus haut dans le ciel.
    La décision vous appartient. Cette fois.

    Je ne me fais pas plus longue ici. Il nous reste encore de la route à faire avant la nuit.

    Dikaya koshka



_________________
             
                                            
Torvar
Quelques instants dans une taverne après des lieues avalés à la va-vite pour la retrouver et au final pour en faire quoi ?
Torvar avait écouté, observé puis avait refermé la porte à sa manière. Que pouvait-il faire ou dire de plus ? Bien qu'Eliance était prête à leur offrir quelques jours, lui avait décidé de tourner la page. Il ne serait pas celui qui l'entrainerait dans la tombe, pas elle.

Prenant plume et vélin, il devait lui faire une réponse à ces mots énoncés la veille au soir dans un courrier tandis qu'il faisait déjà route vers Cheny.





Eliance,

Effectivement, les choix sont fait à nouveau j'ose constater. Mais il fallait bien les faire un jour afin de vous protéger de vous-même.
Vous m'avez confié avoir été mourante durant l'hiver et je n'étais pas là... Vous avez perdu un être... qui aurait ressemblé à son père j'en suis certain... alors je ne mettrais pas votre vie en danger plus longtemps pour quelques instants de bonheur. Je ne suis pas votre mari, je n'ai aucun droit. Vous avez décidé de rester auprès de ce compatriote qui n'est rien pour moi alors vivez et aimez-le comme il se doit. Je ne suis rien... Je n'ai jamais rien été. Un amant de passage qui vous offre la mort ? Très peu pour moi. Je tiens trop à vous pour être responsable de ce qui vous arrive.

Égoïste ? Tout à fait et j'assume. J'ai perdu assez de femmes pour savoir qu'une de plus et c'est moi qui me laisserait happer par la faucheuse. Ne m'en mandez pas plus Eliance... cela serait au-dessus de mes forces. C'est aussi pour cela que j'ai refusé de vous accompagner à Nevers. La séparation aurait été trop difficile. Je ne suis pas comme ces menteurs qui profitent des autres... j'aurais pu prendre ce que vous me donniez et m'enfuir par après mais ce n'est pas moi.

Nos souvenirs sont beaux pour la plupart... ils le resteront dans nos mémoires. Il ne faut pas forcer les choses et prendre ce que la vie nous offre. Notre parenthèse se ferme doucement et vous continuerez votre gentille vie auprès de votre russe de mari et de vos amis Jokers. Admettez quand même que pas mal d'obstacles se dressaient devant nous et que ni l'un ni l'autre désirions réellement les franchir. Quand nous avons eu l'opportunité, nous avons rebroussé chemin... cela veut tout dire... Vous n'êtes pas prête à tout quitter pour moi, je ne suis pas prêt à vous enlever à ceux en qui vous avez le plus confiance... ainsi va le monde Eliance. Il est fait d'aller et de retour et puis un jour, tout s'arrête... la vie aussi s'arrête doucement pour tout le monde... c'est un fait avéré, il faut juste l'admettre.

Je ne sais si on se reverra... je ne sais même pas de quoi demain sera fait mais j'espère que vous essaierez de cultiver un peu le bonheur qui est à votre porte. Donnez-lui la chance d'exister avec votre entourage et arrêtez donc de traverser la vie comme si vous n'aviez plus rien à vivre et que rien ne vous touchez. Il faut prendre des risques et aimer... un peu, beaucoup, passionnément... et puis respirer et se dire qu'on a bien avancé dans sa vie, que tout ça n'était pas inutile et qu'on se sent aujourd'hui bien vivant... Je l'ai fais... et aujourd'hui je savoure ces moments même s'ils ne sont plus que des souvenirs, de beaux souvenirs...

Prenez soin de vous... au moins toujours !

T.
Eliance
***


Rencontre brève, furtive. Trop brève, trop furtive, au goût d'Eliance. Mais il a dit revenir. Alors elle a attendu. Et attendu. Et à part un fou furieux en soutane et un type peu causant, personne n'est réapparu. Pas celui tant attendu, du moins. Alors elle a pris sa mine de plomb. Que faire d'autre alors que le vide est là ?


Citation:

    Torvar,

    Sans doute vos achats vous auront procurés quelques difficultés. Je vous ai attendu.
    Du coup, je n'ai pas eu l'occasion de vous proposer quelque chose. Alors je le fais ici.

    Venez avec moi. Une journée ou davantage.
    Nos échanges m'ont paru si brefs, si étranges. Peu importe que vous hiberniez. Je vous propose un peu de printemps avant l'heure.

    Nous serons demain à Nevers. Y serez-vous ?

    Eliance




Une lettre en retour lui est parvenu dans la soirée. Preuve inconditionnelle qu'il pense à elle. Malgré tout.




Eliance,

je suis désolé de ne pas être réapparu... mais je pense que c'était mieux ainsi. En y réfléchissant ça ne pouvait pas être mieux.

Je ne viendrais pas à Nevers avec vous.
Vous avez fais un choix il y a quelques temps et nous en avons assumé les conséquences... vous et moi... vous et lui... et vous au bord du gouffre de la mort... Pour rien au monde je n'aurais voulu vous entrainer dans ce jeu là et mettre votre vie en péril aussi, je me retire de ce petit jeu malsain.

Je vous laisse à vos amis et à votre mari.Je vous laisse à vos propres tourments qui ne viendront plus de moi, je vous laisse à votre vie parce que je ne veux pas que vous vous considériez comme celle qui m'apporte des tourments. Pour l'heure vous êtes la seule à être tourmentée et je ne le supporte pas.

Je pense qu'un jour ou l'autre nos chemins se recroiseront mais comme nous sommes des gens civilisés, nous saurons nous tenir sans nous sauter à la gorge pour un passé qui reste un merveilleux souvenir. Mais comme tout bon souvenir, il est à sa place dans nos mémoires.

Prenez soin de vous Eliance, jusqu'à toujours.

T.



Un coup de massue. Rien n'est jamais simple, avec eux. Mais là... elle pensait seulement... à pas grand chose, en fait. Mais un besoin viscéral de le voir, de plonger son regard dans le sien, d'entendre sa voix caverneuse s'était fait ressentir. Sauf qu'il en a décidé autrement, le Cosaque.

Citation:

    Torvar,

    Je n'aurais pas cru qu'on ait quelque chose de semblable. Vous, si grand, fort, hivernal. Moi si peureuse, faible. Et pourtant, vous fuyez, vous aussi, du haut de votre caractère. Vous fuyez quand je parviens à vous proposer quelque chose. Vous vous cachez derrière des raisons absurdes. Des tourments que vous estimez venir de vous.

    Vous vous trompez. Vous rencontrer aujourd'hui, je l'ai choisi. Je l'ai voulu. Que vous m'accompagniez quelques jours aussi. Ce qui me tracasse n'a rien à voir avec vous. Vous me reprochez de ne jamais oser, de ne pas savoir choisir. Quand je le fais, vous fuyez. A chaque fois. Du moins, pour la seconde fois.

    Toujours raisonnent les "adieu", dans pareilles cirscontances. Laissez-moi vous en vouloir pour ça.
    Je m'inquiète pour vous. Vous me repoussez. Je n'insisterai pas. Chacun ses choix. Vous me l'avez assez répété. Je n'insisterai pas. Je ne vous forcerai pas à me parler. Ni à supporter une autre rencontre. Je vais tenter de respecter votre liberté et votre conscience.

    Vous avez choisi. Mal. Comme j'ai mal choisi plus d'une fois.
    Cependant, vous avez promis de m'écrire. De me donner des nouvelles, de vous.
    Je déteste vos mots, quand ils sont aussi ternes. Mais je les préfère à un lourd silence.
    Si j'avais moins peur, j'aurais tant de choses à vous dire. A vous confier.

    Je pars ce soir en laissant une grande chose auprès de vous. J'espère quelle saura vous choyer parfois. Ce souvenir, que vous évoquez, il me manque. J'aurai aimé l'étoffer.
    Je guetterai malgré tout, demain, à Nevers, si votre ombre ne me surveille pas, de loin. J'ai l'espoir tenace.

    Eliance


Bêtement, Eliance a gardé espoir. Elle sait pourtant les humeurs maussades de l'homme pas seulement passagères. Elle sait ses décisions fortes. Elle a quand même espéré quelque chose. Sans savoir pourquoi, malgré les mots tracés, elle est restée à Autun. Elle ne le cherchera pas. Elle ne provoquera rien. Elle a besoin d'être là, encore et de tenter de sentir sa présence. Puisque lui est reparti.

***


Un énième adieu lui vient dans la dernière lettre du grisonnant. Un adieu pas comme les autres. Un doux. Bourré de remords et de détresse.

Que répondre à ça ? Il est certainement l'homme qui s'inquiète le plus pour elle. Qui s'interroge le plus sur son bien-être. Celui qui se sacrifie toujours un peu plus pour espérer l'épargner des noirceurs de la vie. Celui qui se trompe le plus, aussi. Les noirceurs sont en elle comme en chacun. Elle a pleuré, en lisant les mots de Torvar. Bêtement pleuré. Et elle s'est perdue entre ce qu'elle a cru déceler dans ses mots et la réalité. Entre ses peurs tenaces et les faits.



Citation:

    Torvar,

    C'est donc ça. Pour ça. Je n'aurai pas dû vous dire ce qui est arrivé. Vous n'auriez jamais su. Vous seriez resté.

    Vous n'auriez pas pensé que je suis une incapable. C'est ce que vous pensez, n'est-ce pas ? Vous avez raison. J'ai jamais su en garder un vivant. J'ai jamais su quand ils étaient en moi. Je vous l'avais dit. Vous aviez répondu que c'était pas important. Je vois aujourd'hui que ça l'est, en fait.

    Pardon.
    Je n'ai que ce mot à l'esprit. Je me sens plus coupable que jamais.
    Pardon.
    Vous méritez une vie plus belle. Vous avez raison.
    Pardon.

    Je n'ai plus rien à ma porte.


La roussi-blonde a plié le papier sans signer. Comment apposer un nom quand on ne sent plus personne ?

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Torvar
Voyant qui les avait rejoint le soir à l'écurie, Torvar s'était tenu en retrait comme il l'avait fait durant toute cette semaine... ses prunelles allaient et venaient sur chacun d'entre eux puis finalement, il avait pris sa besace et il était retourné à l'auberge, s'était enfermé dans une chambre sans aucune lumière et là, allongé sur le lit, il avait pensé.... jusqu'à ce que sa décision fut prise.




Eliance,

Il me semble que nous sommes arrivés au bout du chemin cette fois. Et rien n'y personne ne pourra plus rien pour nous.
J'ai toujours essayé d'être sincère avec vous... j'ai toujours voulu faire au mieux de vos intérêts et lorsque Mike m'a écrit, là encore je n'ai pas hésité mais devais-je vraiment le faire ? On ne saura jamais puisque envers et contre tout je suis venu...

Je suis venu, je vous ai épaulé, du moins j'ai essayé et puis j'ai osé une folie... vous demander de m'épouser... les rêves ne sont pas faits pour être réalisés n'est-ce pas ?
Vous n'avez jamais répondu à ma proposition, vous êtes restée... lointaine et froide comme à l'ordinaire, peu encline à vous engager... et comme à l'accoutumée, j'ai respecté.

Aujourd'hui, Mike a décidé d'aller faire des siennes en Bourgogne, je ne vous y accompagnerai pas. Réel ou pas, je me fous de l'idée qui lui traverse l'esprit mais comme je sais que vous allez lui être fidèle, je ne puis continuer à cautionner. La Bourgogne est ma terre d'adoption et je n'y commettrais aucune exaction. De plus, le russe est revenu... je pense que l'on n'a pas besoin de détails pour savoir que votre place va vite être retrouvée... vous n'avez plus besoin de moi mais avez-vous eu un jour réellement besoin de mon épaule pour vous sentir mieux, de mes sentiments pour apprécier la vie, de mes mots pour voir les choses autrement ?

Je vous rends donc à lui et je disparais... il y a bien une guerre qui saura m'appeler. Il parait que le roy recherche des lames, je saurais bien mettre la mienne à son service, une fois de plus...

Je ne vous dirais pas de prendre soin de vous, cela me parait inutile... Elias veille toujours dans l'ombre tout comme Mike. Vous avez assez de chevaliers à vos pieds pour vous passer d'un troisième... il y a des choses qu'il vaut mieux laisser au passé.

Une page se tourne, votre destin vous attend... je garde en souvenirs nos moments passés ensemble, le reste n'a plus qu'à être enterré... vous pouvez dire au russe que... rien, s'il est intelligent, il saura ce qu'il a à faire...

T.
Eliance
Citation:


    Torvar,

    Je crois que j'aurais préféré une lettre d'insultes. Ou de reproches. Ou quelque chose de méchant, très méchant, comme vous savez en sortir quand vous êtes bien énervé. En fait, votre lettre contient des reproches. Mais pas assez. Je sais pas. Votre lettre est trop... morte. Elle me glace les doigts dès que je la relis. Et croyez-moi, je l'ai lu un bon paquet de fois. Mais à chaque fois, j'arrive pas à vous répondre, après ça. Je sais pas comment faire. Quoi écrire. Mes doigts veulent pas le faire. Je crois qu'aujourd'hui, je vais y arriver.

    D'habitude, quand vous partez, je vous déteste pour ça. Et je trouve un certain réconfort à pouvoir m'adresser à vous avec de l'encre et du papier. Là, je ne sais même pas si vous lirez ma lettre. Je ne sais pas si vous ne la ferez pas bouffer par votre cheval avant de la déplier.

    Et je ne sais pas quoi vous écrire, à part que j'aurai voulu qu'on ait plus de temps. Pour parler de tout, de rien, de vos idées, vos propositions, nos tracas, nos peurs. J'aurai surtout voulu qu'on arrive à se causer sans qu'un Berrichon épie à quatre pas nos moindres faits et gestes. Vous me reprochez d'avoir été froide, lointaine. Souvenez-vous que vous m'avez appelé « rouquine ». N'est-ce pas froid et lointain, aussi ? Les torts sont partagés, cette fois. Pour ça.

    Quant à votre demande un peu folle, j'aurai aimé vous dire combien ce genre de chose m'effraie. Je n'y ai pas répondu, parce que je crois que ce n'était pas le moment de demander ça. J'étais pas prête. Vous veniez d'arriver. Je venais de vouloir mourir. Et vous me demandez de m'engager à vous rendre heureux. Comment est-ce qu'on fait ça quand on n'arrive même pas à vouloir vivre plus d'une année entière d'affilée ? Comment est-ce qu'on fait quand on n'a pas trente ans et qu'on en est à son troisième mariage loupé ? Comment on fait pour rendre quelqu'un heureux alors qu'on est soi-même une ratée ?

    Je n'ai pas répondu, parce que je ne le pouvais pas. Je ne pouvais pas dire oui. Enfin, si. J'aurai dit oui, au bout de quelques jours, si vous étiez resté. J'aurai fini par dire oui, parce que vous m'auriez fait voir des nuages lumineux, doux et annonciateurs de beau temps. Pourquoi m'avoir demandé ça, Torvar ? Croyez bien que mon silence n'était pas un refus. Quand je pense « non », je le dis. Je l'ai déjà fait. J'ai déjà refusé des demandes comme celles-là. Sans tarder. Sans réfléchir. Quand j'attends, c'est un « oui » en suspens. J'aurai aimé que vous le compreniez. Un Dikaya koshka m'aurait rassuré. J'aurai aimé l'entendre de votre bouche. J'aurai aimé voir dans vos yeux cette lueur que vous avez eu à Cheny. Quand je suis venue vous voir. J'aurai aimé qu'on se retrouve mieux. Seuls. J'aurai aimé qu'on ait le temps, pour ça. Alors, j'aurai pas hésité à vous répondre.

    Vous avez pris mon silence pour un refus. Et puis vous avez fui. Encore une fois. Je ne vous le reproche pas. Je vous comprends. Enfin, si, je vous le reproche. Vous n'auriez pas dû partir. C'est la chose la plus stupide que vous ayez faite. Vous m'avez toujours reproché de vous faire passer en second. Ce jour-là, vous étiez le premier, Torvar. Vous étiez là, pour moi. Et vous avez fui. Vous avez cru... Je ne sais pas. Elias est venu récupérer une chose qu'il m'avait confié. Il est venu, on a parlé et je lui ai dit. Il sait. Le secret n'en est plus un. Mais vous avez fui. Comme au temps où vous aviez l'impression de passer toujours en second. Vous vous imaginez des chevaliers servants. Réellement ? Vous pensez ça ? Elias ne veille plus. Ni dans l'ombre ni nul part. Mike n'a jamais veillé. Il est seulement là quand j'ai besoin qu'il me défigure ou me coupe les cheveux. Et encore, la moitié du temps, il se rate, l'idiot. Et c'est moi qui lui suis utile.

    Mais vous me voyez donc comme ça. Une femme avec des hommes à ses pieds, prêts à tout. J'ai encore l'impression que vous inventez une partie de qui je suis. Comme la dernière fois, où vous m'aviez un peu insulté. J'aime pas quand vous faites ça. Inventer qui je suis. Je ne sais pas forcément qui je suis. Mais je n'ai pas ces chevaliers servants dont vous parlez. Je n'ai jamais été aussi seule qu'aujourd'hui. Et j'ai peur. J'ai peur de ne plus jamais lire vos mots. Des nouveaux. J'ai peur de ne jamais vous revoir. J'ai peur de ne jamais vous réentendre. J'ai souvent eu besoin de vous. Quoi que vous en pensiez.

    Aujourd'hui, je suis seule et j'ai peur.


    Eliance


    PS : N'oubliez pas votre promesse. Si il vous arrive une mauvaise chose dans une guerre, vous devez me faire appeler.
    Je ne parlerai pas. Je ne vous demanderai rien. Je m'occuperai de vous et repartirai. Une promesse est une promesse. N'est-ce pas ?



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Eliance
Elle a ressorti sa robe de deuil. L'immonde chose qu'elle a acheté avant de partir de Savoie, le jour où elle s'est décidée à enterrer son âme. Ce n'est plus de son âme qu'elle est en deuil. Mais d'une personne. D'une vraie. Alors elle a enfilé ce machin. Sauf qu'à part se couvrir de noir, elle ne sait pas quoi faire d'autre. Aller prier dans une église serait certainement inconvenant. Se rendre dans un cimetière ne sait pas mieux.

Elle n'a trouvé qu'une chose : écrire. Tout a commencé comme ça. Cela ne peut s'achever que de la même manière. Par une lettre. Il ne la lira pas. Mais s'adresser à lui une dernière fois semble vital à Eliance. Si la rédaction a été plus qu'éprouvante, elle prend à présent soin de plier le papier consciencieusement. Sans doute ce dernier sera-t-il gondolé par sa peine. Mais le feuillet disparaît de sa vue, lentement, alors qu'elle rabat d'abord le haut, puis le bas. La tâche est pratiquée avec minutie, lentement, comme un ultime au revoir.

Plus tard, elle rédigera une autre lettre. Moins douloureuse. Plus pratique. Plus impersonnelle, aussi.


Citation:

    Dobromir,

    Maryah m'a averti, pour Torvar.
    Et je ne sais pas ce qu'il est coutume de faire, en la mémoire de quelqu'un, par chez vous.
    C'est ce qu'il attendait depuis longtemps, disparaître pour trouver l'apaisement.
    N'empêche que je ne parviens pas à m'en réjouir.

    Alors j'ai écrit une lettre, pour Lui. Vous la trouverez avec celle-ci.
    Je sais qu'il ne la lira jamais.
    Mais est-ce que vous pourriez la mettre avec lui, si il est enterré ?
    Ou la brûler, si vous l'avez brûlé ?
    Ou, je ne sais pas, la glisser dans ses affaires si vous les avez conservées ?

    Je vous en serai reconnaissante. Et suis votre dévouée, pourvu que cette lettre soit près de lui. Demandez-moi ce que vous voudrez, en échange, je le ferai. Je vous en prie...

    Avec tout mon respect,

    Eliance




Spoiler:
Citation:



    Lettre morte


    Adieu et à jamais

    Vous me l'avez dit, écrit si souvent... Mais toujours, je vous revoyais. Je savais qu'un départ dans le silence serait la fin. J'ai craint si souvent ce silence. Il a fini par arriver. Je n'ai pas voulu y croire. Vous étiez à Sarlat. Tout allait bien. Vous aviez à faire. Si vous saviez comme j'ai attendu, comme j'ai espéré. Vous n'êtes jamais revenu. J'ai dû me contenter d'ultimes reproches, sur un papier. Je les ai oubliée. Je veux les oublier. Ces mots n'existent pas.

    Vous m'avez tué, Oblako. Je n'arrive pas à me relever. Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas comment faire. J'aurai aimé vous voir sourire, encore. J'aurai aimé être pour toujours ce petit chat sauvage qui égayait vos vieux jours. J'aurai aimé... J'ai changé, pour vous. J'ai fait un choix. Il n'y avait plus que vous. Elias est parti, pour vous. Je vous aurai épousé. J'étais prête à vous suivre au bout du monde. Je ne sais pas où vous chercher. Où vous trouver. Je piste constamment une ombre incertaine. Un brouillard hasardeux qui s'en va si je ne fais pas attention. Qui joue à cache-cache avec ma peine.

    J'aurai dû faire davantage attention à vous. J'aurai dû vous obliger à coucher à l'abri, et pas avec votre cheval. J'aurai dû vous accompagner sur les chemins. Tant pis pour Maryah. J'aurai dû prendre soin de vous. J'aurai dû voir que vous n'étiez pas en état pour repartir. J'aurai dû... panser vos blessures, comme j'avais tenté d'apaiser votre âme. Est-ce que j'y suis arrivée, un peu, Torvar ? oh... dites-le moi... Dites-moi que j'ai été utile. Que je n'ai pas été qu'une potiche. Dites-moi que vous m'avez aimé. Dites-moi que les mots de Maryah ne sont que mensonges...

    Votre départ est une torture. Votre mort un gouffre. Je ne vois plus de lumière. Il n'y a rien. Que du noir. Du loin. Du rien.

    Vous n'auriez pas dû partir. Vous auriez dû me tuer. Pourquoi m'avez-vous laisser comme ça ? Vous m'avez oublié, dans votre libération. Vous êtes cruel.

    Je vous ai détesté. De votre départ. Je n'y arrive plus. Je ne sais toujours pas, pourquoi vous êtes parti. Je ne sais pas si vous comptiez revenir. Je ne sais rien. Juste que vous ne pourrez pas revenir. Même si vous le vouliez. Vous reveniez toujours. Comment va-t-on faire, Torvar, pour se retrouver par hasard ? Vous m'avez laissé seule ici.

    Est-ce qu'au moins, là où vous êtes, vos tourments se sont tus ? Est-ce que c'est tel que vous l'imaginiez ? Est-ce que vous y êtes bien ? Est-ce que... non. Je ne vais pas écrire ça. Je ne veux pas savoir si vous avez retrouvé votre femme. Ça me rend stupidement jalouse. J'espère que vous avez atteint l'apaisement tant attendu. Ma tête est bourrée de reproches à mon encontre. J'ai souvent pris les mauvaises décisions. J'aurai pu être veuve, aujourd'hui. J'aurai pu vous pleurer au grand jour. J'aurai pu vous dire adieu. Vous embrasser une dernière fois.
    Je ne suis rien. Je me cache. Je ne peux que toucher nos souvenirs. Et supplier votre cousin que cette lettre vous accompagne.

    Je n'arrive pas à lâcher cette lettre. Ne plus vous parler, ne plus vous écrire.
    Si vous saviez... Si vous saviez comme c'est dur de vous dire adieu.

    Je vous ai aimé, Torvar. Je vous aime encore. Sans doute vous aimerai-je toujours.

    Adieu et à jamais

    Dikaya Koshka

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Dobromir



    Le froid s'était installé sur les contrées de mon pays tout comme dans mon cœur et celui de mon peuple. Pleurer un guerrier mort n'avait pas de sens pour nous, les hommes, on laissait cette tâche à nos femmes qui le faisaient si bien. Les pleurs, les cris, les prières pendant que nous autres nous nous contentions de rire et de boire afin de célébrer l'esprit et la force qui étaient des nôtres. Mais l'amertume est là, jonchée dans le creux de mon cœur, louvoyant sournoisement dans ma tête.

    Je repense à chaque instant passé dans ce royaume lointain et je me dis que tout ceci aurait pût, dû, être évité. Si j'avais été plus vigilent, si j'avais été plus regardant, si j'avais mis les barrières qu'il se devait mais j'ai laissé faire parce que Torvar le souhaitait ainsi. Je n'aurais pas dû… j'en ai parlé à Matveï et il m'a conseillé de partir, seul, durant l'hiver. Je lui laisserais mon fils et je chercherais les réponses que je ne trouve pas à l'heure actuelle. Mon esprit est trop confus alors j'ai décidé de rendre visite au vieux chaman de la tribu qui vit retiré dans l'Oural. C'est un long voyage mais j'aurais tout le temps de comprendre les choses. Mais avant je me dois de répondre à la rousse. Après, cela ne sera plus de mon ressort.




    Eliance,

    Les mots me manquent pour parler de lui. Il est… il était le plus juste d'entre nous tous et son envie de partir n'avait de cesse que de trouver l'apaisement afin de laver les péchés qu'il avait commis. Car peu le savait, si Torvar était un guerrier et qu'il tuait sans aucune compassion, il était aussi un homme et une âme qui avaient dû, parfois, ôter la vie sans que cela soit une nécessité. De ces fantômes, beaucoup venaient le hanter… Nous avons tous nos tourments à porter jusqu'à ce que le froid vienne nous saisir et nous emporter. Mais trouve la force de sourire Rouquine, Torvar n'aurait pas aimé te voir triste. Il n'aimait pas te savoir l'esprit vagabond à cause de lui, à tendre vers les abysses. Il disait toujours que le fait de te voir sourire était une victoire sur la vie. Et on peut dire que tu as été une adversaire coriace !

    La vie n'apporte pas toujours ce que l'on souhaite. J'ai su pour cet hiver…et sache qu'il aurait aimé l'enfant même s'il n'avait pas été de lui. Aujourd'hui, le vent a dispersé tout ce qui lui ressemblait de près ou de loin, la boucle est bouclée, le temps fera son œuvre et nous permettra dans quelques mois de nous rappeler de lui avec fierté même si ce n'est pas encore évident. Tu as été celle de ses derniers instants, je te considère comme sa dernière femme même si tu avais osé lui dire non. Il fallait une sacré dose de courage pour le faire et tu as gagné le respect que je lui devais.

    A cet effet, je te joins la pierre d'ambre qu'il portait à son cou.
    Pour notre peuple, c'est une amulette de protection des grands voyageurs mais c'est surtout le lien indestructible du mariage. Il te l'aurait donné s'il avait eu le temps de te faire changer d'avis et aujourd'hui, c'est une évidence qu'elle te revient.
    Garde-la comme un précieux cadeau que nous te faisons.

    Pour le reste… il n'a pas été enterré comme le demandent vos coutumes. Ici le sol est trop froid et nous craignons les charognards alors comme tout grand guerrier, il a brûlé de mille feux au sommet d'une montagne afin de se rapprocher de ceux qui l'attendaient. T'avait-il parlé des étoiles Eliance ? De celle qui marque le destin de chacun. T'avait-il dit que la nuit de sa naissance, aucune étoile n'avait brillé dans le ciel… cette nuit-là, elles ont réparé cette erreur. Elles sont venues pour lui, le guider au travers de l'au-delà... c'était quelque chose de voir ça...

    Je me suis permis de lui lire ta lettre et de la brûler ensuite là où lui-même avait reposé. Il me paraissait évident que tes mots devaient résonner dans le firmament afin de lui être porté. Quand tu recevras celle-ci, ferme les yeux un instant et sans doute que la brise viendra te chuchoter quelques mots. Il faut croire parfois à ce qui n'existe pas, croire que même s'il n'est plus, une petite parcelle de lui reste dans l'infini monde et nous regarde en souriant.

    Il est temps maintenant. Il est temps pour moi de te dire au revoir Rouquine car je m'en vais.
    Il n'y aura plus de courrier entre nous. Je pense t'avoir tout dis concernant Torvar, il me faut entreprendre un long voyage à mon tour afin d'avoir des questions à mes réponses.
    Nous ne nous reverrons jamais mais je suis certain que tu sauras continuer ta route comme tout à chacun.

    Adieu Eliance.

    Dobromir.



    La lettre fut confiée à un coursier qui ferait parvenir au Royaume de France et à qui de droit ce dernier courrier. La page se tournait et je pouvais enfin partir l'esprit libre.
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