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[RP] Chose promise, chose due

Wallerand
Lou Moun, mi-avril 1463. D'une belle et grande maison de pierre récemment acquise par une jeune comtesse émergeait à grandes enjambées un homme au sourire heureux. Inhabituellement débraillé, il tendit l'éclatant tintement des cloches et tomba de la marche dans la course. Il n'avait pas un instant à perdre... Tel qu'il était parti, il aurait réellement du retard. C'était bien beau de le prédire, ça aurait été mieux de l'éviter ! Aussi fut-ce une vraie trombe qui poussa la porte d'une auberge, proche de la salle de doléances, où il avait pris ses repas pendant un moment avant d'obtenir de la patronne une triple livraison hebdomadaire pour ses soupers. Et la trombe tonna, à l'adresse d'Adalarde la bourrue, qui ne manquerait pas de lui rappeler son surnom préféré :

Adalaaaaaarde !
Qu'est-ce qu't'as, à beugler comme un viau, l'Wallchiant ?
Bah... J'ai une invitée ce soir, tu pourrais allonger un peu la marmite, s'il te plait ? Du coup, je reviendrais demain pour te reprendre quelque chose.
C'est-y pas qu'tu invites du monde ! Coquin, va, t'as mis l'grappin sur qui c'te fois ? Une blonde, une brune ? T'as osé une rousse ? Elle vient d'où, la donze ? Dis-moi qu'c'est pas d'la gueusaille puante de traine-la rue, hein, t'as pas assez faim pour ça ?
Pas de gueusaille, non... Et c'est pas comme s'il y avait du monde dans ma vie, hein, tu sais tout.
Moui moui moui, je vois ton oeil égrillard ! Confesse-toi à la bonn'mère Adalarde !
Je te dirai ça plus tard... Bon, tu as la deuxième portion ?
Mais oui, j'l'ai ! File, t'encombres l'auberge, j't'envoie le p'tiot. Zou ! Zou !


Un large geste du balai agité par la patronne accompagna la péremptoire assertion, si large qu'il manqua de toucher le Beauharnais à la pommette. Reculant, les mains levées en un geste de défense, il se sauva sur un rigolard : Merci beaucoup, ne va pas l'éborgner avant de me l'envoyer ! Rue des pendus, au-dessus de chez le savetier !

Une bonne chose de faite. Ne restait plus que... Dans l'ordre... Passer chez un boulanger pour avoir du pain à tranchoir. Passer chercher une ou deux brassées de fleurs odorantes à répandre chez lui pour ôter l'odeur du cuir montant de l'échoppe du savetier. Rentrer à l'appartement et allumer un feu pour tenir la marmite au chaud. Nettoyer l'appartement. Se laver. Et se changer. Facile ! N'importe qui en aurait fait autant... Aussi, au pas de charge, Wallerand s'engagea-t-il dans les allées bien connues du marché de la capitale gasconne, à la recherche de la marchande de fleurs qui l'avait sauvé deux mois plus tôt. Deux mois... Il n'était plus le même homme. Celui qui vivait avec Sashah se prosternait devant une idole qu'il souffrait de ne pas arriver à rendre heureuse et dont il sentait confusément qu'elle ne ferait aucun effort pour s'adapter quelques mois encore à son rythme de travail. Le Wallerand vieilli de deux mois était un homme éperdu, touché, conquis, sorti d'un éveil du coeur pour entrer dans un sentiment plus profond, plus complexe, plus puissant. Un homme neuf. Un homme heureux, tout simplement.

Bientôt, il avait la bourse allégée de quelques écus et les bras encombrés d'une jonchée de tiges d'iris longues, à l'enivrante odeur de renouveau, ainsi que d'un grand pain dans lequel il pourrait tailler les solides tranchoirs nécessaires pour se régaler de l'axoa d'Adalarde. D'un pas vif, ralenti cependant par la crainte de perdre une partie de sa précieuse cargaison, le jeune homme se taillait un chemin dans les rues encombrées de la ville, jusqu'à retrouver l'entrée bien connue de la rue des pendus. Quand il avait acheté l'appartement à un bourgeois désireux de doter l'une de ses filles, il avait vu un signe dans le nom de la voie. Désormais, il préférait y associer le mythe du pendu dépendu. "J'aimerai de nouveau quand le coq qui est sur cette broche se couvrira de plumes et se remettra à chanter !" Eh bien, les miracles devaient exister...

Sur un salut au savetier qui occupait le rez-de-chaussée de la bâtisse, le Beauharnais s'engouffra dans une étroite porte cochère qui donnait dans une cour, à l'arrière de l'échoppe, au milieu de laquelle se dressait un petit kiosque abritant un puits. Tout autour s'ordonnaient les encorbellements irréguliers de murs de torchis aux poutres sculptées, peintes de couleurs plus ou moins défraichies. Au rez-de-cour s'alignaient diverses échoppes qui entretenaient une joyeuse activité étouffée par l'avancée des murs. A chaque étage courait autour de cette cour une galerie de bois, soutenue de solides poutres faisant office de colonnes. Un escalier en colimaçon, à chaque angle, desservait cet étonnant agencement, qui avait arrêté la décision du jeune homme. Empruntant sans hésiter l'escalier qui le rapprocherait le plus de la porte de son appartement, il en gravit quatre à quatre les degrés, paniqué désormais à l'idée de manquer de temps, et poussa la porte de son chez-lui montois.

L'appartement était constitué d'une seule pièce, plus longue que large, dotée à une extrémité d'un petit âtre. De l'autre côté s'étirait un paravent, derrière lequel se devinait un coin du lit du Beauharnais et deux coffres placés bout à bout, l'un renfermant l'essentiel de sa garde-robe et l'autre servant au linge de maison. Au milieu de la pièce trônait une table de bois massif - et ça avait été une vraie galère, partagée avec le bon savetier du rez-de-chaussée, que de la hisser jusque là -, accompagnée de trois tabourets. Il n'avait jamais spécialement invité dans cet espace réduit éclairé par deux fenêtres à encadrement de bois sculpté, préférant aller retrouver du monde en taverne plutôt que de confiner ses amis dans un local assez restreint. Le plancher grinçait amicalement sous son pas à certains endroits. Près de l'âtre, à côté d'un balai appuyé au mur, d'un certain nombre de bûches et d'un seau, gisait un long bâton, proche de ceux qu'affectionnaient les pèlerins, et un siège à haut dossier trônait à côté d'une bibliothèque. Sur ses rayonnages s'étalaient principalement des feuillets empilés, divers ustensiles allant du couteau à la louche en passant par la cuiller, et quelques boîtes de bois, renfermant Dieu sait quel vrai ou faux trésor, comme une bague dotée d'un disgracieux chaton en forme de crapaud censé porter bonheur.

Retrouvant cet environnement familier, le Beauharnais avança à longues enjambées pour déposée la jonchée sur son lit. Le coup de balai fut rapide et expéditif. Il manquait de temps, il le sentait, il le savait. Bêtement, cependant, il ne raviva les braises qui mouraient tranquillement dans l'âtre qu'après cela, et projeta donc de la cendre un peu partout autour de lui. Pestant contre sa propre maladresse, il réitéra son rapide ménage avant de disposer une modeste nappe écrue sur la table et de disposer les iris sur les coffres et de chaque côté des futurs tranchoirs. Qu'est-ce qu'il restait à faire ? Attendre le commis d'Adalarde. Se laver. Se changer. Et... C'était tout ? Oh, tant qu'à faire, couper les tranchoirs. Ni une ni deux, c'était expédié, un nouveau coup de balai poussait les miettes dehors et un seau d'eau lui procurait de quoi se laver sommairement, sans crainte du regard des badauds, sur la galerie. Au moins, il n'en mettrait pas partout à l'intérieur...

Evidemment, le commis arriva au plus mauvais moment, quand un Wallerand vêtu uniquement de ses braies s'apprêtait à passer une chemise et le pourpoint qu'il prévoyait d'étrenner ce soir-là. Il lui fallait une grande occasion... Aussi fut-ce torse nu, sous l'oeil effaré du garçon d'une douzaine d'années envoyé par Adalarde, qu'il lui fit un grand signe du bras en lui enjoignant de montrer. Tout en dignité, le Wallchiant. Ca confinait à l'art... Bref, une fois le garçon revenu de sa surprise face à son client - qui paya dument ce qui avait été convenu avec la patronne augmenté, évidemment, du surplus nécessaire -, l'axoa livré dans une petite marmite fut remis à chauffer sur l'âtre.

Et les cloches sonnèrent. Panique, stupeur ! Etait-il donc déjà l'heure ? Comme un fou, le Beauharnais se précipita sur les habits qu'il n'avait pas encore eu le temps de mettre. La chemise fut rapidement lacée, le pourpoint passé, les bottes enfilées. Autant que le permettaient ses doigts tremblants d'impatience. Bientôt, intégralement vêtuil se rua vers la rue. Il était en retard, c'était prévu... Mais il était dit qu'il attendrait la dame de ses pensées encore un peu, et bientôt il était appuyé, avec une nonchalance qui n'était que de façade, au mur qui séparait l'échoppe du savetier à l'enseigne grinçante de la porte cochère dont il venait d'émerger.

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Christabella
Elle était en retard, mais c'était écrit. Oh, pas trop en retard, juste un bon vieux quart d'heure troyen, rien de bien méchant. Un retard qui rentrait encore dans une fourchette acceptable, et puis, une dame devait savoir se faire désirer. Même si en la matière, elle n'était pas à plaindre, et si elle était en retard, c'était bien à cause de son attitude pousse au crime. En même temps, c'était lui qui avait commencé. Farpaitement!
Elle se mira une dernière fois dans le miroir, et ajusta une dernière fois sa coiffe, vérifiant qu'aucune mèche ne s'en échappe. Sa robe était vraiment élégante, sans être ostentatoire, Elle compléta la tenue par le port de longs gants noirs, très fin, qu'elle portait pour camoufler la cicatrice sur son bras qui formait une phrase en latin. Ses carmines formaient un sourire, irrépressible. Elle avait hâte de le retrouver, de plonger ses yeux dans les siens, étreindre ses mains....
Le comtessa n'oublia pas l'écrin qui contenait son présent, et son petit mot. Lorsque l'on est invité, il était de mise d'amener un présent. Celui-ci était modeste, très modeste, il n'avait pas une réelle valeur monétaire, c'était autant un symbole qu'un moyen, un gage.

Ses talons claquaient dans les rues pavées de Lou Moun, un -bon- quart d'heures après les vêpres. Bon, plutôt vingt minutes. Elle ne connaissait pas bien la ville, et elle allongea le pas, demandant à une modeste marchande de légumes sur le départ la direction de la rue des pendus, de l'échoppe de savetier. Deuxième à droite, puis à gauche, et elle verrait la fameuse enseigne, lui avait dit la vieille marchande. Elle se hâta, sans pour autant courir, la décence lui interdisait, mais néanmoins, aussi vite qu'elle pouvait, sa robe voletant derrière elle. Une parole de sa rabat joie de camériste carmélite - qui s'était mise en tête de protéger sa vertu de veuve - lui revint en mémoire: l'impatience vous tuera! Elle espérait qu'il ne lui en veuille pas pour le retard, elle faisait aussi vite qu'elle pouvait. Ses joues d'albâtre s'étaient colorées d'une jolie teinte rosée, causée autant par sa course, que par les souvenirs de l'après midi, et surtout le bonheur indicible de le retrouver en tête à tête, sans chaperon, sans importun, sans rabat-joie, libres.

Et bientôt, elle perçut le grincement de l'enseigne avant de l'apercevoir. La rue des pendus, l'appartement du Beauharnais. Sans ralentir, elle approcha du bâtiment, et s'arrêta pour observer l'échoppe de savetier au rez de chaussée, et levant les yeux. Elle hésita, se demandant l'espace de quelques secondes si elle devait entrer dans la boutique... Avant de voir la porte cochère, et l'homme appuyé nonchalamment contre le mur. Et bing, le coeur fait une embardée en reconnaissant le Beauharnais, si élégant. Un sourire éclaira son visage, et elle s'approcha de lui, lui tendit le bras, pour le baise main rituel. Convenances, tant qu'ils n'étaient pas protégés par les murs de l'appartement. Espiègle, la jeune femme lui annonça joyeusement:


J'espère que vous pardonnerez mon retard, j'ai eu ... une urgence.
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Wallerand
Wallerand s'inclina vers la main tendue, la pressant légèrement plus que de raison sans pour autant y presser les lèvres, tandis qu'en retour, sa main se serra brièvement. Une manière on ne peut plus discrète pour les deux amants de déroger aux convenances pour se saluer... Ce n'était presque rien après tout, et qui aurait pu voir une quelconque différence avec leur comportement habituel ? Ils s'étaient toujours salués de la sorte depuis qu'ils se connaissaient, sauf pâmoison inopinée, en particulier en public...

Il n'y a aucun mal, j'arrive tout juste... Avez-vous pu régler cette urgence ?

Le jeune homme se redressa, un sourire taquin aux lèvres. Il y avait effectivement eu une urgence, avaient-ils convenu dans l'embrasure d'une porte. Bella sourit, les joues légèrement roses, se remémorant leurs retrouvailles musclées contre un mur.

J'ai bien peur que ce soit une cause perdue...

La jeune femme rit, lui prenant le bras. Wallerand sourit, comblé par le sous-entendu qu'il croyait déceler dans ces quelques mots pourtant si anodins, et l'entraina sous la porte cochère, vers la cour intérieure.

Ma foi, il en faut ! La vie manquerait de piment sans ces inattendus...
Sans ces urgences...
Tout à fait !


Un sourire ponctua l'assertion du Gascon, alors qu'il la guidait au travers de la cour jusqu'à l'escalier adéquat. L'avantage de cette sorte d'enclave commerçante était l'incessant va et vient d'anonymes. Au final, il ne connaissait guère de visage que les commerçants qui y avaient leur échoppe, et le savetier en particulier. A son pied, il se détacha du bras de la Comtesse, lui indiquant :

Par ici, si vous voulez bien... Attention à la huitième marche, elle est un peu fragile, le savetier et moi l'avons esquintée.

Esquintée avec la table, d'ailleurs... Tous les habitants de la cour devaient encore s'en souvenir. Et l'arrosage de l'exploit qu'avait constitué l'ascension jusqu'au premier étage avait été joyeusement mené chez Adalarde, d'ailleurs. On ne changeait pas une équipe qui gagnait ! Se souvenant de leur cours de danse, elle sourit, amusée.

Et si je tombe....
Hmmm... Vous me posez un cas de conscience délicat !
Ne perdons pas les bonnes habitudes.
Tomberiez-vous en avant ou en arrière ? Telle est la question !


Le Beauharnais sourit. La question était en réalité à moitié sérieuse, car quel que soit le sens de la chute de son invitée, il avait une chance sur deux d'être du mauvais côté. Et il n'avait pas suffisamment côtoyé les femmes de qualité pour savoir si leurs atours les inclinait à tomber vers quelqu'un qui les précédait ou qui les suivait. Grave interrogation ! Et si la recherche d'une réponse n'avait pas supposé des expériences sur la personne de Bella, il aurait sans doute suggéré leur mise en application. Pour la science ! Il justifia donc sa saillie, au détour d'un léger haussement d'épaules, par un détendu :

Il vaut mieux prévoir, pour la maîtresse... Es chutes, naturellement.

Bella rit joyeusement, se souvenant de sa chute inopinée dans ses bras, lors de leur cours de danse un peu alcoolisé.

Vil moqueur!

A son tour, il sourit. Que le Très-Haut lui pardonne, mais qu'il aimait son rire ! Pour lui seul, il se sentait capable de dire toutes les âneries et d'accomplir toutes les bêtises du monde. Juste pour l'entendre rire encore. Aussi se lança-t-il dans une inclinaison du buste doublé d'un théâtralement obséquieux :

Je n'oserais, ma Dame ! Et il se pencha légèrement pour ajouter, plus bas : Passez devant, si vous voulez, j'aurais le plaisir de vous contempler !

La comtessa s'arrêta quelques secondes, observant le bâtiment qui possédait un charme particulier. Cet endroit lui plaisait, il était plein de vie et de charme... Elle releva légèrement ses jupes, et monta prudemment les marches, en faisant attention à la huitième, qui grinçait un peu. Lui, dans son dos, se repaissait de sa silhouette. L'avantage, cependant, était le relatif abri offert par la structure de bois. Si un commerçant s'interrogeait... Il en serait pour ses frais, car il n'aurait rien à raconter. Et la cour était suffisamment fréquentée pour que l'on ne puisse pas faire attention à toutes les allées et venues de ses habitants.

Vous vous plaisez ici, c'est calme?

La jeune femme, à mots couverts, se demandait si des gens qu'ils connaissaient habitaient ici. Si des bavards ou des commères habitaient là, histoire d'éviter les commérages. Mais, avec sa délicatesse toute masculine, le Beauharnais passa à côté du sujet de sa réflexion précédente et répondit au tout premier degré :

C'est assez agréable, quoique très animé en journée. Vous me direz, je ne suis pas beaucoup là en journée...
Je vous monopolise souvent la journée...
Oh, c'est un vrai plaisir ! Si je pouvais être monopolisé ainsi chaque jour, je ne m'en plaindrais toujours pas.
Ce ne sera pas toujours aussi simple...
Non, je le parierais volontiers...


Bella sourit, et lui reprit le bras. Wallerand, au souvenir de la figure désagréable de la camériste de sa maîtresse, esquissa un sourire à son évocation à demi-mot. Retrouvant cependant avec joie son bras, le jeune homme la guida jusqu'à la porte de son appartement. Une pointe d'appréhension le prit à l'idée qu'elle verrait là quelque chose de modeste, dont elle n'aurait pas l'habitude... Rebutant, peut-être. Et puis il se souvint de sa réaction quand il avait évoqué la modestie du peuple, cette quasi-rebuffade quand elle lui avait appris qu'elle en était issue et que, bien que noble, elle ne le mésestimait pas. Ce fut donc avec une certaine décontraction qu'il poussa le battant et qu'il proféra, de nouveau théâtral :

Bienvenue dans un modeste pied-à-terre !

Bella lui sourit et entra, ferma les yeux. Inspirant longuement, elle respira l'odeur des iris, et celle sous-jacente et néanmoins agréable du cuir, le tout enveloppé par la fragrance de l'axoa qui chauffait sur le feu. Ouvrant les yeux, ses jades apprécièrent le décor, un logement meublé avec goût... Elle reconnaissait bien là le Beauharnais. Et il avait fait un effort pour lui installer une jolie table.

C'est très agréable...

C'était peu de le dire. Wallerand entra à son tour, refermant la porte sur eux, souriant au compliment. Enfin seuls...

Merci, j'espérais qu'il vous plairait.

Le jeune homme lui sourit et, profitant de l'intimité offerte par la pièce, posa un baiser sur son front. La jeune femme, conquise, l'enlaça et posa un baiser sur ses lèvres. Elle lui lança un regard de tendresse, avant de fouiller dans sa besace, et en retirer un petit écrin de cuir noir. Interrogatif, le Beauharnais ne la quittait pas du regard.

Je vous ai … Amené un présent.

Bella sourit, et lui confia l'écrin dans le creux de sa paume, lui referma les doigts et reposa ses mains sur les siennes, douce caresse.

Vous me gâtez...

Wallerand, une fois le petit coffret reçu, le tint serré entre ses paumes, profitant du contact des doigts de Bella avant de bouger, ne sachant trop comment réagir. Déjà, il ne savait guère comment réagir dans ces circonstances, et avait bien du mal à accepter les cadeaux. Même lorsque sa marraine avait insisté pour lui offrir deux tenues confectionnées pour le dîner à Peyrehorade et pour le couronnement d'Angelyque, il avait insisté pour lui rembourser. Bon, elle avait toujours refusé, certes, mais c'était une question de principe. Et en plus, il avait ouï dire que bien des notions de politesse étaient liées à la réception et à la découverte des présents... Et il n'en connaissait pas la première. C'était sans doute l'une de ses plus graves lacunes en matière d'étiquette, qu'il lui faudrait un jour combler. Aussi, pour éviter les gaffes - et le Très-Haut savait qu'il en était coutumier ! -, le Gascon murmura-t-il :

Est-il de coutume de... D'ouvrir immédiatement les présents, ici ? Je ne suis pas encore familier avec ces usages.
Je ne sais...


Bella se demandait si elle n'avait pas commis une bévue, en amenant ce présent. Il ne pouvait pas savoir ce que c'était, et vu l'écrin, cela aurait pu être un présent luxueux, comme une chevalière... Or, il n'en était rien, c'était un présent somme toute symbolique. Wallerand sourit, rassuré par l'ignorance de la jeune fille, et céda à son vice principal dans un joyeux :

Alors pardonnez à un grand curieux !

La jeune femme soupira discrètement, et sourit. Réalisant qu'il s'excusait encore une fois, Wallerand secoua la tête sur un léger éclat de rire et lâcha :

Je vais vous lasser, à force de vous demander pardon !
Hum, mais vous avez un talent extraordinaire pour vous faire pardonner! Ce présent … Ca... n'a pas une grande valeur... monétaire. Ce n'est qu'une petite chose.


Il n'en fallait pas plus pour rassurer totalement le Beauharnais. Sur un sourire à sa maîtresse, il ouvrit l'écrin, cédant à la tentation. Devant ce qu'il contenait, il resta un instant interdit, considérant la clef, Bella, la clef, Bella, et avisa finalement le mot et le déplia. La jeune femme sourit, les joues roses, et regarda ailleurs, appréhendant la réaction. Une devinette et une déclaration, sur le vélin. Elle était persuadé que le jeune homme, comme elle, était fin lettré, et savait déchiffrer le latin. Comment réagirait-il face à une déclaration d'amour dans toute sa candeur ? Alors qu'elle s'interrogeait, il lisait.

Citation:
Afin poursuivre le doux songe,
Un écrin à la folie qui nous ronge.
Attendez de moi un cygne, fuyant le corbeau,
Dans un nid au bord de l'eau.

Cor meum tibi offero*

C.


Le songe et la folie étaient transparents et provoquèrent un sourire léger, heureux, comme une envie de baiser ces lèvres. Ce fut après qu'il dut s'accrocher. Comme souvent en ces circonstances, quand il devait faire appel à des ressources de mémoire enfouies au plus profond de son esprit, il lui fallait le vider. Le cygne... En rapport avec Bella... Le sceau de sa lettre, après cette fameuse nuit parisienne, lui sauta aux yeux. Le cygne, c'était une lettre d'elle. Le corbeau. C'est moche, un corbeau. Ca crie fort. C'est désagréable. La vieille rombière dormante du fauteuil, sans aucun doute. Le chaperon dans toute son horreur... Et le nid, c'était l'endroit ouvert par la clef. Oui, c'était forcément ça.

Et le latin... Les souvenirs remontaient à loin, très loin. Comme une sorte de code, comme un louchebem avant l'heure, certains Beauharnais profitaient de leur éducation pour utiliser cette langue en cours de négociation. Un moyen simple de passer outre une compagnie inopportune pour s'entendre entre eux... Cor. Le coeur, la déformation moderne était transparente. Meum, facile. Tibi... Il fallut chercher un peu plus. Tu, te, tui, tibi, te. Tibi, à toi. Offero, transparent. Quand la lumière totale se fit sur la signification de la locution finale, Wallerand releva les yeux, manifestement ému. L'aveu était sobre et pourtant tellement parlant, empreint de dignité comme de délicatesse... Il murmura, ânonnant quelque peu alors qu'il forçait sa mémoire renâclante à faire remonter à la surface les bribes de latin nécessaires :


Cor meum... tibi... est iam.**

Bella, émue, les yeux brillants, lui souriait. Le jeune homme lui rendit son sourire et, n'y tenant plus, l'attira à lui pour l'embrasser.

Vous faites de moi un homme heureux...
Cette clef... Ouvre un vieux moulin. A l'Est de Lou Moun.


Wallerand la regarda, craignant que son imagination ne s'emballe. Un endroit, pour eux... Un nid où le chaperon ne pourrait pas les suivre, dont elle ignorerait tout, dont elle ne saurait rien. Un lieu où il n'y aurait qu'eux, leur folie et leur rêve. Il ne put que balbutier :

Un moulin...
Ce sera... Notre secret.


[* Je t'offre mon coeur.
** Mon coeur est déjà à toi.]

_________________
Christabella
Bella lui montra la clef jumelle, conservée dans un des plis de sa robe. Quand il l’avisa, un sourire étira les lèvres du Beauharnais et il hocha la tête, posant l'index sur ses lèvres.

Motus et bouche cousue... Que le corbeau n'en ait jamais vent !

Bella rit, et de nouveau il sourit. Ce rire… Un rire qui cascadait, frais et lumineux comme une chute d'eau reflétant le soleil.Peut-être que c’était ce qui lui avait fait réaliser qu’il pouvait revivre. Cette joie, ces hilarités qu’ils partageaient étaient devenues, au fil des rencontres, particulièrement précieuses au jeune homme, qui les savourait sans l’ombre d’une lassitude. Cependant, par acquis de conscience et pour vérifier qu’il avait bien cerné la teneur du message, il reprit :

Le corbeau, est-ce cette charmante personne que j'ai eu l'honneur de croiser à Paris ?

Il avait mis toute l'ironie possible dans le "charmante". Certes, il s’agissait d’une personne liée à sa maîtresse, de sa camériste, d’un membre de sa mesnie, mais… Il ne pouvait pas s’en empêcher, elle éveillait en lui une furieuse envie de s’en moquer, oh, pas méchamment, parce qu’il se doutait de son attachement à Bella - sinon, elle n’aurait pas été aussi manifestement outrée de le voir émerger de la chambre d’une auberge parisienne - , mais il ne pouvait pas non plus se défendre d’un début d’affection pour ce protecteur acharné… Et manifestement impuissant devant l’imagination de la jeune fille, laquelle enchainait :

Oui ! Elle m’a réveillée de la plus vile des manières !

L'affreuse ! Qu'a-t-elle osé vous faire endurer ?

Elle a ouvert les rideaux en grand sans prévenir, m'habiller en vitesse pour me faire prier à genoux sur le sol froid le pardon du très haut. J'avais une migraine affreuse suite à nos excès de la veille.


C’était plus fort que lui : il leva les yeux au ciel, exactement de la manière dont il accueillait les excès de dévotion d’Acrisius. Comme si une après-midi de prières pouvait extirper quelque chose du cœur ! En tout cas, sur lui, ça ne marchait pas. Bella avait passé une longue après midi de dévotion, pour une nuit dont elle ne regrettait rien. Et alors que la carmélite lui assénait la lecture du livre des vertus, des souvenirs passaient en boucle dans son esprit. Des lèvres sur sa peau, une main qui ôte sa robe...

La prochaine fois, rappelez lui que l'archange... Le Gascon hésita un bref instant, en proie au doute. … Sylphaël lui-même s'adonnait aux plaisirs de ce monde !

Bella rit, amusée par la référence. Il est vrai que son frère était féru de vertu et aurait fait un parfait clerc de la saincte Eglise.

Merveilleux! Puis, parce que le fumet du plat lui chatouillait agréablement les narines et aiguisait son appétit... Cela sent très bon... Vous me gâtez.

Wallerand sourit à son tour. A vrai dire, l’odeur de l’axoa avait la curieuse propriété de lui ouvrir l’appétit, à toute heure et en tout lieu. En amoureux des plaisirs, il ne dédaignait pas ceux du palais et avait commencé sa découverte de la Gascogne par sa cuisine, ou peu s’en fallait. Mais il fallait remettre les choses en place : l’exécrable cuisinier qu’il était ne pouvait pas se targuer du mérite de gâter son hôte, car ce mérite revenait à une aubergiste montoise bien connue. Aussi reprit-il :

Je transmettrai le compliment à Adalarde ! C'est elle qui vous gâte. C'est une aubergiste, près de la salle de doléances. Heureusement qu'elle avait de quoi nous nourrir, j'aurais bien été capable de nous empoisonner...

Moi-même, j’ai un talent inouï pour rendre les aliments immangeables.

Bella éclata de rire et son amant la suivit sans autre forme de procès dans son hilarité. Que seraient-ils devenus, livrés à eux-mêmes dans le vaste monde, si chacun avait une once – en ce qui concernait Wallerand – de son talent pour rendre un bel ingrédient parfaitement impropre à la consommation quand il en avait fini avec lui ? Il synthétisa cette réflexion par :

Nous voilà bien ! Condamnés à compter sur les autres !

J’en ai bien peur...

Voulez-vous prendre un siège ?


Sans transition, v’là bien un Gascon ! Un Wallerand, en tout cas, qui souriait de toutes ses dents, se reprenant peu à peu. C’était qu’il recevait, et qu’il n’était pas question de ne pas être à la hauteur. Une petite voix résonnait à son oreille, un grinçant « fais-le ou ne le fais pas, il n’y a pas d’essai ! ». Allez comprendre…

Avec plaisir!

Puis-je vous offrir quelque chose à boire ? Avez-vous déjà goûté le patxaran, ou les vins de Gascogne ?

Je n’ai jamais gouté… J’étais trop jeune quand je suis passée par la Gascogne.


Plus exactement, la première fois, ils avaient traversé très vite la Gascogne, en état de siège, et la deuxième visite s'était bien vite conclue par un brigandage en règle, un séjour un prison pour vagabondage alors qu'ils étaient venus pour que Milandor achète un appartement. Mais elle ne dit rien de plus, gardant l'anecdote pour plus tard.

Bien, bien, ce sera donc une première culinaire totale !

Une expérience sans a priori et sans crainte, donc. Impossible de rêver mieux ! S’en allant à la bibliothèque, le Beauharnais en inspecta les rayonnages. En vérité, le meuble avait été fort dévoyé de son utilisation initiale, servant de rangement général à un homme relativement bordélique. En vrac s’alignaient jarres et tout petits tonnelets, coffrets, boîtes de tout crin, sacoches de toile ou de cuir, ustensiles divers et variés, bref, tout ce dont il avait besoin au quotidien, d’une plus et d’encre jusqu’à quelques couteaux. Il finit par en revenir, tenant une jarre et deux godets de grès, avec un joyeux :

Voilà venu le moment d'y remédier !

A la bonne heure!


Un nouveau sourire éclaira les traits du jeune homme et, ayant déposé les verres sur la table, il y servit de généreuses portions. Maintenant qu’il savait qu’elle avait une certaine résistance à l’alcool et du goût pour lui, il n’allait pas la priver ! Bella sourit, elle appréciait les bons vins, avec un goût particulier pour le côte de Blaye et le bourgogne. Aussi, leva t-elle son verre, admirant sa robe au passage, d'un beau rouge grenat, riche et plein de promesses, et un bouquet odorant, d'agrume et légèrement épicé.

Mercé!

Mais de rien... A la vôtre, Bella. Celui-ci vient des environs de Baïgorry, des coteaux d'Irouléguy. C'est un peu vert, et un peu âpre, mais il y a bien pire.


De nouveau, il sourit, tandis que Bella regardait le verre, interdite, et fronça les sourcils. Elle avait sans avoir goûté le vin comme déjà un goût de cendre, comme une amertume.

Baïgorry... Ahem.

Wallerand s'arrêta dans son geste, le verre à mi-chemin des lèvres, sentant avec une acuité particulière qu’il aurait vraiment mieux fait de la fermer. Bella se doutait qu'il ne pouvait pas savoir ce que signifiait pour elle ce nom... Elle sourit en coin et leva son verre, laissant la chance à ce vin qui n'y pouvait rien, lui. Diantre, elle n'allait pas gâter son plaisir pour un détail! C'est avec un geste décidé et un ton qui ne laissait aucune réplique:

A la vôtre.

Heu... Brusquement, le Chevaucheur se rappela le blason déposé pour travail en la salle Jehan de Volpilhat. Mariage, Baïgorry ! Boudiou, espèce de sombre crétin, le mariage n’avait pas abouti, le blason n’avait pas été achevé ! Sinistre bourge d’âne de… Penaud, il murmura : Toutes mes excuses, ce n'était pas vraiment... pas du tout délicat.

Bella sourit, porta le verre à ses lèvres, pour une petite gorgée. Le vin était un peu jeune, pas assez charpenté à son gout, mais néanmoins agréable. Elle sourit tendrement au Beauharnais, et posa brièvement sa main sur la sienne. Il n'y pouvait rien...

Ce n’est rien... Un bien mauvais souvenir d’Armagnac... Encore un.

Je crois... Enfin, j'en ai entendu parler... Sous l'angle héraldique de la chose. Le vin en atténuera peut-être le mauvais de la chose.

J’avais peur, Wallerand. Peur ...


L’interpellé porta son verre à ses lèvres pour se taire avant de s'enfoncer encore plus. Il le savait, pourtant, il savait qu’il y avait eu un problème. Il avait réalisé que sans cela elle aurait été mariée et qu’ils ne se seraient jamais rencontrés… Qu’elle n’aurait jamais été là, avec lui, ni ce soir-là ni jamais. Et pourtant, elle n’avait pas l’air de lui en vouloir pour cette bévue stupide, pour cette langue trop prompte, Aussi balbutia-t-il simplement :

Peur ?

Vivre seule, veuve, seule et devoir élever deux grands enfants. Ceux de Milandor... Et les adversaires politiques...

Ceux de votre époux... Ni les uns ni les autres ne sont tendres.

J’étais seule, du moins, je me sentais seule. Je me suis dit que cet homme, François, saurait me soutenir. D'autant plus qu'Alcide est son cousin, je comptais sur cela pour tempérer les choses.

Et vu que le mariage n'a pas eu lieu, ça n'a pas dû être le cas.


Elle eut un petit rire sans joie. Ce n'était pas rien de le dire. Tout ce qui avait intéressé le Von Wittelsbach, c'était l'opportunité de marier leurs blasons. Elle s'était sentie vite seule, ni aidée ni soutenue. Il voulait les fruits du labeur sans se mouiller la chemise...

Des amis m’ont mis des couteaux dans le dos. J'ai donné de mon temps pour les amener sur le trône, en échange de leur aide pour moi, lorsque mon tour viendrait. J'ai été bien sotte... Tout ce temps passé sur le stand pour eux, à envoyer les courriers... Et je me suis retrouvée seule. D'autant plus que... certains avaient voté pour l'adversaire, ai-je su par la suite. Un désaveu...

La jeune femme sourit en coin. C'était loin derrière elle, finalement. Elle avait fait confiance, laissé la place, et une fois obtenu ce qu'ils voulaient, ils étaient partis, le fief en poche. Elle pardonnait mais n'oubliait pas, et savait qu'elle ne les reverrait plus.
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Wallerand
L'Armagnac vous aura finalement bien nui... C'est ce qui vous a amené ici ?

Se forçant à croire en la sincérité de sa question malgré un secret espoir, ce fut la seule réflexion que le Beauharnais parvint à exhaler devant ce récit. Comme il avait l'impression d'y reconnaître certains Gascons... Ceux qui se disaient engagés jusqu'à l'os pour une cause, et qui finalement la rejetaient comme une vieille chaussette parce que tel ou tel détail leur déplaisait, allant faire la roue devant l'adversaire au vu et au su de tous dès que l'occasion se présentait. Une pensée se tourna vers Sashah. Ca aussi, ça avait dû l'aider à tourner la page de leur relation. Savoir combien elle avait été molle comme Conseillère ducale, combien elle avait pu se révéler non-constructive, et savoir combien elle avait été un soutien pour le futur Duc, plantant un couteau dans le dos du parti dont elle était si fière de se dire fondatrice. Comme Yulli, des mois auparavant, qui avait retourné sa veste d'une manière si spectaculaire que, jusqu'au fait accompli, Wallerand n'avait pas voulu croire qu'il ferait en sorte de propulser Acrisius sur le trône ducal. Bella sourit, but une gorgée, lentement, fit attendre sa réponse, faisant tournoyer le vin dans sa coupe. Devant ce silence, conscient qu'il avait peut-être voulu en entendre trop, Wallerand but une nouvelle gorgée, se maudissant de ne pas savoir se taire. Et de ne pas savoir empêcher son esprit de vagabonder.

Je suis venue pour ... Alvira. Et pour...

Oui, pour quoi était-elle venue? Pour l'espoir. Pour la renaissance. Pour des gens qui croyaient en ce qu'ils faisaient, comme elle.Oh, peut être se trompaient-ils de voie... Nul n'est infaillible, nul ne peut se targuer d'avoir la réponse exacte ni la science infuse. Mais ils avaient des idées, des valeurs, et ils les respectaient. Ils y restaient fidèles, à leurs valeurs. La toute première était l'amitié, la deuxième le travail et la troisième l'humilité. Il n'y avait rien de pire que ceux qui restaient campés sur des positions ineptes, par pur conservatisme ou désir de pouvoir, sans écouter les autres, et brisant par pure mauvaise foi, par pure fierté ce qui ne venait pas d'eux. Quand ils ne s'appropriaient pas les bonnes idées à leur propre compte, sans même les maquiller pour faire croire qu'elles venaient d'eux. Mais au final, c'étaient les votes du peuple qui tranchaient. Oui, elle était venue pour ceux qui ne se parjuraient pas par fierté ou désir de pouvoir. Et tout cela était cristallisé par deux personnes. Deux personnes qui aimaient leur duché, même si certains leur rendait mal. Cela ne comptait pas. Elle était venue pour Alvira, et surtout lui. Ses jades observaient le Gascon si attirant, détaillant les traits de son visage, ses mains, sa silhouette avantageuse... Pour lui... Mais elle n'oserait pas. Bella était pudique...

Pour... le paxtaran.

La jeune femme pouffa de rire dans sa coupe de vin, incapable de rester sérieuse, provoquant un immédiat relâchement des nerfs du Beauharnais. Rien de tel qu'un brin d'humour pour repartir du bon pied ! Souriant à son tour, il reprit, sérieux comme jamais sous le couvert de la plaisanterie :

Oh, vous avez raison, c'est la meilleure raison d'aimer la Gascogne ! Quelle qu'en soit la raison, je suis heureux que vous soyez ici.

Le jeune homme sourit, achevant de se détendre, tandis que Bella posa sa main sur la sienne, plantant son regard de jade dans ses ors foncés. Elle devait le dire. Pourquoi était-elle venue ici? Elle hésita, avant d'exhaler son aveu.

Veni pro te... *

Encore une fois, le latin. Détournant les yeux, elle s'abîma dans l'observation de son verre de vin, les joues légèrement roses. Et pour se donner contenance, en but une gorgée. Saccharomycès chevalierii. La levure qui donnait cet arôme si particulier à ces vins du Sud-Ouest, surtout aux vins du Bordelais. Wallerand pressa ses doigts, lui souriant avec tendresse. Et pas qu'avec tendresse, d'ailleurs. Ainsi, il n'y avait pas qu'Alvira, pas que le patxaran. Il y avait aussi... ux. Il fut pris comme d'un vertige, de ces vertiges de bonheur qui font tourner la tête et oublier tout ce qui n'est pas à leur origine. Dans cet état second, il murmura :

Je vous ai déjà dit que vous me rendiez heureux ?
Oui !
Oh... C'est dommage, je l'aurais volontiers répété. Vous étiez ce qui manquait pour que la Gascogne soit parfaite. Enfin, à quelques détails près, mais nul n'y peut rien.
Alors, répétez le...
Vous me rendez heureux !


Il ne s'était pas fait prier, et y avait mis du coeur. Bella sourit, décidant de poursuivre l'explication. Qu'il comprenne tout ce qu'elle avait vécu ces derniers mois...

Et puis... L'Armagnac me fait horreur, à présent, d'ailleurs, je ne pensais pas que le comté pouvait tomber plus bas encore. Je pensais que l'endive continuerait à s'accrocher au trône, mais ils ont désigné quelqu'un d'autre. Une vieille idiote, incapable de recopier des bilans comtaux. Vous vous rendez compte qu'elle les recopiait tels quels, y compris les remarques des conseillers ? Imaginez donc, un bilan, avec en guise de paraphe : "Voilà mon bilan. Cela te va, comme ça ?". Je n'ai jamais eu aussi honte de ma vie de faire partie de ce conseil, à croire qu'elle ne comprenait pas ce qu'elle lisait et recopiait! Ils se sont trompée de rouquine, m'est avis. L'autre, bien qu'hérétique, connait le sens du mot travail et sérieux. Terraube a un peu plus de jugeote et de plomb dans la cervelle. Et elle mouille sa chemise.

Bella rit, un petit rire amusé, auquel Wallerand répondit par un sourire. Comme quoi, il y avait des tares de partout, et pas des petites.

Au risque de vous décevoir, je serai amené à, sans doute, traiter avec la Comtesse... Cela dit, pareil avertissement est toujours bon à entendre !
Oh, vous saurez lui plaire, vous possédez le petit quelque chose qui me manque pour qu'elle me tolère...


La jeune femme, lui souriait, taquine. Il devait bien se douter de quelles choses elle parlait, la comtessa. Elle se souvenait de Titoan, qui avait fait les frais de la hargne de la Dampierre, autrefois. Puis cela s'était à peu près arrangé pour lui. Eh oui, parfois, les molosses changeaient d'os à ronger, à croire que seule la frustration savait les faire avancer, elle et son époux. Toujours à se plaindre du manque de reconnaissance à leur égard. Et personne n'avait encore réussi à leur expliquer que seule leur médiocrité était en cause... Wallerand la considéra, interloqué un instant, puis partit d'un rire irrépressible, ce qui fit s'esclaffer la blonde de rire, jusqu'à l'étouffement.

Oh misère... Dans son hilarité, le jeune homme en hoqueta. Prévenez-moi avant... Fiou !... Avant la prochaine révélation de la sorte !

Toujours pris de rire, constatant l'état dans lequel se trouvait sa maîtresse, le Beauharnais se leva et tapa légèrement dans le dos de la jeune fille, toujours hilare mais qui ne parvenait plus à reprendre son souffle pour éviter l'étouffement.

Ca va ? N'allez pas vous étouffer avant même de goûter à la cuisine basque !
Oh, ce serait dommage ! Ne vous inquiétez pas, et puis la chancelière armagnacote n'est pas piquée des vers non plus. Je ne saurai dire laquelle des deux est pire, juste que l'une des deux a l'excuse de l'extrême jeunesse.


Extrême jeunesse de fonction ou d'âge ? Allez savoir, peut-être que Wallerand pourrait invoquer la première excuse en cas de problème... Il sourit, se reprenant peu à peu malgré des remontées de rire, qui était contagieux. Il profita d'ailleurs d'être debout pour aller chercher la petite marmite.

Avez-vous un creux ? Ou attendons-nous encore un peu ?

[* Je suis venue pour toi.]
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Christabella
Bella lui sourit, s'aperçut qu'elle avait une faim de loup. En effet, elle avait chevauché sans s'arrêter, sans faire de pause, pour arriver jusqu'à Lou Moun au plus vite, sans prendre le temps de manger. Son estomac criait littéralement famine... Et cette faim était aiguillonnée par l'odeur délectable qui s'échappait de la marmite...

Je meurs de faim... Mon dernier repas remonte au petit matin. Et j’ai eu une après-midi... Chargée.

Bella lui sourit, taquine. Le souvenir de leurs retrouvailles de l'après-midi lui amena de nouveau une jolie teinte rosée. Jamais elle n'avait agi de la sorte, c'était nouveau pour elle... C'était nouveau de ressentir cette urgence, ressentir ce désir, et y céder... Et même si le Beauharnais n’était pas novice en matière d’emportements charnels, jamais ceux-ci n’avaient été aussi irrésistibles. Aussi répondit-il, un sourire innocent plaqué sous un regard espiègle :

Je comprends, ma propre après-midi m'a laissé sur une faim terrible.

Sentant se fissurer sa feinte d’air innocent, il se résolut à filer vers la bibliothèque pour y chercher une louche dans le joyeux bazar qui encombrait ses rayons. La comtessa comprit qu'il faisait allusion à une autre faim, la même qu'elle ressentait aussi et la rougeur s'accentua encore. Elle but à nouveau une gorgée de vin, pour se donner contenance, et pour ne pas se laisser désarçonner, - et pour ne pas le laisser s'en tirer comme ça - elle répondit, d'un ton rieur :

Oh, il faudra remédier à cela !
Tout à fait, oui...
Le Beauharnais se pencha vers son oreille pour lui souffler : Mais cette faim-là sera pour plus tard, si vous permettez...

La jeune femme, les yeux mi-clos, frissonna lorsque le souffle caressa son oreilles et son cou. Rendue coite, elle ne put qu'acquiescer aux dires du Beauharnais, profondément troublée. Wallerand lui sourit, posant un baiser dans ses cheveux - l’occasion était trop belle ! -, et entama le service du ragout sur le tranchoir.

Vous allez voir, Adalarde est la spécialiste de l'axoa. C'est un mélange de viandes de veau et de porc, hachées, mêlée à des légumes taillés en petits morceaux, si j'ai bien compris. Chaque famille ou presque a sa recette, du côté de Bayonne... Enfin, elle relève le tout avec diverses épices, et elle comprend si bien ma façon de cuisiner qu’elle refuse de m’en donner les proportions.
Cela sent divinement bon...


Le jeune homme servit les deux portions, éloignant ensuite la marmite histoire de ne rien garder entre eux que le vin et les godets, puis se réinstalla en face de la blonde. Elle eut juste le temps de reprendre contenance, et lui sourit, une fois le service fait. Comme dans toute bonne maison, même non noble, on lui avait appris à ne pas toucher à sa part avant que l'hôte ne soit servi lui même et assis. Même si elle mourrait littéralement de faim, que le fumet lui titillait agréablement les narines.

Merci.
De rien, Bella ! C'est elle qu'il faudra remercier, je le crains ! Et attendez d'y avoir goûté... Avec Adalarde, on ne meurt jamais de faim.
J’irai alors!


Wallerand se rendit alors compte qu'il avait encore parlé trop vite... Si Bella devait rencontrer Adalarde, elle aurait droit à un paquet de révélations, à tous les coups. Déjà, son surnom personnel et attitré. Pour certains, c’était bougre d’âne, pour d’autres Wallchiant. Et puis, il y avait les soirées de beuverie, les blagues grivoises avec des compagnons rencontrés au hasard des chopes, et les anecdotes sorties tout droit de salle de doléances… Enfin, de manière très générale, ça voulait dire que si par hasard la comtesse avait l’idée d’aller effectivement remercier Adalarde, il en prendrait pour son grade. La jeune femme se pencha sur le fumet qui s'échappait doucement au-dessus du tranchoir. Pour elle, une dégustation commençait toujours par l'odorat, pour bien apprécier le talent d'un cuisinier. Puis, elle goûta, laissant les épices, les sucs et les herbes sublimer le mélange. Elle se délectait de chaque arôme. Elle sourit au Beauharnais, qui guettait sa réaction. Et, souriant à son sourire, il entama à son tour. Lui qui savait à quoi s’attendre appréciait particulièrement les jours où l’aubergiste se lançait dans la confection de la spécialité basque, et y faisait systématiquement honneur.

Quel délice! Je ne regrette pas d’être venue.

Wallerand sourit à la spontanéité de la réaction, et repartit entre deux bouchées :

Vous m'en voyez ravi ! Il ne faudra jamais hésiter à revenir... Enfin, si le corbeau vous laisse faire, et là... C'est tout sauf gagné, j'imagine !

Bella sourit, c'était quelque chose de vivre contre les convenances quand on avait comme camériste une vieille bigote. Néanmoins, la jeune femme ne lui en voulait pas le moins du monde. Cette femme sagace voulait juste la protéger. De plus, elle était de bon conseils et l'aidait dans sa charge de sacristine. Et puis l'instant volé de l'après-midi, après s'être échappée de la surveillance de la carmélite, avait de ce fait une toute autre saveur. Une saveur d'interdit qui le rendait encore plus délicieux. Heureusement, le reste de sa mesnie n'avait pas le même rigorisme à son égard. Imoen semblait plus encline à fermer les yeux, pour peu que Bella lui donne quelques détails à se mettre sous la dent, Tibedaud avait décidé de faire semblant de ne rien remarquer, surtout de ne pas intervenir, d'obéir et rester fidèle à la comtesse.

Je pense bénéficier d’une complicité interne... Et puis, quoi qu'il en soit, je trouverai le moyen.

La comtessa posa la main sur la sienne et mêla ses doigts aux siens, le regardant avec tendresse. Oui, la jeune femme trouverait le moyen. Wallerand serra légèrement les doigts abandonnés. Si elle ne trouvait pas le moyen d’aller à Walgardère, Walgardère irait à elle ! Enfin, avec quelques siècles de décalage et une déformation profane du nom. Par-fai-te-ment.

Si vous ne vous lassez pas de m’attendre...
J'ai beaucoup de tares, mais l'impatience n'en fait pas partie. Quelle que soit l'heure, pour vous, j'attendrai.
Il paraît que « l'impatience me tuera ».


Bella pouffa de rire, ayant imité à la perfection le ton acide et moralisateur de sa carmélite-camériste-alias-le-corbeau et Wallerand sourit. Impatiente, la jeune fille ? Il n’aurait pas employé cet adjectif pour la décrire.

Qui a osé dire ça ?
Le corbeau évidemment!
Votre corbeau est un rabat-joie ! Vous savez ce qui est votre plus grand défaut ? Ce n'est pas l'impatience, c'est l'élégance.
Je veux dire par là que les moments passés entre nous me paraissaient si courts... Et ce mois dernier, loin de vous, j'étais … impatiente. Sans être certaine de la réciprocité du … manque, je n'ai point osé écrire...
Le manque était réciproque. J’ai pensé à vous chaque jour, et vous voir en public était… Quelque part entre le bonheur et la torture.
Je vois ce que vous voulez dire... Je suis une femme plutôt patiente. J’ai attendu feu mon époux de très longs mois de fiançailles. Il travaillait énormément, nous nous voyions rarement, l'organisation des noces était sans cesse repoussée.
Pour être tout à fait honnête avec vous, il est possible... Probable, sinon sûr, que vous rencontriez ce problème de présence avec moi. Mon ancienne compagne peinait à supporter. Quand j’entreprends quelque chose, que ce soit mon choix ou un besoin, je ne conçois pas de faire les choses à moitié. Cela dit... Je ne pourrais pas me passer de vous, et le travail n’y changera rien.


Bella hocha la tête, secrètement ravie. Wallerand de Beauharnais esquissa un sourire, surpris lui-même de l’aveu qui avait filtré. Le plus étonnant, en fait, c’était qu’il l’avait proféré avant d’y songer.

Mais faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je l’aidais. Quand d'autres se seraient lassées, ou auraient cherché un autre galant, voire un amant...
Oh ?
Oui, je l'aidais, dans l'ombre. Je travaillais à ses côtés, au conseil comtal. J’aurai tout fait pour lui. Il était mon futur époux, j’acceptais donc ce temps passé à travailler, et je travaillais aussi... L'oisiveté est mère de tous les vices. Tout ce temps, ces mois... Je pensais que ce serait rattrapé, une fois son but atteint. Je m’en suis mordu les doigts, puisqu’il est décédé si vite après les épousailles et l'obtention des lauriers. Il n'aura pas profité longtemps de Fontrailles... Le castel était encore en travaux lorsqu'il a fait cette chute de cheval.


Wallerand leva la main de Bella et posa ses lèvres sur les doigts en question. Décidément, contrairement au chaperon, il ne l’aurait pas qualifiée d’impatiente. Juste de… Dévouée, altruiste, fougueuse, pleine d’allant, modeste, résolue, battante. Parfaite.

Vous avez donc bien de la patience, quoi qu'en dise... Comment s'appelle le corbeau, d'ailleurs ?
Elle se nomme soeur Marie-Clarence des Batignolles.
Oh... Un nom fort proche de celui de notre Evêque, mais une allure bien plus revêche !


Le jeune homme sourit et, profitant d’avoir légèrement détourné le sujet avant de se lancer dans une déclaration bien plus débridée encore que précédemment - c’est qu’il sentait parfois venir le moment où il prendrait le mors aux dents -, reprit sur un ton plus léger :

Quoi qu'il en soit... Et je profite d'encore une boulette proférée... Si jamais je dépasse une borne, ou si je vous fais vous mordre les doigts pour une quelconque raison, envoyez-les dans ma figure, ça me remettra les idées en place.
Oh!
Hmm ?
Mais … Je ne veux pas vous faire de mal !
Comme je vous ai autorisée à me ranimer, je vous autorise à me châtier ! Profitez-en !


Et un sourire précéda un beaucoup plus sérieux :

Si je vous fais du mal, il n'y a pas raison que vous soyez seule à en pâtir.

Bella éclata de rire, et, taquine, elle s’exclama sans réfléchir:

Il me faudra vous passer sur le corps?
Tant que vous voudrez ! Et plus encore !

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Wallerand
Bella rit derechef, elle adorait ce badinage. Calmant son hilarité, elle le couvait du regard, si élégant, détaillant ses traits qui hantaient ses nuits depuis Paris.

Vous me rendez heureuse.

Wallerand lui rendit son sourire, de toutes ses dents - et peut-être même avec un bout de viande coincé dedans (« Coupez ! », hurle alors le réalisateur se rendant compte de l’affreuse erreur) -, moins taquin, plus... Non, pas plus. Juste comblé. La jeune fille le regarda tendrement. Lui, se délivrant enfin en mettant des mots sur ce qu’il avait traversé entre sa rupture avec Sashah et elle, continuait :

Si vous saviez de quoi vous avez réussi à me tirer... Vous m'avez redonné envie de vivre, il n'y avait plus cette espèce de brouillard sordide, le manque de goût de chaque chose, la routine de travail désabusé où je me trainais quand je vous ai rencontrée. Vous m'avez rendu le Soleil.

La jeune femme l'observa, émue. Elle ressentait exactement la même chose. Le Beauharnais lui rendait son regard, abîmé dans le jade, souhaitant ne plus en sortir. Et dans ces yeux clairs il voyait encore danser les vagues bien-aimées, celles qui seraient l’aveu le plus complet qu’il pourrait un jour lui faire, ces vagues qu’elle n’avait encore jamais vues… Comme un appel au plus profond de lui. Et Bella reprenait :

Depuis notre rencontre... J’ai l’impression de savoir enfin où est ma place. Vous m’avez rendu la vie ! J'étais grise et triste comme un long dimanche d’hiver. Je trainais ma carcasse, du soir au matin... Au conseil, car seul le travail me changeait les idées, malgré certains rabat-joie.

Le jeune homme sourit, et elle lui rendit son sourire. Il se retrouvait tant en elle qu’enfin il comprenait ce que certains et certaines rabâchaient. L’impression de retrouver une moitié de soi, qui aurait été perdue en des temps si lointains que la mémoire ne parvenait pas à la resituer, s’imposait avec une vigueur digne des mythes antiques. Sans même chercher à peser les mots qu’il proférait, lui qui les mesurait habituellement - hormis sous le coup de l’emportement, mais c’était un autre problème -, il continua, la contemplant, rêveur :

Je ne sais pas si c'est vous ou moi que vous décrivez… Vous comprendrez vraiment ce que vous êtes pour moi quand nous irons voir l'océan. Les mots, ça ne sert pas à grand chose en la matière, sauf à se rendre compte de leur insuffisance !

Bella acquiesça et tenta malgré tout de mettre des mots sur ce qu'elle ressentait.

Avec vous... La jeune femme, cherchant ses mots, grommela. Je ne connais pas la mer, mais...

Wallerand sourit et se pencha au-dessus de la table pour clore ses lèvres d'un baiser, caressant sa joue de la paume.

Quand vous la verrez, vous saurez si c'est pareil.

La jeune femme lui rendit son baiser, quand les mots manquaient, il restait les gestes. Repartant à regrets en arrière, le Beauharnais la considérait toujours quand il repartit, plus légèrement :

En attendant, je n'ai que du vin ou du patxaran à vous offrir en guise de liquide ! Ou la dernière gorgée de votre flasque d'armagnac.
Partageons cette gorgée... Ainsi, j’aurai une raison de vous inviter à diner, pour remplir cette fiole…
Un instant, je vais la chercher.


Wallerand se leva et fila derrière le paravent qui cachait la couche. Où était donc cachée la précieuse fiole de cristal ? Telle était la question ! La notion de rangement était quelque chose de très subjectif, et le Beauharnais avait un système qui lui était propre quoique souvent hermétique aux observateurs non avertis. Il revint finalement, agitant triomphalement le présent. Il en restait à peine une gorgée.

Croyez-moi, nous saurons semer le corbeau.
Et votre corbeau détestera ça !
Mais si nous le semons...
Peut-être aura-t-elle quelque chose de très important à faire...


Bella se leva à sa rencontre et, n'y tenant plus, l'attira à elle. Plus de convenances ici, elle avait besoin de sentir sa chaleur, son cœur battre... Dans un sourire, glissant un bras autour de sa taille, son amant lui murmura, la voix enrouée de sentiments et sensations trop complets pour être dénoués :

A vous l'honneur...

Bella ouvrit la fiole et but une toute petite gorgée, avant de porter la fiole aux lèvres du Beauharnais, en le couvant des yeux. A son tour, il en recueillit la dernière goutte, refermant ses doigts sur ceux de Bella avant d'aller trouver ses lèvres... De la serrer contre lui, et de l’entrainer plus loin. La nuit était tombée et il avait allumé deux chandeliers, l’un sur la table, qui fut soufflé, et l’autre brillait toujours sur l’un des coffres quand il l’attira vers le lit. Elle était prévenue, après tout… Il y avait un creux terrible dans le jeune homme, une faim à assouvir. Et il entama, sur le ton du badinage qui les avait rapprochés avant qu’ils ne se l’avouent :

Voyez-vous… Un baiser se nicha à la jointure du cou et de l’épaule, écartant légèrement le tissu qui la couvrait. Votre vrai défaut, c’est l’élégance, parce que… Les mains friponnes avaient épousé la taille de la jeune fille avant que l’une d’elles remonte vers le lacet. Tenez, un exemple. Ce lacet maintient une fort belle ceinture… De la soie, je dirais. Mais… Tirant légèrement le lacet en question, il fit mine d’apprécier le tissage de la ceinture, l’écartant finalement pour passer sous la surcote, plus près de sa peau, mais encore si loin ! Mais une fois le premier obstacle écarté s’en trouve un autre. Voyez la somptueuse teinture de ce noir… Là encore, il appelle à l’examen. Et Bella s’en trouva bientôt délestée. Pour autant, le Beauharnais ne le garda pas longtemps en main, le déposant sur l’un des coffres. Et ce bleu vert, voyez ? Délicat, exquis même ! Tout autant que votre parfum, d’ailleurs, qui appelle à mieux le sentir pour en percevoir toute la délicatesse. Un baiser appuyé suivit la ligne du cou jusqu’à l’oreille. Une nouvelle urgence se profilait… Et ce soir-là, dans la lumière douce des bougies, il pourrait la contempler pour la première fois.
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Christabella
Les bougies du chandelier qui trônait sur la table furent soufflées, et la jeune femme menée vers la couche, éclairée par un autre chandelier. La dernière goutte d’Armagnac, et leurs lèvres se trouvèrent. C’était écrit ainsi. Irrémédiablement, irrésistiblement. Une autre faim à assouvir, dévorant les sens, émoustillés par un badinage de moins en moins innocent. Les yeux clos, la comtessa se laissait porter par une vague de sensations, guidée par la voix du Beauharnais. Jamais, jamais elle n’avait réellement compris ce qu’avait essayé de lui expliquer ceux qui avaient tenté de le faire, à savoir de ce qu’impliquaient les rapports charnels. Elle avait entendu moults histoires en confession, sans les comprendre tout à fait. De celles qui n’avaient aucun goût pour ces rapprochements, vécus comme un devoir pénible à accomplir, ceux et celles qui a contrario en avaient trop, au point de multiplier les amants, celles qu’on avait forcé et qui avaient connu la douleur et l’humiliation… Des amis, à l’instar du coms de Biran avaient essayé de lui faire comprendre le merveilleux d’un tel moment partagé, avec une personne extraordinaire. Une personne qui semblait vous compléter à merveille, un alter ego qui vous était destiné.

Les gestes étaient doux et habiles, et Bella, yeux clos et carmines entrouvertes, guidée par la voix grave de son amant, sentait son cœur affolé qui martelait sa poitrine à rythme effréné, frissonnant à chaque effleurement, chaque effeuillement. Chaque lacet, chaque pièce d’étoffe fut ôtée, dévoilant la peau laiteuse livrée à la vue, au toucher, à l’envi de Wallerand. Elle ouvrit les yeux, jades rendues brillantes par cette faim devenue dévorante. À la lumière des bougies, ce fut elle-même qui ôta le tissu et les pinces qui retenaient sa chevelure soyeuse d’un blond presque blanc, qui, libérée, cascada sur ses reins. Un léger sourire aux lèvres, la voix assourdie, elle s’approcha pour murmurer à son oreille, suivant la mode antique de la scansion, habile staccato de sons.


Non amabam nondum sed amare volebam
frigidus sanguis obstiterit circum praecordia
sed pro te veni et sperabam
Alta alatis patent sic itur ad astra*


Ainsi, devant lui, elle n’avait plus aucun atour, elle n’était rien d’autre qu’elle-même. Elle tenta de camoufler sa gêne... La beauté d’une femme était souvent aidée par ses artifices. Des appas pouvaient être rehaussés par d’habiles jeu de corsages, de rembourrages, des défauts camouflés par du maquillage. Elle-même possédait une drôle de cicatrice sur l’avant bras. NVMQVAM OBLIVISCAR,** inscrite dans le sang, dans sa chair, par désespoir. La main gracile observa le tissu dont il était habillé, et elle reconnu la patte incroyablement douée de Valéryane. Dans un murmure, n’osant plus lever les yeux, se sentant vulnérable et si peu mise en valeur...

Je ne suis pas seule à être élégante...

La main tira elle aussi sur les lacets, l’air de rien.

Je reconnais là la patte de maitre Valéryane... Le choix du tissu est vraiment important. Ces broderies dorées mettent en valeur ce rouge grenat...

Le pourpoint fut ôté, et par petite touche, la chemise fut étudiée, puis les chausses ; d’un œil qui se voulait innocent, et par des mains qui l’étaient beaucoup moins.

Le tissage est important, il donne de la finesse et de la douceur à l’étoffe... Cette femme est une fée. Son ouvrage vous sied bien, il est cintré et mets en valeur une carrure avantageuse...

Un doigt inquisiteur remonta de la taille vers les épaules, soulignant le propos, proféré d’une voix emprunte de douceur et faussement calme. Un discours tentait de camoufler le trouble grandissant, et la gêne de se trouver en pleine lumière, avec ses défauts.
Le menton fut relevé, pour que ses jades se lèvent vers les ors sombres. L’urgence était irrésistible. Inévitable.




* Je n'aimais pas encore, mais je voulais aimer.

Le cœur paralysé par un sang glacial

Je suis venue pour toi et j’espérais.

Le ciel est ouvert à ceux qui ont des ailes, c'est ainsi qu'on s'élève vers les étoiles

** n oublie jamais...

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Wallerand
Cette peau, sous ses doigts, l'appelait au plus doux des crimes. La découvrir ainsi, parcelle par parcelle, avait été délicieux et générateur d'envies terriblement difficiles à juguler. La cascade de ces cheveux blonds presque blancs sur les reins de la jeune fille avait subjugué Wallerand, et il avait eu grand peine à ne pas la faire immédiatement basculer pour explorer des rivages qu'il brûlait d'aborder avec elle. Peut-être était-ce le latin qui l'avait retenu ? S'il n'avait pas saisi le sens exact des mots de Bella, la douceur de sa voix et ses intonations presque chantées en traduisaient chacune des nuances. Pour autant, une étrange gêne semblait la retenir. Il aurait voulu lui dire qu'elle était magnifique, que si elle avait des défauts ça ne la rendait que plus parfaite... Mais sa gorge nouée l'en empêchait. Nouée devant elle, ainsi offerte à la lumière vacillante des bougies, et nouée par les caresses qu'elle lui prodiguait. Et il crut mourir quand il se vit appliqué le sort qu'il lui avait réservé. Gnépapotib ! Comment résister à ça ? Bon, d'accord, il avait commencé, c'était sa faute, mais...

Manchmal hoffte ich jemanden finden, die so wie Ihnen wäre... So feinsinnig, so schön, so völlig. Jahren passend vergaß ich diesen Traum, aber jetzt sind Sie da mit mir... Sicher besteht ja ein Gott, der meine Gebet gehört hat.*

L'aveu dans une langue qu'il maîtrisait mieux que le latin, quoique sa pratique ait été bien loin de la perfection malgré la proximité de sa ville natale avec l'Empire, fut sans doute l'élément qui retint Wallerand de se laisser aller aux tentations que sa maîtresse dévoilait. Même la cicatrice étrange sur son avant-bras ne suffisait pas à calmer le sang qui bouillait désormais dans ses veines, non plus que l'appréhension de la réaction de Bella quand elle découvrirait la longue cicatrice qui lui barrait la hanche gauche ou les quelques marques de lame, estompées, qui se dessinaient encore sur ses côtes. Avant de s'abandonner, il se promit de poser la question, mais il y avait plus urgent et plus incontournable. Dans leur plus simple appareil, ils pouvaient enfin...


[A l'étage d'en-dessous - Salle à vivre du savetier]

Le logis de Guilhem le savetier correspondait, à peu de choses près, à l'extrémité de l'appartement du Beauharnais. Droit sous le lit. Ce logis se composait de deux espaces séparés par une cloison de bois préparée tout exprès par un autre artisan de la cour, séparant ainsi la nuit les enfants de leurs parents. Deux paillasses étaient ainsi disposées de part et d'autre de la cloison, laissant Robin, neuf ans, et Lise, cinq ans, seuls enfants survivants du couple, vaquer à leurs jeux tandis que leurs parents s'adonnaient à d'autres moins innocents... Même si, ce soir-là, il semblait que ce soit leur voisin du dessus qui ait eu des velléités de galipettes.

Les galipettes avaient même l'air drôlement sportives, car bientôt la partie du logis qui correspondait à l'emplacement du lit de Wallerand résonnait sourdement, le plancher en grinçait, bref, ça faisait du bruit. Il n'en fallut pas moins pour inquiéter Lise et pour que Robin perde de son air faraud, et il ne s'écoula pas bien longtemps avant qu'ils ne s'encadrent dans l'ouverture de la cloison. Et zut. Les parents dormaient du sommeil du juste... "Et maintenant ?" semblaient demander les yeux brillants de la petite fille, qui prit finalement son courage à deux mains - enfin, à une, car l'autre serrait sa poupée de chiffon - pour secouer l'épaule de son père.


Père ? Qu'est-ce qui se passe là-haut ?
C'est chez le Wall', non ?
Comme si le petiot ne l'avait pas su... Mais il montrait à son père qu'il retenait les choses comme un grand !
Grumpf... Oui, c'est chez lui, retournez dormir les enfants...
Mais il fait un boucan... On peut pas dormir, Père.
Et puis il fait quoi ? Ca fait peuuuur...


Un grognement d'ours mal léché échappa à Guilhem. Son épouse Hortense se retourna, entrouvrant un oeil, découvrant la situation. Et ayant saisi qu'il allait bien un jour falloir expliquer aux gamins les choses de la vie et qu'il n'était jamais trop tôt pour les y préparer, elle murmura d'une voix ensommeillée :

Il ne faut pas avoir peur, il, euh... Il...
Roh, Hortense, tais-toi, hein, on va pas leur faire un dessin. Les enfants, faut juste savoir que là, même s'il déménage un peu son logis...


Un bruit sourd heurta les oreilles du savetier désormais bien réveillé. Un juron lui échappa alors que sa fille se jetait sur lui, cherchant la protections des bras paternels sans cesser de babiller en roulant des yeux effarés :

Père, Père, qu'est-ce qui se passe ? Il va nous faire tomber le plancher dessus !
Mais non, il doit juste... Hum ! Vouloir bouger sa... Sa table. Voilà.
Il a eu besoin de toi la dernière fois, pourquoi il essaie tout seul ?


"Wallerand, je te hais, je vais devoir expliquer à mes mômes ce que tu fabriques alors qu'on devrait dormir, que j'ai au moins quinze paires de chausses à ressemeler demain, qu'il faut que je forme mon petit en même temps et qu'il va m'en rater au moins deux, que je dormais quand ils m'ont réveillé parce que tu... Hein ! Zut !" Le bon sens primaire de Robin avait à ce moment-là quelque chose de très gênant - encore qu'il ne se soit pas rendu compte que la table ne pouvait pas être au-dessus de leurs têtes -, et le savetier fut dispensé de répondre par un cri étouffé venu de l'étage, qui fut éliminé de ses oreilles par un strident :

Hiiiiiiii ! Il tue une femme ! Faut qu'tu y ailles, Père, faut qu'tu y ailles, faut qu'tu y ailles !
Mais c'est pas possible ! Il ne tue personne, j'vous dis, elle a juste, heu, passé un bon moment. Et lui aussi, j'pense. Vous comprendrez plus tard, allez dormir maintenant, on travaille demain... Et puis tu vois, il ne fait plus de bruit, maintenant, hein ? Tout va bien. Ouste ! Au lit !


Et essayez de dormir, comme là-haut... Ca devait les avoir calmés, ces zigotos !


[Là-haut, justement (et pas sur la montagne, petits chenapans !)]

La passion assouvie, pour l'heure en tout cas, Wallerand n'avait pas pour autant relâché Bella. Pas totalement... La tenir contre lui, encore un peu, lui suffisait, mais il n'imaginait pas de se retourner comme une masse. Et puis, il avait encore une question à poser - impénitent curieux !, qui revenait hanter son esprit quand il posa le regard sur le bras de Bella. Qui avait pu ainsi lui martyriser la chair ? Il posa un baiser supplémentaire sur ses lèvres, comme pour se donner du courage, et lui murmura finalement, passant l'index sur la cicatrice de son avant-bras :

Qui a osé vous faire ça ?

[* Parfois j'espérais trouver une personne qui aurait été comme vous... Aussi fine d'esprit, aussi belle, aussi accomplie. Les années passant, j'ai oublié ce rêve mais maintenant, vous êtes là, avec moi... Vraiment, oui, il doit exister un Dieu qui a entendu ma prière.]
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Christabella
Le calme après la tempête, et ce n'était pas rien de le dire. Les bougies du chandelier jouaient leurs dernières flammes, la nuit était bien avancée. Un apaisement, ils étaient repus l'un de l'autre, heureux. Même s'il avait bien failli lui fracasser le crâne contre le mur, emporté par la passion de l'envolée finale. Heureusement, le torchis est plus tendre que la pierre ou le bois... Dans ses bras, l'oreille contre sa poitrine, le sommeil la gagnait, doucement, au rythme lent et souverain du cœur Beauharnais tandis qu'il lui caressait machinalement les cheveux. Il posa un baiser sur ses lèvres, et elle lui sourit, tandis qu'il passait l'index sur la cicatrice pâle qui ornait son bras. Pressentant la question qui allait tomber, dans la pénombre, elle ouvrit les yeux en grand.

Qui a osé vous faire ça ?

Petit soupir... Serait-il capable d'entendre la réponse ? Cela faisait partie de son histoire... Peu, trop peu connaissaient véritablement l'histoire de la comtesse. En y réfléchissant, seul Milandor avait eu droit à l'aveu complet, à la confession intégrale. Du moins, de ce dont elle se souvenait. Entre les cauchemars, les moments lucides et les périodes d'amnésie totale, elle n'arrivait pas encore à faire la part entre le réel et l'irréel.

Moi. C'est moi qui ai fait cela. Ca peut paraître barbare...

Un frisson lui parcourut l'échine. Maintenant qu'elle avait commencé, elle devrait aller jusqu'au bout... Le début de somnolence était bien loin désormais, laissant le Beauharnais tout ouïe.

Je venais d'entrer dans ma seizième année... J'avais décidé de prononcer des vœux complets, devenir nonne. Monseigneur David me proposait de devenir évêque de Tarbes. J'allais annoncer la nouvelle... Mon père m'a retrouvée assommée dans le presbytère. J'ai un concept assez étrange du rangement, et le livre des vertus est tombé de la bibliothèque. J'ai eu du mal à faire surface... J'ai disparu sur les routes. Parfois, je me réveillais dans des endroits improbables. Des auberges mal famées, des tavernes crasseuses. A la cour Brissel... J'avais peur, j'étais terrifiée. Durant ces moments où je n'étais plus moi, j'écrivais aux gens que j'aimais, je leur écrivais des horreurs, parfois des menaces. On m'a retrouvée en train d'inscrire ces mots dans ma chair... Le choc de revoir mon parrain, et mon père ont suffi à me guérir de ce mal.

Les souvenirs étaient pénibles, et elle avait occulté les pires horreurs, les pires angoisses, elle tremblait à leur évocation. Il la serra dans ses bras, embrassant ses cheveux, la frictionnant. La hantise de la Cour Brissel venait donc de là… Une partie de leur promenade dans Paris se trouvait placé sous un éclairage nouveau. Au-delà du simple réconfort physique qu’il essayait de lui procurer par ces gestes instinctifs, il découvrait une profondeur de douleurs cachées au plus profond de cette jeune femme si douce, si enjouée… Ce qu’il lui murmura, il ne s’en souvint pas, pas exactement du moins, en gardant le fond plus que l’expression gravé au coeur. La promesse de ne plus lui en parler tant il la sentait bouleversée. Celle, surtout, de veiller sur elle, quoi qu’il lui en coûte, tant qu’elle l’accepterait. Et… Et !...

Les flammes des bougies finirent par s'éteindre, la lumière tremblotante de plus en plus ténue, avant de plonger la chambre dans l'obscurité. Elle s'endormit tout contre lui, rassurée par ce bras qui semblait vouloir la protéger...


[ Dans la nuit … Chez Guilhem, le savetier ]

Guilhem se réveilla en sursaut. Il grommela dans sa barbe, ça recommençait ! Bon sang ! Il allait l'entendre, le Beauharnais ! Le savetier pria pour que le bruit ne réveille pas les enfants... C'est qu'il avait la santé, le Wallerand. Il se demandait qui était l'heureuse élue. Pas la Castelcerf, non, aucun risque vu la manière dont elle l’avait envoyé paître. Difficile d’oublier l’état du bonhomme à son arrivée dans la cour, figure de six pieds de long et tout le tralala. Le visage animé d'un tic nerveux, Guilhem priait toujours, alors que les bruits redoublaient d'intensité. La voix ensommeillée de son fils faillit lui tirer un juron, qu'il rattrapa à temps.

Papa ? Il bouge encore sa table, l'Wall ?
Grumpf...
Pourquoi tu ne vas pas l'aider ?
Il fait encore noir... Zou, va dormir, ce sera bientôt fini. J'irai le voir demain. Pour l'assassiner...


[ Dans la matinée … à l'étage ! ]

Le soleil levant inondait l'appartement d'une douce lumière dorée. La jeune femme regardait Wallerand dormir... Elle évitait de penser au départ qui se profilait. Heureusement, il restait la clef. Le moulin. Elle sourit, caressant la joue de l'endormi. Bientôt, elle devrait se lever, s'habiller... retrouver sa mesnie, qui devrait arriver sous peu. Partir discrètement de l'appartement, tant qu'il était encore assez tôt pour qu'on ne la remarque pas.

Mais elle n'avait aucune envie de partir. Elle sourit, puis fronça les sourcils en remarquant quelque chose sur le corps du Beauharnais. Une sacrée cicatrice ! Son index effleura la peau plus fine... Une bataille ? Elle sursauta, lorsqu'elle s'aperçut que ses yeux étaient ouverts, un sourire tendre à son intention. Un sourire étira ses carmines, elle aussi était curieuse.

Comment vous êtes-vous fait cela ?

L’histoire est courte… A Mont-de-Marsan stationnait une armée. Son commandant était retiré dans un monastère depuis… Des mois. De mon arrivée jusqu’au démantèlement de son camp, je n’ai pas souvenir de l’avoir connu autrement que de nom. Enfin bref. Un jour… J’étais encore Prévôt, et cette armée fantôme me tarabustait depuis un moment. J’ai plaidé pour sa destruction. Le maire, le Capitaine, Alvira et moi avons discuté de la marche à suivre. La manœuvre devait avoir lieu dans les jours suivants, mais… Apparemment, le maire a commis une erreur en prévenant que la présence de l’armée n’était plus souhaitée. Alors que j’accomplissais ma garde à proximité du camp, un homme armé jusqu’aux dents m’est littéralement tombé dessus. Je ne sais pas comment ça s’est passé, mais je me suis réveillé le soir suivant, chez un médicastre qui a passé deux jours à m’assommer de potions sédatives, le temps de vérifier que ça allait se remettre ou s’il fallait… Envisager autre chose. Ensuite… Ca a guéri. J’ai de la chance, vous ne m’avez pas connu boiteux !

Un léger rire ponctua la conclusion de Wallerand. Pourtant, à bien y penser… L’aurait-elle seulement vu, hein ? Est-ce qu’on pouvait regarder les estropiés ? A tout prendre, sans doute aurait-ce été lui qui, honteux de son état, l’aurait laissée filer… Aussi ajouta-t-il, l’attirant à lui pour un baiser :

En fait, j’ai de la chance tout court.

Et moi ... J'ai de la chance de vous connaître.
souffla-t-elle avant que leur lèvres se joignirent. Oublieux du temps qui passait, oublieux des convenances. Il s'avéra qu'ils n'en avaient pas encore fini l'un avec l'autre. Grinçant des dents, le savetier aux yeux cernés, qui avait une paire de chausses à livrer à Adalarde, fixa d'un regard noir le plafond grinçant.

C'est ainsi que la matinée était largement entamée quand ils durent se résoudre à se quitter, à mettre fin à la parenthèse, sur un ultime baiser. Posant la main sur la poitrine, elle murmura, avant de tourner les talons.


Je vais passer à l'auberge pour le couvert du midi. Je vous écrirai...

Le clocher sonna l'office de Sexte lorsque la jeune femme se mit en recherche de l'auberge d'Adalarde, afin de la complimenter sur l'Axoa...
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Adalarde_la_patronne
La journée avait commencé comme toutes les autres. Adalarde avait levé son monde, comme à l'accoutumée, houspillé une servante pour qu'elle aille chercher de plus beaux légumes au marché puis pour qu'elle prépare un flan potable, menacé de son balai l'apprenti du boulanger qui avait tenté de négocier une augmentation du pain au nom de son patron - ah, elle le retenait, l'autre couard qui envoyait ses employés faire son sale boulot, il tâterait de son balai la prochaine fois qu'il oserait pointer son vilain museau de rapiat ! - et effectué diverses tâches de la vie courante d'une auberge. Dans le courant de la matinée, ce fut un Guilhem au teint mâché et aux vilaines poches sous les yeux qu'Adalarde vit entrer dans son antre. La bonne patronne, abandonnant un instant le découpage des larges morceaux de boeuf qui allaient constituer l'intéressant du ragoût du jour, s'en allait le saluer quand il lui tendit, sans même un bonjour, la paire de chausses qu'elle lui avait confiée la veille. Oh, quelque chose n'allait pas fort, et foi de vieille guenon - à qui on n'apprendrait pas à faire la grimace - elle saurait ce que c'était ! Heureusement, le savetier lui-même amorça la conversation par :

Tiens... Tu m'en voudras pas, hein, y'a des points de traviole, mais j'ai passé une nuit affreuse.
Ah ouais ? Raconte-moi ça, ça compensera tes boulettes.
T'aurais dû entendre ça... T'sais comment est la maison, c'est vieux, ça grince un peu quand Wallerand marche au-dessus d'chez moi et d'l'échoppe, mais là... J'sais pas qui y'avait là-haut, mais l'a pas fait semblant, le bougre !
Aha ! Il est v'nu hier pour avoir un peu d'axoa supplémentaire, pour son dîner, il a jamais voulu rien m'dire d'autre à part qu'il avait une invitée. J'le savais bien, moi, qu'y avait une anguille dans l'pâté ! 'Fin, sous la roche, tu m'comprends. Allez, tiens, ça va te remonter.


Rien de tel qu'une bonne chope de bière pour vous remonter le moral. Ou vous achever après une nuit désagréable, mais l'alcool avait le gros avantage de libérer la langue de tous les potins qui l'encombraient. Et Adalarde était particulièrement friande de potins... Pas forcément pour les colporter, non, juste pour le plaisir dde savoir. Et puis ça avait un côté distrayant qui l'éloignait un peu, quelques instants, de la réalité terre à terre de l'auberge. Du coup, ni une ni deux, elle avait tiré du tonneau mis en perce la veille une bonne grosse chope de bière. Elle atterrit bientôt devant le Guilhem, qui s'était affalé devant une table, face à la porte. Et la chope passa de la bonne patte de l'aubergiste à celle du savetier, qui ne se fit pas prier pour l'attaquer et continua, dans un regain d'énergie :

Ouais... Ben crois-moi que ça doit être une sacrée anguille. J'l'ai vu attendre hier soir, vers quoi ? Vêpres, j'crois bien. Juste avant que j'ferme la boutique. Il a fini par rentrer avec une d'moiselle, toute jeune, toute menue, toute blonde très pâle, mais il avait l'air de la traiter comme une grande dame. Faut dire qu'elle en avait l'air, élégante et tout ce qui va bien, hein. C'est clair qu'c'est un joli morceau, la jeunette !
Hé hé ! Et ensuite ?
Bah ensuite, deux fois, qu'il m'a réveillé les gamins ! Ma p'tite Lise a même cru qu'il tuait sa donzelle... J'ai dû raconter à Robin qu'il essayait de bouger sa table !
Eh ben ! Bon, c'est sûr que t'allais pas lui expliquer les cabrioles, hein, il a quoi, ton petiot ? Huit ans ?
Neuf. J'te dis même pas, il a recommencé, c'barbare, pas Robin, hein, mon foutu voisin du d'sus, ce matin, pas plus tard que quand je faisais tes chausses ! Un enragé, j'te dis !
'Tends, un moment, v'là de la clientèle, on finit sur l'Wallchiant ensuite.


Malgré sa quarantaine joyeusement entamée, l'Adalarde reconnaissait comme au premier jour le grincement léger de la porte sur ses gonds quand elle était poussée. Debout d'un bond, s'essuyant machinalement les mains sur le tablier qui couvrait sa - large - devanture, elle lança à l'adresse de l'élégante jeune fille toute blonde (tiens, quelle drôle de coïncidence, on n'en sortait plus des blondes) qui venait de passer son seuil :

Bien l'bonjour, ma belle dame ! Que puis-je pour vous ?

Tout aurait pu se dérouler normalement si, par hasard, Guilhem n'avait pas relevé le nez de sa chope, qu'il contemplait d'un air mi-blasé mi-amusé, pour découvrir... Oh non, sérieux ? Robe bleu-vert et noir, coiffure soignée, chevelure pâle jusqu'à confiner à la blancheur... Aucune erreur possible. Il venait de reconnaître la cause probable de sa nuit entrecoupée. Les yeux sortaient pratiquement de la tête de Guilhem quand il hulula, sinistre :

C'est eeeeeeeeeelle !
Christabella
La comtessa salua l'aubergiste, une brave femme qui semblait avoir du caractère. Oui, il en fallait du caractère pour tenir une auberge, tenir tout son personnel d'une main de fer, servir les clients, tirer les oreilles des saligauds qui oseraient lui pincer les fesses, et surtout savoir tenir plusieurs conversations à la fois. Elle sourit, appréciant le fumet qui se dégageait de la cuisine. Apparemment, il n'y avait pas que l'axoa que réussissait Adalarde. Le fumet était appétissant. L'auberge était chaleureuse, des murs chaulés avec des poutres massives apparentes, et une large cheminée en grès.

Bonjorn, je viens pour le couvert de ce midi.
Sur place, ou à emporter ?*
Je préfère manger icilieu.
A la bonne heure, ma petite dame ! Chez Adalarde, on meurt jamais d'faim. Il faudra attendre un peu, l'ragoût a pas fini d'cuire. J'peux vous proposer d'attendre avec un' bière, ou un peu d'vin ?
Va pour la bière. J'attendrai, cela en vaut la peine. On m'a vanté vos talents de cuisinière, on n'a pas exagéré.

A ce moment précis, un homme qui buvait une bière au comptoir hulula un :
C'est eeeeeeeeeelle!

Bella le regarda, interdite. Et zut... A tous les coups, sa camériste carmélite Marie Clarence était arrivée au crépuscule, sentant le coup fourré, et avait envoyé Tibedaud à la recherche de Bella partout dans Lou Moun. Peut être même avait-elle alerté la garde pour la retrouver. Zut ! Quelle barbe ! Cette fouineuse aurait tôt fait de savoir qu'elle n'avait pas dormi ni chez sa tante Vivi, ni dans aucune des auberges de bon aloi de la capitale Gasconne. Elle décida d'ignorer l'homme, et s'installa à une tablée, attendant son verre de bière, qui ne tarda pas à être servi. Une bonne bière bien fraîche, servie avec un doigt de mousse. Claquant de la langue, Bella apprécia la légère amertume, associée à un petit goût de levure. Saccharomycès cerevisiae, la bien nommé levure de la bière... en attendant qu'on vienne lui demander des comptes sur la nuit passée. Mais personne ne venait vers elle... Adalarde, qui n'avait pas compris que l'homme avait reconnu Bella, revint au comptoir, et s'exclama, de sa voix de stentor enjouée :

Aaaah me r'vlà ! Bon, r'prend ton récit, l'Guilhem. Comme ça, l'Wallchiant s'est amusé c'te nuit avec une donzelle ? Sacré lui va !
C'est elle...
Ouaisouais, p'têt qu'elle l'a chauffé un peu, la gueuse...mais j'connais l'bougre, il a pas du craché d'ssus, hein crois moi ! Il a pas b'soin de ça pour grimper aux rideaux qu'il a pas! Trois fois tu dis ? Ben mon cochon … Pis pour réveiller les chiards, l'a pas fait semblant, comme tu dis, l'saligaud !
Adalaaaaaarde ….C'est elle, làààààààà j'te diiiiissss!
répéta-il dans ses dents, pas trop fort pour qu'on l'entende...
Comment ça c'est ? Elle ? Elle reprit plus discrètement, observant la blonde. Elle reconnut la comtesse, qui était venue sur le stand électoral d'Alvira.. La comtesse ? T'veux dire qu'avec la ….Il aurait … naaaaaan. Tu t'trompes.
Comtesse ? Sa voix s'était faite coassement. Wallerand, avec une de la haute ! Une noble... La Castelcerf comptait pas, elle avait la cuisse légère à ce qu'on disait, sans compter qu'elle racontait à qui voulait l'entendre qu'elle envisageait de prendre des amants pour la contenter. Devant son air ahuri, Adalarde reprit sur le ton de la confidence, pour éviter que Bella ne l'entende...
Ouais gars, c'est une comtesse, comme j'te dis. Une Narmagnacote d'à côté, parente d'avec la Messonnier. L'était venue pour les élections, même qu'elle a mouché l'Guillaume. Pas possible... pas elle. T'as du te tromper.
C'est elle, j'sais qui j'ai vu hein. Y'en a pas beaucoup des blondes comme ça.
Pas faux. Tu m'diras, il m'semble bien que déjà il tournait autour d'elle, l'Wallchiant, comme une mouche autour d'un pot d'miel... Mouahaha ! Pour la peine, t'a droit à un autre canon, l'Guilhem.


Indifférente aux murmures de l'aubergiste avec ses habitués, Bella sirotait sa bière. Elle se demandait si sa mesnie était arrivée au manoir, et surtout, quand elle pourrait échapper aux convenances pour revivre une telle nuit avec le Beauharnais. Songeuse, elle considérait la clef du moulin. L'ameublement serait spartiate... Comme le moulin de sa jeunesse auscitaine, un petit moulin de pierre et de bois, au bord de l'eau avec une jolie roue à aube, la pièce à vivre au rez de chaussée, et un plancher en mezzanine pour sa chambre. Mais quand on aimait, le confort importait peu. Ce vieux moulin serait idéal... Puis, elle sentit un frisson lui parcourir l'échine. Adalarde et son client murmuraient en la regardant, ou elle rêvait ?
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Wallerand
Il y avait des reliques qui dormaient chez Wallerand. Les reliques d'une histoire achevée sur une dispute, une incompréhension, un ensemble d'éléments. Dans un coffret de bois reposaient les lettres qu'il avait reçues de Sashah au moment de leur rupture et dans les jours qui avaient suivi. A toutes, il avait répondu. Toutes, sauf la dernière. A vrai dire, il l'aurait sans doute fait si elle n'avait pas mentionné un avenir commun avec quelqu'un d'autre. Peut-être était-ce une jalousie mal placée, ou le sentiment qu'alors qu'il était malheureux comme les pierres elle pensait déjà à autre chose, qui l'avait retenu alors. Peut-être était-ce juste le fait qu'il savait, au fond de lui, que jamais il ne pourrait la rendre heureuse, parce qu'il ne saurait pas rester assez souvent posé, inactif, à simplement écrire ou se repaître d'une vie intérieure, d'histoires inventées, de contes chevaleresques ou tristes. Il avait trop besoin de bouger, de se mettre au service de quelque chose, mairie, institution, Duché, qu'importait ! De donner un sens à sa vie. Une dernière fois, après le départ de Bella, il relut l'ultime lettre de son ancienne compagne.

Citation:
Expéditeur : Sashah
Date d'envoi : 04/03/1463 - 11:12:13
Titre : Re: Re: Ultime lettre

Mon Sieur,

La colère m'a rongé oui je m'en suis expliquée et je vous en présente mes excuses. Je pensais bêtement être bien plus forte que ça, être cette future épouse fidèle, dévouée, assez intuitive pour comprendre que son mari en devenir s'investirait pour le bien du duché et que par conséquent elle le verrait peu, si peu. Mais je n'ai pas été de ce bois là.

Avoir un bâtard Salmo Salar n'est pas un honneur pour moi, un trophée que je peux brandir pour écraser l'homme à qui je donne mon amour. Ma seule réaction quand je suis en présence de Gorborenne est de lui faire mal. Alors oui je l'ai aimé, mais je ne pensais pas être aussi maladroite pour laisser croire qu'il était un fantôme entre vous et moi. Un fantôme de quoi ? Je ne fus que la catin d'un Prince Royal, c'est juste une blessure qui ne se referme pas. Non pas d'avoir laisser le père de mon fils, car je l'ai quitté et non le contraire, mais d'avoir été prise pour une trainée.

Il ne vous arrive pas à la cheville, mais je pensais que vous le saviez. Quant à votre écrit il est le plus beau que l'on ne m'ait jamais envoyé. J'ai traversé une zone de tempête car je ne veux plus faire de politique et je me suis retrouvée bien malgré moi élue. Alors je dois assister à des débats qui me passent par dessus le bonnet, supporter des gens qui ne me supportent pas tout ça avec la nette impression d'être un horrible boulet, tire au flanc, qui ne fait que profiter du statut de son filleul.

Croyez moi c'est très difficile à vivre, mais après tout ce n'est pas votre souci.

Je vous aime et vous ai toujours aimé, jamais je ne vous ai comparé à Gorborenne ou je ne sais qui, vous êtes celui avec qui pour une fois j'envisageais un avenir. Mes réactions furent vives car j'ai accumulé trop de non dits, non pas dans notre vie de couple mais dans ce duché. Certes vos absences n'ont strictement rien arrangé mais j'ai un tempérament de feu et l'on ne se refait pas. Peut être devrai-je dire à ceux qui me ressortent par les yeux, leurs 4 vérités mais je doute que ça m'aiderait à me calmer et ça n'arrangerait strictement rien.

Quant à ma réaction fasse à une éventuelle grossesse ? Je ne vais pas cacher que je suis en mal d'enfants, je ne doute pas un instant que vous auriez fait fasse, mais quand on a un caractère de chien comme le mien, on appuie bien évidemment là où ça fait mal.

Je n'ai dit car je vais rarement en taverne, qu'une seule fois que j'étais veuve, une fois de trop visiblement, mais vous aviez quitté la maison et j'étais très très en colère. Ça vous a été répété mais dites vous bien que ce ne fut répété que pour mieux nous diviser.

Vous me prenez pour une femme qui n'hésite pas à piétiner tout l'amour que vous me portez, tout ce que vous m'avez écrit, tous vos gestes tendres. Jamais je n'ai été cette femme là. Vous pourrez me donner tous les défauts de la terre, me reprocher mon passé, mon caractère épouvantable, mes erreurs, le mal que vous ont fait mes mots, mais jamais, jamais tout ce que vous m'avez offert, écrit, dit ou donner ne fut pris pour moi avec légèreté. J'ai pris et je prends tout comme des talismans d'un amour profond qui nous a uni à vous. Quand je vous ai dit oui à votre demande de mariage, même roturier que vous êtes, ma réponse fut sincère, je garderai en moi ce serment que je vous ai fait en acceptant. Si vous me connaissiez mieux, vous sauriez que tout ce que je reçois est précieux, tout ce que je créé a de la valeur, que voir le nom ROSE disparaitre me fend le coeur, pour ne donner qu'un exemple. Et que je trouve que j'ai payé cher mon engagement en politique, en vous perdant tout simplement. Je suis bien plus sentimentale que vous ne pourrez l'imaginer et je garderai toujours votre amour en moi. Dommage que notre première dispute fut la dispute de trop pour vous.

J'ai été maladroite, confuse, stupide tout ce que vous voudrez, mais douter de mon amour, douter qu'il soit sincère et profond est l'estocade pour moi.

Je comprend qu'il vous faille une femme plus raffinée, moins vindicative, plus calme et moins maladroite que je ne le fus. Je vous souhaite de la trouver et d'enfin être heureux. Chose que visiblement je n'ai pas su vous apporter.

Je ne fais pas vœux de célibat, je n'aurai pas la stupidité de faire une promesse que peut être je ne tiendrai pas, mais il n'y a pas de place pour un autre homme dans ma vie que vous et ce pour longtemps.

Puissiez vous me croire seulement.

Sashah


C'était elle. Tout craché. Reculades sur rebuffades, rejet sur les autres sur rejet des autres. Sans regret, il prit la décision qu'il aurait dû prendre bien avant déjà. Dans les braises mourantes, il laissa tomber les feuillets. Il les avait tant lus à l'époque qu'il les connaissait par coeur, ou peu s'en fallait. Et il aurait vécu le fait de les garder comme une infidélité envers Bella. C'était une page qui se tournait. Définitivement.

Dire que Wallerand était manifestement guilleret quand il pénétra dans l'auberge d'Adalarde quelque temps plus tard aurait été en-dessous de la réalité. A vrai dire, il n'avait pas aussi bien respiré depuis une éternité, et cela se ressentait sans doute dans le salut qu'il adressa à la cantonade avant de regarder plus en détail les présents. Il y avait Guilhem, avec sa tête des mauvais jours. Adalarde, goguenarde. Et Bella, attablée devant une chope de bière... Le sourire qui se dessina sur ses lèvres à son attention, tout à la joie de l'aviser en ces lieux familiers, se figea tout net quand, sans autre salutation qu'un signe de la main, la patronne lança de la voix de stentor qu'elle prenait parfois pour houspiller ses ouailles, augurant d'un dur retour des deux pieds sur terre :


Ha ça, galopin, on fait des cachotteries à son Adalarde ! On l'enfume, on lui raconte des bobards ! Viens ici, chenapan !
... Hein ?
Et ça s'pointe la tronche enfarinée, ça prend l'air innocent, hein ! Prends-moi pour un lap'reau d'six semaines ! Elle est pas née d'la dernière pluie, c't'Adalarde, hein, faut pas croire !


S'écartant de la trajectoire de l'aubergiste qui fonçait sur lui, son accessoire favori (alias un solide balai qui avait connu des jours meilleurs mais se révélait encore drôlement dissuasif quand elle le brandissait dans ce sens-là, manche en bas et tête en haut) solidement agrippé, le jeune homme lança un regard à Bella. A tous les coups, Guilhem l'avait vue, et reconnue ici, mais... Non, ils n'avaient pas été si bruyants que ça, quand même ? Le savetier s'était juste disputé avec Hortense, ce qui expliquait sa mine grincheuse... Quoique, il n'avait rien entendu de tel. Certes, il était occupé ailleurs, mais... Normalement ça s'entendait de l'étage, qu'on veuille l'entendre ou non. Et comme il n'avait rien fait pour être discret, emporté par la passion qu'il assouvissait, le bruit avait pu suivre, pour la première fois, le chemin inverse... Sans s'interrompre pour autant, suivant le Beauharnais dans sa prudente manoeuvre d'évitement, la patronne poursuivait en forçant le pas :

Alors comme ça, on fait sa vie et on n'dit rien à l'Adalarde, hein ? On a une invitée mais personne dans sa vie ? Reviens ici, galopin ! Pendard, enfumeur !
Mais je ne vois pas du tout de quoi tu... Eh ! Un coup de balai bien placé venait de rejoindre l'épaule du Beauharnais, par-dessus la table qu'il avait jugé prudent de contourner pour mettre un obstacle entre Adalarde et lui. ...Parles !
A d'autres ! C'est elle, qu'il a dit, l'Guilhem ! Et puis t'as la trogne des bons jours, hein, ça f'sait j'sais pas combien d'temps que t'étais pas si godelureau, et tu veux m'faire croire qu'il s'passe rien ! Filou, reviens là ! Ici, l'Wallchiant !

Si le premier coup l'avait surpris, Wallerand se doutait bien qu'un deuxième partirait sous peu et força donc le pas. Une fois, d'accord, deux, fallait pas pousser ! Même si, à bout de bras, la bonne femme n'avait pas grande force, l'idée de se faire rosser pour un peu de discrétion ne l'enchantait pas plus que ça, surtout maintenant qu'elle avait pratiquement hurlé son surnom attitré. Mais dans sa course - car désormais l'auberge servait de théâtre à une véritable course-poursuite - le Beauharnais avait négligé un détail de taille : le savetier. Aussi, quand il regarda enfin devant lui, se trouva-t-il face à son voisin, qui s'était levé et lui saisit le col en grognant :

Tu sais pas c'que j'ai dit à Robin pour expliquer ton boucan ? Qu'tu déménageais ta table...
Heu... C'était bien involontaire de t'y pousser, hum...
Un regard désolé à Bella, pour lui signifier combien il était confus de la tournure que prenaient les choses, fut détourné quand le balai d'Adalarde rencontra le sommet de son crâne, lui faisant rentrer la tête dans les épaules en un dérisoire réflexe de défense. Mais ça va pas, non ? Tsss...
C'est toi qui vas pas ! Cachottier ! Comme si j'allais aller baver sur ta vie, hein !
C'est sûr, t'es pas du tout une commère !
Garnement ! Tu vas voir si j'suis une commère ! Tiens !
Eh ! On se calme !
Tu parles qu'on se calme ! J'ai pas dormi à cause de mes gosses qui comprenaient pas tes frasques, et...
C'est tout sauf des frasques !
Qui dit frasque dit éphémère... Exactement le contraire de ce qu'il voulait.
Greluchon ! Faut raconter à Adalarde !
Ouais, et laisser dormir les honnêtes savetiers qui te servent de voisins ! Jean-foutre bruyant !
Fesse-Mathieu du potin croustillant !
Ou du popotin, allez savoir !

Se dégageant finalement pour faire face à ses détracteurs, secoué par un début de fou rire nerveux, le jeune homme lâcha :
Je me rends ! Voilà... Il y a quelque temps, chez Alvira, j'ai rencontré... Sérieux ? Un aveu dans une taverne ? Tant pis, au point où ils en étaient ! Heureusement qu'il n'y avait qu'eux quatre dans la salle. ... Une femme extraordinaire, qui nous subit en ce moment...

Alors qu'il se tournait pour désigner l'intéressée, Wallerand resta coi de surprise. A la place qu'occupait sa maîtresse si peu avant, il n'y avait plus qu'une chope à moitié pleine et une pièce. Elle, elle était debout. Elle partait. Le jeune homme se décomposa. Ca sentait la tuile, et pas le bon gâteau, oh non ! La vraie bonne tuile de terre qu'on se prend sur le coin du museau. Ils n'auraient pas pu la fermer, les deux, non ! C'était sans compter avec la bonne Adalarde, qui avisa la mine défaite du Beauharnais et s'élança à la poursuite de sa cliente. Pas question de laisser fuir la pratique, surtout liée à un habitué fidèle !
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Christabella
Alors que Wallerand brûlait une liasse de lettres, symboles d'une vie ancienne et d'espoirs déçus, Bella buvait tranquillement sa bière dans l'établissement d'Adalarde, attendant le ragoût. Ses pensées se tournaient vers le Beauharnais, à la folie qu'ils vivaient, si exaltante... Malgré tout, elle était persuadée qu'on parlait d'elle, ce qui la rendait perplexe. Pourquoi autant de messes basses ?
La porte s'ouvrit de nouveau, un nouveau client. Elle reconnut la voix de Wallerand, et eut un sourire ravi à l'idée de le revoir aussi vite. Mais elle n 'eut pas le temps de dire quoi que ce soit. Adalarde avait fondu sur lui comme un oiseau de proie. Bella sourit, amusée de la situation.


Le Beauharnais avait l'air penaud... Elle étouffa un rire, alors qu'il se fit poursuivre à coup de balais autour des tables. Le jeune homme tentait tant bien que mal d'échapper à la furie, qui lui lança :

Alors comme ça, on fait sa vie et on n'dit rien à l'Adalarde, hein ? On a une invitée mais personne dans sa vie ? Reviens ici, galopin ! Pendard, enfumeur !

Gnéééé? Le sourire de la jeune femme se figea, tandis qu'elle fit retomber sa chope. Invitée, mais personne dans sa vie. Elle qui s'était sentie légère comme une bulle de savon eut l'impression de retomber lourdement au sol, les pieds lestés d'un chaudron de poix. Faire bonne figure, c'était tout ce qui lui restait. Le rouge lui monta aux joues, à la fois de gêne, de honte, et une pitchenette de colère. Une passade, une de plus ? Lorsque le savetier se plaignit du bruit qu'ils avaient fait, puis parla de frasques, s'en fut trop. L'appétit coupé, elle chercha son aumônière, et chercha parmi les quelques pièces celle qui suffirait à payer la bière et le repas, même non consommés. Mortifiée, elle se leva, et se prépara à rejoindre sa demeure, un sourire figé vissé sur ses lèvres, un sourire crispé qui ne se reflétait pas dans ses yeux. Elle ne voulu pas attendre la suite, elle en avait assez entendu. Le plus dur serait d'attendre d'être rentrée, bien à l'abri, pour s'effondrer en larmes amères. La retombée était dure. Sauf qu'elle fut rattrapée par une Adalarde paniquée. La brave femme lui avait barré la porte de toute sa masse.

Ah mais non mais partez pas !
J'ai payé.
Et mon ragoût ? Hein? J'ai quand même pas travaillé pour des nèfles!
Je n'ai plus faim.
Pffuit... Allez, rev'nez, r'gardez son air tout triste... Pis j'veux entendre l'histoire.
Non, mais...
taratata! Pas d'mais ! Tout l'monde va s'asseoir, rester et manger mon ragoût !
Je ne v...


Un coup d'oeil vers Wallerand, qui avait l'air effectivement penaud, malheureux à l'idée de la voir fuir. Un léger sourire en coin de Bella à son intention. Il y avait des choses qui ne se disaient pas avec des mots... Mais il y avait des choses qu'elle ignorait sur le Beauharnais, des choses dont elle doutait vouloir entendre. Le mot « frasque » était parlant. Invitée, mais pas dans sa vie. Quelle importance avait-elle, au fond ? Sans lui laisser le temps de se raviser, Adalarde la mena d'une main de fer jusqu'à sa table. Bella n'osait pas lever les yeux, à deux doigts de fuir tant elle était nerveuse. Elle n'était pas une de ces femmes inconstantes, une femme légère.

L'wallchiant, va servir des chopes, et ramène nous ça ! Et tu m'racontes tout ! On m'la fait pas, hein !

Le surnom du beauharnais amena un léger sourire sur les carmines, bien qu'elle se sente très mal à son aise, l'estomac toujours noué, et la gorge serrée. Les chopes furent amenées, et Bella sentit qu'on lui glissait un morceau de vélin entre ses doigts … effleurés. Toujours ce badinage, qui lui rappelait tout ce qui avait été vécu jusque là. Depuis le repas chez Alvira... Discrètement, elle déplia le petit mot...


Citation:




Vous êtes importante... je ne voulais pas risquer de vous compromettre. Juste Vôtre.*

Discrètement, en attendant la discussion, les yeux baissés comme une agnelle à l'abattoir, elle lui prit furtivement la main pour la serrer, sous le couvert de la table.
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Wallerand
Percé jusques au fond du coeur
D'une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,
Heureux soupirant d’une belle demoiselle
Contraint au silence pour sauver son honneur,
Il demeure immobile, et son âme éperdue
Cède au coup qui le tue.
Si près de voir son feu récompensé,
Voici glacé son sang !
A l'instant elle fut offensée
Et l'offenseur est son amant ! *

Heureusement, Adalarde avait pris les choses en mains. Sans ça, Wallerand serait sans doute resté vissé au sol, comme un spectateur pétrifié de la fin de la scène. Ramenant d’autorité la jeune fille à la place qu’elle avait quitté et s’installant avec elle, elle l’envoya chercher de quoi boire, lui tirant un balbutiant :


Les chopes, oui... Les chopes.

Le pas mal assuré, tant il lui semblait brusquement que la terre manquait de se dérober sous lui, il se rua vers le comptoir. Une idée, il lui fallait une idée, vite. Il ne pouvait pas lui laisser croire qu'elle n'était qu'une frasque... Pour une frasque, jamais il n'avait, jamais il n'aurait attendu, espéré aussi follement. Il aurait juste laissé tomber, oublié... Une idée. Comment dire les choses sans parler. L'esprit engourdi peinait à trouver une solution alors que les mains, machinalement, remplissaient quatre chopes. Une idée... Et la lumière fut. Parler sans parler, c'était écrire.

Posant trois chopes en évidence sur le comptoir d'Adalarde, il fit mine de passer dans l'arrière-salle, dans la réserve de l'auberge. Tel était l'avantage d'un habitué d'assez longue date qui avait sympathisé avec la patronne : il connaissait plutôt pas mal les lieux. Prétexte fallacieux : trouver une dernière chope. Vraie raison : trouver un bout de feuillet, n'importe quoi, un rien, quelque chose d'à moitié moisi s'il le fallait. Le fusain, il l'avait, il en avait toujours. Ce fut un vieux morceau de papier, accroché à un cachet sur un tonnelet, qui le sauva. A la hâte, il y inscrivit quelques mots, presque rien, pas autant que ce qu'il aurait voulu. Sans même prendre la peine de prendre une chope pour lui servir d'alibi, il retourna vers la salle servir la dernière avant de les apporter à la table élue, dissimulant le pli dans le creux de sa paume, le glissant aussi discrètement que possible à Bella. Il s'installa à côté d'elle, appréhendant un rejet qui ne vint pas, malgré tout. Au contraire. Sa main serrant la sienne, après lecture, était rassurante. Un tremblement le parcourut, et il ne le maîtrisa qu'en la serrant plus fort encore, comme si ça avait pu l'empêcher de partir.

Adalarde avait pris place face à Bella, et bientôt Guilhem les rejoignit, attiré par la chope ou par la perspective d'une bonne histoire. Ou d'un déjeuner. Il fallait avouer que l'odeur devenait alléchante à mesure que le ragoût mijotait, et que la perspective d'un repas reprenait des couleurs. Et l'aubergiste reprenait, après une bonne lampée de bière (pas question de perdre le nord), en relevant le menton de son hôte :


Eh, faites pas cette tête, belle dame. J'l'ai jamais autant vu perdre ses moyens. Z'avez vu c'te diligence ? L'a jamais servi personne en faisant aussi peu d'chichi !
D'ailleurs, maint'nant qu'on est là et qu'j'ai perdu la d'mi-journée, j'veux bien entendre c't'histoire.


Ca, c'était Guilhem tout craché. Un estomac sur pattes, qui appréciait particulièrement la cuisine de sa cliente et ne perdait pas une occasion de l'honorer. Et sentant les regards de ses deux amis peser sur lui, Wallerand soupira - pas moyen d'y couper, cette fois - et finit par se lancer.

Bon, voilà... Début mars, Alvira voulait... Enfin, vous voyez, me secouer un peu. Parait que j'étais pas bien, tout ça. Elle avait invité des amis à Peyrehorade. La seule personne que je ne connaissais pas, c'était Christabella ici présente. Et... Je n'avais jamais rencontré une femme comme elle. On s'est revus au couronnement de la Reine, et puis... Hier, c'était la première fois que nous pouvions nous revoir. Seuls, je veux dire. Gardez-le pour vous. Je ne voulais pas que… Qu’on puisse s’en servir contre elle.

Il avait achevé en la dévorant des yeux, en une demande de pardon muette. Il aurait tant à lui dire encore, pour tout dépeindre, pour l'assurer qu'elle n'était rien moins qu'une frasque ou une lubie, pour lui expliquer toutes les raisons de son silence... Mais c'était sans compter sur Guilhem et Adalarde, qui avaient l'air décidés à le rassurer... Mais pas que.

Mais ouais. Tu peux y compter, va.
Ouais. T’as un paquet de défauts, mais on va t’passer c’te cachotterie, l’affreux. Vous savez qu’c’est un boit-sans-soif, au moins ?
Et un impatient ?
Un acharné !
Un maniaque.
Un obstiné…
Têtu, même ! Même ma bourrique l’est moins qu’lui !
Et vous verriez l’temps qu’il lui faut parfois pour s’décider !
Ah ça. Quand il s’est torché parce qu’il sentait qu’ça allait mal finir avec l’aut’dame, il lui a fallu au moins quat’chopes pour admettre qu’il fallait arrêter les frais.
C’la dit, j’vais vous dire un truc : il a eu des grosses, grosses frasques quand il voyageait, hein, il nous a un peu raconté, mais j’crois ben que d’puis qu’il est ici l’animal s’calme !
Ouais. En Gascogne, on lui a connu qu’la Castelcerf. Pis vous, du coup, mais on l’dira pas. Hein Adalarde ?
Ouais. Par contre, on peut vous en raconter sur lui, si ça vous dit.


Ce jour-là, c'était la Saint Wallerand. La chose avait l'air entendue.

[* Libre adaptation de la première strophe des stances de Rodrigue. Pierre Corneille, Le Cid, acte I, scène 6.]
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