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[RP] Un archipel

Takanomi
Une pluie d'été douce et assombrie battait à un rythme soutenu les vitres rafistolées multicolores de l'auberge, lesquelles laissaient mal entrevoir l'extérieur.

La chambre à l'étage étant bien trop exigüe pour qu'il puisse prendre ses aises, Takanomi avait décidé de se réserver, moyennant paiement d'une grasse somme d'écus, une table suffisamment large et assez à l'écart, séparée du reste de la gargote par une série de piliers de soutien qui trahissaient un effondrement et une restauration récente.
Cela lui faisait office de bureau. Un bureau de circonstances, sans le filtre mat des tentures, sans les tapisseries livresques sur les murs et le décor des multiples reliures, et sans la nappe de bure, grise et rapiécée.
Mais il y trouva un endroit somme toute tranquille

Il y avait de ces moments à Péronne où il affectionnait de se rendre dans une taverne quelconque pour y travailler ou tenter de le faire. Il ne s'était expliqué cette habitude que tardivement en soutenant que c'était là un moyen de garder, d'une certaine façon, la proximité avec l'Autre et avec le peuple qu'il représentait.

Mais ceci prenait cours lorsqu'il était à Péronne. Or, ce n'était pas le cas.
Un projet en relation avec le pouvoir Artésien - dont les détails ne seront pas dits, aussi croustillants puissent-ils être - l'avait amené en Bretagne. Ce séjour ne pouvait donc avoir la même saveur que les deux précédents car d'autres motifs l'avaient amené précisément en la ville de Reims.
A la suite d'une longue suite de précautions, le trajet s'était déroulé avec pour seuls désagréments tantôt la pluie drue, tantôt l'étouffante chaleur et pour seul agrément, la vue agréable sur les vagues, les rochers, les falaises, les landes et les plages sauvages.

Toutes les semaines, il se faisait envoyer une masse significative de comptes rendus et de dossiers, concrétisés par une liasse haute comme son avant bras, tassée, ficelée et fardée. Une odeur de parchemin lui titillait les narines et faisait l'effet des effluves de pitance sur le bon-vivant.
En désagrégeant le tout, il remarqua la forme inhabituelle et la couleur différenciée d'un pli*. "A Takanomi Kermorial" laissait-il voir. Des questions se bousculèrent dans son esprit. En tout cas, on avait eu la diligence de l'appeler par son nom. Et il décacheta.



    D'Elisabeth Kermorial

    Mon cousin,

    Il y a longtemps que nous ne nous sommes vus, mais si je ne me trompe, le temps n'aura pas amoindri l'attachement que vous portez à la fille de Marie. Il est bon, alors, que vous sachiez ce qu'il advient d'elle.

    Il y a quelques mois, elle a quitté le service de Yolanda de Josselinière dans des conditions plutôt inconfortables, et elle a rejoint Vannes où je réside désormais. Le Prince de Montfort, son oncle, naguère suzerain de sa mère, et aujourd'hui d'elle-même - car il s'est cru autorisé à faire prêter serment à une enfant de dix ans - a requis sa présence dans la campagne d'Anjou, et s'est opposé fermement à mon projet de l'aller chercher pour la ramener en des lieux plus sûrs. Il semble qu'elle ne soit pas blessée, mais j'ai reçu hier de troublantes nouvelles - je crains qu'on ne l'ait fait se battre, et que sa lame ne soit pas restée blanche.

    Elle est ces jours retirée en un monastère, d'où l'on n'autorise aucun contact avec le monde extérieur. Sans doute aura-t-elle, en sortant, besoin de mots de réconforts provenant des personnes qui tiennent à elle.

    Taliesyn de Montfort désire la faire résider en ses terres de Retz, afin de la préparer à gérer son fief. Je ne m'opposerais pas à l'idée, s'il m'inspirait confiance, car il est vrai que Buzay sera bientôt sous la protection d'Alix ; mais à dire le vrai, je n'aime pas l'idée de la savoir enfermée dans une résidence princière, même avec tous les précepteurs du monde. Fille de marquise elle est, fille d'une ancienne duchesse de Bretagne, mais je veux la préserver d'un train de vie qui lui pourrait nuire, et d'un isolement qui la couperait des réalités. Je m'efforcerai donc de la faire séjourner à Vannes le plus souvent possible.

    Ne vous méprenez pas : votre aide n'est pas requise. Je ne crois pas d'ailleurs que vous puissiez grand chose. Mais si le sort de l'enfant ne vous est pas indifférent, songez s'il vous plaît à lui écrire, d'ici trois ou quatre semaines.

    Le Très Haut vous garde,

    Elisabeth Kermorial


Elle émanait de sa cousine.

Il examina le verso pour se rendre compte de la longueur du texte puis conclut que ce dernier ne devait sans doute pas avoir pour objet Elisabeth elle-même. Les deux ne s'écrivaient pour ainsi dire jamais et quand bien même il y pensait et s'y apprêtait, il ne savait quoi coucher et se laissait dire que, finalement, il y avait trop peu de justifications pour ce faire.

Il fit une première lecture, puis une seconde où il s'attarda sur la dernière phrase.


Après être resté un instant songeur, il se mit à rassembler la masse reçue qu'il fourra pelle-melle dans une large besace de vieux cuir. S'apprêtant à sortir, il lança au tenancier :

Si on me cherche, je serai à Vannes.

Il arriva à Vannes le jour d'après au soir. Se renseignant auprès des habitants, il se dirigea vers l'Eglise Saint Patern, délaissant sa monture, il entra. Epuisé, il s'installa sur un des bancs. Il finit par s'y allonger, sa besace lui servant d'oreiller.
Il s'endormit ainsi.

_________________
Else
Sur le parvis de Saint Patern, trois vieillards. L’un proteste en agitant les bras, en proie à une vive émotion. Le second le contemple, l’air narquois, les mains confortablement callées sur une canne. Le troisième grommelle dans sa barbe, cherchant à récupérer l'appui que son compère se plait à lui refuser.

- Ah, ça ! Pisque j’vous dis que j’y ai vu ! Vingt fois que j’vous répète !
- T’es un vieux radoteur, on est au courant. Ca t'rend pas moins bigleux.
- Ah, ça !
- Tu vois !
- Et quoi qu’tu veux qu'on fasse, hein ? On l’attrape, on l’ceinture, et on l’traine à la maréchaussée ? Et t’es combien dans tes braies ? Parce que moi, j’ai passé l’âge de lutter contre les jeunes. J’tiens d’jà pas d’bout…
- Mais c’t’important !
- ’Sûr. Affaire d’État, au moins.
- Rha ! Tu vas m’la donner, c’te canne, oui, fripouille ? J'en ai b'soin !
- Tut tut tut. Sois poli. Puis aujourd’hui, c’est mon tour, on a dit, jusqu’à tierce !
- C’tait avant que l’aut’ sauveur du monde nous fasse sortir à pas d’heure. Ca compte pas.
- Tudieu ! Laissez c’te nom de d’là d’canne ! On a affaire à truanderie, là ! J'l’ai vu, le maraud ! Sûr comme un lot d’roches !
- Blasphème pas su'l’parvis, toi !
- Et l’expression, c'est « sûr comme de l’eau de roche ».
- « Clair comme de l’eau de roche », en fait.

Les trois ancêtres sursautèrent, et présentèrent mine contrite à la diaconesse de Vannes qui avait surgi derrière eux. Comme des gamins pris en faute, ils osaient à peine croiser son regard. C'est pourtant d'un ton égal qu'elle enchaîna :

- Et cela s’applique à un acte ou à une parole particulièrement limpide, transparente comme l’eau de source. Je ne crois pas que ce soit ce que vous vouliez dire.
- J’demande bien vot’ pardon, ma Sœur, souffle le premier d’une petite voix, roulant son chapeau entre de vieux doigts nerveux, pour avoir dit du mal du Très Haut sans qu’il y ait d’ma volonté, mais c’qu’y a d’transparent, c'est que j’ai été témoin d’un méfait, et que ces deux là veulent point m’croire.
- Il divague, ma Sœur. Il voit l’mal partout. Une vraie commère !
- On vous d’mande bien pardon, ma Sœur, d’vous embêter avec tout ça.
- Mais j'l'ai vu ! Même que c’était ce grand gamin tout maigre, dont c'est que j'vous ai parlé l'aut' fois, et qu'il courait à toutes jambes°! Et un paquet dans la main, en plus ! Sûr qu’il a volé un truc !

D’un geste de la main, Kermorial imposa le silence au trio. Le troisième en profita pour feindre de perdre l'équilibre, et tendre une main pathétique vers la canne que le second lui refusa encore. Qui sait ? Cela pouvait émouvoir cette bonne Sœur Elisabeth...

- Je vois. On essaiera de retrouver le jeune homme. En attendant, pas de conclusions hâtives. Et rentrez chez vous. Elle marque une pause, regard glissant vers l’objet des convoitises. Et achetez-vous une canne chacun, à la fin !

En face, deux moues boudeuses, et un sourire triomphant. Quelques instants plus tard, les salutations d’usage accomplies, la porte de Saint Patern se refermait sur sa gardienne, sous les regards nostalgiques des trois valétudinaires.

La blonde remonta la nef, songeant à ce mystérieux gamin. La description qu'en avait fourni le vieillard, quelques jours plus tôt, l’engageait à penser qu’elle l’avait déjà vu ; mais elle n’avait pas de preuve, pas la plus petite idée de son nom ou de son identité, et aucun moyen de l'attraper. A la grâce de Dieu, donc ! Et elle en était à peu près là de ses réflexions, lorsqu'un mouvement à droite attira son regard. De surprise, elle recula, les yeux écarquillés. Là, allongé sur un banc, il y avait…


- Takanomi ? Mais qu'est-ce que vous fichez là ?
Takanomi
Son sommeil léger l'empêcha de rester dans l'inconscience et il leva la tête pour voir de quoi il s'agissait, croisant ainsi directement le regard étonné d'Elisabeth.

Il aurait pu être fier de son effet de surprise s'il avait les pleins pouvoirs sur son esprit en cet instant engourdi. Un bref coup d'oeil de côté, instinctif lui permit de se situer dans l'espace. Et comme l'interrogation appelait une réponse rapide et concise, dépourvue d'explications hasardeuses et alambiquées, il répondit comme pris la main dans le sac d'une voix atone :

Oh rien... Je me reposais, juste ah..

Un bâillement lui arracha alors l'âme tout en lui décrochant la mâchoire, il se frotta les yeux et le visage, se gratta les cheveux et se mit en position assise.
D'étranges effluves désagréables et assez fortes remontaient de ses habits jusque dans ses narines. Bien qu'il s'était habitué à une certaine négligence, ce grand sentiment de saleté ne le laissait pas indifférent. L'humidité des tissus le grevait incommodément.


Un court instant s'était écoulé entre sa réponse et le fait qu'il se leva pour faire face à son interlocutrice.

Je ne peux te saluer comme il se doit, je crains d'avoir subi un temps mauvais sur ma route.
N'aurais-tu pas quelque habit de rechange que je pourrais me passer?


Après quelques instants d'hésitation, il ajouta :

Euh... masculin, si tu veux bien.

Ce disant il esquissa un bref sourire en coin.
_________________
Else
Ne pas imaginer le cousin en jupons. Ne pas imaginer le cousin en jupons. Ne pas… Trop tard.

Les prunelles sévères d’Elsa glissèrent sur la silhouette du blondinet, ne trahissant que trop son opinion sur la vision suscitée. Pas convaincant. Quelques siècles plus tard, ça donnerait quelque chose comme : « t’as pas d’avenir dans l’transformisme, gars » ; mais dans le temps, les diacres savaient se tenir. Celle-là, en tout cas. Et en prime, elle manque d’humour.


- On va essayer de vous trouver ça.

Oui, « vous ». Elle n’essaie même plus : trop astreignant serait l’effort, trop dissonant le résultat. Elisabeth ne tutoie personne que les enfants, Dieu, et toute la clique sacrée. Éventuellement les morts – en particulier dans l’exercice de son diaconat, et à la rigueur, les baptisés. Quant aux deux exceptions absolues à ce traitement, ils ont rendu l’âme depuis longtemps déjà. « Vous », donc.

Elle regagna les portes, dans l’assurance à peu près complète de rattraper les trois compères croulants. Revenant un instant plus tard, elle dépassa le cousin pour se diriger vers le transept.


- J’ai fait envoyer un mot à un tisserand de mes amis. A supposer qu’il soit chez lui, il devrait avoir de quoi. Du moins, j'espère. En attendant, venez par là, vous me raconterez.

Ce que vous faites de votre vie. Ce que vous fichez à Vannes. Ou ce que vous voudrez. Et de pousser la porte de bois sombre qui mène à la sacristie.
Takanomi
Son sourire -si tant est qu'on puisse appeler ce rictus ainsi- s'effaça rapidement. Pas très portée sur le rire, la cousine. Ce n'est pas tout à fait comme s'il ne s'y attendait pas. Pour l'avoir rencontrée à plusieurs reprises, bien que rares et espacées dans le temps, il avait pu jauger le personnage.

L'idée bancale s'était insinuée en lui selon laquelle, Elisabeth et Marie étaient deux faces opposées d'un même élément. Des êtres qui n'étaient pas forgés de la même manière mais qui participaient du même matériau de base.
Il les différenciait avec aisance, bien que la seconde ait été moins accessible.

Il s'agissait de ces êtres rigides d'apparence, indéterminables quant à leur humeur, marqués d'évènements passés. C'était ce qu'il en pensait, en tout cas.
Et c'était aussi un profil qui résolvait un certain nombre de choses.


Et c'est ici que tu habites?

Tout en la suivant à travers le transept, il trempa sa main dans une sorte de récipient où se trouvait de l'eau fraîche et s'en aspergea le visage.

J'étais à Rennes, je suis venu suite à ta lettre. Causons.

Il s'appuya à une table après être entré dans une nouvelle pièce dont il ne déterminait pas la fonction. Une bougie allumée était posée sur sa gauche.

Diaconesse, alors...
Comment vas-tu, ici?


A pied, je sais, mais encore?
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Else
A la première question ne répondit pas, jugeant qu’elle était rhétorique. Il savait déjà qu’elle vivait à Vannes ; quant au bâtiment… L’idée que Takanomi put être ignorant à ce point des choses de la religion ne lui vint même pas. Tandis qu’elle pénétrait dans la sacristie, elle le vit, silhouette désinvolte aux confins du champ visuel, plonger les doigts dans la vasque d’eau pure préparée pour un baptême, et leva les yeux au ciel. Le geste ne posait pas problème, à proprement parler : la symbolique de l’aspersion ne souffrirait pas de ce qu’un effronté emprunte quelques gouttes pour se débarbouiller. Ce n’était jamais que de l’eau. Et puis, elle en avait vu d’autres. Elle omit donc de relever l’irrégularité de comportement, et avança dans la pièce pour laisser entrer le blond.

La lumière du jour se déversait par une fenêtre en ogive, et animait de reflets cuivrés un grand bahut de bois sombre. Un grand meuble de même teinte, couvrait tout un pan de murs de ses portes et tiroirs subtilement craquelés. Sur un pupitre, enfin, une bougie oubliée trahissait le travail tardif de la veille. Ce que voyant, la responsable s’en alla la souffler, et releva les yeux vers son cousin.


- Bien.

Évocateur, mhm ? Le consanguin entendra peut-être, ou peut-être pas, qu’elle n’a pas disputé l’« ici ».

- Je préfèrerais qu’Alix Ann y reste à plein temps, avec moi, mais enfin. Et diaconesse, oui. Tavernière, aussi, à la Rabine, sur le port. Mais je vois qu'on vous a plutôt renseigné sur la première fonction – à moins que vous ayez l’habitude de faire un somme dans les églises ?

Après tout, le médaillon qui sur sa poitrine concurrençait la médaille de baptême pouvait bien l’avoir renseigné à l’instant.
Takanomi
Elle allait "bien". Mais il ne pouvait pas lui en vouloir de lui donner réponse aussi austère, lui-même employant la locution "assez bien" pour couper court aux banalités.

Quelques gouttes perlaient sur le chaume de ses joues et, lorsqu'il y passa la main, ce qui avait l'air d'être de la poussière se pulvérisa à la lumière du jour. Ses bottes de voyage geignaient au moindre mouvement de leur cuir et étaient infestées de l'humidité de la veille. L'idée de s'en libérer lui était venue dès le moment où ils entrèrent mais il croyait que son interlocutrice n'allait pas être de cet avis. Il l'imaginait bien l'aider à s'en débarrasser mais c'était dans un court instant d'absurdité distordant la réalité. Il ne se déchargea que de la cape qui couvrait son côté gauche.

Il marcha à travers la pièce, tout en l'écoutant parler. Cela lui évitait de se tenir en face d'elle à essayer de trouver le bon pied d'appui. Cependant, il s'adossa sous la fenêtre, remarquant ainsi l'ombre de sa chevelure hirsute. Dans quel état devait il être ?


Désolé, le voyage m'a amoché, tu n'es pas obligée de me regarder.

Mais comme ce qu'il venait de dire n'avait aucun lien avec les dernières phrases d'Elisabeth, il enchaîna.

J'avais simplement plus de chances de te rencontrer icelieu rapidement... Et de te faire une agréable surprise, peut-être?

Qu'avait-elle fait d'ailleurs, lors de son séjour ici ?
Je veux dire que si elle manifeste l'envie de revenir auprès de toi, cela faciliterait sans doute les choses.

D'ailleurs, a-t-elle toujours un chat nommé Ar c'haz ?

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Else
La suggestion d’une surprise agréable, il le faut espérer, n’attendait pas de confirmation exclamative. Elle ne reçut, pour toute réponse, qu’un bref signe de tête. Et serait-ce un semblant de sourire ? Il en faut beaucoup pour que Lizzie saute au plafond, mais la démarche du blondinet, au fond, ne lui déplaisait pas. Il s’intéressait à Alix. Que demander d’autre ? La légère torsion approbatrice de la lèvre s’effaça aussi vite qu’elle était venue, mais pas l’attention portée aux paroles de Takanomi.

- Ar c'hazh est ici.

L’aurait-elle laissé, avec toute sa ménagerie josselinière, si elle n’avait pas eu l’intention de revenir ? Pourquoi n’aurait-elle pas envie de revenir ? Hein ? Pourquoi ? Kermorial contint un geste d’impatience.

- Quant à revenir… Elle voudrait, je suppose, rassembler tous son monde autour d’elle en un même lieu. Sa marraine, moi, Josselinière, et tant d’autres. On ne peut guère demander autre chose à une enfant.

Encore moins à l’enfant de Marie, qui ne s’était jamais débarrassée de ce désir puéril d’être aimée par tous, toujours, et entourée sans interruption. Si fort qu’Elsa ait aimé sa sœur, en cela comme en bien d’autres choses, elle la plaignait. Ses exhortations n’avait jamais servi de rien. Peut-être aussi n’avait-elle pas su dire. On est si faible, quand on aime… Mais avec sa nièce, il ne fallait plus faillir.

- Et puis, elle veut faire ce qu’elle doit. Ce qui est une bonne chose. Mais elle est trop jeune pour le déterminer seule.

Une pause. Malgré la permission étrangement précieuse, Elisabeth n’avait pas détourné le regard. Jugeant que son vis-à-vis atteignait son seuil d’inconfort, et qu’elle avait assez repoussé le moment de le prendre expressément en compte, elle dévoila la suite du programme :

- Dès que vous aurez des vêtements propres, vous viendrez avec moi. J’avais l’intention de travailler ici, mais je peux emporter ce dont j’ai besoin. Et vous, vous avez besoin de vous laver.
Takanomi
Ar c'hazh le chat était donc resté derrière. Lorsqu'il l'apprit, Takanomi ne savait pas réellement quoi en penser. L'avait-elle abandonné ? Ou laissé à sa tante afin qu'elle puisse s'en occuper ? Qu'en était-il alors, de Jean-Baptiste -si tel était bien son nom- le lapin dont Alix lui avait parlé à l'époque ?
Elle avait 10 ans environ, à présent, devait-elle encore se soucier de ces choses-là ? Du temps avait passé depuis leur dernière rencontre, l'eau avait coulé sous les ponts et plusieurs caravanes devaient avoir passé devant un Ar c'hazh miaulant.

Il était ensuite question de son entourage. De la lettre qu'il avait reçu, il retint le nom de Yolanda de Josselinière. Il avait, en outre, une petite idée de qui pouvait être la marraine. Pour le reste, il ne savait pas. Mais il allait savoir tôt ou tard.
Sur le chemin de Rennes à Vannes, il avait réfléchi aux moyens de dispenser un enfant de ses obligations vassaliques. Or, Alix n'était pas encore pubère. Du moins normalement et en principe.


-Peut-être que ce n'est pas ce qu'elle doit. Justement parce qu'elle est trop jeune pour avoir responsabilité de ces choses-là.

Il marqua une pause puis, comme se souvenant de quelque chose, il ajouta.
J'aimerais en savoir plus sur le Montfort qui la veut en ses terres.

Ce disant, il ramassa besace et cape, déjà parce qu'il fouettait sévère et ensuite parce que le ton employé par Elisabeth ne lui laissait pas le choix. Et comme si ça ne suffisait pas, il crut bon d'ajouter :

Un robe de bure me siérait aussi, en fait. Je ne suis pas vraiment difficile sur cette question.
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Else
Ne pas imaginer le cousin en habit clérical. Ne pas imaginer le cousin en habit clérical. Ne pas… Trop tard (bis).

Cette vision s'avéra aussi curieuse que la précédente - suffisamment, en tout cas, pour que Kermorial ne prenne même pas l'idée de vérifier dans le chasublier si le Père Kante n'avait pas laissé traîner une aube ou deux. l'habit certes ne fait pas le moine, mais il le contrefait. C'est pire.


- Même si j'avais quelque chose de ce genre à votre taille, vous feriez un drôle de moine.

Puis la bure, ça gratte. Pas vraiment le cadeau de bienvenue dont Kermorial entendait se fendre. Aussi ne se mit-elle que lentement en mouvement, afin de laisser au paquetage demandé le temps d'arriver à bon port, et revint au sujet original. Voile pudique jeté sur l'assertion première : car bien sûr, qu'elle est trop jeune ! C'est ce qu'elle se tue à expliquer à Montfort ! Montfort...

- Montfort... Taliesyn de Montfort, fils d'Elfyn, frère de Marzina. La marraine d'Alix, accessoirement. Et frère adoptif d'Alesius, le père de Cassius. Qui est le père d'Alix. Bref regard au gazier, voir s'il se représente l'affaire. Les Kermorial, d'accord, c'est pas jojo ; mais au moins, à trois clampins, on s'y repère bien mieux que dans la kaléidoscopique généalogie Montfort. Elfyn était le suzerain de Marie pour les terres de Buzay. A sa mort, Taliesyn a repris le flambeau.

Ca, c'est pour le détail pratique. Le reste voulut être anoné sur le même ton neutre, quoique la désapprobation menaçait à tout instant de broyer le fragile équilibre.

- Arrogant. Probablement ruiné. Va-t-en-guerre. Plus soucieux de sa gloire et de son rang que du bien être de qui que ce soit.

Et des trois suzerains de feue Marie, il faut que ce soit justement celui-là qui veuille de sa fille. Quoique pour être honnête, le très décédé Riwan Nathan de Brocéliande, et le très absent Marick de Montfort-Laval n'eussent pas franchement satisfait aux critères blonds ; mais on se préoccupe des menaces comme elles arrivent. D'autres questions ?
Takanomi
"Un drôle de moine" avait-elle dit.

Tant qu'on ne l'obligeait pas à arborer la tonsure - qu'il trouvait d'ailleurs d'une laideur accablante tout en ignorant la raison du choix de ce signe distinctif, tout lui semblait envisageable. En temps normal, c'est à dire en dehors d'un mandat de magistrat ou de Conseiller comtal, il jouissait de petits revenus qui ne lui permettaient pas d'avoir une garde-robe très fournie. C'étaient sa bibliothèque, ses vélins, son encre et d'innombrables bougies les plus écuphages.
Son effort vestimentaire était plus ou moins acceptable, cela dit. En l'origine, en tout cas, la pluie n'ayant pu 'empêcher d'y ajouter sa goutte.

Ils marchaient lentement en redescendant la nef. Lui restait légèrement en retrait, ce qui lui permettait d'observer son interlocutrice sans que celle-ci ne puisse le remarquer. En tout cas, il le pensait. Bien qu'elle soit d'une tête plus petite, elle paraissait élancée mais son attention était attirée par les cheveux blonds qui encadraient le visage dont il apercevait les contours droits.
Il se mettait par moments à sa hauteur pour mieux comprendre ce qu'elle disait.

Malgré quelques séquences de distraction, il savait avec précision ce dont il était question. En réalité il connaissait l'agencement de la famille paternelle, savait l'identité de la marraine, celle du père pour avoir assisté au mariage, avait ouï dire à propos d'Elfyn. Il avait failli faire remarquer qu'on avait finalement manqué d'imagination pour nommer son défunt petit-cousin mais il garda son propos pour lui.
Celui dont il était question au départ, c'était le grand-oncle adoptif-suzerain.


J'avais vu la marraine et avais entendu dire de qui il s'agissait. Elle me paraît bien absente dans toute cette histoire... Alors que c'est la marraine.

Il marqua une longue pause, arrivé près de la porte. Il l'ouvrit et la lumière fut, de sorte qu'il pouvait difficilement regarder devant lui.

J'ai une monture, un vieux canasson assez turbulent. J'espère qu'il n'a pas fui.

S'abritant les yeux, il se retourna vers Elisabeth.

Qu'en est-il de Yolanda, de l'éducation d'Alix, de son tempérament, tout ça ? Elle doit avoir bien grandi depuis le temps.
_________________
Else
- Alix est une enfant dé…

..licieuse ? …licate ? …sorientée ? …concertante ? …sagréable ? …jantée ? …finitivement aussi compliquée que sa mère ? Mystère. Blondin n’apprendra pas non plus quel monstre de porcelaine croit voire Kermorial, en voyant Marzina de Montfort, ni qu’elle ne copine pas avec la noblesse française, même déchue. Une fois les vantaux passés, des éclats de voix et de sabots coupèrent court à la conversation.

Les trois joyeux drilles décatis faisaient face à la rosse garée (tarée ?) sur le parvis, piaffante et hennissante. Entre les pieds martelant le dallage, un bâton de hêtre gisait, pitoyablement brisé en trois.


- Ah non alors ! Ah non alors !
- T’peux pas t’en empêcher, hein !
- Si vous arrêtiez, un peu, aussi, de…
- Et on fait quoi, maint’nant, hein ? On fait quoi ?
- Ca ! Môssieur l’malin peut pô s’empêcher d’la ram’ner à tout bout d’champ, mais quand il faudrait réparer ses âneries, y’a pu personne !
- … toujours la même histoire, avec vous, et c’te canne…
- Mes âneries ? Mes âneries ? Il manque pas d’air, le cagneux ! Qui est-ce qui s’est jeté sur moi, hein ?
- Parfaitement ! C’est ta faute ! Si t’avais pas réquisitionné c’te bon sang d’canne, on en serait pas là !
- … vous vous étiez pas battus, aussi, elle s’rait pas tombée dans les pattes de c’te pauv’ bête, et…
- J’l’aurais point lâchée, si tu t’étais pas j’té sur moi comme la misère sur le pauvre monde !
- Espèce de rat. On avait dit : jamais plus de trois heures d’affilée en cas de déplacement long ! On l’avait dit, ou pas ?
- … toujours dis. Hey ! Vous m’écoutez pas, hein ?
- Ca fait pas trois heures, d’abord, et pis on avait rayé la clause !
- Rayé ? Mais il chasse du bol, l’ancêtre !

Un geste vif fit se cabrer la carne. Les trois vieillards reculèrent, tandis que Kermorial inquiète – c'est qu'elle a déjà assisté aux exploits du canasson, par le passé – et le propriétaire approchaient de la petite formation. Le goût de la bisbille prit rapidement le pas sur la crainte, et N°2 fila un coup de coude à N°1.

- Fais-voir la charte, toi…
- La… hein ?
- La charte ! Notre charte pour le bon et équitable usage de la canne de bois de hêtre, propriété commune et partagée de nous, pardi !
- Ah ! C'papelard. Mais j’y ai pas avec moi, vot' bêtise !
- Comment, t’y as pas ?
- Ben non. Pour c’que j’m’en ser…vais, de c’te canne…
- Rha ! Mais on avait dit : toujours avoir la charte sur nous ! On l’avait dit, ou pas ?
- Tiens… Maintenant que tu le dis… c’est pas cette clause-là, qu’on a rayée ?
- Ah, peut-être.

Silence. N°1, boudeur, se retourna, et fut le premier à croiser le regard perplexe, et un poil irrité, de la diaconesse. Oups. Contrit, il ôta son chapeau, et tenta de prévenir les deux autres… sans plus de succès que précédemment.

- Enfin, là n’est pas la question.
- J’l’avais jamais, la canne, tenta-t-il de se justifier, vu le public. C’pas ma faute.
- Tu vas pas t’y mettre, non ? D’abord, c’pas not’ faute si tu usais à chaque fois de la clause 43 de cession de tes droits journaliers.
- Bien dit !
- Pour avoir la paix ! Et pis…
- Reculez, bande de crétins, vous allez vous faire piétiner ! Et qu’est-ce que vous avez encore fichu ?

Double sursaut en face. A en juger par la mine du trio, les fringues qu’on les avait chargés d’aller quérir, c’était pas pour tout de suite…
Takanomi
Le son mat des fers sur les dalles et un brouhaha au dehors lui suffit à supposer une énième crise de sa monture.

Dévalant les marches du perron à toute vitesse, il avertit de ses gestes la masse des badins, les enjoignant de s'éloigner. Des cercles concentriques s'étaient dessinés autour du cheval survolté.


Circulez ! Eloignez-vous de lui !

Si à Péronne on s'était habitué à ses frasques avec le temps, une catastrophe n'était pas à exclure présentement.
D'une voix résonnante, il poursuivit :


A moins que vous ne vouliez être réduits à un tas de viande mâchée. Auquel cas, je vous invite à rester sur place !

Ce disant, il bouscula quelques uns des passants histoire de faire rapidement bouger les choses.
Il dégaina alors son épee et, malgré quelques voix affolées, il s'approcha, non pas pour trucider le peuple mais pour menacer le cheval qui, ayant reconnu son propriétaire, avait commencé à se déplacé de côté, à la vue de la lame.
De la bave blanchâtre dégoulinait de sa gueule et atterrissait en luisant sur les dalles. Sur sa robe marron foncé, plissée et vieillie, on distinguait à la lumière, de nombreuses coupures et autres estafilades. Et une partie de sa crinière avait disparu. Le tout donnait à l'équidé l'apparence d'avoir subi les ravages des temps et des hommes.

Comme attendant qu'on prononce sa sentence, il resta immobile, regardant tristement de côté, tandis que Takanomi approchait lentement.
Alors, le moment était venu d'agir.


Elisabeth ! Viens prendre la bride, s'il te plaît, et passe la moi.
Qu'on puisse en finir...

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Takanomi
Mais il s'interrompit soudainement.

Non, finalement, montre-moi plutôt un endroit paisible où je puis l'attacher sans ne rien craindre. Ce sera le mieux. Je préfère l'éloigner d'ici.

Il saisit la bride de lui-même, non sans irritation, après avoir rengainé son arme.Si il y a quelques années de cela, il s'était fait piétiner en pleine rue sans ne pouvoir rien faire sinon attendre de l'aide passivement, là, il pouvait asséner un coup de coude à la mâchoire de l'équidé sans trop craindre de représailles. Ce qu'il fit.
Les longs moments passés dans les prairies aux environs de Péronne avaient fini, non sans mal, par porter leurs fruits. L'équidé avait trouvé plus sauvage, plus tenace, plus colérique et plus hargneux que lui, de telle sorte qu'il n'avait plus le choix de tous ses caprices.


Toutefois, il n'avait pas pour habitude de violenter l'animal déjà relativement mal en point, il s'agissait là plus d'un geste de fatigue que d'autre chose. Il n'avait clairement nul besoin d'un incident qui risquerait de le distraire, voire qui aurait finalement pour conséquence de le divertir du but premier de sa visite icelieu. Il souhaitait faire simple, le moins court possible -un autre mandat comtal l'attendait à son retour en Artois, et efficacement, pour une fois.

Remarquant que le léger incident avait obstrué la circulation à quelques charrettes de passage, il chargea sa besace et d'autres effets, après quoi, il se tourna vers sa cousine.

Je suis prêt.
Monte, nous irons plus vite, ainsi.


Se laver, plus qu'un besoin, en l'instant présent : un luxe.
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Else
- Monter, mhm ?

Elisabeth gratifie la rosse d'un regard méfiant. La perspective de s'en approcher ne l'enchantait déjà guère ; imaginez un peu ce qu'elle tient de l'idée de grimper dessus. Non qu'elle craigne les bêtes… mais elle a déjà vu celle-ci à l'œuvre et, sincèrement, elle se passerait fort bien d'un revival. Sans compter que la mise en garde résonne encore à ses oreilles : « Éloignez-vous de lui… à moins que vous ne vouliez être réduits à un tas de viande mâchée. » Non, merci, ça ira. Non, vraiment. Sans façon.

- Je ne tiens pas à renverser la moitié de mes paroissiens. Par ici.

Et, plantant là les trois vioques éberlués, qui sauront bien ramasser tous seuls les débris de leur canne, elle ouvre la marche en direction d'une rue de traverse. Il n'y passe jamais grand monde, surtout pas de chariots : la rue principale est plus praticable, et à cette heure, les riverains devraient être aux champs. Traçant en pensée son itinéraire bis, elle jette un coup d’œil en arrière pour vérifier que le cousin suit sans encombres.

A l'époque, il avait fallu le sauver de sous les sabots fous. Marie était en vie. Tout juste de retour d'Irlande. Enceinte – quoiqu'elle ne le lui ait pas encore avoué. Il semble tout un coup à Kermorial qu'elle a fait un bond dans une autre existence.


- Elle ne s'est pas arrangée, depuis, cette pauvre bête. Où l'avez-vous donc traînée ?

Tout a bien changé, depuis. Marie n'est plus, ni l'enfant, et les débris de la famille qu'elle aurait tant désiré rafistoler se baladent dans la nature. Ce n'est pas cette jumelle-ci qui leur courrait après. Du reste, on dirait bien qu'ils ont le chic pour la trouver tous seuls. Pressant le pas, elle gagne un croisement, vérifie que la voie est libre, et emprunte une autre rue en pente douce vers les murailles. C'est plus long, mais pas question de prendre de risques.

- La comtesse a des écuries. Elle ne verra pas d'inconvénient à ce qu'on y prenne soin de votre cheval, si tant est qu'il y réagisse bien ?

Contrairement à la syntaxe, le ton indique l'interrogation. Prévoyante, peut-être même farouche, Elisabeth (dont on aura déduit qu'une comtesse la loge, et qui aime les chevaux) ne tient pas à voir se jouer un drame équestre dans la maison où, pour la première fois depuis des années, elle se sent presque chez elle.
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