[RP] En odeur de Sainteté

Un large sourire étira les carmines de l’intrigante, en même temps qu’elle reculait de quelques pas, délicieusement impressionnée par l’imprécision du postillonnage minahesque. Sa maternelle ne survivrait pas une seconde à un tel arrosage ! Mentalement, l’ingrate calculait déjà à quelle distance elle devrait positionner sa vieille de la Sainte Patronne des Bestioles Crevées pour être certaine que l’attaque lui serait fatale.

Mais tout de suite votre Sainteté ! Tout de suite !

L’orgueilleuse posa un regard méprisant sur la pauvre fille dans son dos et sa marchandise avariée.

Vous n’avez pas de dernières affaires à régler ? Quelques … effets à faire empaqueter ? Des fidèles à avertir ? N’hésitez pas, vous avez tout votre temps. Nous partons dans une heure.

L’empressée s’était déjà désintéressée de la scène se jouant sur la place pour prévoir l’insertion de l’odorante sainte dans l’équipage paternel.

Une cargaison de peaux de chèvres me semble-t-il … Ces choses-là exhalent si fort qu’elle devrait s’y sentir à son aise et que nul ne devrait la fleurer elle. Quoique … Pour la nourriture, je justifierai l’adoption d’un chiot de passage pour alléger le poids du mariage à venir. Quoiqu’elle doit manger plus qu’un bébé chien …

Les idées fusaient de la caboche brune tandis qu’Elhora s’apprêtait à rejoindre l’auberge où logeait la troupe marchande de son père. Elle tournait les talons quand un détail d’importance la retint, faisant virevolter autours de sa haute silhouette le rideau auburn de sa chevelure.

J’allais oublier … Où dois-je vous faire chercher ?

Minah songea un instant que la Grand Patron la mettait à l'épreuve.
Elle n'avait jamais douté de sa Vocation. Sa Sainteté lui était apparue comme une évidence dès l'instant où elle avait recueilli Rodolphe-le-pigeon-mort, son premier ami très décédé. Les morts ne posaient pas de problème. Ils mouftaient pas et se contentaient de se putréfier bien gentiment. Les vivants, en revanche...

… Ce serait bien qu'ils soient morts !
Surtout cette sale blondasse qui sapait l'Autorité qu'elle n'avait pas encore.

Euh. Ouais. Bien sûr, la prophétie... fit-elle comme si elle savait de quoi elle parlait. C'est d'moi qu'ça cause, pour sûr.

Elle jeta des petits coups d’œil paniqués sur les côtés, espérant qu'un gentil Disciple lui file un coup de main, mais le seul disponible semblait encore plongé dans la Béatitude de l'Illumination et N'a-qu'une-patte espérait très fort que la cervelle ne lui ait pas coulé par les oreilles. Ce genre de choses arrive si vite.

J'accueille tous les machins morts, même quand y sont pas finis d'un côté. Ce s'rait un honneur d'avoir l'Dahu sous mon aile. 'Fin, celles de Philémon, quoi.

Mais venons-en au fait.

Et l'est où, alors ? Il attend dans un coin ?

Elle tendit le cou, comme si elle espérait vraiment voir le cadavre d'une bestiole mythique lui faire coucou dans la foule.
Comme elle ne voyait rien et qu'on l'interpellait encore, elle haussa un groin dédaigneux en direction du gouailleur.

L'est PARFAIT, mon cul !

De fait, la nature l'avait dotée de hanches aptes à pondre des jumeaux de front et les miches qui s'y accrochaient ne dépareillaient pas. Des années de privations, de corvées, d'exercices, et de voyages à pattes ou à cheval les avaient rendues capables d'écraser une noix d'une simple pression du popotin. Il est à chacun de juger la perfection esthétique, mais il fallait avouer que ce derche-là battait des records en bien des matières. Dont l'odeur faisait évidemment partie.

Même que si j'te l'montrais, tu m'supplierais d'avoir l'privilège d'le tâter d'la langue ! Mais t'en es pas digne, mécréant !

Y'en a qu'ont de la chance, hein...?
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Intérieurement, N'a-qu'une-patte exultait. Le type était peut-être un emmerdeur fini question religion, mais l'évidence de sa perfection fessière l'avait rendu muet. Et toc ! Mais passons la question de la suprématie popotincière et revenons-en à nos moutons... euh fidèles, et comment les faire suivre plus efficacement Lebergier (car tel était le blaze minahesque).

Et ses rêves volèrent en éclat.

Ah... Y'a... y'a un prix ?

Quel corniaud, ce Dahu !

Nan mais sinan chuis assez costaud pour l'faire moi-même, hein, si c'est que pour aller l'chercher. J'ai un ch'val pis une charrette.

Puis, comme sa curiosité dévorante compensait assez son manque de matière grise, elle ajouta :

Mais il compte en faire quoi d'tout cet argent ? S'il est mort et si c't'une bestiole l'en a pas b'soin, nan ? Y voudrait pas juste êt' miséricordieux pis bienveillant envers nos pauv' amis très décédés en s'offrant gratuit'ment ?

Minah planta un regard noisette, franchement con et légèrement implorant dans celui de la blonde.
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Minah fixait Elizabeth d'un regard fixe et vide, une légère pellicule de bave au coin de ses lèvres entrouvertes. La conversation devenait douloureuse pour elle, bien plus qu'un caillou dans la goule.

Hmm, finit-elle par lâcher au bout d'un moment. Ben z'êtes une messagère sacrément ben payée même 'vec la réduc', hein... D'mon temps, on avait un denier pour porter un courrier.

Fallait gagner du temps.

N'a-qu'une-patte voulait vraiment le Dahu parce que sa carrière de Sainte Patronne semblait sacrément prendre la flotte et la flotte, c'était bon rien qu'à choper la chiasse. Sauf que vous imaginiez bien qu'elle n'avait pas un écu en poche. La collection d'animaux morts n'était pas une activité très payante pour l'instant et en tant qu'écuyère, on la payait à coups de pied (si Minah avait eu connaissance des métaphores, elle aurait aimé que c'en soit une...).

Euh... 'Coutez m'dame la messagère du Dahu... J'comprends ben qu'vous faites un gros sacrifice, là...

On entendait racler ses méninges entre elles.

Mon culte il a pas un but lustra... lacru... lucrav... Rah ! Faichier ! L'a rin à voir 'vec l'argent, quoi (mon cul !). C'qui nous importe ( nous = elle, quoi), c'pas la gloire pis s'rouler dans les écus pis péter dans la soie. C'qui importe, c'est la paix dans la mort d'nos chers amis très décédés paskils le méritent. Si vot' ami Dahu il a l'cœur tout pourri ben à la bonne place comme que j'crois, y comprendra.

Petit sourire de démente qui se voulait encourageant.

Si vous v'lez, j'vous offre une paire de boucles d'oreille en scarabées morts. Très jolie, ça change de couleur 'vec la lumière. On tope-là ?

La manchote tendit son unique paluche ouverte à la blonde.
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Q… Quoi ?! Mais… Mais non, voyons ! S’écria-t-elle en se détournant du pied qu’on lui présentait. Elle eut même un petit mouvement de recul, bousculant Lady Machin au passage. Et le pire, dans cette bousculade, c’est que la blonde l’engueula en lui disant qu’elle pouvait « QUAND MEME faire attention, hein ! »
Ah ces gens… De nos jours, ils ne font plus aucun effort.

Vous m’l’a faites à l’envers là.
D’jà, j’baiserai pas vos pieds et ensuite… J’baiserai pas vos pieds ! Pis… Pis… V’z’aurez sept ans d’malheur si vous arpenter les routes en disant v’z’êtes le prophète. Vos membres vont pourrir et tomber un à un. Et j’parle même pas d’vot’ peau ! Et les boutons su’l’visage.

La blondinette se tut, regarda Minah et fronça les sourcils.

R’marquez, ça pourrait p’têt’ donner queque’chose de beau, hein ?
Peu importe… J’baisse le prix à 250 écus et vot’ disciple une fois de temps en temps quand j’ai b’soin d’elle pour mes… p’tites affaires…

Entendez par « petites affaires » des livraisons, des arnaques, du vol, toussa, toussa. N’y voyez rien de tendancieux, hein ?

C’ma dernière offre… Après, j’offrirai l’opportunité à quelqu’un d’autre.
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Exaspérée, la blondinette brassa l’air avec sa main. Peu importe !
Avec ses menaces de malédiction, Elizabeth avait tapé fort et juste. Elle remarqua le teint blême de la SPBC et jubila intérieurement, gardant son air grave. Montrer la satisfaction de sa petite victoire la trahirait et adieu les écus !
Les écus… elle les adorait et les adulait. Elle aurait pu vendre père et mère pour un baquet rempli de ces pièces. Se baigner dedans était l’un des buts de sa vie – l’autre étant d’acquérir un fief, histoire d’avoir la mainmise sur ses sujets.
L’espace d’un instant, Elizabeth fut totalement ailleurs. L’œil pétillant et l’air rêveur, elle partit loin, très loin, dans ce monde où elle était papesse, riche, adulée et adorée de tous. Ce monde où elle avait tellement de pièce qu’elle ne pouvait plus ni les stocker, ni les dépenser en totalité. Et puis elle revint à la réalité, tirée de ses rêveries par la voix de la Sainte Patronne et de sa proposition outrageante.

Quoi ?! Mais… Mais nan ! Nan, nan, nan ! Faut payer avant d’avoir le Dahu.

A cours de conneries à sortir et de malédiction à inventer, Elizabeth resta un moment pantoise à scruter Minah. Quelque chose lui disait qu’elle ne lâcherait pas le morceau et qu’elle ne paierait qu’avant d’avoir l’animal sous les yeux. Et elle n’imaginait pas une minute qu’elle pourrait se faire voler son gagne-pain.

Mhm… Bon… Pourquoi pas… Vous paierez une fois que vous l’aurez sous les yeux. Mais tant qu’j’ai pas l’argent, v’pouvez toujours rêver pour l’approcher, hein ?

La blonde regarda tout autour d’elle. Il n’y avait plus eu aucune réaction depuis un moment. Alors soit la négociation fut des plus soporifiques, soit elle fut excitante et prenante. Elle finit par hausser les épaules, limite en les snobant. Puis elle se tourna de nouveau vers Minah.

Marché conclu ?

Et de serrer son moignon avant qu’elle n’ait pu dire un mot. C’est que la blonde avait du travail et des gens à embaucher pour tuer un daim et lui raccourcir les pattes. Après, il fallait le laisser pourrir pour embaumer l’air environnant d’une odeur putride et nauséabonde. Ouais, c’était du travail tout ça… Beaucoup de temps à consacrer à sa quête et le temps, c’est de l’argent !

J’ai une longue route alors je vais peut-être y aller… Je vous recontacterai. Par contre, étant donné que j’vous ai fait un prix, j’vous emprunte vot’ disciple pour une mission d’la plus haute importance.

Elle montra la Lady truc du menton et attendit la réponse de Minah avant de tourner les talons pour trouver le Saint Graal du moment.
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Les semaines étaient passées sans qu’Elizabeth ne se mette en quête d’un daim.
Il y avait eu la politique et la religion qui lui avaient pris tout son temps. Et puis l’arrivée de Svan à qui elle avait choisi de donner tout ce temps qu’elle perdait dans les deux autres domaines cités.
Du coup, un beau jour, elle se décida à se foutre un coup de pied dans le derche pour se bouger et chasser un quelconque animal qui ressemblerait de près ou de loin à un cerf, un daim, un bouc ou autre animal qui pourrait prétendre au statut de bête légendaire. Mais le seul problème là-dedans, c’est que la blonde ne savait pas chasser. Et puis elle avait interdiction d’utiliser une arme. C’était con. Très, très con. Alors elle envoya son fidèle Firmain qui partit sur le champ, tout content de quitter cette foutue taverne et cette patronne qui l’insupportait de plus en plus.
L’homme revint quelques heures plus tard avec… une chèvre !

Une… Une chèvre ?! Mais tu t’fous d’moi, là ?! J’suis censée rapporter un animal légendaire et tu m’ramènes une chèvre ?!

Qu’il est con, ce Firmain.

Bon c’pas grave… On va faire avec, hein ?

La blondinette lui demanda « gentiment » de couper ses pattes gauches et de laisser celles de droite intacte. Elle laisserait ensuite le cadavre se décomposer pendant quelques semaines encore avant de l’emmener à Minah. Ou plutôt, Lady le ferait… Ouais, parce qu’Elizabeth était bien trop précieuse pour traîner un truc qui puait la mort derrière elle.

Quelques semaines plus tard, la diaconnasse envoya donc Lady et le « Dahu » à la recherche de Minah. Elle suivrait de loin. De très, très loin.
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[Quelques temps plus tard, donc]

Comme promis, au grand dam des habitants du coin, la Sainte Patronne des Bestioles Crevées était toujours à son poste sur la place du village. L'absence totale d'adoration à son égard avait eu raison de sa véhémence pour l'instant, aussi était-elle perchée le cul sur sa caisse à la con, jambes ballantes dans le vide et index dans la narine.
La place s'était considérablement clairsemée au fil des jours de sa présence et elle commençait à se faire chier.

La veille, les rares passants l'avaient tellement bombardée de légumes pourris et de caillasses qu'elle avait de quoi se faire de la soupe aux cailloux jusqu'à la fin de ses jours. Ah, la soupe aux cailloux de son enfance... celles-ci seraient encore meilleure, parce qu'il y aurait de vrais légumes dedans en plus des cailloux. Enfin bref.

Aujourd'hui, Minah lançait l'excédent de soupe aux cailloux (sans la soupe) aux malheureux qui n'avaient pas encore appris à éviter la place.
Depuis la matinée, elle en avait touché sept avec des galets (une rotule et une clavicule pétées, il avait fallu entreprendre une retraite précipitée quand les gardes municipaux s'étaient pointés), deux avec de la betterave, un avec du topinambour , trois avec du chou, sans compter un magistral lancer d'aubergine dans la goule et le céleri qui avait fait trébucher un des gardes qui la poursuivait (bilan : deux dents). Elle gardait le meilleur pour la fin, à savoir cette petite pierre aux angles bien vicieux planquée dans un panais tellement putréfié qu'on avait du mal à le tenir en main sans qu'il se sauve entre vos doigts.

Apercevant une silhouette solitaire, N'a-qu'une-patte visa soigneusement. Pris son élan. Et reconnut trop tard les boucles d'oreilles en scarabées morts de Lady Manchabalaidanslebamako.

Oups.

Le mal était fait.


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La brune déboula sur la place d'un pas énergique. Elle aurait été plus petite que la populace se serait écartée de la même façon devant l'expression de contrariété qui déformait ses traits. Mais en l’occurrence, sa haute taille lui avait de tout temps assuré un passage sans encombre dans les foules les plus denses, et c'était à l'heure actuelle superflue vue le peu d'affluence dans cette partie de la bourgade. Ses turquoises fixant le vide, y admirant le corps maternelle au sommet d'un bûcher, Elhora ne prit conscience de l'étrange scène se déroulant ci-lieu qu'au sifflement derrière sa tête et au violent accroc dans ses cheveux.
L'agacée interrompit sa course et pivota lentement, électrisant l'air à la manière de ces tempêtes estivales à l'atmosphère lourde et survoltée. A ses pieds gisait un caillou, anciennement volant, qui s'était visiblement pris dans le rideau de soie de sa chevelure, évitant par là-même d'atterrir dans la face de ...
Les carmines se froncèrent de dégoût sans aucune pudeur. Tout le monde ne pouvait pas être né beau et fils de bourgeois, mais quand même ! La méprisante eut une pensée charitablement compatissante pour cette pauvre fille, aussi grossièrement dessinée qu'odorante.
A cette ultime constatation, les ailes du nez fin d'Elhora papillonnèrent. C'est que ça puait sacrément dans le secteur ! Comment avait-elle fait pour ne pas s'en rendre compte plus tôt ? Elle comprenait mieux pourquoi la place était déserte, si l'on exceptait le tas d'immondices sur la caisse centrale, la drôlesse en sueur et son chargement putride.
La prétentieuse fit quelques pas de côté et inclina légèrement sa longue silhouette vers le ... La ...

Mais qu'est-ce que vous promenez comme ça ? Vous ne voyez pas que vous faîtes fuir tout le monde avec une horreur pareille ? Mais c'est que c'est crevé en plus !

Les délicats sourcils s'arquèrent, hésitant entre juger immédiatement la fille de pauvresse désespérée, ou lui donner le luxe de pouvoir être folle à lier. Au regard turquoise, la seconde alternative était nettement préférable à celle de s'abaisser à un tel niveau de pauvreté qu'il devenait nécessaire de promener une charogne en échange de quelques pièces.

A quel boucher vas-tu donc vendre cette ordure, que je sache qui de plus éviter dans ce déplorable endroit ?

Quand un relent de cagouilles abandonnées en plein soleil depuis plusieurs jours lui parvint aux narines, l'intolérante sortit un mouchoir brodé d'une poche de sa robe soyeuse. Le parfum oriental dont le tissu était imprégné créa un léger barrage olfactif, à défaut de couvrir totalement la pestilence de ...

Mais c'est que c'est vivant ce ... truc ?

Les turquoises se plissèrent, essayant de différencier l'humain de la toile crasseuse et de la chaire crevée. C'était vivant ... Et ça parlait !
Au fur et à mesure du discours de la bestiole, l'insupportable se montrait de plus en plus attentive.

Une foi défaillante ? Amour et tolérance ... oui oui ... Oh les mouches qui sortent des entrailles c'est grandiose !

Et la brune de finir carrément intéressée.
Elle envisagea de s'approcher, mais l'odeur la retint. La communication à distance ferait un jour ses preuves, alors autant s'y atteler dès à présent. L'insolente se campa quand même devant la pauvresse qui n'avait toujours pas ouvert la bouche -sans doute préférable dans son cas également- histoire de s'assurer être le centre de l'attention.

Veuillez pardonner mon erreur, odorante prêcheuse. C'est qu'il est vrai que votre culte est méconnu, quoique fort intéressant. Vous faîtes des conversions à domicile ?

La machiavélique imaginait déjà introduire la crasseuse dans la maison parentale afin qu'elle prêche la bonne parole à sa chère maternelle. Le tourment causé à la vieille femme et le plaisir que sa progéniture en tirait par avance, lui faisait presqu'oublier qu'il faudrait supporter la proximité de l'odoriférante jusqu'à Chinon. Passer outre les interdictions de son père ne serait guère difficile. L'excessive autorité de sa génitrice n'était qu'un juste rééquilibre du récurrent laxisme paternel. Et s'il fallait pour convaincre la Sainte Patronne des Bestioles Crevées acheter quelques "reliques", la brune ne s'en priverait pas. Après tout elle avait de l'argent. Enfin ses bourgeois de parents en avait, et elle, elle avait surtout la chance d'être leur capricieuse fille.

En fait, si votre service me satisfait, je pourrais même vous proposer une chapelle privative. Votre entretien serait assuré bien entendu.

Plus elle y pensait, plus l'idée ravissait la rebelle. Et si sa nouvelle orientation religieuse ne suffisait pas à rebuter le nouveau prétendant déniché par sa mère, l'excessive était prête à se convertir pour de vrai !

Bordel de merde. Dans quoi s’était-il encore fourré ? Elle était mariée ! Mariée ! Bien sa veine. Pouvait pas porter une alliance comme tout le monde non ? L’homme enfila rapidement ses vêtements avant de filer par la fenêtre, non sans admonester un juron à la femme endormie et dont il entendait le mari rentrer. Heureusement qu’il avait le sommeil léger.
Pour donner le change, et se trouver un alibi fortuit, il s’arrêta devant un spectacle des plus intéressants. Une femme manchote, visiblement trempée dans le derrière du diable vu sa tête, grimpant sur un tonneau, qu’il aurait bien voulu rempli de bière mais elle serait plutôt en train de le percer que de l’escalader si c’avait été le cas.

Oyez, oyez bonnes gens ! Chuis la Sainte Patronne des Bestioles Crevées ! Prosternez-vous d'vant ma Saint'té !

Ernest éclata de rire devant tant d’aplomb. La Sainte Patronne des Bestioles Crevées ! Rien que ça ! Il jeta un regard sur le fessier de la vendeuse de fleurs qui avait vu là l’occasion de se remplir les poches. Devait certainement empester la patronne.
Mains dans les poches, il continua de l’écouter pérorer, observant avec un intérêt grandissant l’espèce de hibou qu’elle portait pour chapeau.

Tu….tu….tu…..espece….de….de…ssssaaaaa….sale…voleuse….c’est…..mmooo…moonn….hhhiiib….hibou !

Un autre bout de femme interrompit la bonne dame, d’un air plus qu’intimidé. Ernest se tourna vers elle, la jaugeant du regard. Hmm… Pas comme ça que tu vas le récupérer ton hibou. Mort qui plus est.
Quel intérêt ! Il n’était même plus bon à porter des plis. Enfin, tout de même assez assurée pour envoyer un caillou en direction de l’arnaqueuse. Aha ! Mais quel était donc cet endroit de fous ? Au lieu de se mettre en colère, la Sainte s’enflamma, déclarant la petite jeune apte à lui baiser les pieds.
Un fou rire le prit, et sa main ne suffit plus à dissimuler le bruit qui s’échappait de son corps par soubresauts. Il s’avança vers elles, fortement amusé.

Hihihi… Qui voudrait baiser des pieds pareils ? Z’êtes pleine de bonté ! 50 écus… Hihihi.

Le ridicule de la situation lui avait presque fait oublier le mari qui devait sans doute s’être mis à comprendre ce qui s’était passé sous son toit.

Il y en a une, dans la foule, qui n’avait pas perdu une miette de tout ce qui venait de se passer : Les cailloux, les rires, le pied qui dégoûta Elizabeth ainsi que tous les spectateurs, et la jeune débile qui s’était avancée.
La scène était cocasse et Elizabeth avait ri plus d’une fois face à elles. Elle avait même eu un élan d’inspiration en regardant la pseudo patronne des bêtes crevées. Peut-être qu’il y avait moyen de conclure une affaire. Encore fallait-il être persuasif et ne pas se faire soi-même escroquer. Ouais, Elizabeth était le genre d’escroc qui finissait toujours par se faire baiser. Et dieu seul sait qu’elle essayait toujours de choisir les moins intellectuels, histoire d’éviter ce genre de désagrément.

Blondie joua des coudes pour que les gens s’écartent et libèrent le passage. Elle ne daigna même pas les remercier, les gratifiant d’un regard méprisant. Non pas qu’elle était méprisante, hein ! Mais elle aimait bien faire genre. Ça lui donnait une certaine prestance qui la faisait paraître un peu plus impressionnante qu’elle ne l’était en réalité. Et on avait surtout envie de lui mettre des claques mais elle fermait les yeux sur ce côté-là du mépris.
Bref. On s’en fout.
Elizabeth se dirigea droit vers la Sainte Patronne des Bêtes Crevées – que j’appellerai SPBC sinon c’est long et chiant – et se planta devant elle, virant au passage Lady Manchatruc qui se trouvait droit dans sa ligne de mire.

HERETIQUE !

Oui, comme ça, sans raison aucune. C’est gratuit, ne me remerciez pas.

ESCROC !

Encore, ouais. Normal. Le « hérétique », c’était pour la nouvelle religion. Mais ça, la blonde s’en foutait un peu. Elle aussi, elle aurait bien voulu être le gourou d’une nouvelle secte alors elle ne jugeait pas – sauf si les inquiquineurs se pointaient. Et le « escroc », ce ne fut pas pour les 50 écus ou le baisage de pied. Non, non, du tout. C’était pour son entrée en matière.

On peut pas faire une religion comme ça, sans le DAHU. D.A.H.U. C’est escroquer les fidèles sinan et j’suis sûre que vous pouvez pas escroquer les fidèles, hein ? Vous prendriez pas l’risque d’les voir se détourner d’vous, mh ?
J’vous l’conseille pas en tout cas ! Non parce qu’avec le dahu, vous auriez tellement de succès. Personne a jamais pu chasser le Dahu parce qu’il est mort, ‘voyez ? Mais j’sais où est son cadavre. J’le sais puisque j’le gardais d’côté pour… pour… vous. Oui, Vous en particulier ! V’z’êtes le prophète des bêtes crevées, c’est le Dahu qui m’a menée à lui. En rêve…

Tagueule, Elizabeth… Tu n’es plus crédible, là.
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Fallone contemplait le sol. Longuement. Elle cherchait quelque chose, mais elle ne savait juste pas quoi. Enfin pas vraiment. On lui avait dit qu'elle avait perdu sa langue. Alors elle la cherchait, sans comprendre pourquoi puisqu’après avoir tiré celle-ci et louché dessus elle avait bien confirmation qu’elle était encore dans sa bouche. Puis elle l'aurait sentit si elle serait tombé non ? Les autres avaient rit et l’avaient laissé planter là. A sa recherche….
La poussière que faisait ses poulaines lui irriter les yeux, elle ne les avait pas cligné depuis plusieurs minutes, elle se forçait à les laisser grand ouvert de peur qu’en les fermant elle ne voit pas ce qu’elle cherche. Rien. Elle ne trouvait rien. Et commencer vraiment à fatiguer.
Apres avoir mis ses cheveux dans son oreille elle se frotta les yeux avec son poing et releva la tête.
Son regard se posa sur une manchotte qui tirer une caisse. La routine habituelle quoi... Pour dire vrai c’est surtout sur l’espèce d’hibou dont elle se servait comme couvre-chef qui attira son regard. Ce hibou elle le connaissait. Elle l’avait ramassait au bord d’une rivière. C’était le sien.
Oui Fallone avait cette capacité simple mais répandu de dire que tous ce qu’elle touche ou qu'elle a touché, c’était à elle. C'est un fait.
Elle fixa donc la bestiole en ouvrant et fermant la bouche. Elle n'étais pas symétrique. Cela gênait franchement la Corleone. Beaucoup de chose la déranger serieusement...
Elle voulait gueuler, dire quelque chose. Mais elle n’avait pas retrouvé sa langue et elle avait peur de prononcer des mots et qu’on ne la comprenne pas.

Vous devriez avoir honte ! Oui ! Vous ! Et vous ! Et VOUS !

Son index accusateur se déplaca dans la foule qui s'aglutiné doucement autour d'elle avant de désigner Fallone. Fallone fit de même avec le sien, genre : Hein quoi Moi ? Mais... Pourquoi ? Elle s’approcha incrédule. Elle ne savait pas ce qu’elle avait fait, mais la manchotte avait l'air de le savoir elle. Savait elle que le Hibou lui appartenait en vrai ?

Vous vous croyez bons ! Vous vous croyez sans r'proches ! Mais z'êtes des MEURTRIEEEEEEERS ! Oui, vous tous ! TOI ! 'Vec ta goule pleine de dents ! Combien de mouch'rons t'as tué en souriant trop fort ?! Hein ! Et toi 'vec tes grands panards ! Combien de p'tits 'scargots innocents t'as écrabouillé, hein ?!

Quoi ? Des moucherons ? Dans sa bouche ? Pourquoi ? Des escargots sous ses poulaines ? Des dents dans sa bouche ? Elle avait encore ses dents alors. C’était déjà ça ! Des dents c’est plus utiles qu’une langue. Fallone passa son doigt sur ses dents, pour enlever les moucherons. Mais elle ne souriait jamais, comment avait-elle fait pour en avoir ? Car oui Fallone était crédule. Extrêmement crédule. Elle prenait tout dans son sens premier. Aussi il n'était pas étonnant qu'elle écoute l'énergumène avec autant de foi que si elle se trouvait devant le Pape lui-même ! S'incliner ? Elle n'en était pas loin. A vrai dire il n'y aurait pas eut cette histoire de Hibou entre elles que Fallone aurait déjà rampé à ses pieds.

Chuis la Sainte Patronne des Bestioles Crevées et chuis là pour vous enseigner c'qu'est Bon et c'qu'est Juste avec nos amis décédés ! Qui a l'cœur assez pur pour m'vénérer ? J'accepte aussi les paiements en liquide.

Fallone s’approcha timidement avant de lever le doigt, puis le baisse hésitante, et le releve enfin. Elle se concentra un moment avant de prendre la parole et quand elle la prit elle bégaya comme jamais.

Tu….tu….tu…..espece….de….de…ssssaaaaa….sale…voleuse….c’est…..mmooo…moonn….hhhiiib….hibou !

Elle pouvait parler elle avait sa langue ! Les autres étaient des menteurs, elle ne l’avait pas perdu. Dans un élan de sureté de soi (si ça se dit d’abord) elle se baissa et ramassa un petit caillou. Oui parce qu’elle n’allait quand même pas prendre un des siens. Quoi que, elle aurait pu balancer George. Elle l’aimait pas George, il causait trop, et il disait n’importe quoi...

C’est ainsi que le caillou partit en direction de la manchote. Comme ça sans plus de raison…
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Sccchhhhhhhhhhhhhhhhhhrrrrrrrrrrrrkrrrr... Sccchhhhhhhhhhhhhrrrrrrrrkkrrrrr...

Piouf ! Pèse un âne mort c'truc !

Scchhhhhhhhhhrrrrkkrrrrrr...

N'a-qu'une-patte s'appuya contre la caisse qu'elle s'efforçait de pousser à travers la place du village et lâcha un long râle fatigué. Elle aurait voulu un tonneau. Ça roulait, les tonneaux, et il y avait souvent de quoi vous réconforter après l'effort dedans. Mais elle n'avait trouvé que cette horrible caisse sur laquelle elle aurait pu lire si elle l'avait su : « RMI : cailloux 1er choix ».

Après quelques instant de repos à haleter goule ouverte, la manchote décida qu'il fallait qu'elle prenne enfin ses responsabilités de Sainte Patronne des Bestioles Crevées (autoproclamée) en main. Il était temps ! Temps de prêcher à la populace Sa Belle et Bonne Parole Sainte quant au devenir des brebis qu'on aurait du mal à égarer vu l'odeur de charogne. Et de se gagner quelques disciples. C'était naze d'être Sainte Patronne sans fidèles pour vous aduler, qui se jetaient sur les flaques d'eau pour vous empêcher de vous mouiller les bottes ou qui s'assuraient que vous aviez toujours le gosier bien humidifié.
D'un geste décidé, elle grimpa sur la caisse et se mit à brailler.

Oyez, oyez bonnes gens ! Chuis la Sainte Patronne des Bestioles Crevées ! Prosternez-vous d'vant ma Saint'té !

Quelques badauds marmonnèrent et remontèrent leur col sur le nez pour continuer à glandouiller tranquilles sans subir les miasmes de la prédicatrice surmontée d'un hibou mort. Mine de rien, une petite vendeuse de fleurs vint se camper à quelques pas de la caisse, vantant le parfum sans égal de ses roses, capable de couvrir n'importe quel remugle. Minah soupira, déçue. Elle espérait un peu plus d'enthousiasme. Il fallait les prendre aux tripes !

Vous devriez avoir honte ! Oui ! Vous ! Et vous ! Et VOUS !

Son unique index balaya la foule, tremblotant d'indignation.

Vous vous croyez bons ! Vous vous croyez sans r'proches ! Mais z'êtes des MEURTRIEEEEEEERS ! Oui, vous tous ! TOI ! 'Vec ta goule pleine de dents ! Combien de mouch'rons t'as tué en souriant trop fort ?! Hein ! Et toi 'vec tes grands panards ! Combien de p'tits 'scargots innocents t'as écrabouillé, hein ?!

Elle radoucit sa voix.

Je. Vous. Pardonne. Z'avez pas fait exprès. MAIS ! (le beuglement hystérique revint à la charge) Quel respect z'avez pour ces pauv' p'tites âmes assassinées ?! AUCUN ! Même pas un r'gard, même pas une pensée après les avoir zigouillées ! Tout juste crevées, tout juste oubliées ! Alors qu'elles ont tant souffert à CAUSE DE VOUS !! Il faut leur témoigner du RESPECT et de l'AMOUR ! Elles schlinguent mais z'ont l'droit et c'est vot' devoir d'les choyer, d'les aimer, d'les respecter. Paskeuh sinan z'êtes que des cons pis qu'elles sont TRISTES ! Repentez-vous ! REPEEEENTEZ-VOUUUUUUUUUUS... !

La hiboutée de la cervelle était extatique, son bras et demi levé vers le ciel, ses mirettes noisette roulant dans leur orbite, bave aux lèvres, des gouttes de sueur rance roulant sur la crasse de sa peau. Il lui fallut quelques instants pour se ressaisir.

Chuis la Sainte Patronne des Bestioles Crevées et chuis là pour vous enseigner c'qu'est Bon et c'qu'est Juste avec nos amis décédés ! Qui a l'cœur assez pur pour m'vénérer ? J'accepte aussi les paiements en liquide.
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L'imprudente commençait à avoir beaucoup de mal à faire bonne figure.
D'abord parce qu'il fallait être honnête, même en travaillant toute la Sainte Journée dans un corral de moutons il aurait été impossible de s'habituer à pareille débauche de relents, et ensuite parce que l'arrivée d'une petite blonde à l'aplomb trop bien planté la mettait en retard. L'hautaine se redressa encore d'avantage, surplombant Elizabeth et son mouchoir parfumé.

Hautement religieuse ? Il me semble que vous vous adressez à la Sainte Patronne des Bestioles Crevées en PERSONNE ! De quel droit osez-vous dresser de la sorte devant-elle ? Seriez-vous papesse que vous ne pourriez qu'espérez être digne de prier les faveurs d'une telle ... martyre !

L'insolente avait désigné la Bestiole d'un geste théâtrale, en profitant pour s'éloigner d'un pas sous prétexte de garder une distance respectueuse. Le jeu avait dépassé la chandelle et la capricieuse mettait à présent un point d'honneur à ce que la SPBC parte avec elle, et sans le prétendu Dahu. Le défi avait été lancé, de manière indirecte certes, mais l'esprit gagnant d'Elhora ne tolérait pas l'idée de céder ne serait-ce qu'un écu pour le cadavre puant d'une chèvre découpée.

Votre Sainteté, nous allons rater votre voiture ...

Les turquoises se fixèrent sur Minah, remarquant au passage et pour la première fois que c'était un hibou qui trônait sur son crâne.

Minah se sentait terriblement embêtée.
La Messagère du Peut-Être Dahu avait l'air sacrément remontée et très vexée qu'on remette en cause l'authenticité de son cadavre putréfié. Elle y mettait tant de véhémence ! Peut-être qu'elle ne mentait pas finalement... Après tout, si ces bestioles avaient deux pattes plus courtes, elle pouvait bien avoir de douces petites pattounes d'un côté et des sabots de l'autre.
Mais sa chère et unique disciple (à part Lady Manchabamako qui était en garde partagée) était catégorique et prenait avec violence sa défense. Minah en était très flattée et ne voulait surtout pas perdre son appui. D'autant plus qu'elle tenait serré les cordons de sa bourse et sans cela, pas de Dahu, si vrai pouvait-il être...
Il fallait trancher.

Mais moi aussi j'peux causer au Très-Haut d'abord ! Chu Sainte Patronne, nanmého ! Et y m'a jamais parlé de Dahu, en puce !

Elle se redressa avec autant de majesté qu'on peut l'être quand on est pas bien grande, qu'on a la grâce d'un mini-percheron ivre, qu'il nous manque un bras et qu'on est recouvert de crasse et d'animaux morts.

Alors j'le prendrai c'Dahu, mais sans payer car tel est mon devoir, accueillir sous mon aile chaque âme de bestiole en décomposition sans rin d'mander en échange !

Elle se tourna vers Elhora.

Prenez l'Dahu, il est temps d'nous en aller ! Attention, faut l'attraper 'vec la même délicatesse qu'pour un enfant, y va dégouliner sur l'chemin sinan.
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