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Info:
Richard Watelse a à nouveau fait irruption dans l'existence fragilement reconstituée d'Ursula. S'en suivra un schéma narratif digne des pires Vaudevilles.

Jambon ibérique

Richard_watelse
Richard Watelse frappait son canasson, allongea son galop pour n'être plus que vitesse et poussière sur le chemin. Il avait lu la dernière missive de la De Ozta. Poutrée.

L’empotée s'est faite empoutrée...

Comment faisait-elle pour toujours provoqué chez lui un mélange d'inquiétude et d'envie de se moquer d'elle. N'avait-elle pas eu le temps de se cacher?

Hum.. Avec son embonpoint, elle ne pourrait même pas se dissimuler derrière un montagne... souffla t'il alors qu'il harnachait vivement un second cheval à une halte.

Elle aurait au moins pu leur lancer quelques pommes ou des gateaux qu'elle cachait souvent sous sa cape.

Hum... mais pouvait-on vraiment attendre d'une gourmande qu'elle gâche des mets délicieux? Non, sa vie ne valait pas un macaron.

Parfois, il aimerait la savoir un peu plus réfléchie. Sa maternité avait semblé lui mettre quelques plombs dans la cervelle. Un temps. Pas longtemps. Chassez sa nature, elle revient au galop.

Il donna un coup d'éperon contre le flanc de sa monture. Vite encore plus vite. Le temps se couvrait et rapidement son visage ruisselait de pluie, les sabots s'enfonçait dans la boue ralentissant leur course.

Ce fut un Richard Watelse dégoulinant, les cheveux crasseux et aux lèvres bleuies de froid qui se présenta à l'hospice d'Alençon, où il pensait retrouver la blessée hispanique.


Je cherche une femme. Courtaude, pataude et quand elle cause - ce qu'elle fait en continu - elle s'avère aussi nigaude.
Siffleux


-Comment tu t’appelles?

-J’m’appelle Siffleux.

-Non, ton nom au complet, pour ta solde.


Temps de réflexion suivi d’une réponse candide.

-Siffleux à Méo le bedeau!

L’adulte abandonna son interrogatoire. Il n’était de toute façon pas impératif d’avoir beaucoup de jugeote pour faire la navette entre l’hospice et le cimetière. Le garçon devait avoir dans les 11 ans, il était assez bien constitué pour faire au moins trois voyages par jour. À la rigueur, on lui donnerait des corps menus à transporter. C’est d’ailleurs en revenant de sa dernière tournée au cimetière que Siffleux croisa un homme étranger dans la salle des malades. Suspicieux, l’enfant n’attendit pas qu’une sœur aille lui donner de l’attention. S’il n’était pas d’Alençon, l’homme devait à coup sûr être Angevin. Il devait revenir la queue entre les jambes pour aller ramasser ce qui restait de ses compagnons d’arme. L’enfant renifla. Il en avait l’odeur, en tous les cas.

-C’est qui qu’tu cherches?
Air frondeur.

-On a pas d’Ang’vin ici. C’est qui qu’tu cherches? J’fournis l’fossoyeur, moué. J’l’ai p’t’être déjà charroyé ton ami.

Sourire provocateur. Dans ton fion, étranger! Néanmoins opportuniste, Siffleux s’essaya au marchandage. La petite main sale du garçon fut tendue, ouverte, sous le nez de l’homme.


-Mais, t’sais, p’t’être aussi que c’qui tu cherches est encore ici. P’t’être que j’peux t’aider! J’en vois passer, du monde! On fait jamais attention à Siffleux à Méo, y voit plein d’choses.
Richard_watelse
Où était donc passé la charité Aristolicienne? Maugréant il chercha quelques pièces pour le môme qui tendait obstinément la main. La mendicité commençait jeune pour les pauvres gens. Maisquelque chose dans la malice du regard ud môme Luis indiquait que celui-ci se tirerait un jour ou l'autre de la misère. Un débrouillard se cachait dans ce frêle corps.

Il lui lança quelques écus, et s'ingénia à lui décrire la De Ozta :


Replette...

Il élargit ses mains et Mimas un ventre dodu et des hanches pourvues de bourlets.

Un derrière de jument.

Il flatta son propre derrière comme s'il possédait une bonne couche de graisse.

Du crin de bourrique blonde mais bouclé. Peu flatteur si tu veux mon opinion, gamin.

A suivre ses gestes, le passant aurait pu croire qu'il décrivait une montagne énoooorme.

Et qu'est ce qu'elle bavasse. Même morte je pense qu'elle continuerait de jacasser comme une vieille pie avec ses congénères. AH! Il se pourrait qu'elle parle en Espagnol.

Il rajouta après un instant:

Il se peut aussi qu'elle murmure mon nom sans cesse dans son sommeil. La pauvre s'est entichée de moi, obsédée par mon allure et ma personnalité.

Richard avait un second prénom : sa mère avait cru bon de le baptiser Richard Modeste Watelse...
Siffleux


Quelle mégère il d'écrivait, cet Angevin! Qui voudrait retrouver pareille mocheté? Un cul gros comme une charrette, les cheveux filasse et bavarde comme une pie... Le gamin réfléchit quelques instant en faisant disparaître la monnaie dans sa chausse. Ce n'était guère confortable, mais ainsi personne ne penserait à la lui voler. Il fallait être débrouillard, quand on était né dans la fange! Des blessés, Siffleux en avait vu plus souvent qu'à son tour. Même qu'il n'était même plus incommodé par la vue du sang, des entrailles et du pus. Lorsqu'il serait grand, il serait ramancheux, comme celui de la côte d'en-bas! Siffleux le ramancheux!

L'esprit relativement simple du porteur de cadavre se concentra sur la demande de l'homme. Jaune. Large. Accent bizarre. Siffleux procéda au traitement de l'information, puis ébaucha une réponse.

-M'ouais. Ça me dit que'qu'chose.

Non, ça ne lui disait rien. Ou peut-être que si.

-S'appelle comment ta créature? Pa'ce que des filasses à crinière de bourrique, c'pas ça qui manque ici, hein. Les filles, elles sont pas spécialement sur leur plus beau jour ici.

Ricanements. Et la main à nouveau se tendit, espérant récolter de nouvelles piécettes.

-J'en ai vu une. Moi, j'la trouve pas si moche, alors c'est p't'êt' pas elle hein. L'était habillée pas comme toi ou moi. L'était atriquée comme une bonne soeur. C'était pour pas qu'on y tombe dessus, qu'elle m'a dit quand j'suis v'nu constater son pas décès.

Le garçon se souvenait un peu. La drôlesse avait bien morflé, quelque chose de puissant!

-Bin elle est p'us ici ta taure. On est venu la cueillir. Son mari, p'têtre. En tout cas, elle était p'us là quand j'suis r'venu et j'l'ai pas roulée jusqu'à une fosse commune, j'm'en souviendrais!

Voyant qu'il ne récupérerait pas plus d'argent, Siffleux tarit sa source d'informations.

-L'est certainement encore en ville. Toute brisée comme elle était, elle doit pas êt' bien loin...

- Si elle est capable de marcher, t'la trouveras sûrement à l'église. On y entasse les moins blessés. Pas mal de m'dames y font de la charité. Pis la tienne, si elle a un nom à particule, elle y s'ra. M'sieur. Conclut-il, dans un ultime espoir d'une nouvelle aumône.
Richard_watelse
Richard Watelse l'air de rien était pendu aux lèvres du gosse : jamais il n'aurait cru s'inquiéter autant pour quelqu'un. Pourtant, depuis qu'il était père, il ressentait la peine de ne pas voir sa progéniture et la crainte de perdre à jamais Ursula.
Ainsi il y avait plus cher à son coeur que l'ambition ou Aristote : il y avait sa famille.


Elle n'est pas moche, petite caboche, juste mal fagotée pour sûr. Elle a même de beaux yeux quand ils ne larmoient pas, le coupa t'il à un moment, n'en croyant pas ses propres oreilles de prendre la défense de l'hispanique. Lui lançant une autre pièce : Conduis-moi à la-dite église, en arrivant à Alençon j'ai pu compter plusieurs clochers et je n'ai guère le temps et la patience de faire le tour des bénitiers.

Humant l'odeur de cadavres autour, il lui revint des images lointaines de bataille, des réminiscences de sueurs et de peur, des corps morts sur le champ de bataille. Non, il ne pouvait imaginer le corps de la De Ozta en charpie comme il l'avait trop souvent vu après le combat.


Combien de morts et pour quelle bataille? Demanda t'il soudain à son guide de fortune. Comment a t'elle pu se prendre les pieds dans un merdier pareil...

Il ne serait même pas étonné d'entendre qu'une armée eut chargé la blonde après un vol de macaron. Elle avait eut tellement don d'attirer la malchance. N'avait-elle pas eu la mauvaise fortune de se rendre grosse à la première culbute amoureuse?
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Siffleux


Du trouble de l’étranger, le garçon ne savait rien. L’aurait-il su que cela lui aurait passé à trente coudées au-dessus de la tête. Enfant de rien, Siffleux était bien loin de la réalité des adultes, encore plus éloigné de la réalité des adultes qu’il ne connaissait pas. Peut-être aussi Siffleux était-il un peu égocentrique, autant qu’un gamin pouvait l’être. En outre, tant que le bonhomme continuait de lui lancer des pièces, Siffleux se ferait page avec joie.

Le morceau de métal nouvellement acquis alla rejoindre ses semblables dans la chausse.

-C’est généreux de ta part, m’sieur. Pour l’église, c’facile, c’est celle qui a l’air pleine.

L’enfant avait lancé cette dernière phrase comme s’il s’agissait de l’évidence même. Oui, tu te promènes et tu suis la parade, si le sanctuaire est plein, c’est que tu es au bon endroit! L’homme avait l’air un peu confus et tout sauf habitué aux aires de la capitale. Flairant une opportunité de relâcher son effort, le garçon proposa un marché au grand bonhomme.

-Tu me donnes… Trois pièces de plus et je te fais prendre le chemin le plus court pour l’église. J’peux te le faire gratis, aussi. Mais ça va être plus long, va falloir que j’arrête m’acheter à bouffer… P’têt’ qu’en arrivant ta créature elle y s’ra plus!

Un large sourire jauni vint éclairer les traits de Siffleux. Certainement que dans l’avenir, le petit du bedeau saurait se débrouiller. Fourbe comme un usurier, il était! Chemin faisant, l’enfant se mit à instruire son interlocuteur sur la bataille récente et ses conséquences.

-Y’a eu pas mal de morts. J’crois que c’était pour une question de fric. Ou de politique. Ou des conneries comme ça. J’suis pas au courant, on parle pas beaucoup au Siffleux. Y’en a même qui disent que j’suis sourd, parce que mon père est bedeau, mais t’vois bien que c’est faux. En tout cas, tout ça pour te dire que l’Siffleux y s’fait des écus depuis la baston! Ça tombe comme des mouches!

Et Siffleux de mimer avec ses doigts des insectes qui tombent. Tournant la tête vers la droite, l’enfant s’immobilisa et pointa de son doigt crasseux la direction à emprunter.

-Tiens. Va voir par-là, fais gaffe à ne pas marcher sur un mourant et l’achever. L’curé dira qu’tu vas droit en enfer! D’ailleurs, j’vais aller voir si on doit pas remplir ma charrette.

Ne s’intéressant pas davantage à l’homme en arme, Siffleux s’en fut dans la nef pour faire sa tournée morbide.
Ursula_
Sainte Ursule, patronne des points de suture! Ursula s’était décerné ce titre à la suite de la bataille d’Alençon, tant pour rire de sa propre condition que pour se targuer d’avoir le plus joli point de croix en ville lorsqu’il s’agissait de broder sur de la peau avec une aiguille courbe.

Pour occuper sa convalescence, Ursula avait à nouveau repris la plume. Par pure et illogique naïveté, ses mots s’étaient dirigés vers le soldat. Plus aimable, l’Ibère avait brièvement décrit ses projets, ses nouvelles fonctions. Mue par l’habitude, elle avait recommandé à Watelse d’être prudent. Elle avait même conclu sa lettre en parlant de leur fils comme étant un héritage commun. Son pli n’avait pas trouvé d’écho et elle avait commencé à guérir, lentement. Au rythme de ses ecchymoses qui pâlissaient, Ursula renouait avec un art mis de côté : celui de soigner. Toute occupée à enrichir les jeunes esprits des enfants Cosnac, la Navarraise n’avait plus été forcée de marchander des remèdes douteux pour pouvoir se payer à manger. Mais voilà que Priam avait été blessé et rapiécé avec autant d’adresse qu’un aveugle cousant une courtepointe. Ursula le veillait, le soignait et son esprit ingénu anticipait un avenir tranquille à ses côtés. Profitant de quelques minutes volées à ses responsabilités, Ursula s’était même compromise en allant jusqu’à avouer au Louveterie que son attachement pour lui grandissait de jour en jour. Ils étaient bien loin, dans le fin fond de sa mémoire, les malheurs bordelais et Richard Watelse avec. Ainsi, l’idée qu’ils se revoient à Alençon n’avait pas effleuré l’esprit d’Ursula. Encore moins la thèse soutenant que Watelse s’inquiétât de sa santé et voulait s’assurer qu’elle respirait toujours… Quant à son envie paternelle, n’en parlons même pas!

Oh, elle avait certes continué d’entretenir une correspondance plus qu’épisodique avec Richard Watelse depuis leurs retrouvailles désagréables à Sainte-Illinda. Leurs échanges étaient plus souvent forgés de mots tendres, comme « vous rêvez de me voir décapité autant que de me revoir dans votre couche » ou « lâche que vous êtes. » Richard remettait en question les qualités maternelles d’Ursula et elle questionnait en retour la virilité de l’ancien croisé. Il s’agissait d’un échange normal, habituel, voire presque tendre entre les deux individus. Elle lui avait ensuite écrit qu’elle quitterait le Royaume de France pour l’Angleterre, qu’elle irait convoler en justes noces et qu’ils ne se reverraient probablement plus. Un adieu sec, sans cérémonie. Watelse avait renvoyé une missive pleine de hargne à la Navarraise. S’en était suivi un silence de quelques semaines pendant lesquelles Richard Watelse avait été presque oublié. Il y avait eu le siège, les affrontements, les veillées, le nourrisson d’Avis qui lui avait été confié bon gré mal gré le temps que sa mère revienne d’une mobilisation en Normandie. D’ailleurs, c’était pour profiter d’un moment de silence et de calme relatifs qu’Ursula avait trainé la jeune Eulalie dans l’église. La Ozta pourrait jouir d’un moment de recueillement et l’enfant pourrait à loisir y apprendre à faire des pansements. Ursula le lui avait promis : Eulalie saurait ce que sa préceptrice savait. Dans tous les domaines. Et les éclopés n’étaient pas une denrée rare en ces lendemains de pillage.

Mais Ursula n’arrivait que très difficilement à se concentrer. Les gémissements des malades, les prières bruyantes des veuves, son estomac réclamant un morceau de jambon, la perpétuelle œillade qu’elle jetait à Eulalie pour vérifier qu’elle était toujours là… Cette cacophonie n’était en rien comparable au silence de son cloître et l’esprit fatigué de l’oiselle se surprenait à regretter cette infantilisation monacale. Elle finit d’être dérangée dans sa supplication christique par une étrange impression d’être observée. La conversation avec le Très-Haut ne serait que peu productive, finalement. La Ozta tourna la tête pour poser les yeux sur une silhouette étrangement familière. Il ne pouvait pas s’agir de l’Infâme. Il devait être bien loin. Encore à Tours, peut-être reparti à Bordeaux. Ils s’étaient encore une fois quittés fâchés à la fin de novembre... Une histoire de bijou vendu, ou de lettre jamais reçue. Clignant des yeux pour faire disparaitre la désagréable hallucination, Ursula se signa et tourna vers la jeune Cosnac.

-Je reviens. Ne bougez pas, je ne serai pas longue.

L’Ibère déplia sa douloureuse carcasse lentement. Les génuflexions et la prostration qu’impliquaient la prière n’aidaient en rien à sa guérison et amenuisaient son seuil de tolérance à la douleur de jour en jour. Elle voyait mal dans la pénombre de l’église et s’assurer que Richard Watelse était loin lui permettrait de retourner vaquer à ses tâches. Se déplaçant lentement, une main sous sa cage thoracique, Ursula se tortilla entre les badauds pieusement alignés dans les rangées de bancs. Elle évita de justesse le garçonnet hirsute payé pour venir chercher les corps des trépassés. Ursula étira en vain le cou pour tenter d’apercevoir la silhouette masculine. Elle ne le vit pas. À demi soulagée, la Navarraise retourna à son poste, se collant un peu plus cette fois à l’épaule de la petite Cosnac, comme une poule couvant son oisillon.


-J’ai cru voir un fantôme. Prions
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Richard_watelse
Il l'avait vu. Rien de gras, rien d'empâté dans la démarche oztienne. La blonde était vivante. Il sentit ses jambes faiblir et se plier sous une prière de remerciement. N'était-on pas dans une église, le meilleur endroit pour remercier Aristote de ses bienfaits? Courbé, il s'était sans le vouloir dissimulé derrière une statue de Ste Illinda. Signe de croix. Le robuste soldat se relève et cherche du regard la mère de sa progéniture.

Là parmi les blessés, Ursula semblait parmi les siens : parmi les éclopés, les blessés, les souffrants. Comment avait-elle pu déchoir à ce point? Il ne songeait pas seulement à ce teint maladif que la coiffe féminine cachait mal. il songeait à ce manque d'apparat et cette absence de distinction, signes qui un jour avait fait tourné la tête du Watelse.


De colonne en colonne, il s’approchait d'elle, ignorant la présence d'une petite fille. Il résistait à peine à l'envie de l'empoigner et la serrer contre lui, l'emmener loin de cette crasse malsaine. L'engueuler aussi, de sa sottise, de s'être jetée contre une armée.


Dame Peau-sur-les-os, si vous m'aviez écrit faire un régime, j'aurais évité de vous apporter des friandises.

Oui, Richard Watelse ne pouvait pas se montrer sentimental sans user de son humour grinçant.
Ursula_
Agenouillée, l’échine courbée au-dessus de ses mains jointes, la Ozta priait les yeux fermés. Les sourcils froncés, elle demandait au Très-Haut de guérir les blessés, de protéger la petite Eulalie et de faire en sorte que son mariage prochain soit rapidement fécond. Ça, c’était pour bien paraitre, car une fois ses politesses demandées, elle se permit une réflexion sur Richard Watelse en demandant (exigeant) du Père qu’Il le laisse loin d’elle. Vraisemblablement, le Très-Haut avait le sens de l’humour et bien ne tolérait pas que l’on essaie de forcer ses bienfaits, car Ursula fut à nouveau extirpée de son dialogue mystique par une voix sortie du passé.

Une.

Deux.

Trois secondes passèrent sans que l’Ibère ne bouge. Peut-être qu’en faisant la statue, peut-être qu’en ne réagissant pas, l’homme penserait avoir fait erreur sur la personne. Elle avait tellement changé en ces dernières années. Ursula avait un peu grandi –elle sortait à peine de l’enfance lorsqu’ils s’étaient connus-, elle avait maigri aussi. Les jeûnes et les longues journées à prier avaient épuisé quelques réserves adipeuses sous l’épiderme de l’oiselle. Évidemment, elle avait vieilli, aussi. Entrouvrant un œil, Ursula coula discrètement un regard à l’homme qui s’était penché au-dessus d’elle. Il n’avait pas bougé. Elle devina que sur ses lèvres minces un sourire en coin s’était étiré après qu’il lui eut adressé la parole.

Replaçant son chapelet dans son aumônière, la Navarraise prit son temps pour accorder une parcelle d’attention au Watelse. S’il s’était imaginé qu’elle lui sauterait au cou comme avant, il se mettait le doigt dans l’œil. Faisant grincer le banc sur lequel elle prit appui pour se relever, Ursula daigna lever le regard vers le soldat qu’elle considéra avec une certaine circonspection mêlée à un trait de dédain. Salutation habituelle. Si son apparence avait changé, Ursula restait Ursula.

-Vieillard, ici n’est pas le lieu pour les badineries. Encore moins pour me faire des présents.

Et vlan, la jeune femme venait de porter le premier coup. « Tu es vieux, Richard. Qu’est-ce que tu me veux? »

-Êtes-vous blessé? Avez-vous besoin de mes soins?

« Oh, faites qu’il ait besoin d’être recousu avec une aiguille émoussée et pansé avec des torchons sales! »

Lui saisissant le poignet de sa main gauche –geste prémédité pour lui exhiber en plein nez sa promesse d’épousailles- Ursula termina de se relever et entraina le Watelse a l’écart, à une distance appréciable des oreilles d’Eulalie afin que celle-ci ne puisse pas entendre les vulgarités et autres jurons qui fuseraient certainement de part et d’autre. Une main sous ses côtes, l’autre agrippée au bras masculin, la Ozta s’abrita derrière une colonne. Chuchotant pour essayer de garder une certaine intimité malgré les âmes attroupées, Ursula se mit en devoir de rudoyer Richard à grands renforts de gesticulations pour ajouter du poids à son argumentation.

-Qu’est-ce que vous faites ici?

Dans son énervement à la suite de la bataille, encore collante du sang des soldats, miliciens et autres alençonnais blessés, Ursula avait bien entendu demandé à Richard de venir la rassurer. Ce qu’elle pouvait être stupide! Il devait être là parce qu’elle le lui avait demandé. Comme le molosse rappliquant au sifflement de son maitre, ou comme l’asticot venant délester le squelette des chairs putrescentes. Il faisait ce qu'il avait toujours fait: rappliquer, avec un délai appréciable, lorsqu'elle le lui demandait. Ou lorsqu'il jugeait qu'elle aurait dû le lui demander. Watelse tenait-il plus du chien ou du vermisseau?

- Vous faites toujours cela! Je vous dis d’aller vous faire voir chez les Teutons, vous revenez ainsi, plein de superbe et les bras chargés de macarons! Je ne suis plus une enfant, vous ne m’impressionnez plus avec votre sourire et vos douceurs.

Au contraire de leur dernière entrevue, Ursula n’envoya pas son petit poing cogner sur le visage en poussant un hurlement venait du plus profond d’elle-même. Elle préféra se draper dans son apparent mépris.

-J’ai failli ne pas vous reconnaitre. Vous vous empâtez. Et vous… Oh. Sont-ce des cheveux gris?

Ursula était-elle sur la défensive? Assurément! Le laisser faire preuve de gentillesse à son égard briserait l'image manichéenne de lui qu'elle s'était forgée au fil des années. Elle était l'Immaculée, il était le Monstre, l'Infâme et changer ce portrait ne serait pas aisé.


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Richard_watelse
L’hispanique, fidèle à son caractère, lui apposa son plus dédaigneux faciès et l’entraina à l’écart. L’ombre d’une statue couvrait seulement en partie le visage d’Ursula. Alors qu’elle déballait moult charmantes politesses par son sourcil droit arqué de mépris et la bouche crispée sur ses remarques baveuses, le soldat ne doutait pas un seul instant que la partie gauche cachée par l’ombre de la statue laissait encore transparaitre toute l’affection enfantine qu’elle avait eu pour lui il y a quelques temps déjà. Il percevait dans la pénombre une œillade émue, une joue qui se poudre d’un rouge de timidité, un cil qui bat imperceptiblement plus vite pour charmer, et aucune lumière ou aucune ombre ne pouvait dissimuler la cavalcade de leurs deux cœurs qui s’emballaient.

Ou tout du moins, le cœur du Watelse battait à tout rompre de soulagement et d’excitation : elle était bien vivante, là, et le titillait comme avant. Leurs échanges ressemblaient plus à une bataille, mais n’est-ce pas là ce qu’apprécient les soldats ? Les joutes verbales, les mots choisis pour blesser, la bague brandie sous son nez comme une arme.

Il lui attrapa la main fiancée et y apposa une légère bise et continua le badinage, car il savait qu’elle en serait décontenancée puis énervée. Voilà tout ce qu’il voulait : la voir perdre ses moyens.


Si mes cheveux se teintent de blanc, Ursula, vous en êtes la cause : j’ai cru mourir vous sachant amourachée d’un blanc-bec fieffé, blanchi une nouvelle fois vous pensant agonisante, et je crains de complètement perdre l’ensemble de ma chevelure car, en soufflant le chaud et le froid avec moi, comme on dit par chez moi « c’est un coup à devenir chauve » !

Se faisant, il singeait l’homme vaniteux passant ses doigts gantés dans son épaisse crinière sombre. Un vrai sourire se dessina sur ses lèvres, presque mue en rire. Qu’il était bon de pouvoir badiner auprès de la de Ozta ! Jamais Watelse n’avait été intime avec une femme aussi longtemps et l’évidence le frappa : il n’avait pas envie d’une intimité avec une quelconque autre femme. Otant ses gants, il prit entre ses deux mains le visage de la jeunette - qui l’était de moins en moins, jeune – et en examina le moindre pore avant de la serrer contre lui.

Si vous épousaillez le rejeton noble, je ferai vœux de célibat et de chasteté.

Depuis leur séparation, le hargneux avait épanché ses pulsions entre maintes femmes de basse condition, moyennant quelques écus. Il avait profité ardemment de leurs charmes sans précaution aucune sur le déplaisir qu’il provoquait chez elles. Après tout, elles étaient payées pour qu’il ne leur prête aucune attention particulière. En triste égoïste, il écumait les bordels ne choisissant que les putains replètes aux cheveux blonds. Portrait d’une femme qui lui manquait sans aucun doute.

La dite-femme avait toujours la couleur des blés murs, mais le corps semblait en jachère depuis bien trop longtemps. Sans décence il lui murmura l’envie qu’il avait de lui pétrir ses formes endolories et semer de caresses l’ensemble de son champ charnu. Etait-il dans une église ? Pourtant respectueux à l’extrême de la bienséance religieuse, il avait complètement oublié l’existence de l’autel, du bénitier et des autres agonisants écoutant l’onction des malades que murmuraient les prêtres.

Il n’était plus qu’un volcan bouillonnant de désir pour la fillette qu’elle n’était plus et la femme prometteuse qu’elle devenait.


Venez avec moi lui susurra t’il, la contraignant à se dissimuler totalement derrière une tenture représentant le péché originel, le serpent et les deux imbéciles heureux d’Adam et Eve.
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Ursula_
Un instant, un bref instant, Ursula redevint la petite demoiselle candide gambadant dans les rues bordelaises, tirant derrière elle un hirsute soldat qui ne comprenait rien à ce qu’elle racontait. Mêlant sa grammaire d’occitan approximatif et de castillan calfeutrant, elle lui racontait ses montagnes, Elianor, ses rencontres avec la plèbe, se moquant gentiment du mutisme obstiné de Watelse, arrivant parfois à lui arracher un sourire. Oh, il méritait bien sa solde, à se plier à ses caprices, à l’aider à se jucher sur son palefroi pour ensuite la suivre gentiment. Elle se souvint aussi d’un incident limougeaud. Un Montbazon bien aviné s’était approché d’un peu trop près de l’ourlet de sa robe et il avait presque fini décousu par la lame fidèle de Richard. Était-ce à ce moment qu’elle l’avait aimé? Un imperceptible sourire vint ourler la lippe encore bleuie. Il s’effaça presque aussitôt que l’Infâme lui prit la main pour y déposer un baiser. Derrière un baisemain innocent, l’Ibère devinait qu’il ne s’agissait probablement que d’une marque d’attention pour lui signifier que même s’ils étaient séparés, même si elle en épousait un autre, elle lui appartiendrait. Toujours. Quoiqu’elle fasse.

L’effet attendu par Richard se produisit, bien évidemment. L’oiselle se mit à s’agiter, retrouvant cette diction colorée que Watelse se plaisait à imiter pour l’ennuyer :

-Je ne vous ai pas. Permis. De me. Toucher! J’ajoute douter être la cause de votre vieillissement. Si apprendre que je suis promise à un homme alors que vous, vous n’avez pas voulu de moi vous étonne, eh bien vous êtes encore plus idiot que ce que je pensais!

« Maudit Watelse! Je t’ai tellement espéré, tellement attendu et maintenant que je ne te souhaite plus, tu reviens. »

Les doigts blancs de la Navarraise allèrent arracher les mains légèrement moites qui paraient l’ovale de son visage. Chaque toucher était une réminiscence de ce qui fut et qui ne devait jamais plus être. Ursula recula d’un pas pour finir de se dégager complètement, et son dos heurta la pierre qui leur offrait un discret asile.

-J’épouserai messer de la Louveterie et vous ne tiendrez pas plus d’une heure sans aller renifler sous les jupes crasseuses d’une putain, Watelse. Peut-être même en choisirez-vous une qui me ressemble!

Le ton était hargneux et, dans les iris ardoise, brillait une juste colère. Elle n’était plus la petite fille qui avait secrètement bouclé une malle et qui avait attendu sagement que son Richard vienne la chercher à la faveur de la nuit. Il ne l’aurait plus aussi facilement. Ursula avait offert sans gêne aucune, avec un espoir lyrique son cœur, son cul et son ventre au soldat. Il les avait tous pris et ne lui avait rien offert d’autre en retour que des pattes de mouches sur un vélin, cinq millepattes sur un nénuphar et une maternité honteuse.

Lorsqu’il lui signifia son envie de la toucher, de la posséder à nouveau, usant d’un vocable sans équivoque, Ursula ferma les yeux et poussa un soupire agacé. Watelse n’avait pas changé, il demeurait ce soudard avide de peau duquel elle s’était hélas amourachée. Elle allait simplement retourner à sa réalité lorsqu’il lui imposa de le suivre. Elle ne protesta pas immédiatement lorsque l’Immonde la tira derrière une tenture, marquée par la surprise d’une audace aussi malveillante. Si les mains rustres de Richard lui rappelaient qu’elle avait un jour ardemment désiré les sentir sur sa peau, elle ne s’abandonna pas. Il ne lui arracherait pas tout une deuxième fois. Encore moins dans la maison du Très-Haut, oh Seigneur!

La gifle fut à la fois rapide et brutale. La seule caresse qu’Ursula se permettait d’offrir à l’ancien croisé. Si cette fois elle ne lui avait pas abîmé le nez, elle lui avait très certainement refroidi les ardeurs. Même petite et empotée, Ursula de Ozta avec une droite étonnamment solide. L'Ibère glapit, tournant probablement quelques oreilles importunes en leur direction :

-Je ne suis pas une putain que l’on prend contre un mur au détour d’une taverne, Richard Watelse!

Elle en aurait presque pleuré. Pour se donner une contenance, elle lissa ses jupes et replaça une mèche dorée derrière son oreille afin de laisser le temps à son souffle de redevenir normal. Puis, à mi-voix, presque tendre, elle jeta une amère conclusion :

-Si vous m’aimez, Richard. Vous m’aimez fort mal. Cela ne vous donne pas une impression de déjà-vu? Moi, fiancée, vous, atrocement jaloux…

S’en suivit une pause qui parut interminable, pendant laquelle la jeune femme songea à Eulalie. Depuis combien de temps s'étaient-ils isolés?.

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Richard_watelse
La gifle arrêta de suite les ardeurs de Richard Watelse. Sous la fine ossature de l’hispanique se cachait une force nouvelle. Elle avait grandi la blondinette qui passait son temps à pérorer et à se goinfrer en taverne. D’un certain côté, qu’elle restât une enfant aurait facilité sa reconquête charnelle. Cependant, cette résistance attisait toujours plus cette passion pour la nobliotte qu’il s’était enfin avouée (il était plus que temps…). En bon soldat, il aimait le combat, les boucliers levés ne suscitant chez qu’une envie renouvelée de croiser le fer.

Ce n’est pas en putain que je vous voudrais, Ursula, beaucoup trop chère pour ma bourse, répliqua-t’il du tac au tac. Les épouses demandent moins d'entretien financier.

Il réprima un rire alors qu'une moniale le regardait sécvèrement. Embêté, il tourna à moitié le dos à la de Ozta et passa une énième fois sa main dans la chevelure couleur charbon. Il chercha à gagner du terrain en amorçant une tentative d'approche.

Ursula...

Comment franchir la forteresse de son corps et de son cœur s'il ne pouvait plus passer par les douves de ses lèvres et hasarder son arme virile contre les contreforts de son bas-ventre? Watelse n'était pas homme à déposer les armes, pourtant il songea à cette éventualité tandis que la jeune femme semblait se désintéresser de lui et chercher quelqu'un vers la sacristie.

Ursula...

Il répéta son nom une seconde fois, pensant sûrement trouver une inspiration, l'ombre d'une stratégie d'attaque. Non, il n'aurait plus son attention. Il lui fallait faire vite sinon elle s'envolerait de nouveau, et cette fois pour de bon. Ne faut-il pas dire tout ce qu'on a sur le cœur avant de se dire adieu?

Ursula... Je n'aurais pas pu vous voir morte sans en périr sur le champ moi aussi. J'ai souffert tout le long du trajet redoutant de ne trouver qu'un cadavre aux cheveux d'or. Il me semble que mon cœur s'est remis à battre en apercevant votre silhouette, là, dans cette église, et je remercie le Seigneur de vous avoir préservée. Si mon soulagement n'a pu transparaître que dans des actes qui vous écœurent, c'était involontaire. Mais vous savoir vivante me donne envie de me sentir vivant moi aussi. Vivant en vous. Et en vous uniquement.

Symboliquement il posa un genoux à terre, et sortit de son fourreau son épée fidèle pour la déposer aux pieds de la blessée. Position incongrue dans une église rempli de mourrants. Il se sentait pourtant bien moins chanceux que tous ces mutilés. Il était en train de la perdre et elle l'amputait de ce qui lui restait d'âme.


Par cette épée, je rends les armes devant votre bonté, votre beauté, votre langue agile et votre esprit malicieux. Je rends les armes devant votre peine, vos offenses, votre maternité avortée par ma seule faute et devant votre mépris de moi. Je suis à vous. Éternellement.
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Ursula_
Au bruit métallique que fit la lame posée à ses pieds, Ursula reporta son attention sur l’Indésirable. Le minois appréciablement tuméfié de l’oiselle se tourna vers le soldat agenouillé. Watelse avait toujours eu le don de bien savoir se mettre en scène.

À la tragique et théâtrale génuflexion de l’homme, l’Ursula d’avant aurait répondu qu’elle lui offrirait tout. Son corps, son âme, ses biens. Tout, tout serait à lui sans droit de regard. Elle lui aurait tout pardonné, lui aurait donné une absolution inconditionnelle. Et elle aurait espéré qu’il l’aime un peu en retour. Elle se serait contentée de peu, une main caressante, un sourire, voire une simple lettre. Hélas, cette enfant-là n’était plus. Le cœur d’Ursula s’était durci, lézardé des stigmates laissés par un amour calamiteux. Au moment où la ventrière était partie en tenant son fils rouge et hurlant, l’Ibère s’était juré qu’elle ne laisserait plus jamais personne lui faire mal comme elle avait laissé Richard Watelse le faire. Et le voilà qui lui offrait son âme.

N’était-ce pas là un ironique et juste retour de pendule? Il l’avait abimée et enfin, enfin il en payait le prix.

« Qu’il crève – mieux! – qu’il souffre! Que dans ses larmes comme moi s’étouffe! »

Elle aurait voulu lui dire qu’elle n’en demandait pas tant. Qu’il pouvait se relever. Qu’il était temps, lui aurait-elle dit dans un sourire, qu’il reconnaisse enfin qu’il lui appartenait. N’en était-il pas ainsi depuis leur premier baiser trois éternités plus tôt? Rien de cela, cependant, ne fut dit. Se contentant de dévisager Watelse d’un air perplexe, la jeune femme se pencha à son tour afin d’être à la même hauteur que le supplicié. Elle posa délicatement sa main gauche sur la joue malmenée et rêche du soldat. C’était la première fois depuis… Combien de temps qu’elle ne le frappait ni ne lui crachait dessus? Elle s’en étonna elle-même. La peau masculine était tiède sous sa paume. Richard n’avait pas une carnation reptilienne comme elle s’en était forgé le souvenir à grand renfort d’amertume. Plongeant son regard dans celui de l’amant passé, les épaules d’Ursula se mirent à tressauter. Elle se releva lentement, tenant maladroitement de dissimuler les spasmes qui la secouaient en serrant ses bras autour de ses épaules.

Re… Rel’vez-vous. Relevez-vous Richard. Vous êtes…

N’y tenant plus, l’oiselle partit d’un rire nerveux. Elle riait de Richard, de ses aveux mal tombés. Elle riait pour ne pas pleurer, pour ne pas avoir à répondre à l’acte de contrition. Pour ne pas devoir dispenser son pardon tout de suite. Pour qu’il reste, encore un peu. Pour ne pas à devoir s’avouer qu’elle ne souffrirait plus d’un ultime départ.

Oh, Richard. Vous êtes ri… ridicule! Relevez-vous.

L’Ibère s’adossa au mur, le tronc écrasant le visage de l’Ève brodée en tenture. Une douleur venant de son côté droit finit cependant par calmer son hilarité, et elle porta une main sous ses côtes pour tenter de se soulager. Reprenant ses esprits, elle poursuivit :

Richard… Comme si de simples excuses, comme si… comme si un aveu de dévotion parviendrait à effacer tout le mal fait. J’aimerais vous pardonner. J’aimerais vous dire que vous voir repartir me serait insupportable. J’aimerais vous dire mille fois que je vous aime, et vous entendre me répondre, cette fois. Mais, Richard… Trop de temps a passé.

Nouvel éclat de rire au travers duquel l’œil expert aurait pu deviner une certaine tendresse devant la résurrection des souvenirs passés et un amusement catégorique devant l’évidente, incongrue et maladroite tentative du soldat de les réparer tous les deux
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Richard_watelse
Décontenancé par cet éclat de voix, ce rire que rien ne laissait présager, Richard Watelse resta son genou à terre, fixant la blondinette qui se fichait de lui, en public et dans la maison du Seigneur, lui qui venait de confesser son affection comme jamais il ne l’avait fait auparavant. Son visage se teinta de blanc, ses ongles s’enfoncèrent dans le creux de sa main droite serrée. Aucune réaction ne serait parfaite et il ne voyait pas comment rediriger cette discussion vers un vent plus favorable pour lui. Si l’honnêteté n’avait pas fonctionné, il présageait qu’aucune autre manipulation ne lui permettrait d’ouvrir un peu plus le cœur de la Oztienne.

Toujours à terre, il réengagea son épée dans le fourreau et étouffa un soupir de désespoir.


Dame Ursula de Ozta, si votre cœur a trouvé le confort dans une autre compagnie que la mienne, je ne puis m’y opposer. Je ne renierai pas pour autant mon engagement de chasteté, et n’aurai comme seule ambition de vous laisser en paix et de retrouver notre enfant pour vous le confier. Ceci rattrapera peut-être un peu les pêchés d’autrefois…

Frôlant à peine la joue de l’être aimé :

Vous savoir vivante suffit à ma joie, Dame.

S’il devait mener une vie de moine, autant la commencer dès maintenant. Il rejoint un prie-Dieu proche et y commença une prière silencieuse, tournant le dos à la nobliote. Psalmodiant des Ave qu’il connaissait par cœur, son esprit se détournait de la récitation en divagant sur sa souffrance, sur le fait de renoncer aux plaisirs de la chair (ce ne serait pas si dur car depuis peu, il avait attrapé des morpions ce qui lui imposait l’abstinence), sur le rejet définitif de celle qu’il pensait avoir à jamais, sur les soucis dans ses entreprises chypriotes, sur … Sur tant de choses, qu’il préféra se reconcentrer sur les Amen et les Ave, se demandant pourquoi la vie n’était pas aussi simple qu’une prière.

Soudaine illumination :


Je dois vous garder vivante pour conserver ce peu de joie qui me reste !

Se retournant, il lui offre une expression digne de « Celui qui a tout compris à la vie ».

Je défendrai votre corps par monts et par vaux, de France en Angleterre… Quant à votre âme et votre cœur, je consens à n’en être plus le chevalier et laisse la douce tâche à votre futur époux.

Un époux dont il voudrait bien réduire le faciès en bouillie en récitant une prière de contrition. Amen.
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Ursula_
Jamais Richard Watelse n’avait fait preuve d’autant d’humilité. Toujours agenouillé devant la jeune femme, il semblait rendre les armes. Nulle parole blessante, nul trait d’esprit ne vinrent ponctuer son discours. Le belliqueux soldat faisait son mea culpa auprès de celle qu’il avait tant offensée. Prudente, Ursula s’attendait à une conclusion amère, à une pique, voire à un regard langoureusement lancé. Rien. Rien d’autre qu’une profession de foi à son endroit. Déstabilisée, elle l’était sans aucun doute. La blonde hispanique avait dû apprendre à répliquer à force de côtoyer l’Immonde. Tant et si bien qu’elle se voyait complètement désarçonnée devant l’âme mise à nu. Mais était-il réellement sincère et repentant ou ne tenait-il pas plutôt de la manipuler, comme il pouvait le faire à loisir par le passé?

Watelse. Commença-t-elle sur un ton qui se voulait méprisant. Mais même en s’efforçant de se rendre aussi crédible que possible, rien d’autre qu’un émoi malhabile ne franchit ses lèvres.

Ursula s’éclaircit la voix et étira un étrange sourire triste. Watelse lui avait tourné le dos et était parti se recueillir. Ou s’il ne méditait pas, au moins lui donnait-il l’impression qu’il cherchait quelque conseil auprès du Père céleste. L’Ibère s’approcha un peu, pour pouvoir continuer de lui parler sans que leur conversation ne devienne un fait divers. Elle s’agenouilla à ses côtés, comme pour réciter la même prière.

« Je t’ai toujours aimé. Même quand tu n’as plus voulu de moi. »

Je vous ai toujours recherché. Même après que vous soyez parti comme un immonde lâche. Je suis fatiguée de vous espérer. Je ne veux pas vous attendre en vain encore une fois. Vous avez raison, il nous reste notre fils.

« La seule chose que nous partagerons toujours. Malgré les colères et les déchirements. Tu m’as terriblement manqué. »

Ursula osa un regard en biais vers le soldat psalmodiant. C’était la première fois qu’elle utilisait le déterminant « notre » lorsqu’il était question de l’enfant perdu. Surtout devant Richard, Ursula utilisait davantage « l’avorton », « le bâtard », « la faute » ou, pour porter un coup mesquin, préférait user de l’égoïste « mon fils ». Qu’elle ne pouvait ni ne souhaitait le récupérer était une fois une variable qu’elle se garda de préciser. Watelse n’avait pas besoin de savoir qu’elle n’oserait pas imposer au Louveterie salvateur le fruit honteux de ses entrailles. À l’illumination aussi soudaine qu’inquiétante, Ursula répondit crânement :

Parce que vous aviez l’intention de m’éliminer? Vous m’aimez beaucoup trop pour faire un’…

Mais l’homme n’avait pas fini et la coupa dans son élan.

Que… Quoi?

Ursula avait élevé la voix et regarda tout de suite aux alentours pour s’assurer que chacun était trop occupé par ses propres supplications pour porter attention au duo. S’en suivit une longue considération perplexe du Watelse qui venait d’émettre un projet fantaisiste. La Raison lui dit de tenter de le dissuader :

Si vous me collez aux chausses comme la bouse au printemps, vous deviendrez rapidement ennuyé.

Et l’Ibère d’arquer un demi-sourire, satisfaite de la soudaine et infantile emprise qu’elle sentait avoir sur l’Infâme.

« Je n’ai plus besoin que tu me sauves, maintenant. J’ai un époux, pour le faire. Je n’ai plus besoin de toi. Pour la première fois depuis que tu as gâché ma vie, je n’ai plus besoin de toi. »

Elle poursuivit, afin d’enfoncer un peu plus le clou :

D’ailleurs, vous n’allez pas du tout apprécier Priam. Vous le trouverez ennuyeux, ampoulé et agaçant. Mais vous n’y toucherez pas, parce que je l’aime beaucoup. Il n’est ni stupide ni présomptueux comme Léandre de Montbazon-Navailles. Et il est propre. Contrairement à vous.

« Mais tu vas rester, parce que je le veux bien. »

L’oiselle ne peut réprimer un sourire au souvenir des échanges verbaux aussi mufles que musclés entre le défunt et Watelse. Ayant, sous sa couche de rouille, retrouvé une once de la superbe de naguère, la Navarraise conclut. Elle se signa et se releva, en grimaçant.

J’ai à faire. Vous m’avez retenue assez longtemps. Et faites-vous discret.

Une dernière fois, Ursula lui offrit un sourire vraiment sincère, confit de la candeur des histoires passées. Venait-on d’assister à la Pax Ursula? À l'avènement du meilleur des mondes?

Je ne m’attends pas à ce que vous restiez. Mais si vous le faites, je serai satisfaite.

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