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Jambon ibérique

Richard_watelse
Sa vie se résumerait donc à errer dans l'ombre de celle qu'il a un temps aimé. Et qu'il aime toujours à sa manière. Elle lui demandait la discrétion. Certes, il lui donnerait. Elle réclamait sa présence, du moins, du moins le lisait-il entre les lignes et dans chaque mouvement de ses cils. La lumière des vitraux projetait un halo coloré sur les boucles de l'hispanique, telle une apparition divine. Il aurait souhaité faire durer ce moment longuement et profiter de ce sentiment de bien-être qui l'envahissait totalement. Mais elle entreprit de s'éloigner, et son coeur se serra.

Ursula, je ne manquerai à aucun de mes devoirs de serviteur envers vous.

Le colosse se leva, la toisant de presque deux têtes et lutta pour ne pas laisser parler ses ardeurs. Chasteté. Chasteté. Chasteté. Il ne toucherait plus donzelle ou catin avant longtemps. Jusqu'à ce que l'hispanique réalise qu'il n'y avait de salut que dans leur étreinte et qu'elle s’ennuierait dans la couche d'un autre.

La forme gracile faisait son chemin entre les blessés, et comme un chien il la talonnait sans mot dire. L'air de l'église puait la mort et le sang. Obnubilé par Ursula il venait seulement de se rendre contre de l'environnement malsain de l'endroit.
Sa botte heurta se fit soudainement happée par une main. Une main couverte de boue séchée, manœuvrée par un homme au visage tuméfié. Les yeux implorant cherchaient ceux du soldat Watelse. Celui-ci délaissa la noble pour s'agenouiller devant plus nécessiteux.
La victime sifflait et ses paroles restaient incompréhensibles. Penché au-dessus de lui, le Watelse lui murmura quelques paroles de réconforts et deux prières. La scène se répétait : à la guerre ou ici, il finissait toujours par écouter les dernières volontés des mourants.
Sans tourner la tête vers Ursula :

Auriez-vous une écuelle d'eau pour décrasser ce pauvre gars?

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Ursula_
Ursula commençait à s’éloigner. L’échange avait déjà assez duré. Ils n’avaient plus rien à se dire. Il resterait. Il s’était impétueusement imposé à nouveau dans sa vie. Richard resterait, malgré eux. Pour un temps, du moins. Et quand il repartirait, Ursula se jura que ce serait la dernière fois.

L’espace d’un battement de cœur, l’esprit d’Ursula créa une dystopie, un univers alternatif aussi improbable qu’impie. Elle ne s’était pas levée pour retourner à sa mortelle routine et sceller leur nouvelle entente par un ascendant rudement gagné. Elle était restée agenouillée à côté du soldat, dans une église soudainement vide. Toute proche. Assez proche pour le sentir respirer, pour l’entendre réciter ses crédos. Puis, elle avait osé glisser ses doigts sur les mains masculines nouées dans la prière. Il l’avait regardée. Elle lui avait souri, puis avait osé une main sur sa joue en une délicate caresse. Ursula s’était ensuite penchée pour aller poser ses lèvres sur celles, tièdes, de Richard. Passionnément. Éperdument. Ses bras s’étaient noués autour du tronc puissant, ses ongles froissant les vêtements. Violente étreinte pour effacer l’odeur, le souvenir, la chaleur de toute caresse étrangère, pour qu’il n’y ait plus qu’elle sur la peau du croisé, pour qu’il n’y ait plus que lui sur sa peau à elle. Comme cela aurait dû être. Comme cela ne serait jamais. Elle avait senti, enfin, les bras de l’homme se refermer autour d’elle. Elle avait senti ses mains la parcourir et avait frémi en entendant sa voix lui souffler son besoin d’elle. Et elle s’était donnée. Encore.

Le bruit d’un prie-Dieu que l’on repousse. Pourquoi? Ils étaient seuls. L’image devint floue et s’assombrit jusqu’à disparaitre, pour ne laisser que des cendres, comme un parchemin jeté au feu. La jeune femme revint à une réalité beaucoup moins douce, l’œil étrangement brillant.

« Maudit Watelse, tu resteras toujours mon péché mortel! »

Watelse s’était levé à son tour et la suivait de loin. Il se ferait discret et empressé, comme il savait si bien l’être lorsque ne lui venait pas l’idée de hasarder une main calleuse sous les jupes de l’oiselle.

J’ose croire, Richard, que cette fois vous ne manquerez pas à vos devoirs.

Il ne lui répondit pas tout de suite. Ursula s’arrêta pour voir où se trouvait l’homme. Il était accroupi auprès d’une pauvre créature souffrante qu’elle n’avait pas remarquée en cheminant vers la sortie pour prendre une bouffée d’air frais. L’odeur de chairs brulées, des chairs pourrissantes et du sang devenait écœurante. Aussi étrange que cela puisse paraitre, la Ozta redécouvrait le soldat sous un nouvel angle. Elle l'avait connu pétri d'orgueil, de muflerie Il lui était apparu humble et pénitent. Maintenant il lui apparaissait empathique. Elle fronça les sourcils lorsqu’il la héla. De l’eau pour laver le mourant. Non, elle n’y en avait plus. Relevant ses jupes de quelques pouces pour faciliter sa marche, elle retrouva le soldat et se pencha à son tour. Elle le poussa d’un coup de hanche pour qu’il lui laisse de la place. Ses mains habiles allèrent tâter le cou du moribond pour y trouver un pouls. Faible. Les yeux devenaient déjà vitreux. La mort allait passer bientôt.

Inutile. Il va mourir. Prions.

L’Ibère se signa et entreprit de recommander l’âme au Très-Haut.

Jetez sur lui des regards favorables, délivrez-le, Seigneur. De votre colère, d’une mauvaise mort, délivrez-le. De la puissance du Sans-Nom, délivrez-le. Des peines de l’Enfer, délivrez-le. Par votre Naissance, délivrez-le. Seigneur, prenez pitié.

Ursula se signa à nouveau et se releva, sans porter plus d’attention au cadavre que serait bientôt le blessé. Mieux valait s’acharner à réparer les vivants. Réprimant un léger haut-le-cœur, se rendant aux miasmes verdâtres, Ursula traina Richard Watelse vers l’extérieur. Pâle, elle s’adossa au mur de pierre et ferma un instant les yeux, levant la tête vers les cieux pour prendre une grande inspiration.

L’on ne s’habitue jamais vraiment à la mort, ne croyez-vous pas?


Elle rouvrit les yeux.

Aviez-vous parfois des bourdonnements dans les oreilles? Il parait que lorsqu’autrui parle de nous en notre absence on a les oreilles qui bourdonnent. J’ai souvent parlé de vous. En mal. J’ai souvent souhaité vous savoir mort. Ou malade. Ou… Ou les deux, si cela était possible.

Ursula croisa les bras derrière son dos, comme une enfant prise en faute.

Mais vous êtes là. Encore... Souhaitez-vous vraiment retrouver notre fils?

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Richard_watelse
La douce Ursula s’était muée avec le temps et les épreuves en une femme sans émotion devant les réalités de la vie, et de la mort. Richard n’avait pas perçu ce changement en elle à leur dernière rencontre et, se tenant pour responsable en grande partie de cette froideur, ne releva pas cette rudesse envers le mourant. Avant de suivre la blonde en dehors de l’église, il serra la main du condamné et y traça d’un doigt une croix. « Qu’Aristote te prenne en pitié et abrège ta souffrance ».

L’intérieur de l’édifice était aussi sombre que l’extérieur, lumineux. Le printemps reprenait ses droits sur la terre morne, et il lui sembla presque comique que la nature chante la renaissance alors que des hommes s’abandonnaient à la mort.

Ursula prenait appui contre le mur de l’église. Auparavant elle aurait adossé son désarroi et sa fatigue contre l’épaule du soldat. Temps révolu.

Contraste avec la pâleur de son visage, sa chevelure jouait délicatement avec un rayon de soleil. Et ses lèvres parlaient sans qu’il n’écoutât vraiment. De bourdonnements dans les oreilles, il n’en avait jamais eu, non. Ce qu’il ressentait par contre en pensant à la Oztienne tenait plutôt du coup de machette à l’intérieur de sa cage thoracique. Comment avait-il pu être dupe si longtemps sur ses propres sentiments ?


Oui Ursula, je suis là encore. Mais ma présence sera celle que vous jugerez la plus agréable à vos yeux et à votre cœur désormais. Je ne m’imposerai plus.

La porte derrière eux s’ouvrit pour laisser passer deux hommes portant une masse lourde enveloppée à la hâte dans un drap. Un habitant de plus pour la fosse commune. Il réprima un frisson : Ursula aurait pu finir dans une fosse pareillement. Elle n’aurait pas pu connaitre la joie d’être mère et épouse (quoi que, sur ce sujet, Richard doutait beaucoup que l’hispanique trouvât la félicité matrimoniale avec un nobliot ampoulé).

Je le retrouverai, notre fils. Je vous en fais le serment.

Il avait murmuré sa réponse comme on chuchoterait un secret à l’oreille du Seigneur, comme un confession.

Avez-vous quelques pistes qui me mèneraient plus rapidement à lui ?
Ursula_
Elle l’avait accablé d’insultes, inondé de reproches et couvert de tout le mépris dont seuls sont capables ceux qui sont venus au monde dans des langes brodées d’argent et d’or. Elle avait ri de son acte de contrition. Elle l’avait frappé. Deux fois. Elle se serait attendue à ce qu’il réplique, qu’il lui crache un fiel amer ou qu’il reparte comme il l’avait fait dix fois, frustré dans son envie de jouer avec elle. Rien. Déstabilisée, Ursula avait laissé Richard Watelse revenir un peu vers elle, malgré elle.

Toujours adossée au mur dur et froid du temple, la Navarraise détaillait l’homme d’un œil méfiant. L’idée qu’il lui veuille du bien avait du mal à se frayer un chemin dans l’esprit de la blonde ibérique. La lumière de ce début de printemps lui permettait de le jauger de meilleure manière que dans la pénombre de l’église. Il avait à peine changé. Quelques rides de plus, peut-être un peu de gris dans sa tignasse sombre, la joue mal rasée. Malgré les années qui les séparaient – un peu moins de vingt ans-, l’oiselle enamourée à son corps défendant continuait de croire que le soldat vieillissant demeurait l’acmé de l’idéal masculin. Pas encore mariée et déjà adultère en pensée! Ursula se fustigea intérieurement. Il fallait toujours que l’Immonde revienne au pire moment imaginable!

Le temps, les désillusions et les peines avaient érodé sa facilité au bonheur. La vie n’était pas tendre avec les cœurs innocents, Ursula l’avait appris à ses dépens. Il était tellement plus facile de se murer dans l’austérité et la rigidité afin de ne plus se laisser atteindre. Elle s’astreignait en outre à garder une sage distance entre sa personne et le croisé. Elle se souvenait beaucoup trop des embrassades à sens unique, au réconfort souvent réclamé et rarement accordé, se heurtant à une piété qu’elle imaginait de façade et la ramenant de force à sa condition d’enfant capricieuse. Ursula jugeait qu’elle avait pâti pour au moins deux vies entières! Si Richard Watelse était devenu le bouc émissaire de son tourment, chargé de tous les maux de son âme, c’était un peu le fruit du hasard. Lui, ou quelqu’un d’autre? Quelle différence cela faisait-il? Il y avait beaucoup de facilité à blâmer autrui pour ses choix propres. Certes, Watelse aurait fait un homme de lui et l’aurait épousée, elle n’aurait pas eu à traverser ce désert. Peut-être même n’y aurait-il pas cette hésitation dans chaque regard qu’elle offrait. Mais il ne lui avait pas arraché son fils des entrailles. Elle s’était faite Médée elle-même et avait laissé des bras anonymes l’emporter. Il ne l’avait pas revêtue d’une aube noire par la force. Elle avait choisi de prendre le voile. Comme elle avait choisi de défroquer. Richard Watelse n’avait été que l’élément déclencheur. Si l’Ibère s’était évertuée à détester le soldat d’aussi belle manière, c’était sans doute un peu pour se déculpabiliser de sa propre lâcheté, de sa propre fuite. De cela, par contre, Ursula ne s’en rendait pas tout à fait compte, encore aux prises avec la tragédie dont elle s’était faite héroïne.

Elle ne put réprimer un reproche cent fois répété, ponctuant sa tirade de petits coups de poing sous la clavicule du soldat:

-Si vous m’aviez épousée, aussi! Nous n’en serions pas là. Vous auriez pu repartir je ne sais où, louer votre épée à je ne sais qui, tranquille. Avec deux, quinze, vingt maitresses si vous l’aviez souhaité! Je n’aurais rien dit, je ne vous aurais rien reproché. Mon fils ne serait pas élevé par une autre.

La Ozta esquissa un léger sourire, à peine triste. À quoi bon parler de choses qui ne seraient pas? Faisant mine d’examiner un accroc sur la cape, Ursula détourna les yeux et n’entendit pas l’ultime serment. Elle y aurait de toute manière répondu en demandant au Watelse de ne plus jurer, qu’elle savait par expérience qu’il ne tenait que très rarement parole. Richard lui avait promis le ciel, la terre et les nuages; elle n’avait récolté que du vent.

-Je ne suis pas encore tout à fait certaine de mon envie de vous avoir près de moi… Je vais me marier, je ne voudr’… pourrai plus vous aimer comme avant.

Ursula marqua une pause, réalisant à peine ce qu’elle venait de dire. Elle poursuivit :

-Quoi qu’il en soit, la tâche à laquelle vous vous attelez ne sera pas aisée. L’avorton pourrait être mort. Ou n’importe où. Ici, à Paris, à Dijon. Il est né ici, a probablement été baptisé dans cette église. Mais je ne me souviens plus de celle qui l’a emporté. J’ai failli mourir, Richard. Tout ce dont je me souviens, c’est qu’elle n’était pas une religieuse. Et qu’elle avait un accent du Nord.

Aux oreilles d’Ursula, tous ceux qui ne parlaient pas espagnol ou occitan avaient un accent du Nord. En outre, reconnaitre la femme qui lui arrachait son fils n’avait pas fait partie des priorités de l’Ibère agonisante sur son lit de douleur.

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