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Info:
"Cerberus vigilat", devise de Samsa ici mise en pratique. Quand tous les principes et toutes les valeurs de la Secrétaire Royale sont éveillés.

[RP] L'effet papillon

Samsa
    "C'est l'effet papillon : petite cause, grande conséquence
    Pourtant jolie comme expression, petite chose, dégât immense"*
    (Bénabar - l'Effet Papillon)



La nuit était sombre, sans lune bien que parsemée d'étoiles. Une légère brise soufflait de temps à autre, agitant quelques faibles branches dénudées dans l'hiver. La saison était douce pour la période, mais le froid faisait enfin son apparition, quoique timide. Dans le silence de la nuit, on pouvait cependant entendre des sabots et des cliquetis métalliques, à condition de tendre l'oreille. A l'horizon, sur le chemin dégagé, une silhouette à cheval se profilait difficilement. La cavalière et sa monture étaient harnachés de même façon.
Le solide destrier avait troqué sa robe bai contre un caparaçon noir et bleu court. Sous le tissu, à y regarder attentivement, on pourrait y deviner un plastron et un chanfrein de fer.
La cavalière, elle, portait les mêmes couleurs sur son tabar et son bouclier dont les bordures de métal étaient sales de boue, fixé à l'épaule gauche par une solide lanière de cuir en bandoulière. A son flanc, une épée bâtarde reposait dans son fourreau. Sous ses vêtements gris et noirs -elle avait troqué ses braies habituellement blanches contre des noires-, elle avait enfilé grèves, cuissots, cotte de mailles et camail. Une barbute salie à la boue et des gants de cuir dessous, de fer dessus, venaient compléter l'attirail guerrier.
Si cet équipement n'était pas rare sur la cavalière, particulièrement quand elle s'en allait guerroyer, jamais, encore, elle n'avait dû faire preuve de camouflage. Mais cette fois, c'était spécial.

Elle l'avait retrouvé.

Cela faisait tant de temps déjà que Samsa avait compris le drame, tant de temps déjà qu'elle cherchait celle à qui elle avait juré assistance dans une salutation implicite à son mariage. Enfin, elle l'avait retrouvé.
La Cerbère avait flairé l'anormal lorsque Cendre lui avait rapporté la soudaine disparition de Mae, soit disant chez les nonnes. Samsa avait infiltré le couvent -ça la connaissait-, mais elle ne trouva jamais trace de l'épouse de son ami. Ni dans le couvent de Bazas, ni dans ceux de Guyenne, d'ailleurs. Elle n'avait rien dit à Cendre. Elle connaissait bien l'Alençonnais; il ne s'en serait jamais remis. C'était plus facile pour lui de croire qu'elle était dans un lieu dit, en sécurité, que... Évaporée, en danger, potentiellement morte. Alors, elle avait cherché, seule. Elle avait interpellé, menacé, soudoyé, tout fait pour obtenir des informations qu'elle avait fini par avoir.
Mae avait été enlevée par des vendeurs d'esclaves.
Avec grande peine, Samsa avait remonté le réseau avec une précaution rare. Elle l'avait en effet découvert principalement étranger, préférant les provinces ibériques à celles françaises, ce qui avait rendu la tâche particulièrement ardue. La guerrière bourrin avait dû prendre son mal en patience. Mais, enfin, le grand jour -la grande nuit- était arrivé. Et elle délivrerait Mae.

Les malhonnêtes étaient en déplacement. Ils avaient quitté les provinces étrangères pour entrer en France, enfin. Ils devaient déplacer un peu moins d'une dizaine d'esclaves -prisonniers- en attente d'être vendus quelque part. L'escorte devait comporter une douzaine, une quinzaine peut-être, de malandrins. Ils protégeaient leurs biens, leur source de revenus, peut-être de travail également, ou d'autres choses. Samsa espérait que Mae n'ait pas eu à subir tout cela. Bah ! Elle savait se défendre.... Non ? Pas question, en tout cas, d'y aller à la bourrin; on murmurait que les étrangers préféraient exécuter les esclaves plutôt que de laisser quelqu'un d'autre s'enrichir, ou mettre leur travail en danger; pas de concurrences, pas de témoignages. La Cerbère n'aurait même pas eu le temps de respirer que tous seraient déjà morts.


Elle arrêta Guerroyant quand elle eut repéré un passage à travers les buissons. Ils étaient passés par là. Elle mit pied à terre et regarda autour d'elle pour s'assurer de sa solitude. Sa main se referma sur une rêne de sa monture, l'autre prête à dégainer, et elle avança lentement dans l'obscurité, son regard oscillant entre les alentours et le sol. Ce n'était absolument pas le moment de marcher sur la queue d'un mulot, ou de se vautrer à cause d'une racine. Elle s'arrêtait parfois pour écouter, s'accroupissait pour s'assurer de sa piste ou mieux se dissimuler lors d'un doute. Enfin, elle distingua un coin moins sombre, très loin devant. Dans cette nuit, la moindre lueur était comme un phare à des lieues à la ronde. Mais l'avantage étant que toute lueur n'était pas un phare, et que se dissimuler, même malgré l'absence notable de végétation autre que quelques rares buissons, était très facile. Il était temps de commencer, véritablement.
Samsa attacha Guerroyant à un arbre grâce à une longe et continua sa progression en étant accroupie. Ses gestes étaient mesurés pour ne pas se faire trahir par un bruit, si petit aurait-il été.
Bien que de tempérament rentre-dedans, Samsa avait un physique qui aurait préféré l'infiltration. Elle n'était pas particulièrement fine, mais son côté trapu l'écrasait parfaitement, et ses membres courts lui évitaient des maladresses.
Lorsqu'elle parvint en vue du campement, elle s'arrêta, accroupie, et observa. Quelques hommes montaient la garde en tenant une torche à la main. La Cerbère commença à faire le tour du campement de loin. Il fallait trouver un moyen de libérer Mae, oui, mais il fallait surtout trouver où elle était gardée.

_________________
Maegorn55
[Félicitations. Tu vas bientôt toucher le fond, C'est bien.*]

Combien cela faisait-il de jours ?
A bientôt mon Homme, je ne serai pas longue !

Combien de paysages avait-elle vue ?
Alors où va-t-on aujourd'hui mon Brun ?

Quelle était donc cette langue qu'elle entendait ?
Te souviens-tu de notre rencontre ? Je parlais alors comme Antigone !

Que lui restait-il ?
...

Un esprit à la dérive. Est-ce les songes ou la réalité ? Sont-ce des hallucinations qu'elle voit ? Ah non, c'est encore eux. Eux, sont toujours là. Millie fut la dernière à la quitter. Enfin, l'hallucination qui avait pris la forme de Millie. Cendre avait été le premier à apparaître des méandres de ses pensées. Maegorn se réveille sans savoir où elle s'est endormie. A-t-elle changé de lieu ou est-ce l'un des hommes qui l'a transportée ? La voyageuse ne sait plus. Elle marche. Oh... Le décor danse dangereusement. Vite ! Il faut qu'elle se raccroche à quelque chose de concret !

Combien étaient-ils ? Au début, 28.
Il y a d'autres français, mais ils ne sont jamais ensemble. La peur de la révolte sans doute. Ceux qui sont avec elle, elle les connaît sans leur avoir parler. Lorsque l'un d'eux croise son regard, elle croit être face à un miroir. Leurs yeux font écho à son désespoir intérieur. Elle ne les comprend pas ces êtres, mais ils ressentent les mêmes émotions qu'elle. D'ailleurs, tous ont suivi le même processus. La Surprise. La Colère. L'Espoir ! La Rage. De la Patience. La Révolte. Et après ? Ah oui, après l'un des gardiens se présente comme le diacre. Après quand ils croient que l'être face à eux est mûr, ils utilisent la religion. L'ultime espoir pour certains, vous l'ignoriez ? C'était l'heure de La ...? Quel est le mot déjà ? "Réfléchis Maegorn. Réfléchis." La confession. Oui c'est ça. Ce diacre promet de les aider à fuir, qu'il est de leur côté. Quelle folie de l'avoir cru. Tous sont tombés dans le piège. On y tombe tous un jour.

Elle se souvient de la douleur de la chair qui brûle. Du son et du pire : L'odeur. Comme celle du cochon que l'on fait cuir. Les mangeront-ils ? Au début -ou bien au milieu, ou il y a quelques jours seulement- elle l'avait craint. Quelle sotte.

Allez, oublies. Non, penses à Malone. Elle ne croirait pas en ces paroles. Car tandis que le diacre la marquait au fer, il avait eu ces mots :

Tu dois admettre qu'il est possible que Dieu ne t'aime pas du tout. Il ne t'a jamais voulue.

"Dis Malone, tu n'y crois pas n'est-ce pas ? On dit que c'est une blague, d'accord ?" Ces mots, elle n'y avait pas pris garde. La jeune femme pensait les avoir balayés. Mais c'était la seule phrase de français qu'elle entendait depuis... Depuis son départ.

Partir pour les nonnes, voilà quelle fut sa plus grande erreur.
Elle a salué son homme, sa soeur, sa famille, ses amis et heureuse d'être si bien entourée, elle avait quitté ce qu'elle avait de plus cher. Pourquoi ? Une missive arrivée le matin qui demandait son aide pour guérir une nonne et l'assurance que dans la bibliothèque cléricale se trouvait l'une des cartes les mieux ouvragées du royaume. "Quoi ? Attends, tu plaisantes ?! C'était pour si peu que tu as quitté tes proches ?"
Comment pourrait-elle avancer sans ses piliers maintenant ? Qu'espérait-elle faire sans Cendre ? La missive avait été lue à côté de lui dans leur lit. Sa peau encore douce se trouvait au chaud sous les draps. Son homme à ses côtés irradiait d'une chaleur chaude et réconfortante qui lui assurait que tout irait toujours bien. Comment pouvait agir la voyageuse si elle n'avait pas l'assurance qu'Il était là, tout près, à ses côtés ? Avec sa main dans la sienne. Cette main grâce à laquelle, même si la terre se dérobait sous ses pieds, elle pouvait rester debout et fière. Il était ce qu'il lui était arrivé de mieux et sans lui, elle n'avancerait plus. Jamais. Mais où est cette main ?! Longtemps, elle avait nourri l'espoir qu'il apparaisse, sorti d'un buisson ou galopant jusqu'à elle. Il aurait eu une de ses phrases douces et tendres, rieuses même. Quelque chose comme :
"Ces messieurs sont avec toi ?" Ou, "Hey ma Brune, tu m'attendais pour qu'on les fasse trépasser ensemble, c'est ça ?
Quel honneur tu me fais !"
La "Brune" y avait cru. Pourquoi l'avoir quitté ?

Et comment se battre ? Comment sans son aïeule de coeur et sa soeur de sang ? Comment veut-elle combattre en dansant aussi bien que sa soeur, une lame à chaque main ? Et ses amis ? Elle qui aimait tant arriver en ville et faire la surprise de sa visite à un collège de banc d'université, une amie de vie ou un camarade de route ? Comment avait-elle pu tous les quitter ? Et Sam et son commerce de bêtises ? Ses carottes et son charme ? Ça y est, cela la reprend. Elle rit. C'est un rire qu'elle ne veut jamais voir finir. Cela fait du bien. Ce rire la perd. Oui ! Ne plus avoir conscience de rien ! Un murmure parvient à ses oreilles, ça semble vouloir dire "Arrêtes." dans une langue qu'un autre parle.

"Oui Mae, arrêtes. Il y a une sorte de désespoir hystérique dans ton rire."
"Et alors ? Je n'ai plus que ça."

Le coup vient. Et la marche reprend. Mais comment arrive-t-elle encore à marcher ? Ses pieds ne lui font ressentir aux sensations. Pour un peu et ils pourraient avancer sans que son corps suive. Son corps ? Là, le mot ne signifie déjà plus ce qu'il veut dire vraiment. Même les geôliers ne le regardent plus ce corps. Sa peau douce est sale. Non, c'est même bien au-delà du sale. Mais qu'y a-t-il au-delà ? La moisissure ? Non ce n'est pas ça. Son regard tombe sur son avant-bras. Sa peau ne fut jamais aussi basanée dans toute son existence. Cela fait sale. Allez, partons sur ce mot "sale". De toute façon, aucun autre ne lui vient. Son esprit perd les mots de sa langue. Ses pensées même se formulent de plus en plus difficilement. En fait, sa peau est de la couleur du brûlé mais bien transparente. Oui, l'image convient à l'esprit de la voyageuse. Elle voit ses muscles, ses veines... Oui, c'est comme si elle voyait ce qui constitue son avant bras. Est-ce là à quoi ressemblent les cadavres après la mort ? Est-ce qu'elle est maintenant ?
"Arrêtes Maegorn, penses à quelque chose d'agréable... Oui, penses à Lui."

Les larmes lui montent aux yeux. Même son homme détournerait le regard de cet amas qu'est sa chair. Son esprit le voit, l'imagine. Son visage est ancré dans sa mémoire. Mais celui-ci se détourne. Non! Elle ne veut pas qu'Il détourne les yeux.
"Cendre ! Je veux revoir l'amour qui brille dans tes yeux quand tu me regardes. Tes yeux étincelants lorsque l'on joue. Tes yeux qui eux seuls m'assurent que tu m'aimes... Que je ne suis pas rien."
Ses larmes coulent sur ses joues. L'eau de ses yeux brûle sa peau meurtrie et brûlée. La douleur de l'absence de son homme est pire que celle de ses larmes qui arrachent sa peau. "Et ta force ? Ta rage ? Ton envie de vaincre ? Oh.. Tu crois qu'ils t'ont tout pris."

Combien étaient-ils d'esclaves ? Ah oui, 28 au début.

Ils lui parlent mais elle ne comprend pas. Non ! Ne hurlez pas... Non, arrêtez. Ne hurlez pas. D'ailleurs, pourquoi lui parlaient-ils encore ? Combien de jours avait-elle tenu ? Aïe Mae, ton ego ne peut même pas se gargariser d'avoir tenu un peu. La notion du temps t'échappe. Tiens. Une halte. Encore. Dans une forêt. Ça change..? Maegorn est légèrement à l'écart, sous étroite garde. Les autres préparent le camp. Ses mains sont maintenues par le fer à ses pieds. Ce soir, c'est à son tour de le faire. Elle ne veut pas. Elle ne pourra pas courir.
La voyageuse ne veut plus être.

Mais Maegorn existe encore. Sa philosophie de vie est désormais qu’elle peut mourir d’un moment à l’autre. Quelle tristesse...
Ah non! Attendez, il me semble oublier quelque chose... Ah oui c'est ça !

Le plus tragique pour elle, c’est qu’elle ne meurt pas.




*Citation de Fight Club, film américain de David Fincher, sorti en 1999.
Cendre1886
[- Je me demande ce que pensent mes ex de moi...
- Rien, elles sont toutes mortes.]
(Vampire Diaries, Alaric et Damon)


Assis sur un muret de pierre, Cendre était appuyé sur ses genoux, fixant l'horizon devant lui. Poète jadis, toujours doux quoiqu'il en soit, il avait toujours aimé se retrouver seul parfois, pour penser, réfléchir. Il le faisait particulièrement ces derniers temps. Un an, déjà... Un an sans nouvelles d'Elle, de Mae, la Sienne, sa femme. Elle avait disparu un jour chez les nonnes chez lesquelles elle se rendait, pour soigner une nonne et trouver une carte. "A ce soir ma Brune ! Je t'aime !". Et c'était fini. Tout avait été fini. Il l'avait attendu, des jours, des semaines, des mois. Millie aussi avait disparu. Tous.
Il était rentré chez lui en Alençon. Il avait vu le règne de Zelha. Il l'avait vu disparaître, elle aussi. Tout et tous avaient disparu avec Mae. Elle était un pilier, le centre d'un monde qui avait disparu dans un nuage de poussière aveuglant et suffocant. Et il s'était trouvé là, imbécile et abruti, perdu.
Il avait erré sur les routes qu'ils parcouraient, il avait traversé les villes qu'ils visitaient, fui les gens qu'ils rencontraient. C'était quoi cette manie des femmes de disparaître ? Jehanne, Ulette, Lennia, Mae... Mais Mae n'était pas Jehanne, ni Ulette, ni Lennia. Mae, elle reviendrait. Elle reviendrait. Pas vrai ?

Et un an plus tard, il était là, sur ce muret de pierre, à contempler un horizon qu'elle ne voyait pas. Il était là, à sentir le vent des chemins qu'elle ne sentait pas. Un an plus tard, il était là, sans Elle. Il était là, avec son coeur blessé, qu'il tâchait de réparer.
On pensait souvent que Cendre aimait trop, trop de gens, trop de femmes. Pourtant, il ne s'agissait que de souvenirs, de mémoire, celle des sentiments. Pouvait-on vraiment ne plus jamais aimer quelqu'un ? Il y avait, dans son coeur, une place pour Lennia, et une pour Mae.

Cendre ne bougea pas lorsque des bras vinrent l'enserrer par derrière, ni lorsque qu'une moitié de visage se posa sur son dos. C'était tôt, encore. C'était une boucle apparemment incessante, qu'il détestait. Fuir aurait été, une fois de plus, tellement plus facile. Tellement plus simple. Et il savait si bien faire. Il l'avait toujours fait. Pourquoi pas cette fois ? Peut-être parce qu'il avait cette fois accepté de ne pas refuser une main tendue, une main initialement là pour simplement le relever et l'aider à repartir. Une main qu'il connaissait bien, depuis longtemps. Une main actuellement posée sur lui. Une main qu'il prit en souriant doucement pour continuer la route.

Il y avait, dans son coeur, une nouvelle place; pour Octobre.

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Samsa
    "Ici chacun sait ce qu'il veut, ce qu'il fait quand il passe.
    Ami, si tu tombes un ami sort de l'ombre à ta place.
    Demain du sang noir sèchera au grand soleil sur les routes.
    Chantez, compagnons, dans la nuit la Liberté nous écoute..."
    (Extrait du Chant des Partisans)



Samsa s'appliqua à faire le tour en silence, à distance plus que raisonnable. Il y avait un feu de camp plus mort que vivant, au centre, et les tentes semblaient être posées sans vraiment d'ordre. Elles n'avaient pas la grandeur de celles qu'on aperçoit sur les champs de bataille, ni en taille, ni en couleur, ni en prestige. Plus petites et ternes, elles se fondaient dans le décor et les ténèbres. Les esclaves ne devaient pas y être. Samsa avait pu voir qu'ils n'étaient qu'une marchandise, pour qui un peu de paille sur le fond d'une cage était un luxe rare. Alors une tente...
Elle se figea lorsqu'un rire fendit la nuit, un rire un peu fou. Elle s'allongea par précaution pour laisser cette brusque agitation retomber. Ce n'était pas un garde qui avait rit, ce n'était pas un rire d'homme, et il n'avait plus grand chose d'un véritable rire. Que Diable leur avait-on fait subir ? Comment pouvait-on émettre un rire aussi noir et mort ?
La Cerbère se redressa quelque peu et accéléra son pas pour rejoindre l'endroit où le bruit était né. Lorsqu'elle parvint à l'opposé de sa position initiale, elle s'arrêta et s'allongea sans bruit au sol. Elle les avait trouvé. Ils étaient là, dans cette cage, plus ou moins entassés, comme du bétail, mal traités. La haine et la rage se furent si intenses et soudaines que Samsa en eut la nausée. Mae, là-dedans... Sa pauvre amie si joyeuse, si rayonnante ! Il ne fallait pas perdre un instant de plus ! Les petits yeux sombres de la Cerbère analysèrent la situation avec patience. Elle voyait les principaux gardes, et détecta les plus proches après eux. Il fallait sécuriser la cage. Ensuite, elle pourrait se battre comme elle le voudrait si cela était nécessaire. Mais d'abord, protéger Mae. Peu à peu, Samsa élabore un plan. Elle prend son temps, car elle a toute la nuit; le jour d'hiver ne se lèvera que tard, l'obscurité est encore longue. Elle commence par observer la cage, les esclaves qui sont enchainés pieds et poings. Voilà qui risque de ne pas être simple. La Cerbère écarte ce problème pour l'instant pour se préoccuper des gardes.

Amateurs.

Leur plastron de cuir ne les protègeront pas de sa lame. Leur épée ne vaincront pas la sienne. Les flèches de certains ne passeront pas son bouclier.
Elle ne peut pas agir maintenant, les gardes sont trop nombreux pour elle seule. Il lui faudrait un petit coup de pouce, mais lequel ? Patiemment, Samsa attend et réfléchit. Le destin finit finalement par le lui concéder quand un garde commence à râler vis à vis d'un autre. Elle ne comprend pas ce qu'ils se disent, mais il y a visiblement un grain de sable dans l'engrenage qui ne leur plait pas; Roberto ne s'est pas réveillé pour prendre la relève. Un garde s'en va en ronchonnant et le coeur de Samsa bat plus fort sous la poussée d'adrénaline. Un appel retentit un peu plus tard, et un deuxième s'écarte. Intriguée, les autres se sont décalés pour assister au spectacle ayant lieu derrière une tente : Roberto, trop ivre pour se réveiller, recevant les coups de ses deux camarades souhaitant eux aussi dormir. C'est maintenant, ou pas cette nuit.
Prestement, Samsa se relève, profitant des rires gras pour ne pas se préoccuper de sa cotte de maille, et avance aussi légèrement que possible vers la cage, couverte de la nuit qui a reprit ses droits en l'absence des torches. Des prisonniers l'ont vu, mais ils détournent pourtant la tête. Samsa ignore qu'ils sont méfiants, que l'aide proposée a déjà coûté la vie à certains. Cela n'arrivera pas deux fois. Ils l'ignorent, se tassent même. Elle doit avouer que ça l'arrange fortement. Jamais elle n'a pensé à eux, à leur réaction possible en la voyant.

Amatrice, pour cette fois.


-Mae ? Maeeeeee ! C'est moi pardi !

Son chuchotement est faible, mais elle espère identifier son amie dans cette masse noire dont le seul visuel est la maigreur et la misère. Le coeur de la Bordelaise se serre en songeant à ce qu'elle retrouvera de Mae, tant physiquement que psychologiquement. Le coeur de la Bordelaise se serre en songeant au fait que même une fois sortie de là, rien ne sera vraiment fini pour elle...
Accroupie derrière la cage pour que les silhouettes la dissimulent au retour des gardes -qui ne tardera sans doute pas-, Samsa fouille l'obscurité de ses yeux sombres où un éclat métallique s'est allumé.


-Réponds pardi ! C'est Samsa té ! Mae ! Maeeee ! T'es où pardi !

Son ton se fait plus pressant. Elle doit l'identifier, et vite, car ce ne sera pas une tâche à faire lorsque les gardes reviendront. Leurs rires diminuent drastiquement chaque seconde. Bientôt, la lumière reviendra autour des prisonniers.
Il reste cependant un atout à la Bordelaise téméraire : elle a le contrôle de l'espace autour de la cage. Mae est en sécurité, elle se le promet.

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Maegorn55
[Vous êtes faits de la même substance organique pourrissante que tout le reste.
Nous sommes la merde de ce monde, prête à servir à tout.*]


Combien de nuits avait-elle attendues ?
"Allez viens. Viens près de moi et rendors toi ma Brune."

La nuit est le pire moment. Elle ne dort plus. Il n'y a que leur lumière, c'est eux qui régissent le temps. Elle ne maîtrise rien.
"Mais mon Homme, as-tu déjà entendu les râles de l'agonie ? C'est la vie qu'il me reste."

Le soleil n'apparaît plus le jour, il n'y a dans la brume épaisse qu'ils marchent. Est-ce tôt le matin ou tard le soir ? Elle ne sait plus. Cette brume offre d'abord du réconfort. Celui de l'humidité fraîche sur la peau brûlante. Une eau régératrice qui vient panser une peau en lambeaux. Et ce brouillard... Dedans il y a les siens. Sa vue se trouble et ils paraissent, ses proches. Mais la voyageuse n'a plus d'ouïe, elle ne les entend plus. Que lui disent-elles ? Que cela va finir ? "Comptes là-dessus." Ca y est, son rire pourrait renaître doucement. Il ferait trembler son torse, il la torturerait. Elle ne meurt pas. Un sourire moqueur se dessine sur ses lèvres.

Un coup vient contre le fer. Il faut se lever. Ah non. Trop de bruit. "Chuuuuuut, cesses de respirer. Voilà, c'est bien mieux." Ce bruit infernal est celui de la respiration difficile, celle qui tente d'amener un peu de vie, encore et toujours dans un être qui n'en veut plus. Avant ils se regardaient. Dans un total oubli d'eux-même, envahis par la nuit, le silence et la plénitude, ils avaient trouvé la liberté. Il n'y a pas de temps dans la nuit. Etait-elle vraiment éveillée ou vraiment endormie ?

Ses lèvres qui l'avaient embrassé Lui, dans un contact chaud et doux. Vite ! Retourner dans leur lit et se blottir contre Lui. Il pourrait lui rendre l'Espoir. Oui, lui pourrait. La voyageuse sans attache avait cédé pour lui, ils iraient profité de leur mariage. "Et vous auriez de nombreux petits enfants comme ils disent !" Mais le corps à côté d'elle est métallique comme cette cage. Les traces sur la chair sont différentes mais sensiblement les mêmes. "Ils ont abusé de tes forces et tu tiens encore."
"Pourquoi ?"

La nuit était le meilleur moment. Maegorn ne lutte pas, elle tombe. Si elle se réveillait à une heure différente, dans un endroit différent, est-ce qu'elle pourrait se réveiller dans la peau d'une autre personne ? Ma vie. Elle est toujours là. Elle se termine de minute en minute.

-Mae ? Maeeeeee ! C'est moi pardi !

Ils parlent. Fort. Elle ne sursaute plus. La vie qu'elle possédait a fini par la posséder. Qui est là ? Personne ne viendra jamais. Oui, la voyageuse est chez les nonnes. Mae les a abandonné et ils essaient de se reconstruire. "Ouf, t'as vraiment frôler la vie là !"

"Cendre, pourquoi n'es-tu pas là ? Qu'as-tu de mieux à faire ?"
"Non, je ne t'en veux pas. Tu as vu mon état. Va, cours, vole. Vis."


-Réponds pardi ! C'est Samsa té ! Mae ! Maeeee ! T'es où pardi !

Je ne veux pas de tes bêtises, tu sais Sam ? Qu'en ferais-je ici ?

Parler lui arrache la gorge. Le ton est dénué de volonté, d'existence. Elle ne sent plus le haillon qu'elle porte qui ne cache, ni ne dévoile rien. Il n'y a que le barreau de la cage dans son dos qui pénètre ses muscles. Le ton de son amie est pressant, ce n'est pas celui rieur de ses souvenirs. "Allons bon, même ton esprit s'obscurcit." La jeune femme pouffe comme une enfant.

Mais qu'a donc fait la Brune pour être dans un tel état ? La cuisine sans doute oui ! Enfin... Le mieux est encore de demander, non?
Oui. Des lambeaux de souvenirs passent...

"Je suis Cendre, esclave-gouteur-homme-de-main-et-de-coeur de Mae ici présente."
Cendre ?

Elle n'y croit pas. Les larmes coulent sans qu'elle ne comprenne. Sais-tu sourire Mae ? Alors vas-y !
"Arrêtes. Perdre tout espoir, c'est cela la liberté."



*Citation de Fight Club, film américain de David Fincher, sorti en 1999.
Cendre1886
[Moi, j’ai envie de croire aux contes de fées. Au moins, tout finit bien dans ces histoires là.] (Les frères Scott, Ellie)


Il n'avait rien remarqué. Absolument rien.
Il n'avait pas vu ce qui se cachait sous le masque d'inquiétude de Samsa, quand il lui avait annoncé la disparition de Mae chez les nonnes.
Jadis, on l'avait surnommé L'Agneau : mignon, doux, gentil, calme, et surtout complètement naïf. On avait arrêté, il ne savait pas vraiment pourquoi. Peut-être parce qu'il était pire que complètement naïf, c'est-à-dire complètement con. Comment était-il possible de croire que Mae n'était pas retenue captive contre son gré, au couvent ou ailleurs ? Lui, il avait réussi à y croire. Il avait cette capacité ahurissante et exaspérante de ne douter de rien, de tout croire. Cette capacité ahurissante et exaspérante de toujours lâcher quand on lui disait de ne pas le faire, après avoir tenu malgré les injonctions contraires. Cette capacité ahurissante et exaspérante de ne jamais être vraiment tranquille.

"Mae, que fais-tu ? Pourquoi tu n'es jamais revenue ? Elle en valait vraiment la peine, cette nonne, avec sa carte ? Depuis quand est-ce qu'on a eu besoin de carte ?"

Malone aussi avait eu l'histoire. Son époux avait disparu, sa fille aussi. Y'avait-il un jeu en cours dans le Paradis Solaire ? A celui qui mettrait le plus le bazar dans la vie des gens ? A celui qui aura façonné le personnage dont la vie serait le meilleur récit ? Et pourquoi Cendre avait-il la désagréable sensation de se trouver dans un cercle au recommencement infini ? Lennia était partie, et elle n'était jamais revenue. Mae était partie, et elle n'était jamais revenue. Il avait peur.
Oh, bien sûr qu'il avait peur. Si peur. Si peur que maintenant une étape de la boucle terminée, la suite ne vienne, qu'Octobre s'en aille, elle aussi, pour ne jamais revenir.

Il se mit à soupirer. C'était tôt, encore. Rien n'était passé. L'habitude l'avait endormi, mais aux côtés d'Octobre, tout se réveillait. Il faudrait soigner. Il faudrait réconforter. Il faudrait réapprendre. Il faudrait estomper.
Il faudrait, il faudrait...

_________________
Samsa
    "Fate is coming, that I know
    Time is running, got to go
    Faith is coming, that I know
    Let it go
    Here right now
    Under the banner of heaven , we dream out loud
    Do or die, and the story goes."*
    (30 Seconds to Mars - Do or Die)



Une voix finit par lui répondre, par l'appeler par son prénom. Samsa s'écrase un peu plus, craignant que les gardes ne reviennent plus rapidement encore, attirés par cette voix et ce bruit. Encore un peu de temps. Juste encore un petit peu de temps.
La Cerbère se décale vers la voix qui lui a répondu, dans un coin. Elle cherche laquelle de ces ombres a parlé, laquelle de ces ombres lui a répondu. Elle voit mal, elle ne voit pas, mais elle est certaine d'une chose : elle n'a pas retrouvé Mae. Elle a trouvé ce qui en reste. Un corps maigre et pâle, rongé par la misère, la violence et les fers. Tout du moins, son esprit semble intact, car elle l'a reconnu lorsque Samsa l'a appelé. Un bref instant, la Bordelaise reste là à la regarder de ses petits yeux sombres et brillants qui apparaissent comme des étoiles dans le sombre de la nuit et de sa tenue, si plein dans ce vide autour d'elle. Avec douceur mais sans lenteur, Samsa pose sa main gantelée sur le bras de Mae. Pour un peu, elle pourrait en faire le tour de ses doigts. Elle a mal pour Mae, et mal de ces sentiments si haineux qui l'assaillent à l'encontre de ces malfrats, mais elle veut la rassurer, l'assurer que maintenant, tout ira bien, que rien ne sera plus jamais pareil. Pour le meilleur comme pour le pire.


-Je suis là pardi, j'vais te sortir de l...

La Cerbère s'interrompt. Cendre ? Quoi ? Qu'est-ce qu'il vient faire ici ? Et merde. Double merde. Rien ne devait donc se faire comme prévu. Ça n'aurait pas pu se passer comme un "Sam tu es là ! Sors moi de là !". Non, il fallait que Mae délire. C'était compréhensible vu son état. Depuis combien de temps était-elle ainsi ? Qu'avait-elle subi ? Qu'importe ! Avec ou sans son accord, avec ou sans son aide, Samsa la sortirait de là; la Cerbère l'extirperait de cet Enfer. Et ça commençait maintenant.
La Bordelaise dégaina son couteau à sa ceinture pour commencer à forcer la serrure de ses liens, mais elle s'arrêta en distinguant les larmes de Mae, et les traits émaciés de son visage. Elle manqua de se figer sous le choc et se fit violence pour se retourner dos à la cage, s'écraser encore plus, pour se cacher derrière la masse alors qu'un garde revenait. Il dépassa la cage sans voir Samsa, ombre parmi les ombres, masse parmi la masse.

Une mort comme une autre.

Son couteau pivota entre ses doigts pour se placer correctement alors que les yeux brûlants et récepteur d'une nouvelle lueur fixaient cet homme qui allait s'arrêter, à son poste. Tout allait se jouer, maintenant. Il n'y aurait plus de retour en arrière, un jeu sans joker dont sa vie et celle de Mae dépendait. Samsa se détendit soudainement. Elle avait cette puissance en réserve qui explosait, cette force physique insoupçonnée qui savait surprendre. Le cuir de son gant gauche écrasa la bouche de l'homme et le couteau de sa main droite traça un gouffre à sa gorge, l'ornant d'un collier rouge. La torche chuta et la Bordelaise accompagna le corps au sol en le tirant légèrement vers la cage, ne laissant transparaître aucun bruit de chute ou d'affaissement. Elle l'abandonne à l'abri des regards indiscrets et se remet accroupie, gagnant rapidement l'autre bout de la cage où une autre lueur aurait pu la surprendre, à peu de choses près. Et le second garde venu retrouver son poste s'efface lui aussi de la Terre, le même collier que l'autre pour seul adieu. La lumière des torches au sol laisse croire que les gardes sont bien à leur poste.

Leur vision de Mae, et des autres, comme du bétail, les aura perdu.

Placés derrière une tente, ils ne méritent pas la chaleur du feu, ni d'être vus au petit matin.
Mais les gardes n'étaient pas que deux. Ils reviendront. Une voix geignarde s'est fait entendre en réponse aux rires et autres mots étrangers. Roberto s'est réveillé. Pendant que les derniers le chambre encore, Samsa est revenue près de Mae près de laquelle gît le premier garde, les yeux vides, surpris de ne plus être vivant. La Cerbère écarte sa tête d'un petit coup de botte et attrape sans ménagement Mae par les poignets pour la maintenir. Le couteau sanglant plonge cette fois dans la serrure de ses fers pour en forcer l'ouverture.
Un instant, son regard sombre aux milles éclats métalliques cherche celui de Mae pour l'assurer de ces paroles qu'elle chuchote :


-Reste avec moi pardi. Je te sors de là té.

Et elle s'y applique, mais la serrure résiste, à moitié rouillée, aidée par la nuit noire qui empêche la moindre précision. Déjà, une autre lueur, plus forte, apparait de chaque côté de la tente protectrice. La combine qui a marché une fois ne fonctionnera pas deux fois.



*=Le destin est en route, ça je le sais
Le temps est compté, il faut y aller
Le destin est en route, ça je le sais
Allons-y
Ici dès maintenant
Sous la bannière du ciel, nous rêvons à voix haute
Agir ou mourir, et l'histoire continue.

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Maegorn55
[Avec l’insomnie, plus rien n’est réel ! Tout devient lointain.
Tout est une copie, d’une copie, d’une copie…*]


Oui, elle est libre. Libre de croire ou non à cette nouvelle hallucination. Son esprit doit être fatigué de la tromper, ça n'est pas Samsa qui est sous ses yeux. Non, Samsa est un morceau de joie, une fabrique à bêtises, un rayon de soleil dans l'obscurité. Tiens ? Elle parvient encore à réfléchir. Inédit. Et son esprit est incapable d'offrir une hallucination digne de ce nom ? Réclamation. "Parce qu'il te reste de la volonté ? Laisses moi rire."

Samsa pose sa main gantelée sur le bras. Quel contact étrange. C'est... chaud. Maegorn la regarde sans la voir avec un sourire qui n'a pas de sens. Lorsque la main s'en va, il reste comme une chaleur fantôme. Une trace. Une douleur irradie sa poitrine, ça la transperce. C'était un contact dur et rapeux. Cruel. Parce qu'il rappelle l'absence des gestes doux et tendres.

"Cendre. De l'ami, tu as été l'amant. De l'amant, le mari. Ma peau était la tienne et je humais ta peau à mon saoûl. Est-ce que c'est toi qui envoies Sam ? Non, bien sûr que non. Tu me crois chez les nonnes, je t'en ai convaincu. L'Agneau, profites d'Alençon. Vis."

Sur une durée suffisamment longue, l’espérance de vie tombe, pour tout le monde, à zéro. La sienne ne doit pas en être loin. Sa conscience psychologique est morte avant elle. La connaissance intérieure que le sujet a de lui-même et de ses actes n'est plus. Être conscient, c'est être éveillé, attentif. Mais la voyageuse n'arrive plus à se penser elle-même, à se voir intérieurement. Les mots s'étiolent. "Es-tu certaine de ta propre existence ?"

Elle n'a pas conscience du temps qui passe. Elle se confond avec lui. De quoi se souvient-elle ? D'une autre vie. Il était là. Tous, elle pouvait les voir. Est-ce un bonheur nostalgique ? Non, l'être qu'elle est n'y croit plus. Comme sa volonté, sa mémoire s'estompe. Comment vivre dans un unique présent quand celui-ci est omniprésent ? Répétitif. Sans conscience d'elle-même. Elle attend la mort. Impuissante face au temps, Maegorn ne peut même pas l'abréger. "Tu n’as rien à savoir toi, tu devrais oublier ce que tu sais. " Un manque, une tension. Le désir. Essentiellement nostalgique. Pourtant être libre et heureux, c'est arrêter d'espérer. Elle subit l'envie qu'Il soit là. Son désespoir est enraciné dans son corps et son esprit. Il presse son coeur cruellement. "Détruis la vie qui s'exprime."

Il n'est pas là.

Ce n'est pas de la déception mais une constatation froide. Il est libre. Libre. Libre d'aimer ailleurs. Oh... L'idée pourrait t'achever ? Qu'est-ce qui semble poindre là ? La Certitude d'être aimée ? Non. Ce n'est pas ça. Que te reste-t-il ? Ah. Oh. C'est donc l'Espoir de l'être encore ? Les larmes courent sur son cou, et sur son torse maintenant, brûlantes. Mais qui te voudrait ? Vite ! Il faut qu'elle se raccroche à quelque chose de concret ! Encore. "Tu essaies de conserver ce qui n'est plus."

Sa mort contre une autre. Deux autres. Hmmm... Elle s'agite drôlement cette hallucination.
Pourquoi tu le fais ? Tuer.
Je sais pas.


"Oublies ce que tu crois savoir à propos de la vie, à propos de l’amitié et puis tout spécialement de toi et Lui Mae." Sam n'est pas là, personne ne viendra. Pourquoi venir ici, dans ce charnier dont la seule trace de vie sont ces râles que l'on fait taire ? Ces yeux se voilent, les torches sont à leur place. Au sol ? Les gardes sont encore vivants alors.
Sur une durée suffisamment longue, l’espérance de vie tombe, pour tout le monde, à zéro. Est-ce que cela se finira ?

-Reste avec moi pardi. Je te sors de là té.

D'accord, ça va. Oui ça va, j'ai compris ! La serrure résiste, rouillée. La guerrière en produit des efforts, en vain. Maegorn regarde son amie sans la voir, ou si peu. Mazette, ça y est. Elle ne pige plus. Le décor s'éclaire d'une lumière flamboyante, est-ce déjà l'aube qui naît ?
"Plus rien n’est réel. Tout te devient lointain."





*Citation de Fight Club, film américain de David Fincher, sorti en 1999.
Cendre1886
[ “Rater sa vie est un droit inaliénable.”] (Le fabuleux destin d’Amélie Poulain)


Comment pouvait-on si bien jouer, à ce point ? Il aurait dû s'en douter pourtant, elle était douée pour tout ça, le théâtre, la comédie. Mais savait-il vraiment l'étendue de son talent ? Il ne l'avait pas connu à l'époque de sa gloire, quand elle bernait tout le monde avec ses sourires alors qu'elle était en grande détresse. Allez, va, on te pardonne; admettons que tu ne pouvais pas savoir, que ça t'a mené à la sous-estimer.

Combien de temps déjà que Sam avait libéré Mae ? Quelque chose comme quelques semaines, sans doute. Il ne savait pas. Il n'avait jamais su ! Alors que Mae humait de nouveau l'air de la liberté, lui pensait encore qu'elle respirait l'air fermé des cellules d'un couvent, absorbée par un livre quelconque à ses yeux, ou par une prière inaudible. Qu'en savait-il ? Comment aurait-il pu savoir ? Sam ne lui avait rien dit, ni avant, ni maintenant. Elle gardait avec elle ce secret, un parmi tant d'autres, avec application. Facilité, peut-être ? La voyait-elle régulièrement ? Que pouvait-il en savoir, lui, dans sa propre reconstruction auprès d'Octobre ? Comment aurait-il pu se douter que rien n'était vrai ? Comment aurait-il dû se rendre compte du travail minutieux de son amie pour retrouver sa femme ? Saurait-il un jour que Mae était revenue, sans vraiment revenir ? Sam finirait bien par parler. Peut-être. Rien n'était moins sûr en réalité, mais, là encore, comment pouvait-il le savoir ?
Un baiser donné à la rousse. Une pierre est posée. Une caresse sur le haut de son dos. On répare le toit. Un mot doux et un sourire. Il s'agit de tout refaire, tout recommencer.

Que se serait-il passé s'il avait su ? Si Sam avait parlé, si Mae s'était manifestée ? Sans doute Cendre aurait tout déversé sur Sam, pour ne rien lui avoir dit, ni avant, ni pendant, ni après. Etait-ce pour ça qu'elle ne disait rien ? Est-ce qu'elle avait peur ? Non, bien sûr; son amie n'avait peur de rien, surtout pas de lui, Agneau Nouveau-Né. Il y avait forcément une bonne raison derrière son silence, derrière leur silence, sorte de complot dont il est exclu. Dont il s'est exclu ? Non, ce n'est pas juste; il ne savait pas. Ce n'est pas juste; il a attendu, il a espéré, il a prié. Ce n'est pas juste; il n'est pas mort. Rien n'est juste, pour personne : ni pour Mae, ni pour Sam, ni pour Octobre, ni pour lui. Qui devrait payer, s'il apprenait un jour ? Quelqu'un devrait le faire, pour avoir brisé la vie de Mae, la sienne, la leur. Ce serait la personne qui avait eu la joyeuse idée de lui envoyer cette lettre maudite. Le fait que Mae était peut-être bien là où elle est -"Cendre, tu le fais exprès ou quoi ?!"-, que lui se reconstruisait, qu'Octobre vivait enfin avec l'homme qu'elle avait toujours voulu, tout cela, ce n'était pas une excuse. Ce n'est pas parce que les plaies peuvent se soigner et se refermer qu'il faut s'amuser à en faire.

Mais tout cela, il verrait plus tard, à la fin de la boucle, celle qui recommençait sans cesse, qui recommencerait. A moins, peut-être, qu'il ne l'ait brisé cette fois. Il n'y croit pas.
Il est encore tôt.
Et comment pourrait-il savoir ?

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Samsa
    "I just wanna tell you how I'm feeling
    Gotta make you understand

    Never gonna give you up
    Never gonna let you down
    Never gonna run around and desert you."*
    (Rick Astley - Never gonna give you up)



Samsa ne répond pas à Mae. Ce n'est absolument pas le moment. Qu'est-ce qu'elle pourrait lui dire de toute façon ? "Oui il n'est pas là" ? Évidemment qu'il n'est pas là, il n'y a qu'elle dans ce merdier, elle qui a refusé de prendre compagnie dans cette espèce de mission suicide, pour la seule et unique raison qu'elle n'aurait laissé personne mettre en péril cette action. Son orgueil pourrait la perdre, encore, mais elle s'y refuse. Ça ne doit pas arriver, pour Mae.
Samsa y voit soudainement plus clair. Vite bordel ! Dans une ultime tentative, son coup de poignet se fait plus fort, et le verrou casse dans un bruit qui lui semble l'équivalent d'une sonnerie de cors. La cavalerie va arriver. Non, correction, elle est déjà là. Une torche éclaire son visage, ainsi que celui du garde et de son épée brandie qui s'abat sur elle. Elle n'a pas de bouclier dans ses mains, c'est fini. Elle va mourir ici, là, maintenant. Son bras gauche se lève dans un réflexe de protection qu'elle croit inutile. Il va être tranché, sa tête va être fendue, elle mourra comme une idiote, et Mae ne sortira jamais. La fin de ses rêves était plus glorieuse. Pourtant, aucun silence de mort. Dans un fracas de métal, aucune douleur ne la prend, simplement une forte vibration qui devient secousse, se propage dans tout son corps alors qu'elle perd l'équilibre précaire de son accroupissement, et tombe pour se retrouver dos au sol. Son bouclier, attaché à son épaule, lui a sauvé la vie. L'homme n'a pas dû distinguer son bouclier noir et sale de sa tenue sombre, ou bien il n'en a rien eu à faire dans sa précipitation.

Enfin, la Bordelaise n'est pas encore sauvée.

Elle est par terre, une épée de nouveau brandie au-dessus d'elle, alors que dans son dos, l'autre garde sera là en quelques enjambées. Il faut un plan ! Mais quel plan ! Il ne doit rester qu'une seconde à Samsa pour en trouver un, et qui marche. Dans la panique, elle ne réfléchit pas, et se met sur le côté pour esquiver le coup qui tombe et se perd dans le sol frais. Il va relever son arme, bientôt, tout de suite même; il est temps d'agir, et cette fois, ce n'est pas une question de maintenant ou pas cette nuit, c'est une question de maintenant ou jamais, de vie ou de mort. Malgré le poids de sa cotte, de son camail, de sa barbute et de son bouclier à son épaule, la Cerbère prend appui du bout du pied et se propulse vers les jambes de l'homme. Son couteau atteint un genou qui ploie sous la douleur , et la Cerbère s'y acharne sans relâche, tel un chien d'attaque, jusqu'à ce que son propriétaire s'écroule, lâchant bêtement son épée pour tenir son genou lacéré, peut-être broyé, dans un hurlement de douleur.

Pour la discrétion, on repassera. Ou pas.


-Lève-toi pardi ! DEBOUT TÉ !

Samsa s'adresse autant à Mae qu'à elle-même. Il ne sera pas tant de s'occuper de ça après. Le plan qui va suivre ? La fuite.
Les bottes de la Bordelaise sont de nouveau à plats sur l'herbe parsemée de sang, recouverte à d'autres endroits. Elle n'est pas debout pour autant, et l'autre garde est sur elle.

"Tu vas me laisser me relever, espèce de poireau pardi ! Angevin sans honneur ! Berrichon de bas de classe té ! Braies de lépreux !


-CHIURE DE MERDE PARDI !

La Cerbère pousse encore sur ses jambes qui ont déjà fournit plus d'efforts que convenus, entendu du poids sur elle et de la tournure imprévu des événements. Elle était cavalière en armée, Guerroyant portait son poids. Et même après une chute, il ne fallait se relever qu'une fois. On ne se relevait pas d'une deuxième chute.
Ca y est, elle est debout, et présente son épaule protégée à l'arme qui s'abat. Le coup glisse, inefficace. Les yeux de la Cerbère brûlent d'une colère innommable dans l'antre noire de son casque sale. Enfin, il est temps de dégainer. Enfin, elle peut dégainer. Elle saisit l'occasion, et sa main droite saisit son épée qui jaillit, à temps pour se défendre, parer, riposter. Brigand de base, plus tortionnaire que combattant, elle perce rapidement sa défense et l'entaille profondément au flanc avant de l'achever d'un autre coup, inateignable par les cris des autres gardes qui s'agitent, tentent de réveiller les soûls. Ont-ils trop bu ? Oh, sans doute. C'est une habitude chez ce genre de gens, non ? Quoiqu'il en soit, c'est une chance. Il n'y a pas que les autres qui crient. Le premier garde ayant tenté de l'abattre pleurniche au sol sur son genou, foutu. La Cerbère s'approche et l'achève rapidement. "Ta gueule à la fin". Les torches au sol éclairent maintenant quatre morts. Combien y en avait-il déjà ? Un peu plus. Peut-être deux. Justement en voilà un, qu'elle défait sans trop de difficulté. Et de cinq.
Samsa se déplace rapidement devant le verrou de la cage en elle-même, qu'elle tente là encore de forcer avant que les autres ne se réveillent.


-Il est temps de partir pardi !

Son ton est presque enjoué, maintenant qu'elle est en position de force. Pas d'avantage, mais de force. Et puis, ça ne sert à rien d'être rationnelle avec Mae visiblement. Pour l'instant. Pas pour toujours, elle l'espère. Ce sera bientôt un succès. Peut-être.


*=Je veux juste te dire comment je me sens
Je dois te faire comprendre

Je ne t'abandonnerai jamais
Je ne te laisserai jamais tomber
Je ne m'en irais jamais et te déserter

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Maegorn55
[N'as-tu jamais dansé avec le Diable au clair de lune ?*]

Samsa, que fais-tu ? Elle est belle. La détermination lui sied bien. Ses yeux ne la regardent pas mais ils brillent d'une volonté sans faille. "Dis-moi, que fait-elle là ?" Ses yeux verts pâlissent et l'émeraude de son regard ne devient que le verre coloré et poli par la mer que celle-ci rejette. Qu'est-ce qu'une hallucination ? Son visage paraît si réel. Une perception fausse ? Pourtant, elle la voit, elle la sent et l'entend. Mieux, Maegorn reconnaît Samsa. Ces yeux semblent voir un monde irréel où le temps est plus rapide. Trop peut-être car son esprit ne parvient pas à suivre. Mais elle est là. Le garde revient et cette femme tournoie pour abattre les coups. Ou alors, Samsa est une illusion. La projection de son Ultime Espoir. Est-ce possible de se battre ainsi ? On dirait qu'elle guerroye comme Millie. Si l'on avait l'âme poète... Oui, On dirai le Diable venue cherche les âmes pêcheresses.
-Lève-toi pardi ! DEBOUT TÉ !

En fait il s'agirait plutôt de Margot l'Enragée, l'archange qui ne travaille ni pour Dieu ni pour Satan. Le corps raidi par la colère, Samsa ne semble voir que les carcasses à sauver de ce monde envahi par le mal. Ces carcasses, son amie les regarde comme si c'était ce qu'il fallait sauver. Pourquoi ne laisses-tu pas tomber ? C'est tellement plus confortable de ne rien voir...

Des 28, il n'en restait pas beaucoup. Maegorn refuse de compter combien ils sont. Leurs bergers savent bien combien iront à l'abattoir.

Ou bien est-ce qu'elle rêve ? Imagine-t-elle une farce médiévale mettant en scène son amie faisant rapine aux portes des Enfers pour la sauver du sien ? Samsa, pourquoi es-tu là ? Pourquoi es-tu entrée dans ce monde inerte et résigné ? "Arrêtes, qu'est-ce que tu me fais ?"

Finalement, je prendrais bien une de tes Bêtises.

Oui, cela lui ferait du bien. C'est réconfortant, immaculé. Ça ne demande rien en retour.
Pourquoi n'a-t-elle pas peur de cette jeune femme qui répand la mort ? La justice lui est devenue étrangère. Ils avaient tout le pouvoir et régissaient tout. Ils les régissaient eux, leur vie, leur mort. Ils ne leur avaient pas donné. Comment vivre une fois que l'on a réclamé la mort à pleins poumons ? Un rire. Cynique et malsain. Et cette réponse :

"Ma jolie, tu n'imagines pas à quelle point ta chair m'est précieuse."

Dans sa nuque, un frisson violent c'était attardé. Ses mains encore jolies à l'époque ne parvenaient plus à se contrôler.

Ses mains. Ces fers. Qu'allaient-ils lui faire ? Et si Sam se faisait prendre ? Ses mains laides. Ces fers ouverts. Maegorn regarde ce métal brûlant qui ne retient plus ses mains. Ses bras engourdis lui semblent tous légers sans ces bracelets imposés. Ses poignets sont marqués, les fers ont laissés leur trace. Comme si malgré la réalité, elle n'était pas encore libre. Comme si même ouverts, ils lui resteront à vie. Délicatement, comme on le ferait avec un bijou précieux, Maegorn dépose ses menottes sur le sol de la cage et expérimentent de se relever les poignets libres.
-CHIURE DE MERDE PARDI !

Elle sursaute. ".... Tu arrives de nouveau à être surprise ?" Son équilibre vascille mais la jeune femme se rattrape en se saisissant d'un des barreaux de leur cage. Sa cage. Sa vision se trouble. Ses yeux sont sur les cadavres qui gisent au sol. "Fermes les yeux, rassieds toi dans cette cage !" Ses membres tremblent. Son esprit dérive.
Sam ?

Ses mains quittent le premier barreau pour un deuxième, un troisième. Son amie lutte contre des hommes, Maegorn lutte contre la peur. Ses pieds encore ferrés se prennent dans les corps délaissés au sol. Ses menottes reliés à eux par une chaîne la suivent au loin. Ils la retiennent dans cette cage. Les phrases entendues plus tôt lui martèlent l'esprit...
"Tu t'es crue intelligente ? Tu n'es qu'une carcasse. Je fais de toi ce que je veux."

Ses yeux se plissent sous les larmes et les souvenirs. Maegorn ne veut pas recevoir de coups. Elle mord ses lèvres pour ne pas hurler. Toute la sensualité que ce geste avait pu par le passé contenir a disparue. Ses lèvres jaunissent sous la pression de ses dents. Deux pas. Un barreau. Le bruit du métal qui se racle contre le sol de la cage lui perce les tympans. Et si elle ne rêvait pas ? Si elle pouvait s'en sortir ? Si elle pouvait retrouver l'étreinte chaude de son homme ? Son espoir coule dans l'eau qui ruisselle sur ses joues.
"Oui je le veux."

Cette phrase cérémonielle qu'elle a déjà prononcé pour Lui, à nouveau elle Lui destine. Si Maegorn ne sort pas maintenant...
Sam ?

L'ombre qu'elle est devenue est sans force. Pourtant la porte de la cage est si proche...
-Il est temps de partir pardi !

D'accord mais attends-moi Sam... Je viens. "Oui, c'est ça ! Prends tes fers et cours vers la Mort ! C'est ce que tu cherches, avoues ! Tu attends que ton amie t'offre la mort". Oui, ma mort.



*Citation de Batman, film américain de Tim Burton, 1989
Cendre1886
[La vie c'est tout le temps comme ça, ou seulement quand on est jeune ?] (Léon)



Cendre fouille les braises ardentes d'un feu de camp à l'aide d'un bout de bois trouvé là. Ses nuits ne sont pas tranquilles encore, il reste toujours éveillé longtemps, le regard fixe et impénétrable, quand vient le moment de dormir. Progrès cependant, les nuits blanches, elles, ont disparu. Le noir et le vide de son sommeil aussi. Il faudra du temps, encore, pour qu'ils s'estompent le jour, sous le soleil. Il sait, même, que ça ne partira jamais vraiment. Comme avec Lennia. Il a reconnu ses trahisons pourtant, il lui en a voulu, il lui en veut; mais il l'a aimé, et quelque part en lui, il y aura toujours cette part, pour elle, comme pour toutes.

Avait-il fait quelque chose de mal ? Avait-il fait une erreur, quelque part, à un moment ? Etait-ce sa faute ? Pouvait-il y changer quelque chose ? Aurait-il pu ?
Tant de questions qui avaient tourné dans la tête de Cendre. Il fallait bien qu'il y ait une explication logique à tout cela, à toutes ces disparitions, tous ces abandons. Il avait mit longtemps à s'inquiéter. Non... Même, il ne s'était pas inquiété. Qu'est-ce qui pouvait arriver de mal chez les nonnes, dans le couvent d'une ville si peu peuplée ? Il avait juste constaté. Oui, c'est ça, "constaté". Constaté le retard de Mae, son absence ensuite, sa disparition peut-être, sûrement, enfin. Fidèle, patient, serein, il avait attendu à Bazas dans une sorte de léthargie indéfinissable. Il n'écoutait pas les nouvelles du monde. Il s'en moquait, il ne voulait pas les entendre; ça égrainait le temps qu'il avait réussi à arrêter, dans sa tête, partout autour de lui.
Octobre était sortie de chez les nonnes après un mal venant d'être soigné. Elle était venu le voir à Bazas, lui qui refusait de bouger, s'attendant chaque jour à un signe lui annonçant le retour de Mae, à son retour même. Cendre avait dû apprendre à son amie rousse le décès de son compagnon d'alors, Aldo, mort du Mal des Ardents. Est-ce que Mae était malade ? Agonisante ? Peut-être morte, déjà ? Non, il se refusait à y croire, parce que ce n'était pas possible. Pas possible, n'est-ce pas ? Elle était juste "là-bas". "Là-bas", et c'était tout. Il n'y avait rien à chercher de plus.
Octobre avait fini par repartir. Bazas, ce n'était pas une vie. C'est vrai. Ce n'en était pas une. C'était un suspend. Il était parti, lui aussi, quelques semaines plus tard. Pourtant, ce jour, ce départ, n'avait pas marqué la mort de son espoir de la revoir. Pas encore. Il avait recommencé à écouter l'état du monde en traversant le Poitou, rentrant chez lui, à Alençon. Zelha reine, vraiment ? Son amie -presque rousse celle-ci- avec qui il avait tant partagé. Des écus dont elle ne voulait pas, des bières au savon dont elle ne voulait pas... Zelha voulait des soirées près d'une cheminée, qu'il lui avait donné. Zelha voulait des projets, qu'il lui avait offert. Zelha voulait un baiser, qu'elle lui avait volé. Zelha voulait une vie avec lui, qu'il avait fui. Il n'avait jamais pu, depuis, lui expliquer. S'excuser, lui dire à quel point il aurait aimé que les choses se passent autrement pour elle.
Voilà qu'elle était reine, donc, mais malade. Il en avait été fier, et inquiet. Avec la guerre contre l'Empire, il s'était jeté dans le service, comme il avait toujours aimé le faire. On l'avait envoyé quérir des pains en Bretagne. Seul. Comment transporter cinq cents pains avec pour aide que leur propriétaire, maigre comme un brin de paille ? Ils avaient fait deux allers-retours, avant qu'il n'arrête, lassé, agacé. Il était devenu ainsi. Amer. Renfermé. Taciturne. Invisible. Inexistant, excepté pour Sam et Octobre à qui il continuait d'écrire et de recevoir lecture. A qui il répondait tardivement parfois. Alençon aussi était devenu un endroit hors du temps, particulièrement avec la menace angevine. Le lac, les remparts... Le lac, les remparts... L'attente d'une attaque qui ne vient pas, et ne viendra jamais.

Pause.

Ses pensées sont interrompues par la femme qui s'assoit à côté de lui et lui sourit. Elle a ramené du bois, qu'elle place dans le cercle brûlant après lui avoir volé un baiser, qu'il lui a laissé. Pour elle aussi, il lui faudra du temps. On ne passe pas des sentiers balisés à la forêt dense, inconnue et sombre, du jour au lendemain.
N'avait-il pas promis de fabriquer une machine à contrôler le temps ? Qu'attendait-il ? Il avait, décidément, échoué dans toutes ses promesses. Mais qu'aurait-il pu y faire ? Était-ce vraiment sa faute ? Un autre aurait-il pu mieux faire, mieux réagir, mieux gérer, mieux tout ? Qu'aurait-il fait ? Rien, peut-être. Pas mieux, sans doute. Des réponses que, comme un alcool fort à verser sur une plaie ouverte pour la désinfecter, Cendre n'était pas prêt à entendre. Pas prêt à se dire.

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Samsa
    "I just wanna be free in this way
    Just wanna be free in my world
    Vivere per libertà
    Vivere nella libertà"*
    (Pep's - Liberta)



Par deux fois, Mae a dit son prénom, comme pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas. C'est bon signe, du moins la Cerbère l'espère-t-elle. Son amie est debout, mais comment, ce serait une question. Malgré les ombres encore très présentes malgré les torches au sol, Samsa perçoit son état, misérable. Comment peut-on espérer vendre quelqu'un avec cette allure ? Comment, même, peut-on mettre quelqu'un dans cet état ? La Cerbère est révoltée. Mieux valait mourir au combat. Elle ne pense pas que la pire des blessures puisse être pire que cette condition. Ce n'est même pas imaginable à vivre.
Les torches éclairent les cadavres rougeoyants, morts dans la surprise ou dans la douleur, mais aussi les fers aux pieds que Mae que Samsa avait raté. Et merde... Samsa hésite. Elle ne sait pas quel serait le meilleur moment pour la libérer. Aucun moment n'est vraiment propice, mais il faudra le faire; pourquoi pas maintenant ? Ils vont bientôt arriver, elle entend les cris proches, plus nombreux, de ceux qui ont réussi à émerger. La Bordelaise retrouve son couteau au sol, éclairé. Elle l'avait perdu avoir lacéré le genou du garde l'ayant renversé, cherchant à se relever. Elle cale son épée sous son bras et glisse aussitôt vers lui, le récupère et fond sur les chaînes. Le couteau pénètre les serrures qui cassent sans résistance. Le froid, la boue, l'usure, l'eau, autre chose de pire peut-être, ont rendu la rouille trop puissante; le fer rongé n'a plus la même qualité, ni le même alliage.

Libre. Mae est libre. Presque.

La Cerbère reprend son poste devant la cage. Il s'agit d'ouvrir la porte à présent. Elle tourne la tête pour prendre connaissance de son avance quand tout se met à tourner, à vibrer, à brûler, à faire mal. Elle titube sur le côté, vacille, mais parvient à rester debout. Samsa a mal à la tête, une douleur cuisante à la joue, et d'autres parties du visage la brûlent. Elle réajuste malgré tout son casque qui a bougé, lui masquant partiellement la vision, juste à temps pour présenter par nouveau réflexe son épaule protégée à l'arme de braises qui s'écrase. Dans la nuit, des étincelles s'envolent sous le choc. Il fallait vraiment être précipité pour attaquer avec une branche prise du feu de camp. Ayant perdu son épée et son couteau après avoir été sonnée, Samsa est à présent désarmée. Les plus grandes batailles n'étaient pas aussi épiques que ce qu'elle était en train de vivre, elle en serait heureuse plus tard. Mais pour l'instant, elle doit juste s'en sortir, avec Mae. Son regard sombre prend lui aussi des teintes de braises dans la nuit et l'ombre de sa barbute.

Elle est immortelle. Elle le sait, elle y croit. Samsa a vu la Mort en face, elle lui a parlé, elle a survécu à tant de choses, des événements terribles ou sans espoirs. Elle avait survécu, elle, chaque fois, sans cesse si près de passer l'arme à gauche, mais toujours renvoyée après avoir revu Zyg. Peut-être que Zyg était son ange-gardien. La pauvre, elle en avait du boulot si tel était le cas ! Elle avait dû soupirer, exaspérée et désespérée, en constatant que Samsa était partie seule dans cette aventure qui n'en avait que le nom, car voilà maintenant qu'elle se faisait presque attaquer à la bûche ardente, désarmée. C'était pas ça le plan d'origine.
Elle avait, il y a peu, entraîné une jeune fille ignorante à la défense et à l'attaque sur les chemins. Elizabeth, future papesse, armée d'une épée en bois, maladroite comme pas deux, mais déterminée. Il était temps de réutiliser ces principes sans vraiment d'armes et de techniques qu'elle lui avait enseigné.
Le gourdin improvisé s'abat, la Cerbère esquive d'un pas de côté téméraire, et riposte aussitôt par le tranchant de sa main gantée de cuir et de métal dans la gorge de l'homme. Celui-ci suffoque, et Samsa lui adresse un autre coup, de coude cette fois, dans le sternum. Il s'incline, et la Bordelaise en profite pour le faucher, aidant sa jambe sournoisement posée derrière les siennes de ses bras pour repousser le garde qui en percute un autre venu derrière lui en renfort. Il chute aussi lourdement que son poids, suffocant, pas prêt de se relever, déséquilibrant le suivant. La Cerbère en profite pour récupérer son épée au sol et l'utilise contre les jambes du presque-funambule qui ne l'est à présent plus, simple larve qui ne devrait pas remarcher avant un moment. Jamais, peut-être, il fallait l'espérer pour le bien commun.

La voie est libre, pour l'instant.

Elle se précipite sur la cage et enfonce violemment la pointe dans la serrure. Ses bras et ses poignets s'accordent dans un coup qui n'a rien à envier au précédent et, sous tant de brutalité, le mécanisme plus tout jeune ni très haut de gamme à l'origine ne peut que lâcher. Elle tire la porte, ouvrant la voie de la liberté.


-Viens pardi !

La joue de Samsa saigne abondamment, lacérée par le bord de sa barbute maintenant quelque peu cabossée qui s'est enfoncé dans la chair un instant après le coup reçu à la tête, et des résidus de braises constellent doucement une partie de son visage, parfois juste posés sur sa peau, collés par le sang pour d'autre. Mais la cage est ouverte, son amie n'a plus d'entraves, et elles vont fuir, fuir malgré la charge qui arrive, enfin debout, plus ou moins équipée, plus ou moins capable de marcher, mais décidée à garder leur bien.
Fuir malgré la peur et la faiblesse, car Samsa tend la main à Mae.


-On s'en va té.

"Pourquoi un grand mage ne pourrait pas apparaître, armé d'un bâton, et s'interposer entre nous et le danger en criant haut et fort "vous-ne-passerez-PAAAAS" ... ?"**



*=Je veux juste être libre de cette manière
Je veux juste être libre dans mon monde
Vivre pour la liberté
Vivre dans la liberté

**=allusion à Gandalf du Seigneur des Anneaux

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Maegorn55
[Les cadavres sont plus lourds que les coeurs brisés.*]


Sam la regarde, comme pour la première fois. Maegorn baisse les yeux sous ce regard franc qui constate son état. Oui Sam, mieux valait mourir au combat. Mourir tout court d'ailleurs. Mais tu es là, tu as semé la Mort sans me la donner, pourquoi ?

"Maegorn, qui es-tu ?" Autrefois, elle aurait répondu : "Je suis une éternelle voyageuse !" Oui mais aujourd'hui, qui suis-je ? Suis-je la femme de Cendre ? M'a t-il attendu ? Elle savait que Cendre avait été marqué par l'adultère de sa précédente femme, il ne l'aurait pas commis. Non, Cendre ne l'aurait pas trompée pour une autre. Il aurait attendu de lui dire en face qu'il ne l'aimait plus et en préférait désormais une autre. "Crois-tu ?" Le doute s'insinue en elle. Pourquoi n'est-il pas avec Sam ? Pourquoi ? La jeune femme s'inquiète. Les yeux de Mae regarde Sam. Sait-elle quelque chose ?

Est-ce que Cendre va bien ?

Seul un mal terrible l'aurait empêché de venir. A moins que... Sam sait-elle si Cendre aime une autre femme ? S'il aime dans d'autres bras que les siens ? S'il l'a oublié, elle ? Une voyageuse de passage dont la présence est désormais dans le passé. Passée. Son nom n'est alors qu'un nouveau, placé juste au-dessous de celui de Lennia ? Il était avec Maegorn avant que la rupture avec Lennia ne soit réelle. Cendre et elle avaient été amants. Alors est-ce qu'il pouvait la tromper comme il avait trompé pour elle ? La jeune femme panique. Le monde louvoie à nouveau dans une danse macabre. C'est Sam qui se bat. C'est son esprit qui cède. Ce sont ses fers aux pieds qui ne l'entravent plus. Le sol s'ouvre sous ses pieds libérés, elle chute. A quoi bon se battre ? Les images cauchemardesques de son homme, son mari partageant sa vie avec une autre déchire son coeur et son espoir part en lambeaux.

Maegorn n'a jamais été si vulnérable. Elle subit la douleur de son angoisse. "Calmes toi Mae." Tiens? Même la voix qu'elle entend craint qu'elle ne se tue toute seule. Il est vrai que la voir devenir folle peut être hilarant, certes. Mais que son esprit ne cède pour ça...? L'avenir de cette petite voix ne risque pas d'être glorieux ! Non, il faut que Maegorn garde jusque ce qu'il faut de raison pour qu'elle puisse l'entendre. Encore. Toujours. "Alençon ou sur les routes, mais toujours avec sa Brune, n'est-ce pas ce qu'il affirme Mae ?" Si. C'est ce qu'il disait... Ce qu'il dit encore ? Son esprit n'est plus capable de réfléchir. Douter lui donne le vertige, elle voudrait rendre au monde les tripes qui lui ont été données. Oui. Oui tu as raison. Je vais attendre. L'amour est une sorte d'aveuglement, de déraison. "C'est une peur irraisonnée qui a failli t'emporter Mae." Cette voix se fait douce, réconfortante. Oui, elle se trompe. Elle s'emporte. Cendre ? J'ai douté de toi. C'est risible non? Elle rit, hystériquement et bruyamment. Puisse t-elle mourir de rire, mourir avec ce son de joie qui résonne dans l'espace. Si Il n'est plus là, la voyageuse n'a plus de raison de vivre, d'exister, de se battre. Si Il n'est plus là, qu'on lui prenne sa conscience et sa raison ! Vivre avec la conscience de cette absence sera douloureux. Trop. Beaucoup trop. Elle ne le supportera pas. "Sam a autre chose à faire, son visage brûle tandis que tu t’apitoies Maegorn." Sam ?

Son regard s'affole et ses doigts se tendent avec conviction vers son amie. Pourquoi ? Pour la toucher ? La protéger ? Elle ne peut rien faire, et rien pour son amie. Elle est impuissante. D'autres corps tombent lourdement sur le sol dans un tonnerre qui résonne sous son crâne. Maegorn porte ses mains à ses oreilles pour ne plus entendre. Elle s'accroupit puis ramène ses genoux à elle. Non !

Ne plus entendre le poids d'un corps sans vie. Des images lui reviennent. Comme un souvenir ineffable. Ses épaules brûlent d'une douleur ancienne, celle de la corde qui tire une charrette pleine de morts. Ils ne pouvaient pas se permettre de laisser des traces. Sa crainte, y finir. Ils tombaient tous les uns après les autres, mais pas elle. Non, elle ne finirait pas ainsi.

La voie est libre, pour l'instant.

-Viens pardi !

A l'injonction, ses mains se détachent de ses oreilles, de ses cheveux épars, ni tous de la même longueur, ni tous unis par la même saleté. Le visage de Sam est constellé d'étoiles étincelantes et ses yeux brûlent d'un feu ardent. L'inverse est vrai aussi mais ça, Maegorn n'arrive pas à le voir. Seule cette main tendue a son attention. Est-ce bien vrai ? Tu m'emmènes au loin ? Dis, je n'aurais plus à revenir ici ? Est-ce que c'est fini ?
Non, mon esprit me joue un tour. Tu n'es pas là. Je ne suis qu'un coeur abandonné, brisé. Qu'un cadavre. Qu'un poids lourd qui tombera un jour à son tour sur le sol.

Comme une enfant méfiante et apeurée, la voyageuse regarde la guerrière sans oser, jaugeant la réalité de ce mirage. Non, elle ne la croit pas. Ses sourcils se froncent et Mae va refuser. Mais il y a ses mots :

-On s'en va té.

Alors recroquevillée sur elle-même comme un petit être sur le sol de cette cage désormais ouverte, Maegorn tourne doucement la tête et tend lentement sa main tremblante vers Sam. Toujours sa main amaigrie avance vers celle de Sam. Au dernier moment, cette main tendue va disparaître. Elle le sait. Ce n'est qu'un mirage, tout cela n'est que dans ton esprit. Ses yeux se ferment pour ne pas voir encore un de ses proches disparaître...



Un sursaut. Une main qui prend celle de l'autre. Elle est là. C'est ce simple contact qui la ramène à la réalité. Pour un temps. Pour l'instant. Suffisamment pour entendre la charge qui arrive. Suffisamment pour entendre que le temps presse. Ça y est, Maegorn agit. Non pas pour Lui, pour Sam. Une réserve d'énergie insoupçonnée apparaît dans son corps inerte.

L'Espoir & la Folie. La Fuite & la Survie.

Maegorn prend la main de Samsa comme elle prendrait celle d'une soeur et fait volte-face au monde qui arrive et gronde. Son esprit est éteint. Elle se met à courir à travers cette forêt, comme une folle, comme un gibier chassé, comme une âme en peine. La voyageuse entraîne Samsa avec elle.



Plus rien n'existe. Ni Lui, ni les autres. Elle est sans conscience. Elle est animal.


Effrayée. Ils ne doivent pas la reprendre.


La Peur.


Irraisonnée. Irrationnelle.


Courir pour sa vie. Vite.






Comme une proie.






*Phrase de Raymond Chandler, Le grand sommeil.
Cendre1886
[Plus les choses changent et plus elles restent les mêmes.] (Los Angeles 2013, le film)


Est-ce que Mae pensait à lui parfois ? Et si, ironie du sort, c'est elle qui était partie avec un autre ? Avait-il arrêté de vivre un an durant pour rien ? Sans doute pas, non. Les choses avaient été difficiles quand il était encore avec Lennia. Difficiles, mais irrépressibles. Des résistances détruites sous l'attirance, des principes balayés par l'amour. Mais justement. Si elle l'avait fait une fois, aurait-elle pu le faire deux fois ? Elle aurait fui avec un autre, c'est ça ? Non, mais non. Il avait vu la lettre, ce n'était pas son écriture. Mais si elle avait monté ce plan pour s'en aller, ne rien avoir à expliquer ? Non, de nouveau. Elle l'aimait. Même si elle ne voulait plus de lui, elle n'aurait jamais laissé sa famille.

Elle l'aimait.

Mais elle n'était pas là. Elle n'était plus là. Elle avait préféré être ailleurs qu'avec lui, quelles qu'en soient les raisons. Et pour lui, était-ce un acte de vengeance ? Non. Il ne voulait pas se venger. Se venger de quoi ? Il lui avait toujours promis de la laisser libre. C'était son choix d'être là où elle était, dans un couvent ou ailleurs. Non, attends... Dans un couvent, tout court. Son coeur tremble pour elle comme il tremble pour Lennia en l'imaginant dans une mauvaise passe. Pourtant, les deux sont parties de leur plein gré. Qu'est-ce qu'il avait fait pour mériter ça ?
Il avait retrouvé Octobre, la rousse avec qui tout avait toujours été clair dans sa tête, mais jamais vraiment dans les faits.. La Rousse respectueuse de lui, de sa vie, de ses sentiments, patiente avec lui, sa vie, et ses émotions. Il fallait qu'il revive, pas vrai ? Mae ne reviendrait pas. Elle l'avait abandonné. Il ne voulait pas redevenir fou, déprimé et amaigri comme il avait pu l'être avec le départ de Lennia, allant jusqu'à abandonner Nolann, "leur" fils à sa belle-soeur. Tiens quel âge allait-il avoir d'ailleurs ? Cinq ans ? Cinq ans...

Il avait guetté sur les remparts l'arrivée des angevins, un pigeon, son retour à elle. Il avait guetté tout et n'importe quoi. Aux premiers jours de calme, quand il s'en était allé pêché, il avait regardé son reflet dans l'eau. Il l'avait fixé, il avait fixé la surface de l'eau en elle-même. Il avait très rapidement arrêté. La vision du temps qui passait, sa propre tristesse dans ses yeux et ses propres pensées le mettaient à terre. Il n'en guérirait pas. Il le savait. Il le voyait. Il le sentait, même. N'avait-il pas toujours dit que l'ignorance était la pire des souffrances ? Ulette; partie sans rien dire, sans jamais lui expliquer pourquoi. Lennia; incapable de savoir quel était le père de Nolann. Mae; préférant être loin de lui pour une raison inconnue. N'avait-il donc jamais le droit de savoir ? Il était condamné à voir celles qu'il aimait s'en aller pour une raison indéterminée ?
Il avait ruminé sa colère à Alençon. Une colère dirigée non contre elle, non contre lui, mais contre sa propre destinée, cette boucle qui le caractérisait dans toutes ses relations jusqu'alors. Il avait tant de fois voulu revenir en arrière, la garder dans ses bras, l'empêcher de lire cette lettre, brûler le couvent. N'importe quoi, pour qu'elle n'ait pas eu une raison de partir et briser cette boucle maléfique. C'était sa faute, en fait, c'est ça ? Il n'avait pas su la retenir ? Il n'avait pas assez prit soin d'elle ?

Ce n'était pas sa faute. Quelque chose en avait-il même vraiment la responsabilité ?

Octobre était repartie sur les routes, et il l'avait accompagné. Il ne voulait pas la laisser se promener seule sur ces chemins si dangereux maintenant. Et puis, qu'est-ce qu'il avait de mieux à faire ? Attendre ? Un an, déjà... Peut-être un peu plus. Attendre quoi, jusqu'à quand ? Il n'en avait pas marre, d'attendre. Il voulait juste le faire d'une autre façon. Il avait retrouvé Malone à La Rochelle. Elle avait tout perdu, mais il la regardait, elle, qui continuait d'avancer, qui avançait, malgré la tristesse. Elle voulait vivre; mais pas lui. Lui, il voulait juste se relever. Il avait commencé à se dire, pourtant, qu'il faudrait faire comme elle, un jour.
Ça avait été un accident. Ça n'avait été qu'un jeu. Ils n'avaient pas fait exprès. C'était tombé comme une brique sur la tête, c'était arrivé comme un juron lors d'une mauvaise journée, un trop plein de tout. Et c'était arrivé.

Octobre l'aidait à revivre, elle le soignait, mais elle ne le faisait pas oublier. Il restait ce point d'interrogation à la pensée de Mae, ce point d'interrogation qui envahissait tout, jusqu'aux certitudes les plus fondamentales. Point d'interrogation destructeur qui continuerait de détruire ce qu'il reconstruisait à son propos et qui, même quand il sera de nouveau debout, heureux, le laisserait toujours pensif et attristé quand il penserait à elle. Elle n'était pas Lennia. Elle ne l'avait jamais été, et il savait qu'il en serait de même pour ce qu'il ressentirait "après", une fois avançant vaillamment de nouveau.

Elle avait été différente, de Lennia, des autres. Elle le serait toujours.
C'est la seule chose que ce point d'interrogation noir ne parviendrait jamais à détruire, la seule certitude qui, finalement, resterait.

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