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[RP] Like a Virgin...

Dedain



    Faut-il songer souvent à s’arrêter d’agir pour réfléchir à l’impact des mouvements entrepris, relever leur importance, les ramifications de leurs possibilité multiples, ou cesser plutôt par volonté de se soucier de tout et vivre ces moments inévitables, traverser ces méandres fangeux et palpables, y plonger allégrement ?

    Le Comte est un homme, désormais.
    Dans tout ce qu’un homme peut être.
    Ou presque.

    Il s’est laissé éduquer, durement, puis s’est fait seul – l’espère-t-il parfois – ; il a entrepris, il s’est dévoué, il s’est banalement occupé. Il a cherché la réponse relative aux mystères des Hommes et pense avoir une idée globale juste, quoique sévère et désastreuse. Il s’est hissé : socialement, hiérarchiquement, parmi les siens et même jusqu’à ses ennemis. Il a grandi en tout et pour tout, tout en restant immuablement inchangé. Il a agi et s'est élevé aussi vite et bien que quiconque voudrait agir et s’élever.
    Et, en cela, il est homme.
    Presque.

    Car, s’il vient – il y a à peine quelques heures – d’épousailler en d’impressionnantes pompes une Fille de France, accentuant ainsi son statut d’homme fait, il ne manque plus qu’un détail.
    Mais un détail de poids.
    Par lequel les conventions aristotéliciennes et les manœuvres mortelles vous obligent nécessairement à passer pour faire de vous un homme plein : la nuit de noce.

    Présentement, alors que l’obscurité tombe sur les toits poisseux d’une automnale citée royale, laissant à l’enfer lunaire le soin d’attirer à lui par ses charmes les indécis libidineux et les puretés éphémères, l’Hivernal a pris une courte retraite en les appartements qu’on lui a cédé à même l’Hôtel de Chaalis, résidence honorable de Rosalinde Wolback-Carann, nouvelle belle-mère. Ouaich.

    Il a veillé à quitter seul ses lourds habits de cérémonie, abandonnant la chaleur réconfortante des soies et fourrures dans l’intimité des lieux, pour revêtir par-dessus sa longue chainse un manteau ténébreux fait pour les heures d’ombre, qu’il a noué sévèrement au cou et dont il a rabattu consciencieusement les pans sur lui. Ainsi paré, les filaments d’or libérés de leur emprise éternelle venant danser et affiner les contours de son morne et froid minois, il s’est agenouillé sur le dallage frissonnant, afin de quérir une dernière fois les bonnes grâces divines et l’aide sacro-sainte par quelques prières pieuses susurrées en un rythme effréné, comme traduisant par le flot incessant des suppliques l’état d’hébétude et d’impuissance qui l’enserre si lourdement.

    Puis, à l’instant fatidique, le Deswaard crispé se redresse de toute sa longiligne hauteur pour continuer d’affronter encore et encore jusqu’au dernier événement tragique de ce vingt-huitième jour de septembre de l’an mil quatre cent soixante-quatre.

    Adoncques, il retrouve à sa porte ses deux sentinelles infatigables qui se placent dans son sillage tandis qu’il prend route vers l’antichambre de la suite nuptiale préparée pour l’heureuse occasion qui le fera se départir pour toujours de sa juvénile innocence.

    Dans son dos, les deux gardes – les biens nommés Pif et Paf – parlent plutôt que de se taire à jamais.


    « Psssst ! Hé ! Dis…Paf…L’a pas l’air très réjoui pour un heureux jeune marié, not’ Comte, t’trouves pô ?
    - A quoi t’vois ça ?
    - Ch’ai pas, l’est tout pâle.
    - L’est toujours tout pâle, aussi.
    - Pas faux…L’est plus raide, alors ?
    - L’est toujours tout raide.
    - Tu m’diras, ç’lui facilitera bien les choses, surtout c’soir.
    »

    Rire gras et étouffé des deux lourdauds alors que le Noldor passe la porte de l’antichambre où se retrouveront les mariés du jour, les servants du Très-Haut qui viendront bénir la couche nuptiale, les témoins, la famille, les zamis, toussa.

    « Et t’la trouves comment, toi ?
    - Merveilleuse.
    - Ah ouais ?
    - Grâce naturelle, croupe délicieuse, caractère totalitaire, prude comme je les aime …
    *Paf bave un peu sur sa barbiche, rêveur*
    - Oh ben ! Camarade, te v’la sous le charme, pardi !
    - Elle vaut bien dix d’ta Lulu la Goulue.
    - Allons ! J’te permets pas, vil coquin.
    - Et c’nez ! Une merveille architecturale. J’suis conquis.
    - A ce point ?
    - Taillé dans le fer, avec cette p’tite touche de ch’ai pas quoi…
    - T’trouves ?
    - …rehaussé par cette pointe d’autorité…
    - T’vois tout ça rien qu’en observant son nez ?
    - Bien sûr ! C’est l’élément central d’ce chef d’œuvre.
    - Son nez ?
    - Oui.
    - Je l’trouve tout à fait banal, moi. Tout au plus il a quelques taches d’rousseur. Faut aimer.
    - Des taches de rousseur ?
    - Bah oui…Nan ?
    - Bah nan.
    - Mais de qui t’parles, depuis t’à l’heure ?
    - Et toi, Pif ?
    - Bah de la Princesse, la nouvelle ‘pouse du Comte.
    - Aaaaaaah…
    - Et toi ?
    - Euh…
    - Allez, balance.
    - Augusta.
    - Oh bordel…La duègne de l’Altesse ? Celle qu'a un gros poireau dégueu sur l'bout du bec ? T’vas m'faire vomir, Paf.
    »

    Ce faisant, probablement blessé dans son amour propre que la toute nouvelle femme de ses rêves puisse être ainsi dépeinte, Paf tente d’attraper au collet son frère d’armes dans un ramdam cliquetant et assourdissant – puisqu’ils sont tous deux largement équipés de plate et d’armures – afin de lui faire ravaler ses mauvais mots.
    Dans le même temps, le Lugubre Deswaard se retourne pour comprendre la raison de cette soudaine agitation, prêt à calmer les aigreurs de son inflexible voix morte, entrouvrant déjà ses fines lippes bleuies en une muette imprécation.

    Mais tout le monde se fige et s’arrête au même instant.
    Car la neuve mariée vient à faire son entrée.

_________________
Madeleine_df
La nuit est déjà bien avancée. En bas résonnent encore les rires et cris des derniers convives au festin de leurs noces. Avinés retardataires, ceux que l'on attend plus et qui sans doute se réveilleront allongés sur un banc ou affalés sur la table avec les premières lueurs de l'aube. Assise face à son miroir, la princesse observe le reflet brouillé que lui offre la psyché. Mère est venue. Elle lui a tendrement brossé les cheveux, baisé le front, murmuré les dernières recommandations. Et puis est finalement partie, sur requête de sa fille, laissant Sissi Madeleine face à son destin, seule.

Nerveusement, elle entortillait le cordon du décolleté de sa chemise autour de son doigt. En se contemplant fixement. Elle était loin, bien loin d'être laide, et pourtant haïssait son apparence avec toute la rage de son cœur d'adolescente. Ses yeux étaient trop foncés. Son nez trop petit. Ses seins trop petits aussi. Son ventre creux. Ses genoux pointus. Ses pieds trop grands. J'en passe, et des meilleures. Elle n'était en somme encore que l'ébauche de la femme qu'elle serait, le lys encore en bouton, et Parrain l'aurait dit : Elle avait l'impatience de sa mère, et voulait tout, tout de suite, sans laisser le temps au temps.

Cela dit, là, le temps, elle s'en passerait bien. Oh, elle préfèrerait rester mille ans à détester son reflet qu'aller affronter ce qui l'attendait là-bas, dans une des chambres de l'hôtel. Elle avait expressément demandé à ce qu'il ne s'agisse pas de sa propre chambre. Celle-ci était et resterait un sanctuaire, un endroit où jamais le mal ni le mâle ne pourraient pénétrer. A l'avenir, du moins. Car il lui suffisait de fermer les yeux et elle pouvait revoir le Deswaard allongé sur son lit, le crâne en sang, recroquevillé sur lui-même. Il l'avait prise pour un ange, ce jour là. Nostalgique déjà, elle détourna le regard, et tomba sur un rang de poupées sagement alignées au dessus d'un coffre. La reine, la nonne, la sainte, et sa préférée entre toutes, la médecin. Elle leur sourit, et se dit qu'en un temps maintenant peu lointain, elle pourrait les offrir à sa propre fille.

La fille qu'elle aurait avec Dédain. Car c'était bien cela qui l'attendait. Elle était épouse, déjà. Après ce soir, elle serait une mère en devenir. Si tout se passait bien. Si le fil parvenait à passer dans le chas de l'aiguille. Maximilien lui avait conseillé de ne pas avoir l'air dégoûtée, était-ce si répugnant que cela ? Ou n'était-ce que son inimitié envers le Deswaard qui lui avait placé ces mots dans la bouche ? Il fallait qu'elle soit forte. Et du courage liquide, elle en avait encore un peu sous la main. Une goutte de son génépi des montagnes, qui lui brûla la gorge et jusque l'estomac, pour lui donner un peu de cœur au ventre.

La porte grinça. Augusta fit son apparition dans la pièce. "Il est l'heure. Ils vous attendent". Elle se leva donc, sans plus un mot, et passa un épais châle de laine autour de ses épaules. Il lui sembla que la traversée du couloir dura le temps d'un battement de paupières. Elle était là, dans l'antichambre. Il était là. Tout le monde était là. Même les deux gardes comtaux. Elle frissonna, malgré la petite flambée de la cheminée, et adressa un pauvre sourire à l'époux. Ils y étaient. Impossible à présent de reculer. Le premier jour du reste de leur vie.

_________________
Rozenn.
Non non, ne vous méprenez pas. C'est pas du tout elle la jeune mariée ! Certes la Boulette était mariée et on pouvait décemment considérer qu'elle était encore jeune. Mais ça n'a rien à voir avec la jeune mariée qui nous occupe aujourd'hui. Alors pourquoi est-elle là alors que c'est la fameuse jeune mariée que tout le monde attend de voir en chemise de nuit ? Ben figurez-vous que, du haut de ses vingt-trois ans, malgré une pudeur digne d'une gamine de cinq et un apprentissage somme toute fort tardif de ce qu'était la vie maritale, elle avait accepté de bénir le lit d'amour de son Konde et sa Princesse. En vrai, elle avait pas été foutue de dire non parce qu'elle pouvait presque rien lui refuser, et elle avait accepté sans trop réfléchir aux termes du contrat. Ce ne fut qu'en s'instruisant plus en avant sur ce rituel étrange qu'elle n'avait jamais fait qu'elle roula de grands yeux mêlant le choc, le dégoût et l'idée que la noblesse était vraiment un monde bizarre. Ma foi, quand on voit ce qu'ils font, ça donne pas tellement envie d'en savoir d'avantage vous allez me dire, et de fait elle était bien contente de s'être mariée avant de tomber dans la marmite. Son petit côté Sainte-Nitouche en aurait pris un sacré coup ! Pauvre Dédain. Pauvre Madeleine. Qu'est-ce que c'était que ce truc saugrenu ?! Est-ce qu'elle pouvait seulement apporter quelques aménagements à cette torture ? Nan parce que déjà que toucher Madeleine, Dédain il risquait de tomber dans les pommes... Alors faire ça devant tout le monde c'était même pas envisageable !

On ne peut plus investie dans sa tâche, elle compulsa un nombre particulièrement impressionnant de bouquins pour poursuivre et peaufiner son instruction. Elle aura jamais lu autant de livres depuis sa naissance, ça je vous le dis ! Quand elle était petite, elle se faisait toujours taper sur les doigts parce qu'elle préférait faire des dessins et manger des gâteaux plutôt que de travailler... Si sa mère la voyait, clostrophobiée entre toutes ces piles de manuscrits tous plus gros les uns que les autres, elle mourrait -de joie cette fois- une deuxième fois, sans nul doute ! Chaque information était recoupée avec d'autres qui relevaient du même sujet, et la probabilité d’occurrence de chaque action était calculée pour voir si elle était vraiment nécessaire à l'officialisation de cette bénédiction. Plus elle lisait, plus elle se disait que si on lui demandait vraiment de faire tout ce qui était écrit là, elle ne dormirait plus jamais. Ce qui peut s'avérer compliqué quand on est narcoleptique, mais passons ! Un soir, alors qu'elle était en train de piquer du nez en écrivant sa gratte -si vous pensiez qu'en plus de lire tout ça, elle allait apprendre par coeur, vous vous fourrez le doigt dans le nez, faut quand même pas abuser !-, au moment de s'éclater le nez sur son vélin elle releva rapidement la tête en se grattant énergiquement le haut du crâne, et tout ça en lâchant un "AAAAAAAAAARGH" en do majeur pour soprano.


-Y'en a marre ! T'façon j'fais comme j'veux ! Merd...credi !

Robert, par le hurlement alléché, ne tarda pas à pointer le bout de son gros nez, tout patois dehors :

-Beh Ma'me Rozenn qu'est-qu'vous zinez ! Z'awez vu l'yab ou ben !?

-Hein ? Qu'est-ce tu racontes ?
-Ren ren. Z'allez ben t'compte fé. Qu'est qu'on fargouille merquèrdi ?
-Hein ?
-Z'avez ben causé d'merquèrdi nan ?
-Ou-l'est peau d'zibi pi balai d'crin !
-Oh c'point mal ! Z'avez l'bel accent hé.
-Rha. Habil kanpora !
-Hein ?
-DEHOOOORS !!*

Ce n'était que pure coïncidence si ce fut un mercredi qu'elle se retrouva là à devoir inonder un lit princier de flotte bénite parce que deux gamins qui avaient l'âge de sa frangine allaient devoir passer à la vitesse supérieure, contraints par l'us et la coutume et surtout par la pression que tout le monde avait du leur mettre sur les épaules. Dieu qu'il ne faisait pas bon d'être trop haut dans la hiérarchie. Dieu ait pitié de ces deux petits corps frêles. Di... Nan. Gardons ça pour la bénédiction ! Sinon elle aurait l'impression de se répéter et elle y mettrait moins de conviction ! Presque pas en retard, et certainement pas bourrée -parce qu'elle s'était contrainte à rester sobre, y'avait pas de raisons pour que ces pauvres petits soient les seuls à souffrir aujourd'hui-, elle ramena enfin sa fraise après avoir parcouru quelques couloirs en trop. Il était bien trop grand cet hôtel ! Au moins aussi nerveuse que les époux face à cette situation qu'elle trouvait affreusement gênante, elle tenta néanmoins un sourire histoire de détendre un peu l'atmosphère. Puis son cerveau s'éteignit une demie seconde, avant de se rallumer avec le souvenir d'un mariage effectué avec brio devant la Reyne et le Primat. Ouais ! Alors c'est pas ce lit qui allait lui faire peur ! Cette fois le sourire fut plus franc, et la naturelle, fraîche et pimpante petite boulotte était dans la place.

-Bon alors figurez-vous qu'c'est ma première fois à moi aussi jeunes gens ! Alors stressons tous les trois ensemb' v'voulez bien ? Pour l'affaire qui vous occupe vous, sachez qu'même moi j'ai réussi ! Alors y'a point d'raison hein ? Pause. Mon Konde j'vais vous emprunté Pif et Paf. J'point voulu emm'ner mes garçons d'Eglise pour m'aider sur c'coup là... J'aim'rai conserver leurs chastes oreilles encore qu'ques années...

Pis comme Pif et Paf, eux, étaient irrécupérables de toute façon. Une grande inspiration et hop ! Elle entra dans l'antre de la bête. Dis comme ça ça fait peur je sais. C'est tout à fait volontaire. Comme elle l'avait précisé, elle mit les gardes comtaux à l'oeuvre, chargeant le premier de se promener avec l'encens dans toute la pièce avec pour ordre clair et précis de ne laisser aucune zone sans fumée. L'avantage avec plus idiot que soit, c'est que ça comprend pas que c'est pratiquement impossible d'enfumer à ce point une pièce avec de l'encens. Au moins il leur lâcherait la grappe pendant un bon moment ! Quant à l'autre, il se retrouva de corvée portage de bassine à hauteur de Rozenn. En d'autres termes pas très haut. Dans un sourire rassurant, elle invita Madeleine et Dédain à s'asseoir côte à côté sur le bord du lit. Elle sortit son bout de vélin de sa poche et scruta les instructions qu'elle y avait laissées.

-Ma Soeur, vous d'vez êt' à gauche. Fit-elle en indiquant le côté gauche. Nan mais. Comme si tout le monde était aussi nul qu'elle en géo. Tout le monde sait où se trouve la gauche !

La traduction du dialogue pour ceux qui s'intéressent au basque et à mon patois :
-Beh M'dame Rozenn qu'est-ce que vous faites ? Z'avez vu le diable ou bien ?
-Hein ? Qu'est-ce tu racontes ?
-Rien rien. Z'allez bien tout compte fait. Qu'est-ce qu'on fait mercredi ?
-Hein ?
-Z'avez bien parlé de mercredi nan ?
-T'occupes !
-Oh c'pas mal ! Z'avez un bel accent hé.
-Rha. Sors d'ici !
-Hein ?
-DEHOOOORS !!*
J'offre une glace à celui qui trouve où est le basque dans ce dialogue !

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Dedain
    Il se sentait prêt à étouffer dans cette antichambre surpeuplée où personne n’avait véritablement le souhait de se trouver présentement, lui le premier.
    Il se sentait à la merci de tous et de tout, percevant en les remparts emmurés de ses idées et pensées les plus saines les assauts indicibles et venimeux des pires calomnies et calamités du monde.
    Il se sentait comme pris dans un étau, à se faire le protagoniste privilégié de la plus éprouvée mission du jour et lui venait alors de bien sottes imprécations mentales, allant du modeste « tu l’as cherché mon coco » à l’affirmé « pourquoi me suis-je marié ? », en passant par le sobre « mais qu’est-ce que je fous là ? ».

    Alors, pendant que tous s’assemblent et se rassemblent et que l’Altesse vient se positionner à l’opposé de lui pour l’heure, le Comte du Béarn s’absorbe dans la contemplation passionnée des moulures délicates du plafond, observant les grains boisés, les doctes reliures, comme s’il s’agissait là des plus mystérieuses trames de la vie.
    Il part si loin dans ses analyses volages qu’il n’entend qu’à peine le discours réconfortant de la Boulette Basque se voulant rassurante et aimante à leur endroit, sa voix lui parvenant comme de lointains échos d’amitié en une soirée où le brouillard épaississait de sa chape de plomb tous les gestes et toutes les paroles consolantes. Tout au plus acquiesce-t-il mollement, mécaniquement, lorsqu’on demande à lui emprunter la garde de ses deux molosses décérébrés, qui feraient dès lors partie du processus de bénédiction. De quoi prendre du grade et monter quelques échelons vers la sainteté éprouvée largement par les vices de ses lascars.

    Aussi, quelques temps plus tard, et à la suite de l’officiante, Deswaard pénétrera à son tour dans LA chambre, se trainant lentement, jaugeant de son minois qui gesticule frénétiquement dans tous les sens cette pièce agréablement agencée. Là, il prend retraite près de l’âtre ronflant afin de laisser place à Pif et son encensier, effectuant dévotement d’innombrables allers-retours.

    L’Hivernal, lui, se cuit la couenne, le râble et se croustille la marmoréenne enveloppe charnelle, minois fermé, les obsidiennes contemplant grandement le vide, perdues. Puis Rozenn appelle et souhaite à les placer. Il s’avance donc, touche machinalement du bout de la dextre le rebord du matelas emplumé, comme pour tester sa résistance, et y dépose finalement son altier petit fessier. Là, il tourne un peu la tête à gauche et OH BORDEL ! il tressaute, étonné, désemparé, surpris, pétrifié, stupéfié, déconcerté, troublé, désorienté.


    Mais…Que faites-vous… ?

    Que faites-vous là, Votre Altesse Royale ?
    Bonne question, Dédichou. Mais tu ferais bien de reconnecter rapidement tes neurones et songer mieux à la situation, car si tu as eu l’heur d’oublier carrément jusqu’à la présence de ta neuve épouse au point qu’elle te surprenne à ce point au moment où tu la jauges à ton côté sur la couche nuptiale, il n’en reste pas moins qu’elle est ta femme, désormais, et qu’il va te falloir l’honorer bien.
    En avant Guingamp ! (Kassdédi)

    Rictus aux lippes, émergeant des nappes de fumées qui enserraient encore à l’instant son doux cerveau, le Comte tressaille légèrement, observe Rozenn en face de lui, interdit, puis se met à nouveau à contempler la pièce, cherchant une diversion potable à son étourderie.
    Et là, le drame.


    Mais…Où est mon cognac ? J’avais instamment ordonné qu’on me fasse porter du cognac.

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Madeleine_df
Le sourire se perd dans l'indifférence. Il ne la regarde pas. La fuit, plutôt qu'autre chose, elle ne croit pas que ce soit chez l'époux de l'impolitesse. Non, simplement une manœuvre de sauvegarde, une façon de lui cacher l'évidence même : Il a aussi peur qu'elle. Et de quoi encore ? Quelque chose d'indicible lui vrillait l'estomac et lui froissait le coeur. N'était-ce qu cette nuit ? Ou l'idée de passer le reste de son existence au côté de cet autre inconnu ?

Rozenn parlait, et Madeleine l'entendait sans l'écouter vraiment. Ses yeux se posèrent sur leur diaconesse, et elle se dit qu'elle était une sorte de petite fée joufflue, venue bénir leur union à coup de vœux pieux et d'encensoir magique. Avec Pif et Paf en sémillants sidekicks, ne manquait plus qu'une chanson pleine de bons sentiments et ils pourraient vivre (mal)heureux pour toujours, après cette nuit qu'aucun conte ne décrirait jamais.

D'ailleurs, qu'importe ce qu'il en résulterait, elle décida d'avance de la mettre à l'index du récit de sa vie, pressentant sans doute douloureusement l'issue de la chose. Non par manque de foi en Dédain et en ses viriles capacités. Les mots de Maximilien tourbillonnaient dans sa tête, et s'y mélangeaient si bien qu'elle ne savait vraiment plus que faire ou que ne pas faire, sinon s'en remettre à la sagesse maternelle : S'allonger sur le dos et attendre que ça passe. Quel paradoxe, dans la bouche de l'Amante de France !

Elle obéit aux instructions de Rozenn, se plaçant à la gauche indiquée, et observant Dédain en faire de même face à elle. Lestement, elle grimpa sur le haut matelas, s'y assit, repliant ses jambes sous elle. Et puis soudainement, il sembla enfin se rendre compte de la présence de son épouse. Que faisait-elle ? Ce qu'on lui avait demandé de faire, pardi !


- Euh...

Désemparée, ce fut à son tour de fuir pour aller chercher le regard d'Urrugne. Elle avait fait quelque chose de travers, cela était certain. Peut-être ne devait-elle pas monter sur le lit ? Voulait-il qu'elle se dévêtisse entièrement ? Devant tout le monde ? Madeleine ne savait plus que penser, et elle sentait la tête lui tourner. Vapeurs d'encens, génépi ou peur se changeant doucement en panique, on aurait su choisir.

Et puis la délivrance.

Son cognac ? Elle ignorait qu'il voulait du cognac. Quelqu'un avait-il pensé à apporter du cognac ? La réponse était non, de toute évidence, après que ses yeux anxieux eurent examiné la surface des quelques meubles présents dans la pièce.


- Je... Euh...

Je prends mes jambes à mon cou.

En deux temps, trois mouvements, elle était hors de la pièce et la lourde porte de bois claquait derrière elle, moins fort néanmoins que son palpitant dans sa poitrine. Elle s'adossa un instant contre un mur, prise de tremblements nerveux. Que venait-elle de faire ?


- Madeleine. C'était bête et lâche.

Oui, qu'y pouvait-elle ? C'était l'instinct !
L'instinct de quoi ? L'instinct de s'effaroucher devant la première difficulté, ce n'était vraiment pas digne d'elle ni de qui elle était.


- On va chercher le cognac et on y retourne.

Et, pieds nus foulant lentement le sol de pierre, elle s'éloigne.
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Rozenn.
Concentrée qu'elle est la Boulette ! Très très, trèèèèès concentrée ! Le regard droit, le sourire vissé sur le bout des lèvres parce que de toute façon elle peut pas s'en débarrasser, et le cerveau en mode "Réquisition de tous les neurones disponibles ! Vous êtes appelés sur le pont d'urgence !". Être de corvée pour une opération délicate, presque à coeur ouvert si jamais on osait imaginer qu'entre ces deux là il y avait ne serait-ce qu'une bribe d'amour, c'était beaucoup de pression ! Et il était pas question de faire un faux pas, de foirer cette cérémonie qui était une première pour elle, et nécessairement aussi pour les deux qui venaient de se poser sous son nez. Fait suffisamment rare pour être souligné, elle devenait de fait plus grande que deux personnes d'un coup, deux personnes qui n'étaient plus des enfants même s'ils étaient encore en pleine croissance. Ils avaient donc tous les deux pris place, alors elle commença à ouvrir la bouche, formant un beau et géométrique O prêt à dégainer son premier mot. Maiiis c'était sans compter sur la rapidité -ouais bon, on a du mal à croire que Dédain est vif, mais parfois ça lui arrive sisi- du marié qui, apparemment perplexe vis-a-vis de la tournure des événements, ne trouva rien de mieux à dire que "mais, qu'est-ce vous foutez là ? Dégagez de mon lit voyons ! Personne doit m'approcher à moins de 5 pieds, même pas vous !". Quoi ? J'exagère ? Même pas ! Je vous jure que c'est ça qui est écrit dans ses yeux si on les regarde de près et qu'on décrypte ce petit mouvement de pupille inquiet, annonçant presque un début de crise d'épilepsie. Cette panique deswaardienne se propagea jusqu'à la Boulette, comme si un flux de stress venait de rentrer par sa bouche grande ouverte ! Elle la referma d'ailleurs, tel un poisson qui remonte à la surface pour récupérer de l'oxygène d'une mer enmazoutée. Que faiiiire ? Comment sauver la situation ?! Ses neurones ayant tous été réquisitionnés pour le bon déroulement de la cérémonie, elle n'en avait plus aucun de disponible pour la résolution des problèmes !

Heureusement, ou pas, le Comte se décida a décanter lui même la situation. Hein ? Du cognac ? Mais ? Il buvait donc de l'alcool ?! Ou bien espérait-il se saouler avant d'entrer en action ? Il oserait quand même pas faire cette première fois complètement bourré nan ? Rhaaaaa ! Alerte, alerte ! Que tous les neurones pas encore fatigués retournent à leur position d'origine, ça s'aggrave là dehors ! Apparemment, une partie de sa matière grise était plutôt rapide, et elle eut donc la merveilleuse idée de remplacer le cognac par du patxaran. Elle ouvrit donc une nouvelle fois la bouche, histoire de proposer la bouteille qu'elle gardait dans son sac en guise de cognac de substitution mais... Maiiiis ! C'était sans compter sur un nouvel échec dans la prise de parole ! Parce que si Dédain était vif, Madelaine était ce qu'on appellera communément "Buzz l'éclair" dans quelques siècles. A peine assise qu'elle avait déjà disparu de la chambre ! Cette fois, sa bouche en O forma un O encore plus grand plutôt que de se refermer en gonflant les joues. La Boulette se frotta les yeux et cligna des paupière une fois ou deux, afin de confirmer la disparition subite de la Princesse et... Force fut de constater qu'elle ne nageait pas en plein délire : Madame Deswaard avait vraiment quitté le navire !!


-Mais mais mais ! C'pas dans l'script ça !

Ni une, ni deux, la voilà qui prend la poudre d'escampette à son tour. Une fois la porte passée, elle regarda à gauche, à droite. Ah. Ah ! Elle pencha instinctivement le nez vers son sac pour récupérer une pomme, un peu de sucre pour remettre son cerveau à l'endroit. Sa main tomba alors sur la bouteille qu'elle s'apprêtait à donner à son Konde pour remplacer le cognac. Certes, ça n'avait rien à voir parce que le patxaran c'est de la basanara macérée, un fruit qu'on trouve difficilement en dehors du Pays Basque, m'enfin bon, ça doit bien être aussi fort ! Alors le délicat petit palais de Dédain ne ferait probablement pas la différence. La voilà donc qui fait demi tour pour aller poser la bouteille sur la table de chevet avec un sourire assez bizarre, coincé entre le "vous inquiétez pas mon Konde, tout va bien se passer" et le "hinhinhin, je sais pas quoi faire en vrai".

-C'pas du cognac, mé ça fait l'même effet ! J'retrouve vot' épouse et on r'vient hein !

Gauche ? Droite ? Allez au pif ! Allons à droite ! Avec un peu de bol elle allait tomber dessus comme par zazar... Enfin y'avait pu qu'à l'espérer, sinon elle retrouverait jamais la chambre, avec son sens de l'orientation de type médiocre fois 1000. Comme d'habitude, elle courrait dans les couloirs -nous apprendrons plus tard que cette fâcheuse manie lui a causé quelques dommages d'ordre physique relativement graves-, à la recherche de la Princesse perdue. Après quelques minutes, ses neurones en manque de sucre purent néanmoins lui signifier qu'il serait intéressant de l'appeler, pour maximiser les chances de la retrouver, tandis ses neurones encore en pleine possession de leur intelligence -les rapides de tout à l'heure !- refusaient catégoriquement d'opter pour cette proposition, prétextant que la Princesse serait foutue de se planquer pour pas être retrouvée en voyant qu'on était en train de la chercher. Hum... Restons silencieuse dans ce cas, c'est peut être moins risqué d'écouter la partie la plus fraîche de son cerveau.
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Madeleine_df
Fort heureusement, elle n'était pas partie bien loin. Car après avoir une nouvelle fois considéré la possibilité de se barrer, en chemise de nuit, dans les rues de Paris, elle se dit que quitte à perdre sa virginité de façon plus ou moins tragique autant que ce soit avec son époux devant Dieu et les hommes. Pragmatisme à la Madeleine. Et à petits pas, pieds nus contre le sol de pierre, elle se faufila entre domestiques et invités endormis jusqu'au salon, car elle savait que s'y trouvait ce qu'elle cherchait. Et fébrilement, elle plaça la bouteille de cognac sur un plateau, y joignant trois godets (au cas où Dédain voudrait partager), et quant à elle, s'administra une bonne rasade de liqueur de pêche dispensatrice de courage. Puis elle serra à nouveau toutes ces carafes à clé dans leur dressoir, et s'emparant de son butin, se remit en marche.

Tout en cheminant vers la chambre, elle se fit, mi-amusée, mi-fataliste, une réflexion assez curieuse : Il semblait que Dédain et Maximilien partagent une commune passion pour le cognac. En effet, elle s'en souvenait fort bien, quand le von Frayner était venu quelques jours plus tôt, il n'avait pas voulu boire autre chose. Et là, à nouveau, c'était cette liqueur précise que son époux neuf réclamait. Coïncidence ? Elle n'y croyait qu'à moitié. Et se résolut de demander à Parrain ce qu'il en était pour lui, après quoi elle pourrait dire que tous les hommes de sa vie (en elle réunis !) s'étaient pris de passion pour ce breuvage.

La pensée qu'elle pouvait encore avoir ce genre de questionnement intérieur, à quelques minutes de l'instant fatal, la rasséréna un peu. Une demie-seconde, environ. Parce le désavantage d'en être sortie, de cette réflexion, est que maintenant elle repensait à nouveau pleinement à ce qui l'attendait. Au déplaisir manifeste qu'aurait son époux. Elle frissonna, et se remit à trainer des pieds, prenant même un détour absolument inutile histoire d'aller vérifier que sa petite soeur dormait bien.

Et c'est à ce moment là qu'elle tomba sur Rozenn. Bon. Là c'était loupé pour prendre la tangente en cas de remord de dernière minute. Damnit.


- Me... Ma Soeur ? Je suis ici... Allons-y.

Et sans l'attendre, elle reprit le chemin de la chambre. Plus elle approchait, plus elle se mettait à trembler, à tel point qu'en arrivant les verres semblaient danser la gigue et seul un miracle avait fait que l'un d'eux n'était pas encore tombé. Las, elle ne pouvait plus masquer sa nervosité. A pas tout petits, elle avança pour venir finalement poser le plateau au chevet de Dédain, sans oser poser le regard sur lui, honteuse de sa fuite.

Et sagement, retourna s'asseoir de son côté du lit.

La nuit allait être longue.

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Dedain
    L’abandon.
    L’abandon, c’est comme une petite mort. La compatibilité des insidieuses émotions s’explore en le subconscient de la perte espérée et le tombeau de la vie se craquelle sous les assauts larmoyants du vide et du néant. C’est comme une danse déplorable, une sarabande nuancée par la solitude, faite de dérobades, de reculades, de débandades. On s’enivre de son parfum, on étouffe sous sa moiteur, ses effluves privatives vous acculent et absorbe l’entrain. On crève de l’intérieur.

    L’abandon, c’est le déni.
    Pif et Paf, d’ailleurs, se figent, l’un encensoir en main, l’autre bassine d’eau d’onction extrême toujours au creux des bras. Le Deswaard, quant à lui, est statufié sur le rebord de la couche où on l’a laissé, les lèvres arrondies en un cri d’étonnement intérieur et mutique, digne de Munch, à la force si puissante que le monde ne peut plus même supporter de l’entendre.


    « Paf ?
    -
    - Pssst…Paf ?
    -
    - PAF !
    - Quoi ?
    - Elle est partie. T’as vu ?
    - J’sais bien.
    - La grosse Sœur sympatoche qu’a l’gras facile aussi.
    -
    - Paaaaaf !
    - Bordel ! Quoi ?
    - Mais elles peuvent pas être parties, si ?
    - Ben non.
    - Pourtant elles sont pu là.
    - Ben oui.
    - J’comprends pô.
    - Moi non pu.
    - C’pas possib. Elles étaient là un instant, pi pu là l’instant d’après. Genre volatilisée.
    - Comme des volatiles.
    - Des piafs, t’veux dire ?
    - Oh putaing… Révélation. « Piaf », c’est l’mélange de nos deux prénoms…
    -
    - Pif et Paf. Piaf.
    - GE-NI-AL. Quoique, ça fait un peu môme. Genre chanteuse à corbeau. Ou à colibri.
    - Mais c’pas mal. L’Comte pourra pu nous confondre, comme ça, à nous appeler ainsi.
    - Ouais mais y s’trompe jamais, lui.
    - Pas faux. Mais, pour Son Altesse ou Monseigneur la Diaconesse, ce s’rait pratique. Sauf qu’elles sont pu là.
    - Elles sont où ?
    - Pas là. Elles sont pas là.
    - Mais elles sont où ?
    - Bah elles vont r’venir, hein.
    - Et si elles r’viennent pas ? Et qu’elles l’abandonnent comme une loque malpropre ? Et qu’on doit l’récupérer à la p’tite cuillère d’or ? Regarde-le, le pôvre ! »


    L’abandon, c’est la colère.
    Pif, courroucé, gigote comme un fauve en cage perclus de parasites et tiquant des muscles par nervosité nerveuse alors que Paf, irascible, bougonne dans sa moustache proprette et soignée de frais, réfléchissant tous deux à cette triste éventualité qui les fait voir rouge cinabre. De l’autre côté de la pièce, un rictus mauvais trace les méandres de ses intentions sur le faciès marmoréen et naturellement lisse du Comte béarnais.


    « C’pas comme ça qu’ça devait s’passer, hein ? Y devaient conter fleurette, rougir comme des pivoines, sourire niaisement, tortiller leurs boucles autour d’leur doigt d’manière gênée, êtes maladroit au premier baiser, ...
    - On parle d’Sa Grandeur, là, Pif.
    - Ouais, bon, d’accord…Alors ils z’auraient juste été courtois l’un ‘vec l’autre et se seraient gentiment ignorés l’majorité du temps.
    - Il l’aurait surtout troussé comme un diable c’soir passke c’est c’qu’on attendait d’lui – c’qui ne lui aurait pas fait d’mal, d’ailleurs – pi on aurait eu la paix.
    - Paf !
    *Indignation* T’es qu’un sale porc d’puis qu’t’es obnubilé et frustré par l’duègne d’la Princesse.
    - Et toi t’es qu’un p’tit Rome Antique de pacotille d’puis qu’tu files le farpait amour avec ta Goulue.
    - En fait, t’es jaloux passk’avec la disparition de l’Altesse, t’verras pu l’poireau maudit d’Augusta qui t’rend si jouasse.
    - J’te conchie, Pif.
    - T’peux pas, j’suis dans mon jacuzzi.
    - Impossible, les frères Bim, Bam et Boum sont allo, quoi.
    - La rouetourne va tourner.
    - Kamoulox.
    - Aaaarg…T’as encore gagné.
    - L’jour où tu m’battras…
    *Blanc*
    - T’crois qu’on d’vrait essayer d’la ramener à grand coup d’pied au derche ?
    - C’t’une Princesse, Pif. »


    L’abandon, c’est la négociation. Celle du chantage, de l’expression des marchés les plus fantasques.
    Ainsi, Pif fait face à son comparse, désormais, et parle à grand renfort de gestes larges, parsemant le pavage de quelques cendres de l’encensier qui fuit, ainsi valdingué en tous sens. L’autre se penche d’avant en arrière, dangereusement, faisant craindre un tsunami via la bassine d’eau sanctifiée. Le Noldor, pour sa part, délibère avec la bouteille de patxaran fournie par la Boulette Basque, qu’il tient à sa vue, jaugeant le pour et le contre, entre déboucher à coup de dent le goulot et s’y absorber pleinement, ou conserver encore le peu d’intégrité qui lui reste à défendre.


    « T’crois qu’c’est d’not’faute si elle a fuit ?
    - Pourquoi ça s’rait à cause d’nous ?
    - J’sais pô. Parait qu’on est un peu balourd, parfois.
    - Mouais…on pourrait essayer d’aller s’escuser.
    - Genre sérénade, envolée lyrique, toussa ?
    - Preums pour être baryton.
    - Ah nan alors…on oublie la sérénade.
    - Si le Très-Haut pouvait nous aider, sur c’coup-ci, aussi.
    - J’promettrais d’arrêter de bailler aux corneilles d’vant les lavandières qui se penchent lascivement sur leur ouvrage, si ça peut aider not’Comte.
    - Moi, d’me cogner plus souvent sur son lectrin pour apprendre des mots z’intelligents et paraître moins bête d’vant l’Altesse.
    - Ah ouais ? Carrément ? Pfiou…T’as du courage, toi.
    - Y faut c’qui faut.
    - Y a pas, c’pour Sa Grandeur.
    *Blanc*
    - Quid de la moustache ?
    - Quoi, la moustache ?
    - T’crois pas qu’elles auront pu faire fuir la mignonne et qu’il faudrait les couper ?
    - Mais…
    - Bah ouais, elle a dû prendre peur, la pauvrette, d’vant la majesté de not’ poil, alors qu’elle doit être habituée aux mentons lisses d’ses minots parisiens.
    - Ah nan ! Jamais ! On ne touche pas à la moustache.
    - Bon, d’accord. Mais si le Très-Haut nous z’aide pas à la faire r’venir passk’on n’aura pas voulu s’raser not’ atout charme, ce s’ra d’ta faute ! »


    L’abandon, c’est la dépression.
    De fait, les deux gardes ont fini par atterrir ensemble sur le rebord d’un large coffre en bois, les barbiches penaudes, les prunelles simplettes et hagardes, leurs récipients serrés forts contre leur poitrail métallisé. Pris de torpeur et alangui, pour sa part, le Deswaard a délaissé la flasque basque en la libérant de son emprise, sans égard pour sa chute à même le sol, sans s’émouvoir du roulis réalisé par elle jusqu’à ce qu’elle se cogne contre le rebord du meuble le plus proche et s’immobilise là. L’Hivernal, lui, s’est enfoncé, au contraire, en les limbes gazeuses et fourragées de la couche, prenant appui contre le chevet en bois ouvragé, érigeant ses défenses face au monde en s’emmitouflant sous les couvertures de peau et les draps. Il est prostré, fermé à la vie.


    « C’est triste, quand même. Elle avait l’air si gentille.
    - Si douce.
    - Et jolie.
    - Brillante.
    - Gracieuse.
    - Et bonne.
    - Paaaaaf !
    *Indignation*
    - Quoi ?
    - T’peux pas dire ça !
    - Ben quoi ? C’est vrai, elle avait l’air d’faire l’bien.
    - Aaaaaaaaaah ! J’pensais que…
    - Que quoi ?
    - Nan laisse tomber.
    *Blanc*
    - Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah ! Sacré sacripant ! Mais vrai qu’elle avait l’air « bonne » dans c’sens là aussi.
    - Paaaaaaaaaaaaf !
    - Ose m’dire qu’tu l’penses pas aussi !
    - Mais tais-toi donc ! On est censé être accablé, là.
    - Humpf.
    - Pôv’Comte.
    - L’allait enfin serrer sa première biche.
    - PAF !
    - Quoi à la fin ? C’est malheureux, comme s’tuation ! »


    L’abandon se clôture par l’acceptation.
    Paf a calé sous son bras la bassine et occupe sa main restante à flatter sa fière moustache, les traits lucides et le visage presque savant, alors que Pif se veut philosophe, bon camarade.
    Le noble marié, quant à lui, songe soudain aux aspects positifs d’une telle fuite en avant, d’un tel refus à l’engagement : parce que, à se dédouaner ainsi de son devoir par une radicale mesure, la fraiche épouse permet à tous d’ôter l’épine maritale du pied et, surtout, évite de faire subir à chacun l’épreuve effroyable de la nuit de noces.
    MERCI MADY !


    « Cela dit, c’pas plus mal.
    - Hum ?
    - Qu’le Comte puisse pas performer c’soir.
    - Ah ?
    - Bah oui. Moins d’concurrence.
    - J’te suis pas…
    - L’rareté du service offert crée l’demande, qui augmente par corrélation.
    - Pif ? T’vas bien ?
    - Du coup, concentration d’l’offre d’service dans les mains d’un plus p’tit nombre d’acteur.
    - Pif !
    - C’qui permet d’avoir un monopole sur l’marché.
    - PIIIIIIIIF !
    - Et d’avoir l’main-mise sur le flux.
    - J’y comprends rien.
    - En clair : à nous les donzelles en fleur.
    - Que…Quoi ?
    - Yep.
    - Punaise…Pif…T’es génial !
    - J’sais.
    - Vrai qu’l’Comte aurait fait d’la concurrence s’il avait découvert les plaisirs d’la couche. J’sais pas par contre quelle clientèle y toucherait.
    - C’doit intéresser, les bambins torturés, morbides et maussades.
    - Pi l’est riche.
    - Et classe.
    - Et sobre.
    - En clair, un adversaire de taille. Nous, on n’aurait pu fait l’poids.
    - Tu l’as dit.
    - Vivement qu’elle soit partie loin, alors, la Firenze.
    - Et quelle ne revienne jamais.
    - Bon débarras. »


    Pas de chance pour les deux gardes.
    Trente secondes plus tard, l’altière fuyarde revint, tête rentrée dans les épaules, si fragile et honteuse, sans pour autant réussir à attendrir les lascars pleinement écœurés de la voir de retour, les pauvres voyant déjà les tombereaux de vierges promises qu’ils s’étaient imaginés partir en fumée par le deswaardien come-back.
    Dédain, lui, s’était redressé sur la literie, plis aux lèvres pincées, les poings fermés en deux rocs insolubles au-dessus des couvertures. Il suivit dès lors l’entrée pleine d’humilité de la revenante de ses obsidiennes embrasées par les abymes, jusqu’à ce qu’elle reprenne place à ses côtés après avoir déposé son plateau aviné.
    De maux, rien ne sera dit.


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Rozenn.
Silencieuse et attentive au moindre bruit suspect, la Boulette déambule dans ces sinistres couloirs particulièrement inconnus. Qu'est-ce qu'elle donnerait pas pour se retrouver à Urrugne là tout de suite ! Déjà parce qu'Urrugne c'est chez les basques alors y'a forcément moins de parisiens au pied carré -mais nan, pas les parisiens aux pieds carrés, c'est une unité de mesure voyons !-. Ensuite parce que les couloirs du château sont beaucoup plus adaptés à son sens de l'orientation laissant clairement à désirer. Quoi ? Comment on adapte les couloirs à ce genre de pathologie ? Ben venez visiter Urrugne et vous saurez hinhnhin ! Et donc, malgré toute cette attention à l'adresse spécifique et unique de la princesse, alors que ça sentait plutôt bon et que son flair l'attirait clairement dans la direction des cuisines, ben impossible de tomber sur une rouquine en détresse ! dieu pourquoi fallait-il que sa chance légendaire (hahaha) l'abandonne aujourd'hui même, dans un moment si critique ? Elle avait absolument besoin de la princesse pour poursuivre son oeuvre et espérer rentrer chez elle pour roupiller !

Hé bah croyez le ou pas, mais à l'instant même où elle se voyait passer sa nuit à désespérément chercher une Madeleine dans ce labyrinthe, elle tombe nez à nez avec elle. Vu la gueule crispée de sa Kondesa -bah ouais, l'épouse de son Konde devient forcément sa Kondesa- c'était pas le moment de faire un grand sourire radieux en s'exclamant comme si de rien n'était "Oh Votre Altesse ! Vous ici ! Justement je vous cherchais !". Nan nan nan, définitivement nan. Alors elle termine son périple initiatique de la bénédiction nuptiale tout aussi silencieusement qu'elle avait commencé, suivant l'altesse comme un petit poussin suivrait une poule. Ouais, je viens de comparer la Princesse à une poule... Je suis aussi perplexe que vous... Surtout parce que j'ai aussi comparé Roz à un poussin... Corpulenciellement parlant, ce serait plutôt Rozenn le gros poulet et Madeleine le petit poussin...

Hein ? Quoi ? Elle est déjà assise sur le lit ? Mais kossékissépassé ?!!!
*T'as qu'à suivre au lieu d'faire l'andouille ! Narrateur incompétent !*
Hey !
(Je plussoie. T'es incompétent.)
Mais !
*Y'a point d'mais. Allez allez !*
Ça va, ça va !

Bien ! Tout semble donc rentré dans l'ordre ! Madeleine est assise, Dédain est assis. Ils sont tous les deux tendus comme un str... la corde d'un arc !! Oui oui la corde d'un arc c'est ce que je voulais dire ! Pif et Paf ont également repris leur poste, alors y'a pu qu'à lancer les hostilités maintenant. La Boulette s'inspire une dernière fois de ses notes, prenant bien soin de se mettre dans le passage pour éviter toute nouvelle tentative de fuite. Elle avait aucune envie de visiter la totalité de l'hôtel ce soir, ni même jamais d'ailleurs. C'était pas chez elle ici après tout, alors elle avait pas besoin de connaître tous les recoins.


-Bon pas d'panique ! Tout est sous contrôle, tout va bien s'passer, personne va mourir, personne va être amputé d'un membre. Du moins pas si Madeleine ne s'attaque pas au...

*Hey ! Nan mé ça va pas d'penser à des trucs pareils !!! C'est encore des enfants j'te rappelle !*
(T'es en manque c'est ça ? Avoue.)
*Nan moi j'veux pas l'savoir, on a une bénédiction à faire les gars. Un peu d'sérieux merde !*
Oooh elle a dit merde !
(Tu parles d'une femme d'Eglise...)
*Rhaaaa laissez moi finir toute seule, z'êtes énervants !*
Cool !
(Pizza ?)
Pizza !
*Hein ? C'quoi ça pizza ?*
T'occupes, tu mourras avant que ça existe mouahaha.


-Donc oui ! Tout va bien aller y faut point vous inquiéter. Et faut surtout point écouter tous les conseils qui vous ont paru bizarre... Y'a pleins d'gens qu'ont du essayer d'vous expliquer c'qu'y allait s'passer aujourd'hui, 'vec des métaphores plus ou moins douteuses... Ben oubliez ça ! Y'a qu'le concret qui compte !

...
*Ah oui j'l'ai viré... Alors attend voir ! Maint'nant j'dois prendre de l'eau dans cette bassine bénite et arroser tout l'monde. Mais les pauvres, si j'les arrose y s'raient foutus d'tomber malade. J'vais finir en prison si on peut prouver qu'c'est ma faute si la princesse est malade ! Hum... Ouais ! Ouais on va faire comme ça ! J'vais leur faire une croix aristotélicienne chacun sur l'front. C'bien ça les croix... Nan ? Enfin à distance pour mon Konde, y faut pas l'toucher... Y va faire une syncope avant qu'ça commence sinan.*


-Très Haut ! Est-ce que v'pourriez, s'vous plaît, bénir d'tout vot' Amour c'lit nuptial ? Et les époux qui vont avec aussi ? Comme ça, grâce à Vous, y pourront vivre heureux d'avoir accompli vot' volonté, y pourront aussi vivre dans l'amour qu'vous finirez bien par leur offrir j'en suis sure. Et surtout ! Faites qu'ils vieillissent ensemble pendant pleins pleins d'jours et faites qu'ils aient aussi pleins d'enfants en bonne santé ! Amen !

*Alors maintenant j'dois arroser le lit... Boah si c'est qu'les draps j'peux nan ? Pis si j'en mets pas beaucoup ça va pas traverser et y s'ront pas mouillés ! Allez, on fait comme ça, c'pas mal.*

-Et maint'nant tout l'monde dehors pendant AU MOINS *oui j'insiste* QUINZE minutes. Ouais même vous deux là, Pif et Paf. V'restez d'vant la porte s'vous voulez, mais dehors !

*Est-ce que j'dois leur faire coucou en fermant la porte ? Ou un clin d'oeil ? Hum nan, vaut mieux rien faire et juste dégager tout le monde... Y sont assez mal à l'aise comme ça j'crois ! Mais bon, courage mon Konde, z'allez y'arriver ! J'foi en vous !*
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Madeleine_df
L'entrée se fait sans un mot de l'époux. Et refuser de le regardait laissait à Madeleine tout le loisir d'imaginer tout un panel d'expressions sur son faciès, de la colère à la franche déception en passant par la tristesse, et franchement, elle n'avait vraiment pas envie de voir ça. Elle continua donc de fixer un point indéfini pendant tout le temps qu'il fallut à Rozenn pour les bénir. Elle priait aussi, intérieurement, pour que les dernières minutes n'aient jamais existé, hélas c'était un vœu tout à fait impossible à réaliser, et elle en était donc rendue à espérer que son époux tout neuf ne lui en veuille pas trop. Ce qui semblait, dans sa tête, à peu près tout aussi improbable. Elle était foutue. Ce mariage était foutu avant même de commencer.

Elle ferma les yeux, et ramena ses genoux contre sa poitrine, les enserrant de ses bras. Ils étaient à présent bénis, et tout le monde évacuait la place. Quinze minutes qui lui paraissaient être cent ans (de solitude), et pourtant il faudrait bien que l'un fasse un geste vers l'autre pour que ce mariage puisse réellement commencer. Ne pas écouter les conseils... Ah elle en avait de bonnes la Roro ! Elle n'avait que cela à quoi se raccrocher, Mady, les conseils !

Aussi, quelques secondes après que l'huis se soit refermé, elle finit par se tourner vers le comte de Béarn. Et le regarda, pour la première fois depuis sa petite escapade. Il fallait dire quelque chose. Quoi ? N'importe quoi. Enfin non. Pas n'importe quoi-n'importe quoi. Si elle parlait du traitement des escarres elle risquait sans doute de lui donner envie de vomir et... Pourquoi diable pensait-elle aux escarres ?! Difficile à dire. Peut-être aurait-elle préféré penser à n'importe quoi plutôt qu'à ce qui était en train de se produire, hélas pour elle la réalité lui ramena bien vite les deux pieds sur terre. Alors donc ?

Briser la glace.

Elle se leva de nouveau, et contourna le lit. Pour aller se servir un verre de cognac. Et bien urbainement, lui demanda :


- Vous en voulez un ?

Elle prend une gorgée, et puis là, comme ça, sans prévenir, se jette à l'eau.

- Vous voulez que je garde ma chemise ? On m'a dit que certains hommes préfèrent que leur épouse soit nue.

Là, comme ça, c'est fait.
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Dedain
    Les femmes. Il avait l’impression de n’être qu’entouré de femmes. Depuis toujours, passant d’une solitude refroidie par la glace de l’hargneux éther, jusqu’à voyager dans les calmes limbes aux cavernes congelées de l’ennui. Son existence n’était qu’entrecoupée par l’acier voluptueux des prunelles des égéries haïes. Il traçait sa route sous le poids de ces reynes, le dos droit et la conscience troublée, jusqu’à cet instant.
    Jusqu’à ce lit.

    La bénédiction a lieu et la tendre officiante œuvre au mieux, oignant sans réserve ces draps et fourrures immaculés des plus pures intentions, telle l’attentionnée matrone aristotélicienne qu’elle est, telle la Madone rembourrée de chair et de bonté.
    Il la suit des yeux, de ces lames d’Enfer noir, vides d’instinct et de passion, clignotantes par réflexe pour se protéger des lueurs de la vie qui lui brûlent à chaque heure, à chaque instant, la rétine ténébreuse et fragile, l’acier suintant d’aigreur et de morosité.

    Le monde fuit, pour ne les laisser plus que tous les deux. Les époux indécis.
    Il voudrait oublier cette présence chaleureuse à ses côtés, faite de nerfs tendus, de tendons nerveux, de grâces inquiètes aux lubies redondantes.
    Car la voilà de nouveau debout, la jeune mariée ; il la sent partir, quitter le nid nuptial et s’envoler une seconde fois, lui qui conserve son minois tourné vers l’âtre au bout de la pièce, jetant ses pensées aux flammes de la détresse. Elle passe son champ de vision, le traverse de part en part en une petite tornade flamboyante, pour atterrir à ses côtés, de l’autre, à sa table de chevet, prête à se faire grand échanson du Seigneur son mari en lui servant bien loyalement sa boisson.

    Ce n’est qu’en récupérant sa coupe et après l’avoir vidé une première fois, d’un trait propre et net, ce n’est que quand il sent enfin la raideur de sa posture vaciller quelque peu sous l’assaut du liquoreux soutien, qu’il consent enfin à lever le nez, hisser son menton haut, pour jauger la craintive enfant de France de toute son impavide immobilité.


    Votre Altesse Royale me donne le tournis. Peut être pourriez-vous…revenir à cette place qui vous est dévolue, désormais.

    Alors, après lui avoir indiqué d’un infime mouvement du menton l’autre côté de la couche, il réfléchit à ce qu’elle lui demande, en prétextant devoir se resservir d’abord un deuxième verre du cognac commandé pour prendre le temps de la réponse. Non qu’il ne sache pas déjà ce qu’il veut ou ne veut pas, mais la gêne du moment l’invite surtout à rechercher contenance et à mesurer ses maux, qu’il déclame par un souffle grave.

    S’il vous plait.
    J’aimerais mieux que vous conserviez votre vêtement. Et, surtout…Je vous en prie…restez parfaitement immobile.

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Madeleine_df
Son Enfer à elle était pavé de regrets. A peine debout, elle avait regretté de s'être levée, et à peine la brûlure du cognac sentie dans sa gorge, regretté d'essayer de s'enivrer. Encore que, sur ce point, l'époux aurait sans doute des choses à lui apprendre, prenant en compte la vitesse à laquelle il avait vidé son propre verre, quand elle devait se contenter de micro-gorgées pour ne pas finir défigurée par une grimace. Elle ne tenait pas en place, non. L'angoisse qui lui vrillait l'estomac et contractait chacun des muscles de son corps. Lui disait qu'elle lui donnait le tournis, et l'invitait à regagner sa place. On y était, donc.

Elle rougit, murmura un « Désolée » et retourna de son côté du lit. Et cette fois elle finit par se glisser sous les couvertures, tremblante et comme prête à se briser en mille éclats. Heureusement, il prenait les choses en main, en dispensant ses instructions, claires, nettes, précises. Elle évita donc avec un soulagement certain de se dévêtir et de confronter son corps adolescent à l’œil de l'époux. La tête gisant sur un doux oreiller, elle observait ce plafond aux fissures inconnues, les bras le long du corps, roide, tentant de juguler sa respiration et les fols battements de son coeur.

Allons. Ce n'était pas si terrible. Personne n'en était mort, de cette première nuit. Et de fait, Madeleine ne craignait aucunement la douleur, mais de faire un faux pas. Que le fil ne veuille pas rentrer dans le chas de l'aiguille, comme lui avait dit Maximilien, que d'une façon ou d'une autre elle déplaise à l'époux neuf et qu'il ne trouve pas dans son corps ou son comportement la motivation nécessaire à accomplir son devoir. Et « pas de motivation, pas d'érec... »

Mais bon. Le reste des conseils, ça avait été de l'encourager, de feindre de brûler qu'il la possède toute entière. Elle tourna la tête. Regarda Dédain. Et quelque chose dans sa tête s'alluma, ce quelque chose qui disait : « Mauvaise idée. » Elle aurait pu, en imitant les manières de quelques femmes croisées en taverne ou au Louvre, minauder, lui laisser penser que, mais non. Déjà parce que toucher le comte avait toujours été la pire idée du monde, quant à prétendre qu'elle brûlait d'envie de perdre sa virginité, ç'aurait été bien trop peu crédible pour qu'il gobe une énormité pareille.

Alors simplement elle sourit, un petit sourire timide qui ne parvint même pas à masquer toutes les fêlures de son esprit. Timide, mais résolu, presque confiant.


- Je suis prête.

Elle s'en remettait maintenant à lui, exécutant ses volontés s'il y en avait. C'était sans doute la meilleure approche, la meilleure chose à faire. A tout le moins, elle en était persuadée.
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Dedain
    Aussi vite qu’il avait bu le premier verre de cognac d’une traite rondement ingurgitée, il s’occupait pour le présent à siroter le temps d’une éternité la petite soeur, laissant imprimer à ses amygdales les brulures vivifiantes, accordant au liquoreux agrément le soin de réconforter jusqu’à l’intérieur même de sa carcasse, alors qu’il s’égarait par le même temps à songer à se verser pour la suite l’autre frangine, la mère (non, pas la mère, Seigneur !), le père, la cousine et l’oncle germain. Toute la famille eau-de-vie, en somme, qu’il se voyait bien accueillir en la vacuité de ses intestins pour à tout le moins y danser la gigue et se sentir de meilleur entrain.
    Finalement, d’une grimace sévère rehaussant l’altier menton, le Noldor rejette l’idée en une ferme intention, tout en portant à ses lippes bleues la dernière gorgée de consolation alcoolisée pour en soutirer une énième dose de courage en vue d’enfin aborder l’ouvrage qui l’attend en cette soirée.

    Il la sait là, juste ici, patiente et – que le Très-Haut soit loué – finalement immobile, allongée à son côté, dispensant une bien maigre chaleur tétanisée au berceau marital, s’alliant à l’extrême à l’odeur suave de myrrhe tenace collant poisseusement à l’atmosphère. Elle est prête, dit-elle d’une voix faussement déterminée. Elle lui semble si proche et pourtant si loin dans ce grand lit. C’est bien. Lui ne parait pas l’être, prêt, et conserve son visage sévèrement indécis, tourné toujours vers l’âtre et ses méandres enflammés, ses pensées retranchées loin. Il tâtonne mollement la duveteuse soierie du couchage de la main, comme pour préchauffer le prochain exercice et s’emplir déjà la cervelle ralentie des futurs mouvements à amorcer. Il conserve à l’esprit, tout de même, l’intégralité des lettres instructives de la ribaude qui l’a initié épistolairement, dont les maux ont été appris et gravés, à défaut d’avoir été pratiqués expressément.

    Méthodiquement, enfin, il procède.
    Lentement, finalement, il se met en branle.
    Hinhin.

    Il faut, déjà, réduire à néant l’immensité de la distance qui les sépare et le Deswaard, pour se faire, se guide doctement de la dextre lancée à l’avant-garde, en éclaireur, qu’il arrête aux abords de la royale épaule. Le corps suit de près, graduellement, et il semble lourd à déplacer, gourd et l’effort lui coupe déjà le souffle, que l’Amphisbène au sang froid se force à retrouver. Pendant la manœuvre, il n’a cessé de projeter ses obsidiennes aux dévoreuses flammes et il consent enfin à abandonner leur attrait certain, leur sarabande furieuse, leur tumulte serein, pour porter le regard abyssal sur les charmes innocents de sa femme.
    Elle sourit, l’angélique enfant. Timide, prude et sage.
    Il s’abîme sobrement d’un rictus, lui.


    Je vais…me rapprocher.

    Quêtant un assentiment quelconque, il prend savamment la mesure de la suite à donner, pour finir par entrouvrir les draps afin de mieux s’offrir le passage jusqu’à la pleine proximité de l’épouse. Là, il inspire une dernière fois tout l’air empuanti d’acre encens qu’il peut, à s’en faire souffrir les poumons brutalement oxygénés de poussière, jusqu’à basculer interminablement, minutieusement.
    Les mains aboutissent en deux poings solides de part et d’autre de Madeleine, les genoux plantés parallèlement, octroyant à l’ossature délicate de la jeune mariée, en guise de bouclier contre le monde, un cocon de chair humaine et pâle. Faiblarde et guindée.

    Alerte.
    Le Béarn est sur le Dauphiné.
    Je répète, le Béarn est sur le Dauphiné.

    Il s’en tient éloigné de toute l’ampleur de ses bras tendus, pourtant, retenant le poids de sa vie pour ne pas l’écraser brutalement sur cette créature tendre et qui lui semble bien fragile, ainsi à sa merci.

    Et, après quelques flottements et battements confus - figé qu’il est à jauger ce minois joliment clairsemé de mouchetures harmonieuses - quand vient le moment de céder à la pression contenue par un relâchement de la respiration bloquée, l’Hivernal abandonne un peu de la rigidité de sa posture pour approcher progressivement son visage marmoréen, cerclé de l’or fin de mèches volages et tombantes, de celui de la neuve mariée.
    A son cou, il viendra souffler doucement et s’abreuver en retour de l’olfactif parfum féminin qu’il découvre mieux.

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Madeleine_df
Rester immobile, oui. Mais enfreignant déjà le commandement, la jeune mariée s'autorisa à opiner doucement du chef quand il lui signifia qu'il allait se rapprocher. Car enfin, il ne voulait tout de même pas qu'elle soit d'une rigidité cadavérique, et l'esprit encore naïf et pétri d'innocence de la princesse ne pouvait même pas à ce moment là envisager qu'on puisse avoir envie de forniquer avec autre chose qu'une personne du sexe opposé, vivante, et d'une tranche d'âge similaire. Après quoi elle rencontrerait Nathan, Maurice, Andrea et les autres, et c'est là que les choses se compliqueraient.

Pour l'heure donc elle opine, et laisse l'époux la rejoindre à son rythme, devinant à peine les trésors de courage qu'il devait déployer en cet instant. Attentiste et attentive, elle le laissa entrouvrir les draps, se glisser lentement tout près d'elle, si près qu'à quelques centimètres à peine elle le touchait, alors qu'il restait là, statufié au dessus d'elle à la contempler. L'éclairage était faible, mais elle parvenait tout de même à distinguer au travers de sa chemise ce corps maigre sur lequel elle n'osait porter la main. Dédain les os de verre, qu'on ne peut effleurer sans prendre le risque de le briser menu tout entier, à qui chaque caresse dérobe un morceau d'âme.

Elle ne savait que faire, que ne pas faire, et finalement c'est à cet instant presque reconnaissante qu'elle envisageait la directive maritale. Et pendant que son corps se gelait en l'attente d'un signe, son esprit lui voguait aux considérations matérielles. A savoir : S'il s'allongeait sur elle, comme il lui semblait qu'il fallait faire, alors leurs vêtements se trouveraient prisonniers entre eux comme dans une presse. Il faudrait tirer, ce ne serait pas beau, et déconcentrant, alors l'attentionnée épouse, les bras bien roides le long du corps, active seulement ses doigts, invisibles sous les couvertures, pour faire remonter le vêtement de drap le long de ses cuisses, tout en priant le ciel pour qu'il ne remarque pas, tout d'abord, ni ne s'offusque de sa désobéissance à son commandement.

Et puis enfin Dédain quitta son immobilisme pour se rapprocher, lentement, du corps tendu de sa femme. Son visage le premier. Elle ferma les yeux, croyant qu'il allait l'embrasser (et rien de plus ridicule, selon elle, que de se trouver face contre face à voir l'autre en plus-que-gros plan). Et en resta surprise quand elle sentit qu'il avait dévié de sa route, plus encore lorsqu'elle sentit la chaleur de son souffle au creux de son cou. Au froncement de sourcils initial succéda bien vite un frémissement et une brutale exhalaison par ses lèvres entrouvertes. Son cœur avait manqué un battement, et voilà qu'il s'emballait à présent ! Et sans qu'elle puisse y redire quoi que ce soit, elle sentit qu'imperceptiblement son cou se tendait, comme pour lui laisser plus de place encore. A vrai dire son corps tout entier semblait bouleversé par cet attouchement qui n'en était pas un, il lui sembla même que ses respirations se faisaient plus profondes et plus brèves à la fois, soulevant sa poitrine en de brefs soubresauts.

C'était une lutte contre elle-même qui débutait. Contre ces instincts qui la poussaient à tout, sauf à l'immobilisme. Ses doigts démangeaient, elle avait envie de prendre, de serrer même, de sentir aussi, le grain de sa chemise ou bien celui de sa peau, peu lui importait. Elle voulait glisser ses mains entre ses mèches blondes, le long de ces joues émaciées, de ces bras frêles ou de ce dos osseux, en un mot comme en cent, elle était déjà prise de ce besoin irrépressible de mettre son sens du toucher davantage encore à contribution. Mais elle ne le devait. Alors sagement, bras toujours le long du corps, elle glissa ses mains sous ses fesses, pour les sécuriser contre tout mouvement intempestif. Et rouvrit les yeux pour contempler le plafond, cherchant en pensée le concours de quelque saint qui lui permettrait de juguler ses pulsions.

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Dedain
    Le souffle s’égrène à la carotide tremblante, semblant toute frissonnante d’ainsi succomber aisément à l’assaut exhalé du deswaardien mouvement. Et, dans le même temps, l’agresseur flaire de près, sans encore la toucher, la princière chair, laiteuse, embaumant de frais ce message analytique que propage inconsciemment dans l’air toute jeune fille en fleur : « je suis à déniaiser ».
    Le décryptage du code d’éther métadonnée prendra pourtant une éternité au hackeur en herbe, néophyte savant, qui s’étonne et se surprend, jaugeant sous l’aquilin de son nez fin la voilure parfaite au nacre angélique de l’épiderme marital. La soierie veineuse semble être ourlée avec art, violence et fermeté, par l’anguleux d’une clavicule royalement établie, au triangle interdit et malveillant des Bermudes, dans lequel se perd et s’oublie l’aventureux observateur, sceptique et captivé.
    Absorbées un moment par ce creux de la vague où battent les plus terribles tempêtes, les prunelles du moussaillon au mal de mer s’écarquillent, sèchent et se dilatent, là où toujours les flots ininterrompus de la respiration vitale naissent, se propulsent et s’écrasent sur l’enveloppe ténue et fragile du cou de Madeleine. Comme rejetant la noyade, l’Insondable s’extirpe difficilement de son impartiale étude pour remonter le courant tumultueux de ces embruns éthérés, pour échouer à la proue de la mâchoire dessinée par la plus pure usure des vents d’océan.
    Le menton. On y revient toujours. Boussole à la mer. A lui seul indicateur d’apanage et de fierté.

    Et l’oreille du Deswaard, pendant tout ce temps, se fait attentive, quêtant la moindre réaction pour en tirer les plus foireuses conclusions, inévitablement.
    Là, n’est-ce pas la surprise terrifiée d’un hoquet, que l’on entend ? Puis la profondeur de la peur qui sourd de chacune de ces exhalaisons retenues. Ici, le tintamarre assourdissant du staccato hertzien ne peut traduire que la nausée du dégoût, battant le rythme en la cage thoracique de la mariée. Est-ce un gigotement ? Est-elle humide assez, déjà ? Tous ces signes sont-ils vraiment à interpréter positivement ? Dur. La suite. Il faut la mener à l’âtre, pour la sécher. Non. Idiot. Il faut l’en tenir éloignée. C’est la ribaude qui l’a dit. Ecrit. On reste dans le lit. Humide, humide, humide. On n’en bouge plus. Même pas pour se ravitailler en vin. Ah ! Cognac, comme tu manques déjà ! Comment supporte-t-elle cela. Un vent coulis à la nuque et c’est comme la mort qui aspire son dû. Et si elle est trop humide et qu’on se noie ? Hum ?
    Le Konde tressaille et rive ses obsidiennes à l’ancre cuivrée de ses comparses occupées à détailler pleinement les abysses du plafond.

    Oh Madeleine…Ne nous submerge pas.

    Armant toutefois tout son courage et sa froide volonté parmi son esprit embrumé et fiévreux de tant d’efforts, le Noldor se risque à l’abandon d’une main, la dextre, qu’il laisse fondre lentement vers la zone géographiquement identifiée comme permettant – avec le moins de danger possible – de relever méthodiquement la chainse de nuit : le haut du féminin cuissot. Ainsi avait-il prévu son coup (hinhinhin) et s’était-il longtemps exercé pour ce fatidique instant. La technique était désormais maîtrisée de lui. Il suffisait, par l’action combinée du pouce et de l’index, de pincer promptement le vêtement pour le soulever et y avoir toute emprise.
    Sauf qu’à défaut de vêtement – doctement rehaussé par la malice de l’agnelle pucelle – les doigts marmoréens et congelés se referment plutôt sur la couenne délicate et doucereuse de l’épousée en un pinçon virulent.

    Alerte.
    Le Béarn mutile le Lyonnais.
    Je répète. Le Béarn mutile le Lyonnais.

    Et le Béarn, ou du moins, son digne représentant, présentement saisi et stupéfié par le contact direct, de se rejeter un peu en arrière, blême.


    Mais...que..

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