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[RP] Relativement inoffensif

Hyacinthe.
Nœud entre Angers et La Flêche - 8 décembre 1464.


Le soleil est haut maintenant et vient frapper les paupières closes de Hyacinthe, qui va bien finir par les ouvrir. Il a été « fauché » la nuit dernière, comme ils disent. Sauf que les blés ça se fauche pas à coups d'épée, bande de brèles. C'est un journalier qui vous le dit. Et puis ils se sont acharnés les salauds, une bonne douzaine de soldats le souffle plein de haine à faire tournoyer les lames pour se dévider de leur sale merde de guerre. Dans le noir, c'est plus simple ; angevin ou ennemi, qu'est-ce qu'on s'en tape, on y voit comme dans le trou du cul d'une poule. Hyacinthe a pas compté les coups. La seule chose qu'il sait en ouvrant ses yeux impairs, c'est qu'il devrait être mort.

Depuis combien d'heures est-il resté allongé comme une fleur sur cette route de bataille ? Sa carcasse a été percée plus de trente fois, ça fait des trous un peu partout, plus ou moins ouverts, sans oublié le coup de bâton bienfaisant qu'il a reçu sur le crâne, celui qui lui a permis de s'évanouir avant la fin des festivités. Il fait froid. Hyacinthe déglutit prudemment et entrave doucement sa situation. Il fait soif. Il fait même très soif, vous auriez pu laisser une gourde d'eau pour les heures d'agonie, en admettant qu'on ait la force de la porter à ses lèvres. En parlant de ça, il tente une fois de se redresser, mais ses abdominaux sont portés disparus. Veuillez réitérer plus tard.

Mais plus tard, ça risque d'être compliqué. Donc je vais mourir comme ça, angevin sur une route angevine, après avoir servi de sac de frappe à une armée inconnue. Comme un con, en somme. Même pas une dernière gorgée d'eau. C'est tout bête.

Quand la douleur prend le pas, il ferme les yeux ; quand il veut penser à autre chose, il les rouvre sur un ciel cotonneux d'hiver où y a pas de nuages. Il s'accroche. C'est inutile, avec ce froid qui monte et la sécheresse dans sa gorge, mais, ça passe le temps.
Astana.
Entre les corps de ceux tombés trop tôt ou trop tard, Sørensen navigue au retentissement des gémissements et des sanglots. Tu parles d'un silence de mort, toi ; les prés ne sont jamais tranquilles après une bataille. À sa mise passablement défaite, aux mains rougies d'un sang autre que le sien, l'on devine qu'elle œuvre depuis un moment déjà. Chaque jour c'est la même rengaine, après avoir poussé sa propre chance plus loin et survécu aux assauts de la nuit, Blondeur se fait miséricordieuse dans les champs de coquelicots. Achevant ceux qui doivent l'être, récupérant parfois un ferrailleur oublié qui pourrait bien voir une nouvelle aube se lever. Sous le soleil de midi, et bien après le passage des pilleurs de refroidis, Astana n'est pas la seule à progresser parmi les dépouilles. Un peu partout, des silhouettes se dessinent et couvrent le terrain, tandis que d'autres, moins engagées, attendent près des charrettes qu'on leur dise quoi faire. Parfois, l'écho de rires gras lui parvient à l'esgourde, au sujet d'un pauvre gars à qui il manque la moitié de quelque chose ou qu'aurait crevé dans une drôle de position.

La guerre. On s'y fait.

La froidure ambiante lui arrache une quinte de toux surprise, qui lui fait stopper temporairement sa progression. À demi pliée, une main au plexus, l'autre appuyée au-dessus du genou foireux, Astana crache ses poumons, la grisaille rivée au sol. Sans doute la crise ne dure-t-elle que quelques secondes, qui paraissent pour autant affreusement longues. S'essuyant la bouche d'un revers de main, allant pour se déplier à nouveau, les châsses accrochent la fiole d'un macchabée glauque. Non pas que les autres soient agréables à mater, mais la danoise n'aime pas ceux qu'ont les yeux ouverts sur un monde qu'ils ne verront plus. Lui les a dépareillés, et cela ajoute encore au malaise. Eh quoi, t'as jamais vu un type aux yeux vairons ? Bah ouais, bah nan. Si ça se trouve, le côté cendré, trop clair, n'a jamais vu.

S'étant rapprochée de son flanc gauche troué à travers des haillons qui avaient dû être clairs dans le passé, la blonde lâche pour elle-même :


- « Puteborgne. Toi, t'as gagné le trophée du refroidi le plus laid du champ de bataille. »

On n'est jamais très sexy tout bardé de sang, de sombre et d'humeurs, il faut dire.
_________________
Hyacinthe.
Le bruit de sa propre respiration l'a longtemps bercé. Quelques rares piafs, sans doute pervers dans le fond, sont venus picorer autour de lui. Mais pas encore lui. Pas encore mort. Sans doute à cause de ce truc, chevillé à l'âme, difficilement décrottable, qui s'appelle l'instinct de survie.

Et puis, il entend quelque chose qui se rapproche et qui n'est pas un oiseau. Hyacinthe ne tourne pas la nuque au moment où ça tousse, parce qu'il ne faut pas regarder cet être humain-ci, porteur d'un espoir qui pourrait bien tourner au vinaigre. Il accroche le regard à son ciel sans pouvoir empêcher un souffle traumatique de s’accélérer alors que l'humain vient border son champ de vision.

L'humaine. On s'en fout.


« Puteborgne. Toi, t'as gagné le trophée du refroidi le plus laid du champ de bataille. »

Hyacinthe déglutit et tourne ce qu'il peut de tête pour regarder le soldat. Celui-ci n'a pas le regard des vaincus. Déjà, il tient debout tout seul, et c'est déjà beaucoup pour lui, qui est présentement une passoire, avec des jambes de passoire et des bras de passoire. La tronche peinte de terre et de sang, une rage ridicule dans les yeux, tellement impuissante qu'elle en devient goguenarde.

Tu crois que je fais dans le concours de bichons en temps normal ?

Ses mains voudraient coller une tarte au soldat mais elles agrippent des particules de terre, et dans l'une, un truc gluant qui est peut-être à lui, ou à un autre. Effort parfaitement inutile, suivi d'un redressement de nuque, parce que tu vois, je ne suis pas refroidi, les piafs bectent ailleurs. Il veut articuler un truc mais tousse. Sa cage thoracique n'aime pas ça. Il déglutit de nouveau, puis renifle, parce que ça serait bien que ses fluides lui permettent de répondre. Et, d'une voix rouillée de passoire à soldat :


« Va te faire fendre le cul. »
Astana.
Grimace large. C'est tout un faciès qui se froisse et qui blêmit, presque à faire pâlir les morts. Les vrais. Pas ceux qui gigotent assez pour tourner la tête vers vous. Peut-être siffle-t-elle entre ses dents pour marquer son agacement à s'être laissée avoir de la sorte, après avoir manqué un sursaut. Tu devrais avoir l'habitude des faux trépassés, Sa Blondeur, de ceux qui t’agrippent une cheville quand tu passes à côté, animés d'un spasme ultime, et des autres. Mais non. Même pour elle, c'est trop fourbe.

À peine le temps de calmer le palpitant qui s'est emballé qu'il va plus loin dans la représentation macabre, et cherche à causer. Elle voit bien, que ça lui démange et qu'il y arrive pas, même, il tousse - et pas que de l'air. Alors Sørensen patiente, pas certaine qu'il survive à la tentative. Tendre l'esgourde fait partie de l'ouvrage des miséricordieux. Certains survivent seulement pour qu'on les pardonne, pour vider leur sac ou qu'on leur dise que tout ira. Mais le vairon ne dit pas : « Aidez-moi », non, lui il dit : « Va te faire fendre le cul » comme un gars bien vivant. Comme s'ils étaient attablés dans un rade et qu'elle avait insulté sa mère. Après un énième moment de flottement, elle échappe un rire foireux dans son col tout en s'agenouillant.


- « Un macchabée avec de la répartie, on aura tout vu. »

Il y a cinq minutes, il était mort, maintenant il l'est un peu moins et n'a plus qu'un pied dans la tombe. À dextre, on passe la main sous sa nuque pour lui surélever légèrement la tête, sans brusquerie, tandis que les châsses font l'inventaire théorique des entailles qu'il doit avoir sur la carne - certaines suintent encore, d'autres semblent taries ; et qu'à gauche la main s'est saisie de sa gourde. Qui ne contient nulle eau, mais de l'alcool blanc, et qu'elle débouche entre ses dents, laissant retomber le bouchon sur le front du malheureux.

- « Buvez ça. »

Qu'elle balance en lui approchant la gourde des lèvres.

- « Vous n'en avez plus pour long. Tout ira b- »
_________________
Hyacinthe.
Parfois, on attrape une moitié de syllabe qui choit dans l'envol.

« b »

« b » comme Bernard ?
« b » comme Bordel, t'as vu ma gueule ou qu'est-ce qui se passe ?
Non, « b » comme bien.

Mais oui tout va bien.
Ça baigne.
Au poil meuf.
C'est l'extase.

Parfois la vie, c'est comme ça. Tu es en train de crever ta passoire par terre, et là une guerrière se radine, l'air de rien, cale sa patte sous ta nuque, te balance ses trucs sur le front, et là, elle te tend sa gourde et, pendant que ton corps recalcule les deux dernières pintes de sang qu'il lui reste, et que l'air est en train de jouer à cache-cache dans ton bide, elle te sort, très naturellement que tout ira bien.

Mais Hyacinthe est un homme poli, et alors que ses yeux hurlent un « Sérieux ? » en majuscules de feu grégeois, il prononce le dernier bout d'un merci. L'odeur de l'alcool dans le nez, il retend la nuque pour happer une gorgée mal calibrée mais tant désirée, en reprend une malheureuse seconde et fatalement, tousse. Pendant une bonne minute, chaque quinte le ramenant à sa condition de passoire.

Chaque sursaut de douleur ravive la colère d'être né dans un duché qui aime tant à guerroyer.


« Putain d'angevins. »
Astana.
Et alors ? Astana aussi est polie. Si. C'est possible. C'est être fort affable que de ne pas dire : « Hé, faut être cramé du bulbe pour se trimballer en haillons sur un champ de bataille, aussi. », à un demi-mort qui a dû sentir passer sa grosse bourde. La piétaille, d'habitude, arbore à minima haubert et surcot, histoire de pas crever trop connement et d'avoir une chance de passer la nuit. Alors quoi ? Tu t'es senti tellement en veine que t'as pas jugé bon de passer par la case équipement ? Si t'étais pas aussi sec, dessous les frusques tâchées, je te prendrais pour un type à hache. Parce que c'est bien leur genre, aux gars avec des haches, tout torturés qu'ils sont en-dedans, de se pointer en mode YOLO pour dégommer tout ce qui bouge et de se faire aligner. Non, de toute évidence la blonde ne dit pas tout ça. À la place, elle s'entend répondre :

- « De fieffées enflures. »

Lui, il a la rage chevillée au bide et au palpitant, c'est palpable dans ses intonations. Chez la danoise, nulle trace de hargne à l'égard de cette bande de buses dans la voix. Plutôt même un bout de sourire, à bien chercher. Sørensen et l'Anjou, longue histoire. Après lui avoir collé une troisième lampée dans le bec, qui a non seulement déclenché une nouvelle toux mais également touché la blonde en pleine poire ; et fatalement constaté que le zig n'a pas l'air de vouloir se laisser à calancher dans un fossé, elle beugle à l'adresse de deux clampins près d'une charrette :

- « Oy ! J'en ai un qui s'accroche à la vie ici ! »

    ***

Plus tard, le soleil est au plus bas. Changement de décor radical pour celui qui n'aura même pas assisté à son propre sauvetage, si ce n'est par bribes à demi-conscientes, bien vite retourné au pays des pommes. Plus tard, le soleil est au plus bas, et le grand navré du jour se trouve dans l'hospice de fortune du Lys. Autour, mélange âcre pour la narine de mort, d'humeurs, de plantes et d'encens. On l'a débarbouillé afin de faire le tri entre les entailles d'importance et les plus petites, et comme il a fallu lui tricoter le cuir dans l'urgence, on lui a sanglé le squelette au pieu après qu'il ait manqué de fendre le pif à un chirurgien parce que l'effet d'anesthésie s'étiolait, et que le gars avait eu un drôle de spasme.

S'il ouvre ses châsses dépareillées sur le monde, il trouvera celles de la blonde en vis-à-vis inversé, penchée qu'elle est au-dessus de sa tête, occupée à déterger sa plaie au crâne. Et madame s'agace à appliquer de l'onguent noirâtre tandis que les tifs ne cessent de gêner son ouvrage. L'esgourde entravera alors quelques mots lancés à la cantonade.


- « L'un de vous a-t-il une lame ? Je vais finir par lui raser tout ça. Ça m'emmerdera moins. »
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Hyacinthe.
Il va finir par les ouvrir, ses châsses. D'abord il entend des mots de loin, comme une percée dans le fil hallucinatoire qu'il suit depuis quelques heures. Une intervention divine peut-être.

« Alain Devoux a-t-il l'âme ? José... Joséphine... raser le ça. Ça m'emmerdera le moins. »

La bouche pâteuse, sèche comme si on lui avait raclé du gravier sur la langue, Hyacinthe se demande qui est Alain. Il n'a pas encore émergé, alors Alain Devoux est un possible tout à fait acceptable dans son esprit, si ça se trouve il est présentement attablé avec son pote Alain dans une taverne, son pote Alain Devoux oui, la bonhomie dans ses yeux et son beau bidon de pilier de comptoir ! Tiens Alain, t'es à sec, j'vais te resservir !

Le bras suit bêtement l'ordre du cerveau et rencontre la résistance des liens qui le rattachent au lit. Instinctivement, Hyacinthe tente de se relever dans une poussée générale de ses muscles. Son cœur s'emballe durant les quelques secondes de panique à l'idée d'être entravé. Les yeux sont ouverts mais ne regardent pas le soldat au-dessus de lui. Après quelques essais de levée qui auront eu pour seul effet de réveiller la douleur engourdie, Hyacinthe abandonne, cligne des yeux.

Le soldat au-dessus de lui s'est probablement reculé un peu. Il a déjà vu cette trogne, il ne connaît pas le nom. Il n'est toujours pas mort. Des bris de souvenirs reforment un schéma de la trame pourrie de sa dernière journée. Sa peau tiraille. Un truc froid sur le crâne. Et le visage du soldat. Fallait que ce soit le premier truc qu'il rencontre au réveil, heureusement qu'il a aucun philtre dans le bide. Le souffle s'apaise, vient le temps de la question, con, mais nécessaire :


« J'suis où ? »
_________________
Papadampadampadam...
Astana.
Elle a pris cher, la Belle au Bois Dormant, ni blonde ni belle, incomplète. Un peu plus, et elle aurait eu la tonsure des moines. C'est marrant, mais à le voir s'éveiller comme ça, à l'envers et tout couturé, on dirait qu'il a été assemblé par des zouaves pas trop regardants sur la qualité de leur ouvrage, à la va-vite, qu'auraient foutu deux yeux pas pareil faute d'en trouver de la même couleur. Pour l'expérience ou par flemmardise. Astana en revient aux châsses, toujours, parce qu'elles sont anormales et qu'elle a tendance à buter sur des détails qui n'intéressent qu'elle. Sans qu'il l'ait vu, Blondeur a relégué la lame à ses genoux, et réaffirme désormais sa prise en lui fichant la patte gauche sur la joue du même côté, de biais pour que les doigts forment un cache-œil de fortune sur le cendré et n'avoir plus affaire qu'au tourbeux.

- « Avec les gars qu'ont survécu. Bouge pas. »

Parce que j'en ai plein les doigts, de l'onguent noir, et que j'aimerais bien m'en débarrasser, tu vois. Comme elle finit de lui badigeonner le cuir chevelu du truc huileux, la danoise fait la causette pour le divertir. Elle lui raconte les foirades en chemin, parce qu'ils l'avaient fait tomber à cause du gars qui menait la danse qui s'était gaufré sur des boyaux, le coup du pif et du chirurgien, des liens et tout le toutim. La grisaille accroche parfois l’œil brun pour s'assurer qu'il suit, mais pas une fois il ne l'entendra aborder son état global. Parce que ça fait très rabat-joie de lui balancer à la tronche : « T'es sorti du bois mais il te reste la clairière et la rivière à traverser, et personne sait si t'auras la force de nager », et qu'elle est polie. Oui. En ayant terminé, elle se défait du surplus à l'aide d'un bout d'étoffe crasse.

- « Tu veux boire ? »
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Hyacinthe.
Par expérience, Hyacinthe sait que son anomalie peut déranger. S'il avait été né femme, il aurait peut-être fait moins de temps sur terre, mais l'ignominie pose plus prudemment sa signature sur les hommes. Le soldat cache l’œil gauche, sans doute pour rectifier cet affront à la normalité, pour que tout rentre dans un demi-ordre déjà plus rassurant. Il est possible qu'elle s'amuse à cacher l'autre par la suite, voir quel nouveau visage ça lui fait ; c'est un jeu auxquelles d'autres personnes se sont déjà adonnées. Mais elles commencent généralement par dissimuler le droit.

Le reflet qui vient d'en haut n'est pas moins étrange que le sien ; l'appel du vide pèse sur les traits livides du soldat, encadrés par des cheveux couleur de mort blanche. Tout à l'envers. Les yeux semblent osciller dans la lumière faiblissante, deux ocelles pâles sorties d'une histoire ancienne. Drôle d'animal, avec un unique œil-bouche planté au milieu du front, à peine entrouvert. Et lorsqu'il s'anime enfin, alors qu'Hyacinthe s'attend à en voir s'échapper une poussière beige et sépulcrale, en sortent juste, des mots. Une simple réponse à une simple question : il est avec ceux qui ne sont pas morts.

Hyacinthe ne retient pas le sens des phrases qui suivent. Le rythme des mots sert uniquement de soutien à la déduction qu'il tente de mener. Être avec les survivants, c'est déjà une chose, mais dans quel camp ? Son esprit confus ne parvient pas à récupérer les indices qu'il aurait pu glaner. Son œil libre tire les limites de son champ de vision pour tenter d'en chopper un dans la pièce. Le soldat ne porte pas de signe de reconnaissance. Aucun blason, aucun lys. L’œil cendré papillonne de concert, chatouillant la paume d'une main qui pourrait bien être ennemie. Tant qu'il est dans cet état, en admettant que ça s'améliore, il aura une excuse pour ne pas être causant.

Mais ensuite ?
Il papillonne cinq fois de suite en épelant mentalement le mot « merde ».


« Tu veux boire ? »
« De l'eau. »


Et rien qu'à l'idée, il ne pense plus au reste.

[...]

De longues goulées d'eau et un menton noyé plus tard :


« Les liens, c'est nécessaire ? Parce que même si j'étais votre prisonnier, là, j'me sens relativement inoffensif. »

_________________
Papadampadampadam...
Astana.
Tu le vois, le sourcil qui s'arque ? Parce qu'il fléchit bien haut, comme il faut, à l'entendre. Ce que les soldats à la ramasse peuvent raconter comme conneries, parfois. Dessoudés, à l'ouest, et sans repères qu'ils sont. Faut le temps que les idées se remettent en place dans la carafe, rien de grave. Finalement, la grisaille se lève vers le sommet de la tente en même temps qu'elle secoue la trogne et se poste à son flanc gauche.

- « Pourquoi on te garderait prisonnier ? T'es ni fuyard ni angevin. »

Mais bien sûr, ça coule de source. Les soudards du Lys ne s'amusent pas à maraver quelqu'un de la sorte. Ils ont trop de retenue pour ça.

Est-ce un tressaillement qu'elle a saisi à la volée ? Tout ténu. Elle fout ça sur le compte de la douleur et de la froidure, tout en lui fichant les deux mains à sénestre, sur le poignet. Les deux pinces n'en sont pas plus chaudes au contact, et comme il accuse un nouveau spasme, Blondeur se conforte dans sa pensée : il se les pèle. Astana, froide jusque sous les doigts.

Elle commence à délasser les liens du poignet, calmement et sans presser.


- « Juste une précaution pour pas que t'abîmes quelqu'un. »

Parce que t'es pas le seul à reprendre brusquement vie après qu'on l'ait piqué. Parfois, t'en a qui se croient encore sur le champ de bataille et qui sont encore en plein dans leurs cauchemars. Alors excuse-nous d'avoir pris nos précautions, quoi. Comme elle termine de libérer la première attache, passe les mains par-dessus la planche - et le corps - pour défaire l'autre. Bref examen de pied en cape et hochement de truffe du côté danois.

- « J'vais vous dégotter une couverture. »
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Hyacinthe.
Le mensonge, c'est mal, mais en temps de guerre et pour sa peau, c'est bien. Même en temps de paix, les hommes mentent tous les jours, rien qu'à eux-mêmes. Alors pour un bobard de plus... Même pas un bobard, juste le silence, et les frémissements d'angoisse que Hyacinthe s'applique à camoufler bien bien vite en grimaçant, parce que la douleur est une excuse parfaite.

Il hoche la tête pour la couverture, même si ça risque de piquer. Et avant que le soldat ne parte la chercher, il attrape son poignet dans un relevé de bras décidé, celui qui demande de la sincérité. Regarde-moi s'il te plaît.


« J'suis dans la merde, hein ? »

Non en fait, elle ne doit pas répondre, il ne veut pas l'entendre. (Il a d'ailleurs pas entravé le passage au vouvoiement, genre de détail que son esprit note puis fout dans un tiroir, pour le régurgiter bien après, souvent trop tard. Ah oui tiens.)

« Non, d... dis pas. J'suis dans la merde. »

Hyacinthe relâche l'étreinte, hoche à peine le crâne. Alors que le soldat s'éloigne pour aller chercher de quoi le couvrir, il invoque son instinct reptilien. De bonnes grosses invocations. Le soldat revenu prend les formes d'une louve aux gueules de lys. C'est la royauté qui te borde. Welcome to danger zone, pauvre angevin.
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Papadampadampadam...
Astana.
Quand elle se repointe avec sa couverture, le soleil a chu de l'autre côté de la terre pour faire place à la lune. La nuit tombe vite à cette période de l'année, et de voir l'écran noir au travers d'une ouverture la rappelle brusquement à ses obligations. Au-dehors, on se hâte pour faire de la lumière, on embrase des torches pour éviter de se gameler inutilement dans l'obscurité. Astana n'a ni graillé ni pioncé ne serais-ce qu'une heure, et commence doucement à sentir la fatigue peser sur ses épaules. Elle déplie la couverture d'un coup sec, à côté du pieu, qu'elle s'attèle après coup à lui remonter sur la carne en commençant par les pieds pour finir quelque part entre le torse et le menton. Ouais, ça gratte, je sais ; mais t'avais froid.

- « Accroche-toi. »

Qu'elle lui balance après l'avoir fixé, dans un œil puis l'autre, bien incapable d'arrêter son choix sur la cendre ou la boue, d'un ton se voulant un poil rassurant. Sans doute une patte s'est-elle avancée pour lui serrer l'épaule, et est retombée tout aussitôt, pour ne pas déclencher une salve de douleur inutile. C'est bien la royauté qui te borde mon gars, et cette royauté-ci ne sait pas cajoler sur la durée. L'instant d'après, l'intonation se fait plus formelle.

- « Ton nom et ton armée ? Personne n'est venu te réclamer. »

Y'a bien des gens qui se sont pointés, comme tous les jours pour chercher ceux dont on n'a pas vu le bout de la truffe depuis la veille, et ils ont hésité en zieutant ta carcasse raturée. Mais c'était jamais toi. Toi, t'es le fruit sur un étalage sur lequel la main passe avant d'opter pour son voisin, moins laid et plus brillant. Ni mignonne éplorée ni grand briscard à ton chevet qui auraient juré de venger ton honneur.
_________________
Hyacinthe.
Feindre l'amnésie ? Il y a tant de mémoires cassées qui marchent dans ce royaume. Un faux nom ? Dans une autre dimension, il en a sûrement donné un, mais la narration a fini par en douter ; ici, il n'est pas en état de l'inventer sans se trahir. La seule marche à suivre, c'est d'en donner le moins possible, et sans broder, garder le pied sur un fil de vérité. La seule chose à taire, en fait, c'est ton angevinité et ses indices.

« Je suis Hyacinthe, personne ne viendra. »

Ou si quelqu'un vient, frappez-moi encore trois fois sur le crâne pour me réveiller, parce que je serais dans un rêve foireux. D'ailleurs j'y suis peut-être déjà, et toi soldat, tu es réellement la bête ancienne. Et devant ça, je le sais parce que je l'ai lu, mieux vaut pas couillonner, parce que si je t'enfumes trop, tu risquerais d'ouvrir ta gueule de louve pour achever mes heures incertaines.

« Sans armée. J'ai pas ouvert le bon œil.»

Frissonnant sous la couverture, goûtant sans doute à un premier accès de fièvre, il observe le soldat. Ses trait flottent encore dans son délire. Ses tempes brûlent. C'est le début de la suée. Les cernes lui mangent le visage, quoique s'ils devaient faire un concours, la bête ancienne se tiendrait pas loin derrière. Tu vois, j'ai besoin de dormir, et toi aussi apparemment, tu devrais rentrer dans ta tanière.

« En somme, un fardeau. Mais les jours où je ne meurs pas, je peux me rendre utile. »
_________________
Papadampadampadam...
Astana.
Sørensen échappe un rire foireux dans son col, et répète :

- « Utile. »

Putain, mais c'est une vraie manie en ce moment. À croire que depuis son retour dans le giron familial, les gens n'ont que ce mot à la bouche, le borgne en premier. Maleus, lanceur de tendances since 1420. Urticant. C'est le mot. Tellement que ça irrite la blonde, qui élève une main pour se gratter la nuque, tout en considérant Hyacinthe sous sa couverture - qui doit se poser là en terme de démangeaisons également.

- « Passe déjà la nuit. On en recausera. »

Pas une seule considération pour le fait qu'il soit piéton suspect, ni rien d'autre. Astana bute sur des mots comme elle bute sur des couleurs d'yeux ; et fait le vide autour. Un temps. Après lui avoir collé le dos d'une main sur le front pour constater qu'il est déjà chaud, elle passera le relais à un gars pas plus qualifié qu'elle - mais dont la fonction première est de s'occuper des grands navrés dans son genre. La danoise ira grappiller quelques heures de sommeil dans sa tente, et finira par se réveiller peu avant la reprise des hostilités, avec une drôle d'arrière pensée :

« J'ai pas ouvert le bon œil », ça veut dire qu'il y en a un qu'est mort ? C'est le cendré ou le tourbeux ?

[...]

Lendemain, pleine après midi.

Astana a vu une nouvelle aube se lever, survivante parmi les survivants, au pays des siphonnés du ciboulot, et arbore sa gueule des mauvais jours. La main droite accrochée à l'épaule opposée, elle fait rouler cette dernière entre ses doigts, comme pour huiler des rouages un chouïa rouillés. Bleue est la peau en-dessous de l'habit sombre. D'un bleu qui vire au vert, qui n'a rien à voir avec le noirâtre de la fiole de Hyacinthe. Faute de chaise - les salauds -, elle se saisit d'un tabouret qu'elle cale dans son champ de vision avant d'y entrer tout à fait elle-même, version gros plan. Bonjour.


- « Hya-cin-the. C'est bien ton nom, n'est-ce pas ? »

Tu l'entends, le début d'orage dans la voix ?

- « Tu vois, Hyacinthe, j'ai eu le temps de réfléchir entre hier et aujourd'hui. Et j'me suis dit : c'est marrant, quand même, qu'il ait pas vu des centaines de personnes qui se tapent sur la gueule. T'avais peut-être pas ouvert le bon œil, mais de toute évidence, t'es pas sourd. Et encore, même un sourd aurait entendu le barouf' vu comme certains beuglent fort. T'aurais pu être détrousseur de cadavres, mais il était un peu tôt pour ça. Alors qu'est-ce que tu foutais là ? »

Les trois pieds du tabouret raclent la terre, vers l'arrière. La blonde se déplie.

- « Je te laisse une minute pour te mitonner une meilleure excuse que « j'ai pas ouvert le bon œil ». Si elle me convient, je laisse couler et t'auras à boire. Autrement, tu te démerderas avec la garde. Ils sont moins patients que moi. »
_________________
Hyacinthe.
Hyacinthe schlingue. Ça fait un jour qu'il prend un bain dans sa pisse, sa sueur et son sang, et d'autres trucs plus translucido-jaunâtres qui puent. Sérieux ça pue, bête ancienne, même moi je me dérange à mon propre groin. Mais pour l'instant l'idée d'un bain me glace les plaies d'avance, alors je vais rester dans mon suaire de fluides, mais toi tu devrais faire gaffe parce que vraim...

« Hya-cin-the. C'est bien ton nom, n'est-ce pas ? »

Hya... cin... oui, oui oui. Petit hochement de tête d’opiomane qui vient de comprendre qu'il allait devoir régler son tableau de dettes fissa. Le soldat a réfléchi depuis hier – se souvient-on réellement de ce que l'on a craché hier, d'ailleurs ? Elle sait que tu poireautais vers La Flèche avant d'aller faire le fifou sur les bords de Loire ? Parce que les carnets de douane, ils savent eux.

Le soldat se barre, et puis elle a l'air sérieuse. Une minute qu'elle a dit. Genre, pas deux. C'est maintenant, en fait, que tu passes à table. Il mordille sa lèvre fendue en fixant le plafond de cette tente, dont il commence à pouvoir identifier chaque tache. Tiens, il y a un peu de vent, ça chatouille les orteils. N'y songe pas, tu n'es pas foutu de les gratter toi-même.

Oh grandeuh Loireuh,
T'es toute mouillée,
C'est pas une gloireuh.

Oh belleuh Loireuh,
Près de ta bergeuh,
J'ramasse des poireuhs...

Et revoilà, la bête ancienne, qui ne pipe mot, car maintenant c'est à lui de parler. Un instant de flottement. C'est une forme de privilège de pouvoir fixer en face la dame qui va peut-être vous condamner à mort sur une moue. Et puis Hyacinthe lui dit, sans évoquer d'où il vient, il lui dit les bords de Loire qu'il a voulu longer la nuit d'avant, et comme il a dû s'en écarter parce que le passage devenait mauvais, les inconnus qu'il a vu passer quand il était planté dans un fossé, et ceux qui lui sont tombés dessus parce qu'ils avaient envie d'un truc à buter, sans doute pour se faire la main avant les festivités qui ont suivi, pas loin, c'est vrai, sauf qu'on l'avait déjà laissé pour mort et que, quand il a ouvert les yeux hier, il y croyait pas tellement non plus. Et oui, c'est bien con de sa part sans doute, mais parfois, on veut tenter le truc, voir si on passera entre les gouttes. Enfin les lames. Tu vois l'idée.

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Papadampadampadam...
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