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[RP] Fleurette

Aimbaud
Comme il voyait la Casas s'éloigner, le marquis se sentait rattrapé par une soudaine vigueur. Ses côtes étaient des barrières de chenil, derrières lesquelles aboyaient toutes sortes de convictions. Il respirait fort et se sentait rongé. Un compte-à-rebours sifflait dans ses oreilles. Bientôt, le battant allait se refermer. Bientôt, cette fille noire allait sortir de la pièce, quitter cette fête, et être gommée de sa vie, rabaissée à la condition de gribouille de moine pas sérieux, sur un beau palimpseste en construction. Il ne connaîtrait pas l'enfant qu'il lui avait fait. Il abandonnait tout espoir de la serrer une dernière fois dans ses bras. C'était passé. Elle était partie.

Une acceptation pragmatique prit place dans le regard d'Aimbaud, et il passa à autre chose. Il posa le plat de sa main sur l'épaisseur du drap qu'il avait ramassé, et ce contact moelleux lui fut agréable. Le froid piquait ses bajoues et son nez. Ses dents, même, étaient froides. Il observa Clichy et Saint-Jean, d'un air neutre et tranquille. Il leur trouva une mine sinistre ! Cela l'amusa, il eut un sourire bref. Or, tandis qu'il s'astreignait à sourire, le contenu de sa tête lui sembla brusquement lourd et douloureux, et une faiblesse presque immédiate lui descendit dans le crâne. Il se sentit comme asphyxié. C'était normal, au fond. Il avait oublié de respirer depuis près d'une minute. Imbécile. Abruti congénital.

Il poussa, pour remédier à ce mal, un profond et bruyant soupir, qui résonna dans la conversation comme la preuve affichée d'un ennui mortel, ou d'une grande exaspération. Ça n'était pas son intention. Il roula des yeux inquiets en direction de sa promise, en portant à son front une fourche de doigts préoccupés. Ces doigts trouvèrent là une peau moite et froide, où des cheveux noirs étaient venus se coller. Il ferma les yeux.

L'air glacé, dans ses poumons, passa un coup de frais sur ses idées. Mais aussi vite qu'il y entra, une peine immense, voguant sur cette brèche, l'inonda. Les boucles noires. Il se décomposa subitement. Ces mains brunes entre-ouvertes. Il décida de courir. Cette bouche amoureuse. Non, il serait plus futé de laisser quelque chose tomber du balcon. Ce ventre souple. Sa chevalière. Cette nuit. Non, plutôt ce drap. Elle était trop belle. Il fallait qu'il lui dise un mot. Ces cuisses. Prétexter qu'il avait fait tomber quelque chose pour se précipiter. La tenir une dernière fois. Il poussait le battant. Son parfum. Il courait la rattraper. Son contact. Il ne pouvait pas rester immobile. Comme ça.

Immobile. Comme ça, bêtement. Avec des cafards dans la tête. Qui le piquaient et le souillaient. Qui l'abrutissaient. Quelle honte, ces cafards. Ces cafards qui le grignotait de l'intérieur... Comme ils grignotaient tout le reste du groupe. Le groupe des types qui avaient oublié d'être à l'aise avec leur conscience. Ça faisait longtemps qu'il croyait les avoir cachés sous le tapis. Ils ressortaient. Ça l'attristait. Ça le tordait. Ça lui donnait envie de se taire, de se terrer là bien sagement, d'attendre que les choses rentrent sous le tapis. Faire quelque chose ? Non. Non non... Trop périlleux. Ça demandait du courage. Et ça risquait de faillir. Ça pouvait entacher sa réputation. Il fallait attendre. Attendre, dans l'immobilité. Ça le désolait. C'était sale et honteux... Mais c'était plus sûr.

C'était plus sûr.

Il fit mine d'observer les étoiles.

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