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[RP][NUIT]Vieille amitié ne craint pas la rouille*

Desiree.
La lanterne était allumée depuis un moment. La nuit tombe tôt à l'automne, et les bordiaux travaillent plus.
L'été est pour les moissons et les longues tablées d'amis. L'hiver, on se tient au chaud, chez soi, à la taverne ou entre les cuisses d'une putain.
Elle avait voulu réunir tout ce la au Boudoir des Sens, à nouveau, et elle s'y sentait chez elle.
Marceau avait eu l'idée des tables de jeux, et cela tombait fort bien, ainsi elle pourrait peut être apprendre enfin les échecs, si son invité avait la patience de les lui apprendre.

Elle avait passé un temps infini à choisir sa tenue du soir. Luxueuse et douillette, qui fasse assez maquerelle tout de même. Mauve, bien entendu. Puis elle avait brossé ses cheveux blonds si pâle que les cheveux blancs s'y rendaient invisibles, et avait renoncé à les natter, les laissant libres sur ses épaules. Libres de cacher la balafre, surtout.

Elle a fait son tour dans la salle, des filles sont au travail, d'autres attendent le client.

Elle, elle se sert un verre et s'en va s'installer dans fauteuil accueillant, dans un recoin non loin de la cheminée et des tables de jeu.
Et elle espère qu'il va venir.


*Proverbe français.
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©Linda Ravenscroft, création Atelier des Doigts d'Or.
Aimbaud
En passant par cette rue, le marquis, l'air quoi qu'irréprochable, éprouvait toujours quelque appréhension qu'on le vît et le reconnût. Il prenait garde de ne pas exhiber son blason en couture, ou patientait jusqu'à l'heure propice pour se draper d'un manteau de nuit. Ses yeux noirs, cernés, estampillés de pattes d'oie, s'agitaient dans ses moments-là comme s'ils avaient retrouvé toute la nervosité de leur jeunesse révolue, motivés par des craintes et des hontes toutes adolescentes. C'était bête. Il savait commander à bien des choses et des âmes, mais à sa mauvaise conscience, pas du tout.

Des boucles de métal cliquetèrent dans l'obscurité lorsqu'il descendit de cheval. La surface d'un écu refléta l'éclat de la lanterne du bordel, en passant de la main gantée d'Aimbaud, à celle d'un petit lad. Puis les coups habituels du heurtoir retentirent dans la ruelle. Des yeux apparurent par le petit encart du judas grillagé, au beau milieu de la lumière orange des bougies. Aimbaud eut un bref plissement des fossettes, qui ressemblait à un tic nerveux plus qu'à un sourire. On l'observa, puis la porte lui fut ouverte.


La chef-leu ?

Demanda-t'il, les sourcils haut, au supposé agent de renseignements.

Ah.

Fit-il en l'apercevant lui-même, assise là-bas derrière le pan d'un mur. Il passa le seuil de la maison-close, en se débarrassant tant de sa gêne, que de son couvre-chef. Son pas lourd fit grincer le plancher de la salle de jeux, et son large manteau de sinople aux tombants épais, flatta plusieurs chaises sur son passage, manquant de les renverser. Le temps n'avait pas atténué sa maladresse et, d'années en années, le plus gras volume qu'il occupait dans l'espace, ne l'aidait pas à s'améliorer.

Amie. Ma borgnesse. Comment allez-vous ?

Dit-il en se penchant sur Désirée pour lui embrasser les deux mains, réunies en une, avec un soin paternel.
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Dame Jeanne, ma plus fidèle compagne.
Desiree.



*
* *


Dire qu'elle était fébrile était un peu exagéré.
Vingt ans de métier lui avaient permis d'acquérir une certaine maîtrise d'elle même. Intérieurement, elle se permettait d'être vaguement anxieuse. Après tout, il lui fallait rendre des comptes ce soir, au sens littéral. Elle n'aimait pas devoir de l'argent. A personne. Mais à lui, encore moins. Il était particulier, cet ami là.
Trop d'un autre monde, trop ancien client-malgré-lui, trop sympathique, trop ce qui s'approche le plus d'un ami pour se permettre de laisser l'argent plomber la relation.

Donc elle était vaguement anxieuse à l'intérieur, mais à l'extérieur elle s'appliquait à être calme et aussi avenante qu'on puisse l'être quand on s'est fait écrabouiller la tronche par un cheval.
Elle sourit et poussa un petit soupir de soulagement en le voyant entrer. Elle ne l'avait pas vu depuis des mois – ou bien étaient-ce quelques années déjà ? - mais il n'avait guère changé. Il occupait à chaque fois un peut plus de volume dans les pièces, mais autrement, il était aussi gauche et touchant qu'à l'adolescence.


Je vais bien, Aimbaud. Et vous ?

Elle lui sourit, ravie de pouvoir, ici, se payer le luxe de l'appeler par son prénom. Elle ne devait pas être la seule à se faire la remarque, mais elle avait toujours goûté les sonorités de ce dernier. Un beau. L'oeil unique pétilla de plaisir, lorsqu'elle imagina le nombre de nobles demoiselles à roucouler « un-beau » en secret depuis une décennie ou deux. Puis elle indiqua d'un geste un siège tout proche.

Prenez place, je vous en prie.


Elle remua légèrement et une jeune femme se matérialisa près d'elle.

Mon petit, va me chercher aux cuisines la bouteille de vin ventrue le plateau de friandises qui se trouve à côté. Et des verres.

Des verres en verre, car rien n'est trop beau pour Aimbaud (ah ah ah ah).
Elle se cala dans son fauteuil et ajouta pour le marquis :


Du Nuits Saint Georges, ça ne vous ennuie pas ? Vous devez en boire très souvent, mais votre présence me donne toujours des envies de Bourgogne, comme un souvenir.


Un de ses meilleurs souvenirs, d'ailleurs, en tous cas concernant sa jeunesse de putain.
Elle lui sourit, ne se cachant pas pour l'observer et noter les détails de sa vesture, de son allure.


_____________
Aimbaud
M'ennuyer du Nuits Saint Georges... M'ennuierai-je jamais de respirer de l'air ? Ou de faire chaque nuit un bon somme. Servez, servez.

Les yeux du marquis s'étrécirent dans des plis rieurs tandis qu'il épousait, de toute son épaisseur, une chaise aux beaux accoudoirs. Son bras trouva naturellement place sur cet appui, et le dos de ses doigts brossa la frange de sa moustache avec contentement. Il leva les yeux vers son hôte pour l'observer plusieurs fois, avec un semblant de pudeur.

Vingt ans s'étaient écoulés depuis leur première rencontre, des plus marquantes. Il essaya de se la rappeler, jeune ribaude à la peau charnue et ferme, un peu dorée, dans cette chambre d'auberge dijonnaise.

De ce jour-là, des souvenirs fugaces, à la fois pénibles et inconcevables de plaisir, lui étaient restés profondément imprimés dans la mémoire. Le temps avait soufflé la plupart des images, mais deux ou trois d'entre elles, comme des peintures très nettes, étaient préservées. Si bien conservées, en vérité, qu'il en était presque troublé.

L'indécente jeune-fille avait laissé place à une patronne mûre. Le jouvenceau désorienté, à un gras et paisible marquis. Pourtant les maternels conseils que l'une prodiguait à l'autre, et le respect serviable que l'autre rendait à l'une - le tout sous-entendant toujours un transfert de monnaie, allant des poches de l'un à la cassette d'une autre - restait inchangé.


Je suis heureux de vous voir. Eh ma foi, je vais à merveille. J'épouse, le mois prochain, une jeune béarnaise en secondes noces. Il y aura des festivités, vous y viendrez ?

Les verres (en verre) arrivant, puis le vin cascadant en ruban, Aimbaud mena sa coupe contre celle de la maquerelle, relevant vers elle un regard sincère et complice.

Comment vont vos affaires ?

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Dame Jeanne, ma plus fidèle compagne.
Desiree.



*
* *


Elle huma le vin.
Ferma les yeux un instant, pour savourer le bouquet. Oh, elle aurait été bien incapable de dire si ce dernier sentait les fruits rouges, la banane, s'il était long ou rond. Mais il était bon. Et il sentait "chez elle".


Les affaires...

Après tout, le marquis avait raison. Autant commencer par ça, s'en débarrasser, et passer le reste de la soirée à bavarder. La famille, les enfants qui grandissent, tout ça tout ça.


Elles vont. C'est encore assez loin de ce que l'on a connu à l'apogée du Boudoir, mais enfin, ça progresse. Je vais pouvoir vous rendre ce soir une bonne partie de votre investissement.


Elle ménagea son effet, dans ses petits souliers. Enfin, elle était pieds nus, comme toujours dans son domaine, mais passons.


Deux tiers, à vrai dire, avec les intérêts. Mais je crains de devoir vous demander un délai supplémentaire pour le tiers manquant. Nous pouvons augmenter les intérêts si vous le souhaitez.


Elle se concentra très fort pour refouler la rougeur qui montait le long de son cou et menaçait d'embraser ses joues. Et pour mieux contrer le feu, elle planta son œil gris dans le regard du marquis. Deos, elle détestait devoir de l'argent, à la base. Mais à lui. Quel sentiment abject.
Elle plongea les lèvres dans son verre de vin, sans cesser de le regarder. Vingt ans qu'elle le connaissait. Diantre, vingt ans. Plus de la moitié de leurs vies. Elle n'avait personne dans sa vie qu'elle connaisse d'aussi longue date et qui soit toujours dans son entourage. Sauf Marceau, peut être.


Oh. Félicitations, pour le mariage.

Elle fit une pause, le dévisageant toujours, un sourire amusé naissant sur le visage.

Venir ? Cela ferait-il plaisir à votre épouse de croiser la pute borgne qui a ravi votre vertu de jeune homme, Aimbaud ?


Franchement, qu'avait-il pu lui passer par la tête ?
Il parlait souvent avant de réfléchir, mais là, tout de même...

L'aimez vous ?

Qui est-elle, quels sont ses titres, ça, peut importait après tout. Ce qu'il fallait surtout c'était que la jeune fille soit agréable pour le marquis et...

Ysilgonde l'apprécie-t-elle ?
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Aimbaud
Le doux alcool tapissa le palais du marquis, le réchauffa, l'embauma. Ses moustaches se froissèrent dans un heureux pincement. Il n'en fallait pas plus pour le rendre parfaitement content, et il sembla fondre dans les parois du fauteuil. Sa masse conséquente s'affaissa, ses bras s'amollirent sur les accoudoirs. Les paroles de la maquerelle, pourtant, tirèrent toute sa figure vers le haut, à commencer par le sourcil.

Amie, dit-il sévèrement. Vous m'humiliez à la fin. À l'heure de vous prêter cet argent, loin de moi était l'idée d'en tirer jamais du profit. Je sais m'accommoder du péché de combler vos dettes. Faire fructifier l'or, certainement pas. J'ai des travers, mais Dieu merci, pas le goût du lucre. Vous m'avez pris pour un huguenot ?

Il clôtura le sujet en avalant une grande lampée de vin, et en posant sa coupe sur la table, et sur ces mots :

Ne me rendez que ce qui fut à moi.

Puis il extirpa du siège, les bords grassouillets de son dos, pour avancer un peu, et s'en venir poser les deux mains sur les genoux de son hôte, avec une mine pénitente quoi qu'espiègle. Il l'observa un moment, renouant avec l'air de connivence qui les liait tout naturellement, dès qu'ils se trouvaient à l'abri des regards de la société. Nés sous des étoiles différentes, mais copains comme cochons.

Mais venez. La prière était douce. Venez. Omettre n'est pas mentir. Je sais combien ce sera difficile, pourtant vous saurez vous passer de raconter ce savoureux potin à la ronde.

Sa figure nourrie se fendit d'un sourire et il lui embrassa les genoux, dans une impulsion de joie.

Oui je l'aime bien. Je la connais peu, mais elle plaît à tous mes désirs. Et ma fille semble se plier à mon choix. Le temps fera le reste.
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Dame Jeanne, ma plus fidèle compagne.
Desiree.



*
* *


Elle balaya d'un haussement d'épaules les récriminations marquisales.
S'il lui plaisait de lui faire cadeau des intérêts, il lui plairait bien, à elle, de lui offrir un cadeau de la valeur équivalente, pour ses noces !

Elle lui sourit lorsqu'il s'avança. Il devait être le dernier homme à pouvoir la toucher sans lui inspirer de répulsion, ou de mouvement d'humeur.


Je viendrai, Aimbaud.


Les mains vinrent encadrer le visage rond, et elle se pencha, elle aussi, pour baiser son front quand il embrassait ses genoux. Puis les doigts agiles se posèrent sur la nuque mâle, dans un mouvement rendu réflexe par des années de pratique, et la massèrent délicatement.

Si elle plait à vos désirs, je ne peux que souhaiter qu'elle s'y plie, également.

Un sourire amusé vint tordre la balafre un instant, puis elle réalisa qu'elle maintenant son noble ami dans une position bien inconfortable. Elle fût tentée de l'ignorer, goûtant trop le plaisir de toucher une peau masculine, fût elle amie, mais elle finit par le libérer, rangeant sagement ses deux mains sur son jupon mauve.

Néanmoins les gens vont demander comment nous nous sommes rencontrés. Il faudra donc mentir, et si possible raconter la même histoire tous les deux, mon cher. Sinon, à défaut de putain, on me collera l'étiquette de maitresse quasi officielle, ce qui ne serait guère mieux, et qui franchement ne vous ferait pas honneur, le jour de vos noces.

Elle finit son verre de vin, le savourant assez lentement pour permettre à Aimbaud soit d'en faire autant, soit de réfléchir à un mensonge pas trop gros pour les couvrir tous les deux.
Elle s'empressa de les resservir, tout en jetant de brefs coups d'oeil vers son acolyte, puis se cala dans son siège, croisant une jambe par dessus l'autre, balançant la cheville nue, réfléchissant à son tour.


Sachant que le mieux est de rester au plus près de la réalité et de se contenter d'omettre en effet les détails dérangeants... Avez vous une idée ?


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Aimbaud
La lumière faible, dans la pièce, étrécissait les yeux myopes d'Aimbaud et lui donnaient l'air rieur. Il libéra sa tête de l'emprise de la maquerelle, soulagé de retrouver une position confortable. Il n'avait pas coutume de s'agenouiller si bas. Sa nuque grassouillette, au cuir épais, émit un craquement d'effort.

Eh bien...


Murmura-t'il à part lui, approchant de sa bouche le verre aux reflets olivâtres, dans lequel le vin paraissait noir. Son œil suivit la ronde d'une bulle au centre de ce petit étang de dive boisson. Il la creva, puis suça son doigt mouillé par la vinasse, et fit tourner sur elle-même la chevalière enserrant cet index, pensif.

Eh bien vous n'aurez qu'à dire aux curieux, que vous êtes commerçante. Et que votre commerce a débuté dans les bains publics, où nous avons eu l'heur de nous rencontrer. Tout ce qui est dit là est vérité, ou manque à peine de l'être.


Sur cette bonne trouvaille, il avala le contenu de son verre. L'air satisfait, il aspira la frange de sa moustache qui fatalement, lorsqu'il buvait comme un trou, restait mouillée de vin. La cheville blanche de Désirée flattait l'obscurité près de lui comme le pendule d'une horloge. Il la suivit des yeux, amusé. Le bon Nuit-Saint-Georges, descendu de sa bouteille, s'était invité dans son cœur, et l'enveloppait très paisiblement de son manteau de velours. Une torpeur gourmande l'étreignait.

Il était bien.

Chez Désirée, c'était comme chez une mère. Il n'était plus le marquis de Nemours, il n'avait plus de charge sur les épaules. Tout était fait pour concourir à son insouciance.


Que je suis bête de vous visiter si rarement.

Il fit ce constat en haussant les sourcils, lui-même surpris. Cependant, il tendait le bras entre eux-deux pour s'apercevoir que la bouteille était vide.
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Dame Jeanne, ma plus fidèle compagne.
Desiree.



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* *


Le bain n'était pas si public que cela, savez vous. J'étais presque seule, et fort lasse, mais je ne voulais pas vous rencontrer toute poussiéreuse.


Un fin sourire étira son visage, creusant une mignonne fossette d'un côté et une affreuse balafre de l'autre.


Mais baste, votre mensonge est presque honnête, il me convient fort bien. Et oui, vous êtes bien bête de m'oublier autant. Vous me manquez parfois !


Elle se leva, ayant constaté le vain geste du marquis vers la bouteille vide.


J'en ai d'autre aux cuisines, venez, voulez vous ? Nous allons en prendre une ou deux et monter à mon bureau. Nous y serons plus tranquilles pour discuter, je pourrais vous y rendre votre bien. Et les filles seront plus à leur aise si je ne suis pas tout le temps à les surveiller lorsqu'elles travaillent.

Elle guida donc son imposant ami entre les tables et les chaises, entre les divans et derrière les alcôves aux portes fermées, et aux sons étouffés.
La tête lui tournait un peu, et elle se promit d'être prudente, elle ne buvait jamais beaucoup et se demandait bien à quel moment elle avait pu finir son verre, le remplir et le finir à nouveau.


Je m'en suis un peu voulue, vous savez ?


Elle le précédait dans les escaliers, balançant très légèrement les hanches, pour faire s'enrouler les bas de son jupon autour de ses chevilles blanches. C'est admis, elle était donc assez pompette pour retrouver des réflexes oubliés.

Cet matin là, je veux dire. En vous abandonnant. Avec le curé cinglé. Même la princesse avait l'air de le trouver bizarre !

Elle poussa une porte, au dernier étage. Elle avait dit bureau ? Il s'agissait de ses appartements. On y trouvait effectivement un bureau, oui, près d'une fenêtre, pour y voir clair dans les livres de comptes. Mais aussi des coffres, une petite table, deux fauteuils, et son lit. Le tout décoré à son goût, luxueux mais sobre, chaleureux et douillet.


Installez vous, Aimbaud.

Elle fit un geste assez vague qui englobait toute la pièce, lui laissant libre choix du meuble qui accueillerait le noble séant. Elle était déjà occupée à raviver le feu dans la cheminée, et les braseros. L'âge venant, l'humidité s'installait dans ses os mal réparés et elle boiterait tout l'hiver, si elle ne se chauffait pas autant.

Etait-il vraiment aussi fou que ce qu'il laissait paraître ?
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Aimbaud
[*]

Sur leur passage, une palette de battants fermés et de rideaux tirés se succédèrent. On chuchotait dans certains coins, on riait à trois voix parfois, on agitait un meuble dans d'autres. La cuisine du Boudoir.

Sur le passage qui le menait aux cuisines, tandis que les mains habiles de Désirée empoignaient chacune d'une bouteille, les yeux du marquis, comme deux aimants, agrippaient les visages de quelques personnes. Il crut en reconnaître certaines mais ne s'y attarda pas longtemps, préférant ne pas se souvenir. Lors de précédentes visites, la savante maquerelle avait usé, une fois ou deux, de son inimitable savoir-faire pour l'amener à prolonger sa soirée de manière dépensière.

Bien que mauvais client de bordels, il trouvait à celui de Désirée un charme paisible, de celui que possèdent les maisons bien tenues, où l'on se sent chez-soi. L'établissement n'avait rien de sordide, il n'y avait jamais vu une rixe ou un débordement, ni même jamais rien de plus choquant que dans les couloirs du Louvre. Il sourit à cette pensée, puis n'y songea plus.

Les escaliers. Désirée. La petite orbe de la lumière du chandelier. Certaines formes surgissaient du noir en dansant, tandis que l'observateur, lui, s'y trouvait dissimulé. Cette position de recul lui laissait matière à voir, et à réfléchir. L'essoufflement de la montée se mêlait aux grincements des boiseries fraîchement cirées. Il recula légèrement pour ne pas heurter son hôte dans le couloir. Une mimique d'excuse. Un coup d’œil. Puis il passa le seuil de la pièce et, debout, observa Désirée s'affairer près des braises.

Il se mentait à présent en convenant que cette chambre était tout ce qu'il y avait de plus adapté à une conversation amicale, en se jugeant sobre, et en prévoyant de trouver le courage de rentrer seul, à cheval dans la nuit, jusqu'à son logis. Il savait très bien se mentir.


Oh, il ne faut pas vous en vouloir, hin hin...

Son derrière épais trouva le loyal appui d'un coffre de lit qui semblait assez solide pour supporter une telle charge, sans grincer. Il soutint son genou, las, un bras en équerre puis laissa son regard errer vaguement, de la coupe vide qu'il avait emportée, où séchait une goutte de vin, à la croupe de la maquerelle, penchée en direction de l'âtre. Un sourire indécis étirait sa lippe mouillée par la boisson, son visage commençait à rougir sous l'effet de la chaleur qui régnait dans la pièce.

Il était à la fois aussi fou et vulgaire qu'un échappé d'asile, mais fort perspicace en son genre. Sa façon d'enseigner le dogme était rude. Il me fit manger un oignon cru avec la peau, pour me faire pardonner mon péché. J'en ai pleuré un litron de larmes.

Ce souvenir lointain, loin de l'attrister, le fit rire généreusement. Il accusa Désirée d'un doigt, hilare :

Vous fûtes heureuse d'échapper à sa confession... Sans doute vous en réservait-il une pleine charrette, d'oignons !
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Dame Jeanne, ma plus fidèle compagne.
Desiree.



*
* *


Un oignon cru ? Que c'est cruel !

Elle resta un moment à se chauffer aux braises ardentes, l’œil pétillant à l'évocation de leurs premiers souvenirs en commun, joignant son rire au sien. Puis elle se souvint de la bouteille qui les attendait. Retenant une grimace, elle se résolut à abandonner la tiédeur douillette du brasero et à s'approcher d'Aimbaud, concentrée pour claudiquer le moins possible.

Elle se pencha légèrement, pour verser le vin dans la coupe de son vaste ami.


C'est un bordeaux, au fait, je crois. Nous avons déjà bu tout le Nuits.

Elle sourit, se redressa, tangua, et mit ça sur le compte de sa jambe légèrement douloureuses d'avoir monté deux étages plus que sur sa capacité à descendre deux bouteilles en bonne compagnie.

Une pleine charrette ? Je ne sais pas... Je crois que Deos m'a punie autrement... Mais baste, vous en valiez le coup !

Elle plia un linge sur le coffre près d'Aimbaud, et y posa la bouteille entamée avec grand soin, soucieuse de ne pas tâcher le bois ciré. Puis elle fit tinter sa coupe contre celle du marquis avant d'en siffler une longue rasade.

Une main blanche se glissa sous le menton barbu et le leva délicatement. Elle cherchait des traces de l'adolescent anguleux dans le visage rond de son ami. En trouva dans les yeux, et rit de nouveau.


Vous l'avez vraiment fait ? Vous avez mangé un oignon entier sans vous rebeller ? Je peine à le croire !

Elle but de nouveau une longue gorgée de cet excellent vin, le trouve vraiment très bon, et oublia que de son autre main, elle touchait un visage masculin.



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Aimbaud
Cette main fraîche, passant sur la bouche et les paupières du marquis, était la bienvenue. Elle était tendre, fleurait bon, et savait instinctivement faire frémir certains contours, sans paraître distribuer rien de plus qu'un geste amical. Aimbaud laissa descendre la gorgée de bordeaux dans son gosier, avant de sonder les yeux de la maquerelle. Il l'observa comme à travers un voile, l’œil humide, lent comme une tortue, soul comme un cochon.

Que fais-tu, là...

Murmura-t'il avec un sourire amusé, sachant pertinemment par quelle habile manœuvre Désirée avait coutume d'amener ses clients à l'horizontale. C'était une recette imparable. Cela commençait par du vin. Juste ce qu'il fallait pour griser, pas assez pour ronfler. Venait la discussion banale, toujours très banale, afin qu'on puisse la quitter sans la regretter. Une caresse distraite, qui se prolongeait, qui se dirigeait, qui insistait... Et paf ! Passage à la casserole, passage à la caisse. Merci. L'addition. Au revoir, monsieur.

Entendait-elle, par ce stratagème, payer le reste de sa dette en nature ? Si oui, ses tarifs devaient encore avoir augmenté, ou elle allait le tuer à la tâche... L'échange était complètement ruineux. Eh puis il n'allait tout de même pas hypothéquer une seigneurie pour une partie de plaisir.

Son regard s'abaissa sur le coffre tandis qu'il y déposait sa coupe, pour mieux venir croiser ses deux mains libres entre lui et sa coûteuse amie, les coudes en appui sur ses gros genoux. La tête ainsi plus proche d'elle, il dodelina plusieurs fois du chef en lui adressant une grimace comique, conscient qu'il était très ivre, et qu'il allait passer la nuit là.


Hein ?

Il la questionna des yeux, rieur.
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Desiree.



*
* *


Mais rien...

Et c'était vrai, en plus.
Elle ne faisait rien, elle tripotait un peu la barbe de son meilleur pote, et elle était complètement pétée. Ça ne lui était pas arrivé depuis l'année de ses quinze ans. Ou peut être dix sept. En tous cas, longtemps.
'ailleurs, elle était tellement pétée qu'elle ne tenait plus debout, alors au lieu de s'affaler comme une idiote, elle poussa une grosse main marquisale et s'octroya une place sur sa cuisse.
Comme au bon vieux temps. Comme quoi, les atavismes hein...
Mais elle n'était pas nue et il n'était pas puceau, et ils n'allaient pas coucher ensemble.


De toutes façons je me suis pas envoyée en l'air depuis la naissance de ma fille.


Oh, saint foutre. Elle avait parlé à haute voix.
Le carmin lui monta aux joues, et pour se donner une contenance, elle piqua du nez vers son verre, marmonnant un vague
"elle a douze ans" avant de siffler plusieurs gorgées de vin.
Et puis, comme le verre était vide, elle le posa à tâtons derrière elle et enroula ses bras autour du cou de son pote et y nicha le nez, parce que franchement, quand on est toute bourrée c'est rassurant de sentir l'odeur virile d'un homme tout ça tout ça.



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Aimbaud
Le rire d'Aimbaud éclata, franc, tandis qu'il refermait les bras sur la taille de la maquerelle. Ses mains épousèrent naturellement les courbes du généreux paquet qu'elle posait sur sa cuisse. Les hanches de jeune-fille en fleur qu'il avait jadis empoignées avec toute la fougue de l'adolescence, avaient à présent des contours plus confortables et mûrs. Les seins qu'elle pressait contre son poitrail, n'étaient plus soumis à la tension bourgeonnante des premières années, leur pointu rigoureux avait laissé place à un moelleux maternel. Quant aux cheveux d'un blond enfantin qu'elle avait renversé pour lui, vingt ans plus tôt, en corole sur la literie, ils prenaient ci et là une teinte plus claire et terne, qui n'était pas sans rappeler l'hiver.

Aimbaud empoigna tout cela en riant, dans un élan sincère. Ses mains épaisses s'emparèrent de ce corps du passé, heureux de le retrouver. Il aimait cette fesse. Cette cuisse était bonne. Ces cheveux roulaient bien entre ses gros doigts. Cette nuque était tendre. Ce buste appuyait avec un rythme excellent contre lui. Un rythme de baguette. Qui tapotait. Qui tapotait le sang. Qui indiquait un cap. Une étroitesse. Juste un peu. Il respira son cou, la bouche hébétée, en la rapprochant par la croupe.


Vous mentez comme vous respirez...

Une maquerelle abstinente, on aura tout vu.
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Dame Jeanne, ma plus fidèle compagne.
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*
* *


Et pourtant.
La vérité se cache dans la raideur du corps, qui tarde à s'alanguir. Dans le tressaillement d'une fesse, empoignée un peu rapidement pour rapprocher l'étreinte. Dans ce dos rigide qui esquisse une esquive avant de se laisser aller contre un gros bras empressé. Dans ce souffle hésitant à prendre le souffle mâle. Dans ce sursaut quand la cuisse découvre une roideur inattendue.


Jamais à vous, Aimbaud...

Le corps ne ment pas, parce que le vin est un puissant atout dans le lâcher prise.
Elle est bien là, nichée au creux de ce cou. Et l'esprit se rend facilement au corps quand ce dernier décide. Là. Souffler doucement sur ce lobe. Mordiller juste dessous, là où nait la barbe. Laisser le nez se faire chatouiller par les poils drus.


Je me contente d'empocher le fruit du travail des autres... Depuis douze ans.

Les doigts prennent la relève, chatouillent l'autre versant du cou épais, flirtent avec le col, délacent et déboutonnent, lentement, avec la fluidité de l'habitude et le tremblement de l'incertitude. Au rythme de la confession qui s'écoule.

Et seul le père de mes enfants a su me faire jouir vraiment.

Une chose était certaine, cependant. Au réveil, elle déciderait que jamais, plus jamais elle ne boirait de Nuits Saint Georges.
Mais pourtant le corps s'enhardit, elle se faufile et lui fait face, enlaçant la large taille de ses jambes restées fines. La lèvre est mordillée quand l’œil gris qu'elle darde sur lui s'écrie "j'ai envie !".


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