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--Filomene
Les fortes chaleur de cette fin de printemps n'étaient pas pour plaire à Filomène. Trop usée pour se battre contre les sueurs quotidiennes, trop têtue pour écouter les conseils d'un charlatan lui suggérant de boire davantage d'eau et trop fière pour s'abaisser à se plaindre à sa nièce, elle vivotait au jour le jour, enfermée entre les quatre murs protecteurs de sa modeste bicoque. L'hiver avait été rude et elle sentait encore dans les grincements de ses vieilles articulations les stigmates de ce qu'il aurait pu être si elle avait été moins bornée. Mais elle n'était pas du genre à capituler si aisément et comptait bien profiter de cette vie terrestre de longs mois encore.

De bon matin ce jour là, elle décida de s'octroyer une petite visite au cimetière local. C'était un peu comme se rendre au marché pour elle, mais sans revenir la bourse vide et les bras surchargés. Elle y croisait nombre de connaissances avec qui papoter et bien des anecdotes lui revenaient en mémoire, qu'elle ne se gênait pas pour partager à voix haute avec qui voudrait bien l'entendre. Sa canne affûtée et un sobre fichu prune dissimulant ses cheveux blanchis par le temps, elle avait descendu la rue principale de la ville, encore déserte à cette heure matinale, et s'avançait à présent entre les allées bordées de marbre, marmonnant devant certaines dalles où elle s'attardait quelque peu.


Eh là, p'tite Anheta, j'ai croisé ta maman au lavoir l'aut'jour. Une brave femme qu'aurait su t'éduquer pour qu'tu d'viennes pas aussi sotte que ces pauvrettes d'aujourd'hui. Elle a retrouvé un peu l'sourire mais elle parle encore de toi tout l'temps. Depuis l'temps, j'pensais qu'elle aurait pu oublier avec tous tes frères et soeurs à s'occuper. Faut dire qu'j'sais pas comment qu'elle fait avec vous tous. Mais elle t'oublie pas, j'suis sûre qu'elle pass'ra t'voir bientôt, sois patiente. C'pas facile pour elle.

Puis un peu plus loin, elle s'arrêta franchement.

Oh Nicolau ! Alors on fait moins l'malin six pieds sous terre eh ! T'auras été coriace toi aussi, c't'un bel âge que tes cinquante six années pour t'en aller. Mais j'vais t'battre n'en doute pas, j'te laiss'rai pas plus gagner ça qu'jt'ai laissé gagner à la pelote y'a quinze ans. J'suis pas prête à vous r'joindre là-d'sous d'te façon. Y'a encore des potins à Orthez, c'pas l'moment d'partir. Mais t'inquiètes donc pas, j'vous les note et j'vous racont'rai ça quand j'viendrai à mon tour.


Le pas de Filomène se faisait plus léger à mesure qu'elle progressait, comme si jauger les morts du haut de sa canne la rendait plus fort et plus sûre d'elle. Comme si savoir qu'elle pouvait les narguer redonnait de la force à sa vieille carcasse désabusée.

Ah Pélagie, la belle Pélagie. Toujours pas r'venue pour nous hanter eh ! J't'attendais presque c't'hiver alors qu'y f'sait si froid. J't'assure qu'sans toi c't'un plaisir que d'vivre ici bas. Quand j'pense que t'aurais pu d'venir maire à c't'époque... Ah on l'a échappé belle ! Non mais t'croyais vraiment qu'tu s'rais assez aimée pour ça ? Pour être aimée la belle, faut faire 'tention aux autres. Toi y'a qu'à tes toilettes pleines de froufrous et à ta coiffe que tu f'sait gaffe. Ben t'vois, ça paye pas bien. Parceque là où t'es tu les as plus tes belles robes de taffetas et tu peux plus ennuyer ton monde. Nous autres sur terre, on s'porte très bien sans toi va.

L'âge aidant, elle se faisait plus amère et ne craignait plus rien ni personne. Dire tout haut ce qu'elle avait toujours pensé tout bas lui procurait un étrange sentiment de satisfaction à la vieille rombière, satisfaction dont elle se délectait sans vergogne. Sur la dernière tombe où elle se rendit néanmoins, elle ne prononça mot. Le visage se fit masque de tristesse et les mains froissées se mirent à trembler tandis qu'elle effleurait du bout des doigts la pierre glacée qui dissimulait le corps de l'être disparu.
Leitabathory
L'aurore se montre. Leita s'approche des tombes, ses pieds se font de velours, et pourtant le silence est tel ici qu'elle a l'impression de porter des grelots au bout de ses poulaines.

Les noms se suivent, les dates aussi. Jeune , vieux, pauvres, riches. Tous inconnus de ses yeux et pourtant tous égaux dans la mort.

La jeune femme parcourt pourtant les stèles, lisant chaque nom. Le silence est pesant, les oiseaux même semblent préférer se taire. Voilà un endroit qui lui convient. Au moins ici , pesonne ne viendra la déranger avec des blabla inutiles.

Elle n'a pas eu droit à une stèle, elle.. Son coeur se serre, ses dents grincent de colère.
J'attends mon heure, et vous verrez alors...


L'air matinal est encore frais, la presque rousse prend une grande inspiration de fraicheur et de silence, puis retourne dans sa forêt.

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Eudoxie_
“L'absence est le plus grand des maux.” (Jean de La Fontaine)

Absence ? Manque ? Douleur...

Les pupilles sombres d'Eudoxie avaient à peine effleurés les glaciers de Soren quand le muret du parterre des dernières demeures des habitants d'Orthez fût franchi, il était des moments où paroles et regards ne servaient à rien, la pression des doigts entre les siens suffisait amplement, tout comme le silence qui avait fait place après l'euphorie du marché.
La neige crissait sous les pas du couple, l'étoffe de sa pelisse rouge lissant d'un frottement les flocons nimbant d'une certaine humidité le manteau tandis que la petite brune progressait vers le but de sa visite.

Point de fleurs dans ses mains cette fois... la saison ne s'y prétait pas, si octobre 1464 lui avait permis de fleurir de lys et mai 1465 des champètres pétales colorés, cette visite hivernale ne permettrait pas d'ornementer cette tombe délaissée de tous;
Le passage devant les tombes entretenues, aux plantes grasses ou de saisons et où il était visible qu'hommage était rendu régulièrement lui serrait le coeur, elle qui ne prenait pas ce soin pour celle qui gisait là.

Etait-ce du je m'en foutisme, absolument pas... de l'abandon non plus... de la culpabilité... oh oui, jamais la brunette ne se pardonnerait son absence quand elle aurait dû être là, sa fuite et ses années perdues auprès de celle qui l'avait aimé plus que quiconque ne l'aimerait jamais... pas même Soren.
Comme à chaque fois qu'elle venait ici, le coeur était lourd... Lourd de ces bons moments qui ne seraient plus, de ce temps qu'elles n'avaient pas eux ensemble, de ce qui ne serait jamais, de tout ce qu'elle ne pourrait jamais lui demander, de tout ce qu'elle ne pourrait pas lui dire, comme un simple et évident "je t'aime" mais qu'on ose pas dire jusqu'à ce qu'il soit trop tard.

Les pas l'avaient amenés devant la sépulture et cette stèle gravée, seule mémoire d'elle à Orthez, pour une femme que tous avaient déjà sans doute oublié tant elle avait été discrète, n'oeuvrant que pour son bien le plus précieux : Eudoxie.
Le panier fut déposé au pied de la béarnaise, le regard se portant sur cet écrit "Esmée Castera 1431-1464" avant que le rideau de chair ne voile un court instant son regard dans un soupir incontrôlable, les doigts liés à ceux de Soren se resserrant davantage, sa main libre se posa sur son coeur avant de glisser sur son ventre arrondi.

Bonjour Mère...



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Soren

De l’insouciance au respect. De l’excentricité au recueillement. A vrai dire, je ne sais pas grand chose de ta mère excepté qu’elle habitait Orthez, qu’elle était nourrice au château et que tu l’aimais par-dessus tout. J’imagine les liens que tu avais avec sa mère très différents de ceux que j’ai avec la mienne. Nos histoires sont différentes aussi. Tu as grandi à ses côtés. Moi pas. Ta mère a dû te chérir. Moi, je suis le fils de Hakon Harfagre Eriksen III, celui qui est la cause de sa fracture au bassin parce qu’un père ne voulait pas perdre sa progéniture masculine. Tu n’étais pas là quand ta mère a rendu son dernier souffle. La mienne a assisté à mon enterrement…même si elle m’avait renié auparavant. Tu l’as sans doute plus aimé que craint. La mienne aurait préféré que je la craigne plus que je ne l’aime.

Non Eud, je n’ai pas la prétention d’affirmer que je comprends ce que tu ressens. Telle que j’imagine celle qui t’a mis au monde, il n’y a aucune comparaison possible avec Brygh Ailean MacFadyen. Cependant, je peux ressentir ce que tu partages avec moi au travers de ta main, de la pression de tes doigts sur les miens. Tu n’as pas besoin de parler. Tu as juste besoin d’être toi pour que je comprenne ce que tu ressens. La dernière fois que tu es venue ici, je n’étais qu’une simple connaissance à qui tu rendais service en amenant un silex à la mairesse d’Orthez. Aujourd’hui, je respire au travers de toi, je vois par tes yeux, je goute par tes lèvres, je ressens ce qui te fait vibrer. Je sais que tu l’aimais. Je sais que tu aurais voulu lui dire « Au revoir » une dernière fois. Les gens que l’on aime ne partent jamais réellement. Ils vivent dans notre mémoire, au travers de nos souvenirs, nos sourires, nos fou-rires…et malgré tout, ils nous manquent terriblement.

Cette stèle qui se trouve ici n’est pas ce qu’il te reste d’elle. Le plus important est cette part d’elle que tu gardes au fond de ton coeur. Elle vit par ces sourires qui illuminent ton visage quand elle inspire une pensée, un geste, quand tu te reconnais en elle par ton attitude, ton comportement, une décision. Ce que tu es aujourd’hui, tu lui en dois une partie et celle-ci n’est pas poussière ou grès sombre et froid. Nous vivons à jamais au travers de nos enfants et des enfants de nos enfants. Nous vivons à travers les souvenirs que nous laissons, les choses que nous avons fait changé.

Mais je ne veux pas te faire de leçon, partir dans des explications qui sont les miennes et que tu pourrais avoir du mal à comprendre parce que je suis moi et que tu es toi, parce qu’Eudoren n’est pas la disparition de ce qui fait que tu es Eudoxie Castera et moi Søren MacFadyen Eriksen. Eudoren, c’est la somme de toi et de moi, une addition de nos deux personnes complémentaires et non la disparition de deux individus pour en faire une nouvelle entité. Je sais que ce moment est important pour toi. Je sais qu’à chaque fois que tu passes à Orthez, tu ne manques pas l’occasion de venir lui parler.

Penses-tu qu’elle te trouve changée? Peut-être oui. Tu peux le penser surtout si tu crois qu’elle n’a un oeil sur toi que lorsque tu viens la visiter ici, entre les autres disparus d’Orthez. Moi je pense que chaque jour que le Très-Haut tisse, elle te voit évoluer, vivre, t’épanouir, rire ou pleurer, crier ou me dire que tu m’aimes. Elle sait ce que tu ressens pour moi mais sans doute qu’elle l’aimerait l’entendre de ta bouche plutôt que de le lire dans tes pensées. Elle a conscience de tes craintes par rapport à ce bébé que tu portes en toi: l’accouchement se passera t-il bien? Le bébé survivra t-il? Et la mère? Sera t-il difforme? Laid? Bossu? Sourd, muet ou aveugle? Sera t-il brun ou blond? Aura t-il les yeux des Castera ou ceux des Eriksen? Je sais que tu n’as pas les même craintes que moi et elle, elle le sait aussi. Elle sent que tu doutes d’être une bonne mère. Oui, elle a conscience de tout cela: pas parce qu’elle est ta mère mais parce qu’elle est passée par là avant toi.

Il n’y a rien à dire. Rien. Garder le silence est plus appropriée. Le moulin à paroles choisit de bloquer ses ailes. Il y a cette main dans la tienne, ma présence à tes côtés. Il y a mon regard sur ton visage, mes interrogations quand à savoir si tu verseras une larme ou pas. Il y a ce collier qui a disparu de ton cou et ce que tu trouveras sans doute dans ta maison pour le remplacer. Il y a elle. Il y a toi. Moi, je suis là, derrière toi, derrière elle, en retrait. Je vous laisse volontiers le premier rôle à toutes les deux. Moi, je suis là pour partager un moment de ta vie, pour toi. Rien que pour toi.


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Eudoxie_
“Veille sur ta mère, aussi souvent que tu pourras, mais avant qu'il ne soit trop tard.” (Proverbe Turc)

Mère ? Besoin ? Souffrance...

Le regard sombre ne parvenait à voir autre chose que cette stèle froide et dénuée d'humanité, vide de tout ce qu'était sa mère, chaleureuse avec tous, même avec ceux qui n'aurait jamais dût recevoir cette affection et cette bienveillance.
Regard perdu et embué se fermant sur une déferlante de souvenirs, sur ces jeunes années passées au château, sur ces doux moments à l'office jusqu'à ce que l'âge et les projets du comte pour le jeune femme ne commence à les séparer.

Une bonne éducation, cadeau empoisonné, non pas destiné à la nourrice, ni même à Eudoxie en définitive, mais à cet "ami" qui se voulait jeune et innocente épouse à offrir, formatée, bien sous tout rapport, se moquant de faire évoluer mère et fille dans deux mondes différents.
Livrée aux caprices et sévices du fils prodige, offerte aux railleries de devoir tenir un statut n'étant pas le sien et qu'elle vomissait, dépossédée de ce qu'elle était, de ses racines, de son ancrage maternel.

Voilà pourquoi tout c'était écroulé à l'annonce de son mariage arrangé, pourquoi elle avait tout abandonné, pourquoi elle avait fuit laissant derrière elle la femme qu'elle aimait plus que tout, un regret, un reproche, une chose qu'elle ne se pardonnerait jamais.
A ce souvenir, déglutition se fit pénible et perles salées se mirent à rouler sur ses joues, une puis deux, la troisième ne tardant à suivre avec ses consoeurs les doigts se serrant à en blanchir ses phalanges sur celle de Soren pour finalement lâcher totalement sa main.

Dans un contrôle assez... aléatoire, les genoux de la petite brune vinrent rejoindre le sol neigeux, tant pour soulager ce corps et cette âme alourdis de ce sentiment de gâchis, de ce regret, de ce manque qui lui pesait encore davantage quand elle se trouvait là, que pour se rapprocher d'elle d'une certaine façon.
Avec lenteur, les gemmes d'onyx se portèrent sur le sol juste devant elle, corps se penchant sur la tombe pour dégager le sommet de la stèle gravée de la neige s'y étant amoncelée, nettoyer les entailles de la pierre des affres de la nature et rendre à son nom de famille sa propreté.

Symbolique, rien de plus, tout comme ce qu'elle s'apprêtait à faire en extirpant un objet de sa besace avec soin, resserrant le noeud de chaque extrémité avant de le déposer sous la gravure de la pierre.
Si peu et pourtant tant pour qui savait ce que représentait ce morceau de trois rubans tressés, la lèvre mordue, dextre caressa l'assemblage d'étoffe en versant larmes sur la tombe de sa mère, elle l'avait senti ce jour là, quelque part au fond d'elle qui lui avait soufflé "fonce, sois heureuse ma fille".

Ci-fait le corps se redressa, revers de main essuyant le visage humide de part et d'autre, il est des manques qui ne se comblent jamais, qu'on ne peut faire passer, qui ne s'atténuent pas avec le temps, celui d'une mère était de ceux là.
Peut-être encore davantage quand on allait le devenir à son tour sous peu, et que de conseils précieux on n'aurait pas, que de la sagesse de celle qui nous avait mis au monde on serait privée...

Longue inspiration et fesses se posant sur ses mollets, les mains d'Eudoxie se portèrent de chaque coté de sa gorge, observant cette place le cou dénudé du seul bijou qui lui restait de sa mère, volé, arraché par un être vil, mais si cet objet lui faisait défaut, tout ce qu'elle avait été restait en elle.
Lui parler, c'était ce dont elle avait envie, elle avait tant à lui dire, tout avait viré depuis sa dernière visite, à une vitesse folle, l'homme bien dont elle lui avait parlé la dernière fois, l'était toujours mais ne faisait plus partie de sa vie de la même façon, un être qui resterait cher à jamais, mais... différemment depuis.

L'homme qui faisait de sa vie ce qu'elle était aujourd'hui, qui la rendait heureuse, se tenait juste dans son dos, silencieux, respectueux de ce moment, de cette "rencontre", de ce qu'il savait important pour elle sans qu'elle ne lui en ait parlé pourtant avant.
C'était la première fois de sa vie qu'Eudoxie présentait quelqu'un à sa mère, de son vivant ou non, alors oui ça pouvait paraitre complètement fou, incompréhensible, voir même stupide et sans aucun sens, tout comme d'avoir ce besoin de venir ici à chaque fois qu'elle mettait le pied à Orthez, mais certaines choses ne s'expliquent pas.

Je te présente Seurn Maman...

Doigts crispés sur sa gorge se nouant un court moment, voix étranglée d'un sanglot d'émotion, une longue inspiration fut prise inclinant la tête vers l'arrière les yeux clos.
Expiration profonde, le regard s'ouvrit cherchant celui de Soren la surplombant dans son dos, cette situation, ce besoin lui était surement aussi inexplicable qu'à lui, ou peut-être bien trop compréhensible au contraire, mais cette cohésion, cette communion dans sa façon d'être à cet instant, dans ces pupilles bleutées qui la couvaient, ne faisait que la conforter dans l'importance qu'elle donnait à ce moment.

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Soren

Les philosophes de la Grèce Antique se l’ont déjà posé mille fois cette question. Certains y ont répondu, d’autres y répondront aujourd’hui encore et dans le futur aussi. L’avancée technologique remet sans cesse en cause nos affirmations sur le sujet: si un jour, un petit-gars ou une petite fille vient s’asseoir sur mes genoux et me demande « Papa, ça veut dire quoi être humain ? », je lui parlerais de cette visite au cimetière d’Orthez en compagnie de sa mère. J’essaierai de lui décrire les émotions qui furent celles d’Eudoxie Castera, à genoux dans la neige au pied de la tombe de celle qui l’a mise au monde. Il y a des larmes qu’il vaut mieux laisser couler du coin de l’oeil le long de la joue, la laisser hésiter sur l’arête du menton et finalement tomber sur le sol gelé. Cette goutte de liquide salé est l’expression d’un sentiment que l’on partage avec autrui. Elle exprime tristesse et amour, manque. Elle est le reflet du passé que l’on pense perdu, de regrets pour des gestes que l’on n’a pas posé pour une raison ou une autre. Si les hommes savaient exprimer leurs émotions par des pleurs, il y aurait moins de guerre sur cette terre. Ces larmes représentent une des raisons que je t’aime parce que le plus beau des dons que le Très-Haut nous ait fait, c’est de ressentir et de partager nos émotions avec autrui. Tu aurais pu venir seule ici. Tu aurais pu souhaiter te recueillir, partager confidences avec elle seule, lui raconter les derniers évènements qui ont changé ta vie. Tu aurais pu vouloir un peu d’intimité mais tu as choisi de venir avec moi, de partager. Nous avons déjà eu plusieurs évènements marquant dans notre vie commune. Celui-ci en est un autre. Un beau moment que nous n’oublierons pas de sitôt, un instant où les mots s’effacent devant quelque chose de plus puissant encore.

Pleure Eud si c’est ainsi que tu veux lui exprimer ton amour. Pleure, je ne t’en empêcherais pas. Je ne te jugerais pas non plus. Je ne t’aimerais que plus fort parce que tu me prouves une fois de plus, que tu sais ce que aimer veut dire. Ta main a lâché la mienne par la force de la vague d’émotions qui te submerge et qui te fait perdre toutes ton énergie. Désormais libre, elle vient prendre place sur ton épaule, toujours discrète pour ne pas briser la force de l’instant présent. Elle est le lien qui m’unit à toi alors que ton esprit est en communion avec celle que tu aimes par dessus tout, un lien auquel tu peux te raccrocher si tu le souhaites, quand tu le désires ou le laisser flotter à la surface, non loin de toi. C’est par lui que je partage ce moment, que je le comprends, que je le vis moi aussi.

Il y a de petits gestes qui valent force de baisers passionnés, d’étreintes fusionnelles. Tu n’as pu voir mon visage lorsque tu as déposé ces rubans sur la stèle de ta mère. Je sais l’importance qu’ils ont pour toi. Témoin de notre union comme si elle avait partagé cet instant que nous avons vécu ensemble. Tu sais qu’elle était là? Qu’elle veillait sur toi quand tu les as acceptés. Elle ne me connait peut-être pas beaucoup mais ce n’est pas cela qui compte. La raison pour laquelle elle ne t’a pas suggéré de dire « non  »ce jour-là, c’est qu’elle a lu ce dont elle avait besoin au fond de son coeur et du tien. Ces rubans, je les vois comme un cadeau que tu lui fais, une façon de lui dire merci de veiller sur toi et d’avoir été là ce jour-là, dans le sanctuaire gitan à Arles. Rien que quelques morceaux de tissus qui flottent au vent? Non, bien plus que cela

J’ai envie de t’étreindre Eud, de te dire que tu es magnifique mais cela attendra. Je n’ai pas envie de briser cet instant par des paroles de trop. Tes mains posées sur ta gorge me rappelle Marseille et cet enlèvement sans queue ni tête. J’ai été bête. Quand j’ai reçu ce collier en guise de preuve, du fait que tu étais bien détenu par ceux qui prétendaient te garder captif, je n’ai eu qu’une idée en tête: que tu puisses le récupérer le plus rapidement possible. Je savais à quel point tu tenais à ce collier. J’ai demandé au messager qu’ils m’avaient envoyé qu’ils te le rendent immédiatement. Je ne voyais pas de raison pour qu’ils ne le fassent pas. Manifestement, je me suis trompé. Peut-être que j’aurais dû le garder jusqu’à ce que je te retrouve. A ce moment là, je ne savais pas combien de temps passerait avant que je ne puisse te le rendre. Je ne comprends pas ce qui s’est passé. Pourquoi l’ont-il gardé? S’ils avaient voulu le conserver, pourquoi me le donner? Pourquoi ne pas simplement me le montrer? Non, tout ça n’a pas de sens mais quoi qu’il en soit, le fait est que tu as perdu ce qui était précieux pour toi…et j’ai une part de responsabilité dans tout ça.

Tu tournes sa tête vers moi. Tu viens de me présenter à ta mère. Le sourire que tu découvres sur mon visage est léger. C’est d’ailleurs plus une marque d’affection qu’un sourire véritable. Ma main sur ton épaule rejoint ton cou nu. La paume de mon pouce caresse ta nuque sous ta cascade brune. Le regard océan détaille tes onyx rougis entourés d’un léger halo humide. Mes jambes se plissent, les genoux touchent le sol et son couvert de neige. Mes bras entourent ta taille. De part et d’autre, les mains se posent sur tes flancs et convergent vers le centre. Elles caressent l’arrondi de ton bedon et finissent par se joindre, extrémités des phalanges dextres et senestres entrant en contact.


- … Et moi je vous présente votre petit-enfant.

Un clignement d’yeux. Rien d’autre.

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Eudoxie_
"Est-ce que ce sont des signes que tu m'envoie ?" (Louane)

Larmes ? Sentiments ? Communion...

Une main, une présence, rien de plus qui ne comble la distance, juste être là, et dans la tête de la petite brune pourtant une seule résonance : l'absence... et des questions, des tas de questions, de celles qui vous rendent folle, de celles qui n'auront jamais de réponses.
Est-ce que tu m'entends ? Est-ce que tu me vois ? Qu'est-ce que tu dirais Toi si t'étais là ? Est-ce que ce sont des signes que tu m'envoie ? Qu'est-ce que tu ferais Toi si t'étais là ?

Des signes, fallait-il croire à tout ça ? Quand le manque se fait présence comment ne pas s'accrocher à un quelque chose futile, inutile mais qui vous fait du bien, qui vous réchauffe l'âme et le coeur.
La brise d'hiver qui avait soulevé sa mèche volage alors qu'elle pensait encore hier à ces moments où sa mère lui coiffait cheveux en chignon, effleurant d'un doigt sa joue en replacant cette fichue mèche rebelle. Signe envoyé ? Surement pas mais à qui cela faisait mal de le penser, personne.

Croire en ces petites choses et puis... pleurer de se rendre compte que plus jamais cette main n'effleurerait sa joue, se faire au final du mal en venant ici à chacune de ses visites et besoin viscéral pourtant.
Etait-il nécessité d'être en ce lieu pour lui parler ? pour penser à elle ? pour lui confier ses secrets ? ses états d'äme ? Non... absolument pas... juste peut-être la connexion semblait plus tangible, plus forte, allez savoir.

Mais de signes il en est pourtant qui ne trompent pas, venu d'ici ou d'ailleurs et celui qui lui fit couler salines teintées d'émotions contradictoires, douleur, bonheur, absence, présence, mort et vie, était sans doute le plus parlant que Soren pouvait avoir.
Communion d'âmes, vous penserez alors entre Eudoxie et son danois et pourtant... la fusion n'était pas celle qui vint à l'esprit de la brunette à ce geste d'une tendresse et d'une intensité non descriptible, sa mère lui parlait au travers de celui qui l'aimait et ensemble il lui soufflait "Vis mon ange..."

Lentement un sourire vint effacer les larmes de la béarnaise, le message était passé par le seul intermédiaire capable de le faire par cette phrase si simple, chargée d'un sens plus lourd et plus profond que ce que les mots laissaient passer.
Mains vinrent se glisser sur celles apposées à ce ventre portant l'héritage de deux destins croisés au hasard des routes, de deux cultures différentes, le fruit de l'imprévu. Doigts liés la joue de l'inénarrable vint s'accoler à celle de celui qui savait la comprendre et trouver les mots justes.

Merci...

Un moment encore le regard noir resta posé sur la stèle gravée du nom d'Esmée Castera, échange muets de confidences se faisant en présence du seul avec qui elle voulait partager ce moment, là, gelant sur place à genoux dans la neige au creux de ses bras.
Et puis il fut temps... temps de "vivre", de retourner au monde des vivants, de faire en sorte qu'un petit bout d'elle voit le jour d'ici quelques mois, alors lentement doigts furent déliés et baiser offert à une joue masculine avant de porter l'ombre vers la lumière avec un p'tit sourire contrastant les larmes versées plus tôt.

On rentre... Tu m'aides ?

Et oui les émotions associées au froid de la neige, sans compter le point gravitationnel de la béarnaise évoluant au rythme de ce bébé qui arrondissait son ventre un peu plus chaque jour n'aidait en rien à se relever.
Quand la torpeur s'efface, que la vie reprend ses droits, que le corps reprend conscience de son existence, il n'y a qu'une chose à dire : bon sang la neige c'est froid !!!



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Soren

Je ne connaissais pas son prénom avant ce jour-là. Pour moi, elle était la « mère de Eudoxie Castera ». Désormais elle a un prénom: Esmée. Nous n’avons que très peu parler encore du choix d’un prénom pour celui ou celle qui va naître. Si mes préférences se porterait naturellement vers des pseudonymes aux consonances danoises, la décision finale sera celle qui fera consensus entre elle et moi. Esmée si c’est une fille? Peut-être. On verra. Eud et moi avons encore un peu de temps avant de faire notre choix final et quelque chose me dit qu’avant l’hiver prochain nous reviendrons à Orthez pour présenter la petite-fille à sa grand-mère. Quoi? J’ai dit petite fille moi? Ah?

Le vent s’était levé, soulevant la neige folle pour la faire tourbillonner dans les airs. Des flocons s’accrochent dans les poils de ma barbe, s’accumulent sur l’épaule. On n’y voit plus à vingt pieds. Le ciel est cotonneux, les rayons du soleil ne percent pas au travers de cette couche de nuage blancs. Les cheveux de ma béarnaise dansent au gré des rafales de vent. D’ici quelques heures les températures risquent de faire un chute assez importante. Il ne fera pas bon trainer dehors. Même les loups rentreront dans leur tanière pour se tenir au chaud. La stèle elle reste stoïque face à ce déferlement météorologique. Elle en va vu d’autres. Ce ne sera pas non plus la dernière tempête qu’elle affrontera. La neige recouvre peu à peu le nom gravé sur la pierre, victoire éphémère du climat sur le temps qui passe. D’ici quelques jours ou au pire quelques semaines, Castera refleurira sur le grès. Désormais debout à ses côtés, la dextre se tend vers elle pour l’aider à se relever.


- Partons oui!

Les manteaux blanchissent à vue d’oeil et je n’aurais pas dû sortir sans gant. Les doigts se raidissent vite. La peau est sèche. Par dessus l’épaule d’Eudoxie, je m’adresse une dernière à sa mère.

- Permettez que je vous l’emprunte? Elle m’a promis une soirée gastronomique.

Sourire léger est adressé à la fille et clin d’oeil complice est envoyé à la mère. Un baiser de glace suit les salutations de départ, main dans la main gelée, il est temps de repartir se nicher au chaud. Les pas qui nous ont amené jusqu’ici sont presque effacés par la neige qui s’accumule. Ceux que nous laissons derrière nous sur le chemin du retour n’ont sans doute que quelques heures à vivre tout au plus. Le moment que nous venons de vivre fut riche en émotion: pour elle mais aussi pour moi. La vie va reprendre son cours normal et une ombre protectrice ne sera jamais loin.

- Tu sais, je crois qu’elle m’aime bien.

Présenter celui ou celle qui partage sa vie à ses parents n’est jamais une tâche facile. Les premières impressions donnent souvent le ton de cette nouvelle relation et l’on souhaite tous que nos parents approuvent nos décisions. Oui, vous allez me dire qu’ici, c’est une présentation un peu spéciale et j’en conviens mais l’important est la façon dont Eud la perçoit. Le bras passe autour de l’épaule dans un geste emprunt de connivences. Les visages sont fouettés par le vent, les capuches ont du mal à rester sur la tête. Cela fait longtemps que je n’ai pas vu ma mère et cela m’arrange: elle n’a que rarement apprécié mes décisions et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle n’a pas un caractère très affable. Et puis nos relations ont toujours été houleuses, à un point tel que je me suis imposé à son mariage sans même y avoir été invité.

Devant nous les rues sont recouvertes de neige, de la fumée s’échappe des cheminées des chaumières. Il n’y a pas un chat dans les rues. Enfin…non. Il n’y a qu’un chat dans les rues: toujours et encore le même félin qui me suit depuis le Périgord. Un chat blanc sur une neige blanche. Je ne sais même pas ce qu’il veut. Il va, il vient. Il est toujours là quand je le désire ailleurs. Nous a t-il vu au cimetière? Que fait-il dehors par ce temps? Pourtant l’expression consacrée est bien: « oiseau de mauvais augure ». Oiseau….pas félin.

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