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[RP] Par flots et parchemins

Eavan
Neuvième jour de voyage...

Il faisait jour. Eavan le savait.
La Gaelig savait qu'il faisait jour et malgré tout, elle restait dans son hamac.

Elle n'avait que peu dormi durant la nuit. Raccompagner le comte à son hamac n'avait pas été un grand problème. Et à cette heure, les occupants des autres hamacs n'avaient guère fait plus que grogner. Non, le problème avait été le hamac.
Ou plutôt : mettre un comte ivre mort dans un hamac.
Silencieusement.
Oublions le côté furtif.
Il fallait juste qu'Arystote arrive dans son hamac. Et cela avait été une aventure. Heureusement qu'il avait encore été un peu capable de suivre des consignes et d'être coopératif. Quelqu'un avait fini par lancer un vêtement dans leur direction, en accompagnant le geste d'un "mhhgn.. dormir !...ggnmm..". Enfin, Arystote avait rejoint son hamac et le temps qu'Eavan prenne la peine de lui ôter ses bottes par confort, le bougre était endormi.
Inquiète, la vicomtesse était restée à son chevet. Elle espérait que son mal passe rapidement. Que faire en cas contraire ? Y-a-t-il un médecin à bord ? Ce n'avait été que lorsque les dormeurs avaient commencés à montrer des signes d'éveil qu'elle avait jugé préférable de s'éclipser.
Le ciel s'éclaircissait déjà à ce moment là...

Alors qu'elle était arraché peu à peu aux bras d'un Morphée matinal plus que nocturne, la Gaelig sentit contre elle une petite sphère diffusant de la chaleur. Tirant un peu sur son cou pour ne pas trop bouger, elle nota que son invité félin s'était infiltré jusque dans son hamac.
Elle ne l'avait pas trop cherché à son retour, veillant juste à ce qu'il ne se soit pas échappé. Et voilà qu'au matin... midi ?... elle se retrouvait avec la boule de poil contre elle. D'une main légère, elle alla caresser cette douce fourrure. Le jeune chat ne réagit pas, trop profondément endormi.

Le pouvoir félin retint la vicomtesse encore un peu dans son hamac. Le pouvoir félin donc, et aussi l'engourdissement au niveau de ses côtes et de son bras : remettez un comte dans son hamac sans forcer vous. Ivre en plus. Et malade en plus. Tout un sport.

Finalement, sur le tard, la Gaelig se leva. Cela tira un chouinement pas bien convaincu à son compagnon poilu... qui se contenta très rapidement de rester dans le hamac préchauffé sous le regard amusé de la locataire des lieux.
Après quelques ablutions et une prière matinale décalée au début d'après midi, Eavan passa sa journée, pour une fois sans courrier, à s'enquérir de la santé d'Arystote.

_________________
Eavan
Dixième jour de voyage...

L'air s'était fait frais. Ils abordaient un détroit et coincé entre deux terres, le vent soufflait avec une force renouvelée, comme celle du paisible fleuve dont le cours se rétrécit. Pour la peine, la vicomtesse avait passé un mantel bien épais. Pour tout dire, elle était loin d'avoir froid. Malgré le vent qui jouait avec ses cheveux et semblait vouloir balayer toutes ses inquiétudes, Eavan avait au creux de ses vêtements, une boule de chaleur.

Ce matin là, elle avait estimé que son colocataire avait reprit suffisamment de forces. Il devait souffrir de l'enfermement. A-t-on jamais vu un chat aimé d'être privé de liberté ? Le seul soucis resterait d'éviter que le félin ne croise Platon.
Platon. Le chien d'Arystote.
Point positif d'avoir un comte de Cassis un peu souffrant, l'énorme chien restait à ses côtés. Cela signifiait également que le pont était relativement libre de canidé pour l'instant. La vicomtesse avait donc laissé le jeune chat vaquer un peu, veillant à ce qu'il ne soit pas dans les pattes des marins ou du capitaine. Cela dit, dans l'ensemble, la découverte de la boule de poil provoquait l'enthousiasme. C'était assez courant d'avoir un chat à bord. Cela restait le gardien parfait des réserves de vivres contre les rats et autres petits animaux. Pour couronner le tout, s'il était sombre, il n'était pas noir. Tout allait bien donc.

Tandis qu'ils progressaient dans ce détroit, Eavan avait préféré récupérer le compagnon quadrupède. Les manoeuvres se faisaient plus fines, il fallait réagir vite au cas où le vent change ou bien que la vigie ne détecte un roc affleurant ou un haut fond. En quelques minutes, une tension s'était faite à bord et l'on sentait la concentration suinter. La Gaelig donc, en plus de veiller à babord qu'aucune roche ne soit trop près de la coque, contenait le félin dans son manteau, contre elle. C'était jusqu'ici le meilleur remède contre le froid qu'elle ait jamais eu.
Elle pensait que cela serait une lutte, mais non. La boule de poil avait adopté le tout assez rapidement. A tel point qu'il ronronnait contre sa poitrine et que cela diffusait d'apaisantes vibrations.

Le regard concentré, la Gaelig guettait. Lorsqu'à babord la terre s'éloigna, elle se permit un peu de relâchement et les yeux profitèrent du paysage de cette côte. Après cela, c'était pleine mer. Sans nul doute ne verraient ils plus terre avant plusieurs jours. L'idée était grisante et donnait presque le vertige.
Un marin s'approcha, visiblement dans le même état de soulagement que la vicomtesse.


On a passé l'faro!

Le faro ?

Oc. C'comme ça qu's'appelle c'te passage là.


Ils échangèrent un peu sur la géographie du lieu. La veille au soir Arystote l'avait informé du nom du détroit. La Gaelig n'était pas particulièrement au fait de la géographie. Il y avait des cartes pour cela. Elle aimait les cartes. Déformation de ses années militaires.
Puis, fouillant dans sa mémoire et quelques cours qu'elle avait eu à l'université, elle se souvint d'une anecdocte.


Dites, ça veut dire qu'on a surveillé le côté de Scylla ?

Le marin offrit un air stupéfait et éclata d'un rire tonitruant qui parvint même à perturber un peu le repos du félin. Sans que cela n'aille jusqu'à le faire bouger plus que cela. Il devait être à l'aise, bien au chaud sous le mantel.

Ca même Dona ! Sont peu qui savent de ces histoir'là.

Je ne lis pas le grec mais certains professeurs sont des passionnés.

C'pas moi qui pourrait vous l'apprendre.


Nouveau rire tonitruant et un sourire sur les lèvres d'Eavan. Puis le rire se calma et le marin reprit.

Mais nous autres on aim'bien savoir c'qui s'dit d'la mer. Voyez pour se souv'nir d'être toujours prudents.

Ne jamais oublier de respecter la mer.


Eavan se souvint des leçons de son père à ce sujet. La famille de Gaelig, simples pêcheurs, dont beaucoup finissaient engloutis par la mer. La vicomtesse savait bien quel lien les gens de mer pouvaient entretenir avec l'élément qui leur apportait tout à la fois subsistance et serait sans doute leur perte, à la manière d'une tragédie dont le drame est annoncé à l'avance.
Ce qui est sûr c'est que ses mots tirèrent un sourire entendu chez le marin. Il opina simplement.


Du coup, que savez vous de ce passage ?

Le marin gratta sa barbe un instant.

Qu'le détroit est dang'reux. Faut toujours bien guetter que Scylla soit pas d'sortie et bien garder ses nerfs si on voit son ombre parc'qu'à la moind'e manœuvre d'évasion, y'a Charybde qui vous attrape. Et l'Charybde une fois qu'y vous a, y vous lâche pas et vous entraine sous l'eau. Y'a des naves qu'on voit jamais r'monter, d'autres si, ventre à l'air, comme un poisson crevé.

Eavan regarda un peu vers la poupe, curieuse de savoir ce que les marins se figuraient pour incarner Scylla et Charybde.

Eh bien le capitaine aime la difficulté.


Y sait y faire mais l'a pas fait d'heureux quand on a vu par où on passait.

Le marin haussa les épaules.

Mais c'passé. On a vu ni l'un ni l'autre aujourd'hui.

Eavan opina avec un sourire. Après un moment de silence, la marin lui demanda ce qu'elle, elle avait entendu de l'histoire. La Gaelig fouilla un peu dans sa mémoire et raconta brièvement ce qu'elle savait des deux acteurs principaux de ce détroit. Scylla avait été changée en monstre par une rivale en amour à l'aide d'un poison et s'était jetée à la mer, affligée de sa monstrueuse transformation. Charybde avait été punie selon les légendes antiques et transformée en gouffre marin. Plusieurs fois par jour elle avalait l'eau et ce qu'il y avait dedans et dessus et la recrachait... Plusieurs histoires contaient comment des marins téméraires s'étaient risqués à passer, souvent en perdant quelques équipages dans l'aventure. La vicomtesse ne se souvenait pas des choses plus en détails mais l'histoire l'avait quand même un peu marquée.

Plus tard, alors que le marin était retourné à la manoeuvre, Eavan retourna à ses quartiers pour écrire une lettre. Elle relut les lignes de Candyce avant de sortir écritoire, parchemin, plume et encre. La Gaelig laissa couler les mots...


Eavan a écrit:
Candyce,

Je pense que vous ne pouvez pas mesurer à quel point la lecture de vos lignes m'aura soulagée, rassurée. Je suis soulagée car je crois que rien ne m'aurait plus meurtrit que de savoir que j'allais vous faire souffrir. Au delà des considérations de vertu et de péché, c'était bien là ma réelle inquiétude.
Je suis déjà attachée à vous et je sens moi aussi que ce lien que nous partageons peut devenir quelque chose de beau et d'unique. Je ne suis plus capable d'accorder ma confiance aussi facilement que par le passé. Je ne sais pas si je saurais laisser quelqu'un se rapprocher autant de moi. Mais, Candyce, j'ai envie d'essayer. Vous le dites, vos intentions sont belles. Oui, j'aime cette idée d'avoir quelqu'un pareille à une soeur. J'ai eu par le passé deux personnes, deux femmes, que je considérais comme des soeurs, de la manière dont vous le décrivez. Elles ne sont plus... J'ai envie d'essayer, encore une fois. Je crois que je me l'étais interdis, d'une certaine manière. Je laisse les gens s'approcher, parfois, mais j'hésite toujours à me reposer sur eux, à leur accorder une confiance absolue. Je crois que je m'attends toujours à être déçue. Et ce n'est pas leur faute. Je suis si absolue.

Candyce, aurez vous le courage d'essayer vous aussi ?
Cette place à mes côtés dont je vous parlais, je crois que sans vouloir me l'avouer, c'est ce que j'espérais. Une soeur. Peut être faudra-t-il que je réapprenne... Mais oui, c'est aussi mon souhait.

L'émotion est là...
Je la laisse passer avant de reprendre ma rédaction.


Reposant la plume, la vicomtesse repensa à ce que tout cela pouvait signifier. Laisser de nouveau quelqu'un être proche d'elle. Vraiment. En écrivant, elle avait pensé à Lucillus, la toulonnaise qui s'était révélée être une cousine. La soeur d'armes avec qui elle échangeait autant les choses badines qu'elle ne discutait des différentes écoles de maniement de l'épée à deux mains qu'elles avaient apprit à manier ensembles. Les années d'ost, passées dans une franche camaraderie, lui semblaient être une autre vie. C'était étrange. Et puis c'était aussi la femme de son premier suzerain. Le premier à lui avoir proposé d'être vassale. Que cela semblait lointain.
La seconde. La filleule. Yunette. Une soeur. Une petite soeur parfois. Fragile et forte. Vulnérable et solide. La première personne à qui elle n'ait jamais proposé d'être sa vassale. La première. Elles s'étaient vue dans la joie et dans la douleur. Yunette avait accepté que sa marraine ne soit pas toujours un modèle de solidité et sans faille.
Toutes les deux étaient parties.
Rejoindre le Très Haut.
Après un moment, la Gaelig reprit sa plume. Tout cela était le passé. Elle devait se tourner vers l'avenir. Et en un sens, l'avenir, c'était Candyce. C'était cette amitié nouvelle qui fleurissait. Poétiquement, on eut pu dire qu'Eavan se sentait comme au printemps.


Eavan a écrit:
Voilà.. Passons à l'héraldique.
Le cry est en effet réservé aux nobles.

Côté descendance... Des enfants ? Oui. Il faut généralement un mâle pour cela. Et dans mon cas, cela devra être un mari. Il ne pourra en être autrement. Jusqu'à il y a peu, l'idée semblait si distante... Mais je me suis liée d'amitié avec un homme et le sujet d'un mariage fut abordé comme plaisanterie. Vous savez, de ces plaisanteries où dans le fond des yeux, il n'est plus si clair que cela soit si absurde ? Nous verrons bien. Je ne forcerais rien en la matière. Mais j'aime à croire que si je suis encore capable de porter un enfant après toutes les blessures que j'ai reçues, ce n'est pas seulement du au hasard.


C'était cru. Mais c'était vrai.
Malgré tout, la Gaelig savait qu'il lui faudrait voir avec un médicastre pour s'assurer un peu moins de ce fait là. Diane, sans aucun doute.

Le sujet suivant tira un petit sourire en coin à la vicomtesse. Oh bien sûr, elle avait été énervée, contrariée et déçue mais au moment d'écrire, il ne restait que le plaisir d'échanger avec Candyce quant à leurs perceptions du monde.


Eavan a écrit:
Concernant mon blason... Savez vous, chère Candyce, que vous avez foutrement raison ? Notre échange va nourrir une belle missive adressée à la Hérauderie provençale. Des corrections devront être faites. Après avoir lu votre réponse je m'y suis repenchée. Et ma conclusion est la suivante : la description est fausse. Elle fut pourtant faite à l'époque par un héraut provençal... Enfin il est vrai que la qualité de la hérauderie de Provence n'est pas très élevée. La séparation d'avec les institutions d'Empire aura rompu la transmission des savoirs héraldiques. Et nous sommes malheureusement bien peu à nous soucier de cet art là en Provence.
Il est même des nobles provençaux incompétents en matière nobiliaire. L'on m'a rapporté des débats où il se parle d'égalité d'avec la roture. Ces gens ne comprennent pas la notion de rang social. Ils ne comprennent pas la notion de noblesse, de féodalité, de devoirs... Je m'emporte.

Retour à mon blason.
La description devrait être la suivante. Notez que comme je vous le disais, je ne suis pas la meilleure dans ce domaine.

Famille Gaelig : "De sable à la bordure d'azur, au lion assis d'argent au centre"

Mon blasonnement complet, hors ornements : "Ecartelé de Rians et de Salon de Provence, sur-le-tout, de sable à la bordure d'azur, au lion assis d'argent au centre" ou, de manière plus détaillée "Ecartelé, en 1 et 4, d'or au lion de sable surmonté d'un lambel de trois pendants de gueules et en 2 et 3, d'or au lion de sable armé et lampassé de gueules, tenant entre ses pattes un écusson ovale de gueules chargé d'un lion d'or armé ; sur-le-tout, de sable à la bordure d'azur, au lion assis d'argent au centre"


J'ai pris plaisir à parcourir votre ancien blason et à m'imprégner de sa description. Heureusement que vous m'avez envoyé les deux en même temps. J'eus lutté un moment autrement.
Vous devez trouver que je suis piètre héraut, sans parler de maitre d'armes de la Hérauderie... Moi même je me demande comment j'ai pu atterir là bas. Je décris mal, je ne dessine pas... Je n'ai pour moi que la connaissance des règles, coutumes nobiliaires et la plus haute conviction de ce que devrait être la noblesse.


Candyce, je terminerai en vous priant d'être prudente. Donnez moi de vos nouvelles maintenant que vous avez éveillé mon inquiétude.

Sincèrement,

Eavan


La Gaelig espérait que Candyce n'ait pas à défendre sa vie, ou sa bourse. Au fond, nul doute qu'elle saurait bien négocier la chose avec des arguments percutants. Mais tout de même. Si cela pouvait ne pas en arriver là, cela serait mieux, n'est ce pas ?

La lettre terminée, encore une fois il fallut aller trouver un volatile.

_________________
Eavan
Onzième jour de voyage...

C'était calme.
Très calme.
Trop calme.
La vicomtesse n'aimait pas trop beaucoup ça.
Elle préférait quand c'est un peu trop plus moins calme.*

Les voiles étaient bien étendues. Et inanimées. Pas de vent. Rien. Pas même une brise pour faire frémir la moustache du comte de Cassis. Absolument rien. Ce qui était sûr c'est que la Gaelig ne supporterait pas cette immobilité longtemps. Elle avait trouvé une belle rame peu après le départ. Au réveil, l'objet l'attendait sereinement posé contre l'un des murs de sa cabine. De mystérieuses inscriptions gravées dans le bois... Ce cadeau divin était peut être en prévision de ce moment et s'il fallait ramer, elle ramerait.
Ou pas, lui rappela sa côte poliment.
Ou pas, admis donc la vicomtesse.

Etrangement, malgré cet immobilisme contrariant, la Gaelig était relativement de bonne humeur. Tout malentendu avec Candyce était écarté et leur correspondance pouvait se poursuivre sans inquiétude. Eavan n'avait pas réellement encore eu le temps de s'ennuyer à proprement dit. La boule de poil qu'elle avait trouvé et nourrissait quotidiennement l'avait adoptée. Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes...

Toute la question était de savoir si cela allait durer.
Sentez vous la question rhétorique ?
Sentez vous le ressort dramatique se former ?

Une ombre passa au dessus de la vicomtesse tandis qu'elle regardait ce qu'on distinguait encore du détroit de la veille. Ils n'avaient guère avancés. Le regard se porta vers le haut, le ciel... un oiseau.
Un message.




~a few moments later~




Quoiii !

Le ton était outré.
Outré et spontané.


Mais enfin !

Comment ça son appel était rejeté ? Les textes de la Cour d'Appel ne listaient aucun critère de recevabilité, sur quoi donc la Cour d'Appel s'appuyait pour statuer sur la question ? N'était ce pas le verdict d'un appel qui statuait ? A quoi servait la Cour si le procureur pouvait statuer tout seul de toutes les questions ?

Sérieusement ? Vraiment ?

Par la peine de condamner pour les menaces ? Ah ben tient ! C'était intéressant à savoir. Et d'où la procureur sortait cette idée de prison à vie ? Ou de bannissement ? Eavan n'avait pas mentionné du tout cela dans sa demande d'appel. Et le procureur confirmait aussi que d'avoir des motifs pas très cohérents étaient une circonstance atténuante pour l'accusé ? Mais enfin !! C'était quoi cette Justice à deux écus ?

Sans attendre, les émotions à fleur de peau, la vicomtesse prit sa plume. Le geste était sec. On était loin de l'écriture soignée destinée à Candyce ou Diane, ou tout ceux à qui elle avait destiné quelques lignes depuis son départ. Là c'était sec. Presque tranchant dans le tracé.


Eavan a écrit:
Votre Majesté,

Au final il semble donc qu'aucun de mes suzerains n'aura veillé à ce que je puisse m'exprimer vis à vis de l'agression que j'ai subie de la part du dénommé Balotelli.

La Cour d'Appel a rejeté ma demande d'appel.

Je ne sais même pas pourquoi j'ai cru qu'il était possible que je puisse avoir l'opportunité d'exprimer mes griefs. La Cour d'Appel a fixé : la Justice provençale n'a pas a se soucier des victimes et valide le verdict rendu au sein duquel l'incohérence des motifs d'une agression et l'instabilité de l'accusé sont reconnues comme circonstances atténuantes.
Balotelli a donc bien de la chance que les Justices comtale et marquisale se soucient plus de son équilibre que des dommages qu'il cause.

Je rappelle, malgré tout, qu'attaquer un vassal c'est attaquer le suzerain ; qu'attaquer un détenteur de l'autorité comtale ou marquisale, c'est attaquer cette autorité.

Je n'ai donc pas eu de justice.
On ne peut pas dire non plus que j'aurais eu le privilège de votre protection.
Par bonheur, vous au moins, n'avez pas songé à me retirer la jouissance de mes terres.

Votre vassale,
Qui aura perdu son temps,

Eavan Gaelig


Le scel fut appliqué avec la même attitude que l'encre. Emportée. Se brûlant un peu au passage, un juron se faufila hors des lèvres de la vicomtesse. Chose suffisamment rare pour être notée.
Rapidement la Gaelig chopa un piaf et associa le tout à un regard intimidant. Il avait intérêt à trouver Avignon en ligne droite.

De retour dans sa cabine, la vicomtesse attrapas son Livre des Vertus, se cala dans son hamac, bientôt rejointe par la boule de poil, et feuilleta.


Pré-histoire... Eclipse... L'Héritage... Ah voilà : les Archanges.

Encore remontée, la vicomtesse chercha dans cette section. Et par bonheur celui qu'elle cherchait était le premier.

Gabriel... Archange de la Tempérance...

Voilà qui ferait une bonne lecture, de quoi méditer et de quoi prier pour toujours chercher à s'élever et à s'extirper de son péché le plus fréquent : la Colère.

* citation film Astérix et Obélix Mission Cléopâtre

_________________
Eavan
Douzième jour de voyage...

La Colère n'était pas si aisée à voir disparaitre.
Si la nuit avait su apaiser un peu de ce sentiment d'injustice et le tourner en acceptation. Le matin, et les missives reçues avaient été comme de l'huile sur des braises mourantes... La flambée repartait. Elle serait brève certainement... Mais cela raviverait encore les braises qui peineraient à s'éteindre totalement. La Gaelig avait de ces colères sourdes, pareilles à des braises. Bien sûr elle avait de grands envois, des mots hauts, des démonstrations explosives. Mais les gens pensaient que cela se limitait à ça.
Non.
Même sous contrôle, la colère couvait. Tant que la blessure était douloureuse, la colère pouvait reprendre vie avec la même force sans qu'il n'y ait besoin de beaucoup de provocation.

La missive de réponse de la Marquise avait été lue rapidement.


Hersende a écrit:
Bonjour Eavan,

J'ai signalé à la Cour d'appel que je regrettais infiniment le rejet de votre appel. Malheureusement, même si je suis garante de la justice d'appel, je suis aussi garante de son indépendance et ne peux en aucun exercer de pression sur les Procureurs qui ont pris cette décision.

Ayant assisté aux débats sans avoir cherché à les influencer, je puis vous l'expliquer : dans notre codex actuel, tous les délits et crimes dont Balotelli s'est rendu coupable ne sont que des troubles à l'ordre public. C'est cette qualification qui pose problème... La charte du Juge permet une aggravation des peines uniquement pour les crimes jugés "graves" qualifiés de trahison ou haute trahison (comme si une agression physique n'était pas un crime grave!) ou en cas de récidive de brigandage...
Il faut donc, si nous voulons protéger les victimes, absolument revoir le Codex pour qu'il se trouve en adéquation avec la Charte du Juge et laisse les coudées franches aux Juges.
En conséquence, même si l'appel avait été accepté, les Procureurs ont estimé que l'alourdissement de la peine n'aurait pu être bien important. Ils ont donc préféré le rejeter, estimant que le Juge avait pris sa décision dans le cadre de ce que lui permettaient le Codex et la Charte, peut être un peu légèrement mais à leurs yeux raisonnablement.

Vous m'en voyez désolée. J'aurais beaucoup aimé que vous obteniez cet appel mais la Cour d'Appel est souveraine.
Je vous avais garanti que vous obtiendriez réponse dans les délais et ai tout fait pour que ce soit le cas, car ce n'est pas votre courrier de rappel qui a déclenché la réponse, mais bien mes sollicitations depuis une semaine... mais je ne peux les contraindre en quoi que ce soit.
Je ne peux même pas saisir la Cour sur ce procès, car ce serait violer sa décision et en conséquence rejuger deux fois les mêmes faits, puisque l'appel a été réjété.

Croyez bien que je comprends votre courroux et ai exprimé à la Cour d'Appel mes regrets de la décision prise, mais l'indépendance de la Justice prime.

Avec toute ma compréhension, et croyez-le bien, avec toute ma confiance,
Hersende


Convenu.
Eavan pouvait presque sentir le tapotement sur la tête d'un chien que l'on veut apaiser. Rien de plus.

La Charte du Juge ? Certainement qu'ils ne l'interprétaient pas de la même manière. En Provence donc, tenter de tuer quelqu'un, le blesser, n'était pas grave. Une tape dans le dos, deux jours de prison et l'Illustre qui offre à boire à la sortie.... C'était là le plus sévère que la Justice provençale pouvait faire ? Amusant.

Hersende se sentait elle réellement concernée ? Aucune idée. Sans doute aurait elle été agacée de perdre une vassale utile, mais cela allait il plus loin que du pur pragmatisme ? Eavan n'en était plus vraiment certaine.
Ce qui était clair c'est que la Gaelig avait dérangée en déposant plainte. Cela avait dérangé la quiétude du Comté. On lui avait plutôt bien fait comprendre qu'elle aurait simplement dû régler ça seule, dans une ruelle sombre sans témoin. Si elle se référait au courrier de son ancien suzerain : il fallait savoir se passer des loys parfois... Merveilleux.

Eavan rangea la missive marquisale. Aucun intérêt ici.

Désormais, sous ses yeux gisaient des parchemins d'une correspondance dont elle avait reçu la dernière lettre de réponse en même temps ou presque que la missive de la souveraine provençale.


Adrian. a écrit:
Vicomtessa,

quand je vous disais que certaines personnes vous craigniez, vous avez seulement l'offense et non l'ami qui sincèrement s'avance vers vous pour vous dire qu'il est temps de prendre conscience de certaines choses.
Qu'apporter un changement serait alors bénéfique sans toutefois se perdre à n'être plus soi même.


Oh tiens, une contradiction... Eavan sentait qu'il y en aurait davantage... Mais à quoi bon les relever. En quoi était ce positif d'être perçue comme un monstre à en croire son interlocuteur... Comment ne pas s'offenser ?

Adrian. a écrit:
Il n'y a pas des centaines de personnes mais plutôt une personne ici, une autre à telle occasion etc.
Le fait que cela revienne m'a fait penser qu'il était nécessaire de vous en parler dans l'espoir que vous fassiez attention.


La Gaelig songea qu'il plaisait à l'ancien l'Illustre de lui laisser croire que ce fut davantage des dizaines plutôt que deux ou trois. Il s'était plut à la faire douter, à lui donner le sentiment d'être une personne détestable. L'art de rester dans le vague pour mieux saper la personne en face...
Déjà Eavan soupirait.


Adrian. a écrit:
S'exprimer avec sincérité et honnêteté est une bonne chose, parfois cela ne paie pas soyons en conscient.


Oh il le lui avait bien fait payer. Lui plus que d'autres. Et si cela se reproduisait avec d'autres dans un autre contexte, c'est seulement parce qu'il avait offert l'ouverture parfaite.

Adrian. a écrit:
Vous avez un fort caractère comme beaucoup de provençaux, oui il y a des personnes intimidées et il y en aura toujours et pas que vis à vis de vous. Les gens parfois se font une fausse idée de la personne et quand ils ont l'occasion de la découvrir, ils modifient leur jugement.

Vous n'êtes pas un démon ou un monstre, juste une femme de caractère à la sensibilité exacerbée qui prendra souvent tout de la plus noire des manières et sans forcément assez de recul. Au final, celle qui est desservie en premier lieu, c'est vous, puisque vous souffrez intérieurement de cet environnement.


La vicomtesse eut envie de rire... Tant de condescendance. Il avait été le premier à l'accabler. Elle avait cru qu'ils étaient amis mais les amis n'humilient pas devant d'autres et ne laissent pas de grossières injustices passer pour la gloire. De tous, Adrian avait bien été le seul à venir lui expliquer qu'elle faisait mal, tout le temps. Elle parlait mal. Elle avait de mauvais avis. Elle était indigne de son rang. Indigne même qu'on lui adresse la parole.
Si elle souffrait c'était surtout à cause de lui... Pas à cause de ses luttes intérieures.
Comment ne pas mal interpréter quelqu'un qui dit des choses et en fait d'autres ? Oui Eavan savait avoir interprété de manière sombre. La vicomtesse avait cessé de croire à la vertu de tous a priori, cessé de croire que les belles paroles valaient plus que les actes. Même maintenant Adrian parvenait à la rendre coupable de tout. Mais si elle se savait susceptible et rigide, elle aurait aimé pouvoir lui dire qu'il était parfois ambigu sans se faire accuser de vouloir sa tête.

Il n'avait eu de cesse de la juger justement.
Jamais il n'avait envisagé qu'elle s'exprime par conviction et non par volonté de nuire. Et il lui donnait encore aujourd'hui des leçons sur comment elle devait être pour correspondre à ses envies à lui ?

Eavan était énervée. De nouveau. La colère marquait ses traits, faisait trembler ses doigts.


Adrian. a écrit:
Gagnez en souplesse, prenez du recul, n'érigez point toute votre vie de manière chevalesresque, car en réalité rien n'est ni tout blanc, ni tout noir et que nous ne sommes point dans un monde idéal.
Parfois, il sera nécessaire de violer une loy pour faire le bien et rendre justice, parfois il faudra être scrupuleux et intraitable pour que justice soit rendu. Or je suis quasiment certain que le début de ma phrase précédente vous hérissera les poils !


Que d'impératif.
Encore de l'impératif.
Toujours de l'impératif.


Bordel, a-t-il au moins conscience qu'il n'a pas d'ordre à me donner ?

Violer la loy ? Nécessaire ? C'était son grand cheval de bataille. Et il passait plus de temps à vouloir trouver des manières de contourner les règles plutôt que s'y plier. C'était bien ça le problème, précisément, entre eux.
Bien sur que des cas extrêmes appelaient des réactions extrêmes. Bien sur que certaines circonstances valaient que l'on prenne des décisions rapides, arbitraires. Mais cela ne devait pas être la normalité. Et plus que tout, à l'échelle d'un Comté, on ne pouvait pas se targuer ouvertement de telles choses.

A la lecture de ses lignes, Eavan se demanda comment elle avait pu même se laisser embarquer dans un mandat comtal. Pourquoi ? Il n'avait fait que se servir d'elle et de cette réputation de droiture qu'il ne supportait plus désormais, pour couvrir sa propension à refuser systématiquement d'appliquer les règles. Sa rigueur si détestable avait été son écu pendant deux mois. Ah, que tout cela était pratique.


Adrian. a écrit:
Le plus important, avant même d'espérer être bien avec les autres, il faut être en harmonie avec soi même.
Vous parviendrez peut être un jour à comprendre ce que je disais pour l'heure laissez juste l'idée cheminer.


Cette fois elle rit.
Tout un courrier pour lui dicter qui être pour être selon lui "quelqu'un de bien" pour finir par un "soyez vous même". C'était hilarant.

Qui n'avait eu de cesse de briser l'harmonie qu'elle avait avec elle même ? Lui.
Hilarant.


Adrian. a écrit:
Vous devez rester dans l'Ordre mais avant toute chose, vous devez avoir la conviction que vous apporterez votre énergie, votre dynamisme en son sein, je n'en doute pas mais vous, c'est une autre histoire.

Ad


Encore une fois, il lui faisait tout peser sur les épaules. L'OCP serait sa responsabilité à elle. Et comment ne pas douter de tout cela alors qu'il invitait pratiquement certains membres à déverser leur fiel sans retenue. Qu'espérait il ?
La vicomtesse secoua la tête.
Elle ne comprenait plus rien au personnage. Il fut un temps elle pensait qu'ils partageaient des valeurs mais en réalité, Adrian ne faisait que les trouver encombrantes et gênantes.


Adrian. a écrit:
ps : les provençaux vous craignent et vous respectent et tous ne vous craignent point fort heureusement.
Peu doivent souhaiter un naufrage et espérer le pire pour autrui n'est bénéfique pour personne


Ah ? Vraiment ?
Eavan, elle, songeait que pas mal devaient être dirigés par la haine puisqu'ils ne voyaient que cela partout.

La vicomtesse hésita à bruler ces missives échangées avec Adrian. Mais finalement elle les rangea. Il s'était évertué pendant deux mois à saper toutes les fondations de la confiance qu'elle pouvait avoir en elle, jusqu'à l'accuser publiquement, au conseil, comme en taverne, de trahison. Elle ne devait pas oublier. Il la faisait douter. Il avait profiter aussi qu'elle ait été agressé pour, à ce moment là, considérer ses demandes et interventions comme des caprices et des tentatives de pourrir ses collègues. La tout en allant boire des bières avec l'homme qui avait tenté de la tuer... Et elle aurait dû bien le prendre...

Une inspiration profonde.
Se calmer.
Inutile de s'énerver davantage.
Elle était en mer. A des lieues de Provence.

Alors qu'elle était assise sur son coffre, elle sentit une pression contre le bas de son mollet. Le regard se posa sur la boule de poil. Le félin. Son félin ? Sans doute. De nom il n'avait pas encore. Mais sa présence était apaisante et comme si elle avait été en présence d'un enfant, immédiatement, la Gaelig adopta de nouveau un ton posé et doux et une attitude plus rassurante.
Quelques caresses et ronronnements plus tard, Eavan déroulait un carré de parchemin et prenait sa plume. Changer de sujet.


Eavan a écrit:
Suzanne,

Il y a quelques jours j'ai reçu des nouvelles de Diane. Elle m'y apprenait avoir clos le sujet Gregory. Quelque part, bien qu'elle ne m'en ait pas donné les détails, je suis certaine que vous aurez su montrer la fermeté nécessaire. Elle a de la chance de vous compter parmi ses amis.
Cela n'a guère de sens, mais dans la mesure où je m'inquiète pour elle : merci.

J'espère que vous vous remettez et que votre bras ne vous fait plus tant souffrir.

De mon coté, aujourd'hui je désespère un peu. Après une escale nous avions enfin prit le bon cap mais voilà que depuis cette nuit, nous n'avançons plus. Enfin... Au moins le temps est il clément pour l'instant. La saison est propice aux orages avec cette chaleur de la fin de l'été et l'air qui se rafraichit. Qui sait, peut être aurons nous la chance d'éviter tout à la fois les rigueurs du climat et les pirates...
Je ne crois pas tant en la chance, cela dit. Et je pense qu'en tant que navigatrice, vous devez avoir une perspective semblable.

Il est des choses que je dis peu et que j'écris déjà un peu plus facilement. Ainsi, je tenais à vous dire que selon ce que j'en ai vu, vous êtes une personne de qualité. Peut être aurons nous l'occasion de faire davantage connaissance à mon retour. Qui sait, peut être serais je moi même de meilleure compagnie à ce moment là ?

Cordialement,

Eavan Gaelig


La Gaelig se relut.
Suzanne était quelqu'un qu'elle aimait bien. Sa compagnie n'était pas désagréable. Et malgré une prise de contact un peu compliquée, finalement, cela s'était plutôt bien passé. Aussi elle s'était dit qu'elle pourrait bien lui envoyer quelque pli durant le voyage.

Ceci envoyé, la vicomtesse soupira et retourna à sa lecture de la veille. Gabriel. La Tempérance était encore une vertu qui lui semblait tout à fait hors de portée.

_________________
Eavan
Treizième jour de voyage...

Prière. Lecture. Tisane. Sommeil. Prière.
C'était pour l'instant la recette de la Gaelig contre la Colère.

De bon matin, elle avait installé sa canne à pêche, espérant augmenter ses effectifs de prise. Décidée à noter le positif de sa journée, elle eut le plaisir de distinguer les voiles s'animer un peu en début de matinée.
Du vent.
Enfin.

Décidée à s'occuper de manière constructive, Eavan avait fouillé dans ses affaires pour sortir quelques couteaux et s'était installée dans un coin du pont, près d'une écoutille pour préparer un des poisson péché la veille. Le procédé se fit sous l'oeil attentif de son compagnon à poils.
L'animal eut tout de même la décence d'afficher un air surpris lorsqu'elle lui offrit un morceau pré coupé. En réalité, elle avait préparé l'ensemble du poisson pour lui et garder le reste pour les jours à venir.
Finalement bien lancée, elle avait préparé les autres poissons en les salant ceux là. Ainsi ils se garderaient plus longtemps.

Occuper ses mains avait toujours été un moyen efficace de repousser la colère. Repousser les tracas inutiles et superflus. D'ordinaire, elle aurait sans doute reprit l'entrainement au combat, mais malgré l'application quotidienne de baume, elle sentait qu'un peu plus de repos ne serait que mieux. Rien ne pressait.

A mesure que les heures passaient, le vent s'intensifiait, si bien que le navire fut bientôt à nouveau en mouvement. Des cris de joie épars retentirent. Personne n'aimait la sensation d'être piégé en pleine mer.

Quelques oiseaux tournoyèrent et trois se posèrent sur le pont. Des mouettes pygmées, plus communément appelées MP. Trois missives lui étaient destinées.


Tensa a écrit:
Bonjour Eavan,

Une petite missive pour venir aux nouvelles.

Alors, comment allez vous ? Comment ce passe ce voyage ?

Pour ma part, j'ai bien retrouver mon amie dans le Toulousin, on est de retour, pour mieux repartir, en effet je repars mercredi avec ma moitié pour un grand tour dans le sud de la France. Les affaires obligent ! De Moulins à Bordeaux en passant par Toulouse, bref, ça va faire un beau voyage. Et la famille part en Angleterre que d'ici la fin du mois, fautes à pas de chance.

En espérant que tout ce passe bien pour vous.

Amicalement
Tensa


La surprise était là. Et agréable. Elle ne s'attendait pas vraiment à recevoir des nouvelles de Tensa de Falcone. Cela lui rappela qu'elle avait promis de donner des nouvelles et elle nota pour elle même de s'employer à rompre son silence.
Répondre à Tensa et envoyer un mot à sa soeur vinrent se placer en tête de ses priorités.

Le second courrier était une réponse. Mais quelle rapidité. La vicomtesse déplia le parchemin avec un sourire et parcourut les lignes manuscrites.


Suzanne a écrit:
Eavan,

Pour commencer simplement, et ainsi ce sera fait, sachez que j'ai apprécié la personne que j'ai rencontrée. je ne vous ai pas trouvé de mauvaise compagnie, bien au contraire. Le mot et l'attitude justes, choses auxquelles je suis sensible, vu mon naturel calme et attentif.

les aléas de la navigation mettent à rude épreuve les plus patients... j'en suis la preuve ! Il faut croire en sa chance pour qu'elle s'offre à nous; Toujours.

Je suis actuellement à Narbonne, demain Carcassonne, et je rebrousserai chemin pour reprendre le bateau et rentrer chez moi.
Mon bras guérit sûrement, je ne le bouge pas. La douleur n''est plus et mon oeil n'aura bientôt plus de traces.

Diane a en effet tiré un trait sur Grégory, c'est une bonne chose. J'espère en tout cas, avoir été un soutien pour elle. Vous n'avez pas à me remercier, vous en auriez fait tout autant.

A très bientôt
Cordialement

Suzanne


Avec le retour du vent, les lignes de Suzanne semblaient presque prophétiques. Alea, patience, chance. Y croire. Toujours. En effet, ils étaient de nouveau en train de voguer à bonne allure. Il avait suffit d'être patients.
L'idée amusa un peu tout de même la Gaelig qui songea que de patience il n'y avait guère eu lors de leurs premiers échanges. Ni de sa part ni de la part de la capitaine. Moins encore lorsque cette dernière avait chut de sa passerelle, se brisant le bras, entre autres. Le principal était que cela guérissait et était en bonne voie. Bien de pire qu'une blessure mal soignée... qui traîne...
Regard vers sa propre jambe.


Ça me rappelle une histoire d’hôpital et de charité... souffla-t-elle avec un sourire pour elle même.

Certes ce n'était pas entièrement sa faute mais tout de même, elle n'y mettait que très rarement du sien lors de ses convalescences.
Le regard alla au troisième courrier et elle reconnut le tracé. Cette fois elle déplia avec une impatience décuplée. Les courriers de Candyce étaient toujours source d'émotion.


Candyce a écrit:
Eavan,

Je suis également attachée à vous, et chacun de vos courriers fait naître un grand sourire dès que je vois votre nom. N'ayez donc aucune inquiétude.
La vie fait souvent en sorte que nous soyons déçues. Beaucoup de gens retournent leur cape au gré des intérêts diverses. Il est si rare de tomber sur des gens faits de roc qui gardent leur ligne de conduite en toute circonstance et qui ne trahissent jamais leurs idéaux ou leur parole, leurs amis.


Déjà un sourire arborait les lèvres de la vicomtesse. De ces sourires simples. Car simplement, Eavan se sentait cent fois plus à l'unisson de telles lignes plutôt que celles reçues la veille d'un "ami".
De manière tout à fait inattendue, Candyce était apparue sur son chemin. Les raisons pour lesquelles cela n'aurait jamais dû se produire pourraient fournir une liste bien longue. Et pourtant... Pourtant il y avait quelque chose. Une vision étonnamment commune et partagée des choses peut être les plus essentielles.


Candyce a écrit:
Aujourd'hui, je désire respecter ma parole et ne jamais trahir quelqu'un, ne jamais me trahir moi-même. C'est la chose la plus importante je pense. La confiance est un bien très précieux quand elle est accordée. Nous irons à notre rythme Vicomtesse, sans précipiter, notre relation évoluera naturellement.


C'était comme si Candyce savait pour ses échanges d'avec Adrian. Comme si elle savait et tenait le discours opposé. Opposé dans le fond. Opposé dans la forme.

Candyce a écrit:
Bien sûr que j'aurai le courage d'essayer Eavan, cela me tient à cœur comme je vous l'ai fait comprendre dans mon précédent courrier. Nous aurons tout le temps pour apprendre ou réapprendre. Il ne faut rien forcer. Je serai à vos côtés Eavan Maeve Gaelig. Vous êtes une femme remarquable et je suis honorée que vous m'accordiez votre confiance. C'est quelque chose de très précieux à mes yeux. Vous m'êtes très précieuse ma chère Eavan. Je serai capable d'offrir ma vie pour protéger la vôtre. Que vos idéaux perdurent et votre noble personne survive pour garder un peu d'honneur et de droiture dans ce monde décadent.


Eavan gardait une certaine gêne en lisant ces lignes. Cette admiration, elle ne s'y faisait pas tout à fait. Et cette idée qu'un autre se sacrifie pour elle lui paraissait insensée. Insensée car elle était de ceux qui se sacrifiaient.
Etait elle aujourd'hui dans les bottes de ce que jadis elle voyait comme des exemples ? Peut être. Mais Candyce n'avait pas la naïveté qu'elle avait elle dans cette situation. C'était d'autant plus perturbant de sentir cette admiration de la part d'une femme ayant vécu des choses si sombres et déjà arpenté les recoins ténébreux du genre humain.


Candyce a écrit:
C'est pour cela que vous ne devez pas leur céder. Restez telle que vous êtes, ne vous perdez pas par vengeance ou saturation. Vous êtes la vicomtesse Eavan Maeve Gaelig, fille de marins au cœur d'acier. Gaelig jamais ne faiblit, et jamais ne faiblira.


Un sourire, encore.
Un geste inhabituel. Celui de venir caresser du bout des doigts ces mots manuscrits.
Rester telle qu'elle était.
Et l'astucieux rappel à sa devise familiale.


Candyce a écrit:
Tout cela me laisse également une émotion particulière que j'apprécie partager avec vous Vicomtesse.

Vous serez une merveilleuse mère, et moi, une merveilleuse tante ! Si vous me permettez la plaisanterie me concernant.
Un mariage d'amitié alors... Au moins, sans passion, cela risque moins de péricliter. Mais votre nom sera perdu. À moins d'associer vos deux noms... Ce qui serait un bon compromis. Comme mon nom qui est composé de deux noms distincts. Il serait dommage de perdre un nom aussi chantant que le vôtre. Qu'en pensez-vous ?


La Gaelig ne rougit pas. Mais elle rosit malgré tout. Penser au mariage, à des enfants. Elle était si peu habituée à se projeter. Depuis quand n'avait elle pas pensé à ce que serait sa vie idéale ? Et non son idéal de vie.
Garder son nom était tentant. Mais ce n'était finalement pas cela qui avait attiré l'attention de la vicomtesse. Elle ? Merveilleuse mère ? L'émotion de voir ces lignes sur le parchemin fit qu'elle sourit même à la malice qui suivait. Malice amicale.


Candyce a écrit:
La Hérauderie. J'ai rigolé quand j'ai lu que vous alliez leur écrire une lettre bien nourrie. Dommage que la qualité de votre Hérauderie soit ainsi... Nous devrions la reprendre toutes les deux et en faire la plus prestigieuse des institutions de Provence ! Héhé.
C'est un art très intéressant qui me passionne je dois dire même si je suis limitée en dessin. C'est vraiment dommage que cette institution ne soit pas indépendante et forte. Pas étonnant après que la Noblesse soit si médiocre...

Égalité avec la roture ?... On dirait les signes d'une révolution prochaine tiens. Ils n'en ont pas assez avec cette démocratie ? Vous avez raison, ils ne comprennent rien. C'est vraiment bien triste, sans doute allons-nous vers la fin d'un monde. Du monde tel que nous le connaissons vers une sorte d'anarchie contrôlée... peut-être. Je ne sais pas. Mais ce que j'en sais, c'est que je n'aime pas du tout cela. Il y a une place pour tous dans ce monde, et chaque rang à son importance. Ses devoirs et ses qualités et spécialités. La Noblesse a un rôle d'exemplarité, de devoirs envers ses pairs et ses terres. Un rôle d'administration, de justice et de protection.

Quelle bande d'imbéciles... Finalement, la Bretagne me paraît moins médiocre à présent. Même s'il y a des excès et des anoblissements très faciles, à la gueule du client. Voilà encore une chose qui m'exaspère. Et encore plus de donner des titres en pagaille aux politiciens... alors que la charge principale d'un vrai noble est la protection armée et la guerre. D'ailleurs, je ne comprends pas ce concept d'armée régulière qu'il y a un peu partout. C'est la charge de la Noblesse que la chose militaire. Bref... Cela m'énerve aussi.


Eavan eut un petit rire, s'imaginant enfermer Candyce et la Comtesse de Saint Rémy dans la même pièce pour parler noblesse. La roturière sachant bien mieux que la noble ce que cela signifiait.
Et puisque Candyce savait se débrouiller, peut être enfermerait elle aussi Dona Verowil avec les deux premières. Il suffirait enfin de prendre des paris et de faire un peu de réclame et une animation provençale était née.

La vicomtesse s'amusa de sa bêtise et garda en tête l'idée pour les jours où écouter ces nobles là parler d'abolition des privilèges sans ne avoir la moindre conscience lui semblerait au dessus de ses forces.


Candyce a écrit:
Votre blasonnement : « De sable à la bordure d'azur, au lion assis d'argent au centre » devrait être plutôt : « De sable, au lion assis d'argent, à la bordure d'azur ».
Généralement, les bordures viennent en dernier. D'abord le champ, après les autres pièces. Et le « au centre » n'est pas nécessaire dans ce cas là. Lorsqu'il n'y a qu'un seul meuble dans le champ et qu'il est au centre, en fait, c'est sa place par défaut. Si on blasonne comme j'ai fait, votre lion est forcément au centre. Donc cela peut être omis de le préciser. Mais ce n'est pas une faute pour autant, juste une précision négligeable. Par contre, s'il n'était pas au centre, là oui, il aurait fallu absolument le préciser.

Mais bon, après, ce n'est pas une règle absolue je pense. On m'a dit que certains faisaient un peu ce qu'ils voulaient.


La hérauderie semblait passionner sincèrement la hollandaise. C'était intéressant.
Peu de femmes pouvaient tout à la fois lui donner des corrections à coups de poing et en blasonnement. C'était assez rare pour être relevé.

Candyce a écrit:
Si l'on vous a proposé ce poste de maître d'armes, c'est que l'on vous en pensez capable. Et vous l'êtes. Le blasonnement s'apprend comme tout, et le dessin... Nous pouvons recruter des dessinateurs pour cela. Et puis, en tant que maître d'armes, oui, votre connaissance des règles héraldiques et nobiliaires est primordiale, tout comme votre vision de la Noblesse. C'était à vous, sur le papier, qu'incombait la lourde tâche de gérer et de guider toute la Noblesse d'une main de fer. Et cela, vous êtes la mieux placée que quiconque pour le faire avec brio. C'est même d'ailleurs pour cette raison que l'on vous a forcé à « abdiquer ».
Et puis, je dis qu'il faut savoir parfois se documenter seul. C'est ce que j'ai fait moi avec des ouvrages sur la héraldique dans les bibliothèques que j'ai visitées.
Vous avez l'étoffe d'un guide pour la Noblesse, je vous le dis et c'est cela que je pense de vous.

J'ai fait votre blason complet. Vous me direz si c'est bon. Je suis fière de moi avec mes maigres compétences de dessin. Et sans tricher, juste avec votre blasonnement.


Eavan jeta un oeil au croquis et sourit. Il faudrait une ultime correction pour que cela soit parfait.

Candyce a écrit:
Pour les deux personnes louches, finalement, elles n'ont rien fait. Ce fut une fausse alerte... Sans doute que j'étais trop seule depuis un trop long moment et que le fait de voir des gens comme eux m'a fait me sentir en danger. Au moins, je n'aurais pas eu à salir mes vêtements et filer mon collant.

Je suis arrivée à Nîmes comme prévu. J'y ai retrouvé mon amie et tout va bien pour moi. J'essaye de la séduire par jeu, mais elle est dure à cuire. Et je défends la cité la nuit venue. Savez-vous que l'évêque de Nîmes, une femme remarquablement belle fait la messe tous les soirs ? Tous les soirs une messe. Et elle prend en confession quasiment tous les jours aussi... Je n'ai encore jamais vu cela. C'est admirable pour quelqu'un de fervent.


La Gaelig fut soulagée que ce ne soit qu'une fausse alerte. Après tout, filer des collants, que cela pouvait être agaçant.
La suite lui tira un petit sourire. Du genre résigné. Il faudrait qu'elle s'habitue à lire à ce sujet. Et sans doute à écouter aussi. Eavan n'éprouvait pas de dégout, pas réellement. C'était simplement une idée tellement étrangère à elle même. Etrange. Inconnue. Il lui faudrait du temps pour que cela devienne un sujet de conversation comme un autre. L'évocation d'un simple péché comme les autres que les humains pratiquaient dans leur imperfection.


Candyce a écrit:
Et vous Vicomtesse ? Comment cela se passe sur votre rafiot ? Êtes-vous avec cet ami qui vous plaît ? Sentez-vous des picotements dans votre bas-ventre à son contact ? Je m'égare comme souvent ! Alexandrie approche ?

Prenez soin de vous Eavan Gaelig adorée.
Mes pensées vous accompagnent.
Sincèrement, comme toujours,

Candyce


Eavan secoua doucement la tête. C'était frais. Et en même temps fallait il absolument que Candyce aborde le sujet du désir et de l'envie de l'autre ? Cette faim de contact, d'intimité. Elle était sûre que cela relevait plus de l'amusement pour son interlocutrice. Après tout elle se plaisait à tester les zones de confort de ceux qui croisaient sa route.

Une fois ses lectures terminée, la Gaelig retourna à ses tâches. Le vent était de nouveau avec eux. Il était temps de fendre les flots et d'aider à la manoeuvre.

_________________
Eavan
Quatorzième jour de voyage...


Eavan s'éveilla au doux son d'un ronronnement particulièrement prononcé. Ouvrant les yeux, encore un peu dans la brume, la vicomtesse vit que la boule de poils était contre son cou et il ne fallut pas deux instants pour qu'elle sente une langue râpeuse contre sa mâchoire.
Le contact acheva de la tirer vers la réalité et avec lenteur, elle se redressa, veillant à maintenir le chat contre elle.


Que se passe-t-il ? Tu n'es pas si enjoué de bon matin d'habitude...

Un simulacre de miaulement lui répondit. Avec un petit sourire amusé, elle posa son compagnon félin dans le hamac le temps de passer une chemise. Ce fut alors qu'elle la refermait qu'elle nota un objet sous son hamac.
Un objet qui n'était pas là la veille.
Un objet étrange.
Elle se pencha et trouva un petit plat blanc fait de matière souple et recouvert d'une fine pellicule de papier transparent. Un morceau de viande hachée est disposé dans le plat et le papier transparent porte une étiquette : "30% matière grasse maxi - Origine : France - A consommer avant le : voir sur emballage".


D'où cela vient-il ?

Le regard se porta sur le chat.
Avec de se détourner. Non. Tout de même, c'était plus qu'improbable.

Les yeux se posèrent à nouveau sur l'objet. Personne n'aurait pu rentrer dans ses quartiers dans la nuit sans que cela ne la réveille. La Gaelig avait généralement le sommeil léger. Et qui aurait eu, de toute façon, pareil objet dans ses affaires ?
Non.
La réponse était ailleurs.
La vicomtesse se souvint que pareil évènement s'était déjà produit par le passé. Souvent au lendemain d'une soirée passée sous le signe de Sainte Boulasse ou bien après une journée de ferventes prières. Etait ce donc là un cadeau divin ?

Emue à l'idée d'avoir bénéficié d'une intervention divine, quelle qu'elle soit, la Gaelig se laissa aller à genoux et pria. Elle remercia.


Tu nous guide quand notre âme est embrouillée
Tu guéris le chétif et le maladif
Tu nous offre tes vêtements quand les nôtres sont mouillés
Tu éloigne les marchands des brigands, les bâteaux des récifs

Tu soulage les plaies
Tu guide tes prophètes pour qu'ils puissent nous montrer la voie
Tu nous sauve des guerres en aidant la paix
Tu fais règner l'ordre quand toutes s'égarent les voix

Et nous, nous te louons
Et nous, nous nous confessons
Et nous, nous t'aimons
Ô Très-Haut!
Soit loué!


Silencieusement, elle répéta ensuite le crédo et médita quelques instants sur la beauté de cette Amour que Dieu avait envers Sa création. Sa méditation prit fin lorsqu'elle sentit une boule de poils lui atterrir sur l'épaule. Reléguée à être un escalier pour félin, la vicomtesse le regarda gagner le sol puis s'intéresser au présent.
Bien sûr.
Léger sourire et la Gaelig prépara donc un petit déjeuner en honorant ce cadeau, en partageant un peu avec le bienheureux félidé.

La journée passa.
Ce cadeau avait totalement écarté la Colère des pensées et du coeur de la vicomtesse. Elle songea plutôt à l'Amour et au partage. Elle songea au plaisir qu'elle avait eu à prier. A cette simple humilité qu'elle ressentait lorsqu'elle posait les deux genoux au sol, ou au plancher. Et si quelque chose lui manquait du continent désormais, il fallait y ajouter les messes car prier avec d'autres fidèles était l'une des choses lui plus belles qui lui ait été donné de vivre.

Dans l'après midi, parmi les mouettes qui formaient des cercles autour de leurs lignes, l'une d'elle se posa non loin, un message à la patte. Il ne fallut que quelques instants pour qu'Eavan reconnaisse le sceau et récupère le tout, prenant congé de ses compagnons de voyage sur le pont pour lire cette missive à l'abri dans sa cabine.


Diane a écrit:
Eavan,

Bien bien bien! Une cascade de choses merveilleuses me sont arrivées dernièrement. Assieds toi pour lire ma missive.


Eavan, docilement, s'exécuta. Que pouvait il donc se passer ? Etait ce du premier degré ? De l'ironie ?

Diane a écrit:
Première chose:

As-tu perdu l'esprit?! Un duel?! Non mais sérieusement Eavan... Dans l'état où tu étais en partant de Marseille, le même dans lequel tu es arrivé en Arles... Un duel?!
Et ensuite tu t'étonnes de souffrir? J'ai presque envie de te dire que c'est bien fait! Mais parce que je t'aime et que je déteste faire du mal aux gens que j'aime, alors je vais me contenter d'espérer que cette missive te trouvera dans un meilleur état.
Et en effet, elles ne sont guère cassées, juste fêlées, car des côtes cassées sont moins douloureuses que lorsqu'elles sont fêlées.
Le seule conseil que je peux te donner, c'est du repos et du baume. Tu regarderas dans tes affaires, j'en ai glissé deux autres gros pots en dedans, me disant que ton mal serait long à se remettre et je vois que j'ai bien fait.
Je t'ai toujours dit que je t'admirais et que tu étais un modèle pour moi, alors un ami m'a proposé des joutes demain.
Et en pensant à toi et voir ta détermination, j'ai accepté!

J'ai vraiment besoin de me défouler, alors ça tombe bien. Je me suis préparé un pot pour moi aussi, donc point d'inquiétude à avoir.


Un grognement d'abord. Eavan n'aimait pas qu'on lui fasse la leçon. Pas du tout. Elle s'y attendait malgré tout. Peu de gens la comprenaient. Peu de gens acceptait cela. Et Diane n'en faisait apparemment pas parti.

Et plus loin...


QUOI ! DES JOUTES !

L'éclat fit se carapater le félin qui partageait son espace de vie. Non que la vicomtesse y prêta la moindre attention, trop submergée par de l'inquiétude. Un duel amical avec un accord préalable n'avait rien de comparable à des joutes ? Diane avait elle perdu la raison ? Avait elle déjà jouté au moins ? Eavan fouilla dans sa mémoire et se souvint que oui, mais tout de même. Les joutes à cheval, à la lance étaient loin d'être le sport le plus sûr que l'on puisse pratiquer entre amis. Même Eavan n'aurait pas eu une idée pareille. Certes elle aimait jouter, mais en tournois, pour le spectacle et une occasion particulière, pas le dimanche après la messe pour se dégourdir les jambes !

Diane a écrit:
Deuxième chose :

Ensuite au conseil, Zanta a l'impression que certains la dénigrent. Je ne sais qui c'est, mais si c'est le cas, je trouve cela petit. Je l'apprécie et même si j'admets que ça a tardé à bouger, à présent elle nous donne des objectifs.


Que cela se mette en branle au conseil était une bonne chose.
Et des Illustres se sentant attaqués à tort ou à raison, c'était un peu parti intégrante de la description du poste.


Diane a écrit:
Troisième chose :

Un certain dont je tairais le nom, me voit comme un démon, enfin j'ai l'impression. C'est lui qui s'amuse et c'est moi la vilaine soit disant vaniteuse, orgueilleuse et je ne sais plus quoi d'autre.
Il pense que j'ai lancé le sujet pour le vote de confiance à transformer en élections, alors que lorsque je lui avais expliqué la première fois il avait trouvé ça bien, juste afin de me faire élire marquise.

Je compte quitter Provence pour un temps... Même seule je n'en ai cure. Mais point devenir Marquise.
S'il savait comme je me fiche du pouvoir et le reste et que tout ce que je fais c'est par amour pour nostre pays.
S'il n'a point compris que j'essayais juste de faire évoluer nostre belle Provence, alors c'est qu'il n'aura jamais compris qui je suis. Je me réjouis donc d'avoir été assez lucide pour savoir que ce n'était guère le bon choix à faire.
Tout ce que je vois, c'est que ça ne lui a guère plu que je me refuse et que je vois clair en son jeu, n'étant point si naïve et manipulable, qu'il l'avait espéré.
Je laisse ce rôle à d'autres.


Cela avait il un rapport avec Gregory ? La Gaelig se posait la question.

Mais à nouveau, l'inquiétude revint comme une vague qui s'acharne sur une falaise fragilisée. Partir, d'accord. Elle n'était pas de ceux qui s'y opposaient farouchement. Mais seule ? Seule ?


Seule ?!

Et Eavan de s'imaginer déjà les pires des scenarii.

Diane a écrit:
Quatrième chose : (la plus merveilleuse)

Hermess...
Après lui avoir dit que j'étais prête à oublier et à réapprendre à nous apprivoiser, nous reconstruire ou simplement construire une nouvelle vie et lui m'ayant dit qu'il ressentait toujours des choses et que j'étais importante, m'a annoncé qu'il quittait Provence.
Il m'a dit partir voir des amis, aller aussi peut-être voir sa suzeraine et même si je n'ai rien contre elle, j'ai vu ce regard quand elle m'avait parlé de lui et en qui du coup je n'ai jamais eu confiance.
J'avais confiance en lui mais à présent...
Bref, il m'a dit partir plusieurs mois pour le moment, puis il verrait selon ce qu'il trouverait...
Et ça, je dois faire quoi avec?
Si je dois être aussi susceptible que lui, je pourrais le prendre comme "Si je trouve point mieux ailleurs alors je reviendrai vers toi, sinon, adieu"?
Pfff heureusement que je le connais et que je sais qu'il n'est point ainsi.
Il est parti avant hier soir. Il s'est fâché parce que je lui ai dit que même si ça ne changerait rien, qu'il allait me manquer.
Il l'a mal pris et je ne comprends guère pourquoi. En quoi est-ce si terrible que de lui dire que je savais que ça ne l'empêcherait guère de partir mais lui signifier qu'il allait me manquer quand même.

Bref, il m'a proposé un échange épistolaire pour éventuellement recréer un lien ou que sais-je... Je n'ai jamais vraiment cru au fonctionnement de cette méthode, mais bon.
Je lui ai écrit le soir même et je n'ai toujours point de réponse, bref...


Lâche.
Pleutre.
Couard.
Menteur.
Diane méritait tellement mieux que cela... Mais la vicomtesse sentait que les sentiments étaient sincères du côté de la marseillaise. Comment dès lors lui dire des mots si cruels ? Tu mérite mieux que celui que tu aime ?


Diane a écrit:
Cinquième chose :

J'ai pris la décision de me laisser un peu vivre sans me soucier du lendemain ou des conséquences... Je le regrette déjà mais... bon sang... J'ai toujours l'impression d'être investie de la mission de toujours bien faire et j'en suis à bout!
Et puis... Un ami m'a dit qu'il... que j'étais trop fragile et bon sang, que ça a le don de m'agacer... Pourquoi les gens se croient obligés de penser et prendre des décisions à ma place?
Je suis fragile je le concède, mais... Je crois qu'avec tout ce que j'ai pu traverser, ma force ne fait guère de doutes non plus.
Bref, je vais laisser revivre ma folie.


Eavan relut ce paragraphe. Encore et encore.
Folie et regret...
Diane voulait elle prouver quelque chose ? A qui ? A elle même ? A d'autres ? Et prouver quoi ? Qu'elle n'était pas fragile ? Que ni joutes, ni voyage seule, ni folies diverses n'étaient des risques à ses yeux ?


Mais enfin Diane... que se passe-t-il...

D'inquiète, Eavan se fit soucieuse. Oui, elle se faisait du soucis pour Diane. De ce qu'elles s'étaient croisées, la Gaelig la percevait un peu comme une petite soeur. Elle pouvait en être proche, mais sans jamais oublier de la préserver tant qu'elle le pourrait.

Et là, la grande soeur qu'elle était s'inquiétait bien sincèrement de ce qui transparaissait de cette missive. Et à l'inquiétude s'ajoutait la crainte que cela n'ait été par son exemple qu'elle ait pu influencer Diane sur ce chemin là. La marseillaise n'écrivait elle pas, un peu plus haut, que c'était la détermination de la Gaelig qui l'avait inspirée ?
Inspiré à faire des bêtises ? Quel bel exemple elle faisait...


Diane a écrit:
Sixième chose :

Et bien plus rien de spécial, à part demander comment vous allez tous? Et j'espère que cette fois tu seras plus sage, que tu cesseras de porter ou travailler, que tu laisseras cela aux hommes!
Sur ce bateau tu n'es ni cheffe d'armée, ni en mission pour défendre marquise ou Provence alors Eavan, restes juste toi! Une belle femme qui fait un beau voyage, cheveux aux vents.
Savoures la douceur de l'air sur ton visage, Le vent qui chante à son oreille et te livre ses plus grands secrets tant inavouables que nous sommes peu à les comprendre, Profite de la vision de l'horizon et de la joie à regarder les mouettes vous survoler.

Je t'embrasse Eavan, au plaisir de te lire,

Diane...


Savoure, savoure...
Comment savourer alors que désormais l'inquiétude la rongeait ?

Et en quoi le fait d'être une femme justifiait de ne rien faire à bord ? Diane semblait confondre les conditions de ce voyage d'avec celui qu'elles avaient fait en mai. Ce n'était pas autant de la plaisance. Le navire était difficile à manœuvrer et chacun devait participer. Et cela convenait à Eavan. Après tout, elle était fille de marin. Cela était aussi quelque chose qu'elle voulait s'approprier. Ce n'était pas par hasard qu'elle avait été assidue dans ses études de navigation.
La Gaelig aimait être active et pas passive.

Et c'est donc activement qu'elle était désormais inquiète.
Que répondre à Diane ? Que dire ? Comment ? Parler de son inquiétude ? La taire ? Interroger ? Ne pas le faire ? Secouer ? Encourager ? Non, pas encourager. Il ne fallait pas pousser...
La nuit serait sans rêve puisque sans sommeil, à n'en pas douter.

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Eavan
Quinzième jour de voyage...

Eavan regardait l'astre solaire percer l'horizon. Les couleurs étaient enchanteresses. Nulle terre en vue. La vicomtesse pouvait regarder dans toutes les directions : tout n'était qu'eau. Il y avait de quoi avoir le vertige.
Les grincements du bois, des gréements, le froissement des voiles, le murmure des flots contre la coque... Tout cela était devenu une sorte de cocon. Chaque son semblait désormais presque familier.

Le moment aurait été contemplatif. Oui, c'était un instant parfait pour cela. Mais Eavan avait les traits tirés. Les yeux regardaient au delà de ce magnifique horizon. Ils étaient inquiets. Elle n'avait pas dormi.
Toute la nuit durant, elle avait songé à ce qu'elle allait répondre à Diane. Son courrier arriverait de toute façon trop tard. Ne lui avait elle pas dit qu'elle devait jouter rapidement ? Oui, elle arriverait trop tard.
Comme d'habitude ?
Comme d'habitude.

Longtemps, elle resta immobile, fixant l'horizon, jusqu'à se brûler les yeux face à ce soleil prenant en forces. Elle finit par détourner le regard pour le poser sur les flots. Enroulée dans sa cape, elle ne sentait pas la morsure du vent.
Ce fut lorsque le pont s'anima à nouveau que la vicomtesse rejoignit sa cabine. Il fallait absolument qu'elle réponde vite.


Eavan a écrit:
Diane,

Je ne sais par où commencer. Je ne sais quel sentiment je dois laisser s'exprimer et quel sentiment je dois taire. Je ne sais pas. Ta missive m'a troublée. Pour bien des raisons en bien des points.

Je crois, d'abord, que je suis désolée pour Hermess. Je compatis. Pour ce que ça vaut c'est une douleur que je connais et sache que ma compassion est sincère. Je ne sais ce que tu choisiras, ce que ton coeur te laissera choisir ou non mais mon seul conseil sera le suivant : personne n'a le droit d'abuser de ta patience. Si une personne te fait souffrir en te faisant attendre alors elle ne te mérite pas. Si une personne estime que cela lui est dû cette souffrance que tu t'inflige en attendant, alors elle ne te mérite pas.

Ensuite... Que dire...

Je suis inquiète.
Tu me parle de folies que tu regrette déjà... Diane, par pitié, tu dois être capable de te relâcher de cette pression qui ne m'est que trop familière sans aller jusqu'à faire des choses que tu regrette. Le regret est un poison. Pire, le regret est une cicatrice. Il peut s'estomper mais il ne disparait jamais. Au mieux on apprend à l'accepter. Pourquoi t'infliger cela !

Quitter Provence seule ? Sans escorte ? Sans même une seule personne pour rendre le chemin moins périlleux ! Mais enfin Diane ! Je t'en conjure, tu as une fille ! Sois un minimum raisonnable. Voyager oui. N'importe comment non !

Et tu me dis que c'est mon exemple qui te conduit à ce genre de folies ?
Une joute ?
Est ce ainsi que tu me perçois ? Est ce donc cela que tu admire chez moi ? De ne savoir que manier les armes et de n'être pas capable d'exister sans ? Conçois tu réellement qu'une joute soit aussi badine qu'un duel amical ? Des gens meurent, Diane, lors des joutes. On ne peut pas retenir un coup en joute Diane. On ne choisit pas comment l'on tombe d'un cheval au galop. On ne choisit pas l'adresse de son adversaire et sa capacité à viser l'écu et non une jambe ou le heaume.
Si tout ce que je t'inspire c'est traiter ta vie comme si elle n'avait aucune importance alors éloigne toi de moi, par pitié. Je ne souffrirai pas de faire tuer des gens auxquels je tiens. J'ai déjà du mal à entendre que je terrifie des gens, alors inciter mes amis à se faire tuer...

J'ai commis une erreur.
Je n'aurais pas dû te parler du duel.
Quelle idiote... Vraiment... J'aurais du me taire. Au moins suis je la seule à souffrir lorsque je le fais.

Ton cousin a été malade. Il m'a inquiétée un moment mais cela s'est calmé.
Je ne croise guère les autres.

Quand à savourer le voyage, j'attends de savoir si j'ai ton sang sur mes mains ou non.
Je prierai pour qu'il ne t'arrive rien.

Dans l'espoir que tu répondras rapidement,

Eavan


Ce fut écrit d'un trait.
Sans relecture.
Le coeur couché sur le parchemin.
La fatigue aussi sans doute et l'inquiétude maturée depuis la veille.

Une fois la missive partie et le regard d'Eavan accompagnant le volatile jusqu'à ce qu'il disparaisse vers le nord, la vicomtesse alla prier un moment. Epuisée, s'endormant à moitié durant sa prière, elle choisit de s'allonger quelques instants dans son hamac.

    Un fracas métallique.
    Des éclats de bois.
    Du sang.
    Une odeur animale qu'elle reconnut sans parvenir à l'identifier.
    Confusion.
    Son coeur battait jusque dans ses tempes.
    Ses oreilles bourdonnaient.
    Des gémissements de douleur.
    Des gargouillis infâme.
    Une main tendue vers elle.
    Tremblante.
    Sa vision se fait plus claire.
    Le sang forme une mare.
    Diane gît presque déjà devant elle. Des éclats de lance parsèment son gorgerin qui béant, expose le cou et la gorge déchiquetés par le bois.


Eavan se redressa soudainement. Au creux de l'estomac la nausée. Les yeux grands ouverts sur sa cabine, haletante. L'odeur de cheval est encore accrochée à ses narines, et subtilement mêlée de celle du sang.
Fallait il vraiment que la vie de la Gaelig lui ait permis de se former une image si vivace d'un tel évènement... Eavan pria en cet instant que cela ne fut vraiment que le fruit de ses inquiétudes et non un ressentit plus juste...
Incapable de fermer à nouveau les yeux, tout comme incapable d'avaler quoi que ce soit tant l'image de son cauchemar lui avait retourné les tripes, la Gaelig s'arracha à son hamac... Elle comptait de toute façon rédiger quelques autres lettres qu'elle avait en retard... Autant profiter de ce temps libre. Qui sait, cela parviendrait peut être à lui changer les idées...

Fouillant dans ses parchemins reçus, elle tira le courrier de Tensa et le relut avant de s'atteler à la réponse.


Eavan a écrit:
Bonjorn Tensa,

Cela me fait plaisir d'avoir de vos nouvelles.
Il semble que ce mandat ait donné des fourmis dans les jambes de tout le monde. Profitez bien de ce grand tour. Si jamais vous passez par Lourdes ou par Bayonne, vous aurez peut être le plaisir de croiser d'autres Gaelig. Nous sommes peu et dispersés mais qu'importe. Vous voyagez donc pour affaires. Du commerce j'imagine ? Quoi de beau ?

Si cela implique des produits de luxe, s'il vous plait, tenez moi informée.

Concernant votre famille, je les pensais déjà à flot. Je vais écrire à Selena rapidement. J'espère que ce retard dans le départ n'est pas dû à des circonstances trop graves.

De notre côté, c'est calme. Nous avons fait une escale qui n'était pas prévue et perdus quelques jours mais au final, nous sommes bien sur le bon cap. C'est parfois même un peu trop calme à bord, mes compagnons de voyage préférant profiter de leurs hamacs que du mess.
Plus personnellement j'essaie de récupérer. Physiquement ce n'est pas tant le problème, vous vous serez douté. Provence continue à me décevoir même en pleine mer. Mon appel est rejeté sans réelle explication. A ce stade j'hésite même à en faire la remarque. J'ai le sentiment que c'est là un combat perdu d'avance... Cela veut il dire que je ne dois pas le mener ? Je l'ignore. J'y réfléchis. Après tout, baisser les bras n'est pas dans le sens de mes valeurs, mais je suis aussi fatiguée.
Les luttes vaines conservent malgré tout un charme idéaliste.

Je vous souhaite que vos voyages se passent bien et que vous en profitiez pleinement.
Que le Très Haut veille sur vous,

Amitiés,

Eavan Gaelig



C'était simple, factuel. Elle partageait avec lui quelques ressentis concernant les affaires provençale. Il n'était pas tout à fait étranger au sujet de l'affaire Balotelli, ainsi elle avait jugé juste de l'en tenir informé.
La lettre fut scellée puis Eavan songea que tant qu'à écrire aux Alaric, autant le faire bien. Nouveau parchemin.



Eavan a écrit:
Bonjorn Selena,

J'espère que vous allez bien.
J'espère que les troubles à l'OCP n'auront pas eu trop de prise sur votre moral.

J'ai eu quelques nouvelles de Tensa qui me disait que vous n'étiez pas encore partie. J'espère que ce retard n'est pas dû à quelque chose de grave.

Bon, ces lignes sont un peu brouillonnes mais je voulais m'assurer que vous alliez bien après les discussions à l'OCP. J'espère ne pas vous avoir blessée.
Je n'ai guère apprécié le déroulement des discussions. J'ai le sentiment que nous aurons parlé de tout sauf du comportement déplacé de la comtesse de Saint Raphaël. Pour tout dire, je n'ai que de la pitié pour elle. Sa douleur la rend vaine et le temps qui passe ne semble rien apaiser.


De mon coté, le voyage est un peu lent. Et le navire est très calme. Que les nuits arlésiennes en taverne me manquent actuellement. Mais la distance est chose nécessaire.

Donnez moi de vos nouvelles, si le coeur vous en dit.

Cordialement,

Eavan Gaelig



La Gaelig espérait sincèrement que Séléna n'avait pas mal prit ses envois devant l'Ordre de la Croix Provençale et les accusations de Nathy. Eavan ne réagissait pas souvent bien à ces dernières et la Castilla-Villaréal avait battu des records de ridicule selon les critères de la vicomtesse de Rians. Mais au regard de son apparente douleur toujours aussi vive et violente, elle avait préféré s'effacer. Pour Nathy elle n'aurait plus que de la pitié. Après tout c'est bien ce qu'espérait Saint Raphaël, son unique argument à chaque fois qu'elle se comportait mal étant "je suis veuve vous savez". Ce qui était dommage c'est qu'Eavan était tout à fait convaincu qu'elle était quelqu'un ayant de nombreuses qualités...
Mais non... Impossible de discuter, d'échanger sans qu'elle ne l'accuse de tout ce qui lui passait par la tête et s'abroge le droit de savoir mieux qu'elle ce que la Gaelig ressentait. Ridicule. Epuisant. Vain.

De tout cet étalage, Eavan n'avait donc retenu qu'une chose : Nathy était une cause perdue. Et si la Gaelig estimait avoir une chose à maintenir, c'était la relation de respect mutuel d'avec Selena. Elle appréciait la loyauté tranquille que Selena témoignait à Provence. Vouloir rejeter cette loyauté et condamner les Alaric pour des faits appartenant au passé n'était pas la meilleure chose à faire selon la Gaelig. Et c'était là la principale différence d'avec les Villaréal. Eux semblaient incapables de tolérer que Provence pardonne. Il fallait pardonner lorsque les Villaréal pardonnaient mais pas s'ils opposaient leur veto. De tels cas étaient alors forcément des conspirations à leur encontre.
Usant.
Eavan avait été impressionnée de la maitrise de Selena. Se faire accueillir par des crachats dans un ordre de mérite aurait valut bien plus d'effusions.

La seconde lettre fut scellée et elle envoya le tout aux Alaric correspondant.

Lorsqu'elle retourna à ses quartiers, plus tard dans la journée, elle ne sentit même pas le moment où, durant une lecture d'un passage du Livre des Vertus, elle s'endormit totalement, vaincue par la fatigue et les nerfs accumulés.

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Eavan
Seizième jour de voyage...

Un rayon de soleil orangé vint frapper la vicomtesse en plein visage.
Le vil.
L'astre solaire était encore bas. Le matin jeune.
Et déjà la Gaelig grimaçait en se relevant, une main se frottant un peu l'oeil traumatisé par le réveil lumineusement violent. Eavan était pâteuse. Ce n'était pas souvent qu'elle se réveillait ainsi. Encore moins sans une consommation d'alcool la veille au soir. Tout son corps était crispé. Elle avait certes dormi. Mais bien ? C'était une autre histoire.

Elle sentit, au niveau de ses jambes, son colocataire félin se lever lui aussi. Ce matin, Eavan n'avait pas été particulièrement attentive et il avait dû être dérangé par ses mouvements. Balayant cette préoccupation là et estimant que ce n'était pas bien grave, elle rangea soigneusement son Livre des Vertus abandonné en pleine lecture.

Après avoir jeté une cape sur ses épaules elle alla chercher un seau d'eau au dehors. La fraicheur la fit frissonner. Le vent venait du nord. C'était à la fois une bonne nouvelle pour leur voyage et une mauvaise pour les températures. Sans s'attarder de trop, elle retourna à ses quartiers pour se laver de manière un peu plus appuyée.
Ce fut l'occasion d'un examen général.
La marque sur son bras s'atténuait. Elle avait perdu de son noir et violacé et tirait désormais davantage dans les verts. Au niveau de ses côtes, un trait sombre restait visible. Finalement, la cicatrice sur sa cuisse commençait à prendre un aspect "ancien". Tout cela passait. Comme ce qu'elle avait envisagé, elle rentrerait en Provence "comme neuve".
Qui sait, d'ici quelques jours, elle pourrait reprendre ses entrainements quotidiens. Léger sourire à l'idée.

Une fois habillée, plus chaudement que les jours précédents, la vicomtesse alla remplir ses tâches à bord. Elle ne s'interrompit que lorsque deux volatiles se posèrent non loin, message à leur patte.

Le premier était de Selena. Quelle vélocité !



Selena d'Alaric a écrit:
Bonjour Eavan

Quelle joie d'avoir de vos nouvelles!!
Nous ne sommes pas encore partis c'est vrai, ce sera pour fin octobre normalement.

Je ne compte pas donner plus d'importance qu'il n'en faut aux excès de Nathy...En fait je prend ça d'où ça vient et ce qui me chagrine c'est l'image qu'elle veut donner de moi aux autres.

Les corps de nos amis de l'époque sont au coeur de notre forteresse et j'ai mille fois plus de respect pour eux que pour cette enragée.

Bref si je m'étais comportée comme elle et que je n'aie eu aucun respect pour la Provence c'est au travers de la figure qu'elle l'aurait eu cette croix.
Fort heureusement j'ai conscience de la valeur de cette reconnaissance et ce n'est pas sur une seule personne à moitié folle que je base mon jugement sur les provençaux!!

Merci de votre soutien en tous cas, je vous en suis très reconnaissante

Je souhaite que votre voyage se passe au mieux
Prenez garde à vous ,je ne vous oublie pas

Bien à vous

Séléna d'Alaric


Eavan ne savait pas tout de ce qui s'était passé. Mais ce qu'elle savait c'est que des morts il y en avait eu de chaque côté et qu'aucun ne devait être considéré comme "moindre" qu'un autre. Quelque soit le camp choisit lors d'un conflit, les morts ont des frères et soeurs d'armes, des amis, des proches.
Avec l'histoire de Provence, tenir des griefs spécifiques contre telle ou telle personne pour des guerres du passé n'était pas le plus sain. Il eut fallut haïr tout le monde ou presque. Les Spadassins de l'Ombre n'avaient pas trahis Provence. Pour trahir il faut s'engager à être loyal...
S’arrachant à ses réflexions, la vicomtesse posant son regard sur l'autre missive. Reconnaissant le sceau, elle se jeta presque dessus.
Diane avait répondu.



Diane a écrit:
Ma chère Eavan,

Pfff que je me sens sotte en lisant ta missive!
J'étais agacée pour le duel, te voir si peu raisonnable et n'en faire qu'à ta teste, alors que je t'avais dit de te reposer et ne rien faire d’inconsidéré.
Je suis loin et ne suis guère là pour te veiller et prendre soin de toi! Heureusement que tu me l'as dit, je l'aurais mal vécu si je l'avais appris par un tiers, mais franchement, je suis inquiète!
Comment vont tes côtes? Car tu ne me donnes point de tes nouvelles je te signale, dans cette missive...


Etaient ce donc seulement des mots d'agacement ? N'était ce qu'une provocation puérile ? Le soulagement déjà se le partageait à la colère. Encore cette vieille ennemie.

Inconsidéré ? Un duel avec accord préalable ? Solliciter sa jambe en tout et pour tout deux minutes ? Un grognement franchit les lèvres de la Gaelig. Diane ne la comprenait pas...

Et pourquoi aurait elle épilogué sur ses côtes quand son amie lui annonçait faire des choses inconsidérées à base de prise de risques. Il y avait des priorités à avoir !


Diane a écrit:
Si je t'admire c'est pour bien plus de raisons que cela...
Tout d'abord ta prestance, ton charisme, ta sagesse (sauf pour les duels), la maîtrise que tu as de toi face aux difficultés.
Tu es belle, même en armure et même crasseuse au retour d'une mission difficile, tu as une belle âme Eavan, vous êtes peu à être ainsi et je t'estime.
Tu devrais savoir, me connaissant que je ne te vois point qu'en femme d'armée, mais bien au delà. Et crois-tu que je confierais la vie de ma fille entre tes mains sans hésitation si je ne te faisais point toute confiance?


La vicomtesse songea que Diane ne faisait là que lui passer du beaume. Les avalanches de compliments étaient rarement innocentes. Ou l'étaient elles ?

Le dernier argument fit secouer la tête à Eavan devant le parchemin. Justement, c'était bien ses capacités martiales qui faisaient d'elle la personne parfaite à qui confier sa vie ou celle d'un proche. Pas ses qualités humaines. On attendait d'un garde du corps qu'il sache se battre, sache protéger et le fasse au péril de sa vie si nécessaire... Pas qu'il soit agréable ni en conversation ni à regarder.


Diane a écrit:
Que tu fasses des duels, je n'en ai cure, je rêve d'en faire un aussi un jour, mais point en ton état! C'était un caprice, même si je sais que tu avais besoin de te défouler.


Un caprice ?
Un caprice.
Voilà donc tout ce qu'en retenait Diane.
La mâchoire de la Gaelig se serra et elle poursuivit, déçue de lire de pareils mots pour définir ce duel.


Diane a écrit:
Ensuite, pour Hermess.... Je ne sais plus que penser, mais... J'ai écris, je verrai bien quand ou s'il répondra. Je n'ai rien à en dire de plus...

Pour le voyage, plusieurs amis sont sur les routes et même si je ne voyage jamais vraiment seule, puisque Rédoine me suivrait, ainsi que Célestine la nourrice de ma fille, je pense proposer à un ami de le rejoindre ou qu'il vienne me chercher, j'étudie la question.
Et puis ce ne serait qu'après le mandat, une fois que je n'aurais plus l'armée, il reste un mois, vous serez peut-être même rentrés.


Donc pas seule.
Pourquoi avoir écrit "seule".
Diantre, Diane voulait qu'elle meurt d'inquiétude... Etait ce juste une petite vengeance ?


Diane a écrit:
Depuis que j'ai repoussé Grégory, je le sens en colère, plein d'amertume et plein d'animosité envers moi et presque envers Folie. Certes, je ne suis point des plus chaleureuse avec lui, mais tout de même... il y a des limites...
Bref, pour moi c'est un chapitre fermé.


Les hommes et leur ego.
S'il y avait bien quelque chose de positif dans tout ça c'est que la marseillaise ait clôt ce chapitre là.


Diane a écrit:
Pour ma sottise que je regrette et bien en fait non... Je pense toujours aux autres avant de penser à moi alors pour une fois j'ai pensé à moi...
J'ai culpabilisé mais en vrai, il n'y a guère de raison. Je n'ai rien fait d'illégal hein, rassures toi... Je ne suis guère folle à ce point.


Encore heureux...
Peut être cela mériterait il une conversation à son retour... De quoi pouvait il bien s'agir ?


Diane a écrit:
Ensuite pour les joutes. Ce sont juste des joutes amicales, rien d'officiel et encore moins de dangereux... Juste un ami avec qui on se taquine et qui veux jouter ou combattre je n'ai guère trop compris en vrai.
Me crois tu assez sotte pour risquer ma vie, en sachant que je tiens à ma fille plus qu'à la prunelle de mes yeux? Que ferait-elle sans père et en plus sans mère?
Si je t'ai inquiété, pardonnes-moi... Ce n'était guère le but....


Vraiment ?
Pas le but ?
Eavan en doutait.
La Gaelig avait surtout la sottise de croire ce qu'on lui écrivait. Généralement du moins. Et si elle soupçonnait Diane de quelque chose ce n'était pas de sottise mais sans doute davantage de naïveté vis à vis des sports de guerre. Au moins était elle rassurée désormais.


Diane a écrit:
Et je refuse que tu cesses de me dire les choses... Tu es comme de ma famille Eavan, une famille ça se confie, ça se soutient, c'est honnête et sincère.
Alors ne cherches point à me cacher les choses...
Et même si ça m'a contrarié, je préfère largement que tu m'en ais parlé.


Le mot "caprice" résonna dans l'esprit d'Eavan et elle songea qu'à contrario, elle, n'était pas sûre qu'en avoir parlé fut une bonne chose. Etait ce là le soutient dont Diane parlait ? La réduire à une enfant n'agissant que par caprice ?
La vicomtesse soupira.

Avait elle été raisonnable ? Non. Certes non.
Etait ce un risque inconsidéré ? Non plus.
N'était ce qu'un caprice ? Pas selon elle.
Qui plus est ce n'était pas elle qui avait évoqué le sujet mais son adversaire. Mais il était bien inutile d'en parler davantage avec Diane. De plus Eavan n'était pas d'humeur à devoir se justifier. Elle n'avait pas à se justifier.


Diane a écrit:
Demain, j'écrirai à Ary puisqu'il ne le fait point...

Sur tout cela, je vais te laisser, car me voici une nuitée de plus à ne point dormir. Ne m'en veux point pour le courrier précédents.
Je l'ai écrite, agacée et vexée que tu n’aie point suivi mes conseils et qu'en plus je ne l'apprends que maintenant.

Je t'embrasse fort,

Diane...


Agacée et vexée ?
Fallait il donc comprendre que c'était une petite vengeance de la part de la marseillaise ?

Les sentiments étaient bien divers dans le coeur de la vicomtesse alors qu'elle rangeait le courrier. Soulagement, déception... Doute... Il valait mieux qu'elle attende avant de répondre. Rien ne pressait. Elle avait de toute façon fort à faire avec les manoeuvres et voulait d'abord se reposer. Répondre à chaud n'aurait servis à rien.

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Eavan
Dix-septième jour de voyage...

Nouveau jour. Enfin une nuit plus sereine. Nulle image d'horreur n'était venue la troubler. Eavan était de nouveau plus sereine.

De bon matin, elle avait été sur le pont pour découvrir avec surprise des terres en vue.
En vue.
Et proches.
Très proches.
D'une part certes, cela permettait à la Gaelig de s'extasier de ces paysages jusque là inconnus et si différents de ceux qu'elle connaissait. Mais d'autre part, n'était ce tout de même pas un peu trop proche ? En tendant le bras, elle pourrait bientôt toucher terre elle même.

Il semblait que le capitaine voulait suivre la côte. Cela imposa donc beaucoup de vigilance et de nombreuses manoeuvres. Il fallait bien guetter le vent, les courants et sans cesse corriger les voiles ou la barre. L'exercice était pareil à celui d'un funambule sur son fil.

Alors qu'on la relevait de son quart, Eavan prit un moment pour se reposer, regardant ces côtes avec des yeux émerveillés tout en dégustant son pain quotidien. Son corps était un peu fatigué par l'exercice que ces manoeuvres imposaient, mais il y avait quelque chose de confortant là dedans. De la bonne fatigue.

La vicomtesse n'eut à nouveau une pause que dans l'après midi bien avancée. Le soleil baissait mais n'avait pas encore prit ces couleurs orangées. Profitant d'un moment de calme, le navire s'était un petit peu écarté de la côte en prévision de la nuit, la Gaelig alla s'installer à son écritoire pour adresser une lettre à celle qu'elle percevait de plus en plus comme une amie.



Eavan a écrit:
Candyce,

Pardonnez moi de n'avoir répondu plus vite. J'ai été préoccupée par d'autres missives et s'ajoute à cela que nous naviguons fort près des côtes. Cela impose plus de vigilance à la manoeuvre pour s'assurer de ne pas tout bonnement se fracasser contre elles.
Le bon côté c'est que nous avons le loisir de voir ces terres étrangères et étranges. Les couleurs sont différentes ici. C'est comme un autre monde...


La vicomtesse rajouta quelques mots sur leur destination que l'on ne voyait toujours pas.

Eavan a écrit:
...pas encore en vue mais à bord, l'on sens un peu de tension. Cette excitation si particulière. Je crois que nous savons tous que nous approchons. Bientôt.


La tension était aussi du fait de la situation préciare du navire, coincé entre des vents qui voulaient le rabattre contre la terre et cette côte pas vraiment hospitalière pour un accostage. L’embarcation risqueraient de se disloquer sur des rochers avant que les occupants ne puissent palper la terre de leur voute plantaire.

Eavan a écrit:
Deux échanges épistolaires m'ont éloignés du nôtre.
L'un d'une amie qui m'a inquiétée, et qui m'inquiète toujours. J'ai crains qu'elle ne commette des imprudences. Tout cela pour "suivre mon exemple". Je me demande donc quel exemple je peux bien donner... Mener des gens au combat, à la guerre, je puis parfaitement l'assumer. C'est mon rôle c'est ainsi et je sais assumer les conséquences morbides. Mais inspirer des amis, des gens auxquels je tiens, à mettre leur vie en danger de manière futile... Que dire. Non... Je ne suis pas prête à voir leur sang rougir mes mains.
J'ai peu dormi ces derniers jours.
Le second..qu'en dire de cet échange. Il me révolte ? Il me déçoit ? Sans doute les deux, quelque part. L'on m'écrit que je dois changer. Que tout ce à quoi j'accorde une valeur n'en vaut pas la peine. Que ce ne sont que chimères. Il m'écrit que je ne dois pas ériger ma vie de manière chevaleresque, que ce monde idéal n'existe pas, qu'il faut savoir violer les règles pour parvenir à ses fins et m'intime de me mettre en accord avec moi même... Il me pense sotte, n'est ce pas ? Il est la raison de mon éloignement, de mes doutes. Il n'a cessé de me susurrer cela à l'oreille : mes valeurs sont inutiles et nocives à la bonne marche des choses. Il m'écrit aussi que les provençaux me craignent et me respectent. Le respect est il donc né de la crainte ? N'y-a-t-il donc aucune autre forme de respect en ce monde ?
Je dors peu ces derniers jours.


Eavan ne se relut pas. Elle couchait là son coeur sur le parchemin, pour ainsi dire. Se dévoiler n'était pas si simple. Pas à ces sujets là.

Eavan a écrit:
Vos lignes Candyce... Est ce étrange pour vous de lire que vos lignes sont un beaume sur des plaies à vif ? Que les mots que vous m'adressez me touchent ? Que lorsque je met votre courrier à coté du sien, j'ai les larmes aux yeux ?
J'en dis trop ?


Question rhétorique. Oui.

Eavan a écrit:
Comment peut on songer à rendre le monde meilleur, à inciter les gens à tendre vers le meilleur d'eux mêmes si l'on abandonne les valeurs, les vertus ? Si l'on estime que le monde n'étant pas idéal, on ne doit poursuivre aucun idéal et ne conforter dans la justification continuelle par le pragmatisme... Bien sur faut il l'être parfois. Je ne suis pas idiote. Pourquoi se compromettre d'emblée ? Une société ne peut pas se construire sur l'idée même qu'on a pas à respecter ses règles fondatrices. Si l'autorité elle même s'affiche comme hors la loi, comment exiger de ceux qui n'ont pas même le pouvoir pour se protéger qu'ils s'y plient plutôt que d'user de force.
La charité ne fait pas disparaitre la pauvreté, la condamne-t-on pour autant ? La juge-t-on inutile et vaine ?
L'amitié ne fait pas disparaitre la haine, pourtant l'on continue à apprécier ses amis et à s'en faire de nouveau.
L'humilité ne dissipe pas l'orgeuil des autres, mais on apprécie généralement plus une conversation avec les humbles qu'avec les orgueilleux.
Le courage n'annule pas la mort, mais il est plaisant de voir des gens en faire preuve.
Vos lignes Candyce... J'en ai besoin en ce moment. Et je vous en conjure, ne parlez pas déjà de perdre votre vie, de la sacrifier. Moins encore pour moi. Je préfère que vous viviez avec moi, plutôt que vous ne mourriez pour moi. J'ai déjà beaucoup de proches, d'amis, de frères et soeurs d'armes morts. Des morts, j'en ai plein. Mon coeur en est rempli. C'est de vivants dont je manque. N'allez pas rejoindre la longue liste de ceux qui me manquent.


Terminant sa phrase, la Gaelig eut un petit sourire triste. Oui des amis elle en avait beaucoup. Mais peu étaient encore en vie.
Il y avait quelque chose d'étrange à l'enchainement des évènements. Quelques mois plus tôt elle perdait son guide. Celui qu'elle avait toujours vu comme une entité vénérable, respectable, sage et humaine. Celui qu'elle avait adopté comme confesseur. Et aujourd'hui, il semblait quelque part, que c'était elle désormais que l'on percevait comme quelqu'un de respectable. Elle n'avait pas encore les années et la longue barbe grise pour mériter le qualificatif de vénérable mais elle percevait aujourd'hui la ressemblance.

Souvent d'ailleurs on l'avait suivis. Et toujours elle avait eu peur de cela. Toujours elle avait fini par s'effacer. Parce qu'elle était soldat au fond de son coeur et non meneur. Sans doute y avait il matière à creuser sur la question.
Devait elle accepter cette évolution des choses ? Les deux étaient ils conciliables ?

Son encre séchait au bout de sa plume et elle l'humidifia un peu avant de reprendre sa rédaction.


Eavan a écrit:
Nous échangions sur quelques sujets... Oui...
Le mariage... Il est bien trop tôt pour discuter des conditions et détails. Je l'ai dis, je ne forcerai rien. Moins encore car l'ami est jeune et mériterait sans doute de la fraicheur à ses côtés. Pour le nom, cela dit, oui... Cela serait un bon compris de conserver les deux.


C'était même assez évident dans son esprit. Et elle espérait qu'ils trouvent le temps de parler. Ce voyage était l'occasion idéale. L'isolement d'avec leurs réalités d'apparence et de tenue devait être l'opportunité pour avoir ce genre de discussion à coeurs ouverts.

Eavan a écrit:
Concernant la Noblesse...
Le sujet est vaste. J'ai été héraut de 56 à 64. Un peu, donc. Heureusement tous les nobles ne sont pas insensés. J'apprécie votre regard sur ce point, la noblesse, son rang, sa place, son rôle. Provence a un problème chronique concernant le recours à la levée de ban. C'est devenu si exceptionnel que c'en est inexistant. En somme, c'est triste. Malheureusement personne ne m'a forcé à abdiquer. Enfin si... Mon propre corps. Ma propre santé. J'ai du me retirer au calme et prendre du repos. Je n'étais même plus capable de lutter. Naturellement, on m'aura retiré ma charge de Maitre d'Armes. A raison.
A mon sens, malheureusement, noblesse et hérauderie sont un combat perdu d'avance. Parce que les suzerains eux mêmes ne sont pas intéressés par un quelconque changement, redressement. Ils ne sont pas intéressés par l'idée de faire preuve d'autorité, de fermeté et de confronter la noblesse à ses devoirs. La Hérauderie ne peut ni ne doit se substituer aux suzerains. Il est une trentaine de nobles en Provence. Une dizaine, tout au plus, participe aux débats concernant la noblesse. Moins de cinq sont investis à la Hérauderie. Si l'on remonte en cumulé depuis 1456, une dizaine de nobles différents, pas plus, s'est investit à la Hérauderie.


Triste mais juste constat, ou approchant, de la situation de la noblesse en Provence. Il faudrait que davantage de nobles se sentent concernés pour que les choses changent et pas seulement deux à la fois ponctuellement.

Eavan a écrit:
De mon blason, blasonnement. Il est presque juste. Le lion représenté sur le blason familial est il assis dans votre version ? Je scellerai cette missive, ainsi vous pourrez voir la position du lion tel qu'il apparait sur le blason familial.
Vous allez finir par devenir mon héraut personnel à ce rythme.


Le sourire amusé fendait le visage de la vicomtesse. L'idée n'était pas si idiote.

Eavan a écrit:
Et pour parler un peu de vous, tout de même... Je me sens mal à vous ensevelir sous mes déconvenues et soucis divers en ne prenant que si peu de temps pour les vôtres.

Je suis heureuse que vous n'ayez pas eu à vous frayer un chemin à coups de poings sur les routes. Non que je vous pense incapable de le faire. Loin de là. Je ne porte plus de marque visible de nos échanges mais j'en garde un souvenir vivace. Quoi que... Me voilà en flagrant délit de mensonge puisque j'ai une petite marque à l'arcade droite. Fine et délicate. On ne la voit que si l'on sait ce que l'on cherche. Mais pour revenir au sujet, je suis contente que votre voyage ait été calme.

Votre amie résiste à vos charmes ? Je vais devoir m'y habituer, n'est ce pas, à avoir ce genre de conversations avec vous. Vous jouez donc. Mais jouez vous en tâchant de ne pas céder trop aisément aux attraits des plaisirs de la chair que je sais que vous appréciez, ou jouez vous en vous abandonnant à ceux ci ? Vous m'avez confié que tout cela était plus difficile pour vous.


Le sujet n'était pas l'un des favoris d'Eavan. Non qu'elle soit tout à fait prude, ou innocente en la matière mais elle n'avait clairement pas la même perception de la chair que Candyce. Avant de vouloir tendre vers la vertu, le premier pas était toujours de se remettre en accord avec soi même. Et là dessus la Gaelig peinait à savoir comment témoigner son soutien à son interlocutrice.

Eavan a écrit:
Je crois savoir qui est l'officiante dont vous me parlez. Chentyt ? Dans la mesure où elle a su éveillé votre admiration par son dévouement, peut être pourriez vous tenter de discuter avec elle ? Je ne sais... Mais j'imagine qu'elle aura connu nombre de pécheurs parmi ses ouailles. Nous le sommes tous, après tout. Peut être saura-t-elle vous conseiller ou au moins vous offrir un autre point de vue.
Je suggère cela, mais c'est bien tout ce que c'est une suggestion amicale. Ne faites rien pour moi. Si vous faites quelque chose, faites le pour vous.


La Gaelig ne voulait pousser la hollandaise nulle part. Mais Chentyt était peut être davantage habituée à conseiller les gens vis à vis de leurs tentations. Fidèles aristotéliciens ou non.

Eavan a écrit:
Vous vous demanderez peut être ce que j'en sais de tout cela et des luttes internes. Croyez moi. Si vous êtes tentée par la luxure, je suis tentée par la colère. Il m'est infiniment aisé de me trouver de raisonnables justifications à cette colère. Tout ce qu'elle fait pourtant est souvent dicter mes actes à ma place et m'arracher le contrôle que je devrais avoir. Elle m'éloigne de moi. Elle me rapproche de cet autre qui n'est pas réellement celle que je veux être. Si les péchés n'étaient pas si tentants, pourquoi regarderions nous les gens vertueux avec admiration ?

Vous êtes là pour moi Candyce. Laissez moi être là pour vous.


Sincèrerement,

Eavan Gaelig


Le principal était dit. Alors qu'elle scellait et confiait ensuite le tout à un piaf, un cri d'alarme retentit. La pause était fini et se dépêchant, Eavan retourna sur le pont pour aider à la manoeuvre. Un coup de vent menaçait de les précipiter contre les rochers... Cette nuit ne serait pas reposante et elle espérait qu'ils ne soient pas loin de leur destination.
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Eavan
Dix-huitième jour de voyage...

Peu de sommeil car les quart s'enchainaient. Pas question de laisser quelqu'un de fatigué sur le pont. Chacun devait avoir les yeux bien ouverts. A chaque fois qu'à la barre on sentait une pression du vent vers la côte, il fallait corriger. Et dès que le vent se clamait il fallait de nouveau le chercher et orienter les voile pour ne jamais cesser d'avancer.

C'était ainsi de nuit et c'était ainsi de jour.

Cela faisait déjà plus de deux semaines qu'ils étaient en mer et de manière générale cela se ressentait à bord.

Comme pour souligner cet état de fait, en fin d'après midi, après quelques changements de vent bien éprouvant au passage d'un petit cap, un cri retentit.


Homme à la mer ! Homme à la mer à tribord !

Aussitôt, les ordres fusèrent. Les voiles furent hissées, un marin courrait d'un bout à l'autre pour la fixer, indiquant à Eavan que celui qui était à l'eau devait être tombé de là haut. Dans le même temps un bout fut lancé et le navire presque immobile une fois les voiles hissées, l'ancre fut jetée. La Gaelig fut impressionnée de l'efficacité. C'était pareil à une chorégraphie savamment répétée.
Une fois l'ancre bien accrochée au fond, le capitaine donna l'ordre d'amener l'allure de sorte que la petite embarcation puisse aller récupérer le malheureux. Par chance, l'incident n'eut pas de dénouement tragique, l'homme étant simplement un peu sonné de sa chute.

Il y eut quelques échanges à bord, et finalement, la capitaine accepta de s'éloigner un peu plus de la côte de telle sorte que la pression ne soit plus si grande à la manoeuvre. Eavan entendit que de surcroit cette situation devait durer encore quelques jours avant qu'ils ne parviennent à leur destination. Il était certain que relâcher la tension était nécessaire...

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Eavan
Dix-neuvième jour de voyage...

Dimanche. Et donc Eavan prit un temps particulier au réveil pour prier de manière un peu plus construite que les autres jours. Dans l'intimité de sa cabine, en compagnie d'un félin intrigué, elle se mit à genoux pour réciter le Confiteor. Elle demanda l'absolution de ses péchés puis se releva, paumes offertes pour prier.


Je crois en Dieu, le Très-Haut tout puissant,
Créateur du Ciel et de la Terre,
Des Enfers et du Paradis,
Juge de notre âme à l'heure de la mort.

Et en Aristote, son prophète,
le fils de Nicomaque et de Phaetis,
envoyé pour enseigner la sagesse
et les lois divines de l'Univers aux hommes égarés.

Je crois aussi en Christos,
Né de Maria et de Giosep.
Il a voué sa vie à nous montrer le chemin du Paradis.
C'est ainsi qu'après avoir souffert sous Ponce,
Il est mort dans le martyre pour nous sauver.
Il a rejoint le Soleil où l'attendait Aristote à la droite du Très-Haut.

Je crois en l'Action Divine;
En la Sainte Église Aristotélicienne Romaine, Une et Indivisible;
En la communion des Saints;
En la rémission des péchés
En la Vie Éternelle.

AMEN


La Gaelig dirigea ensuite sa prière à la protection de leur nave et de ses occupants. Elle pria Dieu de leur permettre de ne pas croiser de pirates. Enfin, elle Le remercia d'avoir veillé sur eux jusque là, pour la santé dont ils avaient jouis, pour la félicité qu'ils avaient à parcourir le monde à la découverte de Sa Création.

Une fois sa prière terminée. Son corps fatigué des manoeuvres continuelles mais son esprit et son coeur sereins, elle rejoignit le pont.

Toujours la côte.
Le paysage changeait un peu. Eavan aurait aimé pouvoir prendre le temps de contempler simplement ces couleurs, cette végétation que l'on distinguait... Mais la situation était la même que les jours précédents : la côte était proche et il fallait être vigilants.

La journée avançant, un volatile parvint à la Gaelig. Un volatile et un message. Un message dont elle reconnut aussitôt le trait. Et un sourire éclaira son visage. Le parchemin fut fourré dans une poche et attendit là patiemment que la vicomtesse ait une pause.
Profitant de l'air doux, cheveux au vent, elle alla parcourir la missive sur un coin du pont.


Candyce a écrit:
Eavan,

Ne vous tracassez pas pour la durée entre les courriers. Nous faisons comme nous le pouvons. Rien ne sert de courir, le tout est d'arriver à point.
C'est vraiment long comme voyage. Je deviendrais sans doute folle enfermée dans ce rafiot. Des paysages différents dites-vous ? Ce doit être intéressant à vivre. Profitez-en bien, cela vous changera complètement de chez nous.


Alexandrie est une cité particulière. Toute simple, une taverne, un marché. Je pense que c'est comme les abbayes qui sont érigées sur des champs. Dans le coin ou plus haut, il y a une sorte de falaise je crois, d'où les suicidaires peuvent se jeter. C'est... bizarre. On m'a raconté tout cela.

Son interlocutrice avait écrit quelques lignes de ce qu'elle savait de la destination. C'était aussi ce dont la Gaelig avait entendu parlé. Son cousin Nicolas, paix à son âme, lui avait tout raconté de son aventure avec tant de détails que parfois, Eavan avait le sentiment de déjà connaitre ces merveilles.
Mais non. Rien ne valait de l'expérimenter soi même.


Candyce a écrit:
Franchement, je préfère encore rester chez moi, pour ma part. J'aime bien voyager, mais pas à l'étranger.

Une vicomtesse préoccupée ? Pourtant, malgré le fait que vous vous fassiez naturellement du soucis, vous ne devez pas vous en vouloir. Ce n'est pas de votre fait pour votre amie. Et puis, ne vous êtes-vous jamais mise à la place de vos amis ou connaissances ? Quand vous partiez au combat ou guerroyer pour la Provence ou Rome. Eux aussi s'inquiétaient pour vous. Eux aussi avaient peurs pour vous.


Eavan ne le savait que trop bien. C'était aussi pour cela qu'elle partageait si peu. Et c'était sans doute aussi un début d'explication dans son réflexe d'isolement qu'elle avait affiné avec les années.

Candyce a écrit:
Cette femme est grande, elle sait ce qu'elle fait. Vous l'inspirez, un peu comme moi. Vous devriez au contraire en être honorée. Elle a fait ses choix tout comme vous lorsque vous partez à la guerre. Si c'est la voie qu'elle a choisi, vous devriez plutôt l'encourager, être de son côté. La vie est ainsi faite, les gens vivent et meurent. Nous suivons tous notre voie et nous faisons tous nos choix.
Ce n'est pas vous qui l'avez obligée ou envoyée se battre. Aucune raison de vous sentir coupable. C'est dangereux, cela inquiète certes. Mais nous ne pouvons pas vivre dans un cocon toute notre vie. Et puis, elle a autant de chances de mourir dans une ville ou sur une route. Vous devriez être fière qu'elle soit une sœur d'armes, si l'on peut dire. Ne vous inquiétez pas, elle sait ce qu'elle fait. Et puis sinon, c'est la vie. Nous vivons pour nous-mêmes, pas pour les autres Eavan.

Laissez-la faire sa vie et réaliser ses ambitions ou ses envies. C'est son choix à elle, nullement de votre fait. Leur sang ne rougira que leurs mains à eux, pas les vôtres.


Tout cela était vrai; Et la Gaelig sentait bien à lire ces lignes qu'il y avait là une sagesse qu'elle n'appliquait pas elle même.
Mais le soucis c'était bien que Diane ait invoqué l'exemple d'Eavan pour justifier des folies. Comme si c'était davantage pour lui ressembler que pour se ressembler à elle. Diane était médecin, ce n'était pas un chien de guerre.


Candyce a écrit:
Par contre pour cet imbécile. Je parle ainsi, même si c'est votre ami, je n'en ai cure. Cet homme est un misérable. Personne n'a le droit de vous demander de changer. Vous êtes Eavan Gaelig, avec vos idéaux, votre vision des choses. Changer signifierait vous perdre, devenir quelqu'un d'autre, ne plus être Vous. Il a des paroles de personnes malhonnêtes. Sérieusement... Il vous dit de mentir, de faire les choses dans le dos des gens, de vous mentir à vous-même pour le bien du groupe ; car oui, c'est pour cela qu'il vous dit ça. Rentrer dans le moule et les laisser faire tout ce qu'ils veulent. C'est facile oui. Cet homme n'est digne d'aucune forme de respect. Il vous dit juste de devenir une roublarde comme lui. La bonne marche des choses ? Qu'elles choses ? Une vie sans règle ? Une vie où le plus fort a tout, et les plus faibles sont des esclaves ? Une vie où les magouilles pour s'enrichir sur le dos des autres est la pratique courante ? Une vie sans respect ? Une vie sans honneur ? Mais quel genre de vie est-ce là ?
Les gens vous craignent parce que vous ne cédez rien. Parce que vous faites ce que vous dites sans détour. Ils vous respectent pour les mêmes choses. Vous savez quoi ? Les gens dont ils parlent sont les gens qui touchent de près ou de loin le Pouvoir. Ils vous craignent parce que vous ne les laissez pas faire leur saloperies tranquilles. Tout simplement. Les habitants ne vous craignent pas.
Quand je parlais de mon combat avec vous à des personnes que je connaissais à Arles, elles me disaient que j'allais me prendre une raclée, que Eavan était une personne qui avait de l'expérience et qui bottait des culs, avec mes mots. Il n'y avait aucune crainte là-dedans, juste un respect de votre valeur et de vos aptitudes.
Cet homme dit cela uniquement parce que vous les gênez eux, lui et sa clique de politiciens pourris.
Le respect ne naît pas de la crainte non. La seule chose qui naît de la crainte, c'est la peur et la haine et le mépris. Les gens vous respectent parce que vous êtes droite dans vos bottes et que quand on a affaire à vous, on est sûr que ce sera justice et honneur. L'honnêteté est toujours récompensée. Du moins, le plus souvent. Les valeurs chevaleresques sont ce qui manquent le plus à ce monde de vices.
On veut vous faire changer parce que vous gênez certaines personnes. C'est la seule raison Vicomtesse. Et si vous imaginez changer pour leur faire plaisir, ce qui ne serait pas vous du tout, je me chargerai de vous remettre en place. Ce sera pour votre bien. Je vous vois mal devenir une roublarde.

De plus, cet idiot est vraiment idiot dans le genre... « qu'il faut savoir violer les règles pour parvenir à ses fins et m'intime de me mettre en accord avec moi même... » La bonne blague... Sérieusement ? Le problème est que justement, si vous changiez d'optique... Là pour le coup, vous ne seriez plus du tout en accord avec vous-même... Franchement... Ce genre d'idiot arrive à vous faire douter de vous ? J'ai peine à le croire. Il faudrait que je vous botte le cul pour vous remettre les idées en place oui.
Bien évidemment que parfois, la situation exige de devoir briser une règle ou deux. Mais ce ne doit pas devenir une habitude, sinon cela s'appelle l'anarchie et n'augure rien de bon. Après tout, si l'on a érigé des règles, c'est bien pour quelque chose hein ? Sinon, on aurait rien fait du tout. Maintenant, tout dépend également pour quelle raison on veut passer outre une règle... C'est cela qu'il faut regarder oui. Eavan, des gens comme vous manquent sur cette terre. Restez vous-même. Il n'y a pas de place pour le doute. Le Sans-Nom vous susurre... Faites comme Christos. Et abattez également Léviathan le Coléreux.


Eavan lut tout cela, sentant son coeur menacer d'exploser, oscillant entre un petit rire amusé aux choix de mots de Candyce et de rares larmes d'un soulagement. La franchise, l'aspect direct, de la plume de la hollandaise étaient autant de qualités qu'elle aimait. Cela faisait naître une douce chaleur, non pas dans le bas ventre, mais bien dans la poitrine.
C'étaient ces mots là qu'elle devait garder près d'elle.
Le coup de grâce étant lorsque Candyce se mit à faire une analogie religieuse. Là, Eavan eut un rire franc. Il n'y avait rien de moqueur, bien au contraire. C'était tellement rafraichissant.


Candyce a écrit:
Dormez sur vos deux oreilles à présent. D'autant plus que j'ai déménagé il y a deux jours en Arles. Ma maison se situe bien loin en dehors de la cité, au nord, là où il n'y a plus aucune route, ni chemin.


La vicomtesse relut ce passage une seconde fois, surprise. Ainsi donc, ça y était, Candyce était arlésienne ? C'était une bonne nouvelle.

Candyce a écrit:
Séchez donc vos larmes. Vous n'avez besoin de personne pour savoir qui vous êtes Eavan Maeve Gaelig. Vous savez très bien qui vous êtes et d'où vous venez. Vous savez très bien qui vous a élevé. Vous le savez. Et vous n'êtes pas une immondice politique, non. Vous êtes la Vicomtesse de Salon de Provence et de Rians. Vos gens et les paysans vivant sur vos terres savent qui vous êtes. Vous ne décevrez jamais ces gens là qui comptent sur vous et sur votre honneur.
À présent, redressez la tête fièrement. Je suis là avec votre épée, empoignez-la pour vous souvenir de ce qui fait votre force ! De ce qui fait votre âme et de ce pour quoi vous vivez, et vous battez depuis toutes ces années.


Toujours souriante, Eavan s’exécuta, séchant ses quelques larmes d'un revers de manche avant de reprendre sa lecture.

Candyce a écrit:
Rien n'est étrange dans vos dires. Je suis heureuse de vous apporter cette émotion et ce coup de fouet. D'ailleurs je vous piquerai bien le fessier avec la pointe de votre épée pour douter autant de vous, non mais !
Un monde sans idéal, un monde sans valeur, sans vertu, sans fondement... N'est rien. Plus qu'une anarchie de vice et de débâcle. Vos lignes sur ce sujet me réconfortent. Vous êtes toujours vous. Vos paroles tombent sous le sens et je pense la même chose. J'ai tellement été dans l'erreur que je n'avais plus tout cela en tête. Cela fait du bien de trouver quelqu'un qui puisse me les remettre en tête.


Encore ce rôle si inhabituelle. Etait elle donc vraiment le guide désormais ?
Léger sourire. Bien entendu, Candyce n'avait pu s'empêcher de suggérer quelque chose impliquant son fessier. Etonnant presque qu'elle n'ait pas davantage associé le fouet à cette histoire, plutôt que la pointe de l'épée. La vicomtesse secoua la tête pour chasser ces pensées là...
Bien sûr ce n'était pour elle que des jeux de mots mais tout de même.


Candyce a écrit:
Ma vie se porte bien, je vous rassure. J'ai acheté un moulin. Cela fait longtemps que j'en avais envie. Le maire Max m'a aiguillée. Je prendrai des élevages lorsque je reviendrais plus durablement en Arles. Pour le moment, j'ai un potager et je suis à Nîmes avec mon amie. Nous allons aller à Marseille dans quelques jours.

D'ailleurs à ce sujet, avant hier soir, nous nous sommes bien amusés. Il y avait beaucoup de brigands en ville. Nous avons fait un barrage sur les remparts, c'était amusant ! Ils n'ont fait que passer finalement, mais il y a eu mobilisation, c'était intéressant. Vous savez, je défends chaque nuit gratuitement. Je ne risquais pas de faire cela avant !

Donc je ne vais pas mourir va. Mais si j'ai envie de vous protéger, je le ferai. Vous êtes peut-être une meneuse d'hommes, mais moi, on ne me mène pas. Même vous Vicomtesse adorée !


Bien sûr.
De toute façon on ne peut être soeur avec quelqu'un qu'on commande.
Et puis elle ne préférait pas s'imaginer la compléxité de commander à quelqu'un comme Candyce. Léger rire. Des epsrits libres il en fallait aussi.


Candyce a écrit:
Pour le mariage, vous êtes très fraîche ! Je vous ai senti durant notre combat ! Vous sentez encore bon. Donc, aucun problème et puis vous valez mieux que ces filles tombées du berceau. Bon, ce sera plus difficile de vous retourner à cause de votre force musculaire et donc du poids qui l'accompagne, mais ce n'est qu'un détail. Je me fais retourner très bien moi...


Mais !
Mais c'est qu'elle dit qu'chuis lourde !!

Le rire d'Eavan fit un moment de la concurrence aux mouettes pourtant bruyantes.


Candyce a écrit:
Noblesse... quand tu nous tiens !
Je vois, je vois, tout une éducation à refaire. Apparemment, la Noblesse de Provence actuelle ne sert strictement à rien, sauf à faire potiche. Oh j'ai un titre, je suis un grand seigneur, ouaaaah ! Quelle tristesse en effet.
Eh bien vous avez bien fait de vous retirer... Quand on voit que l'on ne peut vraiment rien y faire, il vaut mieux se retirer que s'acharner jusqu'à en devenir risible. Donc, si je comprends bien, tant qu'il n'y aura pas un véritable noble, et pas un nobliaux de pacotille comme actuellement, au Pouvoir, rien ne changera... Franchement, c'est décourageant ! Mais bon, ce n'est pas étonnant quand on lit ce que vous a écrit votre ami... Finalement, je me demande s'il ne vaudrait pas mieux s'enfermer dans un couvent et laisser tous ces bouffons dans leur merde qu'ils apprécient tant.
Mais ce serait stupide de se priver à cause d'eux. Je pense qu'il faut suivre notre voie dans notre coin et de rappeler à l'ordre dès qu'il y a une crasse quelque part, que l'on sache qu'il y a une autre voie que la leur. Et de faire en sorte que notre Noblesse n'est pas comme la leur, et qu'il existe des gens qui croient en un monde où tout a une place définie et utile pour l'ensemble.

Après, certes le noble a des avantages sur les classes roturières, mais il doit user de ces avantages pour améliorer le quotidien de ses gens, de ses paysans et artisans. Mais cela n'est jamais fait ainsi. La nature humaine est bien trop pourrie pour cela.

Je comprends que la Hérauderie ne peut pas se substituer aux souverains mais les souverains sont mauvais. On ne peut donc rien y faire... À moins que vous ne deveniez la prochaine marquise de Provence, Vicomtesse.


Oh non elle va pas s'y mettre elle aussi.
Ca va devenir la plaisanterie à la mode ça.


Candyce a écrit:
Nos nobles provençaux sont des potiches pour les trois quarts. Bref. Mais l'histoire d'abolir les privilèges de la Noblesse pour être au même niveau que les roturiers... C'est... C'est une hérésie. C'est tout bonnement l'abolition de la Noblesse elle-même. Si cela arrive, je vous le dis, je quitterai la Provence sur le champ pour ne plus jamais y mettre le pied. C'est une hérésie absolue.


Amen.

Candyce a écrit:
Concernant votre blason, vous avez tout à fait raison ! Je me suis honteusement trompée. Le lion que j'ai représenté est un lion accroupi et non un lion assis. J'ai commis une erreur... Corne de bouc ! Tant pis.
Je serais heureuse d'être votre héraut personnel Eavan, mais je ne sais pas assez bien dessiner pour cela, mes traits sont grossiers et je ne sais pas tout représenter.

Vous ne m’ensevelissez pas sous vos déconvenues, rassurez-vous. Je prends plaisir à vous aider, si je le peux, ou à vous donner mon regard sur une chose, même si souvent, nos regards sont assez similaires finalement.

Les routes. Pourtant j'avais envie à ce moment là de rencontrer des mauvaises gens sur mon chemin pour leur botter le cul. Mais apparemment, Il n'a pas entendu mon souhait, comme tant d'autres d'ailleurs... Par ailleurs, me voilà flattée de vous avoir marquée. Ainsi, je serai symboliquement toujours avec vous, sur votre propre corps.

Concernant mon charme ma chère, sachez que j'ai pris avant hier une décision importante. Je ne m'adonnerai plus à la luxure sans amour à présent. Bon, cela sera difficile sans doute mais je pense pouvoir y arriver. Cela sera plus sain pour moi. Ainsi, je ne me sentirais plus jamais sale.


Cela tira un sourire bienveillant à Eavan. Candyce était bien sur la bonne voie, celle qui consistait à agir de telle sorte de toujours se sentir bien avec soi même.

Candyce a écrit:
C'est bien Chentyt l'évêque en charge de la paroisse de Nîmes. Discuter avec elle... Je ne sais pas. J'écoute ses messes déjà. Mais mon point de vue sur Rome et son Église ne changera jamais. C'est l'institution elle-même qui me désole et également diverses parties de ce Livre des Vertus. Après, je suis croyante, mais l'aristotélisme possède des côtés grotesques ou encore sans logique et surtout sans fondement. Aucun Homme ne peut se prétendre représenter Dieu ou son autorité sur les autres. Absolument personne. Ce sont des charlatans et c'est une secte à grande échelle, ni plus, ni moins. Dieu est absolu et il n'y a aucun besoin qu'un homme inférieur viennent dicter sa vision personnelle ou les visions personnelles de celui et ceux qui ont un jour écrit le Livre. La croyance en Dieu est quelque chose de personnel et il appartient à chacun d'entre nous de suivre une voie d'amour ou de haine. Le chemin vers Dieu est un chemin que l'on choisie ou non de prendre. Personne n'a le droit d'obliger quelqu'un à croire ou à se soumettre à des lois ridicules sans queue ni tête ni fondement logique. D'ailleurs le Livre des Vertus parle de libre-arbitre, alors que l'Église est d'une hypocrisie sans nom puisque ceux qui ne choisissent pas la vertu sont des parias à abattre.

Votre phrase sur la tentation des péchés et l'admiration des vertueux est très juste.


Des discussions théologiques à venir ? Un sourire étira les lèves de la Gaelig. Il y aurait plus désagréable, sans doute.

Candyce a écrit:
Vous savez quoi ? J'ai rencontré votre nièce, Wal. C'est une charmante femme et nous nous sommes plus tout de suite. L'un de vos anciens adversaires en lice a dit qu'il vous avait laissé gagner et que votre réputation était surfaite si mes souvenirs sont bons, un certain Adrian ou Castor...


O misère... L'idiot.
Eavan nota sans grand enthousiasme qu'il se permettait ce petit jeu en son absence aussi... dans son dos...


Candyce a écrit:
et votre nièce a pris votre défense et l'a défié en lice ! Il a refusé en disant qu'il ne voulait pas avoir de problèmes avec vous s'il l’abîmait.


Le triple idiot.
Ce n'était pas étonnant qu'elle l'ait mal prit. Qui avait été là pour l'aider à se relever après qu'il l'ait laissée ? Pensait il que ce se soit fait tout seul ? Sans casse ? Sa nièce avait toujours tout supporté. Et elle n'avait pas fuit.
L'idiot.
Et fichtrement offensant qu'il ait refusé. Surtout pour ce motif. Le goujat.


Candyce a écrit:
J'aime bien votre nièce, on voit que le même sang coule dans vos veines. J'apprécie cette femme. Elle est très studieuse et aimerait beaucoup que vous soyez plus proches toutes les deux. Elle vous aime beaucoup.

Vous êtes là pour moi Eavan, et je vous en remercie. Discuter avec vous me fait du bien.

Sincèrement,

Candy


La Gaelig, elle, aurait préféré que sa nièce ne cherche pas tant sa proximité. Après tout, comme l'avait écrit Candyce plus tôt, ses proches vivaient dans l'inquiétude de la savoir si prompte à risquer sa vie. Et puis même si elle tâchait de ne pas être trop sévère, Eavan avait déjà fait la leçon plusieurs fois à Walriara concernant ce qu'elle ne devait pas faire au risque d'attirer les foudres sur leur nom... Il était des fourbes en Provence qui, sous prétexte qu'elle essayait d'être exemplaires, cherchaient à l'humilier à chaque fois qu'elle avait une attitude plus humaine et moins rigide. C'eut été la même si sa nièce commettait des erreurs. Et ce n'était pas juste qu'elle lui impose autant de pression. La jeune femme n'avait pas de titre, pas de rangs. Juste une tante qui lui rendait la vie infernale.

Soigneusement, la Gaelig plia le parchemin et le rangea avant de retourner à ses devoirs. Encore une joyeuse nuit en perspective...

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Eavan
Vingtième jour de voyage...

Vingt jours.
Vingt jours qu'elle avait quitté son foyer et confié ses terres à quelqu'un de confiance.

Ce jour fut l'occasion de nombreuses missives pour se tenir au courant des affaires de ses deux vicomtés, ainsi que des affaires comtales dans l'ensemble. Il semblait que de nombreuses doléances étaient faites en public et bien peu de communications en réponse in fine. Dans les sujet de préoccupation de la Gaelig : l'Université. Aucune réponse n'était parvenue à ses questionnements. Elle trouvait dommage de détacher l'institution des érudits... Que voulait faire le Comté avec ça à gérer ? N'avaient ils pas déjà fort à faire ? Autre sujet : la noblesse. Certaines interventions frôlaient le ridicule. Et à nouveau les nobles échangeaient certes, mais dans le vide. Et enfin : la Justice. Le prévôt avait transmis des témoignages à l'Etat Major mais selon les informations de Felipe, aucune plainte n'était déposée ni aucune procédure amenée devant le tribunal... Cela donnait la nausée à la vicomtesse.

La séance de torture dura tant qu'elle eut à lire à propos de son cher comté. Puis finalement, après avoir rédigé de brèves consignes à son bras droit, Eavan rejoignit le pont pour continuer les joyeuses journées de manoeuvres o la moindre erreur risquait le fracas de la coque contre les rocs.
O joie.
Ses bras étaient endoloris de hisser et affaler les voiles. Sa peau avait prit quelques couleurs à force de travailler au dehors. Il était parfois difficile de distinguer Eavan des autres marins tant elle avait adopté leurs tenues et leur gestuelle. Bon... Bien sûr, étant la seule femme à bord, certaines choses la trahissaient. Mais de loin...


Ce fut vers la fin de la journée, accompagné du soleil couchant, que les premières formes de leur destination se dessinèrent au loin. La tension laissa place à l'excitation à bord. Ca y était. Ils y étaient. Enfin.
La vicomtesse resta à fixer cette ville dont ils se rapprochaient jusqu'à ce que ses yeux brûlent de fatigue et d'embruns.

Enfin.
Ils touchaient au but.

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Eavan
Vingt-et-unième jour de voyage...

Eavan en avait la certitude : peu avaient dormi. La plupart d'entre eux avait prétexté les choses les plus futiles pour passer la majeure partie de la nuit à contempler les lueurs de la cité et celle des étoiles. Le tout était enchanteur.

Vers le milieu de la journée, doucement l'humeur commença à changer. L'ancre avait été jetée à quelques encablures du port et les nouvelles ne semblaient pas bonnes à voir la tête préoccupée du capitaine. Le mot passa que le responsable du port ne répondait pas. Pire, les quelques marins envoyé en barque jusqu'au port pour tenter d'avoir plus d'informations avaient annoncé que le chef de port n'avait plus été vu depuis plusieurs jours déjà.
Ainsi donc, les esprits extatiques se muèrent en sourde inquiétude et bientôt en colère palpable. Tout ce chemin pour rester bloqués devant le port. De quoi enrager. A bord cela discuta toute l'après midi et la soirée sur la meilleure chose à faire. Des palabres, bien sûr. Mais l'on ne pouvait pas demander à des gens coincés sur un navire après vingt jours de traversée d'en plus rester cois.

Dans la soirée, la vicomtesse décida de s'arracher au spectacle enchanteur devenu torture de Tantale, pour aller rédiger un courrier. Il fallait bien qu'elle le fasse et n'avait que trop repoussé.


Citation:
Diane,

Je suis soulagée que tu n'aie pas abandonné le bon sens comme m'a fait craindre ta missive précédente. J'ai dormi de nouveau après avoir reçu ta lettre. Voyage si tu en ressens le besoin, mais ne confonds pas liberté et imprudence. J'ai arrêté de trop me préoccuper du devenir des gens, mais de mes amis, oui.
Concernant ta "sottise"... Ne sachant ce qu'il en est, je me contenterai de te conseiller de simplement veiller à ne pas te créer de regrets. C'est la définition même de la tentation. Quelque chose d'attrayant sur l'instant, d'agréable sans doute, mais qui finalement, ne se révèle qu'un frein au bonheur. Garde un peu de vigilance, c'est bien tout ce que je te dirai.

Ce duel pour moi n'était pas un caprice. C'est simplement un rare moment de liberté. Alors oui j'ai pris quelques coups, mais en aucune façon cela n'aurait pu être plus grave. C'était entendu. Et ma jambe l'aura bien supporté.
Je sens que je t'ai inquiétée inutilement. Cela n'aurait pas changé grand chose que je garde cette histoire de duel pour moi. Après tout, les marques s'estompent et je peux désormais respirer à pleins poumons sans douleur.

Nous voyons des lueurs, au sud... Je crois que nous touchons au but. Enfin.
Je tacherai de te décrire les splendeurs orientales.

Amitiés,

Eavan



La Gaelig nota la sécheresse de sa plume. Ce n'était pas facile pour elle d'appliquer la sagesse que Candyce lui avait soufflée : laisser chacun faire ce qu'il veut sans s'en offusquer. La seule manière pour elle de ne plus témoigner d'inquiétude excessive était, en un sens, de se détacher. Elle restait bien sûr préoccupée que ce soit son exemple qui nourrisse les prises de risques... Ce n'était pas là ce qu'elle voulait inspirer. Et pour couronner le tout, elle n'aimait pas l'emploi du mot "caprice" pour désigner sa décision. C'était infantilisant. Et elle pensait avoir elle aussi le droit d'être perçue comme une adulte et non comme une gamine capricieuse.

Une fois que la lettre fut scellée et envoyée, la vicomtesse alla sur le pont, les yeux fixés sur ces lueurs. Une prière fut adressée pour qu'ils puissent toucher terre sans danger. Enfin.

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Eavan
Vingt-deuxième jour de voyage...

Le réveil se fit par des exclamations à bord.
Un fanal avait été vu ! Ils pouvaient s'amarrer au port.

Cela se ferait plus tard dans la journée, mais l'autorisation était là. Pour tromper l'impatience, la Gaelig tâcha de lire un courrier reçu dans la nuit. Un sourire étirant ses lèvres lorsqu'elle découvrit l'expéditeur. La bretonne ne l'avait donc pas oubliée.


Gwennie a écrit:
Eavan,

Me voici à me cailler les miquettes quelque part aux pieds des Alpes. Qu'y fais je vous demandez vous bien au chaud dans votre cabine ou le nez au vent à la poupe de votre embarcation?

Hé bien, je fais n'importe quoi!!!! La vie n'est elle pas belle?

D'abord première chose, rassurez vous je vais bien! Une fois l'envie de frapper Sabden et son indécence puérile passée, tout est allé pour le mieux. 24h ont suffi, mais visiblement tout le monde semble penser que je suis aux portes de la dépression, mais c'est bien mal me connaître. Quant à Adrian, l'avantage de l'âge , c'est que lui aussi m'indiffère au plus haut point maintenant. N'allez pas croire qu'il s'agit d'une bravade ou d'un mensonge, c'est la stricte vérité.


La vicomtesse eut un petit sourire soulagé. Il était vrai que la bretonne n'avait pas été bien traitée. Sa colère et son ressentiment étaient légitimes. Et si elle avait laissé cela derrière elle, alors tant mieux. Eavan admirait un peu cette capacité là. Elle, lorsqu'elle était blessée, avait beaucoup de mal à passer le cap de l'indifférence.

Gwennie a écrit:
Je suis partie, comme je m'etais engagée aux côtés de Tensa et d'Audrina pour les escorter jusqu'à Toulouse. Je vous passe les péripéties dues à Tensa: aucune information, aucune coordination, changements de caps divers et variés n'ayant cure des gens qui l'accompagnaient...J'ai pété une roue de charette quand j'ai appris qu'on allait en Bourgogne. Oui parce que pour lui, Bourgogne et Toulouse, peu lui importe tant que ça l'arrange lui. Informer ses camarades, non. Je l'avais aussi averti qu'il y avait des maladies dans le coin. Information balayée d'un geste de la main. J'ai évidemment attrapée ladite maladie, j'ai prévenu que j'étais au plus mal...Je suis restée coincée à Nîmes plusieurs jours sans que quiconque ne m'attende. Pire encore, constatant mon absence d'Arles, il m'a sommée de m'expliquer...parce que mon comportement était "bizarre". Fichtre. N'empêche , je suis restée malade plus de 10 jours sans pouvoir voir un médecin cela ne m'a pas plu du tout du tout du tout.

Enfin, à tout malheur est bon...Alors qu'enfin j'allais prendre la route seule pour Arles , me disant qu'en plus j'allais me prendre des brigands sur la margoulette avec la guigne qui me poursuivait, j'ai rencontré un gars qui m'a dit " ben viens dans notre lance tu seras en sécurité". Ma foi, me suis dit "warum nicht?".

Bon. Le truc , c'est qu'au dernier moment ils sont partis au nord et pas à l'est...Donc pas d'Arles pour me voici partie pour Genève. Son lac, sa neige... De quoi refroidir le peu d'ardeur qu'il me reste non?

Et vous comment allez vous?

A tout bientôt

Semper Fi

Gwen


C'était rocambolesque.
Des cascades d'imprévus.
Il y avait quelque chose d'un peu comique là dedans, bien qu'en rire ne soit pas vraiment adéquat.
La Gaelig espérait que la bretonne ait pu se soigner finalement. Il n'était jamais bon de trainer ces choses là. Et donc Genève in fine. Ce n'était pas la meilleure saison cela dit.

La lettre fut soigneusement rangée avec les autres et Eavan tâcha d'ordonner un peu ses affaires en vue d'un débarquement.
Plus tard, les ordres se répercutèrent en cascade sur le navire : il fallait se préparer à la manoeuvre. C'était le moment d'entrer dans le port.

Comme une enfant, Eavan se précipita quelque peu, abandonnant les tâches en cours pour aller rejoindre le pont. Elle voulait graver à jamais tout cela dans sa mémoire. Ce phare gigantesque qui les avait guidé deux jours auparavant, cette coupole qu'on apercevait, dépassant des ruelles de la cité... La vicomtesse vécut l'approche comme dans une bulle. Tout était tout à la fois étouffé et magnifié. Passant l'ombre de ce phare titanesque, elle sentit l'émotion la saisir.
Quel sentiment d'humilité incroyable !

Quelques larmes coulèrent, balayées par le vent.
Tandis qu'ils se rapprochaient, les rumeurs de la cité s'affirmaient peu à peu. Ici tout semblait désertique et pourtant la vie semblait presque bourdonner.

La Gaelig ne savait plus où regarder tant tout attirait son regard. Le Phare imposant, une merveille des mains de l'Homme, sans aucun doute inspiré par le divin. Il ne pouvait en être autrement. Ce phare guidait les voyageurs comme l'Amour de Dieu guidait les coeurs et les âmes des Hommes. Et pareil à la foy, il était grand, fier et solide. Il semblait tout simplement éternel. De quand datait il ? Eavan ne le savait pas. Mais c'était là une question qu'elle poserait en ville. Il y avait tant à découvrir et à apprendre. Plus loin, le bâtiment à la coupole qui réfléchissait la lumière solaire. La prouesse architecturale était superbe. Il y avait quelque chose d'incroyablement digne dans cet édifice dont elle ne percevait pas tout encore. Etait ce un lieu de culte ? Ou bien était ce le fameux temple de la connaissance : la Grande Bibliothèque ?


Eavan fut arrachée à sa contemplation lorsqu'il fallut commencer à débarquer. Ils savaient tous que cela prendrait un bon moment. Qui plus est en mettant pied à terre, tous semblaient tituber et cela fut l'occasion de quelques fous rire. Après avoir passer tant de temps en mer, la stabilité de la terre ferme était devenue étrangère.
Le débarquement fut aussi l'occasion de voir des locaux pour la première fois. Le teint et les traits étaient différents. Bien sur, les gens du port devaient avoir l'habitude de voir passer des étrangers, aussi les regards curieux étaient ils pratiquement à sens unique. Les vêtements aussi étaient différents, les bâtisses aussi. Tout était sujet à émerveillement.

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Eavan
Vingt-troisième jour de voyage...

La nuit avait été passée dans une sorte d'auberge. Tout était définitivement différent. Les couches, les rythmes, les convenances... Les parfums étaient très présents. La nourriture débordait de saveurs diverses. Parfois c'était aussi très épicé. La soirée et la nuit avaient été des théâtres de découvertes innombrables mais finalement la fatigue du débarquement l'avait emporté.

Ce matin, Eavan s'était réveillée tôt. Le lever de soleil depuis l'un des débits de boisson ayant une terrasse permettant d'admirer la cité fut à nul autre pareil. Après une prière de remerciements appuyés, la Gaelig se mit en quête de découvrir la cité. Le marché matinal et ses étals multicolores aux milles et une saveurs. Ce fut l'occasion de commander une tenue locale qu'elle avait prévu d'offrir en cadeau, ainsi que quelques dattes qu'elle dégusterait au gré de ses pérégrinations.
Tout étant sujet à curiosité, elle n'avançait pas vite. Assez rapidement, elle se sentit frustrée de n'avoir pas réussi à maitriser l'arabe avant de venir et concéda de recourir à un traducteur. Une traductrice. La femme était d'âge mûr, posée et patiente. Elle semblait beaucoup se divertir de l'émerveillement de la vicomtesse et jamais ne se lassait des questions les plus surprenantes. Il semblait régner dans cette cité une bienveillance. Les gens ne se comportaient pas entre eux comme c'était le cas chez elle. Sans doute n'était ce qu'illusoire mais la Gaelig peinait à se figurer qu'il y ait eu le moindre risque de se faire égorger dans une ruelle sombre.

Vers le milieu de la journée, la traductrice, qui se nommait Mounia, annonça à Eavan qu'elle connaissait un lieu sans pareil pour déjeuner et boire un thé. Bien sûr, Mounia n'était pas son nom complet. Elle s'était présentée dans les formes à la vicomtesse mais avait aussi sourit à l'air ahurit et gêné de la Gaelig qui se serait sentit bien incapable de le répéter de manière juste. Habituée aux étrangers, la femme lui avait simplement dit de l'appeler Mounia. C'était simple et efficace. Suivant son guide, la vicomtesse continuait à ne pas perdre une miette des ruelles qu'elles traversaient. Finalement, elles passèrent une porte et la vicomtesse eut la surprise de voir deux enfants se précipiter dans les bras de Mounia. Même sans comprendre l'arabe, Eavan su reconnaitre la gestuelle et le ton uniques d'une mère pour ses enfants.. Quoiqu'étant donné son âge cela pouvait aussi être ses petits enfants. Ce que retint surtout la Gaelig c'est que Mounia venait de l'inviter chez elle. Après un remerciement teinté d'émotion, elle se laissa guider à nouveau. Le repas fut joyeux et cette fois ce fut un échange : chacune tâchant de mieux appréhender l'univers de l'autre.

En fin d'après midi, lorsqu'elles parvinrent à trouver le courage de ressortir dans les rues animées de la cité, Mounia la conduisit à la Grande Bibliothèque. Malheureusement le garde de faction ne la laissa pas entrer et son air sévère suffit à ne pas la faire insister. Cela ne l'empêcha pas de contempler l'édifice de plus près.
Enfin, la journée toucha à sa fin et il fallut se séparer de Mounia. Ce fut avec quelques effusions et la promesse de repasser la voir avant de repartir en mer. La soirée passa dans une fatigue bienheureuse, à organiser l'expédition pour aller plus au nord par la terre. Le sanctuaire. Un autre endroit fabuleux s'il fallait croire les récits des voyageurs qui les avaient précédés.

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