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[RP] Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas

Gabriel.louis


Je ne savais même plus dire depuis combien de temps nous voyagions, encore moins depuis combien de temps j’avais quitté Chalon. Cela me paraissait une éternité, et c’était pourtant comme si c’était hier. Nous avions décidé de faire une halte de quelques jours sur cette route où j’emmenais l’Italienne « voir les vaches », parce que c’était Anna « qui l’avait demandé ». En chemin, j’offrais quelques brefs sourires complaisants à ma Sœur et à mon Cousin lorsque nos regards se croisaient par inadvertance. Depuis Aurillac, je les fuyais, de crainte que mes yeux me trahissent. Je ne leur avais rien dit concernant Catalyna, et s’ils ne pouvaient qu’avoir constaté son absence, je me refusais à leur laisser entrevoir ma détresse et ma haine.

Par-delà ma fierté déjà bien mise à mal, je souhaitais qu’ils profitent de tout ce que notre voyage pourrait leur apporter, et non qu’ils se fassent happer par un vent de sinistrose qui nous serait défavorable à tous. Je n’avais pas conscience que les cernes creusant mon visage aux traits tirés parlaient pour moi. La tempe reposant contre le bois de notre véhicule, j’observais quelquefois l’Italienne qui, depuis son cheval, tirait cet étrange carrosse miniature qui berçait Anna-Gabriella, ou encore Apollo, lorsqu’il passait à portée. Mais la plupart du temps, je laissais les aciers se perdre.

A chacune de nos étapes quotidiennes, c’est Eugène que je fuyais tant bien que mal, mais le scélérat était malin et me patientait toujours auprès de mes affaires, de sorte qu’il me fût impossible de déroger à ses sempiternels rappels. Il voulait que je me nourrisse alors que j’en étais incapable. Je lui cédais avant tout pour me débarrasser de lui qui, même quand il n’insistait plus par les mots, restait planté là sous couverts innocents, quand je savais bien qu’il trouverait toujours un nouveau moyen pour m’agacer tant que je n’aurais pas avalé quelques bouchées.

Malgré son insistance, et même pour le peu que j’y mis de la bonne volonté, mes rations déjà maigres étaient diminuées de plus de la moitié. Jour après jour, l’épuisement gagnait un peu plus mon corps, et j’étais beaucoup plus sensible à la douleur, comme si une part de moi voulut que je souffre encore plus. Dans des gestes poussés par la survie, et d’une main maladroite, je me flanquais quotidiennement une couche d’onguent à l’entaille qui me traversait l’arrière de la hanche. Je la savais peu profonde, aussi, la douleur qui émanait d’elle me paraissait suspecte et je commençais à me demander si elle ne s’était pas infectée.

J’avais besoin d’une pause, de pouvoir me permettre de boire tout mon saoul jusqu’à parvenir à m’endormir sans crainte, derrière une porte fermée, et de gagner quelques moments de solitude pour m’efforcer d’oublier, de m’occuper l’esprit à n’importe quoi. Quand Alaynna me signala le détachement « bovin » venant en notre direction, je sus que c’était l’occasion ou jamais, d’autant plus que cela permettrait à mon émissaire Chalonnais qui devait certainement me courir encore après, de nous rejoindre, si tant est que l’aubergiste du point de rendez-vous initialement prévu lui ait bien remis mon message, ainsi que je le lui avais demandé.

Après avoir remis au Valet un pli destiné à chacun, je filai à l’auberge la plus proche pour en réserver tout un étage. Au vu du poids de ma bourse qui devait bien maigrir au moins aussi rapidement que moi, et songeant à mes envies de beuverie, je réalisais ô combien il était temps que l’on laisse une chance à mon émissaire de nous rattraper, espérant qu’il ait bien la cassette que j’avais réclamée. Attablé en taverne, je sirotais une liqueur qui me paraissait bien trop sucrée pour que je puisse en apprécier réellement la saveur. Peut-être irais-je ensuite préparer réponses à mes courriers toujours en attente ; pour l’heure, je conversais avec un homme dont les connaissances médicales avaient pour mérite de me soulager, l’espace d’un instant, en accaparant mon attention.



"Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas" Au lecteur - Les Fleurs du Mal - C. Baudelaire

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Bloodwen
En compagnie d’un homme dont la fonction était de faire parvenir lettres et biens, je traversais plaines et collines, forets et villes depuis plusieurs jours. Il me semblait loin maintenant, le jour où sans le vouloir, j’avais volé une pomme. Perdue dans un pays dont je ne connaissais pas le langage, sous la férule d’un montreur d’ours qui avait fait de moi son second gagne-pain en présentant aux yeux de tous ceux qui étaient prêt a payé ma difformité, il avait fallu que l’animal se retourne contre lui pour que je me retrouve livrée à moi-même, au milieu de nulle part.

A la recherche d’un abri pour la nuit, affamée, et terrifiée par la terrible scène que j’avais vue avant de m’enfuir, après plusieurs jours d’errance, je m’étais trouvée par hasard près d’un verger. Je n’en avais jamais vue, et ignorant que cet alignement d’arbre était l’œuvre de l’homme, aussi j’avais innocemment ramassé un fruit. C’est ainsi que j’avais été découverte, et compris que j’avais commis un vol sur les terres d’un baron. Pour la première fois depuis longtemps, j’entendais parler ma langue et comprenais ce que l’on me disait, mais c’était pour me signifier que j’allais être pendue.

J’avais sombré dans le désespoir le plus profond et attendais ma fin quand on m’apprit que le Baron, en voyage, et mis au courant de mon crime, m’avais accordé sa grâce et que je devais disparaitre avant qu’il ne change d’avis. Comprenant qu’il m’avait sauvée, et que j’allais de nouveau devoir errer en terre étrangère au risque de retomber sous la coupe d’un mauvais homme ou pire, j’avais alors supplié d’avoir la possibilité de remercier le Baron. Après un temps, quelqu’un m’emmena de l’autre côté de la frontière, dans un manoir où j’aurais pu le trouver. Mais il était en voyage.

Par chance, un émissaire devait prendre la route, et c’est lui qui m’emmena par monts et par vaux pour le retrouver. Il se montra fort gentil bien que distant à mon égard, ce qui me convint tout à fait, et partagea ses repas avec moi, sans rien attendre en retour. Le montreur d’ours m’avait bien nourrie et nous avions beaucoup voyagé, aussi je n’eus pas trop de mal à suivre l’émissaire, mes muscles s’étant développés et mes pieds développés une corne de telle sorte que je ne souffrais plus. De plus, nous allions vers le sud-ouest, et après le rude hiver passé dans le nord, la chaleur relative du printemps, de plus en plus prononcée à mesure que nous avancions, me fit le plus grand bien.

Mais, en approchant du but, je me mis à développer des craintes quant à mon avenir. Et si mon sauveur changeait d’avis en me voyant ? S’il était méchant et que ses ordres avaient été mal compris ? J’avais pris un risque en choisissant d’aller à sa rencontre. Je n’osais pas m’en ouvrir à mon guide et passait quelques nuits d’angoisse profonde. J’essayais de me rassurer en me disant que mon sort à venir ne pouvait pas être pire que celui que j’avais connu avant. Et que, au moins, je me trouvais dans mon pays d’origine et que je comprendrais ce qui m’arriverait.

Nous étions proches du but maintenant, et l’émissaire m’annonça que dès le lendemain, nous devrions trouver celui que nous cherchions. Je ne pouvais plus reculer, et me résignait à accepter le sort qui m’attendais quel qu’il soit. Je me raccrochais à l’idée que l’homme qui m’avait pardonné et épargné la corde ne pouvais pas être mauvais. Il ne me ferait pas de mal, n’est-ce pas ?

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Gabriel.louis


Après m’être débarrassé d’un bras fraîchement disséqué et qui ne me servirait plus à rien, j’avais décidé de continuer à en profiter un peu pour marcher. C’est le moment que choisit l’émissaire pour me porter cassette et dossiers, amenant avec lui une « demoiselle » qui souhaitait m’entretenir. Je n’y voyais qu’un amas de tissu. Elle se cachait, la garce, et je la toisais avec méfiance, d’autant plus lorsqu’elle m’expliqua vouloir me remercier de ne pas l’avoir fait tuer. J’accueillis là une accusation qui ne fit que renforcer ma position défensive, jusqu’à ce qu’elle s’explique. Il s’agissait de la jeunette qui maraudait à Baarsen et qu’ils voulaient pendre, je l’avais presque oubliée. Mais cette façon qu’elle avait de se cacher m’insupportait. Je voulais la voir avant de la laisser partir pour ne pas lui laisser l’occasion de m’approcher à l’avenir sous un autre prétexte, mais ce que je découvris me fascina. Elle avait un teint plus laiteux que je n’avais encore jamais vu, la chevelure d’un blanc immaculé, mais surtout, un regard oscillant en permanence et à la couleur indéfinissable, tirant vers le rouge. Je voulais encore la regarder, avoir l’occasion de l’observer, aussi je lui proposais de m’accompagner dans ma promenade pour faire connaissance.

Elle faisait preuve d’une démarche étrange, comme pénible, et je ne savais déterminer s’il s’agissait d’un problème lié à ses yeux, ses jambes, ou d’une étrange maladresse. Lors j’expérimentai, quittant le chemin pour m’enfoncer dans les sous-bois. Elle peinait, trébuchait, et j’en éprouvais une forme de plaisir, comme une vengeance envers l’engeance féminine. Dans le même temps, débuta un interrogatoire comme elle m’intriguait, s’excusant de tout. Elle me fait un peu penser à Ayane, et je m’en voulais de cette pensée qui me fermait un peu plus à chaque fois. Elle n’avait rien à voir avec ma sœur. Ma sœur était forte quand cet être qui se traînait malgré ses efforts, comme j’accélérais, était lâche, faible, une sorte de cadavre ambulant. Je n’avais de cesse de m’interroger sur ce qu’elle pouvait réellement me vouloir, et je détestais sa façon de me mentir ; ses airs larmoyants étaient bien ceux des femmes. Oui, elle était comme la Russe, s’efforçant à pleurnicher pour tenter d’apitoyer et d’autant mieux tromper son monde.

La Blanche prétendit n’avoir ni famille, ni ami, ni patrie. Elle n’était personne, presque mourante, alors me vint l’idée. Je la mis à l’épreuve pour être certain qu’elle soit obligée de finir par dévoiler ses réels desseins ; je lui offris de se prouver, de nous accompagner deux jours, sans rien avoir à manger et lui fis briller deux piécettes pour l’amadouer. Je lui fis également miroiter la potentialité d’un travail à mon service. Au jeu de la manipulation et du mensonge, je serai plus fort qu’elle. Puis je l’étudierai avant de lui donner miséricorde, d’ailleurs. Je me répandais en miel, la poussant à me céder et se confier un peu plus à moi. Elle se pensait créature du Sans Nom, se disait coupable de la mort de sa mère. J’entrevis alors un bref instant la réalité de sa détresse.

Soit, elle avait un passé difficile, mais cela ne faisait pas d’elle quelqu’un de confiance pour autant, et à aucun moment je ne m’en émus. Dans l’art de la manipulation, je mimétisais, sans vraiment le réaliser, celui qui fut mon second maître, allant jusqu’à oser lui dire de ne plus pleurer car je lui pardonnais d’avoir tué sa mère. Et contre toute attente, ses pleurs cessèrent, elle s’apaisa aussitôt et me remercia, même. Une étrange sensation qui m’envahit, enivrante. Elle s’apparentait un peu à ce sentiment de toute puissance qui était mien lorsque, chantant pour les réceptions pour le plaisir des invités de mon maître, les hommes frémissaient et les femmes se pâmaient, quand je ne leur arrachais les larmes ; ou quand dans les églises, je finissais par me prendre pour la voix d’un Dieu qui se cachait.

Une fois de retour à l’auberge en sa compagnie, j’y retrouvais Eugène qui s’attèla de nouveau à vouloir me faire manger. Même si je savais qu’il agissait pour mon bien, il m’agaçait et j’essayais, tant bien que mal de ne pas trop le montrer, et surtout pour ne pas céder à mon envie de lui sauter au visage. Bloodwen, quant à elle, faisait preuve d’une incroyable et presque constante maladresse, et au plus je l’interrogeais, au plus je réalisais qu’elle n’était bonne à rien ; elle ne savait absolument rien faire. Je sentais qu’il allait m’être difficile de justifier sa présence durant les deux jours à venir, je finirais bien par trouver. Et puis finalement, pourquoi vouloir me justifier ? Mes décisions m’appartenaient et je n’avais de compte à rendre à personne. A défaut de pouvoir lui trouver une utilité au travail, autant ne pas m’imposer en plus d’avoir à supporter un être sale et odorant. Je réalisais même l’ampleur de sa crasse lorsqu’elle me dit que son dernier bain remontait à l’époque où elle suivait un homme du nom de Tord Fer. Cet homme, j’avais entendu la Bridée en parler, le dire mort, et cela remontait à plus d’un an déjà. Allez savoir quelle maladie elle pouvait bien transporter.

Mais avant qu’elle n’aille se décrasser, j’interpellais Eugène et intimais à la Blanche de se présenter à lui et de lui soumettre son souhait de travailler. Lorsque le Valet se fit hésitant face à l’incongruité de ma méthode et me demanda si j’attendais de lui qu’il prenne la décision ou si j’avais déjà un avis, je me contentais de hausser une épaule et j’écrasais un sourire franchement amusé contre les rebords de mon godet. A la fois j’y trouvais l’occasion de restaurer l’équilibre quant aux agacements et aux subtiles contrariétés qu’il m’infligeait, mais j’en profitais aussi pour placer en mauvaise posture la jeunette dont j’étais persuadé que ses réelles intentions ne pouvaient qu’être néfastes. C’est alors que contre toute attente, elle s’échoua à genoux, posant main sur le pied d’Eugène pour le supplier. Alors qu’elle allait se faire jeter telle la malpropre qu’elle était, j’intervins sans plus de réflexion comme si, l’espace d’un instant, face à cette posture dénuée de toute dignité, le contraire m’eut paru la pire des erreurs. A cet instant, je l’ai crue, j’ai eu mal à elle ; mais j’étais également pris d’une pointe de jalousie face à cette importance que prenait le valet dans ce cadre, moi qui, secrètement, me tenais toujours sans aucune estime, je n’étais jamais plus que le même esclave solitaire sans valeur, flanqué d’un nom et d’un titre en apparat dissimulateur équivalent une capuche voilant un visage. Oui, pour un instant, je la voulais à moi, pour un instant seulement, avant que les réticences ne s’en reviennent en force.

Tandis qu’un ballet de seaux s’ouvrait dans le couloir jusqu’à la chambre d’Eugène -car évidemment il était hors de question qu’elle se baigne dans la mienne- je m’en allais quêter chez Ayane quelques vêtements de rechange pour Bloodwen, et lui partageais en des termes acerbes un bref résumé de cette arrivée importune et de mes suspicions. En un présent inattendu, elle me fit basculer vers une forme d’euphorie enfantine comme je réalisais que ma sœur ne me détestait pas, et que je ne la laissais pas indifférente non plus. C’est armé d’un manteau bordé de fourrures et de cet intense soulagement que j’allais remettre les vêtements propres aux mains du valet patientant dans le couloir avant de regagner ma chambre.

Il fallut une nouvelle maladresse de la part de Bloodwen pour rompre le charme. M’enquérant des possibles désastres qui pouvaient être siens, elle ne trouva pas mieux que d’ouvrir la porte, ne portant que ses bras pour seuls remparts maladroits. J’avais eu beau me plaquer une main devant les yeux et lui jeter ses affaires avant de refermer, et tant bien même je pus prétendre le contraire, je l’avais vue, mais je l’avais aussi regardée. Je passais rapidement de pétrifié et troublé à furieux et écœuré. Une fois rendus seuls à nouveau, je lui crachais ma haine au visage dans des mots exhalant toute la vulgarité et le dégoût que les pensées impures qu’elle m’avait infligées m’inspiraient. Puis c’est la main dansant à la flamme d’une bougie que je tentais de me défaire de l’image de son corps comme d’autres appartenant à un passé récent, de tuer dans l’œuf toute pulsion qui aurait pu m’en naître, et de m’apaiser. Mais non contente de son exploit, il fallait encore qu’elle en ajoute à sa charge, accusant ensuite Eugène de l’avoir menacée de mort.

Bien qu’encore loin de la réalité, je savais de quoi l’homme était capable, ce qui permettait le doute, mais l’accusation était bien trop grave pour que je la permette, et ma colère bien trop grande pour que je ne finisse par m’emporter. Il ne lui suffit plus que de hausser un peu le ton pour que mon poing se ferme tandis que je me levai brusquement, manquant d'emporter la tablette dont le bois claqua dans un bruit sourd en retombant sur ses pieds. Je repris à peine le contrôle, sur la brèche. C’est en la voyant recroquevillée derrière ses bras, implorant mon pardon que je me revis subitement dans cette Taverne Limougeaude, le poing levé sur celle qui avait déposé main à sa cuisse, rongé par cette même haine, cette même envie de frapper allant bien au-delà du simple réflexe de protection ou de colère, d'évacuer cette rage qui m’empoignait les tripes, à l'instar de ce jour où j’éventrais une catin. Je compris alors que rien n'était fini pour moi, que je n'avais toujours pas su me débarrasser de ça. Je me voyais, là, monstrueux, me terrifiant moi-même en constatant ce que je devenais, ce que la Russe avait fait de moi. Désemparé, je m’éloignai pour rejoindre la fenêtre, comme pour me fuir, et ne plus voir cette scène. Après de longues minutes de silence immobile, je cherchais la formule pour lui présenter des excuses, lui exprimer mon sentiment coupable, et ma honte. Tout ce que je sus lui dire, finalement, fut de manger. Et alors que j’étais l’abominable, c’est elle qui s’en vint quêter mon pardon. Un peu plus tard, je lui soignais le bras, la faisant passer avant ma propre blessure dont la description qu’elle m’en fit avant de me guider dans mes gestes, me confirma son infection partielle.

Et pour une simple couverture, elle me remerciait, allant même jusqu’à me dire très gentil. Mes lèvres s'entrouvrirent, quêtant à nouveau une formule, qui, cette fois, se serait voulue aussi aimable que protocolaire, mais rien ne vint. J’étais épuisé, n'avais plus envie de faire semblant, et si une pointe de sincérité avait pu apparaître, je n'aurais eu qu'une seule envie, la taire. Derrière la culpabilité et la honte, je n'oubliais pas pour autant qu'elle n'était pas mieux qu'une autre, et qu’elle pouvait peut-être même être pire. Elles pouvaient bien toutes crever, je n'en avais plus cure. Sa seule différence, cet aspect physique qui lui avait valu d'être là, à portée de main et d'étude. Un jour s'éteignait, je n'en aurais plus qu'un pour m'y adonner. Il fallait que je m'y prépare, que j’y travaille, pour que chaque instant du lendemain soit mis à profit.

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Bloodwen
Le moment était venu de faire face à l’homme à qui je devais la sauvegarde de ma vie. Après que l’émissaire m’eut introduite, je fus bien obligée de quitter le rempart de son corps. Je m’étais donc avancée timidement pour exécuter une révérence maladroite, et, depuis l’ombre de ma capuche, j’avais levé les yeux vers le plus bel homme que je n’avais jamais eu l’occasion de voir. Pour ce que je pouvais en deviner, à cause de ma piètre vue, il avait les traits très doux, et une physionomie angélique qui me rassura quelque peu, habituée que j’avais été à me trouver devant des hommes aussi imposants que peu avenants, dont Tord Fer avait été le meilleur exemple. Il me fit penser à Monsieur Heikki, de qui il partageait la beauté et la noblesse. Encouragée par cette ressemblance, je m’imaginais qu’il pourrait être aussi gentil avec moi que ce dernier l’avait été.

Je m’étais présentée, et, maudissant ma maladresse à m’exprimer clairement, je l’avais agacé. Mais il avait fini par comprendre que je venais de ses terres de Baarsen pour le remercier. Je ne comprenais pas pour ma part pourquoi il refusait de croire que je n’avais pas d’autres raison de me trouver devant lui. Il m’avait sauvé la vie et cet acte de bonté extraordinaire valait bien que je me déplace pour lui témoigner toute ma reconnaissance. Je m’étais préparée à ce qu’il me demande de retirer ma capuche. Il n’était pas le premier à me la faire retirer de gré ou de force. Et comme je ne pouvais rien refuser à mon sauveur, j’obtempérais avec crainte et la mort dans l’âme. Tant de fois la vision de ma difformité avait provoqué moqueries et dégout, peur même, que je m’attendais à tout.

Mais, contre toute attente, il ne se moqua pas, ni ne parut particulièrement horrifié par la vue que je lui offrais, à mon grand soulagement. Et, au lieu de me chasser, il me proposa de l’accompagner. Au début, je n’eus pas trop de mal à soutenir son rythme, mais la difficulté allait croisant, aussi bien dans le chemin qu’il nous faisait arpenter que dans les questions qu’il me posait. A ma grande peine je lui révélais donc les détails de mon histoire, ne comprenant pas l’intérêt qu’il pouvait porter à une série de misères vécues par un être aussi insignifiant que moi. Pour ne pas faire injure à sa sagacité, je lui révélais que j’étais une créature du Sans-Nom, même si cela m’aurait sans doute valu des ennuis.

Ce fut comme si le Très-Haut avait entendu mes prières lorsqu’il me proposa de rester avec lui pendant deux jours. Bien sûr, il me demanda un effort qui me parut juste, puisque j’étais un démon. Mais je voulais lui prouver que malgré ma condition, je n’aspirais qu’au bien et à mon salut. Aussi j’acceptais de conserver l’argent qu’il me confia et de ne pas me nourrir pendant cette période de mise à l’essai. Et quand il me pardonna d’avoir tué ma maman, j’en conçus un tel soulagement que je ne doutais plus que ce fut un ange.

Ma joie fut de courte durée et mes espoirs chancelèrent alors que je rencontrais Monsieur Eugène. Son air sévère m’impressionna fortement, et si je ressentis un certain soulagement lorsque, m’étant agenouillé humblement pour lui demander de me laisser ma chance, il me l’accorda, ce sentiment ce changea en indicible terreur quand il me fit comprendre que ma présence l’importunait et qu’il n’hésiterait pas à me faire disparaitre définitivement de sa vue. Le prenant comme une menace de mort, c’est terrifiée que je m’en allais prendre mon bain.

L’eau chaude m’apporta un léger réconfort, et, tandis que je me frottais vigoureusement comme il me l’avais été conseillé, la rougeur temporaire de ma peau m’enchanta. J’eu pendant un instant la sensation d’être un être humain normal. Mais je ne m’attardais pas davantage, ne voulant pas abuser de la patience de Monsieur Gabriel, et de Monsieur Eugène. J’entrepris alors de me laver les cheveux, et pour se faire, plongeait ma tête dans le baquet. En un éclair, la terrible nuit où un homme, entre autre torture, avait essayé de me noyer dans un tonneau, me revint à l’esprit. La sensation d’immersion me fit paniquer, et, sans plus parvenir à me contrôler, je me mis à me débattre dans l’eau, ne parvenant à m’extraire du baquet qu’à grand-peine pour me trainer loin du danger.

Seuls les coups donnés sur la porte me redonnèrent mes esprits et constater les dégâts que j’avais causés bien involontairement. J’avais alors entrepris d’éponger l’eau que j’avais répandue alentour, ruinant ainsi la chambre de Monsieur Eugène qui ne me pardonnerait jamais un tel acte mais une seconde salve de coups avait ajouté la peur à la panique. Dehors, les deux hommes s’impatientaient. Tiraillée entre deux situations d’égale gravitée, je choisis alors d’ouvrir la porte. Je ne m’étais jamais habituée au regard des autres, lorsque le montreur d’ours s’enrichissait en m’exhibant dans le plus simple appareil à la vue des badauds ou des bourgeois qui nous faisaient venir dans leurs demeures. Aussi je tentais de me dissimuler maladroitement. Leur réaction manqua de me faire mourir de honte et c’est mortifiée que, après avoir fini de remettre en ordre la chambre de Monsieur Eugène, j’avais accompagnée Monsieur Gabriel dans sa chambre.

Là, bien que très mal à l’aise, sentant qu’il était en colère contre moi, je ne pus m’empêcher de dénoncer Monsieur Eugène. Non pas par vengeance, mais parce que je ne voulais pas que Monsieur Gabriel pense que j’essayais de prendre un quelconque ascendant sur lui alors que Monsieur Eugène avait associé ma survie à ma capacité à faire en sorte que celui-ci se restaure. Sa réaction me terrifia. Alors que j’espérais sa protection, il me mit cela sur le compte de ma méchanceté. Face à ce que je conçu comme une injustice, j’eu l’audace de me défendre, provoquant sa colère. Je constatais alors, honteuse, que j’accusais du pire des crimes un homme qui m’offrait de m’apprendre un métier et que, non contente de cela, je tenais tête à celui qui avait ma vie entre ses mains. J’étais véritablement un démon, et, bien que je méritais une punition à la hauteur de ma faute, je me protégeais des coups que Monsieur Gabriel allait m’infliger. Il n’en fit cependant rien, et, à travers mes larmes et ma peur, j’en conçu une éternelle reconnaissance.

Plus encore, il me soigna le bras, et m’autorisa à manger. Me protégea même de Monsieur Eugène grâce à un subterfuge. J’étais déjà réconfortée et avait oublié son accès de violence quand il me fit don d’une couverture pour la nuit. Je ne pouvais attendre plus et cette attention effaça tout ce qui avait pu se passer auparavant. C’est donc apaisée que je m’installais au pied de son lit pour dormir sans crainte, puisque sous la protection d’un ange.

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Gabriel.louis


Je me souviendrai toujours cette larme-là, lui scindant la joue au moment où je lui plaquais l’éponge sur le visage avant que ses yeux ne se ferment. Lorsque, m’engouffrant dans le chariot en portant son corps inanimé, l’ivresse de la traque me quitta, j’avais la tête vide, comme si mon esprit prenait repos mérité après un devoir accompli, ainsi que l’on s’endort satisfait après une dure journée de labeur. Ne subsistait plus que cette larme captivant mon regard. Elle revêtait les atours de la mort, semblable à celle qui perla à la paupière de ma mère lorsque mon père lui déroba ses derniers jours d’existence. Je l’écrasai d’un pouce qui effleura plus que de raison le derme blanc, avant de me nourrir de son sel.

Durant les brèves minutes de trajet nous séparant de l’auberge, je me sentais étrangement bien. La Blanche était calée au plus près de moi, et pourtant, ce contact ne me dérangeait nullement comme elle était vouée à reposer bientôt en terre. Elle était comme déjà morte. Fallait-il qu’elle ne soit plus que viande pour que son existence trouve enfin une utilité ? Vois, petite colombe, toi qui ne savais rien faire, c’est par toi que je vais apprendre, et d’autres après moi pourront bénéficier de tes enseignements. Lorsque Eugène me fit signe que la voie était libre, je lui rajustai sa capuche, puis la mienne, avant de m’extraire pour rejoindre ma chambre. Même pesant tout le poids de son immobilité, elle conservait la légèreté de l’être bien trop maigre.





Spécimen de sexe féminin d’environ 4 pieds et 10 pouces.*

Age estimé à 14 ou 15 ans. - Nota bene : Les spécificités physiques de l’individu et la malnutrition n’en permettent pas une complète assurance.
Etat au moment de l’étude : Agonisant. Endormissement par olfaction via préparation aux soins de l’Apothicaire : Opium, jusquiame, ciguë, laitue, morion.
Derme, chevelure et pilosité dépourvues de coloration.

L’humeur glaciale (cristallin) et l’humeur ressemblant au blanc d’œuf (humeur aqueuse) ne présentent aucune lésion visible au premier abord. Item concernant les autres tuniques antérieures visibles, hormis la tunique semblable à un grain de raisin (iris). Icelle apparaît claire et rougie par ce qui pourraient être des afflux sanguins ne permettant pas d’en déterminer la prime coloration. A l’état éveillé, les deux globes présentent une constante mobilité similaire à celle du sommeil. Suspicion de vue défaillante.

Dans un premier temps, nous allons défaire le globe droit de son orbite en veillant à ne pas altérer le nerf creux (nerf optique) pour détacher la tunique adhérente afin de découvrir les muscles. Après les avoir sectionnés, nous remettrons le globe en place. Ainsi il nous sera possible de confirmer ou d’écarter l’effet musculaire sur le mouvement perpétuel.

Si le mouvement reste à l’identique, nous détacherons les tuniques supérieures du globe gauche afin de le libérer de l’afflux sanguin suspecté afin de déterminer si, non content d’être responsable de la déficience visuelle partielle, ainsi que je le crois, il influe sur le mouvement étudié.


Je délaissai mes écrits en vue de passer à la pratique et approchai de ma couche sur laquelle elle était étendue. Si laiteuse qu’elle s’accordât au décor des draps comme si elle cherchait à s’y fondre ; si fine et fragile que même ainsi elle semblait encore implorer. J’inclinai la tête vers l’épaule en la détaillant. Si les femmes n’avaient été ces garces menteuses, manipulatrices et traitresses, peut-être aurais-je eu pitié. Pour l’heure, je lui offrirai miséricorde, ce qui était bien suffisamment généreux de ma part. Je soulevai la première paupière pour saisir délicatement le globe entre pouce et index en vue de tenter de l’immobiliser pour une observation attentive avant de passer à l’autre. Je tentais de les comparer afin d’en écarter les possibles différences qui pourraient m’amener à devoir modifier la méthode prévue.

Il est bien beau de lire des mots écrits par d’autres et de savoir les réutiliser pour échafauder ses propres projets, mais lorsque l’on se retrouve face à la réalité matérielle, l’on perd grandement en assurance. J’avais beau en connaître les noms, en avoir eu les descriptions, je n’en étais pas moins en pleine découverte. Si cela faisait joli sur le parchemin, dans les faits, je risquais fortement de confondre les tuniques. Quant à épargner le nerf, si j’y parvenais, cela tiendrait presque du miracle. J’appréhendais de me retrouver face à mon échec après un travail qui ne serait digne que d’un boucher. Hésitant, je m’éloignai de nouveau pour aller chercher le collyre afin d’humecter les yeux dans l’espoir d’en faciliter l’extraction. Cette fois nous y étions. Je soulevai à nouveau la paupière et approchai avec précaution la tige plate en vue de la passer à l’extrémité, entre œil et orbite afin de faire levier.

Au moment du premier contact, la paupière fit tension comme les sourcils blancs se fronçaient.


Pardon…

J’arrêtai sitôt mon geste pour me saisir de l’éponge soporifique et la lui flanquer contre le visage. Ensuite, j’eus beau m’évertuer à me détendre, mes mains tremblaient. J’injectais à nouveau du collyre avant de reprendre, mais rien à faire, je n’arrivais plus à me concentrer sur mon ouvrage. Pourquoi fallait-il toujours qu’elle s’excuse pour tout, pour rien, pour ce que les autres lui faisaient ? Il lui avait suffi d’un mot, un seul, pour que la conscience d’une pseudo-morale s’en revienne à moi, et avec elle, la culpabilité, et la colère. Bientôt, je la saisissais par les épaules pour la secouer en hurlant.

Pourquoi ? Pourquoi tu me fais ça, à moi ? Qu’est-ce que tu me veux au juste ?

Les trainées du liquide, roulant à sa peau pour s’échouer aux tempes, ne firent que renforcer ma honte et ma rage, aussi, je la relâchais en assénant un revers de main à sa pommette. Puisqu’il m’était devenu impossible de l’étudier, il ne me restait plus qu’à passer à l’étape suivante. J’empoignai ma miséricorde et en pressai la pointe à sa gorge, les mâchoires serrées. C’était facile, la chair était tendre, j’avais juste à appuyer un peu et tout serait fini. Pourquoi n’y arrivais-je pas ? Elle était condamnée de toute façon. Elle ne savait rien faire de ses dix doigts, était d’une crédulité inégalable, lâche et faible. Non, elle ne pouvait survivre. Peut-être devais-je me contenter de la laisser partir, de la renvoyer à la mort qui l’attendait et qui ne pourrait qu’être bien plus violente.

Après avoir rangé ma lame, je tournais comme un lion en cage, me passant une main au visage pour en étirer les chairs, puis l'instant d'après, m'enfonçant les doigts dans la crinière pour la secouer avant de me planter un moment devant la fenêtre. Je finis par m'en détacher dans des mouvements toujours emprunts de nervosité, tourmenté, pour aller chercher une fiole que débouchai. Je m'arrêtai en la regardant, hésitant une dernière fois, puis glissai une main sous la nuque pour lui redresser légèrement la tête.



4 pieds 10 pouces = un peu moins d'1m50

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Bloodwen
Une odeur désagréable et un picotement me fit battre des paupières et toussoter. A travers mes yeux embués, une forme floue se dessina au-dessus de moi et c’est nauséeuse que je tentais de me redresser et d’éloigner de moi la source de ma gène. Effrayée, je me sentais faible et ma joue me faisait mal. Mais je me calmais doucement en reconnaissant Monsieur Gabriel qui me demandait de ne pas trop m’agiter, prétextant une chute. A la peur et le trouble succéda le désespoir, tandis que je contemplais mes mains vides.


Combien de temps c’était écoulé depuis que Monsieur Gabriel m’avait confié la mission de lui ramener une miche de pain ? Je l’avais quitté, l’argent qu’il m’avait remis en main, pour aller au marché. J’étais tellement désireuse de prouver que je pouvais être utile à quelque chose, malgré ma maladresse, que j’allais d’un bon pas, bien que prudent. Je me sentais investie d’une grande mission, puisque commandée par Monsieur Gabriel, et je ne voulais surtout pas le décevoir. J’étais si heureuse de sa confiance, que je ne remarquais même pas que j’étais suivie tandis que je cheminais dans les ruelles étroites du centre-ville.

Mais, alors que la clameur du marché me parvenait de plus en plus distinctement, mon pas se fit plus lourd et moins rapide. Je me mis à douter. Et si j’échouais ? Si je ne trouvais pas de pain assez bon pour Monsieur Gabriel ? Si le boulanger refusait de me servir ? Si ma capuche venait à tomber et que les gens s’en prenaient à moi ? Le cœur battant la chamade, je me faufilais dans la foule, prenant garde de ne heurter personne, ce qui n’était aisé pour moi, ma vue me trahissant autant que ma capuche. Les bras serrés contre ma poitrine, je me guidais plus à l’odeur et aux cris des commerçants qu’à mes yeux de démon.

Après de longues minutes de recherches, je finis par trouver l’objet de ma quête, et restais quelques instants interdite devant l’étal remplis de pain de toutes les tailles et de toutes les formes. J’attendis que le marchand finisse de servir une belle dame pour m’approcher timidement. Afin de faciliter les choses, j’ajustais ma capuche pour qu’elle me dissimule sans pour autant me faire paraître trop suspecte. Ou tout du moins, c’est l’effet que je souhaitais obtenir.

Le souvenir de mon premier vol, sous la tutelle de Tord-Fer, était encore vif à mon esprit. J’avais volé par nécessité, et sous influence. Je n’avais pas aimé cela bien que je n’eus jamais regretté de l’avoir fait. Ma survie en avait dépendue. Cette fois, je revenais sur un marché pour acquérir le même bien, de façon honnête. Et j’avais le sentiment que ma survie en dépendait aussi. Au lieu d’assurer ma subsistance de manière immédiate et temporaire, le pain que je ramènerais avec moi m’assurerait une place et un avenir à l’abri du mal, j’en étais persuadée.

Le boulanger me regardait d’un drôle d’air. Evidemment, mon allure devait lui paraitre hautement suspecte. J’avais un nœud dans la gorge et je dû prendre mon courage à deux mains pour arriver à tendre et ouvrir la main qui tenait les pièces et à passer commande.


Bonjour Monsieur, je voudrais une belle miche de pain bien frais pour mon Maître, s’il vous plait.

J’évoquais un maitre pour qu’il ne me prenne pas pour une voleuse, bien que j’eu conscience que je n’étais qu’à l’essai et que Monsieur Gabriel pouvait encore changer d’avis et ne pas faire de moi sa domestique. A mon grand soulagement, le boulanger paru convaincu et lâcha un bruit de gorge avant de me tendre une miche qui sentait bon. Ma main tremblante fut débarrassée de la plupart de sa charge et le commerçant me signifia que la transaction était terminée d’un mouvement de main. Je remerciais et m’esquivait rapidement.

La miche étroitement callée contre ma frêle poitrine, je repris le même chemin qu’à l’aller. Une fois la foule dépassée, et l’ombre des ruelles retrouvée, je ne fis plus autant attention à ce qui se passait autour de moi, car je m’inquiétais soudain de savoir si le boulanger avait été honnête avec moi. Et si il m’avait pris plus qu’il n’aurait dû et que Monsieur Gabriel m’accusait d’avoir voulu garder cet argent par devers moi ? L’angoisse me tordit l’estomac à cette pensée. J’étais si absorbée par mes sombres pensée que je n’entendis pas venir dans mon dos un enfant qui cria soudain. Je m’écartais alors brusquement du passage, me plaquant contre un mur, pour le voir choir d’une drôle de façon, répandant des pommes autour de lui.

Interdite, je restais immobile un instant avant de longer le mur pour m’éloigner. Mais il se mit à pleurer. Je m’arrêtais de nouveau, mal à l’aise. J’étais embêtée pour lui, mais je ne voulais pas faire attendre Monsieur Gabriel. Ma mission passait avant tout. Je fis un pas, puis deux, et m’arrêtais à nouveau. Je me retournais et allait m’agenouiller devant lui. Il devait s’être fait mal. Je ramassais une de ses pommes mais il me jeta un regard effrayé. Je crus qu’il avait vu mon visage de monstre mais je n’eus pas le temps d’en concevoir de la peine puisque deux mains s’abattirent sur moi dans le même temps.
Dans ma panique je poussais un cri aigue et je sentis une main appuyer sur mon front et une chose molle m’obstruer la bouche. Par réflexe, je lâchais ma miche et essayais de saisir le bras qui me retenait. J’avais peur et, étouffée, mes larmes se mirent à couler avant que tout devienne noir.


Et à présent, j’étais recroquevillée sur le lit de Monsieur Gabriel, inconsolable d’avoir perdu l’objet de ma mission et de l’avoir déçu. Je ne me souvenais pas de l’attaque, je ne me souvenais que du garçon et d’avoir lâché le pain. Il disait que je m’étais endormie. Comment cela était-il possible ? C’est vrai que Monsieur Gabriel m’avait surprise somnolente sur une chaise en taverne, mais je m’étais laissée bercée par la voix de Madame Alaynna. Ce n’était pas la même chose que de s’endormir debout en revenant du marché. J’avais beaucoup de tares, mais j’ignorais que j’avais celle-là. Je n’étais vraiment bonne à rien et ce sentiment ne fit qu’augmenter quand Monsieur Gabriel me demanda si je savais écrire. Penaude, je ne pus qu’admettre que cela non plus, je ne savais pas le faire. Le soupir qu’il poussa m’arracha de nouvelles larmes. J’étais persuadée que cette fois, il allait me dire de partir. Mais je ne voulais pas m’éloigner de l’homme qui m’avait sauvé pour la deuxième fois et perdre ma seule chance d’apprendre quelque chose et d’être à l’abri du danger.

Aussi, je glissais de la couche pour me mettre à genoux devant lui et lui adresser une supplique comme je l’aurais fait au Très-Haut, ce qui était naturel, puisqu’il était l’un de ses anges.


S'il vous plaît monsieur Gabriel, je ne sais pas faire beaucoup de choses mais je ne veux pas que vous me chassiez, je peux apprendre, je travaillerais dur et je me plaindrais pas je vous promets.

Je ne compris pas sa réponse. Comment pouvait-il dire qu’il ne pouvait rien m’apporter de bon alors que c’était déjà le cas ? Grâce à lui j’avais eu la vie sauve deux fois, et puis j’apprenais des choses et je n’avais ni faim ni froid. J’étais plus en sécurité que je ne l’avais jamais été. C’était un homme bon, un ange, et je ne voulais pas m’éloigner de sa Lumière. Je lui expliquais tout cela, et il entendit ma prière, puisqu’il m’accorda de rester avec lui.
Il ne me restait plus qu’à faire mes preuves, et lui prouver que je pouvais lui être utile et moins imprudente. Il me fallait me montrer digne de la chance qu’il me donnait. Quelle chance j’avais de l’avoir rencontré !

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Gabriel.louis
    -C’est le devoir de chaque homme de rendre au monde au moins autant qu’il en a reçu. – Albert Einstein-


[Marseille. Juin 1465]



Toutes les femmes sont des putains ; tous les hommes, des assassins.


Si les fragments de souvenirs se sont recollés il y a à peine plus d’un an de cela, votre visage, Mère, ne m’a jamais quitté. Il est flou dans ma mémoire, au milieu de ce tableau que je condamnai aux flammes étant enfant. Avez-vous seulement compris pourquoi je l’avais fait ? Vous étiez pourtant belle, fière, resplendissante, trônant par-dessus la cheminée devant laquelle Père restait prostré. Entre les barreaux des escaliers sur lesquels j’étais assis, je l’observais, lui, et je vous observais, vous.


Tous deux, je vous aimais autant que je vous maudissais ; vous, de m’avoir abandonné ; lui, d’avoir arraché votre dernier souffle ; mais surtout, tous deux, de me laisser seul, dans le noir, privé de votre lumière ; celle de votre présence, de votre peau si pâle, de tous ces chandeliers que vous allumiez soir après soir lorsque le jour s’éteignait, et qu’il m’interdit ensuite. Quel est donc ce foutu secret qui vous a poussée à refuser de voir un médecin ? De quel mal avez-vous préféré être rongée plutôt que de me rester ?


Je voudrais que vous m’apparaissiez, Mère, juste une fois, juste un instant, juste pour m’accuser en face du crime qui a fait de moi celui que l’on abandonne, toujours. Les servantes de mes maîtres, maîtres, famille, amis, épouse… J’ai beau fouiller ma mémoire, je n’en sais pas une qui ne m’ait tôt ou tard abandonné. Et maintenant, la tentative de Bloodwen, même si certes, je m’y attendais, mais Alaynna… Elle n’a pas même cherché à savoir pourquoi !


Tout est de la faute de cette garce Blanche, cette démone, cette traitresse. Que ne m’en suis-je débarrassée lorsqu’il en était encore temps ? Je ne sais comment affronter tout cela pour le moment ; il me faut souffler avant, me reprendre. Mais elle le paiera, je ne sais encore comment, mais elle le paiera très cher. Je lui rendrai ce que tous m’avez offert de souffrance et d’humiliation. Je veux qu’elle porte le même fardeau au jour où elle n’aura plus guère que moi, et que je l’abandonnerai.


Ce que je veux que vous compreniez, Mère, c’est que j’ai survécu à tout ce que vous m’avez tous infligé, et que vous avez engendré un monstre. J’espère qu’où que vous vous trouviez, vous ne perdrez pas une miette de ce que je déverserai de haine sur ce monde. J’en ai fini de lutter contre ma nature ou de tendre à la dissimuler, car à compter d’aujourd’hui, ce n’est plus moi la victime, c’est vous.


J’avais passé le premier jour à brûler sous le soleil caniculaire de mon coin de plage. Ce n’est que lorsque celui-ci commença à descendre que je décidai de débuter mon errance parmi les quartiers les moins fréquentables de la ville. Ainsi trouvais-je l’assurance de ne rencontrer personne que je connaisse. Au gré du hasard des ruelles, je fis la rencontre de Mathilde. Sa façon de m’aguicher ne laissait aucun doute quant à ce qu’elle était. D’habitude, j’aurais jeté quelconque catin qui eut tenté de m’approcher. Cependant, celle-ci avait des atouts particuliers, constitués de multiples cicatrices, en brûlures et lacérations diverses lui remontant au visage, et de ces façons d’être qui ne m’étaient pas étrangères.

Deux semaines durant, je retrouvais Mathilde, soir après soir, baignant dans son univers. Ma singularité favorisa la mise en confiance de Berthe, la Tenancière, et avec elle, celle de « ses filles ». De la simple garce à la plus crasse, les femmes ont ce point commun de trop parler entre elles, et d’oublier aisément que les oreilles qui trainent ne sont pas toujours aussi bienveillantes qu’elles le pensent. Parmi nombre de futilités, elles m’apprirent beaucoup quant à leur fonctionnement, leur sécurité, leurs difficultés, et surtout leurs failles. Elles aimaient beaucoup Victor, le barbier, artiste qui les choyait, leur conférait des beautés et des intellects dont elles étaient absolument dénuées. Mais chaque nuit, c’est avec Mathilde que je la finissais. D’aucune n’aurait pu se douter de ce qui se tramait réellement derrière ces épaisses tentures imprégnées du fumet écœurant du stupre de passage.

La principale faiblesse de la Balafrée était son ambition démesurée. Ancienne courtisane, son physique massacré ne lui permettait plus de s’infiltrer entre les draps de la noblesse qu’elle arnaquait en toute indécence, et avec suffisamment d’imprudence pour être conduite à sa perte. A celle-ci, je confiais ma réelle identité, la lui agitant comme un appât auquel elle mordit sans peine. Elle ne savait des plans que nous échafaudions que ce que je voulais bien lui offrir, le reste n’était évidemment qu’une broderie de mensonges. La simple idée de pouvoir s’extirper de sa condition actuelle était suffisante à lui faire avaler les pires couleuvres. Cette idiote ne réalisait visiblement pas l’ampleur du danger qu’elle encourait, ni du cauchemar dans lequel elle allait participer à plonger Bloodwen. Moi-même, je ne savais pas encore que mes plans allaient bientôt évoluer vers une tournure à laquelle je n’avais pas songé.

Mon retour à la vie, le visage marqué par la fatigue, le jeun, et le soleil, fut pour le moins surprenant. Bloodwen n’avait pas profité de mon absence pour fuir, et même Alaynna s’était inquiétée de ma disparition. Je ne m’expliquais pas ce revirement de situation. Malgré tout, rien de cela n’amenuisait ma rancœur. L’Italienne avait de bien étranges idées, et c’est l’une d’entre elles qui modifia mes projets pour les parfaire. Je doute qu’elle ne se soit imaginé un seul instant les répercussions qu’elles pourraient engendrer. Cependant, c’est sans le moindre état d’âme que je décidais de la mettre à contribution.

Eugène, Mathilde, Alaynna, et moi ; moi qui me faisais chef d’orchestre de ces huit bras qui s’apprêtaient à tisser le destin funeste d’une ingénue qui n’aurait jamais dû aspirer à se détourner de mon chemin, ou seulement se contenter d’y aspirer sans le faire.

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Bloodwen
[Châlon, début Août 1465]

Recroquevillée sous ma couverture, dans la pénombre de ma chambre, dans la moiteur des combles de la demeure familiale de Monsieur Gabriel, je m’étais faite une place parmi les caisses de bois et les divers objets qui occupaient la plupart de l’espace. Une faible lumière jaune éclairait une partie de la pièce et me permettait de distinguer le jour et la nuit. Mais ma notion du temps était altérée par l’inactivité à laquelle j’étais contrainte et à la somnolence qui en découlait. J’ignorais depuis combien de temps la porte s’était refermée sur moi, ni combien de temps j’allais encore rester ici. Je n’osais pas questionner les deux personnes qui se relayaient pour m’apporter de quoi me sustenter et qui se limitait à de l’eau et du pain.

Au début, ma claustrophobie me fit passer des heures sombres, faites de crise de paniques, durant lesquelles je tambourinais à la porte et hurlait ma terreur, et de crise d’abattement, pendant lesquelles je restais catatonique. Puis, mon esprit fini par s’habituer à la situation, et, bien que toujours secouée par de fréquentes crises de larmes, je tournais mes pensées vers le Très-haut et vers ce qui m’avait conduite ici, si bien que, avec le temps, je finis par me convaincre d’avoir mérité cette sanction. En réalité, je n’avais cessé de commettre de graves fautes depuis le retour de Monsieur Gabriel.


J’avais pourtant été si soulagée de son retour. Après qu’il m’ait accusé de vouloir fuir avec son frère et battue, il avait disparu et c’est dans la crainte de Monsieur Eugène que je l’avais attendu, priant chaque jour le Très-Haut pour qu’il revienne avant que le Valet ne décide de se débarrasser de moi. Et mes prières furent entendues puisqu’il revint. Ma joie de le revoir se tinta cependant de tristesse, puisqu’il était toujours fâché après moi. Mais je ne perdais pas espoir de me rattraper en le servant de mon mieux.


Cela m’était difficile pourtant, comme le jour où il m’emmena à la mer. Je gardais un souvenir émerveillé de la première fois, où il m’avait appris à nager. Et cette seconde fois, je voulais tellement lui montrer le succès de son enseignement ! Mais je ne le fis qu’à grande difficulté. Il me poussait a nager plus et plus loin, mais je n’avais aucune endurance et, alourdie par ma tenue, je cru bien me noyer avant d’atteindre le bord. Je pris pour un signe d’insatisfaction le geste appuyé de son pied qui me fit basculer en avant dans le sable humide et en conçut une grande peine.

A la suite de cela, il me donna à boire ce que je pris pour du lait et qui était en réalité agrémenté de whisky. Surprise et brûlée par l’alcool, je le recrachais aussitôt sur le sable, le mécontentant gravement. Il disait que je devais savoir me tenir en société et pour m’enjoindre à cela, il me força à boire à la bouteille de liqueur pure en la maintenant levée. Je souhaitais vraiment parvenir à dépasser mon dégout et la brûlure à ma gorge, mais malgré mes efforts, je n’y parvins pas. Pourtant, quelques jours avant, il m’avait fait boire plusieurs boissons différentes, si bien que je m’étais sentie très bizarre et qu’il m’avait soignée et guérie. Cette fois, c’était différent et, en le voyant s’éloigner de la plage, des larmes de désespoirs vinrent nettoyer mes joues souillées de sable.


Ce soir-là, il m’emmena dans une taverne étrange tenue par des femmes, dont l’une, Mademoiselle Mathilde, était une amie à lui depuis très longtemps. Elle était toute défigurée, mais très gentille, et, grâce à un dessin de Monsieur Gabriel, je la vis différemment, oubliant son apparence effrayante. Mais là encore, je le contrariais alors que je ne désirais que bien faire. Mademoiselle Mathilde avait accepté de nous accompagner et Monsieur Gabriel avait déclaré que par conséquent, j’étais sa « protégée ». Je ne savais pas très bien où cela me situait dans l’escalier social, aussi, alors qu’il me demandait d’essayer des robes qu’il m’offrait, je m’éclipsais pour ne pas qu’il me voit nue. Je ne me souvenais que trop bien sa colère lorsque cela était arrivé, et je ne me doutais pas qu’il me reprocherait de me cacher à présent. J’étais déboussolée, et me culpabilisait encore de ne pas être à la hauteur de ses attentes.


Plus tard, j’échouais encore à le satisfaire, quand il m’emmena dans sa chambre pour enfermer le démon en moi et me protéger du mal. Pour cela, il m’attacha les poignets à son lit et m’expliqua que le mal qui était en moi sortait de temps en temps sous la forme de sang, et me montra ce qu’était le désir en me faisant des choses que je trouvais bizarre et agréable à fois avec ses mains à mon entrejambes. La terreur et la honte s’empara de moi, alors qu’il m’expliquait que c’était l’expression du mal en moi et que si je m’y adonnais je deviendrais une putain. Je ne voulais certes pas cela et je lui demandais d’arrêter. Mais il ne voulut pas, et m’obligea à faire sortir le mal, me disant qu’il allait faire en sorte d’empêcher les gens de venir dans mon ventre. Il allait aussi m’aider à maitriser le mal en le faisant sortir peu à peu de moi.

Soulagée et reconnaissante de recevoir son secours, je le laissais utiliser son nécessaire à couture pour clore l’accès de mon entrejambe à l’aide de fils, malgré la douleur insupportable que cela m’occasionne. Là encore, je ne pû m’empêcher de mal faire, en ne retenant que partiellement mes cris et mes larmes. J’étais terrifiée, et je m’en voulais de ne pas me montrer plus silencieuse et docile. Pourtant, et bien qu’il dû me reprendre, il ne se fâcha pas davantage et m’expliqua qu’il me soignerait tous les jours pour ne pas que je meure d’infection. Ma survie ne tenait plus donc qu’à son bon vouloir, d’autant qu’il me précisa bien qu’il ne fallait que je ne parle de cela à personne, sous peine de finir sur un bûcher, ajoutant l’horreur à ma difformité.

Les jours suivant, je fis tout ce que je pu pour ne pas le contrarier d’aucune façon, de peur qu’il ne refuse de me soigner. Non pas que je doutai de sa bonté à mon égard, mais j’étais terrorisée par la menace de l’infection au point que j’en perdais toute raison gardée.


Pourtant, survint l’évènement qui me conduisit au triste état dans lequel je me trouvais présentement.

Monsieur Gabriel m’avait emmené avec lui à une réunion, habillée d’une magnifique robe bleue et d’une cape assortie, sous laquelle je m’étais dissimulée alors que je l’attendais dans le couloir. Je savais que j’allais rencontrer le Duc, et je ne cessais de répéter le protocole que je devais suivre en patientant anxieusement. Lorsqu’il sorti mon cœur s’était mis à battre la chamade mais j’avais tout de même réussi à me maitriser, Monsieur Gabriel me faisant signe de m’approcher et de dévoiler ma tare devant le Duc. Aussitôt j’avais plongé dans une révérence comme me les avait appris à les faire Mademoiselle Mathilde, malgré la douleur de mon opération récente. Et j’avais bien pris garde à ne pas me tromper de prédicat pour faire honneur aux leçons de Monsieur Gabriel.

Mais hélas, ma curiosité et ma langue anéantirent mes efforts. Je les servais du mieux que je pouvais en vin aussi bien qu’en soupe et en ragouts, concentrant mes efforts sur mes gestes maladroit. Le Duc me faisait grand peur, si bien que je me mis à trembler, et qu’inévitablement, je versais de la sauce sur la nappe, ce qui me valut remontrance de sa Grâce mais aussi ma sanction, sans aucun doute. Ajouté à cela que je ne su pas me taire, et posait des questions idiotes qui indisposèrent le duc.


J’avais bien mérité d’être enfermée, cela ne faisait pas de doutes. Si seulement Monsieur Gabriel voulait bien me pardonner, et me laisser sortir. Je pourrais alors lui présenter mes excuses pour toutes les fautes que j'avais commises.

Suffoquée par l’odeur pestilentielle et la lourdeur de l’air qui ne se renouvelait que peu de ma chambre et que je ne devais qu’à moi-même, je sombrais de nouveaux dans une torpeur malheureuse.

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Gabriel.louis
-Je veux que vous ayez confiance en moi.
Je veux que vous me croyiez.
Je veux sentir vos regards.
Contrôler chaque battement de cœur.-



Bloodwen, petite chose fragile qui nécessitait d’être secouée pour l’endurcir ; si malléable qu’elle n’attendait que d’être forgée. C’est seulement avec le recul que je réalise qu’elle fut bien souvent aussi le réceptacle de mes fureurs ; un exutoire qui m’était rapidement devenu indispensable. Mais l’une de ces fureurs aurait pu lui coûter la vie, je savais que j’étais en train de perdre le contrôle de moi-même, et je n’avais pas l’intention de me passer d’elle pour le moment. Il fallait que je l’éloigne, et autant que cela soit utile à son éducation. Des restes de pain rassis, de l’eau et des murs lui seraient amplement suffisants, le temps pour moi de m’apaiser, et pour elle, de mûrir les bienfaits de l’obéissance inconditionnelle. Au vu du temps que cela prit, autant dire qu’elle ne risquait pas d’oublier la leçon.

J’aurais bien pu tout simplement fermer la porte à clefs, ce n’était certainement pas avec ses petits poings que la jeunette aurait pu l’enfoncer. Pourtant, j’avais décidé de ne pas la verrouiller, et avais préféré poster un garde dans le couloir. Les ordres étaient simples, si elle tentait ne serait-ce que de l’entrouvrir, il avait tout loisir de frapper tant qu’il ne la tuait pas, avant de la renvoyer dans son trou. Quotidiennement, Ludry, qui avait été assigné à sa surveillance, me faisait un bref rapport quant à son comportement. Ses hurlements comme le reste de son tapage ne durèrent pas plus de quelques heures. Une chance pour elle, car l’homme n’était pas du genre à supporter bien longtemps le vacarme et les actes de rébellion. Ce Ludry, une tête à claques mais un type bien, dans le fond. Bien, du moins pour ce qui était de répondre à mes attentes, du reste, cela m’importait peu. Durant les derniers jours de punition, je pus même laisser la porte de la Blanche sans surveillance.

S’en vint le jour de la laisser sortir de sa cage. Je lui restais cependant froid et distant, tout comme je la laissais ensuite consignée au même régime alimentaire, encore deux semaines durant. Il fallait qu’elle comprenne ma déception, et qu’elle apprenne que me décevoir ne saurait être sans conséquences. Mais si elle put recouvrer sa liberté malgré tout, c’était parce que nous devions nous rendre en Franche-Comté, et qu’après une conversation avec une jeune demoiselle du nom de Blanche-Elisabeth, dont les similitudes avec Bloodwen ne m’avaient pas échappé, m’avaient fait naître une idée.

Je savais qu’Alaynna avait pris l’albinos en affection, malgré cette étrange pointe de jalousie qui avait pu transparaître. Je savais également qu’elle se montrait trop protectrice envers elle à mon goût, et je m’attendais à ce que tôt ou tard, elle s’en vienne à exiger de moi que je me montre plus clément à son égard, ce qui ne pourrait que nuire à son dressage. Mais si elle en arrivait à l’avoir constamment dans les jambes, les impairs et la maladresse de cette petite sotte ne pourraient qu’exaspérer l’Italienne qui finirait peut-être par comprendre le bienfondé de plus de sévérité. Et si ce n’était pas le cas, eh bien… j’aviserais ?

J’eus la grande satisfaction de réaliser l’ampleur des résultats de sa détention. Ceux-là me confortèrent dans l’idée que j’avais définitivement trouvé la bonne méthode, là où l’enseignement seul avait échoué. Bien sûr, elle me semblait toujours aussi maladroite et gémiarde, mais se tenait correctement et faisait preuve de sa résolution à ne plus faire honte à son maître.

C’est cependant à notre retour en Bourgogne qu’elle commença à me surprendre et à susciter ma curiosité. Elle me posait des questions attenantes à un nouvel horizon, l’un de ceux auxquels je n’aurais jamais songé qu’elle puisse s’intéresser : la politique. De prime abord, il s’agissait de questions assez larges et ponctuelles, jusqu’à ce que je la découvre, un matin, accrochée à une missive qui lui avait été envoyée. Ne sachant lire, elle me la confia et je lui en partageais le contenu avant de la lui rendre. Il s’agissait d’un simple appel aux votes d’un parti opposant au mien. Ainsi ses questions se firent plus précises. Sans même chercher à influencer son choix, l’idée ne m’effleurant pas même l’esprit comme je ne l’imaginais pas se rendant aux urnes, je lui expliquais sur quelles bases il était bon de choisir à qui nous allions offrir notre voix, soit sur ce qui fut déjà fait par les personnes qui se présentaient, et ce qu’ils proposaient de faire.

Comme elle continuait de tripatouiller son parchemin, je me rappelais lorsque, en Provence, un document similaire lui avait été plié et offert pour s’éventer. Je me sentis l’élan de générosité de l’aider en lui en confectionnant un nouveau avec sa lettre. L’anecdote aurait bien pu s’arrêter là, mais à ma grande stupéfaction, elle se montra enthousiaste à l’idée de pouvoir voter, elle aussi, et me demanda l’autorisation de se rendre sur le stand de ce parti pour leur poser des questions, me promettant de ne pas me faire honte. J’approuvais sous la condition sine qua non qu’elle ne cite pas mon nom, ce qui me semblait être une bien meilleure assurance que sa seule bonne volonté.

Et tandis que je la laissais prendre congé pour s’y rendre, j’inclinais la tête vers l’épaule, suivant son évolution jusqu’à la sortie, avec l’aube d’une toute autre idée qui demandait d’être mûrie et préparée, l’esprit déjà à mille lieues de ses appétences du moment.

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Ludry
Etes-vous bien certain qu’elle appréciera ?
Il a longtemps fait la guerre avec elle. Il a vu, il sait.
Bien, alors faites. Vous pouvez disposer.
Il a une requête.
Quelle requête ?
Le petit monstre aux cheveux blancs lui serait utile pour chasser.
Hmm… Je pense que c’est encore un peu tôt pour qu’elle ait connaissance de ce genre d’affaires, sa foi est encore chancelante et je n’ai absolument pas envie qu’elle aille se plaindre à Alaynna.
Il ne parlera pas de l’implication du Baron.
Alaynna vous déteste déjà… Soit. Accordé, mais faites attention à ne pas trop l’abîmer, j’en ai encore besoin.


Le Putride qui manquait d’action depuis bien trop longtemps à son goût, se réjouissait déjà de sa petite expédition en regagnant la porte.

Ludry ?
Baron.
Il y a peut-être une ou deux petites choses que vous pourriez faire pour moi par la même occasion.



Le lendemain.

[Et si je l'attrape sur mon chemin je vais vous la servir.
Et ce n'est pas ce que vous voulez entendre mais c'est ce que je ferai.]

Seven nation army. The white stripes.


Dans un recoin sombre de l'écurie, bras croisés et adossé aux ballots de paille, le Putride patientait. Il l'avait suffisamment vue tourner autour des lieux pour savoir qu'elle finirait par venir. Il était temps qu'il ait droit à un peu d'action, l'ennui commençait à lui peser. Mais aujourd'hui, c'était jour de mission, de quoi être en liesse.

À pas prudents, je me dirigeais vers l'écurie, les yeux au sol pour ne pas trébucher. J'avais besoin de réconfort, et je ne tardais pas à retrouver le cheval le plus gentil de tous, sans remarquer que je n’étais pas seule. Je commençais par lui caresser les flancs, pour ensuite fourrer mon visage dans sa crinière

Les lippes s'étirèrent en un fin sourire à l'arrivée de la gamine. Il récupéra son arbalète, et se la sangla au dos, la lanière barrant le torse, tout en se dirigeant d'un pas ferme et assuré vers elle. L'arrêt fut marqué, empoignant le haut d'un bras, tête baissée sur elle dans l'attente de son regard : Il voulait qu'elle puisse relever le sien et réaliser dans son silence immobile que les prochaines heures s’annonçaient délectables pour lui, autant qu'elles seraient tout l'inverse pour elle.

Je sursautais en sentant la main me saisir et levais un regard incertain vers son propriétaire. Je gardais ma bouche entrouverte, un bonjour poli éteint avant même d'être prononcé alors que je remarquais son expression et qu'un tremblement effrayé me traversait. La peur au ventre, je ne pus maîtriser un mouvement de recul tandis que j'essayais de me dégager le bras.

Il n'en fallait pas plus que sa vaine tentative, sous la poigne masculine qui ne fit que serrer davantage, pour que le sourire s'étende un peu plus. La traînant avec lui, il se dirigea vers l'un des chevaux, harnaché de plusieurs sacs, pour saisir la corde attachée à ses rênes afin de l'attirer vers son étalon. Lorsque la main lâcha enfin prise au bras ce ne fut que pour mieux saisir Bloodwen au bassin et la soulever afin de la hisser vulgairement, sur le ventre.

Terrorisée, je poussais un petit cri alors qu'il m'emmenait, et tentais ridiculement de résister. Mais je n'avais aucune force et mes efforts ne comptaient pour rien. Je voyais l'étalon et distinguais les sacs mais j'avais si peur que je n'arrivais pas à penser. Je m'échouai sur l'animal retenant mes pleurs pour pouvoir appeler à l'aide.


Si elle fait du bruit, il devra lui trancher la gorge pour la faire taire.

L'avertissement était lancé, il n'aimait pas entendre couiner. Quoique ; tout dépendait du moment, en réalité. La corde enroulée autour de la main, le pied put alors se poser à l'étrier pour prendre place derrière elle. Lentement, le convoi s'extrait de l'écurie, l'étalon suivi de près par le deuxième cheval. Puis de s'arrêter à l'extérieur. Le Putride prenait son temps, aucunement craintif de se voir surpris en plein méfait. Il pivota le bassin en vue de lier la corde à l'arrière de la selle, sans s'intéresser de savoir si le genou, qu'il repliait pour ce faire, pourrait être douloureux pour l'albinos.

A l'avertissement, mes yeux se remplirent de larmes et je clos mes lèvres, ne prenant pas la menace à la légère. A l'extérieur je ne compris pas pourquoi personne ne me venait en aide. Et je réprimai de justesse un petit cri alors que son genou me heurta le visage.
Aussitôt achevé, le pied se mêla derechef à l'étrier tandis que la cuisinière sortait vider quelque seau, et qu'il l'interpella de loin.


Qu'elle leur garde de quoi les restaurer à leur retour !

Le visage de la matrone se teinta de plis désapprobateurs avant qu'elle ne s'en retourne à l'intérieur en pestant de la nonchalance du garde et parce que décidément, elle ne se sentait pas suffisamment respectée dans les fonctions qui étaient siennes. Amusé, il donna un coup de talon pour démarrer au trot et quitter les abords du manoir en pointant un regard vers le ciel, satisfait comme il aurait suffisamment de temps pour mettre en œuvre la première partie du plan avant que la nuit tombe, tant bien même ce soir, ils rentreraient tard.

Lorsque je l'entendis parler de notre retour, j'éprouvai un minuscule soulagement tant je croyais ma dernière heure venue. Mais dans le même temps, je réalisai que si la cuisinière ne réagissait pas d'avantage, c'est que la situation était normale. Complètement abattue, me sentant abandonnée, je me laissais aller telle une poupée de chiffon, ballottée par le trot du cheval, mouillant son pelage de mes larmes amères.

Sur le trajet, pour l'heure similaire à celui qu'il avait déjà parcouru avec elle dans d'autres conditions, il ne prêta pas même attention aux regards des plus indifférents aux plus curieux, voir interpellés, des quelques passants croisant leur chemin.


Elle a de la chance, il fait beau. La pluie aurait été pire.

C'est à peine si je réagis à ses paroles, et il me fallut un moment et un effort surhumain pour soulever un peu la tête, et desserrer les lèvres pour tenter de savoir ce qu'il me voulait .

Pourquoi monsieur Ludry ?

Parce qu'avec la pluie c'est plus difficile, et puis mouillée elle aurait froid. Comme s’il en avait quelque chose à faire, tiens. C'est une chanceuse.

Je n'avais pas cette impression et je ne comprenais toujours pas ce qui était en train de m'arriver. Rien de rassurant, bien au contraire, mais je n'osais plus l'interroger, de peur qu'il ne s'agace et que cela n'aggrave mon cas. Au lieu de cela, je me contentais d'aller dans son sens.

Oui Monsieur Ludry.

Bientôt, ils empruntèrent un sentier et s'enfoncèrent au cœur de la forêt. Ce n'est que lorsqu'il estima s'être suffisamment avancé qu'il s'arrêta et mit pied à terre pour aller lier les chevaux à un arbre.

À mesure que nous nous éloignions de la civilisation, ma peur augmentait, et le calme de la forêt me glaçait le sang. Tandis qu'il attachait les chevaux, je me laissai glisser au sol et y restais prostrée, courbaturée et meurtrie par la chevauchée dans cette position inconfortable.

C'est tout aussi naturellement qu'ensuite, il détacha l'arbalète et s'enroula la sangle au bras. Après avoir armé un carreau, il pointa l’albinos.


Elle doit courir maintenant.
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Adrianah
[La faim est toujours suivie de ses satellites : la rage et le désespoir.*] - Emily Browning - ( Breaking me)


Quelques jours auparavant, après la visite ducale au manoir.



Je n'avais jamais vu un duc de près. Ja-mais. Du moins, pour être plus précise, je n'avais encore jamais partagé mon repas avec un duc. C'était chose faite. Et je n'étais pas prête de l'oublier.
Outre le fait que je hais les nobles, surtout les Bourguignons, de par les séquelles que je porte depuis mon enfance, lorsque mon frère jumeau me fut arraché pour être envoyé être élevé dans la famille de nos nobles cousines dans le pays des escargots.
Je découvrais ce soir là, ce qu'était un festin de noble. Et j'avais non pas assisté, mais participé à un véritable festin ducal.
Sept services. Et deux plats différents par service ce qui voulait dire que nous nous étions ingurgités pas moins de quatorze plats. Sans compter les fromages et les desserts. Rien que cette découverte là, avait de quoi rester gravé dans ma mémoire.

Mais ce n'était pas tout.

Deux autres faits marquants étaient venus étayer ma soirée. No. Pas deux. Mais trois.

D'abord, le duc détestait les italiens. Et ne portait pas plus les Helvètes et les Germains dans son coeur. Alors quand il a su que j'étais issue d'une mère italienne et d'un père Germano-Helvète, autant dire que j'en ai pris plein la gouaille. Des petites piques, par-çi, par là. Et ce n'aurait été qu'il fallait que je me comporte correctement afin de ne pas jeter l'opprobre sur la maisonnée de Gabriel, le duc se serait pris ma coupe de vin à travers la face. Et quand il m'avait questionnée sur mon passé, je m'étais bien gardé de tout lui dévoiler, taisant volontairement des faits connus que de mon jumeau, notre paternel, et moi-même. Ainsi que notre oncle et nos cousines. Pas un mot sur le sujet. Je n'avais pas vraiment menti, mais cela y ressemblait fort tout de même. Mensonge par omission.
Aussi souriant qu'une porte de prison ce duc.

La soirée commençait mal. Très mal.

Et pourtant, au fil des heures qui passaient, j'en frémissais d'horreur moi-même mais ce duc commençait à gagner quelque chose qui ressemblait à un filet d'admiration. Il avait un quelque chose qui m'avait frappé.

L'autre fait marquant et non des moindres, quand l'on sait que j'ai pris la demoiselle sous ma protection, c'est que j'ai longuement observé Bloodwen ce soir là. Elle faisait le service. Et d'emblée, sans le vouloir, comme à l'accoutumée, elle a fait une première erreur. Réprimande du duc qui s'est, à ma surprise, suivie de félicitations, puis nouvelle réprimande.
Impassible j'observais la scène, lorsque le duc fit approcher la jolie petite lapine blanche pour lui faire goûter à son plat. Et il ne m'échappait pas que Bloodwen, semblait apprécier le poisson et s'évertuait à le faire durer en bouche.
Ce qui ne m'échappa pas non plus, c'est qu'à un moment donné, je l'ai vu, pâle, flageoler et tituber. Et dans ma caboche, fine observatrice que je suis, j'ai tout de suite supputé qu'elle était anémiée et avait faim.
Je ne me suis par contre, pas demandé le pourquoi de la chose. Et mon réflexe fut simplement d'attirer l'un des valets près de moi, et je lui ai donné une assiette que je venais de me faire servir, emplie de truite et de lamproie à aller garder au chaud en cuisine.

Le troisième fait de la soirée qui n'échappa pas à mes bleus, qui se figèrent de surprise une fraction de secondes sur Gabriel, fut que celui-ci fit exprès de renverser le vin de sa coupe et invectiva Bloodwen, qui faisait le service près de lui, assurant que c'était de sa faute, et qu'elle n'était qu'une incapable.
Là encore je sentis la moutarde me monter au nez, mais je restais impassible, dardant simplement mon regard sur Gabriel.

C'est une fois le dessert terminé, que je laissais les hommes s'en aller au petit salon, faire leur pause digestive, et que, sans demander mon reste, je filais en cuisine dans l'intention de récupérer l'assiette que j'avais demandé que l'on me garde au chaud. Et je n'hésitais pas à déposer un plateau vide sur la table, que je garnis de l'assiette en question, y rajoutant quelques tartines de pain, un petit bol de pommes de terre braisées, un bout de fromage et quelques fruits ainsi qu'une petite part de gâteau aux pommes et aux noix.
Me saisissant du plateau, je m'en dirigeais ensuite vers les escaliers dont je gravissais les marches une à une, jusqu'à les enfiler jusqu'au tout dernier étage. Celui qui donnait dans les greniers.
En chemin, j'ai d'abord croisé Eugène et tout en haut, c'est cette enflure de Ludry avec lequel je me trouvais face à face.
L'enfoiré de garde de Gabriel. Celui-là même qui m'aurait tué sur place, quand je voulais quitter le manoir, si Gabriel ne lui avait pas intimé l'ordre de n'en rien faire.
Le même Ludry que Gabriel m'avait collé au fion sous prétexte de me protéger.
Cet abruti de Germain de garde à qui j'avais fait la nique, lui collant Anna-Gabriella dans les bras, afin de l'occuper pendant que j'écrivais en douce à Diego.
Forcément, ce garde ci me rappellait les hommes de mon paternel, et je lui lançais un regard empli de haine et de provocation en passant, prête à me rebiffer à la moindre parole ou au moindre geste de sa part. Mais il me laissa passer.

Et je ne tardais pas à débouler dans la "chambre" de Bloodwen. Celle-ci devait encore se trouver en bas et j'eus lors tout loisir d'observer, ce dans quoi elle vivait. Posant le plateau à même le sol, parce que de toute façon il n'y avait que cet endroit là, je commençais à me laisser suffoquer de surprise qui peu à peu se transformait en une colère bouillonnante que je canalisais en rage froide.
Mes bleus restaient figés sur la paillasse au sol. Il n'y avait rien d'autre. Ni bougies, ni chandeliers. Quelques caisses s'entassaient dans un coin. J'allais en tirer une jusqu'au milieu de la pièce, y déposant mon plateau dessus. Une autre, plus petite, fut également trainé près de sa compère.
Je retournais dans le couloir me saisir de l'un des chandeliers qui éclairait encore et je le glissais dans le débarras de Bloodwen, les mâchoires grinçantes, les bleus lançant des éclairs.

Comment pouvait-il ? Comment osait-il même la laisser dans de telles conditions ?

Au moins Bloodwen, trouverait-elle de quoi se restaurer un peu en remontant. Et ce soir, elle aurait un brin de chandelle pour l'accompagner.

Je ressortais de la pièce, refermant soigneusement la porte derrière moi. Un coup d'oeil dans le couloir, Ludry s'était volatilisé, les lieux étaient déserts et je rejoignais la chambre de Gabriel, que nous partagions depuis mon enlèvement.

La petite lapine blanche ne s'attendrait sûrement pas à cette petite surprise. Devinerait-elle que l'Italienne était derrière tout ça ? Peut-être. Peut-être pas.

Et Gabriel allait m'entendre. Il allait devoir veiller à ce que Bloodwen ait une pièce décente et un lit pour dormir.
No. Cela, je n'allais pas le laisser passer et j'aurai gain de cause. Peu importe les moyens pour y arriver.
Mais une chose est certaine, j'étais à mille lieux de m'imaginer que ma petite intrusion, puisse plus tard, causer du tord à ma jeune protégée. Je ne voulais que son bien.



* Jacques Benigne Bossuet
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Bloodwen
Elle doit courir maintenant.

Je levais la tête vers lui, et, mes mauvais yeux distinguant l'arbalète pointée sur moi, mon cœur se mit à battre à tout rompre et la bile me monta à la gorge. Sans mon instinct de survie, je serais restée immobile. Mais je désirais tant vivre en dépit de tout que dans l'instant et malgré la peur et la douleur de mon sang qui refluait dans mes extrémités, je me levais pour fuir dans les sous-bois. Je trébuchais très vite et heurtais les arbres, et je ne tardais pas à abandonner ma cape alors qu'elle se prit dans un buisson épineux. Terrifiée, je ne me retournais pas et courais, roulais et rampais jusqu'à en perdre haleine.

C'est à coup de grandes enjambées entrecoupées de quelques pas de course qu'il la suivit en entonnant, dans sa langue, un air ressemblant à une comptine. Là où elle trébuchait ou rampait, il ralentissait le pas, bien qu'évoluant toujours et chantait un peu plus fort pour bien lui faire entendre son approche.

Vautrée au sol, à bout de souffle, je l'entendais chanter et frissonnais de peur, sentant une menace dans son chant. Il se rapprochait et, ne voulant pas avoir mal quand le carreau me traverserait je mobilisais mes faibles forces pour me redresser et fuir encore. Au bout de quelques mètres je me trouvais stoppée dans ma course folle par un décrochement du sol qui, en contrebas, creusait le lit d'une rivière. Le bord ne me semblait pas très haut mais avec ma vue je n’étais pas sûre. L'écho de la voix de mon poursuivant dans mon dos m'aiguillonna et sans plus hésiter je sautais dans l'eau.
Ma chute fut plus rude que je ne me l'imaginais et je m'écrasais douloureusement dans l'eau dont le courant m'emporta sur quelques mètres avant de me rejeter sur une plage bordée d'arbres et de rochers. Sous le choc et l'adrénaline je m'agrippais à des touffes d'herbes pour me hisser hors de l'eau et m'enfoncer dans la forêt jusqu'à trouver un arbre creux dans lequel je me réfugiais, grelottante de peur autant que de froid.

Je crachais un peu d'eau, loin de réaliser que dans ma fuite j'avais bien failli me noyer et désespérais de m'en sortir. Je m'imagine que Monsieur Ludry avait décidé de me tuer mais je ne pouvais m'empêcher de repenser à la cuisinière et considérer avec effroi que c'est peut-être Monsieur Gabriel qui voulait se débarrasser de moi. Bouleversée à cette idée, je serrais mes bras autour de mes jambes repliées et me balançait doucement d'avant en arrière, en sanglotant silencieusement.

Il manqua de glisser à son tour, et sa voix s'éteignit tandis qu'il descendait prudemment là où il avait vu la chevelure blanche disparaître. Le jeu devenait plus intéressant encore qu'il ne l'aurait imaginé, comme le plaisir de la traque s'en venait s'ajouter. D'abord immobile, c'est un regard circulaire qui balaya l'horizon proche. Il s'accroupit alors au bord de la rivière et observa le sol des rives, puis se redressa pour faire quelques pas, les sourcils froncés en observant et suivant le cours de la rivière. Il commençait à se demander si cette petite sotte ne se serait pas fait emporter. Toujours silencieux, il observa la profondeur et sa constitution, relevant chaque trace potentielle avant de s'arrêter à nouveau.


A mesure que ma respiration se calmait et se fait plus silencieuse, je perçus davantage les bruits de la forêt. Au début je n'entendais que le chant de oiseaux au loin et les remous de la rivière proche. Mais soudain, c'est un silence surnaturel qui me serra le cœur. La peur me saisit de nouveau alors qu'il me semblait percevoir le son de pas et, réalisant que ma staticité me met en danger je pris mon courage à deux mains pour sortir de ma cache et essayais de m'éloigner de la rivière à quatre pattes au ras du sol, en faisant le moins de bruit possible.

Le regard se fait plus noir, comme s'il venait de se faire gâcher une partie du plaisir, et fronça davantage à l'idée de devoir faire trempette. Vaille que vaille, veillant à conserver ses armes hors de l'eau, le voilà qui traverse à gué. Lorsque l'autre rive est atteinte, il évolue aussi silencieusement que possible, marquant quelques arrêts, paupières closes, pour se concentrer sur les sons qui l'entourent.

En proie à des hallucinations sonores, il me semblait entendre tour à tour des bruits de pas puis le chant de monsieur ludry. Je me tapie, à chaque fois, le souffle coupé, et, réalisant qu'il n'y a que le chant des oiseaux et la course des petits animaux dans les fourrés pour me troubler, je repris mes mouvements reptiliens. Trempée jusqu'aux os, et terrorisée, je ne pû empêcher mes dents de s'entrechoquer. Mais sans répit j'avançais, aveuglée par ma peur de mourir, comme si je sentais le souffle de mon chasseur dans ma nuque sans réaliser que je laissais derrière moi un sillon humide.

Au dernier arrêt, l'arbalète se dressa, et rouvrant les yeux, il se remit à chanter, décochant légèrement plus à droite du son qu'il lui a relevé. Et de se remettre brusquement à courir dans sa direction.

Le sifflement du carreau perçant l'air à quelques millimètres de mon oreille et l'impact délivrant un son mat entre ma tête et ma main droite m'arracha un cri d'effroi et le chant que j'entends dans mon dos provoque en moi une panique telle que je me levais en titubant et tenta de courir. Mais j’étais tellement faible et apeurée que je m’écroulai quelques pas plus loin et rampa comme un ver sans efficacité.

C'est donc sans mal qu'il la rejoignit et porta un pied pesant à son dos en grognant :


Debout. Elle doit encore courir.

La gorge nouée je gémis sous son poids et suffoqua à son ordre. Je n’en pouvais plus, j'avais trop peur et je voulais rentrer.

Pitié Monsieur Ludry, me tuez pas s'il vous plaît !

Il prit le temps de charger un nouveau carreau.

Alors, elle doit courir.

Et le pied de la pousser brutalement en vue de la faire rouler sur le côté, avant de recouvrer le sol, l'arme à nouveau pointée sur Bloodwen.

Bousculée je gémis misérablement et me relevais tant bien que mal le regard implorant posé un instant sur l'arme avant que je ne reprenne ma course. Poussée par le désir de vivre je détalais sans me retourner aussi vite que possible, un frisson me parcourant l'échine en sentant la menace de l'arbalète dans mon dos. Pour m'y soustraire, je m'enfonçais dans une ravine que je trouvais et me mis en quête d'un nouveau refuge parmi les roches qui parsemaient les sous-bois.

Cette fois, ayant relevé son état de fatigue, il poussa davantage encore, la poursuivant de façon beaucoup plus rapprochée en vue de ne plus lui laisser aucun répit. Et le carreau suivant de siffler, tel une menace en rappel qu'il faut courir encore et toujours plus, sans s'arrêter.

Je le sentis dans mon dos et le carreau passant près de moi m'arracha un nouveau cri et me fit accélérer ma course. Le terrain de plus en plus encombré me jouait des tours et je ne cessais de trébucher, me relevant tant bien que mal, pour n'avancer plus qu'à demi dressée, le dos courbé et les mains en avant, relevant plus de l'animal que de l'humain.

Il ne prit pas le temps de recharger comme le projectile avait fait son effet, et dans sa course, arrivant fugacement à sa hauteur avant de ralentir juste un peu, c'est un index qu'il vint lui planter dans le flanc.

J'eu tellement peur et j’étais tellement déboussolée que lorsque je sentis un impact à mon côté j’étais persuadée que l'un de ses carreaux m'a atteint et je poussais un cri de bête blessée en chutant, portant la main à ma blessure.

Et la réaction du Putride ne se fit pas attendre.


Elle doit courir !

Il me fallut quelques secondes pour réaliser que ma main n'était pas couverte de sang ni même mon flanc et que je n’étais pas blessée. Il m'en fallut encore quelques une pour réagir à l'injonction de mon tortionnaire et à me lever à demi, peinant à mettre un pied devant l'autre pour avancer à faible allure.

Il se complut à grogner derrière elle, tout comme à donner des impulsions du bout des doigts au haut de son dos, proférant menaces et insultes dans sa langue natale, entre les mâchoires serrées.

Suante et pourtant gelée, assoiffé et peinant à trouver mon air, je luttais pour ne pas m'écrouler, "encouragée" par mon tourmenteur. Pour tenir le coup je me raccrochais à la pensée de monsieur Gabriel, tant et si bien que sans m'en rendre compte je me mis à le supplier de venir me sauver, à voix basse, les yeux révulsés vers la canopée.

Et la main d'empoigner finalement le tissu qu'elle revêtait, à hauteur d'épaule, avant qu'il ne se mette à accélérer l'allure, forçant la sienne sans le moindre égard.


Plus vite, elle traine.

Je sortis brusquement de mon espèce de transe et gémis alors qu'il m'entraînait, parvenant de moins en moins à lever les pieds jusqu'au moment où mes jambes se dérobèrent, mon corps refusant de poursuive l'effort.

Il la laissa finalement s'effondrer, et la faisant rouler sur le dos, s'accroupit au-dessus d'elle en marmonnant encore. La main s'en vient courir à l'intérieur de la cuisse féminine, dans une lente ascension tandis qu'il observe ses réactions.

Incapable de lutter je me laissais retourner et tentais faiblement de serrer les cuisses et de chasser sa main à l'aide des mienne, les yeux à demi ouverts tournés vers le ciel, bredouillant des supplications.

Tenter de s'y soustraire était une mauvaise idée, car si la main quitte aussitôt la cuisse, ce n'étais jamais que pour laisser le poing s'abattre sur le ventre, sans pour autant y mettre trop de force, l'objectif n'étant assurément pas de la tuer.

Je poussais un cri étouffé, expirant de l'air sous le coup et la surprise, puis me mit à sangloter bien que je n'avais plus de larmes à verser.


Je veux pas, pitié Monsieur Ludry, me faites pas de mal...Monsieur Gabriel au secours !

J'essayais de crier mais ce qui sortait de ma bouche n'était qu'un fin filet de voix éraillé.
Le Baron serait content de savoir qu'elle se comporte mal avec cet homme après être venue le séduire jusque dans sa chambre.
Toujours accroupi, il s'accouda aux genoux, l'air amusé.
Elle remonte son jupon, maintenant.
C'est pas vrai !
Je ne comprenais même pas ce qu'il voulait dire et essayais de me recroqueviller sous lui.
Je veux pas, j'ai rien fait de mal.
Sa bouche contre du poulet. La parole du petit monstre contre celle du garde.
Après un bref soupir, il se redressa en empoignant la chevelure blanche pour l'enjoindre à se lever de même.
Alors qu'il me tirait les cheveux et que je me redressais avec peine, j'essayais de comprendre ce qu'il me disait. Je l'imaginais alors me dénoncer et me mit à trembler et essayais de lui saisir le bras qui me blessait le crâne.

Non pitié monsieur Ludry le dites pas à monsieur Gabriel pitié pitié !
Alors elle doit faire un peu mieux son travail pour cet homme.
Il lui libéra la chevelure et arma un nouveau carreau en poursuivant.
Allez, elle n'a pas encore assez couru.

À bout de nerf je me mis à tressauter des épaules sans qu'aucun sanglot ne sorte de ma gorge et au son du carreau qui glissait dans son encoche je me remis en mouvement, lents et lourds, mes pieds meurtris traînant au sol.

Et la course de reprendre à l'instar du chant dont les sonorités dévoilaient un agacement certain. Elle était plus résistante qu'il ne l'aurait songé, et cela lui faisait prendre du retard. Il détestait cette idée.

Je poursuivis mes efforts aiguillonnée par l'arbalète et son chant jusqu'à ce que la tête ne me tourne et n'y tenant plus je me laissais choir au sol prête à faire le nécessaire pour que ma torture cesse enfin.

Il s'arrêta de concert et pointa la gorge.

Debout.

Mes yeux vitreux sur l'arme, je dus m'y prendre à plusieurs reprises pour me lever et vacillait un instant avant de retomber à demi-évanouie.
Et de s'accroupir de nouveau. La visée de l'arbalète vers le sol, il la ramena sur le dos et lui tapota les joues.


Elle a compris ou elle veut encore courir ?

Je n'arrivais pas à remuer les lèvres pour lui répondre, les yeux révulsés en arrière. Mais subrepticement, j'écartais les cuisses.

Après avoir jaugé la situation en se grattant un sourcil, bien tentante au vu de son peu de mobilité lui conférant des airs cadavériques, il désarma son arbalète et défit la sangle de son bras pour remettre le tout en place. Puis de la soulever pour se la caler à l'épaule avant de commencer à s'en retourner sur ses pas en pestant.

J'essayais de remuer alors qu'il me soulevais mais je n'avais plus de force et me laissais faire, m'endormant sur son épaule, indifférente à mon sort. Seul un faible gémissement s'échappait parfois de ma gorge sèche tandis que j’étais ballottée.

Ce n'est que de retour au bord de la rivière qu'il l'étendit à nouveau au sol. Tandis qu'une main lui redressait la tête, l'autre recueillait de l'eau en coupe et se porta aux lèvres féminines.

Je m'éveillais à demi lorsque je sentis le sang me remonter à la tête et, sentant l'odeur de l'eau j'ouvris instinctivement la bouche, pour laper le liquide salvateur dans la main du garde, les yeux clos.

Ainsi, par deux ou trois fois, il lui permet de s'abreuver. Puis la main s'enfonça à plusieurs reprises dans l'eau pour ensuite lui caresser visage, tempes et cou.

Réhydratée de l'intérieur, et humidifier de l'extérieur je revins peu à peu à moi et clignais des paupières, pour finir par ouvrir complètement les yeux sur mon tortionnaire.


Elle a encore soif ?
Je secouais légèrement la tête, et me passais la langue sur les lèvres avant de chuchoter un
Non, merci monsieur Ludry.
Ainsi les choses peuvent reprendre où elles en étaient.
Elle remonte son jupon.
Je fermais de nouveaux les yeux et portait mes mains tremblantes à mes jambes pour remonter le tissus jusqu'à mon ventre, mon corps agité de soubresauts.
C'est bien. Elle écarte les cuisses maintenant.
La gorge serrée, je m'exécutais et appuyais mes talons au sol pour replier mes genoux vers l'extérieur, dévoilant ainsi mon entrejambe.
Très bien, elle est sage. Elle doit demander poliment sa caresse.
Je tremblais violemment à ses mots et restais silencieuse un moment avant de murmurer d'une voix saccadée.
Je voudrais une caresse s'il vous plaît Monsieur Ludry.

La paume se dépose alors derechef à l'intérieur de la cuisse, reprenant son mouvement ascendant tandis qu'il observe ses réactions.
Je réprimais un sanglot et gardais les mains crispées sur mon jupon, m'astreignant à l'immobilité.
Le bout des doigts parcourut la dentelle et souligna chaque suture pour en relever la forme et l'épaisseur, puis se retira.

Voilà, elle est gentille, il est gentil.
Je frissonnais à son contact et luttais pour me pas m'y soustraire, puis le regardais, interdite, alors qu'il retirait sa main, doutant de ses paroles.
Elle mérite un peu plus de liberté. Il peut la libérer.
Je resserrais aussitôt les cuisses.
Non je veux pas ! Monsieur Gabriel a dit que c'est pour me protéger.
Un jour elle regrettera d'avoir refusé sa proposition, et quand elle demandera à cet homme, il sera peut-être trop tard.

Il se redressa et lui tendit la main.
Aux chevaux. Ils ont du travail maintenant.
Je ne dis rien, ne voulant pas le croire, et saisit sa main pour me redresser avec peine. Je remis frénétiquement jupe et jupons en place puis le regardais, circonspecte.
Du travail ?
Oui.

Il commença à traverser en poursuivant.
Et la prochaine fois qu'elle n'est pas sage, il ne la fait plus seulement courir. Il l'épluche comme un fruit.
Je le suivis de près, peu assurée sur mes jambes douloureuses et dégluti en l'entendant. Matée par cette cession je m'entendis lui répondre.
Je serais sage Monsieur Ludry.
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Ludry
Le pas est serein, bien que le soir tombe déjà alors qu'ils n'ont pas encore quitté la forêt. Mais il sait que s'il force encore maintenant, elle ne saurait tenir jusqu'au bout et cela pourrait possiblement leur être préjudiciable à tous deux.

Je regarde le ciel s'assombrir et frisonne, de peur de devoir passer la nuit ici et de froid dans mes vêtements mouillés. J'essaie de suivre l'allure de monsieur Ludry mais chaque pas requiert toute mon énergie et je sens ma gorge se nouer rien qu'à penser que je vais devoir travailler encore.

De temps en temps, il lui jette un regard, jusqu'à rompre de nouveau le silence.

Est-ce qu'elle jure de faire tout ce que cet homme lui demandera sans faire d'histoire ?
Un regard sur l'arbalète me suffit pour hocher la tête
Je jure monsieur Ludry.

Il s'arrête, prenant le temps de la considérer, puis glisse les bras sous elle pour la soulever, ajustant rapidement sa prise avant de se remettre en route.

De toute façon incapable de lui résister je me laisse saisir et hésite un instant avant de poser mes mains dans son dos et de poser ma tête sur son épaule, fermant les yeux pour me reposer ne serait-ce qu'un instant.

Une chance pour lui qu'elle ne soit pas trop lourde. Il presse le pas pour rejoindre au plus vite les montures, sans plus ajouter un mot. Ce retour lui est assurément moins distrayant et lui parait bien plus long que l'aller. Mais ce sont là les aléas du métier. S'il s'est montré plutôt généreux en la portant, bien que ce soit évidemment pour sa propre pomme, il ne fait pas preuve de plus d'égard lorsqu'il s'agit de la remettre en selle, l'y hissant de nouveau sur le ventre, comme un vulgaire sac de viande. Quoique la viande lui soit bien plus précieuse.

J'entrouvre les yeux tandis que je quitte sa chaleur pour une autre et, constatant que je vais encore être secouée, je m'agrippe comme je peux, sans même penser à protester.

Sans plus attendre, il détache les chevaux, se remet en selle et lance le départ. Bientôt, marmonnant son mécontentement, il se voit obligé de ralentir l'allure au fur et à mesure que l'obscurité étend son empire.

Épuisée et fourbue, je me laisse balloter un moment, avant d'essayer de me redresser, au risque de tomber, lassée de me sentir nauséeuse et ne voyant plus la fin de cette sortie.

Songeant aussitôt qu'elle tente de profiter de la nuit pour filer, il empoigne le dos de son vêtement.

Elle compte aller où ?
Je cesse de m'agiter et tourne tant bien que mal le visage vers lui pour lui répondre.
Nulle part Monsieur Ludry, je veux juste m'asseoir, je ne me sens pas bien. Où est ce que vous m'emmenez Monsieur Ludry ?
Il marque un arrêt en vue de la laisser se redresser, lui concédant un laconique : En ville.

Je me dépêchais de me mettre droite contre lui sur la selle, beaucoup mieux installée et moins malade maintenant que je n'étais plus en appuis sur mon ventre. Ainsi positionnée, je constatais la noirceur de la nuit qui venait de tomber et me trouvais rassurée de retourner à la civilisation.

Les sabots se font à nouveau entendre. Si jusqu'alors le Putride était resté concentré sur sa route, faisant fi de son chargement, le contact lié à sa position nouvelle ne saurait lui faire oublier de nouveau sa présence. Aussi, il ne faut pas longtemps pour qu'une main vienne lui emprisonner un sein.

A demi somnolente, je regarde la route, ne voyant en réalité qu'un flou sombre entre les deux oreilles de l'étalon. C'est pourquoi je trésaille violemment en sentant sa main sur moi et crispe les mains sur la crinière du cheval, un nœud dans la gorge, sans oser me dégager. Me contentant de me mordre les lèvres pour ne pas me plaindre.

Elle n'a sans doute pas conscience de sa chance de n'avoir pas tenté de se dérober à sa main. Comme elle lui est docile, il apprécie suffisamment de pouvoir flatter cette part de chair sans ressentir le besoin de soumettre plus avant le reste de son corps pour la faire plier. De même, comme il reste serein, les gestes conservent la douceur des caresses, tantôt massantes, tout au plus. Lorsqu'ils s'extraient enfin de la forêt, il la libère pour reprendre les rênes à deux mains comme il peut se permettre d'accélérer l'allure.

Je le laisse faire, par peur et par prudence, car j'ai compris que plus je le contrarie, plus cela est douloureux pour moi. Je n'ai plus qu'à espérer qu'il ne me brusque pas davantage. Bien que je ne remue pas et reste bien immobile, je suis loin d'apprécier ses caresses qui n'ont aucune commune mesure avec celles que Monsieur Gabriel m'avait prodigué une fois. C'est pourquoi je suis grandement soulagée lorsqu'il me lâche enfin. A geste lent, je me porte la main à la poitrine et me frotte nerveusement le sein furtivement avant de m'agripper à nouveau.

Les montures ralentissent alors qu'ils approchent de leur destination et que les ruelles se font plus étroites. L'ambiance n'est pas celle des quartiers les plus cléments, mais belle et bien celle des bas-fonds, avec ses fumets, ses rires gras ou nasillards, la vulgarité de son verbe, et les expressions de ses faciès.

A mesure que nous progressons dans l'espace urbain, je me décompose et commence à regretter la solitude de la forêt. Je me tasse sur moi-même, et, trop effrayée par les visages que je distingue à peine, je baisse les yeux sur le col du cheval et frisonne de dégout. Mon imagination s'emballe et à nouveau je m'angoisse, me demandant si Monsieur Gabriel a décidé de se débarrasser de moi dans cet endroit horrible.

Leur arrêt se fait devant une vieille bâtisse d'où s'élèvent voix et rires, à l'instar de ces vieilles tavernes bondées d'ivrognes. Une femme entrouvre alors la porte devant laquelle elle se tenait, juste le temps de lancer à l'intérieur
V'là l'germain ! Aussi marque-t-il une attente silencieuse.

Bien qu'anxieuse, je lève le regard vers le bâtiment, et vers la femme, avant de tourner le profil vers Monsieur Ludry. Puis je baisse la tête, et caresse l'étalon pour me rassurer, me disant que tant qu'il ne me fait pas descendre, je peux toujours espérer rentrer au manoir.

Après quelques minutes, un homme aux traits défigurés par diverses bagarres et son trop plein de boisson, sort de la bâtisse et descend la ruelle pour rejoindre celle adjacente. Lentement, les montures le suivent, et s'arrêtent de concert tandis que l'homme ouvre les portes de ce qui s'apparente à une grange dans laquelle ils s'engouffrent bientôt. A l'intérieur, un peu de paille est répandue au sol. Hormis cela, un abreuvoir de fortune, une charrette, et tout juste la place pour y laisser les deux montures. Après avoir mis pied à terre, Ludry se rapproche de l'homme qui ferme l'une des deux portes, et tous deux discutent à voix basse, sans sembler prêter attention à la gamine.

Je jette un regard furtif à l'homme, impressionnée par son faciès, et une fois à l'intérieur de la bâtisse, je regarde Monsieur Ludry descendre avec un serrement au cœur. Pour ma part, je m'agrippe au cheval et reste en place, me couchant presque sur son encolure pour me rassurer. Je n'aime pas cet espace étroit et attend que les deux hommes finissent avec hâte.

Ce n'est qu'une fois leur échange trouvant son terme que la voix du Garde interpelle, dans l'angle de la seconde porte, encore ouverte.

Bloodwen.
Mon cœur rate un battement et je dégluti avant de me glisser au bas du cheval, fébrile, pour m'approcher et lui répondre d'une voix chevrotante.
Oui Monsieur Ludry.
Lui indiquant le harnachement sur l'autre cheval dans lequel se trouvent des cordes, plusieurs flasques et quelques denrées.
Elle prend les sacs et elle le suit.
Sans même attendre, il sort tandis que l'autre homme maintient la porte entrouverte, patientant sa sortie.
Oui Monsieur Ludry.

Sans prendre un instant, malgré mon état tant physique que mental, je me rend auprès du cheval et entreprend de le défaire de son chargement avec maladresse, puis saisit les sacs. Tant bien que mal je répartie le poids de ma charge entre mes bras faibles et mon dos et passe la porte en murmurant un timide Merci Monsieur. Enfin, je me traine dans le sillage de Monsieur Ludry, ployant sous l'effort et l'accablement, incapable de comprendre ce que je fais là.

Il s'en revient à la ruelle d'où l'homme était sorti et sort une clef qui trouve sa place dans la serrure d'une maison proche de l'angle, à une petite centaine de mètres du taudis en question, sur la rive d'en face, et laisse la porte ouverte derrière lui pour Bloodwen. A l'intérieur, rien d'autre qu'un unique tabouret, une vieille paillasse crasseuse dans un coin de la pièce portant encore les stigmates d'un feu s'étant répandu sur une bonne partie du plancher et des murs, ainsi que quelques chandelles.

Je le suis, tête basse, et entre dans la pièce, mon regard tombant sur la paillasse. De plus en plus inquiète je lève les yeux pour les faire tourner autour de moi. Peu encline à vouloir m'éterniser ici, je reste près de la porte et pose ma charge au sol, puis me recule d'un pas pour être au plus près de la sortie.

Le regard scrutant déjà par la fenêtre les potentielles allées et venues, il grogne à son attention
La porte. puis s'empare des sacs et prend place sur le tabouret au centre de la pièce pour en extraire les cordes, puis une flasque de laquelle il prélève quelques gorgées.
Elle a soif ?
Je sursaute alors qu'il m'enjoint de fermer la porte et, incapable de réfléchir, je m'exécute, oubliant mon envie de sortir de là. Puis je le regarde faire en me frottant frénétiquement le bras. Je meurs de soif et de faim après tous ces efforts et je hoche la tête en m'approchant de lui.
Oui s'il vous plait Monsieur Ludry.

La flasque qu'il lui tend contient un vieux picrate qui, s'il n'est pas fameux, a l'avantage de ses effets plus prononcés que les vins habituels. Puis de sortir une charcuterie et tirer son poignard pour s'en couper une tranche qu'il se porte en bouche.

J'espérais de l'eau, mais je déchante vite en portant le goulot à ma bouche. J'en avale toutefois une petite gorgée pour ne pas le contrarier et m'évertue à ne pas montrer mon dégout. Tandis que j'essaie de faire passer le goût infâme en faisant tourner ma langue dans ma bouche. Je regarde à nouveau la pièce d'un air inquiet et tombe sur la viande, qui m'arrache un pli des lèvres suppliant. Je n'en perds pas pour autant mes angoisses, et tente de savoir ce qui m'attend.


Pourquoi on est ici Monsieur Ludry ?

Loin de jouer les nourrices, de se montrer empathique ou même d'être du genre attentif, il ne songe pas un seul instant qu'elle aussi pourrait avoir faim. Il commence finalement à lui expliquer ce qu'il attend d'elle.

Ils vont aller au bordel un peu plus haut. Ils vont s'amuser comme n'importe qui là-bas jusqu'à ce qu'il offre un verre à un homme. Elle devra attirer cet homme ici.
Les yeux clignant de surprise, je ne suis pas sûre d'avoir bien compris. Je ne quitte pas la nourriture du regard, qui glisse vers le poignard.
Pourquoi il faut le faire venir ici ?

Après s'être porté une nouvelle tranche en bouche, il relève les yeux sur elle en réfléchissant. En bon exécutant, il n'a jamais aimé ceux qui cherchaient à comprendre pourquoi il fallait faire les choses. Un ordre est un ordre, un travail est un travail. Et si elle savait, elle se mettrait sans doute à paniquer davantage. Il la trouve suffisamment couarde sans avoir à en ajouter. Après une longue mastication et déglutition, il finit tout de même par parler.
Elle ne se pose pas les bonnes questions. La bonne question ce n'est pas pourquoi, c'est comment.

Torturée par la vue de la nourriture, je le regarde mastiquer, et hoche lentement la tête à sa réponse. Il est vrai que je n'ai pas très envie de savoir. J'ai seulement envie de rentrer auprès de mon protecteur. Je ne me sens pas en sécurité avec Monsieur Ludry.
Comment je dois faire ?
N'y tenant plus, je m'approche dangereusement près de lui et lui jette un regard suppliant.
Je peux en avoir aussi s'il vous plait Monsieur Ludry ?
Il lui coupe quelques belles tranches avant de les lui tendre.
Elle va sa faire passer pour une catin et séduire cet homme. Si elle y arrive, il va la toucher et l'embrasser, elle devra rester gentille, le laisser faire et lui faire croire qu'il le fait bien, qu'elle aime ça. Elle va proposer à cet homme d'aller dans une chambre. Normalement cet homme voudra l'emmener ailleurs. Elle devra refuser et quand il insistera, elle devra montrer qu'elle n'est pas contente de ça et le laisser en plan.

Je m'empresse de les saisir et les enfourne aussitôt dans ma bouche, mâchant à peine d'abord, puis prenant le temps de mastiquer pour faire durer les effets sur mon ventre creux. Dans le même temps, je n'oublie pas de l'écouter. Cependant, j'éprouve tellement de soulagement à manger que ce qu'il me dit m'effraie moins que cela le devrait. Ce n'est que lorsque j'ai fini la dernière tranche, et que j'assimile ce qu'il vient de me dire que je commence à paniquer. Je ne veux pas qu'on me touche et qu'on m'embrasse. Je ne veux pas être gentille et me laisser faire. Mais je me rends bien compte que si je veux rentrer auprès de Monsieur Gabriel, je dois me plier aux exigences du garde sans résister. Toutefois une question demeure.

Mais, s'il me fait du mal ?
Après l'avoir abandonné elle attendra quelques minutes, le temps de boire un verre par exemple, et elle s'en ira pour venir ici. Elle ne doit pas courir, mais elle ne doit pas s'arrêter, ni se retourner. Si elle fait bien ce qu'il dit, il ne sera pas loin et cet homme n'aura pas le temps de lui faire du mal. Il l'a amenée ici pour travailler avec elle, pas pour qu'un homme lui fasse du mal.
Et d'enchainer naturellement.
Fromage ? Pain ?
Oui s'il vous plait !

Toujours affamée je tends mes mains, d'autant que je suis un peu rassurée par ses paroles. Je ne lui fais pas confiance comme je fais confiance à Monsieur Gabriel, mais faute de mieux, je ne peux que me raccrocher à lui. Mais j'ai tout de même besoin de plus que cela.
Si je fais tout bien vous me ramènerez ?
Il sort tour à tour, miche et morceau de tome pour lui couper une belle tranche de chaque, bien qu'il suspende brièvement ses gestes en relevant les yeux sur elle, interloqué par ses mots. Puis, lui tendant le tout.
Pourquoi il ne la ramènerait pas ?
Je m'empare du pain et du fromage et lui répond avant de les dévorer.
Parce que Monsieur Gabriel est fâché après moi.
Il vaut mieux être un peu loin de celui qui est fâché, surtout si c'est un supérieur, encore plus quand c'est son maître.
Il se tranche un morceau de tome à son tour.
Ludry a emmené le petit monstre pour qu'elle apprenne. Il rentrera avec elle.
Un poids en moins dans la poitrine, je savoure mon en-cas. Ou plutôt, je reporte mon angoisse à plus tard, quand il sera temps de m'inquiéter de ce qu'il m'arrivera en revenant. Je préfère toute fois poser la question :
Monsieur Gabriel veut que j'apprenne ?
Le Baron est furieux et seulement furieux. Ludry lui apprend.
Et de se fourrer le morceau en bouche.
Finalement, c'est maintenant que je panique.
Mais il le sera encore plus quand on reviendra, il va me chasser et je serais perdue !
Pourquoi encore plus ?
Parce que je suis partie et qu'il va croire que je me suis échappée !
Et complètement déboussolée, je me dirige vers la porte.
Je veux rentrer maintenant !
Si elle part maintenant, elle ne sortira pas des quartiers en vie. Elle se fera forcément agresser, et si elle survit, en rentrant elle sera punie par le Baron. Si elle reste, il expliquera au Baron qu'elle aidait le garde dans son travail. Mais si elle pense que le Baron sera fâché qu'elle se rende utile, elle peut y aller. Il ne la retient pas, il y a plein de femelles au bordel qui voudront bien prendre la place du petit monstre.

La main sur la porte, je ne tourne pas la poignée, figée par ses paroles. J'en ai suffisamment vu pour savoir qu'il a raison et que je tomberais forcement entre de mauvaises mains. Et si j'en réchappait Monsieur Gabriel m'abandonnerait à coup sûr. Ma seule chance de m'en sortir était de faire ce que me disait Monsieur Ludry pour qu'il plaide ma cause auprès de mon protecteur. Je baisse la tête et laisse glisser ma main avant de revenir près de lui.

Je reste Monsieur Ludry.
Alors qu'elle vienne se préparer.
Me préparer ?

Il porte la main au col féminin pour y glisser la lame et le trancher une première fois d'un geste net, enchainé d'un deuxième assaut prélevant une pièce de tissu afin d'offrir un décolleté profond.

Prise au dépourvu je pousse un petit cri et me fige, les paupières serrées, et le visage déformé de peur.

Il enchaîne en retroussant une partie des jupons, perçant le tissu pour y passer l'étoffe préalablement découpée afin de s'en servir de lien. Le bas de son vêtement, ainsi maintenu plissé, laisse se dévoiler le derme blanc d'une jambe jusqu'à mi-cuisse. Si l'aspect global n'est jamais que du rafistolage, l'objectif de celui-ci ne saurait pas non plus rester inaperçu. Après un instant de réflexion, il tranche encore une bande sur le bas d'un jupon et range son poignard avant de lui lier négligemment les cheveux pour laisser la nuque et les épaules se dévoiler.

Je me laisse faire sans bouger, les yeux mi-clos suivant le poignard, m'attendant à chaque instant à être blessée. Lorsqu'il s'arrête enfin, j'ouvre vraiment les yeux, et contemple le résultat, d'un air malheureux. Monsieur Gabriel sera très fâché de voir dans quel état j'ai mis les vêtements de Mademoiselle Ayané. Et je me sens si exposée que je me replie sur moi-même, croisant bras et jambes. Je me sens comme nue, et porte la main à mes cheveux, pour déclarer d'une petite voix.


Les gens vont me voir.
Il faut qu'il la voit, non ?
Résignée, je hoche lentement la tête
Comment je dois séduire ?
Il n'est pas une femme, c'est à elle de trouver le moyen. Elle va le voir, elle discute après il n'en sait rien. C'est la part du travail du petit monstre, pas la sienne.
Dans le même temps, il se lève pour se diriger vers la fenêtre.
Il est temps, elle part devant, il arrivera un peu après elle.
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Bloodwen
Je pousse un petit soupir malheureux. Je suis fatiguée et je veux juste rentrer chez moi. Un frisson me parcourt l'échine quand il m'annonce que je dois sortir dans la rue. J'ai envie de lui dire non, de le supplier de me laisser tranquille, mais je me rends compte que ça se sert à rien avec lui.

Oui Monsieur Ludry.

La boule au ventre, je tourne la poignée de la porte et sors à découvert, les jambes flageolantes. Je conserve la tête baissée et prend garde à ne pas trébucher en parcourant le chemin qui me sépare du bordel, dans lequel je pénètre, les larmes aux yeux, autant de peur qu'à cause de la fumée qui plane dans l'air vicié du lieu.

Tandis que Ludry la regarde évoluer, la femme à l'entrée, s'attendant à son arrivée, lui ouvre la porte pour la laisser entrer sans lui poser la moindre question. A l'intérieur, peu semblent lui prêter attention, si ce n'est quelques regards brièvement dispensés. Bon nombre semblent fortement occupés entre boissons, rires, jeux ou encore lèvres entremêlées. Seule une tête s'extrait du spectacle donné par une jeune femme perchée sur le comptoir, cuisses ouvertes pour servir d'écrin à la tête d'un client, celle de la tenancière qui l'interpelle volontairement.


Qu'est-ce que j'te sers ?

Encouragée par l'indifférence quasi générale que je génère, je m'avance davantage et détourne le regard du spectacle que je distingue mal, par chance, et m'approche de la tenancière, lui jetant un regard indirect.

Du lait s'il vous plait Madame.
Et un lait pour la d'moiselle, un !
Et tandis qu'elle en remplit une chope sur le comptoir, elle reprend à voix basse.
Bloodwen, c'est ça ?

Surprise de l'entendre prononcer mon nom, je lève les yeux vers elle et hoche la tête en même temps que je saisis la chope à deux mains et que je la vide de son contenu d'une traite.

Face à la soif dont elle fait preuve, la tenancière la lui remplit à nouveau.

T'éloigne pas pour le moment, on va rester à discuter l'temps que l'germain arrive. Y m'a dit qu'y fallait pas qu'les aut' clients t'gènent.
Merci beaucoup Madame. 
Je lui jette un regard plein de gratitude et vide à nouveau la chope, puis me passe le poignet sur la bouche.
Personne ne va me faire de mal, n'est-ce pas ?
Haussement de sourcils à sa question.
Ben nan, y'a que c'ui là qui est dang'reux... c'pour ça qu'vous êtes là, nan ?
J'aurais blêmis si j'avais pu.
Il est dangereux ?
Cette fois elle fronce les sourcils, se demandant si le germain en question était bien certain de ce qu'il faisait.
Y vous a pas expliqué ?
Il a dit que je devais le séduire et puis être gentille et me laisser faire et me fâcher pour pas le suivre et rester un peu ici. Et après je dois retourner dans la vilaine pièce pour qu'il me suive.
Le regard de la tenancière s'en revient sur la porte qui s'ouvre sur Ludry tout en lui répondant. C'pas moi qu'aie vu comment z'alliez faire, mais fais 'tention à toi.

L'expression est troquée par un large sourire alors que le Putride s'approche et prend appui des deux mains au comptoir pour plonger le museau et secouer la tête dans le décolleté proéminent de la femme qui se penche pour le lui offrir à loisir en riant.
T'es à peine arrivé qu'tu les fais trembler d'joie.
Ils s'arrachent un échange de salive des plus indécents avant qu'elle ne lui tire une bière. Comment qu'tu vas aujourd'hui mon tout beau ?
Il va toujours bien quand il la voit, et encore mieux quand il la fait crier.
Ah pas aujourd'hui, j'suis d'service au comptoir alors j'peux pas jouer avec toi.
Ahrrrrr !

De plus en plus nerveuse, je me mets à me frotter le bras tout en me reculant un peu pour lui laisser la place, les regardant faire les yeux écarquillés un instant avant de les braquer au sol, très gênée par cette démonstration d'affection. Mon regard se relève toutefois un peu pour le promener dans la salle, bien que je ne distingue rien de précis. J'ai hâte de sortir d'ici et d'en avoir fini avec mon apprentissage, que je n'avais pas demandé.

Et le garde de pencher la tête pour profiter quelques instants du spectacle qui se déroule à ses côtés, se permettant même de faire pression sur les chairs d'une des cuisses féminines pour d'autant mieux voir avant de détacher les yeux pour s'en revenir à Bloodwen.


Elle va bien s'en sortir.

Je le regarde faire, ne comprenant pas pourquoi toute le monde s'intéresse à la scène. Lorsqu'il se tourne vers moi je lève les yeux vers lui et hoche un peu la tête sans grande conviction.

Je vais faire de mon mieux monsieur Ludry. Mais le laissez pas me faire du mal.
Elle ne lui fait pas confiance.
Monsieur Gabriel m'a dit de n'avoir confiance qu'en lui.
[i] Je baisse la tête et me frotte le bras.

Et vous m'avez fait du mal tout à l'heure.
C'est vrai. Elle est aveugle mais c'est vrai. Il ne la laissera pas mourir si elle fait comme il le lui a expliqué.

S'en désintéressant, il pivote le buste, conservant l'appui d'un coude au comptoir, et finit par se diriger vers une tablée, sa bière en main, pour s'y installer et entamer la conversation avec un homme.

 Je conserve le regard baissé, essayant de démêler sa déclaration sibylline tandis qu'il s'éloigne. Je jette un regard à la tenancière, puis le tourne brièvement vers monsieur Ludry et l'homme avec lequel il parle. Je sens la pression monter et désemparée, je me mets à observer les manières d'une dame dont la tenue me rappelle la mienne pour savoir quoi faire quand mon heure viendra.

Les rires et le bruit de fond se trouvent bientôt couverts par les lourds gémissements ouverts de la jeune femme sur le comptoir, rappelant par la même occasion la quasi intégralité des regards présents. A l'ultime s'ensuit une salve d'applaudissements entremêlés à des rires gras et quelques propos salaces jeté à l'intention du client dont la tête s'extrait enfin avec un sourire aussi niais que victorieux.

Tirée de mon observation par le bruit étrange que produit la dame non loin de moi je lève les yeux vers elle, et sursaute quand les applaudissements explosent. Effrayée par ces démonstrations de liesse, je me recule pour me rapprocher de la tenancière et me sentir un peu plus en sécurité, augmentée par un furtif regard vers le garde.

La tenancière ricane en essuyant quelques chopes pour les ranger.

Eh beh, y'en a qu'ont bien du plaisir !
Mais son rire s'éteint presque aussi instantanément que la porte s'ouvre sur un nouveau client, et ses gestes se font subitement plus nerveux.

Craintive de nature et facilement effrayée, je remarque tout de suite son changement d'attitude et je baisse les yeux en réprimant un frisson. Je comprends que je vais avoir affaire à celui qui vient d'entrer et n'ose pas tourner le regard vers lui, préférant accrocher mon regard paniqué à la tenancière.

Le regard de la tenancière, lui, ne peut se détacher de la carcasse épaisse de l'homme trapu et balafré qui s'en va s'installer dans un coin. Et si elle frissonne également, c'est au moment où le crochet de boucher qui lui remplace une pogne vient gratter la barbe noire de quelques jours. D'un autre, elle ne se serait pas souciée de ce genre de mutilation, mais chez lui, elle pouvait en imaginer toutes les atrocités auxquelles l'objet métallique avait pu servir. C'est l'accent germanique retentissant qui l'arrache finalement à sa contemplation.


Deux bières ici, et à boire pour cet homme. ajoute-t-il en pointant le dernier arrivé avant de s'adresser à lui. Cet homme a raté le spectacle, alors qu'il se console, lui ne le rate pas.

D'une main fébrile, trois bières sont tirées et déposées sur un plateau devant Bloodwen.

Bien que je n’aie pas encore vu l'homme, je déglutis péniblement en regardant le plateau et le soulève en tremblant. Les chopes tintent sous la vibration et j'essaie de la limiter en me dirigeant vers monsieur Ludry et son compagnon pour les servir. Au moins cela je savais le faire. Je jette un regard désespéré au garde avant de me tourner vers ma cible. De loin et avec ma vue défaillante cela allait, mais à mesure que je m'approche de lui mon sang se glace et mes jambes redeviennent molles. Il me faut mobiliser tout mon courage pour poser la chope sur la table sans trembler et le regarder en imitant un sourire que j'avais vu pratiqué par une fille.

Le regard sombre du trapu coule sur la petite serveuse qu'il n'avait encore jamais vue, et s'attarde sur ses particularités physiques. C'est sans un mot qu'il empoigne sa chope et se la porte aux lèvres pour s'envoyer une bonne lampée sans la quitter des yeux.

Extrêmement mal à l'aise sous son regard, je lutte pour ne pas m'enfuir, incapable de détourner le mien de son crochet qui m'arrache un tremblement nerveux. Je ne sais pas quoi faire ensuite et m'approche un peu, bien qu'avec réticence, pour me pencher en avant et saisir une chope vide laissée la pour la poser sur le plateau.

C'est à ce moment-là que la voix rocailleuse se fait entendre.

J'te fais peur ?

Le plateau se met à osciller sur ma main   et je l'agrippe fort avec la seconde pour le maintenir. Dans le même temps je déglutis et lève un retard furtif vers l'homme. Je ne sais quoi faire alors j'opte pour la vérité.

Oui Monsieur, vous avez l'air très fort.
Pas que l'air.

Le crochet se lève en vue de se déposer sous le menton féminin et de lui pivoter le visage afin de l'observer sous toutes les coutures.

Paralysée je le laisse faire, le regard baissé, me mordant les lèvres pour ne pas me mettre à pleurer sous son examen.

Il la libère avec un léger grognement pour reporter son intérêt sur sa boisson et le reste de la salle.

Bien contente qu'il me relâche, je voudrais bien fuir loin de lui, mais je n'oublie pas ma mission et la mort dans l'âme, je pose mon plateau sur la table. Malgré ma peur, je me glisse sur le banc près de l'homme. Cette fois, j'abandonne la notion de vérité, qui ne me sera d'aucune aide.


Moi j'aime bien les hommes forts vous savez.

Ses mots le rappellent aussitôt à son attention. Lentement, la pogne dépose la chope sur la table, et s'en revient essuyer les lèvres.
Douce ou sauvage ?
Surprise par sa question, je cligne des yeux et ne sais pas quoi lui répondre. Je ne suis même pas sûre de la comprendre. Dans le doute, je botte en touche.
Ça dépend de ce que vous voulez Monsieur.

La réponse lui convient tant et si bien qu'il lui agrippe une cuisse pour la faire glisser sur le banc et ainsi l'attirer plus à lui. Le crochet s'en vient alors se planter au creux du décolleté pour tirer un peu. Fais voir c'que t'as là. Et tirant un peu plus, c'est le crissement d'une déchirure qui se fait entendre.

Je parviens à peine à retenir un cri alors qu'il m'attire et ne cherche pas à lui résister. Mon regard louche sur le crochet et je ne peux m'empêcher de couiner quand il s'attaque à mes vêtements. Mais je me reprends aussitôt et me raccroche aux consignes de monsieur Ludry. Je dois être gentille et me laisser faire. Je me rappelle aussi la dame que j'ai observé. Elle n'arrêtait pas de mettre en avant sa poitrine. Voulant l'imiter, je me cambre sur le banc et bombe un peu le torse.

A peine libère-t-il le tissu que, pressant des talons au sol, c'est toute une partie du banc qui se décale et s'écarte de la table. Cette fois, c'est le bras féminin qui fait l'objet des doigts courts et épais s'y fermant comme un étau pour tirer en vue de la recevoir sur ses cuisses.

Je ne m'y attendais pas et manque de basculer de l'assise quand la main me saisit et me fait mal. Je commence à vouloir porter mon autre main sur la sienne pour essayer de m'en défaire mais il me tire de telle sort que je ne peux que suivre son impulsion et me retrouve sur lui, agitée d'un spasme nerveux. J'ai si peur que j'essaie de l'amadouer.


C'est vrai que vous êtes très fort monsieur, vous m'avez fait mal.
Les lèvres s'ourlent d'un léger rictus.
Moi j't'ai fait mal ?

Pas franchement rassurée par son expression, je hoche la tête et me remémore que monsieur ludry m'a dit que je devais lui montrer que j'aimais ça.
Oui Monsieur, mais c'est pas grave.
La main commence à la parcourir, courant le ventre puis la cuisse, tâtant les chairs comme de la viande.
Alors ça veut dire que je peux recommencer.

Puisque mes consignes sont de le laisser faire, je reste les bras ballants et souffle un petit Oui Pourtant, je me sens affreusement mal et me retient de pleurer, contenant mes larmes pour l'instant du moins.
 
La main cesse sont inspection pour saisir la mâchoire. La langue se plaque largement le long du cou avant de s'insinuer par-delà la barrière des dents avec une possessivité croissante.

Dégoûtée par son contact je me replie sur moi-même et essaie de dégager mon visage mais je n'y parviens pas et la bile me monte à la gorge tandis qu'il m'étouffe et que je peine à respirer, manifestant ma gêne en gémissant et en posant mes mains sur son torse pour y faire pression.

Il la relâche en grognant.

J'te plais pas ou quoi ? T'cherches quoi ?
Paniquée à l'idée de me faire rejetée et de ne pas réussir ma mission, je reprends mon souffle et laisse retomber mes bras.
Si monsieur vous me plaisez ! Mais... on serait mieux dans une chambre, n'est-ce pas ?
T'as raison, ça pue ici.
Il se gave le reste de sa bière, celle-ci s'échouant en un filet moussu le long du menton.
On s'ra mieux chez moi.

Je déglutis de dégoût en voyant la bière dégouliner et essaie de ne pas montrer ma gêne. Je n'ai pas envie d'aller chez vous Monsieur.
Tout se passait comme Monsieur Ludry l'avait prédit, j'essayais donc de suivre ses directives à la lettre.

La chope claque contre le bois en rejoignant la table. Visiblement, l'homme n'a pas du tout apprécié sa réponse.

Pourquoi pas ?
Je me rétracte et me met à trembler, pour répondre en bredouillant.
Parce que...c'est mieux ici.
T'aimes quand ça pue alors ?

Si j'en croyais Monsieur Ludry, c'était le moment où je devais me fâcher et partir. C'était ma seule échappatoire aussi j'entrepris de me dégager de ses jambes et essayait d'affermir ma voix.
Oui je préfère Monsieur, si ça vous plait pas tant pis pour vous

La pogne saisit le poignet féminin pour ne pas que la jeunette lui échappe complètement. Le timbre est désormais grinçant, hargneux.
Dis-donc, sale petite garce, j'sais pas à quoi tu joues mais t'sais vraiment pas à qui tu t'adresses là.
Terrorisée, je pousse un petit couinement alors qu'il m'attrape le poignet et essaie de me défaire de son étreinte avec mon autre main.
Je ne joue pas Monsieur, lâchez moi s'il vous plait !
Plus elle tente de se dégager, plus les doigts épais s'ancrent sur leur prise.
T'viens là, tu m'allumes et tu crois qu'j'vais t'laisser t'débiner comme ça ? T'f'rais bien d'réfléchir un peu à c'que tu fais.
Je gémis de douleur et mes yeux s'embuent de larmes de douleur et de peur.
Je veux pas aller avec vous, vous me faites mal !

A l'autre bout de l'établissement, la voix de la tenancière s'élève.
Hé, pas d'bagarre dans mon établissement !
Le gaillard ne fait que nourrir plus de colère, non plus uniquement envers l'albinos, mais aussi envers la nuisible qui tente de jouer d'autorité avec lui, et son regard assassin et menaçant ne trompe pas sur la haine qui l'inondent. L'accent germanique retentit alors.
Qu'il trinque avec lui, après ils leur montreront ce que ce sont des hommes et comment doivent se tenir les femelles.
Les paroles le dérident aussitôt en un rire gras et il lâche finalement le poignet en un T'perds rien pour attendre.

Je ne perds pas une seconde pour m'échapper, heurtant une ou deux personnes dans ma précipitation, pour rejoindre la tenancière. Je déborde de reconnaissance pour son intervention et manque de me jeter dans ses bras pour me faire réconforter.
Merci Madame.
La main tremblante, cette dernière lui remplit une nouvelle chope de lait.
D'rien. J'aime vraiment pas ça.

Je la regarde faire et prend encore davantage peur à la voir trembler. Je saisis toutefois la chope et la vide rapidement tant ma gorge est sèche. Moi non plus madame, j'ai peur.  Je redoute le moment où je vais devoir sortir, et me raccroche au seul visage amical rencontré ici.

Les unes après les autres, elle essuie ses chopes dans des petits mouvements rapides tout en jetant des regards brefs à droite et à gauche dans la salle, répondant toujours à voix basse.


Pourquoi t'es v'nue t'mettre dans ces histoires là si t'avais peur ? J'comprends pas. L'germain y sait, pourtant, j'm'attendais pas à c'qu'y s'pointe avec une gosse.

Je commence à me frotter le bras, la tête basse.
Il m'a emmené sans me prévenir, je voulais pas, mais je n'ai pas eu le choix, je pourrais pas rentrer toute seule, et mon protecteur sera fâché si Monsieur Ludry ne lui dit pas que j'ai bien travaillé.
Je jette un coup d'œil nerveux vers le méchant homme et me recule du comptoir. Je dois sortir. Merci d'avoir été gentille avec moi. 
Toute tremblante, je la regarde, puis me tourne vers la porte.

Elle fronce les sourcils devant le discours auquel elle ne s'attendait pas.
Pas d'quoi... Le regard qu'elle lui porte désormais est passé de celui que l'on arborerait face à son sauveur, à celui que l'on poserait sur un moribond. Mais elle ne cherche pas à comprendre plus avant les choix du germain pour le moment, trop préoccupée par les enjeux.

Essayant de rassembler le peu de courage que je possède, je m'avance vers la porte et sort dans la rue, de longs frissons me parcourant l'échine et une sensation désagréable me donnant envie de presser le pas et de protéger mon fessier. Le cœur battant, je m'astreins toutefois à ne pas marcher trop vite. De toute façon, mes jambes sont en coton et si je tentais d'accélérer le pas, il n'est pas dit que je marcherais droit. Mes bras sont serrés sur ma poitrine, et j'essaie de la couvrir, bien trop mal à l'aise. Quand je reconnais la porte de la maison, je m'y dirige directement et pose une main tremblante sur la poignée.

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Gabriel.louis


[La veille]


Dans la vie, il y a ceux qui méritent, et ceux qui ne méritent pas. Parmi mes proches méritants, ma Tante. Si dans les premiers temps, notre cohabitation n’avait pas été aisée, nous avions fini par parvenir à nous apprivoiser. Depuis, forge, escorte, soutien, armée, espionnage, incendie, enlèvement… elle répondait à toutes mes requêtes sans faillir. J’avais une nouvelle mission pour elle, mais il m’était impensable de ne pas lui offrir une récompense pour sa loyauté, en gage de ma gratitude.

C’était là que j’avais un problème ; j’avais besoin d’une foutue idée, mais rien à faire, elle ne venait pas. Lorsque je lui avais proposé de faire importer des minéraux et matériaux divers pour sa forge, elle avait refusé, préférant récolter elle-même ce qui lui était nécessaire. De même, lui faire agrandir ou améliorer sa forge n’était pas plus concevable, car on ne saurait contrevenir à ses habitudes sans provoquer une catastrophe. A côté de cela, qu’aimait-elle ?

Tuer. Cela signifiait l’envoyer en mission, donc une nouvelle requête, donc impossible. Manger. Ah, ça, de toute évidence, elle aimait manger. Elle dévorait, même. Mais la nourriture ne manquait pas et lui était offerte à chaque repas passé au manoir, et même en dehors des repas, elle n’hésitait pas à s’affairer elle-même aux cuisines. En dehors de cela, elle n’était pas matérialiste et la maigreur de sa garde-robe ne laissait pas lui présumer un grand amour des vêtements.

C’est ainsi que j’en arrivais à décider de faire appel à un peu d’aide, et qui de mieux pour m’éclairer qu’un homme qui avait longtemps tenu les armes à ses côtés. Ce qu’il m’apprit fut hautement instructif, et je tenais enfin LE cadeau parfait, du moins, je savais ce qu’il devait être, et je comptais sur lui pour me le rapporter. C’est lorsqu’il me demanda s’il pouvait emmener Bloodwen dans sa chasse que s’en vint l’idée qu’il pourrait m’être également d’une autre utilité.

La simple évocation de la Blanche faisait renaitre en moi la colère du moment. Comme nous avions reçu Septimus quelques jours plus tôt, elle s’était permise de le servir en vin en oubliant de servir son Maître. L’insulte était grande, et méritait une sanction à la hauteur. Mais pour le moment, malgré sa jalousie, Alaynna en était trop proche, et lui apportait trop d’affect et de protection. Selon Eugène, elle la nourrissait même derrière mon dos, outrepassant sa sanction et donc mon autorité.


Ludry ?
Baron.
Il y a peut-être une ou deux petites choses que vous pourriez faire pour moi par la même occasion.
Qu’est-ce qu’il doit faire ?
Bloodwen a besoin d’être recadrée. Commencez par l’épuiser pour la rendre docile. Docile et attendrie. La fatigue la rend d’autant plus sensible.
L’épuiser et la rendre sensible. D’accord.
Pas seulement. Humiliez-la.
L’humilier ? Il est très en colère.
Plus qu’en colère, je suis furieux. Elle m’a contrarié. Je déteste être contrarié.
Epuisée, sensible et humiliée. D’accord.
Non, pas « d’accord ». Pas seulement « d’accord ».
Il ne comprend pas.
Cette petite trainée ose me défier et me manquer de loyauté. Alors vous me la secouez et vous me la ramenez à son état de vermine.
Le petit monstre est loyal.
ELLE NE L’EST PAS ASSEZ !
Il fera ce que le Baron attend de lui, si le Baron lui dit exactement ce qu’il veut qu’il fasse parce qu’elle n’est pas facilement humiliée.
Je sais bien, Ludry, mais c’est un début que j’attends de vous.
Quel début ?
Pour aujourd’hui, je veux qu’elle soit épuisée et malmenée, qu’elle prie pour que ça s’arrête et pour retrouver le confort du manoir. Et quand elle rentrera enfin, pensant retrouver la protection que nous lui offrons, Alaynna et moi ne serons pas là. Je veux qu’elle se sente abandonnée et … Attendez un peu, c’est quoi cette expression, là ? Auriez-vous un problème avec ça ?
Pas de problème avec ça, il réfléchit à comment il va faire et se demande ce qu’il devra faire après, si ce que le Baron demande est juste pour aujourd’hui.


J’appréciais l’engagement dont l’homme semblait faire preuve. Je peinais cependant à lui accorder pleinement ma confiance et ne le mis dans la confidence que d’une partie de mes plans, quand mes projets pour l’albinos étaient bien plus vastes encore.
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