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[RP] Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas

Ludry
La porte de l'établissement n'a pas tardé à claquer une seconde fois derrière elle. Le trapu l'a suivie, de près, de très près, de plus en plus près, tant et si bien qu'au moment où elle porte la main sur la poignée, c'est tout un poids qui s'abat brusquement sur elle pour l'entrainer à l'intérieur. Les gonds grincent à la fermeture, comme pour mieux sonner le glas du sort qui l'attend, suivis de murmures perfides et déjà haletants de vice.

J't'avais dit d'bien réfléchir.

Même si je savais plus ou moins ce qui allait m'arriver, je ne pus retenir un cri strident. J'en oubliait que Monsieur Ludry devait venir me sauver. Lorsque j'entends la porte je me mets à pleurer bruyamment, et à me débattre de toutes mes faibles forces pour tenter de lui échapper.

Il ne faut pas longtemps pour qu'il ne force le corps, misérable face à la lourde carcasse, à ployer pour rejoindre le sol. Les doigts se referment alors sur son cou tandis que le crochet se plante dans le tissu pour le déchirer sans peine.


T'supplieras pour que j't'achève.

Pleurant et hurlant, je me démène jusqu'à ce que couchée sur le sol dur, je ne suffoque sous sa prise et lui jette des regards suppliants. Le contact de son crochet me fait cesser mes mouvements et terrifiée je me fige, de peur qu'il ne me découpe la peau avec. D'une petite voix étouffée, j'essaie de le calmer.

Pardon Monsieur ! Je voulais pas vous fâcher, pitié me faites pas de mal, je ferais tout ce que vous voudrez !
Trop tard !

Déjà il force sa place entre les cuisses blanches. Le crochet prend la place de la main comme celle-ci se porte à ses propres braies pour les ouvrir.

J'vais t'faire couiner comme une truie et quand j'en aurai marre, j'te viderai pareil. On t'retrouv'ra par mor...

Un bruit sourd accompagne un étrange mouvement de sa tête et lui arrache un grognement. Par-dessus lui, un second coup est porté, puis un troisième, entrainant le poids à s'effondrer sans connaissance sur le corps frêle. Après avoir laissé tomber la planche de bois au sol, Ludry fait rouler la carcasse sur le côté pour libérer la gamine.

Cet homme a la tête dure.

Incapable de l'empêcher de m'écarter les cuisses, j'essaie toute de même, sans succès, sanglotant misérablement. Le contact du crochet à mon cou m'arrache un nouveau hurlement, de même que ses paroles des hoquets et des larmes qui coulent à bouillon de mes joues pour me mouiller les cheveux éparpillés au sol. Ce n'est que quand son corps s'effondre sur moi que, privée d'air, je cesse de faire du bruit, et ce n'est que lorsque je suis libérée de son poids que je réalise que je suis sauvée et que, me redressant péniblement, suffocante, je me jette sur Monsieur Ludry pour chercher refuge près de lui, pleurant de plus belle.

D'abord surpris, il la suit des yeux. Finalement, il y a une chose s'apparentant au sens du devoir qui lui murmure dans les tréfonds du peu de conscience qui est sienne, qui lui dit qu'elle a quand même bien travaillé, et qu'elle mérite le réconfort dû aux frères d'arme. Aussi, il lui dépose doucement une main à l'épaule, se voulant réconfortant.


Elle n'est pas blessée ?

N'ayant jamais reçu beaucoup d'affection, ce simple contact me fait l'effet de tous les câlins du monde et je laisse aller ma tête échevelée sur son bras, mon poignet venant m'essuyer mes yeux rougis, tout en reniflant.

Non Monsieur Ludry, mais j'ai eu très peur de mourir
Il lui a dit qu'il ne serait pas loin. Il n'avait pas encore fini sa bière quand elle est sortie, c'est tout.

La justification pour ce léger problème de synchronisation lui parait suffisamment solide. Et puis c'est le résultat qui compte après tout.

Il faut qu'il finisse de s'occuper de cet homme avant qu'il ne se réveille. Elle va pouvoir apprendre encore des choses si elle le regarde faire.

Un peu calmée, je hoche lentement la tête à son explication et renifle plus doucement. Lorsqu'il évoque mon agresseur, je tourne un regard effrayé vers celui-ci et contourne lentement Monsieur Ludry pour me glisser dans son dos.

D'accord Monsieur Ludry.
Ainsi débute le cours façon Ludry.

Pour commencer. Les armes. Après une fouille rapide lui laissant découvrir un simple poignard. Il ne sait pas trop ce que cet homme aurait pu découper avec ça. qu'il fait glisser au loin sur le sol en secouant la tête, il défait le crochet du moignon et le tend vers Bloodwen. Un trophée pour sa première chasse réussie.

Je le regarde faire et répète à voix basse les armes avant de suivre le mouvement du poignard des yeux, imaginant très bien ce qu'il aurait pu me faire avec. Puis je regarde le crochet, surprise, avant de lever les yeux vers lui. Je reste immobile un instant ne sachant quoi penser pour finalement m'avancer et le saisir du bout des doigts. Merci monsieur Ludry.

Un petit clin d'œil et il reprend. Après, le matériel. Il récupère les cordes qu'il avait sorties plus tôt dans la soirée et les rapproche avant de le défaire, non sans quelques peines au vu du poids mort, des braies que l'homme avait déjà commencé à ouvrir. Puis tire son propre poignard pour les trancher afin d'en séparer les jambes, et les déposer aux pieds de Bloodwen. Maintenant, le mettre en position. Et de prendre appui de l'épaule contre la carcasse pour pousser et la faire rouler à nouveau sur le ventre.

Tandis que sa phrase raisonne dans ma tête, surtout le terme "première" qui me donne des angoisses, je l'observe, avant de détourner les yeux pendant qu'il le déshabille. Choquée de ce que j'ai seulement entrevue, je recule brusquement alors que les braies s'échouent dans mon champ de vision.

La première corde en main, il le chevauche et s'empare du premier poignet.
Attacher. Il doit se dépêcher pour qu'il ne se réveille pas avant. Le nœud est fermement serré, puis il tire le bras à l'équerre dans le dos, et le remonte autant que les jointures le lui permettent. La corde passe alors par le cou, le cernant de deux tours. Le second bras est positionné de même avant que le second poignet soit lié également. Dans des gestes familiers, le cordage se tisse en huit ascendants d'un bras sur l'autre. Une fermeture étroite, vérifiée, et il pivote sur son assise pour saucissonner les mollets entre eux avec la seconde corde.

Rassurée par son calme et ses gestes assurés, je m'approche un peu, bien qu'avec prudence, pour mieux voir ses mouvements. Ses nœuds me semblent très compliqués et je suis impressionnée. Dans le même temps, je lâche le crochet d'une main pour pouvoir me frotter le bras. Mais mon mouvement s'arrête à mi-chemin pour tenter de couvrir la poitrine.


Ça doit faire très mal aux bras Monsieur Ludry.
Et ça étrangle si il essaye de tirer.

Il se redresse et se dirige vers le sac pour en sortir de quoi allumer la cheminée en espérant que ce ne soit pas tout qui prenne feu, récupérant le poignard de l'homme en passant. Dès que les premières flammes s'allument, il y dépose la lame en équilibre pour la préparer.

Elle veut apprendre comment un homme ne peut plus courir ?

Je regarde l'homme étendu et imagine très bien la chose. Si bien que je porte la main à ma gorge encore endolorie. Je suis Monsieur Ludry du regard et m'approche du feu pour m'y réchauffer du même coup. A ses mots, je dégluti péniblement, horrifiée, puis demande d'une petite voix.

Plus courir ? Vous allez lui faire du mal ?
Il pivote légèrement pour la considérer d'un œil incrédule.
Elle a pitié de celui qui a voulu lui faire du mal ?
J'hésite un instant avant de secouer la tête sans quitter l'homme du regard.
Non, mais il ne faut pas faire du mal aux gens, ce n'est pas bien.
Il fallait définitivement l'endurcir la gamine, sinon elle n'allait pas tenir longtemps.
La pitié c'est pour les faibles.
Il se relève en tirant à nouveau son propre poignard et se dirige vers le séquestré pour s'asseoir sur ses jambes.
Elle prend les braies de cet homme et elle vient voir.

Choquée par ses propos, je pose le crochet au sol et m'approche pour attraper les braies du bout des doigts, bras tendus loin de mon corps, pour finir près de l'homme étendu et de monsieur Ludry.
Qu'est-ce que vous allez faire ?
Il va le réveiller, et elle va faire un nœud autour pour qu'il ne se vide pas.
A peine l'explication finie il taillade le tendon -ce qui effectivement a le don de réveiller l'endormi- puis éloigne les mains pour la laisser faire.

Paniquée par la vue du sang qui gicle et qui m'éclabousse, je pousse un petit cri et me laisse tomber à genoux pour tenter de faire un nœud, à gestes maladroits de mes mains tremblantes. Mais je ne sais pas vraiment en faire et serre comme je peux, hoquetant de terreur.

Le rictus amusé, il s'intéresse plus aux expressions de l'albinos qu'à ses gestes, puis fait pivoter l'arme dans sa main pour lui présenter la poignée.


C'est à son tour. Elle coupe d'un geste net. Mais s'il n'est pas tout à fait net, c'est une première fois, ce n'est pas très grave. Elle recommencera.

Les pupilles dilatées, et les yeux écarquillés, je regarde l'arme, et tends une main hésitante pour la saisir. Malgré l'horreur de ce que je vis, je me raccroche à ses encouragements et la gentillesse dont il fait preuve avec moi depuis quelques minutes, alors pour lui faire plaisir et en bénéficier encore, je me tourne vers la jambe intacte de l'homme et, après une longue hésitation, et de petits mouvements avortés voulant reproduire les siens, je me lance en fermant les yeux au dernier moment, tailladant d'un geste se voulant rapide.

Il saisit aussitôt l'autre morceau des braies pour ligaturer aussi rapidement que possible.


Elle sait comment arrêter un homme maintenant. Elle est petite et pas très forte. Ça pourrait lui sauver la vie. Si un homme ne peut plus courir, elle peut fuir, ou le tuer plus facilement.
J'ouvre un œil, puis l'autre, et me recule en levant le regard vers lui, incrédule.
J'ai réussi ?
Il se secoue le bout de l'auriculaire dans le conduit auditif et se tourne le temps de mettre un taquet au beuglard au langage fleuri, comme si ça allait le faire taire, avant de répondre.
Elle a réussi, oui.

Mon visage s'illumine et je me recule vivement de l'homme, impressionnée par ses cris et le craignant toujours malgré sa position, les avants bras couverts de marbrures de sang levés loin de mon corps.
On s'en va maintenant Monsieur Ludry ?
La main est tendue en direction du poignard.
Pas encore.

Je réprime un frisson et lui rend le poignard puis recule vers le feu, le regard fixé sur ma main rouge et blanche.

Il se redresse pour s'approcher d'elle et tranche un morceau de son vêtement, au point où elle en est, pour aller le fourrer dans la bouche de l'homme avant de le faire rouler de nouveau.

Elle vient ici, ce n'est pas fini.

Je me fige en le voyant approcher et pousse un nouveau petit cri. L'espace d'un instant j'ai cru qu'il allait s'en prendre à moi pour avoir voulu partir et respire quand je comprends qu'il n'en est rien. Je laisse tomber mes bras et m'approche à petits pas, tout de même soulagée de ne plus entendre les hurlements de l'homme envahir l'espace. Je suis mortifiée de ce que je vois et que je suis contrainte de faire, mais ne vois pas comment y échapper sinon en coopérant.

Il lui voulait du mal, il doit être puni.
Il empoigne les attributs sans la quitter des yeux.
Elle ne ferme pas les yeux cette fois, elle doit regarder.

Les yeux grands ouverts je hoche lentement la tête, le souffle coupé, incapable de prononcer un mot ni même détourner le visage, faisant seulement glisser mes pupilles vers sa main.

Le corps au sol se meut comme une anguille, les hurlements étouffés par le chiffon produisent des sons sourds coincés au fond de la gorge, faisant vibrer le poitrail. Le Putride s'apprête à trancher, mais finalement :
C'est elle qui devrait le faire.

En plein cauchemar, je plaque mes mains sur mes oreilles pour ne pas entendre les bruits que l'homme produit à défaut de pouvoir fermer les yeux. Interdite, je considère Monsieur Ludry et laisse retomber mes bras le long de mon corps en même temps que je me laisse tomber à genoux. J'ai la sensation de ne plus contrôler mon corps alors que je m'approche pour tendre la main. J'ignore ce qu'est la colère et n'ai jamais éprouvé de besoin de vengeance malgré toutes les horreurs que j'ai pu vivre. Les seules motivations qui me meuvent sont la survie et un intense besoin de soutien et d'affection que j'imagine pouvoir obtenir en mutilant mon agresseur.

Il lui glisse l'arme dans la main, main qu'il conserve ensuite précieusement tandis qu'il se glisse derrière elle, accroupi, la sénestre déplaçant la chevelure blanche pour libérer l'oreille à laquelle il murmure, espérant capter son attention par-delà les vocalises étouffées.

Il a emmené des femmes chez lui. Il les a violées. Il les a terrifiées. Il leur a arraché les yeux et la langue. Il les a découpées. Jamais personne n'a retrouvé tous les morceaux.
Tout en parlant, la seconde main vient glisser sur sa jumelle pour la guider afin qu'elle s'empare de la virilité et des bourses de leur victime. La première approche ensuite celle tenant la lame, pour la préparer à trancher, prêt à accompagner son geste dès qu'elle en donnera l'impulsion.
Voilà ce qu'il voulait faire à Bloodwen. Elle ne doit pas lui laisser l'occasion de recommencer. Elle doit lui montrer qu'elle est plus forte que lui.

Terrifiée par son récit, je me met à trembler, comprenant à quoi j'ai échappé. Le cœur battant, au bord de la nausée, je déglutis et lâche d'une petite voix voilée d'avoir trop crié.
Je veux pas qu'il fasse ça encore à une dame.
Et, cessant brusquement de trembler, je reproduits le geste effectué pour les tendons en y mettant toute ma faible force, encouragée par la main de mon professeur.

Lorsque l'appendice de chair se détache, le corps se contorsionne de plus belle, les yeux exorbités, les hurlements gutturaux redoublent, et après avoir frotté la joue à celle de Bloodwen, le Putride se redresse en s'étirant la manche pour saisir la poignée de la lame rougie sur le feu, et s'en revient cautériser le tout. Le but n'ayant jamais été la mort de sa cible. Dès le premier contact, c'en est trop pour la victime qui sombre à nouveau vers l'inconscience. Ludry se permet même le loisir de laisser la lame encore rouge à même le corps où elle restera jusqu'à être refroidie. Et, le visage frappé un profond sourire un brin dément, ses regards s'en reviennent à l'albinos.


Maintenant elle est plus forte qu'avant.

Traumatisée par ce que je viens de faire, culpabilisant déjà d'avoir succombé au mal, je ne parviens pas à détacher mon regard de la lame chauffée à blanc et de l'amas de chair fumante. A retardement je lâche les attributs et ma main vient se poser sur ma joue ou je sens encore le contact de celle de monsieur Ludry. A ses mots, ma deuxième main lâche le couteau en même temps que je lève des yeux agrandis d'effroi vers lui. Soudain je me redresse et m'éloigne à demi levée pour aller vomir dans un coin de la pièce en gémissant.

La réaction ne se fait pas attendre ; la voyant faire, il éclate de rire et ajoute.
Peut-être pas tant que ça. Et pendant que l'une se draine l'estomac, l'autre balance le morceau de chair vers les flammes, récupère son poignard, son sac, et va s'asseoir confortablement sur la paillasse. La lame est rincée au goulot d'une flasque avant qu'il n'en prélève une gorgée. Charcutaille en main, l'heure est venue de se faire un bon petit frichti bien mérité.
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Bloodwen
Les larmes aux yeux et la bouche acide je me tourne vers lui et me traîne pour aller me rouler en boule à ses pieds, secouée de spasmes nerveux. Je parviens à peine à articuler un misérable Je veux pas être un monstre. avant de rentrer ma tête entre les épaules et d'entourer mes jambes de mes bras.

Il allait trancher un morceau quand il entend ses mots et ramène finalement les yeux sur le spectacle pitoyable qu'il avait pourtant voulu éviter de voir. Il sent quand même qu'il faut qu'il dise ou fasse quelque chose, alors il tente.


Le petit monstre n'est pas un... Fail. Elle ne l'est pas vraiment. Elle est trop gentille, trop faible pour en être un. Et les monstres ont des longues dents. Elle a de toutes petites dents qu'on ne sent pas. Elle a fait quelque chose de bien, elle ne doit pas se rendre malade.

Je l'écoute et porte un doigt à ma bouche pour me toucher les dents et je constate que en effet elle ne sont pas longues. Un peu réconfortée je me déplie un peu et me risque à poser ma tête et ma main sur sa botte, levant mes grands yeux rouges et vitreux vers les siens.
J'ai fait quelque chose de bien ?

Du revers des doigts, il lui caresse doucement le cou. Finalement, à "l'amour" comme à la guerre, il n'y a que le physique qu'il sache manier plus ou moins correctement, et généralement, "l'amour" ça soulage tout, surtout quand il y a du poil autour, mais il n'en est pas là actuellement.
Elle n'a pas vu les femmes qui avaient peur de l'homme ? Elle les a libérées. La liberté, c'est un beau cadeau qu'elle leur fait. Et punir les gens mauvais, c'est être bon.

Appréciant cette nouvelle marque d'affection physique, je me laisse faire et de détends un peu, oubliant tout ce qu'il m'a fait subir et l'odeur immonde de la chair brûlée et de la peur qui empoissent l'air.

La gentille dame qui m'a donné du lait avait très peur du monsieur, elle tremblait même. Elle aura plus peur parce que je lui ai fait du mal ? Dieu sera pas fâché après moi ?
Elle n'aura plus peur parce que ses filles ne se feront plus tuer par lui et personne ne sera fâché. En plus elle a rendu service à Ludry, et ça c'est très très bien.

Surtout quand ça lui fait gagner des tours gratuits à chaque passage, il ne peut que trouver ça bien.

Soulagée, et ma poitrine chauffant d'être félicitée, je lui souris maladroitement. Merci monsieur Ludry.  J'oubliais toute la peur et la souffrance que j'avais endurées pour en arriver là, trop heureuse d'avoir servi à quelque chose et de ne plus être persécutée pendant un moment, mais plutôt encouragée et en sécurité.

Le regard court sur elle et ses traits se tendent légèrement, même le sempiternel rictus semble figé d'une pointe de crispation. Il ôte la main pour finalement couper cette tranche de saucisson.

Elle a faim ?

Habituée à avoir faim et à saisir la moindre occasion de manger, je me redresse sur mes genoux, et prenant garde à ne pas regarder l'homme étendu et à ne pas respirer trop fort, je me sens prête à remplir a nouveau mon estomac vidé quelques instant plus tôt.
Oui s'il vous plait Monsieur Ludry.

Il s'apprête à lui tendre le morceau, mais dans un sursaut d'hésitation, les yeux passent de l'albinos à la tranche par plusieurs fois. Finalement, il se coince cette dernière entre les dents, déposant le reste sur le côté, écarte un peu les jambes, et lui fait signe d'approcher.

Je le regarde faire, ne comprenant pas son manège et attend patiemment qu'il me donne à manger. Je m'approche sur son signe, le regard sur la tranche, et déglutis nerveusement.

Sans empressement, il lui glisse une main à la joue et approche le visage du sien pour lui permettre de se nourrir, sans pour autant desserrer l'étau de ses propres mâchoires, la tranche cependant suffisamment large pour permettre encore la distance de deux petites bouchées.

Effarouchée, je me laisse toutefois faire, et mords timidement dans la tranche, suffisamment pour la trancher et la gober aussi sec, le regard tremblant naturellement et même un peu plus comme hypnotisé par celui de Monsieur Ludry, bien trop proche.

Prédateur patient, à aucun moment il ne bouge ni ne cille. Même la main reposant à sa joue reste immobile et souple au mouvement qu'elle impulse. L'on pourrait presque penser qu'il n'attend rien de plus que ce qu'il lui présente déjà et que même en ce geste, il n'est jamais que proposition sans exigence.

Incapable de véritable méfiance, d'autant plus si l'on ne me brutalise pas, je fini par cligner des yeux plusieurs fois et me recule lentement, le regard au sol, mal à l'aise.

Tandis qu'il ôte la main, il happe le reste de la tranche et extrait une flasque du sac pour en prélever une gorgée avant de la lui proposer.

Je le regarde boire et hésite un instant avant de prendre la flasque. Je n'aime pas ce qu'il y a dedans mais je doute qu'il n'ait de l'eau ou du lait. Aussi je m'en saisis pour en prélever une petite gorgée.

Il reprend la charcuterie et le poignard, mais cette fois les lui tend.

Intriguée, je saisis les deux, et, pensant comprendre ce qu'il attend de moi, je m'applique à débiter une belle tranche et reproduisant ses gestes.

Dans des gestes lents, il la libère alors du saucisson et du poignard pour ne lui laisser que la tranche, puis invite la main féminine à se déposer à sa joue.

Je le laisse faire, gardant la tranche, et pose ma main nerveuse sur sa joue, à nouveau mal à l'aise. Je ne comprends pas ce qu'il me veut et le regarde dans l'attente de ses directives.

C'est à son tour, il attend.

[i]Je cligne des yeux et, à gestes hésitants, je me mets une partie de la tranche de saucisson entre les dents, conservant le regard baissé.

C'est toujours avec lenteur qu'il approche de ses lèvres et plante les dents dans la charcuterie avec pour tout contact le nez qui s'en vient effleurer brièvement la pommette. Et, mastiquant, il n'avance ni ne recule.

Figée, je ne respire même plus, tressaillant seulement à son contact. J'attends qu'il en finisse, le cœur battant, mal à l'aise par tant de proximité, mais voyant qu'il ne bouge pas, je me recule un peu.

Il accuse son mouvement de recul avec un pli désapprobateur et se redresse. Quêtant plus d'aise, il détache les liens de sa carapace de cuir qu'il abandonne sur le côté, secoue un peu sa chemise pour la décoller de sa peau, puis s'étend sur la paillasse, la tête reposant sur un avant-bras.


Plus qu'à attendre.

Je me recule davantage en voyant son expression et le regarde s'étendre en me frottant le bras. Je jette un regard furtif à l'homme puis revient sur lui. J’aimerais vraiment rentrer maintenant.

Attendre quoi Monsieur Ludry ?
Qu'ils viennent l'aider à le transporter.
Qui ça ?
L'homme à la charrette et sa femme.
Hein ?
Il ramène le visage vers elle.
Il ne va pas porter cet homme tout seul et Bloodwen n'est pas assez forte.
On va l'amener où ?
Au manoir.
J’ouvre de grands yeux surpris.
Pourquoi ?
Il fronce les sourcils, dérangé par cet excès soudain de curiosité qu'il décide de couper à la racine.
Pour tenir chaud au petit monstre.

Calmée aussi sec, je me tasse sur moi-même en jetant un coup d'œil à l'homme. Je baisse la tête et ne dit plus rien. Après un instant je me met à me frotter frénétiquement mes avant-bras pour enlever les traces de sang qui me dégoûtent.

Un soupir plus tard, il se redresse et sort plusieurs flasques, les ouvrant le temps de les sentir.


Elle enlève sa robe.

Je cesse mes mouvements et lève la tête vers lui, puis, lentement je me lève et retire ce qu'il reste de mes vêtements avant de me protéger comme je le peux avec mes bras, le regard au sol.

Il récupère l'étoffe qu'elle vient d'ôter et en déchire un morceau qu'il imbibe d'eau, puis lui fait signe d'approcher.

Dépitée de voir mes vêtements partir en lambeaux je m'approche néanmoins, terriblement gênée d'être aussi exposée, surtout face à lui.

Peu enclin à se lever, il lui saisit un poignet et tire pour la faire revenir à hauteur, et commence par lui débarbouiller le visage, sans brusquerie ni douceur.

Je me laisse entraîner vers le sol et me réceptionne à genoux, puis me laisse faire, tendant mon visage pour lui faciliter la tâche. Je trouve agréable d'être débarrassée de cette matière poisseuse et malodorante, et je ferme les yeux.

Descendant peu à peu, il la défait des quelques éclaboussures à sa gorge, sa poitrine, pour finir par ses bras, et verser directement un peu d'eau sur les mains, avant de les frotter à leur tour.


Il lui propose une dernière fois. Il peut la libérer. C'est pour son bien, elle devrait lui faire confiance.
J'ouvre les yeux a ses propos et secoue nerveusement la tête.
Monsieur Gabriel m'a dit que c'était pour me protéger. C'est pour mon bien.
Idiote. Elle regrettera. Il l'aura prévenue.
Une fois son nettoyage achevé, il lâche le tissu souillé sur le côté et se défait de sa chemise pour la lui enfiler.

Un peu secouée par ses propos, je le laisse me passer sa chemise et ne dis rien. Puis, timidement, je me risque à faire s'élever un peu ma voix.


Pourquoi vous dites ça ?
Les couper c'est un mal, les garder c'est pire. Il prend le risque de la prévenir parce qu'elle a été loyale envers lui et qu'elle n'a pas parlé de lui au Baron. Mais, il ne peut rien lui dire de plus, et le reste ne le concerne plus.

Sur ces mots, il se contente de s'étendre à nouveau, retrouvant sa position.

Plantée sur mes genoux à côté de lui, j'essaie d'assimiler ses paroles qui me font douter. Le regard planté sur les lattes du plancher, je me fustige aussitôt de l'avoir écouté et de mettre en doute les actes de Monsieur Gabriel. Je redoute ce qui pourrait m'arriver s'il se rendait compte de ma réflexion, et maudit le démon en moi d'écouter Monsieur Ludry. Je lui jette un bref regard, et hésite entre lui faire confiance et me méfier.

Loin de s'imaginer qu'elle hésite comme par deux fois elle lui a émis son refus, il décide que l'attente sera bien plus agréable avec une petite sieste. Puisqu'il estime qu'ils sont suffisamment intimes depuis qu'elle lui a fait don de sa bouche, c'est dans un geste naturel qu'il ouvre un bras et agite les doigts en invitation.

Son mouvement me sort de mon brouillard réflexif et après une hésitation je m'approche doucement et me glisse contre lui pour poser ma tête sur son épaule.

Les doigts furètent parmi le tissu pour se trouver une parcelle de peau sur laquelle ils se plient et se déplient jusqu'à ce que le garde se laisse emporter par un sommeil alerte.

Pour ma part je ne parviens pas à m'endormir, car, bien que cela me rappelle les bras protecteur de Tord quand nous étions dans la neige, je me sens bien moins en sécurité qu'alors. Malgré la fatigue, chaque fois que je ferme les yeux j'entends la respiration de l'homme que j'ai mutilé et je revois la scène. Nauséeuse, je me contente d'attendre, jamais aussi pressée de retrouver ma couverture et mon débarras.


Au cœur de la nuit, des petits heurts à la porte lui font redresser brusquement la tête. Il extrait son bras pour se lever et aller ouvrir. Deux femmes, dont la tenancière portant une grande pièce de toile, et l'homme qui les avait guidés plus tôt entrent. Puis débutent les préparatifs, les deux compères basculent l'émasculé d'un côté, puis de l'autre, tandis que les femmes glissent l'étoffe pour l'en envelopper.

Engourdie, j'attends que Monsieur Ludry s'éloigne pour me redresser à genoux sur la couche et les regarde faire en me frottant les bras, de froid autant que d'anxiété. J'ai assez hâte de rentrer, mais je n'ose pas aller les aider, encore trop impressionnée par ce qu'il s'est passé, et peu désireuse de m'approcher de l'homme que j'ai massacré.


Elle rassemble les affaires et elle les suit.

Sans plus d'attention pour l'albinos, les quatre joignent leurs efforts pour soulever leur colis et l'acheminer jusque dans la charrette l'y attendant à l'extérieur, à l'arrière de l'un des chevaux.

Aussitôt je me lève, toute courbaturée, et ramasse la cuirasse de Monsieur Ludry, ainsi que les vivres et les mets dans les sacs en partie vidés de leur contenu. Enfin, je jette un regard circulaire pour vérifier que je n'oublie rien, m'arrêtant une seconde sur mes vêtements irrécupérable, et, beaucoup plus longuement, sur le crochet qui git au sol près d'une flaque de sang. J'hésite à le laisser là, mais, de peur que Monsieur Ludry ne se vexe, je finis par le saisir du bout des doigts et le fourre vivement dans l'un des sacs. Puis je sors avec mon chargement, soulagée de quitter cet endroit, pour les rejoindre et poser les sacs dans la charrette. Je conserve la tête baissée, mal à l'aise à cause de ma tenue.


Voilà Monsieur Ludry.

Pendant ce temps, le chargement a été consolidé afin qu'il ne puisse se dérober durant le trajet. Encore fébrile et les mains sujettes aux tremblements, la tenancière finit tout de même par décrocher quelques mots.

Merci l'germain, pis merci à vous aussi m'selle. Z'êtes tous les deux les bienv'nus quand qu'vous voulez, s'rez comme à la maison, pis si z'avez b'soin, on vous en doit une.

Ludry semble ne pas prêter plus de considération à ses mots et se tourne vers Bloodwen.

Elle sait chevaucher ?
Relevant légèrement la tête, je jette un bref regard à la femme et murmure un petit de rien madame, avant de lever le visage vers Monsieur Ludry. Non Monsieur Ludry, je ne sais pas, pardon.

Il considère rapidement les chevaux, puis lui indique son étalon, la charrette étant attelée à l'autre cheval. Elle va devoir apprendre vite. Sa cuirasse. Ajoute-t-il en tendant une main dans sa direction.

Le souffle coupé, je le regarde, puis le cheval, et reste paralysée à l'idée de monter seule sur un animal aussi impressionnant. Mais je me reprends vite, et file lui chercher son équipement que je lui tend, le regard glissant sur la monture.


Comment je dois faire Monsieur Ludry ?

Avant de lui répondre, il prend le temps d'enfiler le cuir et d'en fermer les liens. Ce n'est qu'au moment où il met lui-même le pied à l'étrier et passe en selle qu'il lâche avec nonchalance Comme ça.
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Ludry
Je le regarde faire, les yeux écarquillés et, ne sachant qu'en penser, je déglutis et m'approche de l'animal prudemment. Puis, tentant de reproduire les gestes observés, je tends une main tremblante vers les rennes que je saisis, le cœur battant la chamade, et, attendant que le cheval s'immobilise tout à fait, je pose le pied dans l'étrier en m'étirant au maximum. Sauf qu'à ce moment précis, je me retrouve coincée, incapable, de me hisser, puisque je suis déjà en extension, et que seule la pointe de mon pied est posée sur l'étrier, malgré mes tentatives.

Le garde lève les yeux au ciel en soupirant puis finit même par ricaner. La tenancière empresse l'homme qui les observe, bras ballant, en lui fourrant le coude dans les côtes. Ce dernier se décide quand même à venir au secours de l'inconnue en la poussant aux fesses.

Sursautant sous l'impulsion que je n'avais pas vu venir, tant j'étais concentrée sur ma tentative, je me retrouve soudain juchée sur la selle. Mais je me retrouve les pieds hors des étriers, les jambes décidément trop courtes. Au moins, je tiens encore les rênes, et les saisit des deux mains. Je tourne alors le regard vers l'homme et le remercie à mi-voix, peu à l'aise à cette hauteur et cet animal dont je sens confusément la puissance.

En grognant, le cavalier redescend et s'approche pour ajuster les sangles des étriers. C'est bien parce qu'il s'agit de son cheval que les gestes sont contenus et sans brusquerie. L'agacement n'en est pas moins visible. Puis il se remet en selle et commence à avancer.


Elle le suit à dix pas.

Parfaitement immobile, je le laisse faire, ne voulant pas l'énerver davantage. Et à nouveau je panique, alors que je n'ai aucune idée de comment faire avancer la bête. Perplexe, je donne un petit coup de rêne, mais rien ne se passe et il se contente de piétiner sur place. Je jette alors un regard désespéré à la charrette qui s'éloigne et tente de communiquer avec l'étalon, en me penchant vers ses oreilles.
S'il vous plait monsieur Cheval, il faut avancer maintenant, il faut suivre Monsieur Ludry.
Mais pour toute réponse, il ne fait que piaffer en agitant les oreilles. Désemparée, je m'agite alors sur la selle et lui donne sans le vouloir un coup de talon dans les côtes, ce qui le fait enfin réagir, et tandis qu'il se met au pas derrière la charrette, je m'agrippe au lien de cuir, en poussant un soupir de soulagement et glisse un Merci Monsieur Cheval reconnaissant.

A cette heure, les rues ne sont que peu fréquentées, bien que ce quartier le soit davantage. Dans les plus paisibles parties de la ville, la plupart des volets sont fermés. Le fumet du pain chaud se répand dans certaines rues, mais les seules âmes visibles sont celles de quelques pêcheurs des villes à l'entour venant faire leur commerce au sortir de leur nuit de labeur. Le Putride conserve sa paisible cadence, espérant que sa compagnie du jour ne commette pas d'impair avec la bête qu'elle chevauche.

Respirant à peine, je ne prête pas attention à ce qui peut se passer autour de moi, le regard visé sur l'encolure de l'étalon et, un peu plus loin en levant les yeux, la charrette que je distingue confusément dans l'obscurité. C'est plus au son de ses essieux que je la repère. Depuis que l'animal s'est mis en mouvement, je n'ai pas eu besoin de bouger, mais brusquement, au détour d'une rue, il s'arrête net. La panique remonte à nouveaux à ma gorge et je recommence mon manège sans succès. En désespoir de cause je donne un coup de talon comme précédemment, mais cette fois, il s'ébroue et manque de me désarçonnée. Les larmes aux yeux, je m'accroche à sa crinière et pousse un petit cri, qui a pour effet de le faire partir au galop droit devant. Fort heureusement, la peur m'empêche de hurler et je subis sa course folle en silence, jusqu'à ce que miraculeusement, son chemin hiératique croise la route de la charrette devant laquelle il s'arrête brusquement.

Sous le coup de la surprise, Ludry serre la bride au plus près pour ne pas percuter, et le cheval se cabre, le bois de la charrette grinçant anormalement à la retombée des sabots. Si dans l'obscurité l'albinos était capable de distinguer son regard à ce moment-là, elle ne pourrait passer à côté de la colère qui menace de s'abattre. Il descend en pestant à mi-voix pour faire le tour de son étalon afin de vérifier qu'il se porte bien, avant de s'enquérir de l'état de la charrette. Puis revenant à nouveau à elle, il tapote l'encolure de l'animal et, bras levé, guide l'une des rênes pour le faire reculer afin de faire place.


Derrière, c'est derrière. Elle galopera quand elle saura, et elle mènera... non, elle ne mènera jamais, elle reste à sa place et elle obéit !

Encore toute retournée de mon aventure, je me contente de me faire toute petite, ne bougeant que pour retirer une mèche qui me tombe sur les yeux. Je trouve tout de même le courage de lui répondre entre deux reniflements.

Pardon Monsieur Ludry, je ne le referai plus.
Et d'essuyer mes larmes avant de reprendre les rênes, d'une main tremblante.

Il s'en retourne une nouvelle fois à sa selle en maugréant et reprend sa route, passant devant elle. Depuis quand les femelles passeraient devant les hommes ? Il commençait à comprendre ce qui pouvait souvent mettre le Znieski sur les dents à son égard. Les femmes tentaient de prendre le pouvoir par tous les moyens, tout foutait le camp, et si on ne les reprenait pas rapidement, elles finiraient toutes comme celles qui se prennent pour des chefs d'armée, des politiciennes et autres meneuses d'hommes. Il en avait déjà suffisamment fait les frais par le passé, elle n'avait pas intérêt de se croire capable d'en faire de même.

La tête basse, j'attendais qu'il passe pour prendre sa suite, à distance, comme je ne l'avais pas oublié. Très doucement, je demandais au cheval de se mettre en route, et, miracle, c'est ce qu'il fit. Pleine d'espoir, je m'imaginais qu'il m'avait comprise et qu'il voulait bien faire ce que je lui demandais poliment, sans penser une seconde qu'il ne faisait que suivre son maître aussi bien que s'il eut été une carotte. Enfin il me semblait arriver à être en paix avec quelqu'un même si ce n'était qu'un cheval. Raide sur la selle, le fessier déjà rendu douloureux par la chevauchée, je priais à présent pour qu'il reste au pas jusqu'à la fin du voyage.

Sur la place encore déserte, entre autres excréments équins, des restes des étals jonchaient le sol, du fruit pourri à demi-écrasé par ici, au morceau de planche ou encore au tréteau tordu par là. Ils traversent en direction de la rue à l'angle opposé, donnant sur le manoir. Raide sur la selle, les nerfs tendus par le comportement de l'albinos, il était pressé d'arriver enfin, et espérait que la fin du voyage se fasse sans plus d'impair de la donzelle.

Faisant confiance à la bête pour se diriger toute seule, je tiens les rênes mollement et ne quitte pas la route des yeux. Mais, comme je ne vois pas grand-chose et qu'il manque de luminosité, j'échappe un petit cri vite étouffé, lorsque l'une de ses pattes glisse brièvement sur le pavé. Paniquée, je serre les mains sur le cuir et me penche en avant pour essayer de distinguer les obstacles et guider le cheval à destination en les évitant comme je le peux.

Le manoir bientôt en vue, l'attelage passe la grille et s'engage en direction des écuries. Au plus il s'approche, au plus l'allure ralentit. Toujours sans prêter attention à sa suiveuse, Ludry s'arrête non loin de leur entrée et saute en bas pour commencer à libérer l'animal de sa charge.

Soulagée de voir enfin les grilles alors que je m'y engage, j'attends d'être à hauteur de la charrette pour demander au cheval de s'arrêter. Mais celui-ci ne semble pas l'entendre de cette oreille et il s'engage dans les écuries pour ne se stopper qu'une fois dans sa stalle. Commence alors pour moi une nouvelle épreuve, tandis que je tente de descendre de l'étalon. Incapable de trouver un moyen de retrouver le sol et douceur, je dégage l'un de mes pieds de l'étrier et bascule ma jambe de l'autre côté, glissant du dos de l'animal avec l'autre pied coincé dans la sangle. En écart, je tire alors sur ma jambe et, alors que mon pied se dégage, je bascule en arrière pour m'écrouler dans la paille. Enfin libérée, je me relève promptement et file rejoindre monsieur Ludry en faisant profil bas.

Une fois le cheval libéré, il saisit les rênes et jette un regard noir en direction de Bloodwen tandis qu'il entraine la monture à l'intérieur, sans un mot. Après une dernière vérification des sabots, il va vérifier l'état de son étalon. Ce n'est qu'ensuite qu'il s'en revient à la gamine et l'empoigne par l'épaule de la chemise en passant, pour se diriger vers le manoir.

Les yeux baissés, je rentre la tête entre les épaules en percevant son regard et je reste figée dans l'attente, persuadée de me prendre une raclée. Au lieu de cela, je tressaille alors qu'il me saisit et me laisse entraîner sans résistance. Risquant un timide

Pardon Monsieur Ludry.
Pour les fautes que j'avais sans doute commises sans le vouloir.

Mais Ludry ne prend même pas la peine ne lui répondre. Croisant le garde à l'entrée, il lui dit que la marchandise est prête, et poursuit son chemin. A Eugène, il est indiqué qu'ils sont dans sa chambre et qu'ils y mangeront. Autant dire que sous ses airs impassibles, le valet n'approuve guère qu'un garde se permette de se prendre pour un maître, mais au vu de la prise de celui-ci, il ne cherche pas à s'opposer et préfère passer. Aussi, la seule réponse de l'Austère les regardant filer dans les escaliers :

-Le Baron et Madame ne sont pas là.
-Il sait.


Terrifiée par son silence, je jette un regard au garde, puis à Monsieur Eugène, pour y chercher un quelconque secours qui ne vint jamais. Aux mots du valet, je me décomposais encore davantage. La peur au ventre, je monte donc les marches, incapable de me rebeller, la gorge nouée.

Ainsi l'emmène-t-il jusque dans sa chambre, puis il la relâche le temps de fermer la porte. Quand il s'en revient à elle, il la fixe, toujours sans un mot, et s'approche pour faire mine d'attendre un acte de contrition qui serait à la hauteur du délit.

Tremblante, je ne bouge pas de là où il m'a lâchée et la tête basse, la main frottant le bras, je tourne les yeux sur le côté pour éviter son regard qui me terrorise. Je ne comprends pas ce qu'il me veut et, perdue pour perdue, je parviens tout de même à lâcher piteusement


Pardon Monsieur Ludry, je n'ai pas fait exprès je ne voulais pas vous fâcher, je savais pas comment faire.
Elle ne savait pas comment faire mais elle est passée devant lui. Elle a oublié où est sa place.
C'est pas ma faute Monsieur Ludry ! Je voulais rester derrière, c'est le cheval, il est parti tout seul et j'ai pas réussi à l'empêcher !

Il détend sa posture et le poing se desserre finalement. A croire que le Putride n'est pas uniquement un gros con, et qu'il réalise quand même qu'elle peut dire vrai et qu'elle n'a jamais fait preuve des tripes suffisantes pour lui tenir tête.

Elle ne le fera plus, ou elle paiera très cher.

Les yeux à demi-clos, mortifiée par ma propre audace, je n'attends plus que le coup qui va s'ensuivre. Mais rien ne se passe et peureusement je risque un œil vers lui et à ses mots, je hoche vigoureusement la tête.

Je ne le ferai plus jamais Monsieur Ludry, je ne monterai plus sur votre cheval.
Elle montera si elle doit monter, mais elle restera derrière.
Je resterai derrière Monsieur Ludry

Elle va manger un bon repas et après elle dormira.
Il se détourne pour aller se servir à boire sur la tablette.
Qu'est-ce qu'elle veut boire ?
Comprenant que je suis peut être tirée d'affaire, je me détend un peu et redresse la tête.
Merci Monsieur Ludry. Je voudrais du lait s'il vous plaît Monsieur Ludry.

Pas de lait. Vin. Eau de vie. Eau.

Au même moment, quelques heurts se font entendre à la porte. Lorsqu'il ouvre, la jeune Wiktoria se tient dans le couloir, portant un plateau avec deux plats dont il vérifie le contenu. Après avoir pris le ragoût, il renverse le reste du plateau, provoquant le cri de la jeunette ébouillantée par le bouillon.
Elle se moque ?
La soupe était pour Bloodwen.
Pas de soupe. De la vraie nourriture pour le petit monstre, maintenant.
Et sans précaution il referme la porte, laissant la jeune polonaise larmoyante sur le pas.

J'ouvre la bouche pour lui répondre mais je la referme aussitôt en tournant le regard vers la porte. J'observe la scène et plaque ma main sur ma bouche en entendant le cri, manquant de crier de concert. Pleine de compassion pour la jeune fille que je ne connais pas vraiment, je lui jette un regard d'excuse, avant de voir la porte se refermer sur elle. Alors je lève un regard circonspect à Monsieur Ludry.

Lui, s'en est déjà retourné à ses boissons, le ragoût reposant à côté.


Alors ?
De l'eau s'il vous plaît monsieur Ludry
Il lui en remplit une chope et lui ramène, le ragoût dans l'autre main, lui indiquant le lit.
Elle devrait s'asseoir pour manger.

Je le regarde faire puis, après avoir pris la chope et tourné les yeux vers le lit, je m'y dirige pour m'y asseoir tout au bord et près du pied, la chope posée sur mes genoux entre les mains.

D'abord surpris qu'elle ne prenne que l'eau, il secoue la tête et dépose le plat à côté d'elle.
Elle doit manger. Puis il saisit la flasque de vin et va s'installer au rebord de la fenêtre, regard tourné vers l'extérieur.

Surprise en comprenant que le plat est pour moi, j'attends sans bouger qu'il s'installe pour regarder le ragoût que je fini par saisir après avoir bu une gorgée d'eau. Et enfin, au comble du bonheur, je dévore le met en mâchant les morceaux assez lentement pour qu'ils me durent plus longtemps dans l'estomac.

L'homme se fond dans un profond silence, avec pour seul mouvement, celui qui lui permet de boire une gorgée de temps à autre. Ce n'est qu'après quelques minutes que de nouveaux heurts, bien plus discrets, se font entendre. Il va ouvrir en soupirant à la jeunette aux yeux et au nez désormais aussi rouges que ses mains, portant une maigre portion de ragoût.


Il... Il... Il ne reste que... que...
Ça ira. Demain, pas d'erreur.

La porte se referme, le plat rejoint le lit, près de Bloodwen, et le Garde regagne sa place.

En train de récupérer ce qu'il restait de sauce dans le plat avec le doigt, je lève la tête, affichant un air coupable, vers la porte puis vers Monsieur Ludry qui se dirige vers celle-ci. Rapidement je fourre mon doigt dans la bouche et le nettoie avant de poser le plat au pied du lit tout en regardant ce qu'il se passe. Perplexe j'observe monsieur Ludry revenir puis poser le plat et enfin s'éloigner. J'hésite un long moment puis je saisis le ragoût en lui jetant des regards insistants, incrédule.

Le regard à nouveau tourné au dehors, en apparence, il ne lui prête plus attention. Pourtant, les sons qu'il perçoit lui laissent entendre la faim qui est sienne.


Elle n'a pas su avec le cheval, mais elle a fait du bon travail avant. Pour le bon travail, il faut de la bonne nourriture. Un ventre plein rend plus fort.
Merci beaucoup Monsieur Ludry

Très reconnaissante, je lui adresse un sourire maladroit avant de me concentrer sur le plat pour le finir en quelques minutes tellement propre que l'on aurait pu le ranger en suivant. Ma faim enfin calmée, je fini la chope d'eau et la posait avec le reste au sol, les yeux clignotants à présent de sommeil.

Finalement, il se décide à ramener le regard sur l'albinos.

Merci pour son aide.
Loin de m'attendre à ce genre de propos je tourne des yeux surpris vers lui, ressentant une chaleur agréable qui se mêle à celle que me procure le ragoût. Embarrassée, je baisse le regard aussitôt.
De rien Monsieur Ludry.
Elle veut dormir avec cet homme ?

De nouveau je lève le regard, mais cette fois il est inquiet. Je ne sais pas quoi lui répondre, et reste muette.

La réaction de la jeunette ne lui échappe pas, et il ne cherche en aucun cas à insister, se contentant de ramener le regard au dehors.

Je voudrais qu'on me laisse enfin en paix et m'imagine déjà dans ma chambre mais alors je me rappelle que l'homme que j'ai mutilé est quelque part dans la demeure et, soudain je n'ai plus envie d'être seule. Je déglutis et ouvre la bouche.

Je v...
Bonne nuit.

Désemparée, je le regarde un instant puis fait lentement volte-face vers la porte. Je l 'ouvre et glisse un penaud Bonne nuit Monsieur Ludry. avant de la refermer.

Une fois dans le couloir, effrayée par l'obscurité qui y règne, et sachant que monsieur Gabriel n'est pas là, je n'ai pas le courage de trouver ma chambre et me laisse glisser devant la porte pour me rouler en boule sur le plancher, les larmes aux yeux.

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