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[RP] Intensité sur l'échelle d'Archibald : 4/4

--L_aconit...
Le paysage avait changé peu à peu, aux chênes s'étaient succèdés les pins, et bien que le voyage ne s'était pas effectué en silence, une atmosphère un peu lourde régnait dans la voiture qui conduisait à brides abbatues les deux hommes à Marseille. Les mains blanches relevèrent le pan de cuir qui obstruait la vue du petit fenestron de portière, faisant entrer dans le coche un trait de lumière intense. Le soleil du sud brillait l'heure médiane sur l'attelage. Ils n'étaient plus loin.

Quel étrange voyage que celui qui lie l'urgence et la détresse de son ami et la célébration de noces secrètes. Les bleus se posèrent sur un Alphonse à moitié allongé sur la banquette, à laquelle quelques couvertures avaient été ajoutées pour y réhausser un peu le confort. Le voyage avait duré dix jours.

Lorsque le coche s'était immobilisé, la grosse tête du cocher avait caché le soleil pour lâcher un laconique " On y est."

Regard à Tabouret avant de s'extirper du coche, enfilant d'un geste machinal ses gants de cuir. Binocle cerclé d'or remonté au nez, à la découverte du bâtiment qui bordait la route. Un Ostel Dieu. Comme il en avait connu quelques uns depuis quelques années. Il avait eu sa période d'insouciance, croyant abandonner le savoir, la religion, et tout ce qui faisait Lui. Mais il était là. Campé devant l'Ostel Dieu de Marseille, et non devant une salle des ventes bondée. A vingt ans, Montfort n'avait hélas plus grand chose à apprendre de la misère de la maladie et de ses édifices spartiates, hantés de religieuses silencieuses. Et pour rien au monde ce jour, il n'aurait préféré être devant une salle d'enchères.

Il était plutôt question ce jour d'une salle d'en-chair.

Se tournant vers leur homme qui avait mis à terre leurs bagages, il déboursa quelques écus d'une bourse aux cordons bleus Percevaliens, puis se tourna vers Alphonse. Ce qu'il n'avait pas osé formuler durant le voyage restait en suspend entre ses lèvres. Et s'ils étaient estropiés? Mutilés. Mourants.


Nous avons bien fait de laisser Mafalda et les enfants à Petit Vesone.

Inspiration indécise. Qui sait ce qu'ils trouveraient à l'intérieur. Saisissant le plus léger bagage qu'il n'ait jamais eu, il s'engouffra dans le bâtiment.
Alphonse.tabouret
Ce n’est pas que le paysage. Les odeurs aussi ont changé, capiteuses, solaires, aux densités épaisses, mise en lumière d’un soleil de mars qui s’est choisi clément au perron de ses derniers jours ; parfumeur sentirait presque sur ses doigts la poisse des résines. Les pins étoffent un ciel bleu, bouquets verts prenant en largeur sitôt la tige de leur tronc passée, planté sur de longilignes pailles d’écorces mobiles et strient de hauteurs nivelées l’horizon jusqu’à se disséminer à la garrigue.
La route par laquelle ils sont venus se hachent de traits lumineux, kaléidoscopique chemin qui délivre au ventre phocéen son flot continu de commerçants et de voyageurs.


Dix jours ne tracent pas la fin du voyage ; c’est une première étape qu’ils ont accusé d’un silence mesuré, de banquettes en relais, jetant les corps fourbus d’être trop restés assis sur le sommier d’un relais de campagne pour s’en extirper aux premiers chants de l’aube. L’on a avalé les lieux sans plus aborder le sujet depuis que Castillon a été quitté, parfois noués d’une main ou d’un bras, parfois aux inconforts des siestes solitaires, cahin et caha s’enlaçant des bruits sourds et irréguliers d’un attelage lancé.
L’Otel Dieu comme partout ailleurs, garde en son sein les ambiances des feutres ; si ce n’est à cause du vacarme des guerres qui font fleurir les couloirs des symphonies barbares, le calme et la quiétude que l’on y trouve tendent à la sérénité des convalescences et celui-ci ne dépareille pas des autres.
Austère édifice où chacun vaque d’une précision à ses occupations, l’on y rentre par un parvis, une bouche gutturale où se bruissent les semelles légères et les portes qui se referment, l’on y croise des nonnes munies de chapelets et des visiteurs aux traits souvent las.
Eux attirent l’attention, silhouettes garçonnes encore chiffonnées d’un trajet de dix jours et pourtant aux grâces des âges qui s’y froissent peu, aux ombres des barbes de voyage, avec l’air concerné de ceux qui sont bien portants.


Ja.

Sommaire Alphonse.
Ils ont bien fait ; enfants, nourrice et meute laissés derrière d’un mensonge, bagages réduits à leur plus simple expression, aucun n’a eu le cœur de dire à Antoine que le bateau avait été éperonné, confinant la vérité aux arcanes adultes, mais d’une vérité, les histoires de pirates dont on excitait de jeux le petit garçon sur le pont de l’Oreille n’auraient plus le même gout désormais


Sais-tu où ils sont ?

Tabouret, emboitant le pas au jeune médecin, a la gorge nouée d’une question qui n’a pas de sens ; comment Faust le saurait il ?
L’enthousiasme des bienveillances s’est étiolé aux entrelacs des réalités ; ils sont là, quelque part, à la précarité d’une vie qu’il faut recommencer, prisonniers de souvenirs bruyants et frais. Glacés.

Quand un haussement d’épaule évasif lui répond, garçon tend une main au passage d’une infirmière, doigts fatigués se posant à l’avant-bras pour y suspendre l’attention en même temps qu’une poignée de secondes, et y quémande l’information d’une voix basse ; même au hall, silence se respecte d’une intention.


Au fond, à droite, dira simplement Alphonse en rejoignant Faust.

Au fond, à droite, gisent les atlantes miraculés.






Archibald_ravier
Au fond, à droite, il y a des grabats. Enfin des lits. Ils ne sont ni mieux ni pire que des couchettes de navire.
Le long du mur, il y a celui d'Archibald. Il s'y adosse souvent, quand il a l'énergie de tenir assis. Il remonte ses genoux et les entoure de ses bras, en prenant bien garde de ne pas utiliser ses mains.
Il couve d'un regard brulant les couchettes d'en face. Celle où gît Jörgen, les deux jambes brisées, et où se love parfois Opaline, qui n'a pas le droit de quitter son lit de peur d'accoucher trop tôt.
Juste derrière, on trouve parfois Fy, qui n'y dort qu'abrutie de valériane.
Près de leurs litières, on trouve des décoctions à l'odeur lourde de pavot, dont le capitaine et son second ont tendance à abuser.
Quand on ne peut pas bouger, autant ne pas penser non plus, et se contenter de dormir puisqu'il faut bien guérir. Puisqu'on ne peut pas tellement se toucher, quand l'un n'a pas de mains et l'autre pas de pieds. Qu'on est trop douloureux pour même penser.
Parce qu'Archibald omettait de le mentionner, sauf au médecin qui venait le voir une fois par jour, mais son poignet droit et ses doigts avaient enflé.
Au point que la sœur qu'il avait réussi à apitoyer et qui lui avait fourni de quoi écrire trois ou quatre fois avait fini par avouer ce qu'ils avaient fait et que le médecin avait accusé le marin d'avoir lui même cherché sa perte, et le menaçait de voir ses doigts tomber.
Dans son brouillard de pavot, Archibald acquiesçait, mais ne comprenait pas. Ou refusait de comprendre. Ou se doutait que le médecin ne contentait de l'effrayer pour qu'il n'écrive plus.
Il n'écrivait plus : il avait trop mal.
Au fond à droite, on ne trouvera pas Richard, et Archibald s'en félicite. Parce qu'il l'avait obligé à quitter le navire en même temps qu'Opaline et Fy, ces trois là étaient des miraculés.
Encore plus que Jörgen et lui, même s'il était conscient d'avoir eu une chance incroyable.
Il s'interrogerait dessus plus tard.
Pour le moment, il évitait de penser. Il avait beaucoup trop pensé pendant leurs trois premiers jours à Marseille. Depuis, il ne faisait que dormir, dormir et essayer de manger ce qu'on lui apportait, puis essayer de ne pas vomir ce qu'il avait ingurgité.

C'est un Archibald au front moite de sueur que Faust et Alphonse trouveront, au fond à droite. Allongé, endormi ou sommeillant, prêt à s'éveiller dans un glapissement de douleur au moindre mouvement que feraient ses mains et ses poignets brulés par le sel et les cordages.

Au fond à droite, on était certain d'être miraculeusement en vie. Mais on arrivait pas à se faire à l'idée.

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--L_aconit...
Au fond à droite est une réponse on ne peut plus précise. Un groupe de plusieurs personne qui prend plusieurs lit, grâce à une si précieuse indication, sera facilement repérable. Faust après tant de route n'était pas d'humeur à passer de grand salle en grand salle, bélier et bouc marchaient bien droit, le bruit de leurs botte fendant la pierre et résonnant dans les longs corridors aux effigies religieuses. A dire vrai, si Faust était soulagé de savoir son ami en vie dans cet Ostel Dieu, rien ne lui intimait de trop s'y attarder. Il est des brûlures qui guérissent, d'autres non.


Montfort ne s'était pas signé. Il ne le ferait pas. Manteau épais sur le dos, regard bleu balayant les lits quand Tabouret balayait le spartiate décor, ils trouvèrent d'une même seconde le coin des naufragés. Où le temps se figea un instant. Tempête intra-céphale. Si Faust n'avait pas douté une seconde de la violence de ces retrouvailles, la réalité surpassait ce qu'il s'était figuré, le cul posé dans la voiture.


Archibald.


Lâcha-t-il d'une émotion visible, sourcils froncés, main venant se poser à son front.

Se prépare-t-on jamais à voir un ami en si piteuse situation? En si piteux état. Certes, il était vivant. Mais à quel prix? Dans la foulée il ne vit pas le reste du groupe. Obnubilé.

M'entends-tu?

Regard à Alphonse. Rien n'était moins sûr. Il dégagea les draps sous le regard d'une religieuse prête à intervenir, mais d'une main la repoussant déjà, il murmura simplement qu'il était le médecin de l'Ostel Dieu de Paris. Ce qui n'était plus vrai, lui qui avait démissionné l'année passée. Cela eut pour effet de la tenir à distance, bien que continuant de les observer en s'occupant d'une autre personne.
Archibald_ravier
Main sur son front.
Comme trente six fois par jour, surtout depuis que son poignet droit est infecté et que la fièvre ne le quitte plus vraiment.
Mais la voix, la voix qui perce les brumes de son cerveau, qui traverse la douleur et le pavot, la voix il l'espérait et n'osait plus l'attendre.
Cette voix existe dans sa tête, plusieurs fois par jour. A chaque fois qu'il dort.
Ce n'est pas qu'il n'a pas confiance dans le médecin de l’Hôtel Dieu.
C'est juste que Faust a dit qu'il arrivait.
Faust l'a toujours, toujours retapé, de n'importe quel mauvais pas. Qu'il faille le recoudre ou l'enduire de baume, le faire picoler ou l'engueuler jusqu'à le cogner, Faust l'a toujours remis sur les bons rails.
Alors, depuis des jours, il attend. Il attend et dans son sommeil il entend, parfois, des choses qui n'existent pas. Alors, une fois encore, cela devait être un rêve. Le pavot. Il faudrait ralentir un peu avec le pavot, quitte à avoir mal, encore plus mal. C'est moche, de ne pas se souvenir de quel jour on est. De savoir si on est le matin, l'après midi ou même la nuit. C'est moche, mais c'est plus facile.

Mais voilà que soudain il s'éveille en glapissant de douleur. Il inspire comme un noyé et redresse brusquement tout le buste, droit comme un I et bras faiblement brandis devant lui comme un boxeur. Il a appris à maintenir ses poignets loin de tout contact.
Un peu perdu, le capitaine déchu cligne des yeux, cherchant autour de lui le médecin ou la sœur le réveillant pour lui faire boire une énième potion infâme. Il regarde autour de lui, pendant que ses yeux s’accommodent de la faible luminosité qui baigne la salle.
Mais c'est son nez qui réagit en premier.
Ça sent différent. Ça sent autre chose que la peur ou la maladie, les corps suants de fièvre et mal lavés, les potions et les baumes. Ça sent le dehors. Ça sent...


- Faust ?

Il relève le museau. S'ébroue un peu, en prenant soin de ne pas entrechoquer ses mains. Et réalise que Faust n'est pas seul.


- Alphonse ?

Si Archibald était surpris par la présence de son ami à ses côtés, malgré la lettre de ce dernier lui affirmant partir à son secours, il l'était plus encore par celle d'Alphonse.
Et il eut brusquement très conscience du spectacle pitoyable qu'il devait offrir tant aux regards qu'aux nez de ses amis. Il en conçut une honte indicible, qu'il essaya vaguement de masquer par de l'ironie.


- J'suis désolé, j'ai pas une goutte de whisky à vous offrir pour célébrer nos r'trouvailles...
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Opaline.
Au fond à droite, une blonde tue le temps comme elle peut. Depuis son réveil ici, il y a.. des jours, elle n'a de cesse de pouvoir se lever et enfin profiter du printemps. Profiter de l'air de nouveau doux, du soleil qui réchauffe les peaux et les coeurs et profiter de la nature. Les balades lui manquent, aller boire un verre en taverne lui manque, voir du monde, discuter, rire, la blonde n'a qu'une hâte, sortir.

Bien sur qu'elle est chanceuse de n'être pas blessée comme Archi ou Jorgen. Pour autant, le médecin lui avait dit qu'elle n'irait pas jusqu'au terme et qu'elle devait rester allonger pour essayer d'aller au plus loin. Opale avait accepté, pas vraiment le choix, surtout qu'elle ne sentait plus l'enfant bouger et que cela l'inquiétait. Alors elle râle pas de trop et supporte le confinement, tuant le temps, en faisant du crochet ou de la lecture, en prenant soin d'elle, se coiffant et se faisant une toilette de chat, en attendant que Richard vienne lui rendre visite pour l'emmener dans le petit jardin du cloître, en attendant que les tourtereaux se réveillent pour papoter un peu. Alors quand des visiteurs se pointent la blonde n'hésite pas et discute.

Ainsi elle avait fait connaissance avec Sat et appréciait son caractère fonceur et sincère. La blonde regrette son départ car elle amenait de la vie, et même si les hommes la traitaient de folle et d'inconsciente, la blonde l'appréciait et espérait garder le contact. Bon l'inconvénient avec sa tête blonde c'est qu'elle n'avait pas retenue dans quelle ville, elle se rendrait et cela l'embêtait car difficile de lui répondre du coup. C'est a cela qu'elle réfléchissait, la blonde se demandant comment lui faire parvenir son courrier, quand une voix connue se fait entendre pas très loin suivi d'un glapissement de douleur.

En alerte, elle se penche et regarde à travers le rideaux qui l'isole des autres, quand elle en a besoin ou l'envie, et le sourire éclot sur la frimousse blonde en reconnaissant Faust et Alphonse près d'Archi. Ils étaient là. La blonde laisse un peu ouvert le rideau mais décide d'attendre avant de les saluer, laissant les hommes à leurs retrouvailles.

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Alphonse.tabouret

Il y a Archibald, et puis il y a les autres.
La nonne repoussée, l’œil aux aguets, borde inutilement le drap de la couchette d’en face, et le regard d’Alphonse y glisse d’un instant, un instant seulement, sur la silhouette alitée qu’il ne reconnait qu’à la taille qu’elle occupe dans le lit, écorchant la matrice des émotions d’un fil de succession ; là, visages émaciés et cireux se transposent d’un désordre.
Il les reconnait sans en saisir un seul et s’y fend le cœur d’une fracture au visage éteint de la plus jeune ; c’est Antoine qu’il y voit, Antoine au rire-bateau, aux cheveux bruns fendant le soleil, aux cris d’enthousiasmes sitôt une voile perçue à l’immensité. Kaléidoscope lumineux, tranché de sourires, de pépiements, vitraux marins de bonheur superposés aux traits émaciés de Fy écrase la gorge d’Alphonse d’une poigne d’acier et il faut son nom, crevant le silence feutré, pour le ramener aux réalités.

Ce n’est pourtant pas Ravier qu’il voit en premier ; les noirs ont glissé de l’enfant à la couche voisine pour se planter aux pupilles d’Opaline, billes qu’habille un sourire qui le gèle plutôt que le réchauffe. Souriante Opaline, Douce Opaline, Tendre Opaline, Patiente Opaline. Avant la lame de compassion qui viendra se fracasser aux nerfs, c’est l’envie l’amertume des violences-ecchymoses qui tordent les nerfs d’une patte grossière : Ils ont tous la mort au-dessus de leurs têtes.

La tentative d’humour tombe sans bruit au sol; Tabouret n’a jamais été un garçon très drôle, sachant pourtant toujours sur quel pied danser aux discussions qui le trouvent, comédien assuré, observateur discret ayant appris à force de regarder. Il a longtemps grumelé ses rires avant de les céder, voyelles abstraites, rauques, surprises, et la remarque d’Archibald ne vaut ni la spontanéité des uns, ni le travail millimétré des autres.
Et aucun mot ne convient, aucun vocable, la respiration même semble s’être enrayée à la trachée. Que dit on a celui qui s’habille de séquelles ?

Filtrées si longtemps par les habitudes des survies élémentaires, l’émotion la plus brutale s’agrippe d’un nœud au ventre, refusant de cheminer d’une volée vers le moindre trait du visage ; s’exprimer, c’est avouer l’état déplorable, les mains brulées, le visage hagard, le pavot qui déforme tout, jusqu’à la lueur dans le regard, la lèvre qui tombe mollement… C’est repenser aux abrutissements dans lesquels on s’enfonce, revenir dix ans en arrière, patauger dans les ombres de Paris, au chant des cigales. C’est savoir que l’on ne reviendra pas entier, pas droit, et que sans béquille, l’on tombera, fatalement.
Grammage sans cohérence, ou la plume pèse plus lourd que le plomb, ou l’argent rouille plutôt que s’oxyde, l’injustice martèle l’aorte : Qui pour relever Archibald ?
Jorgen ? Non, pas Jorgen, puisqu’il faudra prendre soin de Jorgen.
Opaline ? Opaline aux surcharges des filles mères ?
La môme, le frère de l’amie, les chiens ?
Qui ?
Qui pour Archibald ?



L'on vous a vu en meilleure forme, mon ami...

Ce n’est pas de l’humour, mais la sobre constatation des impuissances face aux gens que l’on aime.



--L_aconit...
Regard à Alphonse. Retour sur Archibald. Il détaille brièvement l'étendue des blessures, les brûlures, les inflammations, et ses mains vont toutes seules à la découverte de ces invitées que l'on n'attendait pas. Inopportunes, redoutant pour certaines de les voir s'éterniser au dîner .

La fièvre est de celles-ci. La main l'aurait sentie avant même de toucher le front. Et puis cette grossière ne se cache pas de se nourrir avec gourmandise de cette cervelle là. L'ennui avec une hôte aussi déplaisante, c'est qu'elle a deux visages. Tant qu'elle n'est pas gargantuesque, elle peut-être tolérable. Bénéfique même. Mais si elle prend ses aises...


Allonge-toi mon ami. Je vais aller voir avec les soeurs quelle médecine l'on t'a administré jusqu'ici...

Et de passer de lit en lit.

Dejà, Faust manipule les mains. Observe les réactions de ce corps assommé. Réveille des articulations, remonte des manches. Défait des liens. Ouvre des enroulements de bandages. Sent les fonds de verre. Bouge des draps. Remonte des oreillers. Là, la silhouette longiligne est déjà dans tous les lits. Chasse des rideaux. Laisse entrer la lumière. Palpe la souplesse des ventres. La grosseur des ganglions. Rapproche des lits. En éloigne d'autres. Faust n'est déjà plus là. Les automatismes de l'ostel Dieu de Paris qu'il pensaient évanouis sont revenus diriger ses instincts et prendre sa place. Tyranniser ses maniaqueries. Attiser ses savoirs. Ebranler toute la grand pièce.

Les soeurs n'osent pas l'interrompre. Il ne montre aucun signe d'inquiétude. Pourtant défroissera son visage lorsqu'à huis clos, les soutanes ayant veillé lui égrèneront le nombre de jours de fièvre. L'impuissance de leurs prières. Inefficacité de leurs paroles. Les humeurs peccantes.

Le groupe était choqué. Mélancolique. La pièce trop sombre. L'environnement trop austère. Certains maux viennent manger à la table du corps uniquement si l'esprit les y accueille .

Plus tard, Faust appuierait sa tête contre l'épaule d'Alphonse dans les jardins, à la faveur d'une intimité où ils interrompraient leur cueillette de simples médicinales. Interruption momentanée à la recherche d'un réconfort momentané.


Il était temps que nous arrivions.
Archibald_ravier
Ça, j'vous le fais pas dire...

Il ferma les yeux lorsque la main s'avança vers son front. Il connaissait ce geste, beaucoup trop. Il savait déjà ce que cela allait provoquer : un frisson. Parce que quelle que soit la température de cette main, elle aurait l'air glaciale à son front. Il ne s'y trompait pas, et frissonna.

Allonge, toi, allonge toi, t'en as d'bonnes toi. Pour une fois qu'suis assis...

Mais, bon an mal an, le barbu se rallongea sur les oreillers regonflés. Suivit des yeux le manège acharné du médecin-qui-ne-l'est-plus-mais-quand-même-un-peu. Sourit, à travers les brumes et la vase qui engluaient son cerveau.
Le capitaine abandonné (par son navire) glissa un regard qui se voulait amusé, qui était peut être juste enfiévré, vers Alphonse. Un regard qui voulait dire merci, et un regard soulagé, aussi. Parce que s'ils étaient là, il allait guérir. Il cligna des yeux dans la pénombre, dans la pénombre qui n'était plus, dans l'absence de pénombre, dans la lumière qui fut, enfin (cette phrase est sponsorisée par Marguerite Duras). Ouh, comme son cerveau était malade. Du pavot. Il n'en pouvait plus de cette drogue, il la sentait dans chacune des potions, le pavot et la valériane tellement dosé qu'il avait des nausées la moitié de la journée. Depuis presque une semaine, il n'avait plus la force de se lever pour aller au jardin. C'est ce que les sœurs diront au médecin. Depuis une semaine, la fièvre monte, monte sans fin et le consume, aussi surement que le poignet de droite suinte d'humeurs jaunes et nauséabondes. C'est incompréhensible, d'autant que le gauche va mieux, et commence enfin à cicatriser. Mais le marin avait soudoyé une sœur pour avoir de quoi écrire, et le médecin chef de l'hostel dieu était persuadé que c'était là la cause de l’abcès.

Pourtant, un médecin plus avisé, ou plus enclin à se pencher sur le corps fourbu d'un simple marin, ou juste certain de ne pas se prendre un pain en appuyant là où ça fait mal. Là où, assez loin sous la peau s'est glissé un petit écli de bois, que le corps n'arrive pas à rejeter, et qu'il essaie de bruler à la fièvre. Échec total.

Pendant ce temps Archibald lui, drogué, abruti, se sera rendormi.
Et c'est probablement mieux ainsi.
Cela lui évite de penser.
De penser qu'il a mal.
De penser qu'il a trahi son meilleur ami - encore - en coulant son navire.
De penser que sa vie de marin est terminée.
De penser qu'il n'écrira plus jamais.

Faust est là.
Faust le guérira.

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Alphonse_tabouret
Quelques jours plus tard




Rien n’est facile loin de ses habitudes.
Il a fallu ricocher de nonnes en médecins, de salles en couloirs jusqu’à finalement, opter à un langage commun ; pièces d’or ont été posées sur le bureau du concierge, raccourci, réduction du temps et des mots pour se voir assermenter d’un menton qui se hoche.

Le large baquet a été installé dans une salle voisine, faisant l’animation de la matinée lorsqu’il a fallu lui faire une place, circulation momentanée martelant le calme de l’Ostel Dieu d’efforts soupirés, du bois qui cogne au chambranle de la porte lorsque l'on a frôlé perspectives pour y faire passer la bassine.
Une heure de plus a été nécessaire pour la remplir d’une eau bouillante dont les volutes maintenant se dispersent d’une lenteur échevelée dans l’air tiède d’avril ; de grosses pierres achèvent de se farder de chaleur dans les braises étalées de la cheminée et promettent la longévité, la peau fripée des doigts aux heureuses stagnations.
Alphonse a exigé une fenêtre, ouverture sommaire qui découpe pourtant d’un rectangle net l’éclat brutal d’un azur plein au milieu d’un mur gris ; vis à vis habité au lointain s’aperçoit et s’anime de quelques passants sur le chemin qui le traverse quand l’épaisse branche d’un pin raye le cadre du sifflement d’un pinson.
La journée est belle, il est temps qu’Archibald le sache.

Le manteau a été soigneusement déposé sur l’un des dossiers, et le pas qui l’amène près du lit d’Archibald se fait lent quand les doigts déboutonnent les manches de la chemise pour les plier et les remonter à mi bras. L’état est piteux, le corps amaigri, blafard et marqué çà et là de traces brunies de crasse ; à s'en remettre à Dieu, les nonnes ont frotté ce qu’elles ont pu, privilégié les mains, oublié que la conscience fait l’homme, qu’animal, l’on finit par enterrer l’humain.

Sur une chaise proche du baquet, nécessaire à raser a été installé ; le peigne sommeille à son écrin et la lame du coupe-chou brille d’un éclat en attendant que l’on le ternisse d’un trait de crème.


Je ne voudrai pas faire jaser toutes les robes alentours en vous portant dans mes bras… je vous propose l’appui, dit-il en y désignant le bras et l’épaule en guise de soutien.


Il n’y a qu’une vingtaine de mètres à faire.
Autant dire un chemin sans fin.

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L_aconit
Les soirées d'arrivées dédiées au tri des simples et aux confections des breuvages et des onguents, des pâtes de cataplasme, les journées offertes aux soins, aux mots qui encouragent, aux gestes qui assurent.

La guérison avait été ralentie par des facteurs que Faust Nicolas n'avait pas tardé à identifier. Il faudrait la gaieté des amitiés. Le sevrage des fausses bonnes idées. La caresse du soleil printanier et le réconfort d'une vraie pitance. L'oeil sur Tabouret à ses propositions revigorantes, Faust rangeait les quelques pots et bouteilles soigneusement étiquetées sur une console de bois, vélin posologique à leurs côtés. Là, il faudrait accepter deux jours de se séparer de la léthargie et de laisser la douleur reprendre sa parole. Qui sait. Elle aurait sans doute beaucoup à révéler.

Il sourit en entendant les mots. Tabouret était caresse faite homme lorsqu'il s'appliquait aux affections. Prunelle bleue dédiée une seconde peut-être un peu trop longue à ses mains fortes, à son sourire, une certaine idée de la bienveillance qui apaisait même le reliquat des doutes.

Entouré comme il l'était, de tant de soins, de tant d'amis, de tant d'amour... Archibald oublierait vite ce qu'il avait perdu pour ce qu'il avait gardé. Il le fallait. Il déposa sous l'oreiller d'Archibald deux pierres sorties de sa collection . Un Jaspe, pour le préserver de la tristesse, guérir la fièvre, et une turquoise prophétique , bien que moins encourageante. Cette pierre avait l’extraordinaire capacité de mourir sur qui allait mourir. Une façon de prouver à Ravier que la pierre se portait comme un charme durant sa convalescence ... Une grosse truffe noire du Périgord fut déposée à son chevet. L'appétit viendrait en mangeant...

Se levant en gardant en main deux fioles et un vélin qu'il avait soigneusement rédigé la veille, Faust sortit dans l'enceinte de l'Ostel Dieu rejoindre Opale, nouvellement maman. Il ne fallait jamais longtemps à Montfort pour trouver la belle des champs. Cherchez une fleur, vous la trouverez au jardin.



Citation:

Pour augmenter la sécrétion lactée (plantes galactagogues) :

- Ajouter à l'alimentation : des lentilles cuites, des topinambours cuits, de l'avoine (en bouillie par exemple).

- Infusion d'aneth odorant, 50 g de graines pour 1 litre d'eau bouillante : 3 tasses par jour.
ou Infusion de basilic, 50 g de feuilles pour 1 litre d'eau bouillante; 1 tasse après le repas
ou Infusion de fenouil sauvage, 30 g de graines pour 1 litre d'eau bouillante, couvrir, laisser infuser 10 min; 4 tasses par jour loin des repas.
ou Infusion de galéga, 20 g de plante fleurie séchée pour 1 litre d'eau bouillante ; 3 tasses par jour.
ou Infusion de malt (orge germé), 15 g pour 1 tasse d'eau non bouillante, laisser 10 min au bain-marie, passer; 2 tasses par jour.
ou Infusion de verveine officinale, 30 g de sommités fleuries séchées pour 1 litre d'eau bouillante ; 4 tasses par jour.

Pour tarir la sécrétion lactée (plantes anti-laiteuses) :

- Cataplasme de feuilles cuites d'ache mélangées à des feuilles de pervenche et de menthe.
ou Cataplasme de feuilles fraîches pilées de : aulne, cerfeuil, menthes, persil.
ou Cataplasme de feuilles fraîches pilées, puis chauffées, de douce-amère.
- Infusion de sauge, 20 g de feuilles séchées pour 1 litre d'eau bouillante; 3 tasses par jour.



Bien qu'ils n'en aient jamais reparlé, l'Hermès Périgourdin se félicitait silencieusement d'avoir refusé la demande d'Opale, lorsque faire passer l'enfant était une solution envisageable pour elle. L'idée même d'attenter à la vie d'un enfant, si insignifiant soit-il dans le ventre de sa mère n'était plus supportable depuis l'incendie de St Front. L'Aconit s'était recroquevillé sur l'idée qu'une vie ne valait pas moins qu'une autre... Quand bien même il plaisantait parfois sur certaines.

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(En Bleu italique, les pensées Laconiques.) galerie d'avatar-Recueil
"Tricher au jeu sans gagner est d'un sot" Voltaire
Archibald_ravier
C'est un visage pâle, maigre et hâve qui se lève vers Alphonse. Et tout le reste du corps suit, lentement.
C'est un ballet auquel il est habitué, bien malgré lui, depuis quelques jours. Rouler sur le côté, pousser les pieds et les jambes hors du lit et s'assoir. Prendre le temps de respirer, pour contrôler la douleur, et le vertige que ce simple effort a provoqué.
Devoir se lever sans prendre appui sur ses mains, quand on est si épuisé, cela demande surtout un effort de volonté. Volonté qui s'affiche farouchement dans le regard, enfoui quelque part entre les mèches sombres de ses cheveux et les boucles d'une barbe trop longue et trop bien entretenue pour être honnête. C'est certain, des doigts fins ont œuvré là dedans il y a peu, et il ne s'agit pas des siens.
Allons. Le capitaine déchu se lève, et chancelle un instant sur ses pieds. Il tangue, comme sur un navire éperonné.
Un bref instant il ferme les yeux, pour chasser l'image qui s'est imposée à son esprit.


- J'vous l'ai déjà dit, voir votre divin cul m'ferait avancer bien plus vite que la menace de m'porter !


Il fanfaronne, pour ne pas perdre la face. Mais c'est avec un soulagement un peu trop évident qu'il accepte le bras et l'épaule qui le soutiennent.
Et il fait avancer ses pieds, l'un après l'autre. Vingt mètres. Il n'a pas été si loin depuis au moins... oui, voilà. A peu près.
Le chemin est interminable.
Il ne dit plus rien, parce qu'il serre les dents. Parce qu'inspirer et expirer au rythme lent de chaque pas lui demande toute sa concentration. Ça, et ne pas s'écrouler. Ne pas peser trop lourd à l'épaule d'Alphonse. Parce qu'il se sent lourd, lourd et gourd. Un comble, quand on sait comme ses os saillent sous sa chemise de drap grossier.

C'est à la porte de la salle de bain improvisée que son cœur s'affole pour de bon. C'est qu'il est grand, ce baquet. Immense. Et plein. L'eau tourbillonne et le bois craque, le ciel bleu est comme une injure faite à la catastrophe qu'ils vivent et l'écume va l'englout... la vapeur. La vapeur du bain. La tension qui avait brutalement envahi son corps tout entier retombe, et il s'affale presque sur Alphonse.


- Foutre, vous avez fait les choses en grand...

Et ça serait quand même con d'avoir peur de prendre un bain, le bain brulant qu'il avait réclamé la veille.

Le carré de ciel lui brûle la rétine. Il fait trop beau, le ciel est trop bleu, les oiseaux chantent trop fort. Brusquement il est trop vivant, et c'est douloureux, quelque part au fond de sa gorge. Cela se noue et l'étrangle un peu, et il a de nouveau une poussière dans les yeux, qu'il essuie d'un revers de manche.
Les garçons ça ne pleure pas, voyons. Sauf quand personne ne regarde, dans le confort relatif de la chemise d'un amoureux, à la rigueur. Mais devant un ami ?
Certes non.
Bon. Comment va-t-il pouvoir rentrer là dedans sans tomber ? Et retirer sa chemise moite de plusieurs jours de fièvre sans s'écrouler ?
Putain, la honte. Qu'est-ce qui lui avait pris de demander ça à Alphonse ?
Il allait encore le décevoir.
Ou l'apitoyer, ce qui était peut être encore pire.
Allons, du courage. De sa main gauche, il tire mollement sur les cordons de sa chemise.
Et chancelle.

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Alphonse_tabouret
En grand. Un baquet et une fenêtre.
En grand.
Les perspectives se froissent de ces tristesses accablées de rien, celles qui pointent du doigt et s’en vont, méfait commis, danser à d’autres cieux. Faut-il que le chemin ait été sec pour qu’à la vision de cette chambre aux murs blancs de chaux, qu’à ce maigre prisme bleu qui la troue d’une ouverture, l’on y trouve la grandeur des royaumes.

Silhouettes nouées d’un effort qui écrase, Alphonse marque un temps d’arrêt lorsqu’Archibald chancelle au décor; un instant, il redoute que cela soit vain, que la panique, l’incompréhensible, l’amère panique, le fiel qui distille sans jamais s’annoncer et raye d’une cavalcade d’angoisses le calme des sagesses, ne s’enlace de trop à cette suspension.
Ravier ne serre pas que les dents ; l’effort est saturé d’une telle densité que le corps du parisien accuse sans mot dire les maigres forces jetées dans la bataille, et plus que la chair qu’il soutient à son flanc, c’est l’étrange sensation de ne toucher que les os, quel que soit l’angle, qui imprègne ses doigts.

Épeires autoritaires interrompent leurs homologues au lacet de la chemise
.

L’on voit bien que vous n’avez que des sœurs…

Et l’on n’est pas modelé pour être L’ombre d’un maitre sans en avoir tiré les leçons les plus pragmatiques ; excès des Salviati à ses années florentines ont affiné chez Tabouret quelques façons de faire qu’une vingtaine chaotique lui avait déjà enseigné: Le flot d’abord de la voix y reste calme, teinté d’un sourire en filigrane, tout juste perceptible et pourtant assez moelleux pour que l’on ne proteste pas la moquerie.

Croyez en mon expérience: lorsque l’on peine à tenir à debout… Les noirs au visage du Barbu accaparent l’attention, se frayent un passage aux travers d’une brume honteuse tandis que les doigts descendent au cordon des braies et les tirent, sans avoir à forcer ; creusées de malnutrition, les hanches d’Archibald n’ont plus rien des courbes bucheronnes qui affolaient à Cosnac, fuyantes… l’on ôte que ce qui n’a pas besoin de nous pour tomber plus bas.

Et à la comptine que la voix annone les braies tombent mollement au sol, préservant la dignité du jeune homme d’une chemise désormais trop grande pour ne pas flotter d’une pudeur toute trouvée sur les formes qui lui restent. Étrange scène dénuée de toute concupiscence quand le geste en lui-même est de ceux qu’il préfère aux érotismes mâles et que Tabouret dissout en concluant sa démonstration d’une évidence :


Quand vous serez assis, cela sera déjà plus simple d’enlever votre chemise…

Garçon ne laisse jamais le temps à la contradiction lorsqu’il veut être entendu, mener l’autre à la docile obéissance, et posément, secondé par la léthargie du convalescent, enchaine gestuelle et phrasé, bras en appui au pas qui dépêtrera Archibald du tissu qui a flétrit à ses pieds pour rejoindre le grand drap blanc immergé qui recouvre l’intérieur du baquet.

Si vous voulez de l’aide, vous me demanderez…

L’eau infusée de quelques plantes médicinales se trouble, mains soutiennent à fleur de peau sans pour autant aider d’un dynamisme net ; il faut laisser à Archibald les violences des efforts solitaires, rattraper la chute mais pas la prévenir d’une précaution ; l’équilibre se brode d’une dernière phrase .

Et si vous n’en voulez pas, je crains qu’il ne vous faille faire des concessions… Si vous résistez maintenant, qu’en sera-t-il quand vous vous rendrez compte que vous ne pouvez pas vous laver seul…
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Archibald_ravier
Qu'est-ce qui est le plus digne, maintenant qu'on vient de se faire retirer son froc par son pote le mieux gaulé du monde ? Prendre appui sur son bras pour lever une jambe, ou se pencher pour appuyer ses coudes au bord du baquet, lever un genou à l'aveuglette et très probablement se vautrer dans la flotte en glapissant de douleur ?
Oui, hein ?
Le choix est très vite fait. Archibald s'appuie donc, comme il peut, avant bras contre avant bras, sur Alphonse, pour enjamber ce putain de rebord et plonger le pied dans l'eau. Dans l'eau chaude, Archibald, et douce. Il y a même des herbes qui sentent bon là dedans, pas un bout de bois qui flotte, pas un craquement sinistre à l'horizon. Pas de cris ni de coups de canon, juste le chant du pinson là, sur sa branche de pin.
Archibald gravit l'Everest, à mi chemin entre peur panique et besoin éperdu d'être propre, et finit, comme toujours, par aller quérir l'ironie pour masquer tout ce qu'il y a de moche à cacher.


- Alphonse, pourquoi croyez vous que j'demande à un beau gosse comme vous au lieu de réclamer à une nonne, hein ?


Bon, très probablement parce qu'il n'avait pas l'argent pour soudoyer une sœur, en réalité, ou alors c'est que le médecin à balayé sa demande d'un revers de main, parce qu'on ne met pas des plaies dans l'eau voyons !
Ce bain, cela faisait des jours qu'il se le fantasmait. De l'eau chaude. Sentir bon. Et être propre. Vraiment, vraiment propre. Mieux que ce débarbouillage à la lingette savonneuse que les nonnes lui offraient, certes régulièrement, mais qui ne décrassait pas vraiment.

Une fois les deux pieds dans l'eau, il chancela un peu, et bien vite lentement et prudemment il s'assit.
Il prit le temps de humer les vapeurs de l'eau, de savourer la douceur prodigieuse du drap chaud sous ses pieds, et de fermer les yeux parce que la lumière l'aveuglait avant de reprendre.


- Et puis vous savez, quitte à m'faire tripoter...


Il leva un regard qui se voulait amusé, mais qui commençait déjà à larmoyer le manque de sa potion opiacée, vers son ami.


- J'aime autant qu'ça soit par l'meilleur parfumeur du royaume. L'savon des nonnes pue, et leurs mains sont froides. Vous croyez qu'on doit défaire les bandages et que je dois mettre mes mains dans l'eau chaude ?

Ça... ça risquait d'être un moment pénible, s'il fallait le faire. Mais il fallait peut être le faire ? Mais est-ce qu'il avait vraiment envie de tremper dans le même bain que les humeurs dégueu qui risquaient de suinter de sa main ? Non, pas vraiment. Mais peut être qu'il le fallait ? Ah, bon sang, trop de questions, trop pour son pauvre cerveau !
Ah, bon sang, qu'on était bien, dans un bain.
Il poussa presque malgré lui un profond soupir d'aise.
Et, comme un gamin, il leva les bras pour qu'on finisse de le déshabiller.

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Alphonse_tabouret
L’ironie est la défense de Ravier, plus encore depuis ces derniers mois où d’un systématisme, à chaque gêne, il se défausse d’un sourire en coin, d’un mot qui se veut désinvolte, et élude ce qui fait de lui l’homme qu’Alphonse a distingué.
Garçon n’y dit encore rien, aux distanciations des observations que les jours finiront par grignoter jusqu’à la rupture : le comportement des autres se décortique avant de se peser, d’y trouver la banalité pardonnable des réflexes émotifs ; Archibald plaisante de malaises, se noie, et c’est là la véritable ironie de l’histoire, dans un verre d’eau quand il a réchappé au naufrage, et Tabouret cherche les raisons de cette fuite sans vouloir se cantonner d’évidences.


Gratte la surface, soulève un coin du tableau, éprouve l’aplat d’un couteau…



Créature curieuse peine à comprendre ce qui l’écorche autant à cette attitude et qui se réfugie aux dogmes des collectes ; répertorier, rattacher, jusqu’à dessiner l’arbre des fatalités, et une fois l’œuvre couverte de ses ramées, mettre sous cloche ou en abattre le tronc.

Bravades entachent les compliments qui passent à côté de leur cible ; parce que Ravier les emploie au même ton que ses dérisions, Paris ne leur prête pas plus d’attention que de crédit, vocables flottants qui n’existent que pour le bon mot, se mêlent aux exagérations, aux hâbleries- boucliers, et se concentre à sa tâche ; derrière les barricades, il entend chaque cri qu’on lui adresse à coup de repoussoir.


Nee, ne mettez pas vos mains dans l’eau…

Doigts attrapent les manches aux bras tendus et font passer la chemise pas dessus tête, ramenant un bouquet d’odeurs âcres au nez raffiné : suées, cataplasmes, fièvre, savon et pavot.
Noirs, d’un réflexe méticuleux, examinent la chemise et les taches qui la constellent en laissant Archibald s’immerger d’une intimité, et la pensée se scinde ; l’une au devenir du vêtement, l’autre au cas présent.


Le bain soigne l’humeur, pas leur pluralité. Vos mains ont besoin de sécher, s’aérer, cicatriser. La chemise est roulée en boule, jetée sans plus d’intérêt près de la porte d’entrée ; à quoi sert de se laver si c’est pour se revêtir de cauchemars ?
Contentons-nous de vous faire sentir bon.

Le choix du savon a été évident ; rare tant par les souvenirs qui y mousseront que par sa qualité, Tabouret saisit le petit pain brun ramené d’ailleurs et passant la main par-dessus l’épaule osseuse, le laisse tomber dans l’eau.

Saviez-vous que le savon d’Alep flottait ?

Et il flotte.

Je l’ignorais lorsque nous en avons acheté dans le souk d’Alexandria. Ne me demandez pas par quel miracle, j’y ai réfléchi des heures durant sans y trouver d’explication autre que la magie de l’Orient… Maigre rationalité, vous en conviendrez…

Praticité se tait ; aux visions des convalescences, Alphonse y voit aussi la précieuse indépendance, l’outil qui ne coulera pas au fond de l’eau quand les mains seront assez nettes pour travailler à la toilette mais trop faibles pour supporter d’être trempées.
Dextre saisit un broc vide et le remplit en l’immergeant dans le baquet sans s’attarder sur le corps désarticulé, saillant, qui crève la surface d’angles blancs ; à sa tâche, toutes les raideurs de Tabouret sont autant de rambardes auxquelles l’un et l’autre peuvent s’appuyer.


Penchez la tête en avant, demande-t-il en venant dans le dos du malade, doigts d’une précaution s’étoilant à l’arrière du crâne, intimant d’une douceur tout en amorçant le mouvement. Diable, je ne sais pas ce qui sent le plus mauvais... vos cheveux, ou votre chemise…

Vérité se barde d’un sourire discret d’autant qu’il y a prévu le clou de son spectacle, comédien aux mises en scènes jalonnées ; dans sa poche, fiole d’huile de Cèdre attend que l’on la débouche pour envahir les tempes et le crin ursidé d’une attention décente.

Je regrette notre conversation de l’été passé.
Phrase-vérité s'installe au ton de la conversation, profitant de l'eau imprégnée de chaleur, du contact de la main à la tignasse, des confidentielles promiscuités dont un bain sait se draper. Et puis, n'est il pas venu pour cela?
Le pichet se penche, et se déverse d’un mince filet d’eau sur le sommet du crâne, à la précision d’un poignet qui contrôle le flux d’une courbe , le grossissant de seconde en seconde pour fleurir pleinement sur toute la tête et achever sa course bienheureuse en rigoles tièdes sur la clavicule.

Si j’y ai énoncé mes vérités, je déplore de ne pas vous y avoir octroyé la tendresse que vous méritiez.
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