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[RP] Intensité sur l'échelle d'Archibald : 4/4

Archibald_ravier
Nu dans son bain, Archibald se laisse aller un bref instant à la volupté et à la langueur que l'eau brulante s'enroulant autour de ses côtes lui procure. De ses côtes. Oui.
Il rouvre les yeux qu'il avait fermés, pour regarder ses pieds, ses jambes repliées où l'articulation du genou semble plus épaisse qu'une cuisse. Le constat est sans appel. Il est maigre à pleurer, alors qu'en quittant le port il s'arrondissait de quelques livres à force d'accompagner Opaline dans ses repas.
Il en grimaça, brièvement, avant que de se prendre un savon par dessus l'épaule. Il se demanda lui aussi par quel prodige cette chose pouvait flotter, mais il resta muet. Il était plus facile de laisser Alphonse mener la conversation. Il lui fallait du temps pour organiser ses pensées, du temps pour savourer l'idée qu'il allait être propre. Du temps pour appréhender que c'était Alphonse là, dans son dos, qui lui demandait de pencher la tête en avant.

Les coudes appuyés sur ses genoux, pour maintenir hors de l'eau ses mains et ses poignets bandés, il s'exécuta, son dos s'arrondissant au point de tendre sa peau sur son échine, et ferma les yeux. Il eu même le temps de rougir de honte sous sa barbe hirsute, avant que son cerveau ne fisse l'effort de décrypter l'humour sous les mots. L'humour et l'ironie comme repoussoir au désespoir. Ce n'était pas lui qui allait blâmer Alphonse de l'employer, quand il en avait fait sa marque de fabrique.
Il ne répond pas, toujours, parce qu'il essaie de rassembler des bribes de pensées qui surgissent dans son cerveau, pour replonger aussitôt dans le brouillard. Pourquoi Alphonse ? Cela fait des jours qu'il savait que la première chose qu'il demanderait à Faust serait un bain. Qu'il n'y avait qu'avec lui qu'il pourrait affronter l'étendue du désastre qu'il était devenu.
Mais c'était à Alphonse qu'il avait demandé.
C'est Alphonse qui avait tout organisé, et encore lui qui était là, prêt à le laver, quand Archibald se serait contenté des mains rêches d'une nonne. Alphonse qui préservait le peu de dignité qu'il lui restait, après avoir passé des semaines à n'être touché que comme un objet. Nettoyé à la va-vite entre quelques cuillerées de brouet et un changement de bandages suintants.
Alphonse, qui prit la parole encore une fois. En traitre, alors que sa main pesait déjà sur lui pour l'empêcher de relever la tête. Il n'eut même pas le temps de répondre. C'est peut être mieux. Peut être pas. Archibald est trop dans le flou pour décider. Il se tait encore, rendu muet aussi bien par la phrase aux accents de rocaille que par l'eau chaude ruisselant jusque sur ses épaules.
Il se concentra sur les sensations. Les bruits. Les odeurs. Tout, plutôt que de penser qu'il n'évoquait que la pitié au regard d'Alphonse.
Et puis non.
Cela n'était pas possible, Alphonse ne se laisserait pas guider de tels mots par un sentiment aussi vague que la pitié. Il a choisi le moment en traitre, ou alors c'est sorti tout seul, mais ce n'est pas le corps débile et pitoyable du marin qui le lui a inspiré.

Archibald inspire, et chasse du mieux qu'il peut le nœud qui se forme dans sa gorge. Il va falloir aller chercher la vérité loin, derrière les opiacées, le manque, la fièvre, et la terreur indicible qui vit au creux de son ventre depuis les instants où il a compris que son navire était perdu, et leurs vies avec.


- Moi je ne la regrette pas.

Pause. Réfléchis, Archibald. Bon sang, c'était quand même pas facile en ce moment !

- J'y ai appris... beaucoup. De choses. Autant sur vous que sur moi. Non. Ce n'est pas ça que je veux dire. J'y ai appris...


Qu'Alphonse n'est pas un dieu d'airain qu'on garde sur un piédestal doré en se sentant tout petit à côté.

- Tout ce que l'on ne s'était pas dit au moment où il aurait fallu les dire. Et qu'une rupture amicale blesse plus fort qu'une rupture amoureuse.

Là. Elle est là, la faille. La voix usée qui se brise. Les épaules qui s'affaissent, encore un peu plus.

- Que le présent que vous m'avez fait avait un prix... un prix indicible... et moi... moi... je l'ai coulé...

Et avec le Refuge, si bien nommé, tout avait sombré. L'espoir d'une amitié ressoudée. Ou nouvelle. Changée, mais existante. D'amours sereines. D'une vie au large. De calme. D'apaisement. Une maison, un lieu, le seul lieu où ils pouvaient être qui ils sont, sans se cacher. Un cadeau, un fardeau, l'âme du capitaine.
Savaient ils seulement, Faust et Alphonse, ce qu'il lui avait coûté d'énergie de leur envoyer un mot ? Qu'il ne l'avait pas fait pour les appeler à son secours, mais parce qu'il avait coulé leur navire, et qu'il en crevait de culpabilité ?


- Ils étaient deux. Les navires. Ils étaient deux mais ils étaient pas ensemble, enfin je crois pas. Quand le premier nous a attaqués Richard a préparé les filles à fuir, et j'l'ai obligé à aller avec elles. On était pas loin de la côte. Dans la pénombre, j'sais même pas si les navire les ont vu fuir. J'ai j'té mes chiens à la flotte, en espérant qu'ils gagn'raient l'rivage et que quelqu'un saurait voir leur valeur et leur donnerait une maison. Chaussette a suivi Opaline, mais Narcisse a pas compris, il a nagé près du navire jusqu'à la fin. On est restés à bord l'plus possible en voyant arriver l'second, on s'est dit que ptet il chassait le pirate. Mais non. Il a foncé droit sur nous. Alors on a sauté à l'eau, et Jörgen s'est brisé les jambes à c'moment là et il remontait pas, j'le voyais nulle part, même en plongeant. Il y avait des débris partout. C'est Narcisse qui l'a r'monté, c'est lui qui l'a sauvé. J'ai réussi à les hisser tous les deux sur un bout d'bois et j'me suis encordé et j'nous ai poussés loin d'là. Longtemps, je sais plus trop bien. Jörgen a r'pris connaissance puis il a r"sombré et moi aussi. Si j'ai bien compris c'est l'chien hurlant sur l'eau qui a permis au navire marchand d'nous récupérer. L'premier port d'escale pour eux c'était Marseille alors... voilà. J'ai coulé votre navire.


Et sans vraiment le réaliser, il s'était mis à pleurer, lavant son angoisse sous une saccade de mots télescopés quand Alphonse lavait son corps grelottant de fièvre.
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Alphonse_tabouret
Aux mots qui viennent échouer à l’onde, l’oreille capte les modulations. Epèires ont déposé le broc d’eau, saisi le pain d’Alep aux angles ramollis par sa nage et qui flotte désormais aux côtes saillantes d’Archibald, s’en savonnant abondamment. Mousse en éclosion envahit les mains, pâte douce gantant chacun des doigts soignant le dos, les épaules de gestes délicats avant de venir les poser à cette tête toujours penchée, ratissant du haut vers le bas d’un délai calculé.
Sous la pulpe, l’anguleux du crâne, le cuir que l’on peigne d’une pression et que l’on cajole d’une lenteur ; Tabouret le sait, il n’y a pas que les plantes, les baumes, les recettes… Il y a son reflet dans le miroir, loin des superficialités des beautés, mais à la subjectivité de ce que l’on est seul à y voir.
Que voit Archibald ?
Les aboiements, les cris de douleur, les humeurs vacillantes se disputent leur paternité au pavot, aux soins sommaires de nonnes trop occupées pour tendre l’oreille, mais Paris refuse de s’y arrêter d’une évidence ; lui que l’on trouve si beau, a passé 25 ans à voir un monstre tous les matins à son reflet. Il sait l’horreur personnelle des miroitements aux reproches que l’on s’adresse.

Témoignage en bris de voix, de souvenirs, Alphonse retrace la nuit qui hante la chambrée, Gibraltar plaqué au palais. Eux aussi au détroit, ont vu le rectangle des voiles naviguant près des terres, et à l’exaltation innocente d’Antoine à croiser de près un autre équipage, y avait accusé la terreur des possibles; on les avait prévenus que les voiles noires y pullulaient. Ils n’avaient pas dormi pendant quarante-huit heures, gentiane pâteuse crispant les gencives, langues embourbées de calculs, mains épuisées à jouer de cordages pour ajuster les voiles et gagner la précieuse vitesse qui permettait la sécurité relative des distances.
La terreur pure et simple de voir tout disparaitre, que les enfants se noient, que la mort les sépare, et ce soulagement indescriptible qui les avait secoués d’un rire presqu’hystérique lorsque, Méditerranée dans le dos, l’Oreille avait fendu d’une assurance solitaire l’horizon de l’Atlantique.
Le Refuge n’a pas été aussi chanceux.

C’est une épreuve terrible, une violence qui dure… Vous en portez de terribles stigmates déjà, il est inutile de vous en inventer d’autres…

Phalanges en cercles appuyées embaumement tout le crâne d’une odeur mêlée de laurier et les mains soudoient le mutisme aux soulagements des attentions: derrière les oreilles, bordure des tempes, nuque longue ; peut-être est-ce ces gestes paternels qui lui rappellent son fils et adoucissent d’une langueur l’âme du père à qui manquent ses enfants, mais dans le dénuement de Ravier, Alphonse entendrait presqu’Antoine lui confier que c’est lui qui a cassé le vase du salon.
Ce n’est pas un reproche, c’est une évidence. Dextre accrochée aux cheveux savonnés font lentement basculer la tête jusqu’à surplomber le visage, répétant d’une synthèse le récit épouvantable que l’on vient de lui faire.


Vous n’avez pas coulé notre navire, deux bateaux ont coulé le vôtre… Il est temps, Archibald, que vous entendiez votre propre histoire.

Doigts viennent frotter le haut du front, ratissent, modèlent, massent.

Que pensez-vous que je me suis dit en recevant de vos nouvelles ? Que vous étiez mauvais marin ou que, Dieu merci, vous étiez vivant ?
Tête se délaisse, mains se rincent dans l’eau même du baquet pour saisir le broc et la voix continue :
Vous n’y aviez aucune chance et malgré tout, vous avez sauvé tout votre équipage. C’est cela qui fait de vous un bon capitaine… Le Refuge… La phrase s’interrompt d’un instant avant qu’Alphonse ne la prenne d’un autre bout : Vous faire ce présent était une bêtise… une innocente bêtise… C’était un trop gros cadeau pour vous, vous n’avez eu de cesse de vous en sentir responsable, redevable, quand nous vous demandions juste d’en être heureux… Ce jour, vous ne lui rendez pas hommage en vous en faisant simple gardien…
C’était votre bateau, Archibald, et si je me joins à ce deuil, car c’en est un n’est-ce pas ?...

Rêves, avenir, souvenirs, le tout enchevêtré, gisant au fond de l’eau sans personne pour venir fleurir leur tombe.
… c’est à vous de le pleurer, pas à moi.

Le broc se vide, rince, aux mêmes lenteurs dans un silence qu’Alphonse prolonge d’une volonté sans l’avertir cette fois ; les gorges masculines serrées d’émotions raclent les oreilles attentives, toujours et demandent le repos pour solidifier les lézardes d’une assurance factice autant que salvatrice. Les garçons, cela ne pleurent pas.
Fiole s'extraie de la poche...


Nous sommes venus vous voir parce que nous étions inquiets pour vous, pas pour vous demander des comptes… Le Refuge a coulé, et j’en suis désolé, vraiment désolé… Mais à choisir, je le préfère au fond de l’eau et vous tous en vie…

...se débouche , et c’est alors l’odeur du cèdre qui éclate d’une sève en même temps que les doigts regagnent les cheveux , s’y diluent de quelques instants
Noirs s’arrêtent sur la clavicule proéminente de maigreur.


Vous n’êtes pas mort avec lui. Cela aussi, vous allez vous en excuser ?
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Archibald_ravier

[Qui donc pourra faire taire les grondements de bête
Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes ? ]


Les yeux clos, Archibald se laisse bercer. Autant par la voix que par les mains. Tout juste se penche-t-il un peu vers l'avant lorsque les doigts du parfumeur lavent son dos.
Ce sont pourtant les mots qui ciblent le mieux la crasse qui habille son âme depuis un mois. Il se sent comme un petit garçon pris en faute quand sa tête bascule, et pour un peu il se demanderait presque s'il ne pas pas se faire gourmander. Il se fait gourmander, et si ses yeux coulent toujours, c'est presque un sourire qui ombre ses lèvres. L'ironie s'en revient au galop calfater toutes les brèches qu'il a ouvertes.
Il la chasse, résolument. Et même, il se prépare à enfoncer lui même le coin dans les failles qu'il dévoile.
Mais pas tout de suite. D'abord, Alphonse parle encore.
Est-ce qu'il sent comme tout le corps du capitaine se révolte sous ses doigts quand il énonce factuellement que lui offrir ce navire était une bêtise ? C'est terrible. Comme si chaque cellule de son être se tordait dans un cri muet. Une contraction brutale. L'accouchement silencieux d'une pensée violente. "C'est à moi". Viscéralement. Comme si on pouvait lui arracher son navire une deuxième fois.
Pourtant, c'est fugace. En trois inspirations, les brumes sont écartées. Le cerveau analyse, comme il peut. Et le corps se détend. Étrange assemblage que cela. Réfléchir aussi vite et savourer dans le même temps la chaleur du bain. Pleurer son angoisse et le retour d'un ami. Être en manque et s'en réjouir.
S'ébrouer, agacé parce que l'eau s'est déversée sur lui alors qu'il avait la bouche ouverte pour parler.
Se taire, parce qu'on a senti l'odeur du cèdre.

C'est acide, résineux, presque piquant. Pointu. Organique.
C'est vivant, après un mois à ne renifler que la sueur et la valériane noyée sous le pavot. C'est...


Cela aussi, vous allez vous en excuser ?


C'est une main gauche étonnamment vive qui vient crocheter un poignet. S'y cramponner, surtout, pour ne pas tomber tout à fait quand il renverse la tête en arrière, noir contre noir.

- Ne croyez pas. Un instant, Alphonse ! Ne croyez pas un instant que je puisse vous imaginer plus inquiet d'un navire que de gens.


Les pensées du barbu sont fragiles. Déjà elles s’effritent et la fièvre tente de les chasser. La tension de son dos le trahit, et il doit à nouveau se pencher vers l'avant, s'appuyer sur ses genoux pour ne pas flancher.


- Je vous ai écrit parce que le Refuge a été le Chat. C'est à moi que vous ne faites pas honneur en me prêtant de telles pensées. Je... Ce présent était bien trop oui, mais je m'y suis fait à l'instant où j'ai pris le large. Enfin, au fil des jours, plutôt.
Et j'étais un bon capitaine. Enfin, parfois. Avant. Avant de me jeter dans leur piège.


Il prit une inspiration. C'était maintenant, maintenant qu'il fallait enfoncer le coin.


- Je n'ai pas sauvé mon équipage. Richard a bricolé des flotteurs avec des tonneaux pour les filles. Narcisse a remonté Jörgen. Je me suis contenté de forcer Richard à quitter le navire avec elles.

Et, peut être pas maintenant, peut être pas là alors qu'il erre entre fièvre et manque, mais lentement, jour après jour, il finirait par mettre les choses dans l'ordre. S'il n'avait pas forcé Richard à descendre l'échelle de corde, est-ce qu'une femme enceinte et une fillette auraient pu gagner le rivage ? Si Richard n'était pas resté en bonne santé, qui aurait pris soin d'elles jusqu'à Marseille ?
Et peut être qu'un jour, encore plus tard, il admettrait que ce n'était pas facile, au milieu du tumulte, des objets qui s'effondrent dans un bouillonnement d'écume, de repérer un garçon. Et que si c'était le chien qui l'avait trouvé avant lui, il pouvait peut être se contenter de dire merci. La gratitude, c'est plus sain que la culpabilité.

Mais pour le moment, il essaie de se sortir du bruit et de la fureur. Il est quelque part là bas en méditerranée.


- Avez vous idée du bruit que peut faire un mât lorsqu'il se brise ? On dirait le tonnerre. En plus sinistre. Non. Pardon, je ne dis pas ça pour vous accabler je... je peine à regrouper mes pensées, Alphonse. Je vous ai écrit parce que vous avez perdu le Chat. Et je vous ai dit qu'on était tous en vie parce que je savais que vous vous inquièteriez. Vous y avez perdu tous vos souvenirs... Mais moi Alphonse, j'ai perdu ma maison.

Les digues rompent à nouveau, et l'eau coule en torrents de ses yeux. Sans sanglots. sans tremblements. Elle coule, comme pour laver ce qui doit l'être encore.
Eh quoi, Alphonse lui a tenu les cheveux quand il vomissait sa peine dans le caniveau. Il peut bien le voir pleurer un peu.


- Je suis heureux que vous soyez là.

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