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Info:
Grandeur et décadence d'un mariage arrangé (1467)

[RP] ... Une chèvre, vous êtes sérieux là ?

Lison_bruyere
Limoges, le 14 juillet 1467


Tierce venait de sonner. Stella s'endormait au berceau de châtaignier, repue de lait et toute propre. La chambre embaumait des parfums de thym, de camomille et de tilleul que Fanette faisait ingurgiter régulièrement à la jeune Nébulae, dans l'espoir de voir baisser sa fièvre. Epaule appuyée au chambranle de la porte, elle la regardait sombrer de nouveau dans le sommeil, quand elle sentit une grande main noire se faufiler à sa taille, la retourner pour qu'une bouche vienne s'écraser à la sienne en un baiser conquérant. Elle se raidit aussitôt dans le bras qui la retenait, alors que l'embarras embrasait ses joues. En huit jours de temps, ce n'était pas le premier baiser qu'il prenait d'elle, mais subitement, elle venait de retrouver toute la réserve des premières fois. Les mots ne trouvaient plus leur place à sa gorge et elle les laissa filer dans un désordre hésitant.

- Sa fièvre ... Nébi ... ça ne baisse pas vite ... on dirait.

Le regard d'obsidienne se porta sur la jeune fille étendue sur le matelas, puis vient s'accrocher, serein, à celui de la fauvette. Les mains se posèrent à ses épaules, comme pour l'ancrer dans une réalité rassurante,

- Tout ira bien Fanette. Elle est jeune et solide, il faut juste le temps que les remèdes agissent.

Il lui tendit l'étole dans laquelle elle avait coutume d'enrouler Stella pour la transporter contre sa poitrine en gardant l'usage de ses mains. Les yeux sombres s'animèrent d'un éclat vif, presque amusé.

- Laissons-la dormir à présent. Nous avons quelque chose à faire toi et moi ce matin.

Elle glissa sur lui une petite moue interrogatrice, tandis qu'il arrachait le bambin du sol pour le percher à sa nuque, comme il l'avait déjà fait à Blaye. Milo cette fois-ci ne s'offusqua pas, reprenant ses habitudes aux épaules du sombre. Et déjà, ils quittaient la chambre, emportant avec lui l'enfançon rieur à travers l'enfilade de pièces, jusqu'à la salle commune, où le chien attendait devant la porte, en battant de sa longue queue. Elle installa le nourrisson contre elle et se hâta à leur suite.

- Mais, on va où ?
- Acheter une chèvre à ton père.

Elle déglutit. Il était donc sérieux ? La poignée de main échangée la veille avec Pierre avait-elle valeur de contrat ? Tout avait commencé par une plaisanterie alors que l'on causait de la vilenie de l'Angevin avec les lourdauds qui tournaient autour de sa fille.

- Il faudra donc que je réfléchisse à deux fois avant de demander votre main Fanette.

Le père trancha d'une précision surprenante qui amusa sa fille, jusqu'à ce que l'ébène y réponde d'un air plus que sérieux.

- Oh moi, une chèvre et je donne sa main.
-Vendu !

Tyrraell tendit sa paume gauche ouverte vers le ciel, et Pierre vient taper dedans pour sceller l'accord. Les deux hommes se détendirent, et entamèrent une discussion sur un ton plus léger, mais sur le visage de la fauvette aplatie dans son dossier, l'air faussement outré cédait place à une perplexité mâtinée d'inquiétude.

- Tu aurais l'air malin si Tyrraell était sérieux.
- Je serai content. J'aurai une chèvre, et toi un époux qui prendra soin de toi et te protégera.

Elle avait alors, tour à tour, longuement posé un regard incrédule sur les deux hommes, puis s'était rebellée, prétendant pour la forme qu'elle était tout à fait capable de se défendre seule, même si les faits démontraient le contraire. Pierre, dissimulant son hilarité sous un masque austère, assurait qu'il la croyait en roulant les yeux pour finalement conclure en détaillant l'Abyssinien.

- Les deux tarés qui t'ont enlevée trainent en ville, je t'assure que je suis rassuré qu'il soit là.
- Bien, considérez-vous comme une future épouse à présent, demain je trouverai une chèvre.

La fauvette allait protester, mais les deux hommes la coupèrent net.

- Chut ! Pas de mais !
- Il n'y a pas de mais, un marché est un marché !

Ils continuèrent ainsi à s'arranger, sur la chèvre, sur les démarches auprès du curé, sur les probables vices cachés que la jeune femme tentait de faire peser dans la balance. Elle espérait encore les voir tous les deux éclater de rire, se gaussant de la bonne blague qu'ils lui auraient faite, mais, au lieu de ça, chacun semblait se conforter dans le bien-fondé de l'échange.

- Demain vous serez ma femme, faites-vous à cette idée !
- Et moi, je câlinerai ma gentille petite chèvre.

Une dernière fois, Fanette s'était insurgée.

- Et moi dans l'histoire, on ne me demande pas si je suis d'accord ?

Pierre avait éclaté de rire avant d'échanger avec Tyrrael un sourire entendu.

- D'accord pour ?
- Elle est mignonne. Une chèvre, un mariage, tout est arrangé.
- L'affaire est conclue !

Et voilà pourquoi, ce matin, le colosse d'ébène, bambin juché sur les épaules, entraînait à sa suite la fauvette intimidée. Pensant faire preuve de malice, elle avait exigé la veille une Nubienne, quand la plupart des chèvres qui se monnayaient sur la foire aux bestiaux étaient des poitevines aux longs poils sombres, ou des saanens presque blanches. Elle déchanta en apercevant, comble d'ironie, un petit troupeau de bêtes, au profil busqué caractéristique, aux longues oreilles, et aux robes pastillées de clair.

Dans quelques heures, Pierre aurait sa chèvre, une Africaine qui s'était retrouvé on ne sait comment dans ce coin du royaume, Tyrraell aurait une épouse.

... Et Fanette dans tout ça ?
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Tyrraell, incarné par Fanette


Le petit sur les épaules et le duo féminin à ses côtés, l’Abyssinien avait pris le chemin du marché avec un semblant de sourire au bord des lèvres. Bien qu’il ne comptait pas l’avouer, ce genre de moment pendant lesquels un semblant de complicité s’installait l’apaisaient. Depuis quelques jours déjà un accord tacite le liait à Fanette. Même si elle avait tendance à résister avant le contact de ses lèvres, il suffisait que leurs deux bouches se pressent l’une contre l’autre pour que la jeune femme relâche sa vigilance et s’abandonne dans ses bras.

Le marché qu’il avait conclu la veille avec le père n’avait en rien, pour lui, valeur de contrat aux obligations bien ficelées. Jamais il ne pourrait considérer Fanette comme son bien personnel. Il ne savait que trop bien ce qu’il était d’une condition à laquelle vous ne souscrivez pas pour l’obliger à quoi que ce soit.

Fanette était et demeurerait libre de chacun de ses actes. Il le savait et ne comptait pas revenir sur cette pensée personnelle. Seulement, il ne l’avait pas encore dit à la jeune femme. Il le ferait très bientôt mais, pour l’heure, il savourait une sorte de plaisanterie qu’il gardait pour lui. Il y a bien plus drôle dans la vie et ça ne le rendait évidemment pas hilare. Toutefois, ce petit jeu l’amusait.

La jeune femme pourrait assez vite se rendre compte qu’il n’avait aucune pensée malsaine envers elle. Tyrraell n’était pas un tyran. Il avait son passé. Il avait déjà vécu plusieurs vies. Il était hors de question, pour lui, de gâcher la jeunesse de la blonde et de ses enfants.

Le marché avait une double utilité bien différente de l’apparence qu’avait pris la conversation de la veille au soir. Dans un premier temps, il lui permettait de rester proche de la jeune femme. Il appréciait sa compagnie et il n’avait aucune raison de vouloir s’en éloigner pour le moment. De plus, il savait que Fanette n’était pas en sécurité seule. Certes, elle aurait probablement pu se défendre sous certaines conditions et elle aurait pu trouver, ailleurs, le reste de protection qui lui faisait défaut. Mais la proposition de Pierre était trop tentante pour ne pas la saisir au rebond. D’ailleurs, Tyrraell lui-même avait réagi en première instance sur le ton de la blague. Puis il s’était laissé prendre au jeu et avait fini par conclure le marché dans une poignée de main.

Arrivés sur la place de marché, il fut assez étonné de voir Fanette quasiment prendre les choses en main. Quelque chose lui disait que la jeune femme n’était pas si réticente que cela à l’idée de lui appartenir d’une manière ou d’une autre. Milo juché solidement sur ses épaules, l’abyssinien simula une chevauchée fantastique en bougeant simplement les épaules afin de faire rebondir le jeune garçon sur celles-ci. Nulle envie, chez le gaillard, de partir en courant. Bien qu’il ait gardé une forme suffisante pour se lancer à l’assaut d’une armée ennemie sur un champ de bataille, il se voyait mal gambader au milieu de la foule.

Il tourna le visage et posa son regard sur la mère et sa fille et, dans un sourire à peine marqué, il lança dans un bref hochement de tête :


- Fais-ton choix, Fanette. Je te laisse décider de l’animal qui prendra ta place.

Il allait ajouter : « auprès de ton père » mais il se ravisa jugeant que ces quelques mots pouvaient avoir un impact malheureux. Il se contenta d’agrandir un sourire qu’il teinta de tendresse. Là encore, elle était libre et c’était tout ce qui comptait aux yeux de l’ébène.
Lison_bruyere
Limoges, le 16 juillet 1467


Elle avait décidé, jetant son dévolu sur une bête encore jeune bien qu'adulte. Sa belle robe brune déchiquetée de blanc, et ses grands yeux d'or tendre ajoutaient à l'élégance de sa silhouette, mais elle avait gardé en tête l'utilité de ces animaux de rente et en avait choisi une, à la mamelle haute et gorgée du lait d'un cabri fraîchement sevré. Elle fournirait bien ses deux à trois litres par jour, dont son père lui laisserait peut-être l'usage pour les besoins de l'auberge. La bête était douce, et cherchait la caresse dès qu'on l'effleurait. Depuis la veille et le départ de Pierre aux heures fraîches de la nuit, elle était parquée dans la grange attenante à l'auberge.

Les événements s'étaient précipités, et Fanette pouvait percevoir l'étau d'un danger imminent se resserrer sur son entourage et indirectement sur elle, la plongeant de nouveau aux angoisses qui la rongeaient quand elle était encore une épouse Corleone. La grande chambre de ses appartements faisait office de dortoir pour un temps indéterminé. A son lit, la jeune Nébulae se perdaient aux affres d'une infection qui grignotait ses mains et empoisonnait son sang. Puis, on avait installé dans l'urgence quelques paillasses. Quand Stella dormait au berceau de châtaignier, elles accueillaient le sommeil de Milo, et de ses deux cousins, Ménélik et Moira, soustraits à la proximité trop périlleuse d'une mère menacée. Chaque fois qu'elle s'était réveillée d'un assoupissement troublé, pour rendormir un enfant, ou éponger le front perlé de sueur de la malade, elle s'était heurtée à l'éclat sombre des prunelles de l'Abyssinien qui veillait sur eux.

Elle avait accepté au soir précédent le marché proposé par l'ébène, sans doute justement parce qu'on ne lui imposait plus. Indéniablement aussi la crainte qu'elle avait de perdre encore Milo avait pesé dans sa décision, comme les menaces que l'Alzo avait susurrées à son oreille un mois plus tôt quand sa main impudique l'avait plaqué à lui. Elle s'était résignée à l'idée désespérante que sa précarité financière de jeune mère esseulée n'était pas le pire de ses soucis, depuis qu'elle avait fait l'expérience de son incapacité à assumer seule sa sécurité. L'idée de s'en remettre à la protection d'un époux avait fait son chemin, largement encouragée par son père.

Il était sans doute une raison bien moins avouable, et elle avait beau se défendre de son âge, de sa couleur, de toutes les différences qui l'opposaient à Tyrraell ; elle pouvait bien se dérober à ses lèvres, en dix jours de temps, il avait éveillé à sa peau et à son ventre le bouillonnement d'une sensualité abandonnée aux griffes d'un lit froid depuis presque un an.

Confiante de cette confiance qu'elle pressentait pouvoir lui accorder, troublée de l'attirance qu'il exerçait sur elle, elle avait prononcé son oui d'un ton grave mais néanmoins soulagé. Comme si toutes les ombres qui tourmentaient son sommeil pourraient se dissiper du simple contrat qu'impliquaient ces trois lettres, pour elle, et pour ses proches, jusqu'au danger imminent qui avait conduit Tigist à lui confier ses enfants.

L'homme l'avait couvée d'un regard tendre, et son visage austère et balafré s'était éclairé d'un discret sourire qui le rendait plus abordable. Une à une, il avait pris le temps de peser ses questions, d'y apporter les réponses les plus claires et les plus honnêtes. Il l'avait rassurée sur la vie qu'il saurait lui offrir, là où l'Italien avait échoué. Aucun n'avait parlé d'amour, et ça allait parfaitement à la fauvette, que ce simple mot effrayait quand il était trop tôt prononcé. Ce n'était qu'une promesse très sérieuse à rendre la vie de l'autre plus agréable et plus facile, chacun avec ses propres armes. Lui, sa force, sa bienveillance et sa détermination, elle, la douceur de ses gestes et la jeunesse d'un corps rêvant de brûler encore de désir et de fièvre.

Alors pourquoi s'était elle refermée à ses craintes, ses pudeurs et aux convenances qui l'engonçait trop souvent ? Elle n'était guère à l'aise quand il lui avait demandé de se lever, pour se tourner dos à lui, mais, s'il était une chose que la fauvette avait apprise des années inscrites à la chair de son dos, c'était la docilité. L'accord qu'elle lui avait donné lui octroyait le droit de la détailler un peu mieux. Elle aurait presque pu sentir son regard dégringoler de la masse dorée de ses boucles qui cascadaient jusqu'au milieu de son dos, caresser la finesse de sa taille, pour glisser sur la courbe de ses hanches à peine élargies de deux maternités. Son cœur s'était emballé, empourprant son visage d'une gêne coupable. Elle s'était astreinte à l'immobilité quand il avait soulevé ses jupes. Elle eut la sensation brutale de sentir encore la lame du maroufle qui avait voulu la forcer, s'enfoncer de nouveau dans le muscle de son mollet droit, tant la cicatrice hideuse qu'il y avait laissé la complexait et le silence derrière elle la confortait dans l'horreur du spectacle qu'elle lui offrait. Pourtant onyx ne s'y étaient sans doute pas attardé, pas plus qu'à la trace d'un fer qui enserrait sa cheville. A sa peau, il avait osé sa main amputée d'un index et d'un majeur. Son pouce effleurait lentement une tache de naissance, quand les deux doigts restants s'étaient immiscés au secret brûlant de ses cuisses. Elle s'était dérobée brusquement au contact trop intime, craignant tout autant de lui, que de sa propre réaction. Alors, il s'était offusqué qu'elle lui refuse cet avant-goût, doutant peut-être qu'elle puisse faire une épouse conciliante.

- Je dois donc te marier sans savoir ce que tu vaux ? Je veux une marque de notre accord, en retour, tu auras la mienne. Je te laisse la nuit pour y réfléchir.

Alors elle y avait réfléchi toute la nuit, essorant un linge trempé d'eau froide, rafraîchissant le front de Nébulae, nourrissant sa dernière-née, guettant les bruits et les menaces à l'extérieur des murs où ils s'étaient tous cloîtrés jusqu'à ce que les ténèbres recrachent la ville au jour naissant. Elle y réfléchissait encore à chaque sanglot des jeunes métis qu'elle avait tendrement consolés, craignant qu'un jour ses propres enfants courent les mêmes dangers.
Elle y avait réfléchi et elle avait cédé. Il posséderait sa bouche avant le retour de son père.
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Tyrraell
Limoges, le 18 juillet 1467


Elle lui avait accordé ce qu’il avait demandé. Cette simple phrase pourrait résumer à elle seule la relation qui s’installait doucement entre l’ébène et l’albâtre. Fanette se montrait encore réticente ou faisait semblant de l’être. Tyrraell n’aurait pas su dire ce qu’elle pensait réellement. A chaque fois qu’il approchait, elle faisait un pas de recul avant de se blottir dans ses bras. A chaque fois qu’il l’embrassait, ses lèvres se tordaient dans une moue dubitative. Pourtant elle lui avait donné ce qu’il lui avait demandé. Elle avait extirpé de son corps l’essence du plaisir et, telle une alchimiste, elle avait transformé la froideur du passé en un alcool sirupeux dont elle s’était enivrée.

Il avait su lui rendre la pareille sous couvert d’une surprise qui marquerait son visage d’un sourire satisfait. Il n’avait fallu que quelques jours après l’achat de la chèvre pour que l’abyssinien ne se prenne au jeu de l’échange se saveurs. Il avait pris le temps. Il l’avait travaillée au corps. Il avait attendu le bon moment, au détours d’une conversation. Il avait fait en sorte qu’elle le voit comme une évidence. Il avait attendu qu’elle le voit comme une sorte d’échappatoire, de libération, de protection. Petit à petit, il avait fini par devenir la meilleure alternative. Alors il avait décidé de transformer ce qui pouvait ressembler à de la contrainte en un jeu de séduction. Il avait alors porté l’estocade juste après qu’elle ne barre la porte de sa taverne. Celui que l’on commençait à comparer au loup d’Abyssinie n’avait plus qu’à récolter le fruit de son labeur. Il s’abreuva à la fontaine de Jouvence et marqua un peu plus de son empreinte l’esprit d’une future épouse en manque d’affection.

Le mariage approchait à grands pas. Tyrraell avait discuter des détails d’une cérémonie aux couleurs locales d’un pays lointain avec une compatriote que le hasard avait placé sur sa route. Tout s’organisait au petit trop. Certains s’en étonnaient. D’autres s’en réjouissaient. Les plus pressants des prétendant de la jeune mère de famille jouaient des coudes et des mains dans des argumentaires voués à l’échecs. Elle ne voulait pas de fleurs bleues semblait-il. Pourtant ils s’acharnaient. Ils étaient beaux dans leur hypocrisie, habillés de bons sentiments pour peu qu’elle leur aurait ouvert la porte d’un antre qu’ils auraient abandonné peu de temps après l’avoir envahi et sali de leur vanité crasse.

A cela, Tyrraell opposait un sourire narquois. Il savait ce que d’autres ne savaient pas. Il ignorait aussi certainement bien des choses. Toutefois, Fanette et lui avait conclu une sorte d’accord tacite qui les liaient par-delà les conventions les mieux établies. Ils ne parlaient pas d’amour, pas encore. Leur union n’était que fonctionnel. Elle ressemblait beaucoup à certains accords passés par les maisons nobles. Leur union était utilitaire. Malgré cela, leurs corps faisaient fi de ce que les mots exprimaient au grand jour. Bien qu’ils n’allaient pas plus loin que les quelques instants qui précèdent le mélange des peaux, ils commençaient à s’apprivoiser l’un, l’autre. Ils s’apprenaient à la mesure d’un prélude aux notes suspendues dans les airs par une main tantôt délicate, tantôt affirmée. Chaque fois que les yeux se fermaient et imaginaient la note suivante, les lèvres s’entrouvraient et à la blanche puis à la noire succédait un soupir.

Ce soir-là, dans l’ombre d’une taverne silencieuse, s’éleva la plainte lascive d’une femme qui abandonnait un peu de ses forces à l’homme qui murmurait des mots doux contre la peau claire de ses cuisses alanguies.

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Lison_bruyere
Limoges, le 21 juillet 1467


Les battants intérieurs occultaient le soleil tapageur de la relevée. Dans le cocon feutré de la pièce, trois des quatre petits héritiers Corleone s'étaient abandonnés à la torpeur d'une sieste. Seul l'aîné, du haut de ses trois ans passés, luttait encore. Son beau regard d'émeraude rêvait à cette petite étoile, qu'un beau jour le soleil avait poussé sur la terre, mais qui gardait dans l'or de ses cheveux et dans l'ambre de ses yeux toute la sagesse et la lumière des astres célestes qui veillent le sommeil des hommes depuis la nuit des temps. La main blanche de la fauvette caressait tendrement les fins cheveux crépus, tandis qu'elle lui murmurait ce conte qu'elle avait écrit pour Lili, il y avait une éternité de cela.

Et de l'éternité, elle y songeait encore ce jourd'hui, celle que lui avait offerte l'Italien, et qu'elle avait promis en retour. Cette éternité qui pourtant, s'était délitée au chagrin des épreuves. Elle aurait pu rester là, toujours, à bercer ces enfants en oubliant ses regrets et ses peurs, mais la jeune cousine Corleone était venue la relever.

- Tigist t'attend au nid, 'nette.

La jeune mère acquiesça d'un simple hochement de tête, puis l'étreignit, comme pour savourer encore cet ultime moment, où elle était toujours celle qu'un soir de novembre, Roman avait épousé. Alors seulement, elle lui céda sa place auprès des bambins. n'emportant avec elle que la dernière-née qui pleurerait sa faim avant que le clocher ne sonne vêpres. Elle longea le rempart qui clôturait la ville, vers cette autre auberge, plantée comme la sienne en retrait des rues animées du centre. Sa main hésitante s'attarda immobile au bois sombre de la porte. Il était encore temps de faire demi-tour, l'idée l'effleura.
Elle pouvait vivre dans l'angoisse de croiser de nouveau Valassi ou Alzo, ou tant d'autres qui un jour, avait marqué sa mémoire ou sa peau de leur violence. Elle pouvait craindre de ne savoir protéger ses enfants. Ou bien, elle pouvait s'en remettre au kebero, dont elle pressentait la force et la loyauté, et ne plus se sentir coupable du désir qu'il soufflait à sa peau.

Elle affirma son appui, et l'huis céda, s'ouvrant sur un vestibule. Elle passa la tenture, qu'une embrasse de corde fine retenait en plis lourds et s'avança de quelques pas dans la salle commune, puisant son courage au panier de sa fille, qu'elle pressait contre elle. Elle laissa glisser ses yeux sur le comptoir qui courait le long de la pièce, puis, détailla les esquisses accrochées aux murs, avant d'apercevoir une autre ouverture occultée en partie par un rideau, le même que celui de l'entrée. Elle s'approcha timidement.

- Tigist ?
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Tigist


    Un baquet déjà bien rempli, de l'eau qui chauffe dans l'âtre, et ça et là quelques accessoires disposés dans l'attente de l'arrivée de la Fauvette, ne dirait-on pas que la vie a repris son cours sans avoir été menacée quelques jours auparavant.
    Pourtant la présence de Gabriele et Volkmar chaque nuit, ainsi que l'absence de ses enfants sont là pour attester du contraire.

    Par la fenêtre, l'ambre accroche la chevelure dorée de celle qui était sa belle-soeur il y a peu encore. Voilà comme vivent les amours Corleone, elles naissent dans la passion et s'éteignent avec perte et fracas. Roman, qu'as-tu fait pour briser ainsi les ailes d'une Fauvette qui t'attendait pour mieux s'envoler ?
    Les hommes prennent, exigent et imposent. Cette leçon, toutes les femmes l'apprennent un jour ou l'autre. Mais les Corleone excellent en la matière. Reste à espérer que l'éthiopien saura dépasser cette maxime.

    Et l'éthiopienne de se tapoter la lèvre de l'index, songeuse, repensant à la requête de l'ancien champion. Et quoi Tigist ? Tu as bien accepté que Cassia rejoigne votre foyer, votre couche, tu l'as aimé autant que l'on peut aimer la deuxième épouse. Pourquoi Tyrraell ne pourrait pas attendre de sa nouvelle épouse qu'elle comprenne l'intérêt que d'autres femmes rejoignent leur foyer ?


    Citation:
    Sur les hauts plateaux éthiopiens s'ébattent les nyalas et une tente immense est tendue non loin sous laquelle est assis un homme habillé assez richement pour faire se pâmer d'admiration les nobliottes de France, à sa droite, deux jeunes garçons boivent le K'hawah devisant d'astrologie. A l'entrée de cette tente, un homme se tient debout, bras croisés sur son torse massif, fixant l'horizon sans un mot.
    Un cri soudain.


    « Tyrraell ! Regarde ! »

    La fillette vêtue de blanc se précipite vers la tente essoufflée pour désigner du doigt les hauts loups éthiopiens assez loin pour ne pas effrayer les antilopes. Combat sans merci opposant les deux carnivores. Est-ce à cause d'une femelle ? A cause d'un morceau de viande ?

    « Je veux être un kebero plus tard. »

    Ah, l'assurance des enfants. Et ce sourire qui point sur la face du champion alors qu'il opine du chef, l'encourageant de quelques mots. L'enfant repart sous les regards désabusés de ses aînés et leurs moqueries quant à sa ressemblance plus vraisemblable avec les geladas, arracher des brins d'herbe, fixant au loin cette querelle de griffes et de crocs qui ne s'arrête qu'à la reddition de l'un des loups rouges.
    Si Tyrraell a dit que c'était possible alors qu'importe, Tigist sera Kebero.


    La main passe sur la cicatrice en haut de la cuisse, cette lame chauffée à blanc qui a voulu effacer la tête de loup rouge inscrite sur la chair, ces mots jetés au visage de l'époux ce soir là après la mort de Makeda, blessée de n'avoir pu protéger sa fille.
    Quand deux keberos se rencontrent, constituent-ils un clan ou s'entretuent-ils ? Tout est question de motivation et de ressources.


    L'appel de Fanette la fait se décrocher de la fenêtre, un soupir est poussé pour chasser les pensées loin dans son esprit et rejoindre le pallier, moins guillerette qu'il n'y paraît quand elle lance.

    « Je suis en haut ! »

    En haut sur le palier, vêtue de sa simple chainse, les poings sur les hanches pour attendre la Fauvette d'un air décidé, et celle-ci de la rejoindre pour déposer le couffin dans un coin de la pièce. Tyrraell lui a demandé de participer à ce mariage, d'en être l'officiante et de préparer Fanette. Quand bien même l'aurait-elle refusé, qui mieux qu'une éthiopienne pour préparer une femme selon les us et coutumes de son pays ? C'est une question d'honneur.
    Tigist sourit à la blonde et lui enjoint de gagner le baquet attendant là qu'on en ait l'utilité. A peine s'étonne-t-elle de voir la Fauvette garder la chainse comme ultime barrière entre elles. Qu'à cela ne tienne, d'un doigt l'éthiopienne confirme l'idée générale : Il s'agit d'un mariage et à un mariage, on arrive pure et lavée de toutes choses.

    Les voici, ces femmes qui n'ont jamais partagé qu'une danse et un nom de famille par alliance, l'une nue dans l'eau et l'autre en linge de corps se faisant servante d'un jour. Le linge va et vient sur la peau nacrée de Loiselier pendant que les langues se délient, que les questions se posent et que l'éthiopienne tente encore et toujours d'y répondre.
    Comme leurs cultures sont dissemblables, comme la vie qui l'a menée ici l'a mal apprise. Fauvette se demande si elle peut marier le Champion sans l'aimer quand Kebero envisage d'épouser le Moustachu par ambition commune.


    « Tu sais, il est aimable derrière ses airs terrifiants.
    - Je crois que je sais cela, il m'impressionne parfois, mais il sait aussi faire montre d'une douceur surprenante, quand on le voit ainsi.
    - Dans mes souvenirs, il était marié. C'est bien que des femmes ont trouvé leur compte dans cette union.
    - Il m'en a causé aussi. »


    Fauvette plisse le nez, arrachant un sourire à Tigist qui bassine du linge ce corps inconnu jusqu'à présent, découvrant des cicatrices qui dit-elle ont paru peu gracieuses aux yeux du Corleone. Les hommes sont des mufles, l'Histoire le dira.

    « Tu as été mariée aussi.
    - C'était différent.
    - Pourquoi ?
    - Parce qu'il a été mariée à plusieurs femmes à la fois. Trois. »


    Elles y sont. Le gouffre entre les deux cultures, celui dans lequel Fanette pourrait sombrer, celui dans lequel Gabriele a choisi de s'engouffrer avec grand plaisir. L'éthiopienne se saisit d'un pied qu'elle sort du baquet pour le laver, laissant la blonde aligner ses idées et ses angoisses concernant ce mariage qui s'annonce pluriel à moyen ou long terme. Qu'importe les gestes de Tigist sur le corps de Fanette, ce sont les pensées qui mettent le plus à nu cette sœur que le mariage lui avait donné.
    Rassurante, l'éthiopienne tente d'expliquer l'inexplicable à cette petite française qui a du se conformer à une société exclusive, elle lui rappelle Cassia qui avait été imposée par l'italien.
    Quel trio, ils avaient fait. Personne n'avait compris quand l'éthiopienne avait accepté l'anglaise dans leur vie, quand elle avait cédé une part de sa couche à une presque inconnue parce que son époux l'avait demandé.

    Le conditionnement ? La culture ? Plus que cela. Tigist y avait trouvé son compte. A cette époque où Gabriele avait commencé à lui reprocher tant et tant de choses, à ce moment où Makeda était morte et où l'éthiopienne s'accrochait au ciel insondable et aux soupirs endormis de son aîné, la présence de l'anglaise avait été salutaire. Ce que les hommes ne savent pas ne peut pas leur nuire. Et accepter une deuxième épouse, cela inclut de partager les assiduités d'un époux quand on n'en a plus ni l'envie ni l'énergie voire de les céder à une autre.
    Alors Tigist avait accepté et s'était attachée à Cassia, comme Cassia s'était attachée à elle.

    D'un geste de la main, elle lui demande de se lever, considérant ce corps aussi jeune que le sien, abîmé par les hommes, rendu vivant par les naissances, et le linge reprend son manège tandis que Fanette s'enfonce dans les méandres d'une civilisation qui lui échappe, essayant de la comprendre faute d'en partager les attentes.


    « Rassure-toi Fanette, il ne s'attend certainement pas à ce que tu t'acclimates si rapidement. Nos cultures sont dissemblables.
    - Je suis pas sûre de savoir accepter cela, enfin si, je l'accepterai si c'est ce qu'il veut. Mais de là à m'en satisfaire.. »


    Comme elle essaie d'étouffer les à priori de la blonde, Tigist lave ses cheveux avec un soin particulier. Comme elle avait aimé laver Cassia après leurs ébats, comme les bains avec Neijin lui manque, cette femme qui était fille à son départ de son pays n'a pourtant jamais caché son affection particulière pour ces moments privilégiés entre femmes, de ceux où l'on prend soin de son corps autant que de son âme.

    Quoi dire de plus en la faveur du colosse d'ébène ? Quoi dire qui puisse venir à bout de ces angoisses légitimes quand on épouse un presqu'inconnu sur la base d'une tractation commerciale – pis encore contre une unique chèvre – et bien tout simplement, on change de sujet. On parle de l'or d'une chevelure que l'on aura jamais, de ces manies féminines qui s'accommodent parfaitement d'une frustration constante : Désirer ce que l'on ne peut avoir.
    Tigist ne sera jamais blonde et sûrement que Fanette ne supportera jamais l'hypothèse d'une autre femme à ses fourneaux, dans sa couche. Pourtant, Fauvette raconte comme elle a souffert à cause de ces cheveux-là, comme un homme a voulu lui faire payer pour un tort non commis.

    Ce que les hommes font aux femmes. Dieu merci, les femmes ne le font pas aux hommes sinon ils refuseraient de sortir des tavernes pour rentrer chez eux.


    « Les femmes sont capables de tant de résilience. »

    Et le drap est tendu, invitant Fanette à quitter le baquet pour la rejoindre à l'extérieur et passer à la suite des préparatifs.
    Autour d'elles, cette odeur de rose de Damas, comme une promesse suave que l'Ethiopie gouvernera la France ce soir.

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Lison_bruyere
Pour la fauvette, les parfums étaient les musiques de la vie, ancrant à jamais aux méandres de la mémoire un instant, une impression, un sentiment. C'était la douceur d'un après-midi de mai chez son oncle, dans l'arôme entêtant des jasmins écrasés de soleil, la débauche d'une fête aux touches sensuelles et chaudes de l'ambre gris mêlées à l'audace du clou de girofle, l'odeur de la terre, quand les premières pluies d'automne baignaient son visage. C'étaient les senteurs boisées et animales du musc, rehaussées de la fraîcheur capiteuse des lys, dont elle s'était tant de fois repue à la peau du Corleone. Ce serait à présent le bouquet poudré et enivrant de la rose de Damas, à l'heure d'apprendre à désaimer pour aimer de nouveau. Elle repoussa fugacement ses doutes pour s’imprégner pleinement de la promesse d'une fragrance, laissant Tigist la frictionner. Une seule fois, elle avait cédé sa pudeur aux soins de la Danoise, qui l'avait patiemment lavée pour la libérer de la fange fétide d'une geôle. Elle ferma les yeux, abandonnant le passé, pour les rouvrir sur le présent de cette chambre. L'Abyssinienne l'invita à s'allonger sur un drap propre étendu sur la couche. Elle malaxait entre ses doigts une boule de cire au miel, qui chauffait précédemment dans un petit pot d'argile, posé au coin de l'âtre.

- Tu sais ce qui m'a choqué le plus en arrivant ici, ce sont les poils sur vos jambes. Tyrraell n'apprécierait pas d'avoir une épouse à la toison masculine.

Elle posa la pâte chaude à la cheville de la fauvette et l'étira, avant de la retirer d'un coup sec, en sens inverse. Fanette ne moufta pas. Par chance, elle avait la pilosité peu abondante des blondes, et s'appliquait à ôter régulièrement les quelques poils disgracieux qui repoussaient. L'ébène, sourire en coin, la passa en revue, chassant méthodiquement les rares indésirables qui subsistaient encore sur la peau claire.

- Au moins ne sera-t-il pas dépaysé.Tu pourrais venir vivre chez nous, tu vaudrais plus d'une chèvre.

Une moue incertaine s'empara sans doute des traits de l'Angevine, tant cette dernière phrase la ramena à ses obligations d'épouse.

- Tu y trouveras ton compte, je n'en doute pas. Il se disait tant de choses sur le grand Tyrraell.

Elle réprima un gloussement amusé, forçant plus de perplexité encore au visage de Fanette. Ni elle, ni l'Africain ne parlait d'amour, mais il avait su raviver le désir au ventre de la jeune mère, et elle craignait que ce ventre n'accueille un peu plus que le plaisir qu'évoquait à demi-mot Tigist. Elles n'avaient jamais partagé qu'un nom, et pourtant, dans l'atmosphère feutrée de cette chambre, tenue légère de l'une, nudité de l'autre, peut-être faisait tomber toutes barrières, elles échangèrent plus que quelques secrets de beauté. Fauvette mise à nue, se délestait de ses craintes, et celle d'un possible enfant l'angoissait de bien des façons, lui rappelant la mort qui avait emporté sa mère, et qui l'avait épargnée de justesse à la naissance de Milo, la fatigue de deux enfants encore jeunes, la peur de décevoir l'époux... Alors, l'Abyssinienne, tout en tirant d'un coffre trois paquets qu'elle vint déposer sur la couche s'était faite rassurante. Elle lui avait confié une confidence, en réponse à la sienne, aussi grave que la chainse qu'elle ajustait aux épaules de la future épousée était légère. Puis, le temps d'un aveu, elle était devenue celle qui avait tant manqué à l'Angevine, la mère, la sœur, ou l'amie qui aurait pu l'instruire de ces choses de femme.

- Les enfants s'invitent quand ils l'ont décidé, à moins de savoir s'en garder, et moi, je n'ai pas ce savoir-là. Roman voulait être père.

L'ébène avait plaqué un baiser à la clavicule pâle de la blonde, et lui avait offert un clin d’œil complice en posant un index à ses lèvres.

- Ce que Tyrraell ne sait pas, ne peut pas lui nuire. Je te trouverai des infusions de sauge et d'achillée.
- Ce n'est pas que je refuse de lui donner un enfant. S'il en veut un, je m'accommoderai de mes peurs, mais, Stella et Milo sont si petits encore.

Les doigts glissaient dans les boucles dorées, venant à bout des nœuds que le peigne de corne achevait de démêler. Les mèches embaumaient encore le parfum subtil des pétales de roses avec lesquels Tigist avait frotté sa chevelure. Elle s'attela à la coiffure traditionnelle. La tête basculée en arrière, Fanette se laissait faire, patiente. Elle ne pipait mot, même si, pour elle qui ne savait guère discipliner la masse indocile de ses cheveux, les fines nattes que l'ébène faisait courir sur son crâne tiraient très inconfortablement la peau. La maxime "il faut souffrir pour être belle" prenait là tout son sens. La tête entièrement tressée, piquée çà et là de petites perles de cuivre, laissait ensuite retomber librement à son dos la masse bouclée. Fanette avait osé évoquer le cadeau inconvenant que lui avait fait Arsen Beaumont, quelques mois plus tôt. La décence avait interdit à l'homme de lui en expliquer l'usage, et l'Angevine comprenait à présent le silence gêné du joaillier quand il s'était rendu compte qu'elle n'avait aucune idée de ce qu'il lui offrait.

Tigist venait d'ouvrir un second paquet, pour en sortir une longue robe blanche qu'elle s'était hâtée de confectionner. Elle tira un sourire admiratif à la future épousée. C'était un long vêtement de mousseline fine, à l'encolure et aux manches rehaussées d'une bande de couleurs vives et de fils d'or, qu'elle effleura du bout des doigts, n'osant presque y toucher, de peur de l'abîmer. L'ébène lui tendit l'encolure, l'aidant à la revêtir délicatement en préservant la coiffure. Elle noua ensuite la ceinture reprenant les motifs brodés d'or sous la poitrine, la soulignant élégamment. L'Africaine se recula pour la détailler, sourire satisfait aux lèvres.

- Attends de voir la tête de Tyrraell quand il te verra ainsi.

Blondine ne pouvait pas encore souffler, ébène n'en avait pas fini avec elle. Elle sortit de sa malle un pot si petit qu'elle pouvait le dissimuler aisément au creux de sa paume et attira la jeune femme dans la lumière relative que laissait filtrer le papier huilé tendu aux fenêtres. Elle trempa un fin pinceau dans la pâte noire, et en étala minutieusement un fin trait à la lisière des cils. Enfin, elle déballa le dernier paquet, contenant un assortiment de bijoux en or, et offrit à Fanette d'en choisir un. La fauvette hésitante, porta son choix sur un large jonc d'or, qui habilla joliment la finesse de son poignet. Tigist passa à son tour sa main au milieu des divers ornements, semblant réfléchir, puis saisit une parure de cheveux, faite de pampilles de verre bleu et d'or et la déposa délicatement sur les tresses.

- Tu es parfaite.

Elle rangea la pièce avant de tendre à la fauvette un petit miroir dont les côtés ne devaient mesurer guère plus d'un empan de long. Les lèvres Angevines s'étirèrent en un sourire tout à la fois surpris, émerveillé et ému. C'est à Tigist qu'elle l'offrit, peinant à exprimer sa reconnaissance avec quelques mots qui lui semblaient soudain si fades.

- C'est une nouvelle vie qui s'annonce. Je nous la souhaite plus heureuse.

Fanette acquiesça, visiblement touchée de la transformation qu'avait opérée sur elle l'Abyssinienne. Mais il lui restait un aveu qu'elle ne voulait garder pour elle, et qu'elle portait depuis trop longtemps. Peut-être était-ce le moment de s'en défaire et d'abandonner en même temps toutes les souffrances Corleone, qui avaient jalonné l'amour pourtant sincère et passionné qu'elle avait eu d'un de ses assassins. La blonde glissa un regard dans les prunelles sombres de l'Africaine.

- Il y a une chose qui me met mal à l'aise Tigist, depuis que je t'ai entendu dire à Tyrraell que j'étais l'une des rares à ne pas t'avoir haïe.

Elle s'interrompit, pinçant le coin de ses lèvres, comme toutes les fois qu'une émotion la débordait, puis, rassemblant son courage, poursuivit.

- Je ne t'ai jamais haïe c'est vrai, mais j'ai été amère. A cause de toi, ou des Corleone je ne sais. Enfin pas tous, mais le padre, Gabriele, Eleusio, tous t'adulaient, quand on me reprochait d'être ce que je suis. Toi, tu m'avais dit combien j'étais un problème pour vous, combien ma faiblesse vous mettait tous en danger. Pourtant, il y deux ans, malgré toutes mes peurs, toute mon incapacité à me défendre, j'ai égorgé un homme, celui qui a laissé cette marque au-dessus de mon nombril. Et si je n'étais parvenu à le faire, il aurait achevé Roman. Et toi, quelques semaines plus tard, tu trahissais le clan. Malgré cela, je sentais bien l'importance que tu avais encore, quand on continuait à me faire les mêmes reproches. J'étais si amère, et je m'en veux à présent, mais, ce que j'ai eu à entendre parfois était si dur, comme si, à leurs yeux, je n'étais, et ne serais jamais bonne à rien, quoi que je puisse faire.

Tigist avait écouté la fauvette, soutenant son regard, tête légèrement inclinée. Elle allongea ses doigts pour caresser la joue pâle, en lui étirant un sourire doux.

- Je ne regrette aucune des paroles que j'ai prononcées, tu sais. Tu es faible parce que tu aimes. Nous le sommes toutes. Mais des fois, l'amour nous rend fortes. Comment veux-tu l'expliquer aux hommes qui n'en ont qu'après la guerre ? Ils ne savent pas eux que c'est dans le sang que les femmes enfantent un nouvel homme qu'ils tueront. Nous le connaissons mieux qu'eux ce sang. Mais l'amour nous rend faibles, Fanette.
- L'amour m'a rendu forte le jour où j'ai tué cet homme, même si ses yeux se vidant de leur âme me hantent toujours. Mais tu avais raison ce jour-là, pour le reste, je n'ai jamais été forte, je n'ai appris qu'à encaisser les coups, pas à les rendre.

La main brune se faufila à la nuque blonde pour l'attirer à elle, et la sombre posa un baiser au front pâle, en soufflant à son oreille.

- Je suis qui je suis et j'aimerais réparer le tort que j'ai commis mais on ne revient pas sur ses pas si on ne veut pas mourir. Je ne reculerai pas. Désolée de t'avoir fait souffrir.

Les noisettes de la future épousée avaient sans doute cédé quelques larmes. Tigist n'était pas celle qui lui avait fait le plus de mal, et l'émotion qui, en cet instant nouait la gorge de la fauvette n'était que la somme des doutes, des craintes, de la culpabilité, et des regrets qui venaient de s’alléger là, à la bienveillance de l'ébène, dans la douceur des gestes qu'elle avait eue pour elle et dans l’honnêteté de ses réponses.

Ce soir, Fanette serait mariée, et si elle n'était pas totalement sereine, ces quelques heures passées avec l'Abyssinienne lui avaient rendu un peu de courage.
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Lison_bruyere
Eglise de Saint-Michel-des-lions, le 21 juillet au jour mourant.


Fanette s'était avancée de quelques pas au-delà du narthex. Les églises avaient toujours cette même odeur de cire, d'encens et de poussière mêlée. Elle pouvait la voir voler dans le halo des cierges dont la cire dégoulinait sur les coupelles d'argile où ils étaient piqués. Elle se demanda par quel tour de passe passe, Tigist avait pu les convier à célébrer leur union sous les voûtes de Saint-Michel-des-lions. Son regard glissa sous les hautes croisées d'ogives, jusqu'aux trois immenses vitraux qui perçaient le chœur. Un drap brodé étalait sa blancheur immaculée sur l'autel de bois sombre. Tout était rigoureusement identique, jusqu'à la statue de l'archange, qui priait encore, dans l'ombre de la grande croix.

Son cœur se serra douloureusement. Elle attarda un regard sur le visage encore bien pâle de Nébulae, puis accrocha le sourire bienveillant d'Ursicin qui se tenait à côté de la jeune fille. Face à elle, à l'autre bout de l'allée, Tigist attendait. Sa peau sombre, la grâce de son maintien drapé dans des étoffes légères, la noblesse de son port de tête, et son visage, aux traits fins, aux arêtes tranchées lui donnait l'air assuré d'une déesse antique. A moins d'une toise de l'Abyssinienne se tenait l'ancien champion, la dépassant largement de sa hauteur. Sa peau était encore plus foncée, ne retenant à peine que quelques éclats du jour mourant qui s'écoulait mollement des vitraux. Elle contrastait avec la blancheur de sa tenue, une longue tunique, sans col, descendant à mi-cuisse, sur des braies longues de même teinte. Seule, l'écharpe jetée à son épaule reprenait les couleurs vives du galon brodé d'or de la robe de la future épousée. A sa hanche retombait une besace de cuir brun. Ses bras croisés accentuaient encore la largeur de son imposante carrure.

Il paraissait si solide, homme hardi dans ses ambitions, résolu dans l'action, qu'elle se sentit soudain plus petite et plus tremblante encore, bousculée entre ses doutes et ses certitudes à peine assumées. Elle se retourna furtivement, pour fuir ou parce qu'elle avait cru reconnaître le pas de son père, même elle n'aurait pas su le dire à cet instant. Elle se tenait là, dans la tenue traditionnelle d'un pays dont elle ne savait presque rien. Le tissu léger de sa robe dévoilait la finesse de ses courbes. La blancheur du vêtement s'accordait à la pâleur de sa carnation, et la masse dorée des boucles, que les fines tresses libéraient à son dos, rappelait les fils d'or qui se perdaient dans le galon coloré qui agrémentait l'encolure, les manches et le netsela noué sous sa poitrine.

Ses jambes se seraient sans doute dérobées sous elle si son père n'avait surgi à ce moment-là. Elle s'était tournée vers lui, intimidée sans doute par le regard neutre qu'il venait de lui offrir, quand elle avait tant besoin qu'on la rassure. Déroutée qu'il ne la complimente pas, quand elle voulait se sentir jolie, dans ses atours de petite Africaine blanche. Il avait malgré tout couvert d'une main encourageante les doigts fins qu'elle venait de nouer au bras qu'il lui présentait. D'un sourire, il l'invita à rejoindre l'officiante et cet homme, au visage buriné de souffrance, qui accusait le double de sa vie, et qui avait offert une chèvre pour sa main.

Si elle avait relevé la tête, au lieu de garder les yeux baissés sur les dalles de pierre usées par le pas des fidèles, elle aurait pu lire dans le regard dont l'Ethiopien la couvait combien elle était gracieuse en cet instant, remontant l'allée centrale, les paupières délicatement ombrées de noir, l'or d'une chevelure accrochant discrètement l'éclat dansant des innombrables flammes, les plis éthérés de sa robe ondulant à chaque mouvement. Encore quatre pas, il fallait qu'elle respire, trois, le sang cognait à ses tempes. Deux pas encore, son cœur allait s'échapper de sa cage d'os et de chair, et battre moribond sur le sol froid pour l'amour d'un assassin Italien qu'elle n'avait su garder. Encore un pas, juste un, et elle se tenait là, frêle et pâle face aux deux ébènes. Alors seulement, elle avait relevé ses yeux vers ceux de Tyrraell, et il l'avait happée, l'assurant sans un mot de la loyauté de sa promesse, soufflant sur leurs différences, chassant d'un sourire le souvenir trop pesant qu'il devinait dans l'hésitation de ses manières. Elle lui sourit à son tour, sans même en avoir conscience. Adonc, il tourna vers Tigist un air résolu et canaille, et sa voix grave se heurta aux hautes voûtes qui en gardèrent jalousement l'écho.

- Bon, tu roupilles ou tu nous maries ?
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Tyrraell
Mariage il y avait eu. Promesse fut tenue. Tyrraell avait beau eu le dire et le répéter, personne ne l'eut cru avant que le vœux ne soit exécuté. Il l'avait dit maintes fois. Il avait prévenu. Il était homme de parole. Le père Loiselier s'y était cassé les dents. Il avait pris Tyr de haut. Il lui avait vendu, cédé sa fille pour une chèvre. Tyrraell avait taper dans sa main. Le marché fut conclu et l'homme blanc, le toubab, avait pris la fuite. Tyrraell avait sourit, vainqueur. Maigre victoire mais le guerrier n'en restait pas moins seul sur le champ de bataille.

Pour autant, Fanette n'y était pour rien et l'ivoire n'avait pas à subir le marché de l'ébène. Son père avait eu tort de croire qu'un marché n'en était pas un et qu'il pourrait s'éclipser avec sa part sans en payer les conséquences. C'était sans compter avec le maure. Avec ou sans, peu importait. Parole était d'honneur et le mutilé ne savait que trop bien ce qu'il en était de la sauvegarde des siens, fut-elle vaine.

La nuit de noce fut à l'image du guerrier. Elle fut rude et âpre. Le siège fut long. Tyrraell avait le temps. Il avait connu les geôles, la torture, les combats sanglants. Il n'était plus à quelques minutes près. Fanette devait être sienne, bon gré mal gré. Le bon était meilleur que le forcé. Alors il s'appliqua. Et il prit son temps. Il mesura chaque pouce de peau, chaque frisson, chaque soupir. Il étudia ce qui la faisait frémir et ce qui la faisait se raidir. Il ne laissa rien au hasard.

Tyrraell laissa Fanette aux bords du précipice. Il s'en détourna. LA lune était belle, pleine, gorgée du miel qui laissait aux hommes l'envie du devoir accompli. Il avisa la pointe tendu d'un sein. La courbe exsangue d'un rein. Le tremblement d'une main qui s'agrippe un peu trop fort contre un drap inerte.

Lorsque le corps de sa femme nouvelle se tendit il glissa vers l'avant. Peau à peau, coeur à coeur, corps à corps, les prémices d'une danse lascive et endiablée s'inscrivit dans les méandres d'un consentement tacite. Le mariage fut consommé dans l'union de deux corps alanguis et poussiéreux de pulsions passées inassouvies. LE cri de victoire fut commun, à l'unisson. Et l'union forcée devint remède à tous les non-dits. Point d'amour là. Il n'y eut que deux corps qui exultèrent d'une libération partagée. Il n'y eut qu'une mort, petite certes, mais qui confinait au suicide collectif.

Et le petit matin se leva sur une nuit trop courte pour être savourée. Nuit de noces, lune de miel aux saveurs sucrées-salées. Les deux inconnus étaient devenus un couple marié. Dorénavant, quoi ? Un regard, une parole, une douceur accordée. Un accord muet et une main ancrée contre le creux d'une alcôve nacrée. Deux bouches qui s'emmêlent. Deux corps qui s'attirent comme deux aimants contraires. Et vogue la galère.

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Nebulae
Matinée du 21 Juillet,

La porte cède dans un doux grincement, je m’éveille dans une pénombre d’or d’un soleil battant à travers les entremises de la petite fenêtre. Une Fanette toute brouillée par mes yeux encore collés s’avance lentement jusqu’à la fenêtre suivit de près par Tyrraell, il me semble encore plus grand maintenant que le monde se limite à cette chambre.

La lueur me brûle les yeux, moins que mon ventre mais suffisamment pour que je verse une petite larme, malgré moi, une chevalière ça ne doit pas pleurer, je m’ennuie, je veux sortir. Chaque jour je lui demande, chaque jour elle me sourit tendrement avant de décliner. Elle a un joli sourire Fanette, je l’aime beaucoup mon amie, j’aimerais qu’elle soit ma sœur et moi sa chevalière.

Fanette a raison mais je m’ennuie, je me lance, on ne sait jamais, j’ai envie de profiter, je m’ennuie, je peux marcher même si ça fait mal.

« Fanette, tu veux bien que je sorte aujourd’hui, s’il te plait ? »
« Tyrrael, dis je peux ? »


Fanette rit légèrement, Tyrrael sourit, j’ai perdu le fil du temps, c’est bien sûr, c’est maintenant qu’il me le rappelle, c’est le jour de leur mariage ! Je comprends mieux l’inquiétude sous le jolie sourire de ma Fanette et la lueur dans les yeux de Tyrrael, il semble bien plus vivant qu’à notre première rencontre.

« Aujourd’hui tu peux Nébi, mais Tyrrael prendra soin de t’accompagner jusqu’à l’église, tu es encore faible. »

Elle caresse ma joue, je frémis de joie, je suis tellement heureuse quand elle est là, quand ils sont là. Je finis par me redresser et m’assoir toute heureuse, les yeux pétillant de vie je ris légèrement en dégageant les derniers cheveux collés sur mon visage. Le petit déjeuner se passe tous ensembles, légèrement, dans cette lumière dorée, oui oui, je vais voir un mariage et ma Fanette sera plus jamais seule Tyrraell va prendre soin d’elle…

Mais je voulais la protéger.

Mes bandes tombent, ils prennent soin de mes mains, puis de mon ventre m’invitant finalement à enfiler ma jolie robe. Je ne fais pas prier,déjà à moitié nue, je me presse de faire tomber le reste. Je ris à nouveau malgré la douleur, j’aimerais tant sautiller que je me lève d’un bond pour commencer à enfiler ma robe.

Fanette et Tyrrael en duo m’aide à m’habiller, ils prennent grand soin de ne pas me faire du mal, alors même quand j’ai mal, je ris, je ne montre rien d’autre que la joie sincère d’être chouchoutée. Je les remercie, du fond du coeur et les Très Haut de me les avoir fait rencontrer.
Il me laisse dans le fauteuil, par la fenêtre grande ouverte, je regarde Siena pâturer tranquillement sous un tendre soleil, j’aimerais la rejoindre, courir avec elle elle, danser, chanter, chevaucher?…

Je veux faire du cheval!!! avec Siena, oui oui…

Revient vite Tyrrael, revient me chercher pour aller à l’église avec Fanette…

Jusqu’au soir

La journée s’égraine lentement, si lentement que je finis par m’assoupir jusqu’à ce qu’une jeune dame m’apporte un petit bol de soupe, me sortant dans un sommeil d’ange, fait d’or, de prés et de fleurs. J’étais si légère, je courais à travers les nuages, dessinais sur l’eau, avec Père Baptiste, il me manque. Je n’ai guère d’appétit, je n’aime pas manger seule, je veux courir, je me lève avec lenteur et marche jusqu’à la fenêtre pour m’y pencher, voir le soleil au firmament, sentir sa douce brûlure, m’imaginer jouer avec les gamins, gambader dans les champs, nager…
L’impatience et l’excitation de participer au mariage fait place à une profonde fatigue qui me force à retourner à mon fauteuil, abandonnant la soupe pour un sommeil troublé de quelques souvenirs épars.

Tyrraell a posé sa grande main aux doigts sacrifiés sur mon épaule, je sursaute, je frissonne avant de lui offrir un doux sourire.

« Ouiii, tu es venu me chercher »
« Oui oui oui… »


Mon visage se défait en un instant quand j’essaye de me lever et un peu honteuse, je lève mes prunelles dépareillées vers Tyrrael qui sourit grandement. Il m’explique de sa voix calme et posée qui contraste avec l’énergie bouillante que je peine à canaliser…

« Je vais y arriver!!! »
« Je suis chevalière, de l’ordre du râteau, j’arrive »
« Oui oui oui »


Nous rions, je grimace, il m'entraîne très lentement de la taverne à la clarté orangée d’un soleil qui part se reposer sous l’horizon. Je souris, je ne sens plus la douleur, je suis heureuse, mon visage se délave, mes yeux se chargent de larmes mais je suis heureuse, je marche dehors.

Qu’importe si je me traine, je suis heureuse, je vais assister au mariage de mes deux amis, ma famille rêvée, oui oui oui, je suis heureuse. De ruelles en ruelle, je me traine, accompagnée de mon guerrier heureux qui patiemment, calement, me soutient, m'empêche de tomber, fait toutes les pauses dont j’ai besoin sans rien me reprocher… juste souriant, paisiblement.

« L’église, oui oui… »

Il enfonce la porte, nous sommes les premiers, il m’installe au premier rang pour que je puisse tout voir je le remercie de tout mon coeur, les yeux brillants de joies et de quelques larmes issues de mon ventre.

« Merciiiiiiii »

Le mariage

Nous sommes très vite rejoint par Tigist qui porte de très joli habit, je la salue de grand geste fort douloureux et d’un chaleureux coucou qui résonne dans l'église et vient me saluer en retour.

« Coucou!!! tu es toutes jolie aussi, tu viens du pays du soleil »

Elle me sourit tendrement et me promet de m’expliquer après le mariage, elle est toute gentille aussi. Je me perds à contempler les cierges et les statues, je me sens à nouveau faible, j’ai peur de m’endormir, j’essaye de rien montrer, non non, je suis trop heureuse pour dormir.

L’arrivée de Fanette me fait sursauter, je me suis endormie, c’est pas bien, non non. Je crois que je n’ai jamais vu d’aussi jolie femme, je ne pensais pas que l’on pouvait être aussi jolie, je suis jalouuuuuuuuusssseeeeee! C’est mal mais oui oui oui, je veux être tout comme elle! C’est une vrai princesse.

Toute de blanc vêtue, toute gracieuse, elle semble être l’incarnation des muses qui font rêver les peintres de ma région. De la tête au pied, elle est d’or et de pureté, je ne sais plus quoi dire, j’ai envie de bondir et de l’enlacer, de toucher toutes les dorures qui brillants dans ses cheveux, le bleu des pierres me fascine, ses cheveux finement tressé lui donne l’allure des plus belles princesses…

« Whaaaaaaaaaa »

Je me mets ma main dans ma bouche et me cale sur mon siège, une odeur de mer m’envahi, je pourrais presque voir la mer. Je regarde, j’essaye de ne plus admirer ma jolie Fanette pour porter mon attention à l’homme qui s’est posé à côté de moi.

Il est vieux moins que Tyrraell, il porte un joli chapeau qu’il enlève respectueusement révélant une grosse tignasse qu’il pourrait rester comme moi. Il sourit à Fanette, elle semble heureuse de la voir, le guerrier aussi, c’est peut être lui son ami Ursicin. Je le vois enfin, il semble ici et ailleur paisible et torturé, j’ai envie de lui parler mais…

Je me sens mal, je me sens fatiguée, j’ai envie de dormir, ça lence dans mon ventre, j’aime ça, Nébulae a mal, Nébulae ne veut rien dire, Nébulae ne veut rien gâcher.

La cérémonie est belle, Tigist est radieuse, elle se tient avec une élégance rare, sa peau est si jolie tout comme ses yeux. J’ai le mal de mer, je prends appui malgré moi sur l’homme, il frémit puis me laisse faire….

Qu’ils sont tous beaux, qu’ils sont tous jolis et gentils, je veux être belle, je veux aussi un gentil époux, j’aimerais tellement pour être aussi belle. Moi aussi j’aurai très peur Fanette, j’ai très peur quand l’on me touche, j’ai peur d’avoir mal, j’ai peur de faire mal.

Vous êtes tous très jolis…

Très Haut bénissez les tous, regarde Père Baptiste comme ils sont beau, regarde maman, j’aimerais être une belle personne.

Je me sens partir…

Joli, joli

Le lendemain

Ursicin m’a ramenée, je m’en souviens vaguement, il était d’une délicatesse improbable pour un homme dont les yeux sont si tourmentés. Il m’a aidé à me changer, m’a apporté du lait avant de mettre au lit et d’attendre que je dorme pour quitter la chambre…

Nébulae était fatiguée, oui oui oui

Que de beaux souvenirs…
Lison_bruyere
Bilan, subst. Masc. : Inventaire général des éléments d'une situation.
Résultat d'une opération ou d'un projet.


Limoges, le 4 août 1467


La vie reprenait un cours normal à l'auberge du loup. Tigist était venue chercher ses enfants, le danger semblait s'être évaporé aux chaleurs de l'été. Il y avait quelque chose de rassurant dans la routine du quotidien, de ces habitudes que Fanette maîtrisait, et dans lesquelles elle savait ne rien avoir à craindre. Le rituel du matin était toujours le même et ses deux enfants en occupaient presque tout l'espace. Puis il y avait le marché, et l'aide qu'elle devait encore apporter à Nébulae pour sa toilette et sa vêture. La jeune fille, bien qu'encore faible, pouvait à présent se déplacer sans soutien et elle pourrait réintégré l'une des trois chambres de l'étage qui donnaient sur les pâturages, à l'arrière de la bâtisse.

Oui, la vie avait repris un cours normal, à un détail près qui brinquebalait la fauvette entre regrets et espérances. Tyrraell avait passé l'anneau d'or à son doigt presque deux semaines plus tôt. Elle ne savait dire si elle en était heureuse ou non. Sans doute ne le connaissait-elle pas encore assez pour savoir se réjouir ou se désespérer. Et pourtant, les corps s'étaient accordés aux mêmes soupirs quand les cœurs s'ignoraient encore. Les nuits s'épuisaient en voluptés lascives et passionnées, laissant aux jours les étreintes pressantes et abruptes. Fauvette ne s'y dérobait plus, oubliant toutes les fausses excuses dont elle s'était parée pour ne pas admettre qu'il puisse lui donner plus de plaisir que l'Italien.

Au-delà d'une complicité charnelle, l'ébène posait habilement les mots ou les regards. Il l'enrobait d'un geste, et commençait à apprivoiser ses autres réticences. Le masque farouche du balafré s'adoucissait d'une tendresse qui habillait son sourire et couvait dans l'éclat de son regard de nuit. Avec délicatesse, il laissait parfois courir la pulpe de ses doigts sur les souffrances violacées ancrées à la pâleur de la peau de sa jeune épouse, se les appropriant pour les lui rendre plus légères. Il lui promettait les voyages remisés pour devenir mère, jurait qu'elle ne serait plus jamais seule face aux dangers. Il s'employait à devenir pour elle époux, amant, soutien, protecteur, guide.

Alors, en ce temps bien trop court pour s'apprendre totalement, elle s'efforçait d’être en retour l'épouse obéissante qu'il avait demandée. Elle saisissait ses nuances, et se faisait silence quand l'ordre était impérieux. Tantôt, elle détaillait à son insu les sillons que l'âge et l’âpreté de sa vie avaient tracé à son visage d'ébène jusqu'à y découvrir sa beauté rude et fière. Elle se surprenait à le bousculer d'un coup d'épaule, à fleurir une question d'un sourire malicieux ou à glisser ses doigts dans sa main amputée, sans qu'il n'ait à venir la chercher.

Point d'amour, quand son cœur agonisait encore d'un autre, et pourtant, si elle doutait, ce que l'Abyssinien lui avait montré du mariage en deux semaines de temps suffisait à la faire pencher vers l'espérance plutôt que le regret.
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Lison_bruyere
Limoges, le 11 août 1467


- C'est un homme, 'Nette, le jour où les hommes s'ront comme nous ...
- Ce devait être un père.
- Aucun n'est prêt à assumer ses responsabilités. Aucun d'ce continent du moins.

Le constat était amer, aurait-elle dû s'en étonner ? Bien sûr, Roman avait passé un peu de temps avec ses enfants depuis son retour, mais il ne lui avait accordé aucune discussion. Fanette envisageait un départ prochain, et elle ne savait rien de ce que l'Italien prévoyait pour eux. Voudrait-il continuer à les voir, à faire partie de leur vie, ou bien disparaîtrait-il encore des lustres durant, sans prendre la peine de leur écrire. Espérait-il qu'elle prévoit quelques jours par mois où elle s'arrangerait pour qu'il puisse les trouver sans avoir à traverser la moitié du royaume ou comptait-il s'en remettre au hasard ? Allait-il s'impliquer dans leur éducation, apprendrait-il à Milo à devenir un homme, ou bien céderait-il ce rôle à Tyrraell ?

Milo et Stella n'étaient clairement pas la priorité du Corleone, c'est du moins ce qu'elle pensait, et ses questions resteraient sans réponse, puisque Lili venait de la prévenir qu'au soir même, il repartait avec elle et un petit groupe de cavaliers, vers Bordeaux. Quelques heures encore, elle avait espéré le revoir, mais quand elle avait bordé son fils à la nuit venue, elle s'était rendue à l'évidence. Il partirait sans même leur dire au revoir. Si elle avait su que Lili se trompait à cet instant, sans doute l'amertume n'aurait-elle pas empli ses yeux.

Elle avait une si piètre image des pères. Le sien l'avait abandonnée, prétextant encore des reproches qu'elle ne comprenait pas. Il n'avait plus donné signe de vie, depuis son départ précipité, au surlendemain de ses noces. Il n'avait pas non plus daigné répondre à sa lettre, ni même lui avouer qu'il avait liquidé ses terres à Limoges, sans doute dans le but de ne plus y revenir. Elle avait dû se faire à l'idée qu'il l'avait bel et bien laissée tomber, une fois de plus. Et à présent, elle imaginait que Roman allait se conduire de manière aussi désinvolte avec ses enfants. Elle s'en voulait malgré tout d'accorder encore à ces deux hommes si décevants du regret et de l'amour quand ils ne mériteraient que son indifférence, alors que dans la pièce voisine, un autre qu'eux promettait de prendre soin d'elle et de ses enfants.

Elle poussa la porte du bureau pour le rejoindre, se contraignant à lui offrir un sourire quand ses prunelles étaient encore délavées de chagrin. Son ton se voulait léger, se détournant encore de la résolution qu'elle venait de prendre, et qu'il lui coûtait d'avouer.

- Les enfants dorment toujours, tu ne les as pas entendus ?

Elle s'était immobilisée, tendant l'oreille vers la porte close au fond de la pièce, derrière laquelle Milo et Stella s'étaient endormis. Tyrraell savait lire au-delà des mots, et il lui suffisait de détailler son épouse pour comprendre que le sommeil des petits n'était pas sa seule préoccupation. Il secoua légèrement la tête, en s'avançant vers elle.

- Que se passe-t-il ?
- Elles partent ce soir. Roman les accompagne. Roman, il n'a même pas dit ce qu'il souhaitait pour ses enfants, à croire qu'il ne se préoccupe pas de pouvoir les voir encore à l'avenir.

L'homme balaya d'un revers la question de l'Italien.

- Qui ça elles ?
- Lili, Lenù, Tigist peut-être aussi.

Le regard de la fauvette venait d'accrocher celui de l'Africain, résolue à lui parler, mais, sans doute, toujours aussi peu à l'aise quand les mots lui semblaient importants, elle ne savait par où commencer. La perle d'ivoire plantée au coin de sa lèvre inférieure en témoignait. Alors, glissant une main à sa poitrine, elle le repoussa sur la chaise qu'il venait d'abandonner, puis, s'installa à califourchon sur ses genoux, en prenant soin de sa main libre, de ne laisser nul repli de tissu s'interposer sous elle. Le sombre étira un fin sourire, se pliant de bonne grâce à la volonté de son épouse. Ses deux mains s'aventurèrent à relever légèrement ses jupes pour remonter sur ses cuisses.

- Je peux te faire un aveu Bali ?
- Je t'écoute.
- C'est un peu difficile, alors, promets-moi de ne rien dire, et de m'écouter jusqu'au bout, d'accord ?

Son expression impassible renforçait la sévérité de ses traits, accentuée encore par la cicatrice qui soulignait son œil gauche.

- Bien, dis-moi.

Elle inspira, se demandant encore s'il y avait un bon moyen d'annoncer à un époux que son cœur était épris d'un autre. Avait-elle l'illusion qu'il l'ignorait encore ?

- Je lui en veux d'avoir été si faible et de se draper d'un tel mépris pour moi quand il m'a trop souvent laissé affronter seule tant d'épreuves. Jusqu'à ce baiser que j'ai eu tort de donner, je le reconnais, mais jusque-là, je m'étais efforcée d'être une épouse conciliante et compréhensive. J'ai accepté chacun de ses voyages, même quand il refusait de me dire où il allait et combien de temps il partait. J'ai supporté la morgue de son père, de son frère et de ses cousines sans qu'une fois il ne prenne ma défense. Et je le vois ne poser aucune question sur ses enfants, ce qu'il souhaite pour eux, comment il compte les voir.

L'Africain l'écoutait d'un air grave, tandis que la fauvette, minuscule à ses genoux s'interrompait, sondant le regard de nuit en cherchant à deviner quelles pouvaient être ses pensées. Ses mains s'affairaient sur la boucle de son ceinturon, qu'elle ne tarda pas à faire tomber au sol. Puis, dextrement, ses doigts dénouèrent le cordon de ses braies, avant de remonter sur le lacet de sa chemise, dont elle écarta les pans pour glisser à son torse ses deux mains fines dont la pâleur contrastait avec la teinte sombre de sa peau. Elle prit une longue inspiration.

- Je ne suis qu'une idiote car malgré tout Bali, mon cœur n'arrive toujours pas à se défaire tout à fait de lui quand c'est toi pourtant que je devrais aimer, que je voudrais aimer.

Elle se pressa contre lui, et, craignant sa réaction, remonta son index pour contraindre ses lèvres à rester closes. Elle le remplaça par sa bouche, coulant à la sienne un baiser, alors que sa langue audacieuse cherchait sa jumelle. Ses bras vinrent se nouer à son cou. Elle se laissa bercer à la langueur de ce tendre effleurement, sans doute tout autant que lui, dont elle pouvait sentir le désir se faire plus pressant. Elle se recula. Leurs yeux s'entremêlaient toujours quand il essuya du pouce la larme qui roulait à la joue de son épouse.

- Bali ...

L'Angevine, encouragée par le sourire à peine ébauché aux lèvres de l'Africain, dénoua le ruban de son corsage, et celui de sa chainse. D'un geste habile, elle fit glisser l'encolure suffisamment échancrée le long de ses épaules, lui dévoilant ses seins blancs, pointant avec toute l'arrogance de ses dix-neuf ans. Sa pose impudique s'accommodait pourtant de la candeur que révélaient toujours ses traits juvéniles, sans doute accentués par les taches de son qui constellaient ses pommettes et l'arête fine de son nez. Elle se coula de nouveau à son regard de nuit, s'en remettant tout entière à lui.

- Aime-moi, embrasse-moi, caresse-moi, griffe-moi. Mords-moi si tu veux mais je t'en prie Bali, efface à jamais de ma chair le souvenir de ses lèvres, de ses mains et de son vit.

Lentement, sa main se posa à son ventre.

- Je veux être tienne, pas seulement dans mon ventre, mais dans mes pensées, et à mon cœur.

Elle accompagna sa phrase du geste, et, tout aussi lentement, sa main se porta à son front et à l'endroit où son émoi palpitait subitement avec autant de crainte que d'espoir. C'était son vœu et il était sincère. A cet homme qu'elle connaissait à peine, accusant plus d'âge et de souffrances qu'elle, elle s'offrait, pour ne plus jamais pleurer l'égoïsme de son père, ou l'intransigeance du Corleone.
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Lison_bruyere
Polygamie, subst. Fém. : Système social dans lequel une personne
peut contracter simultanément plusieurs unions légitimes.


Limoges, le 17 août 1467.


- Je t'aime.

Elle n'avait répondu que d'un gémissement, tendant son corps vers lui quand il se l'appropriait encore. Les mots cependant faisaient leur chemin dans l'esprit désemparé de la fauvette. Ils étaient faciles à murmurer au creux d'une oreille quand les sens se gorgeaient de parfums et de chair. Sincères ou non, elle l'ignorait, mais ils lui avaient fait du bien, comme la conclusion rassurante des heures précédentes.

La veille, Tyrraell l'avait précipitée dans l'abîme qui séparait leurs cultures, pour deux mots de trop.

- Bali, non !

Le ton était sans doute plus suppliant qu'impératif mais il avait fait perdre la face à l'Africain. Le rire qui avait alors parcouru la petite assemblée, persuadée que Fanette aurait le dernier mot, avait suffi à attiser la colère de son époux. Le couperet était tombé quand ils s'étaient retrouvés seuls quelques instants plus tard. Puisque Lucile semblait prête à tout pour partager la couche de la blondine, y compris subir les assauts de son mari, il en serait ainsi. Il n'était plus question de laisser le choix à la fauvette, il la prendrait elle aussi pour femme, et l'albâtre n'aurait plus qu'à épouser les usages du pays lointain de l'ébène et s'en satisfaire.

Il lui avait offert l'image même de l'inflexibilité en la congédiant pour retourner, agacé, à ses occupations. Le visage sévère, le regard noir, les bras fermement croisés sur sa décision, sa silhouette massive, redressée de toute sa hauteur face à ses doutes paraissait plus grande encore. Le chagrin, la déception et la crainte avaient tracé leur chemin en sillons de sel aux joues piqués de son. Les femmes avaient fait bloc autour d'elle, chacune avec sa compassion, sa révolte, ses conseils, quand Fanette échafaudait des plans pour faire fléchir la détermination de l'époux. Tigist s'était insurgée qu'elle puisse songer à lui offrir l'enfant qu'il attendait pour peu qu'il renonce à lui imposer autre compagne.

- Accepte la deuxième épouse, qu'elle joue sa vie, mais pas toi. Je leur dirais quoi moi ?

Du menton, elle avait désigné les bambins qui jouaient, indifférents aux tourments des adultes. Malgré tout la jeune mère s'entêtait. Elle n'était pas amoureuse, et rien n'aurait pu l'attirer chez l'homme qui l'avait prise pour femme à la suite d'une négociation ridicule dont son père se défendait à présent. Et pourtant, l'idée de l'imaginer dans les bras d'une autre lui était tout aussi insupportable, sinon plus, que de s'imaginer s'abandonner à la tendresse de Lucile. Peut-être n'était-elle pas prête encore à comprendre ce qui se jouait aux méandres de sentiments trop confus.

Au jour présent, il s'était adouci. Il ne regrettait rien de ce qu'il avait dit, car elle l'avait mise en difficulté, mais les paroles qu'il avaient prononcées ensuite avait gonflé d'espérance le cœur de Fanette. Il avait renoncé à la contraindre à une union à laquelle elle n'était nullement préparée, pour elle, et aussi, parce qu'elle était contraire à l'idée qu'il se faisait de cette polygamie à laquelle il avait déjà goûté, dans une autre vie, quand il était encore l'homme de confiance du père de Tigist.

- Je t'ai fait une promesse, tu te souviens ? Comment parviendrais-je à la tenir si je dois te partager ? Un jour, je veux t'aimer Bali, sincèrement, mais j'aimerai avoir l'illusion que tu m'aimes en retour.
- Tu as plus qu'une illusion, je tiens vraiment à toi. C'est pourquoi je te le dis, ce sera toujours ton choix. Même dans mon pays, ce n'est pas unilatéral. Unir une seconde femme à notre couple est une décision importante qui doit faire l'unanimité, rien de moins. Ce n'est pas de l'esclavage. La seule vraie différence, c'est que chez moi, c'est un fait plus commun qu'ici.

Le soulagement s'était échappé dans un soupir, rafistolant la foi qu'il avait ébranlée pour la première fois. Les bras du sombre s'étaient refermés sur la pâle.

- Je te laisse gérer le sujet de Lucile. Fais comme bon te semble, pour nous, et pour tes enfants qui font partie de notre famille.

Elle s'était lovée contre son cœur, accrochant un regard reconnaissant à celui dont il la couvait.

- Un jour, je t'en donnerai.
- Et moi, je tâcherai d'être moins intransigeant malgré mes agacements.

Les mots cédaient place aux corps. Et si le murmure de Tyrraell à son oreille s'était égaré au dédale de sentiments qu'elle peinait à maîtriser, elle retrouverait confiance aux souffles et aux jouissances qu'ils s'accordaient dans la moiteur de ce matin d'été.
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Tyrraell
Sur les Routes, le 21 août 1467



Le fleuve tranquille de la vie s'écoulait au rythme saccadé d'un torrent qui tentait vainement de ne pas sombrer dans les méandres d'une cascade vertigineuse. Tout aurait pu être très simple. Tout aurait dû être très simple. Les choses se déroulent rarement comme on le prévoit.

Limoges n'avait pas aidé. Ce qui n'avait été qu'une sorte de pari raté, de marchandage de tapis s'était rapidement transformé en pseudo-affaire d'Etat. Un père qui se dédit. Un entourage qui semble ne pas porter dans son coeur les couleurs de peau un peu trop sombre. Les doutes d'une femme. Les certitudes d'un homme. La lassitude.

Le voyage n'avait pas pris de temps à se mettre en place, à être envisagé. LEs baluchons et la charrette furent rapidement mis en branle et les bottes rebondirent mollement sur le sol terreux de chemins de traverse qui guidaient vers les buissons d'une vie délaissée. Là encore, rien n'avait été fait comme les prévisions le stipulaient. Un ex-mari, un soupirante éconduit et un couple de tourtereaux à l'appétit d'amour aussi vif que la timidité était paralysante. A tout ce petit monde hétéroclite s'ajoutaient deux en bas âge et le couple bigarré en goguette.

Ce soir-là, Fanette annonça d'une voix presque laconique que cela faisait un mois.


- Un mois ?
- Un mois.


Un mois. La question, l'énigme, trouva sa réponse dans les sous-entendus diplomates d'une femme qui ne semblait pas prête à annoncer clairement les choses à son mari. Un éclair fulgurant passa devant les yeux de l'ébène. Un mois. Oui. Un mois de mariage, déjà.

Réjouit par le couteau offert par son épouse et passablement gêné par son oubli somme toute très masculin, Tyrraell piocha dans son barda et en extirpa une petite flûte origine des plateaux d'Afrique. Le bois noir laissait voir les trois trous qui le perçait en queue d'instrument. Ce vague souvenir d'une vie lointaine sortait des âges sombres d'une mémoire encore vivace malgré la distance d'espace et de temps.


- Je l'ai faite moi-même, il y a de nombreuses années.

Il n'était en réalité qu'un enfant qui venait de gagner les rangs de l'armée royale. Il était plus jeune qu'il n'aurait dû l'être. Cette flûte représentait le début d'une nouvelle vie d'adulte et la fin de l'innocence infantile. C'était le cadeau idéal.
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Lison_bruyere
Jamais Fanette n'avait vu bois aussi noir, plus encore que la peau sombre de son époux. La flûte était très fine, longue d'un empan, peut-être plus. Le bois s'était patiné avec les années. Elle y glissa la pulpe de ses doigts pour en apprécier la douceur, puis posa son regard de noisette dans celui de Tyrraell.

- Je n'sais pas quoi dire Bali. C'est … c'est un cadeau si particulier.

L'émotion était palpable, tant elle était touchée qu'il lui confie un souvenir de son autre vie. Il lui semblait qu'il n'en avait que peu. Les objets étaient importants pour Fanette. Dans ses premières années d'errance, ils avaient été son unique richesse, des petits bouts de sentiments qu'elle gardait précieusement dans sa besace et auxquels elle se réconfortait quand la faim tenaillait son ventre ou que le froid se faisait trop mordant. Elle s'agenouilla dans l'herbe, et ses lippes cajoleuses vinrent se fondre à la bouche de l'Africain, appelant à d'autres voyages. Pourtant elle se recula sagement, attardant une main à sa joue sans jamais se détacher de son regard de nuit.

- Elle sera tout aussi précieuse que l'anneau que tu as passé à mon doigt le mois dernier.

Si l'Abyssinien l'intimidait encore parfois, il avait su induire une proximité des corps qui ne la gênait plus guère. Elle s'allongea sur le dos dans l'herbe jaunie aux chaleurs de l'été, appuyant naturellement sa tête à la cuisse de son époux. Dextre tenait toujours la flûte, mais senestre chercha sa main amputée. Elle la porta à ses lèvres avant de la poser à sa poitrine. Elle couvrait entièrement un sein, et ses doigts clairs par-dessus ne parvenaient à la dissimuler. Elle la caressait, tout autant qu'elle se plaisait à sa caresse. Du bout du pouce, elle parcourut l'intervalle de chair où manquaient l'index et le majeur.

- Bali, sais-tu encore en jouer malgré ta main ?

La question était posée avec toute la candeur dont elle savait faire preuve. Dans son esprit un peu trop romanesque, la fauvette attribuait du pouvoir à la musique. Après tout, elle s'était bien éprise d'un trobar en écoutant jouer ses notes, quand bien même était-il mort trois siècles plus tôt. Alors, elle imaginait que le petit instrument de bois lui conterait l'homme que Tyrraell était, avant qu'il ne se perde aux chemins du royaume de France. Ce soir, elle voulait le connaître un peu mieux, peut-être pour comprendre aussi pourquoi, par ce simple geste, il avait fait tomber une pierre au rempart qu'elle voulait maintenir autour de son cœur.
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