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[RP] Qu'est-ce qu'on peut bien (re)faire après ça ?

Eirik_gjermund


Eirik s'était assis en tailleur, la couverture sur ses jambes et ses pieds. Assis de façon à voir Fanette sans lui donner un tour de cou.

La terre des héros, c'est un titre prometteur, qui inspire l'aventure et l'audace. Mais attendez Eirik, vous avez dit « runes » ? Ce mot signifie chant ?
Les runes sont un alphabet. On les parle, on les chante.
Quand j'ai mis mon fils au monde, la princesse de mon conte m'a donné une petite pièce de bois. (.....) Elle appelait cela une rune, elle disait que c'était pour nous protéger. (.....) Ou une rune peut être à la fois un chant et un objet ?
Non, une rune n'est pas un objet en soi. Comme c'est un alphabet que l'on grave, une petite pierre peut être appelée "rune". Quant à la protection... C'est de la superstition. Un porte-bonheur peut bien être une touffe d'herbe arrachée au lieu de son premier rendez-vous. On voit l'importance où bon nous semble.


Eirik but de longues gorgées et s'essuya barbe et bouche d'un revers. Il ferma les yeux un instant. La froideur de cette nuit sans vent. La forêt était presque silencieuse. Pas un oiseau ne chantait à cette heure, dans ce froid. Le feu crépitait et il voyait les flammes danser derrière ses paupières closes. Il entendait les quatre êtres respirer, sauf Hunt, qui devait dormir plus loin.
Eirik pensa à ses pays, surtout à celui de sa mère, la Finlande. Tout au Nord du pays... Il trouva son rythme. Des battements de cœur puissants et vibrants.
Il ouvrit lentement les paupières après les cinq secondes où il les avait fermées.


Au commencement du monde, il n'y avait ni soleil, ni lune, ni étoiles, ni terre. Juste la mer, immense. La Déesse de la Nature et Fille de l'Air, nommée Luonnotar, s’ennuyait.
Un aigle immense vint du ciel et se posa sur elle. Il pondit sur elle six œufs d'or et un de fer.
La chaleur de l'aigle en train de couver dérangeait Luonnotar. C'était si chaud... Trop chaud. Le quatrième jour, la Déesse bougea. Les œufs roulèrent les uns contre les autres et se brisèrent.

Eirik fit une petite pause. Il était très loin de l'histoire qu'il voulait raconter mais pour comprendre le Joukahainen de l'histoire, il fallait parler du héros. Donc de la création même qu'était ce héros.
L'aigle, d'un cri, s'envola.
Une chose merveilleuse arriva alors dans l'immense univers...
Dit-il d'un ton plus léger.

La coquille des œufs s'élargit, s'étendit et forma la voûte du ciel et la surface courbe de la terre.
Les jaunes d’œufs formèrent les astres ; le soleil, la lune, les étoiles. Les fragments de l’œuf de fer se changèrent en nuages et coururent sur la mer.
Des années passèrent... La Déesse s'ennuyait à nouveau. Le monde lui semblait uniforme et plat. Alors elle forma de ses doigts les golfes et les baies. De ses pieds, les montagnes et les vallées. Ses cheveux posés contre la terre dessinèrent des lacs, des fleuves, des cascades. Et là où Luonnotar avait marché, on vit surgir une guirlande d'îles brunes.
Ainsi naquit la Finlande, l'étrange terre aux quarante milles yeux d'azur, couronnée d'îles et de rochers.


Eirik eut un sourire mental. Son pays. Il tenait cette très longue histoire de sa grand-mère maternelle. Il avait passé tant de jours sombres - les mois de nuit - à écouter cette Odyssée... Il était surpris de si bien s'en souvenir.

Cent années passèrent encore, et Luonnotar se sentait très seule.
Alors elle créa un humain. Wäinamönen. C'était son nom. Mais nous diront Wäino. Il naquit adulte. Il erra longtemps sur les vagues et lorsqu'il toucha terre, il était déjà vieux. Il connaissait les ressources de la magie et vit une terre morte. Wäno eut pitié et chanta des formules et fit descendre des cieux Sampsa, Dieu des semences.
Alors la terre devint plus riche ; arbres, buissons, fleurs, herbes. Il y avait de la vie.

Eirik s'arrêta. Comme s'il avait terminé.
Ses yeux de glace étincelaient au feu, si bien qu'ils semblaient gris. Ou peut-être blancs ? Il se lissa la barbiche, sentent les bagues runiques terminant les deux tresses de sa barbe. Lui portaient-elles bonheur ?

Eirik regarda Fanette.

C'était la première partie de mon histoire. La naissance de la vie, du pays et du héros.
Eirik but et commença la seconde partie. Il en aimait l'introduction, qui rendait un visage méconnu du pays de sa mère.


Il y a, au nord de la Finlande, une terre beaucoup plus glaciale et déserte, habitée par les Lapons. Ils creusent leurs maisons dans la neige, vivent de chasse et de pêche. Ils élèvent des rennes, qui leur servent à tout.
Aujourd'hui, ce pays ne fait qu'un avec la Finlande. Les Finnois grands et blonds protègent les Lapons petits, trapus et bruns.

La mère d'Eirik était à moitié Lapone. Il resservit Fanny et lui-même puis étendit ses jambes ankylosées.
La suite...

La renommée de Wäino, le Sage et grand Poète arriva jusqu'en Laponie. Un jeune Samì - autre nom de hommes bruns du nord - entendit parler du Sorcier et vint trouver sa mère.
Il s'appelait.. Joukahainen. Dit aussi Guikainen, selon les conteurs.

Eirik sourit. Fanette était éveillée... Elle écoutait toujours.
Eirik ne savait pas faire les vois et les tons aussi bien qu'elle... Il ferai de son mieux et penserait à sa grand-mère. Qui fredonnait en tout temps.


Ainsi donc, Joukahainen vint trouver sa mère et lui ordonna de préparer ses habits de fête, son plus beau traîneau et le cheval le plus rapide afin d'aller en Finlande.
- Pourquoi ? Demanda-t-elle.
- Je veux voir le vieux Wäino et lui lancer un défi ! Il ne peut pas être meilleur que moi ! S'était exclamé le jeune-homme, arrogant comme tant de gens de son âge.
- Prends garde, mon fils !

Rendre les voix vivantes n'était pas dans la nature du rude homme du Nord. Son plus jeune frère y excellait, lui. Eirik faisait des efforts sans trop y penser.

- Wäino est vieux et sage et il en sait long de la vie ! Il te vaincra par son art magique et jamais tu ne reviendras.

Alors Joukahainen s'adressa à son père, qui lui fit la même réponse. Le jeune entêté n'écouta personne et partit. Il faisait voler son traîneau sur la glace, soulevant des gerbes de neige.

Le quatrième jour, le mauvais fils aperçu le vieux mage et fouetta son cheval, se ruant sur le vieil homme avec fureur.
- Qui est-tu, toi qui passes avec une telle furie que tu as brisé mon traîneau ?
- Je suis Joukahainen, le jeune Lapon.
- Alors cède-moi la place, car je suis plus âgé, dit Wäino.
- Il ne s'agit pas de vieillesse ou de jeunesse ! Tu es Wäino, je suis venu de Laponie te défier et te battre ! Tu ne me vaincras pas, vieil imbécile !
Conta Eirik.

Il s'agissait d'un combat de poésie et de chant. Malgré toutes les années de Wäino, Joukahainen se pensait meilleur que lui.
L'arrogant jeune Lapon chanta la vie de chez lui et le vieux Mage se moqua. Agacé, Jouk chanta encore et se vanta de choses impossibles, et Wäino se moqua encore du jeune sot.
- Si les chants ne te suffisent pas, je te battrait à l'épée !
Le Sorcier refusa car, dit-il, il ne voulait pas lui faire de mal. Joukahainen se perdit en menaces, criant, rouge de colère.
Puis Wäinämönen perdit patience.

Encore, Eirik s'arrêta.
Le vieux Sorcier se mit alors à chanter sa magie d'une voix haute et puissante. Le sol s’entrouvrit sous le jeune Lapon terrifié qui demanda grâce en proposant toute ses possessions à Wäino.
Des armes ? Il n'en voulait pas. De l'or ? Non plus.
Alors Joukahainen offrit sa jeune sœur au Mage. Aïno, sage et belle. Wäinämönen fut satisfait et accepta. Il se sentait vieux et seul.

A cinq jours de là, Aïno tressait ses fins cheveux noirs en pensant à son frère. Alors elle le vit arriver ! Elle cria de joie et appela père et mère. Mais le visage de Joukahainen était empli de larmes amères.
- Je pleure car je suis un mauvais fils et un mauvais frère. Le sage m'a vaincu et je lui ai vendu Aïno pour épouse afin de vivre.
La jeune-fille sanglotait. Elle pleura nuit et jour.

En cherchant du bois, Aïno entendit la voix de Wäino l'enjoignant de revêtir sa robe d'épousée. Aïno rentra chez elle en courant et raconta cela à sa mère qui lui ordonna d'obéir. La fillette mit donc sa robe d'épousée... Elle ne voulait pas épouser ce vieillard !


Après ce long paragraphe, Eirik but à nouveau. Son histoire, qui n'était qu'un infime chapitre, allait sur sa fin.

Aïno se sauva et arriva près d'un lac où elle s'endormit, épuisée.
Au matin, elle ôta son voile d'épousée et entra dans l'eau...
- Que jamais mon père ne pêche dans ce lac, que jamais ma mère y puise l'eau. Dans chaque goutte de ce lac il y aura mon sang.
Ainsi parla Aïno en mourant...
Un lièvre la vit et s'en alla rapporter la mort de la fillette à la famille de celle-ci, qui s'effondra de chagrin. Wäino aussi était très triste.

Il se précipita près du lac et y jeta un filet. Seul un petit poisson doré s'y était pris les écailles. Le Sage prit son couteau pour l'ouvrir mais le poisson s’échappa.
- Je n'étais pas né pour que tu m'éventres ! Dit le poisson.
- Et pourquoi donc était tu né ?
- Je suis la petite Aïno, ta petite épouse, et tu m'as perdu deux fois.
Et le poisson-fille disparut pour toujours...


Eirik souffla un coup.
Tout le monde pleurait Aïno. Sa mère s'en voulait et se désolait d'avoir promis sa fille à un homme dont elle ne voulait pas. Elle versait des larmes sans fin. Et ces larmes formèrent trois fleuves et les fleuves trois cascades et au milieu des cascades trois îles avec trois montagnes d'or. Et sur chaque montagne il y avait un bouleau et sur chaque bouleau un coucou qui chante.

Le premier coucou chante un chant d'amour, le second un chant de regret, le troisième un chant de douleur.
Le chant d'amour est pour la petite Aïno, l'épouse qui n'a pas connu l'amour. Le chant de regret est pour le vieux Wäino, qui a perdu sa jeune épouse et l'appelle en vain sur les rives du lac.
Le chant de douleur est pour la vieille mère, qui pleure sur son seuil des larmes sans fin et nourrit de ses pleurs les fleuves et la cascades.


C'était le ton de la fin et il le fit comprendre à Fanette. Il se garda de tout commentaire pour ne pas interférer avec ceux de sa compagne.



* Histoire tirée du Kalevala

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Sa langue natale
Lison_bruyere
«C’est de la superstition,» affirmait Eirik. La rune avait-elle joué son rôle de protection ? Ou bien étaient-ce simplement les compétences conjuguées de la matrone qui avaient rendu le souffle au nouveau-né grisâtre qu’elle avait mis au monde, et celle du médecin italien qu’elle avait fait quérir pour sauver son épouse quand elle était déjà bien trop occupée avec l’enfant sans vie. Comment aurait-elle pu le savoir ? Dans le doute, elle avait tenu la rune dans sa main, ainsi que le béryl que lui avait remis Faust Nicolas dans le même but, tout au long de son second accouchement qui du reste, s’était bien mieux passé que le premier. Mais là encore, le devait-elle à ce talisman supplémentaire, ou bien était-ce simplement parce qu’elle avait donné le jour à un petit avorton d’à peine quatre livres qui s’était frayé un chemin bien plus facilement que ne l’avait fait son aîné un an plus tôt.
Quoi qu’il en soit, Fanette était superstitieuse. Elle croyait aux charmognes, aux punitions divines, elle qui en maintes occasions avait offensé le Très-Haut, et l’offensait encore dans la défiance qu’elle avait de lui.

Son esprit cessa de vagabonder à l’instant où il entama son récit. Si elle couvait d’un regard attentif le conteur, ses lèvres se relevaient parfois en un sourire, tour à tour émerveillé ou surpris. Derrière ses yeux s’animait la coquille. Elle la voyait s’élargir et se courber, se piquer d’étoiles, tout autant qu’elle imaginait les nuages se former sur la surface courbe des eaux. Elle aima la façon dont la déesse façonna le monde, et songea, à une plus petite échelle aux reliefs laissés par les empreintes d’animaux sauvages aux terres meubles. Sans doute pour les minuscules insectes, la trace profonde d’un ours pouvait sembler être des collines, des vallées, un pays…

Sa bouche s’arrondit de surprise quand il évoqua la naissance de Wäino, et plus encore quand il parla du chant, qui la ramena à un souvenir plus ancien. Elle se demanda s’il connaissait cet autre conte qui évoquait une musique pour créer et enrichir un autre monde. Elle saisit son regard si clair qu’il semblait presque transparent, à l’image des glaciers qui se teintaient à peine de bleu dans leurs profondeurs. Elle lui sourit, silencieuse encore, sachant bien qu’il n’en était là qu’au début de son histoire, puisqu’il n’avait pas encore évoqué Jouk.

Mais voilà que le long prénom prenait vie aux lèvres du Nordique. Elle ne s’étonna guère de l’impétuosité et de l’arrogance du Samì. C’était sans doute un trait fréquent chez les jeunes hommes, et parfois chez les plus âgés aussi. Elle l’avait expérimenté en aimant un Corleone qui, comme tous les mâles de sa famille, était passablement arrogant et prétentieux. L’impudence de Jouk était encore au-delà malgré tout. Il s’était affranchi des sages conseils des anciens.

Fanette était suspendue au récit d’Eirik, tout à la fois impatiente de connaître le dénouement de l’histoire et souhaitant pourtant que le conte s’étire, tant elle se plaisait à l’écouter. Son visage imprima une petite moue témoignant des contradictions qui se jouaient. Elle était satisfaite de la leçon bien méritée que Wäino donna au jeune homme, mais elle regrettait sa défaite, à cause du prix qui en serait payé.

Elle se revit, à l'été précédent, dans la robe blanche traditionnelle confectionnée par l’Abyssinienne, le netsela multicolore noué sous sa poitrine, et ses boucles dorées rassemblées en tresses fines, constellées de perles de cuivre. Elle avait bien failli rebrousser chemin si le bras de son père n’était venu se nouer au sien pour la conduire à l’Africain de deux fois son âge, auquel il l’avait donné en secondes noces. Elle ne pouvait ressentir qu’une profonde empathie pour la malheureuse Aïno, et s’émut, tant de son triste sort que du courage dont elle avait fait preuve pour s’opposer à la vie qu’on lui destinait.

Elle se questionna sur le chagrin de Wäino. Aurait-il été un bon époux ? Elle songea à Tyrraell et au choix que son père avait fait pour elle. Elle s’était crue sincèrement capable d’aimer un jour son époux, malgré son âge et la rudesse de son aspect, mais elle le craignait trop à présent pour que cela soit possible. A l’image d’Aïno, elle avait trouvé son salut dans la fuite, mais ne se résoudrait jamais à mourir pour lui échapper.

L’histoire s’achevait presque comme elle avait commencé, sur des chants qui embellissaient le monde.
 
– De belles choses naissent parfois des chagrins les plus tragiques, souffla-t-elle, presque pour elle-même. La jeune femme égara un instant ses yeux sur les flammes, reprenant doucement contact avec la réalité avant de relever vers Eirik un minois sans doute encore un peu teinté de mélancolie. Elle lui sourit néanmoins.

– C’est une si belle et si triste histoire Eirik. Une femme paye l’inconséquence d’un homme, c’est sans doute banal, mais, ça m’a touché. 

Son regard se fit plus interrogateur.

– Savez-vous pourquoi on vous a donné précisément le prénom de ce personnage ? Celui de Wäimo est sans doute bien plus glorieux que celui de ce jeune insolent. Il semble si mal vous aller.

Elle lui laissa le temps de répondre avant de poser une autre question.

– Avez-vous entendu parler de l'Ainulindalë* ? Le début de votre conte m'y a fait penser. Je ne sais pas trop de quel pays cette légende vient. Elle fait partie des nombreuses histoires que me disait la vieille Messonier quand j'étais petite. C'est un chant aussi, celui d'Ilúvatar, l'être unique, qui était déjà là quand rien n'existait. Il le chanta avec les Ainur, qu'il avait fait naître de sa pensée, et de ce chant naquit une vision, celle d'une sphère suspendue dans le vide, à laquelle Ilúvatar donna vie ensuite, pour que ce monde accueille ses enfants.

La nuit avançait, et la fatigue des jours passés pesaient aux épaules frêles de la fauvette. Elle écouta Eirik lui répondre, mais bientôt, ses paupières trop lourdes éteignirent son regard. D’un mouvement sans doute inconscient, elle se recroquevilla, remontant un peu plus haut encore la couverture épaisse qui l’enveloppait. Elle avait cette sensation paisible de flotter entre deux mondes, bercée des bruits rassurant du bivouac. Elle sentit Huan se rapprocher et appuyer sa lourde tête dans le pli de ses genoux. Le feu crépitait, ses flammes tenaient éloignées les ténèbres, et repoussaient le froid glacial.

Elle percevait un chant et en écouta les harmonies, tantôt gaies et légères, tantôt graves et profondes. Le ciel était couvert mais il n’était en rien menaçant, offrant un rempart cotonneux aux lumières célestes. Le pépiement des oiseaux retentit de nouveau dans les buissons proches. Elle était bien trop fatiguée pour s’en étonner. Le bruissement des feuillages dodelinant dans le vent s’ajoutait à la mélodie de la voix mêlée de nature. Mais soudain, la ballade se fit plus abrupte, retentissant de notes métalliques et inquiétantes. La voix gronda, et le sol s’ouvrit devant elle, y précipitant le feu bienveillant, les chiens, Eirik et Joukahainen. Dans l’abîme qui les ensevelit, elle distingua le visage balafré de son époux. Ses traits reflétaient la colère. Il lui étira un rictus mauvais en s’emparant des deux minis Corleone qu’il emportait sous ses bras, comme on se chargerait d’une bûche avant de la jeter au feu, puis, lui tourna le dos pour s’éloigner.
Elle se redressa vivement en hurlant pour attirer son attention. Elle envoya valser la couverture qui l’entravait d’un geste leste et saisit une pierre. Son cœur battait la chamade. Une rivière tumultueuse s'enroulait à ses chevilles, cherchant à l'attirer dans la profondeur de ses eaux. Elle en sentait déjà l'étreinte glacée et se mit à grelotter. Elle poussa sur ses jambes pour reculer d’une bonne toise. A côté d'elle, un chien grogna sourdement. Le sol semblait s’être refermé sur ses enfants. Toujours assise, le bras menaçant, elle fixait les flammes d'un air hagard.


* Méga anachronisme parfaitement assumé, l'Ainulindalë ne naîtra que bien plus tard dans l'imagination de Tolkien (le silmarillion).

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Eirik_gjermund


Eirik avait vu les diverses réactions de Fanette à son récit. C'était la deuxième fois qu'il le contait.
L'histoire de Fanette se terminait sur une note gaie. Pas celle d'Eirik. Il y avait de l'amour dans l'une et l'autre mais, à son sens, son chapitre concernait plus le mythe et la bêtise que les émois amoureux. Loin de là.
Eirik avait beaucoup aimé l'histoire de la Fauvette... La Fanette avait un vrai talent.

A la fin, Eirik but et tisonna le feu.

C’est une si belle et si triste histoire Eirik. Une femme paye l’inconséquence d’un homme, c’est sans doute banal, mais, ça m’a touché.
C'est souvent comme ça. Partout dans le monde. C'est banal...
La femme obéit à ses parents puis à son époux. Elle peut commander ses serviteurs si elle est riche.
L'homme obéit à ses parents, enfant, puis aux hommes plus importants et il commande à sa femme et à ses enfants. La parole d'un mâle prédominera toujours, c'est ainsi.

Le Nordique avait retrouvé sa voix monocorde habituelle. Une petite faim le prit. Il se leva et alla piocher au fond de la petite marmite-poêle. Hund leva la tête, puis le corps.
Hääärrr !
Le chien-ours se coucha, déçu. Eirik revint s'asseoir auprès de Hund en lui jetant un regard noir. Le canidé s'éloigna, soulevant sa masse de muscles et de poils pour se coucher près de Huan, pris en sandwich entre sa maîtresse et lui.

Savez-vous pourquoi on vous a donné précisément le prénom de ce personnage ? Celui de Wäimo est sans doute bien plus glorieux que celui de ce jeune insolent. Il semble si mal vous aller.
Une question inévitable. Toujours pénible. Porter un tel nom était bien étrange.
Ma mère était très jeune à ma naissance. Mon père était parti pêcher sur la glace. La mère de ma mère était aussi absente car son mari, mon grand-père était malade.
Je suis né en Norvège. Au nord, Norvège et Finlande se touchent.
Ma mère avait toujours aimé le prénom de Joukahainen. Malgré les conseils des autres femmes, ce fut mon nom...

Il grignota un os. Puis leva les yeux.
Ma mère avait treize années. Quand ma grand-mère est revenue vers elle, elle était furieuse. Mon père aussi. Un prénom donné ne peut se défaire.
Voilà pourquoi j'ai deux prénoms. Mon père et ma grand-mère ne voulaient pas d'un Joukahainen. Alors un Eirik est né.

Un léger sourire étira une commissure de la lèvre du Scandinave.
Après ça, on interdit à ma mère de nommer ses enfants.
Mes trois frères ont un prénom norvégien. Ma petite-sœur un Finnois, mais sans signification.


Eirik remit l'os rongé dans la casserole- poêle où les restes étaient figés par le froid.
Avez-vous entendu parler de l'Ainulindalë ? (.....)
Eirik écoutait et bougea la tête de droite à gauche.
Non. Je ne connais pas beaucoup d'histoires.
C'était un mensonge. Il n'aimait pas les raconter, c'est tout.
Il faut dormir. On a encore une longue route et une autre nuit à passer dehors avant d'arriver à une auberge.

Eirik alimenta le feu avec une belle bûche et se leva pour s'assurer que Hunt était là, bien accroché et tranquille. Il vérifia aussi, en s'asseyant, que ses sacs étaient tout près de lui, ainsi que la selle. Une dague sous son "oreiller", un poignard à la botte. Ses armes plus imposantes étaient à portée de main. Mais surtout, il y avait Hund.
Le chien revint vers lui. Eirik souleva sa couverture et Hund se mit dessous. Lui, il n'avait pas besoin de chaleur. Eirik, si. Et cette proximité les soudait plus encore.
Un peu comme avec Fanny.

Eirik se tourna sur le côté, dos à son chien, profitant pleinement de la chaleur de son corps.
Il rêva d'oiseaux et de poissons...

Un grognement sourd le réveilla en même temps qu'un mouvement. Qui.. ?!
Les faibles flammes éclairent une jeune-femme assise, l'air hagarde.

Qu'est-ce qu'il y a ?! Tu as vu quelqu'un ?! S'alarma Eirik en sortant sa dague.
Étrangement, Hund grognait sur Fanny, mais faiblement. Il ne regardait qu'elle. Ni le chemin, ni la forêt.
Fanette se mit à gémir... Pas un gémissement d'un rêve bien plaisant, non. Comme une angoisse. Huan aussi était en alerte.
La jeune-fille assise se saisit d'une pierre et la jeta sur Eirik, qui la reçut en plein front ! Il vit quelques étoiles et se précipita sur la femelle pour la ceinturer. Mais ! Elle dormait ?! Il lui mit deux ou trois claques légères.

Ho ! HO ! Fanny !
Eirik plissa les yeux. Du sang coulait dans son œil gauche et le dérangeait. Il secoua la jeune-femme sans ménagement en voyant ses poings crispés, qui voulaient l'attaquer encore.
Elle ouvrit enfin les yeux. Eirik était contre elle et lui tenait les deux bras à hauteur des poignets.

Ça va ?
Eirik était inquiet. Ceux qui agissaient en dormant étaient des êtres dangereux...


[ Sur la route ]

Ils dormirent peu et mal. La nuit avait été agitée. Eirik était de mauvais poil.
Il avait désinfecté sa plaie avec du whisky et ce gaspillage l'énervait beaucoup. Une blessure à la tête saignait toujours beaucoup, il aurait une belle bosse mais aucune cicatrice.
Ils déjeunèrent de biscuits et si elle le voulait, il avait de quoi faire des tisanes ; menthe, camomille, verveine, thym...
Eirik, après avoir tout mit en ordre sella Hunt et aida Fanette à monter.

Je vais marcher. J'ai besoin de me dégourdir les jambes.
Midi passa. Fanette fit leur vaisselle dans un cours d'eau claire et Eirik remplit leurs outres. Il n'avait pas pipé un mot depuis leur départ.
On a du retard, il faut avancer. Reste là avec les deux chiens, Hund a besoin de galoper.
Il déchargea toutes les affaires et ordonna à Hund de rester là puis il partit au trot, puis au galop sur son mastodonte équin.

Le vent froid lui cognait la face. Eirik exultait et Hunt aussi. Ils se sentaient libres.
Trente minutes plus tard, ils étaient de retour et le Nordique était de bien meilleur humeur ! Il avait les joues rouges et les cheveux ébouriffés. L'été, il les attachait mais pas l'hiver. Il sauta du haut cheval souplement. Presque souriant.

Pas trop long ? Allez, en route.
Tu es souvent éveillée quand tu dors ?

Drôle de question.

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Sa langue natale
Lison_bruyere
Le froid du matin piquait le cheval qui s'était réfugié dans un pas long et actif. La première lieue, elle l'avait parcourue montée en selle. Ses mains s'étaient nouées à la longue crinière noire de l'animal. Elle pouvait voir ses deux oreilles, petites et mobiles s'orienter tantôt vers Eirik qui tenaient les rênes et marchait à sa tête, tantôt vers elle, quand elle glissait une main caressante à son encolure. Quand le Nordique s'était remis en selle, elle s'était décalée en croupe. Un bras noué à sa taille, elle se réchauffait un peu à la chaleur de la fourrure de loup qui le couvrait. Elle regardait en silence ce qui s'offrait à sa vue, partiellement occultée par la haute silhouette du cavalier. Il aurait aussi bien pu la mener n'importe où, mais elle avait confiance. Alors, elle passait le temps en cherchant à deviner la faune sauvage abritée des fourrés sans grand succès, ou bien, elle suivait des yeux la course des chiens qui furetaient le long du chemin et rattrapaient ensuite la monture de quelques foulées de galop.

Huan suivait hund. Peut-être était-il heureux de partager ses courses et ses chasses avec l'un de ses congénères. L'Angevine ébaucha un sourire. Elle ne pourrait affirmer être heureuse avant d'avoir retrouvé ses enfants, mais au moins, la présence d'Eirik la tranquillisait. Et pourtant, il semblait d'une humeur massacrante. Il n'avait pas ouvert la bouche depuis le lever du soleil, et la fauvette en avait fait de même. Au repas du matin, alors qu'il ravivait les flammes, elle l'avait observé furtivement. Une entaille rouge barrait la bosse qui ornait son front. Elle avait baissé les yeux honteuse en croisant son regard. Ses souvenirs de la nuit étaient un peu confus, mais elle se rappelait du sang qui coulait sur son visage et de ses bras qui la maintenaient quand elle s'était éveillée.

Face à son visage fermé, elle n'avait pas osé un mot, se rendant utile autant que possible à la pause qu'ils prirent peu après sexte. Elle avait presque eu peur qu'il ne l'abandonne quand il avait émis le souhait de partir seul avec son cheval. Mais elle s'était rassurée quand il avait ordonné à Hund de rester avec elle. Elle avait écouté le martellement puissant et rapide des sabots de l'équin sur le sable du chemin. L'attente fut brève. A peine avait-elle eu le temps de faire infuser un peu de verveine et de menthe, et les doigts enroulés autour du gobelet cabossé, elle en avalait les dernières gorgées quand il était revenu. Son visage semblait plus avenant, ou bien était-ce ses joues légèrement colorées à l'effort ou au froid. Elle esquissa un sourire un brin timide, puis, tandis qu'il l'aidait à remonter en selle, elle fut soulagée de l'entendre lui parler de nouveau. La question la surprit, sans doute aurait-elle choisi de ne plus évoquer l'incident de la nuit, suffisamment gênant pour elle.

– J'ne sais pas trop dire Eirik, j'crois que ça m'arrive parfois. J'me réveille ailleurs qu'à l'endroit où je m'étais endormie au soir. Mais, c'est pas très souvent heureusement.

Elle réprima un soupir, baissant de nouveau les yeux pour masquer son embarras, même si, juché à cheval devant elle, il ne pouvait la voir.

– J'suis désolée Eirik. Je … j'sais pas, j'ai aucune excuse ... j'ai cru qu'vous étiez … mon … époux.

Si sa voix hésitait, c'est qu'elle ne trouvait rien de cohérent à son explication. Elle se souvenait du rictus mauvais que l'Ethiopien lui avait adressé avant d'emporter ses enfants, sachant bien à présent que ce n'était pas réel. De plus, Eirik ne ressemblait en rien à son mari. Il lui avait dit qu'il avait un fils un peu plus vieux qu'elle, alors leur âge était peut-être leur unique similitude. Tyrraell avait la peau sombre et les yeux noirs, quand le Nordique avait les yeux d'un bleu plus clair que le ciel et la peau blanche. Il opposait au crâne rasé et au visage glabre de l'Africain une longue chevelure blonde et une barbe broussailleuse. Comment avait-elle pu les confondre, même dans son sommeil ?

– J'ai eu peur Eirik, j'ai juste eu peur et j'suis désolée de vous avoir fait mal.

Elle aurait aimé lui promettre qu'elle ne recommencerait pas, mais elle ne savait l'affirmer avec certitude. Les rêves faisaient parfois agir d'une manière bien étrange, et elle ne savait pas contrôler cela. Le reste de l'après-midi se passa néanmoins plus légèrement. Fanette ne savait dire depuis combien de temps ils voyageaient ensemble. Chaque jour se passait, pareillement monotone, à chevaucher. Elle ne s'en plaignait pas, la routine avait quelque chose de rassurant. Et elle savait qu'au bout de la route, elle retrouverait ses enfants et les frères Beaurepaire qui, sans qu'elle ne sache vraiment pourquoi, les avaient pris en charge en s'enjoignant l'aide d'une nourrice embauchée au pied levé, quand elle s'était attendue à les retrouver dans un orphelinat, confiés aux bons soins de religieuses.

– Mes enfants me manquent Eirik. Quelle idiote j'ai été !

Evidemment, il ne pouvait juger de cela, elle ne se souvenait pas lui avoir expliqué les raisons qui l'avaient conduite en prison. Mais quand bien même, il n'y avait aucune chance pour qu'il la juge moins sévèrement qu'elle ne se jugeait elle.
Quand les ombres commencèrent à s'allonger, ils quittaient un plateau parcouru de petits rus pour redescendre vers un vallon. Le chemin était assez escarpé et se faufilait entre les arbres aux ramures dénudées. Parfois, le sentier s'accrochait à un escarpement rocheux. Fanette n'était qu'à moitié rassurée sur le dos de Hund. Le cheval, pourtant large et imposant, posait malgré tout ses pieds délicatement, choisissant chaque pas entre les cailloux instables. Il glissa une fois ou deux sur son arrière-main et sans doute, les bras de la jeune femme s'étaient-ils resserrés un peu plus à la taille de son compagnon de route. Le sol se fit enfin plus plat, et Eirik ne tarda pas à décider de s'arrêter. Le ciel était lourd et cotonneux, annonciateur de neige. C'est sans doute la raison qui l'avait poussé à choisir cet endroit. Non loin, les animaux pourraient s'abreuver dans les eaux vertes d'une petite mare, et quelques anfractuosités creusaient la paroi rocheuse, dissimulée derrière des taillis de ronces et de fougères.

Comme elle en avait pris l'habitude, elle s'était laissée glisser du grand cheval et, sans attendre, rassemblait déjà ce qu'elle pouvait trouver de bois mort pour allumer un feu. La neige se mit à tomber, doucement. Elle s'attarda un instant à suivre la course aléatoire des flocons légers dans la clarté tamisée du jour mourant. C'était beau tant qu'on on dormait au chaud. Elle ramena son chargement de bois. Le cheval, oreilles aplaties, était attaché aux branches d'un arbre au feuillage persistant. Il offrait sa croupe au vent en mâchonnait quelques brins d'herbe brûlés par le froid. Son poil sombre se constellait de neige, comme autant de petites étoiles sur la voûte céleste. Elle se tourna vers le blond, un peu inquiète.

– On va faire comment ?
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Eirik_gjermund


La galopade lui fit du bien et à Hunt aussi. Ce serai à refaire. Eirik avait fait court au possible. Même si Hund montait bonne garde auprès de Fanette, Eirik préférait être présent, où la laisser en un endroit plus sécurisé. A cette saison, les routes étaient souvent désertes. Ce qui n'était pas forcément une bonne chose.

Il la trouva en train de terminer sa tisane. Ils se remirent en selle et suite à sa drôle de question, elle dit :

J'ne sais pas trop dire Eirik, j'crois que ça m'arrive parfois. J'me réveille ailleurs qu'à l'endroit où je m'étais endormie au soir. Mais, c'est pas très souvent heureusement.
J'suis désolée Eirik. Je … j'sais pas, j'ai aucune excuse ... j'ai cru qu'vous étiez … mon … époux.

Le Nordique ne voyait pas son visage mais sentait sa gêne, intense. Son incompréhension.
Ma grand-mère dit que les rêves sont envoyés par les esprits. Ceux qui parlent intelligiblement et agissent dans leur sommeil sont poussés par des esprits, dit-elle. Bon ou mauvais...
La vieille Äsa, mère de sa mère, était morte.

J'ai eu peur Eirik, j'ai juste eu peur et j'suis désolée de vous avoir fait mal.
Tu as de la force. Il te faut la même en éveil. Ne t'inquiètes pas pour ma bosse, ce n'est rien.
Mes enfants me manquent Eirik. Quelle idiote j'ai été !

Eirik ne pouvait pas retarder la question encore et encore...
Pourquoi tu n'as plus tes enfants ?
Il espérait qu'elle ne se perdrait pas avec les centaines de mots qui lui pendaient à la bouche. En ça, c'était bien une femelle !
Mais elle avait respecté son silence bougon matinal sans essayer de le dérider avec des babillages agaçants, ce que faisaient beaucoup de femmes. Il avait su l'apprécier.



[ Plus tard ]

Le chemin se faisait plus escarpé. Eirik n'aimait pas ça. Hunt était très lourd et se déséquilibrait assez facilement. Redoutable en terrain plat, clair ou boueux, il était évident que le mastodonte n'était pas une chèvre.
Eirik descendit de selle.

Descends aussi. Marcher te fera du bien et Hunt a besoin de peu de poids.
On gelait vite sur un cheval au pas. Eirik prit Fanette par la taille et la posa par terre, loin du petit ravin. Hund et Huan gambadaient, indifférents au changement de sol.

Le ciel était blanc et Eirik s'en sentit ragaillardi. De la neige, bientôt. Enfin !
Les jours étaient vraiment très courts. Ils stoppèrent vers dix-sept heures. Ils ne voyageaient plus sur une route mais sur un petit chemin.
Ils trouvèrent un endroit correct. De l'eau, un peu de forêt, une grande anfractuosité sous un pan de montagne. Montagne, montagne... Non, très grosse caillasse. Ils avaient quitté les vallées mais n'étaient pas franchement en altitude.

Fanny fit son rituel avec le bois. Eirik fit l'inventaire de leurs ressources. Il s'en inquiéta car des flocons commençaient à tomber...

On va faire comment ?
Fanny semblait avoir lu dans ses pensées. Elle ne devait pas penser aux même choses.
Ça ne change rien pour ce soir. Allume le feu, fais une bonne flambée, je m'occupe de la grotte, on va s'y abriter.
Avec une hachette qui n'était vraiment pas idéale pour ce travail, Eirik trancha les branches, ôta les ronces, les envoya dans le feu et fit place nette sur le sol, comme une bonne fée du logis.

Hunt était déchargé, dessellé. Le groupe était en hauteur. A cent mètres, un grand ravin. Eirik attacha son cheval loin de là.
Il était inquiet, seulement si la neige forcissait au point de les empêcher d'avancer. Ils n'avaient pas assez de provisions. Et chasser en plein hiver était malaisé. Les chiens allaient manger moins que prévu.


Prends la viande, là. Occupe-toi de la cuisine.
Il y avait ses piques pour tenir le plat léché de suie, un bon reste de viande de porc, quelques légumes presque gelés, des aromates plus que nécessaires et encore du sel. Et seulement deux petits os, qui à eux deux ne suffiraient vraiment pas à Huan seul.

Eirik brossa Hunt et lui donna son avoine.
Il referma la cape sur son torse, savourant le froid, admirant les flocons majestueux et le paysage devenant blanc. Un régal pour l'âme et les yeux.
Et si ça durait ? Eirik trouverait une solution. Forcément.

Dans la petite grotte - assez grande pour trois petites personnes - il avait installé la vieille couverture qu'il prêtait à Fanny. Elle était grande. Il avait rembourré sa future place de son habituel tapis de selle et posé là où la Roussette se coucherait son ancienne cape doublée. Ils devraient se sentir bien et au chaud avec leurs vêtements et le feu.

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Sa langue natale
Lison_bruyere
– Pourquoi tu n’as plus tes enfants ?

Fanette prit une longue inspiration.

– A l’automne, je me suis retrouvée face à l’homme qui avait enlevé Milo. Quand je l’ai vu, j’ai eu tant de colère et de haine. Je lui ai donné un coup de couteau. Il s’est effondré, je me suis enfuie. C’était à Alençon.

Je suis rentrée chez moi à Limoges. J’ai appris qu’il avait survécu, et que le bourgmestre avait déposé plainte contre moi pour tentative d’assassinat. J’ai quitté Limoges. J’ai accepté le travail que m’offraient deux frères qui logeaient dans mon auberge. Ils payaient bien et le travail était simple. Je devais juste les accompagner à Brest et distraire leur voyage en contant chaque soir les légendes de Bretagne. Mon mari a accepté de me laisser partir, on avait des dettes. Il ignore pour le reste. Je croyais qu’en quittant ma maison, on me retrouverait pas. J’avais tort.

Au troisième jour de voyage, j’attendais mes employeurs dans la salle commune d’une auberge. Mais ce sont trois mercenaires qui sont entrés, recrutés par le procureur d’Alençon. J’sais pas comment ils m’ont trouvée. J’me suis défendue, j’ai appelé à l’aide mais personne n’a bronché. J’en ai mordu un. Ils m’ont assommée, et emmenée. Mes enfants dormaient à l’étage, ils les ont pas vus. Ils sont restés là-bas.

On m’a jeté dans un cul de basse-fosse dans l’attente de mon procès. Le juge m’a condamnée à être pendue mais l’homme que j’ai voulu tuer, lui, il a dit que j’avais raison. Qu’il était bien coupable de m’avoir privé de mon fils, que Milo et moi, nous étions innocents, qu’on avait payé pour les actes de Roman Corleone, l’père de Milo. C’était de lui qu’il voulait se venger quand il a pris notre fils. Il a dit que j’avais été assez punie. Alors le juge est revenu sur sa sentence. J’ai eu qu’une peine de prison et une amende. Et j’devais faire aussi un mois de travail forcé dans un hospice quand on m’a libérée, mais j’me suis enfuie encore, parce que j’voulais retrouver mes enfants.

Y’a pas longtemps, les deux frères ont réussi à savoir où j’étais et m’ont fait porter un message. Mes enfants vont bien, ils les emmènent avec eux. Une femme s’en occupe. Donc j’allais en Bretagne moi aussi. Et c’est là qu’vous m’avez trouvée Eirik.

 
Il savait tout. La vengeance était une spirale de violence sans fond, elle l’avait appris à ses dépens. Tout était parti du viol d’une enfant du clan Corleone à l’été 65, et, à tour de rôle, dans un camp, puis dans l’autre, nombre de personnes avaient été châtiées. Il se trouvait toujours quelqu’un pour venger le précédent. Sans doute avait-il fallu du cran au jeune homme pour étouffer ses rancœurs et venir plaider en faveur d’une fauvette qui voulait le voir mort.

Elle avait apprécié de ne pas voir le regard d’Eirik tandis qu’elle lui racontait son histoire. Après cet aveu, elle ne parla plus jusqu’à l’étape du soir.

Elle fit prendre le feu, à l’aplomb du rocher qui les abritait. Dans la marmite cabossée, les restes de légumes et de viande étaient figés dans la graisse qui doucement commençait à fondre en libérant un fumet appétissant. Huan s’était assis devant les flammes et fixait la gamelle avec intérêt. Fanette le surveillait du coin de l’œil. Quand Eirik était revenu pour installer les couchages, elle l’avait vu se courber pour ne pas cogner sa tête au toit de roche qui leur offrait abri. L’endroit lui sembla soudain bien plus exigu. Elle ajouta encore quelques branches dans les flammes et remua la nourriture pour qu’elle se réchauffe uniformément. Puis se tourna un instant pour admirer le paysage. Le jour descendait doucement, et la neige tombait plus drue. Les flocons blancs s’amoncelaient et semblaient adoucir les reliefs du sol caillouteux. Un instant, son visage se teinta d’une lueur rêveuse, et ses lèvres ébauchèrent un sourire léger. Elle imaginait le regard de ses enfants au premier matin où ils découvriraient la neige. Milo la connaissait peut-être déjà, mais à l’hiver précédent, c’est une autre femme qui le berçait. Fanette ne l’avait retrouvé qu’au printemps. Serait-il surpris la première fois qu’il la prendrait dans sa main ? S’émerveillerait-il des mille reflets que le soleil d’hiver posait au manteau poudré ? Un frisson parcourut son échine. Elle remonta le col de son vêtement et se rapprocha du feu. Le repas était prêt, et elle prévint Eirik et contourna les flammes pour s’asseoir sur la couverture.

Il lui sembla entendre des voix. Elle allait prévenir le Nordique mais il était suffisamment affûté pour les avoir perçus lui aussi. Huan se dressa, son poil s’était hérissé tout le long de l’épine dorsale et il se mit à gronder sourdement. Fanette n’émit pas un mot et chercha le regard de son compagnon de voyage.
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Ils étaient sur la route juste après leur déjeuner de midi et Fanny expliqua à Eirik ses péripéties tragiques et la perte de la prunelle de ses yeux. Il se garderait bien de toucher à un cheveu de ses enfants ! Le grand Nordique pourrait avoir peur pour sa vie ! Nul doute que la jeune-femme soit très rancunière.
Dans la nature, c'étaient toujours les femelles avec des petits les plus dangereuses.

Conscient de la douleur du récit, Eirik ne dit rien. Il avait écouté et il grogna pour le lui expliquer. Ils en parleraient peut-être plus tard. Si Fanette le voulait. Eirik n'aborderait pas le sujet de lui-même.



[ La halte ]

Le terrain caillouteux et escarpé ne se prêtait pas à l'entraînement de Fanette. En été, si, peut-être. Avec une bonne lumière et un sol bien visible. Avec ce temps, la neige masquant les pierres, c'était trop dangereux.
Eirik avait manqué de prévention. Il aurait du acheter plus de provisions, justement car le temps n'était pas certain, car il n'était jamais sûr d'arriver à une étape en temps voulu. Il aurait du le savoir ! Il était en colère contre lui même.

Fanny faisait réchauffer le repas et Eirik sortit leurs gamelles. Les chiens regardaient les humains manger... Puis Hund partit. Ça lui arrivait lorsque son maître ne le nourrissait pas. Il allait chercher à manger de lui-même.
Un soir d'hiver semblable, le chien-ours avait ramené un canard. Eirik s'en était coupé un morceau et Hund avait mangé le reste. Il n'acceptait que les mains du Blond sur son repas.

Huan était près de Fanny. Les deux Hommes mangeaient en silence, tout comme la neige qui tombait... Silencieuse.
Leur repas avait à peine commencé... Tout trois levèrent la tête, Huan le premier. Des voix.
Eirik regarda Fanette et mit un doigt sur sa bouche pour lui intimer le silence. Pas pour n'être pas entendus, car leur feu se voyait de loin, mais pour entendre. Combien étaient-ils ?
Eirik posa son assiette dans la neige et se dépêcha de couvrir leur feu de neige, ce qui fit un longue volute de fumée... Peut-être pas si visible dans la presque obscurité et la blancheur du paysage.
Il sortit sa dague, sa hachette à la ceinture. Un archer n'aurait pas été de trop. Eirik avait un arc... Mais s'il s'en servait, Fanny serai exposée. De plus, ce n'était pas une forme de combat ou le Scandinave excellait...
Il montra sa dague à Fanny, qu'elle sorte la sienne.
Il cacha la Roussette derrière lui sans l'acculer pour autant.

Eirik entendait deux voix d'hommes, bien distinctes. Ainsi qu'un gémissement. Une femme. Les sons portaient, ils n'étaient pas encore là.
Le Blond détacha Hunt et maudit Hund d'être parti à la chasse.
Une troisième voix masculine...
Eirik grimpa sur une hauteur, ses cheveux étincelants cachés par la cape qu'il avait relevée. Il voyait les intrus. Mauvaise nouvelle. Il redescendit en silence.

Il ne faisait pas encore nuit. Il montra quatre doigts à Fanny. Quatre hommes. Une femme.


Allez les gars !
Ta gueule José ! J'ai vu du feu là-bas !
Ouais c'est ça.
Si Michel, il a raison.
Alors vos gueules, bordel ! Toi aussi, p'tite garce.


Ils venaient vers le couple de voyageurs... Eirik était bandé comme un arc.
Une première silhouette émergea. Un grand costaud. Suivi d'un homme presque obèse. Le Nordique ne voyait pas les deux autres, ni la femme. Mais il arrivait à distinguer les cheveux blonds du gros.
Eux aussi les voyaient.

Bonsoir, voyageurs !
S'il vous plaît...
On est gelés, on va s'joindre à vous, faut s'serrer les coudes hein !

Eirik vit les deux autres hommes ; bien plus jeunes, dont un presque enfant, soit une quinzaine d'années et l'autre était grand et maigre.
Puis la femme. Une toute jeune fille brune, très ronde, apeurée.


N'avancez pas.
Pourquoi, Boucle d'Or, t'aime pas partager ?!
Il n'y a pas de place pour vous tous ici. Allez ailleurs.

Celui qui semblait être le chef était un très grand bonhomme, pas plus haut qu'Eirik mais bien plus lourd.
S'il vous plaît... Répéta la fille, implorante.
Eirik vit alors ses poignets liés...

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Sa langue natale
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Fanette se retourna, fouilla fébrilement derrière elle pour extirper la dague qu'Eirik lui avait confiée pour les entraînements auxquels il la soumettait parfois, depuis qu'il l'avait prise sous son aile. Cette fois-ci, elle en ôta le fourreau. Les doigts crispés sur la fusée, elle suivit des yeux le Nordique jusqu'à le voir disparaître de son champ de vision. Elle fut soulagée en le voyant réapparaître. Elle entendit les voix quand il lui fit signe, et elle n'aimait pas ça. Elle se recula un peu plus dans l'ombre, assura de nouveau sa prise sur son arme et porta son regard dans la même direction que le sien.

Elle n'était qu'à peine rassurée, mais à l'instant où le plus grand appela Eirik Boucle d'or, elle sut que ça partait mal. La peur lui étreignit les entrailles. Elle observait, silencieuse et tremblante, s'apprêtant à agir néanmoins. Un instant elle pensa à ses enfants, et s'efforça d'en chasser bien vite l'image. Elle n'avait pas traversé toutes ces épreuves pour mourir là. Ses yeux effleurèrent les contours des hommes qui se dressaient face au blond, et elle se heurta à la silhouette replète de la jeune fille qui suppliait. Elle fronça les sourcils, dans une petite moue marquant autant l'interrogation que l'indignation.
Elle glissa deux pas sur sa droite pour venir se poster à côté d'Eirik et lui souffla.

– Vous avez vu ?

Elle n'avait aucune idée des raisons qui avaient pu conduire la demoiselle à être prisonnière. S'il faut, elle était une voleuse, ou une criminelle. Elle écarta cette possibilité à son air apeuré. Elle l'était tout autant qu'elle, et elle s'était trouvée à sa place déjà, c'était suffisant pour prendre d'emblée son parti. Elle leva les yeux vers son voisin, cherchant à deviner dans son attitude s'il comptait vraiment les voir partir sans se soucier du sort de la jeune fille. Elle n'eut pas le temps de se poser la question plus longtemps, l'homme dégaina son épée, suivi aussitôt de ses quatre compagnons.

– Parfait, barre-toi alors et emmène ton clébard.

Il coula un regard vers la fauvette en étirant un sourire lubrique.

– Celle-là elle peut rester, on lui f'ra une place.

Fanette s'affola en mesurant le déséquilibre des forces et pointa sa dague devant elle. Elle se répéta les conseils du Nordique, tailler ou piquer, sans lâcher le regard de l'adversaire. Surtout ne pas poser ses yeux où l'on porte son coup. Elle resserra encore sa prise sur sa lame, à s'en faire blanchir les phalanges et recula d'un pas, paralysée par la peur. Huan ne grondait plus, il s'était assis et observait la scène en remuant la queue.

– Fanny !

Le ton impérieux la ramena à l'urgence de la situation. Le fracas de l'acier teinta à ses oreilles. Eirik tenait une dague dans une main et sa hachette dans l'autre, et l'homme qui venait de parler s'était jeté sur lui quand les deux autres lui emboîtaient le pas. Fanette s'apprêtait à se jeter en avant.
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Pas une seconde Eirik n'avait envisagé une issue paisible à cette rencontre. S'ils avaient été deux, peut-être. Ce serai plus équilibré et il n'y aurait pas cet effet de meute, dévastateur et imbécile.
Sans compter la fille bien-sûr. Ça, c'était une autre histoire. Que des emmerdes, d'ailleurs. Eirik n'avait pas pour vocation de sauver la veuve et l'orphelin.
Quant au charmant "Boucle d'Or", le Blond y était presque habitué. On lui sortait ça à chaque bagarre. Ce n'était pas vraiment une insulte car après tout, c'était la vérité...

L'homme costaud sortit une épée. Merde. Les autres avaient des poignards. Mais l'épée... Sa portée était trop grande... Sans parler du nombre, le combat était inégal.
Eirik plongea et se saisit de sa lourde hache à double tranchant, magnifiquement ouvragée et très affûtée, terminée par une pointe entre les deux lames.
Se battre avec était une idée plutôt.. moyenne. C'était mieux qu'une vulgaire dague bien trop courte.


Barre-toi alors et emmène ton clébard. Dit le brun à la carrure imposante en parlant de Huan. Celle-là elle peut rester, on lui f'ra une place.
C'est la mienne !
Reste derrière moi Fanette.


Eirik fit barrage de son corps. La Roussette n'était pas prête à un tel affrontement !
Les choses allèrent très vite. Le chef attaqua d'un coup d'estoc qu'Eirik para avec sa hache. Il fallait vite le mettre hors d'état de nuire. Son épée lui donnait un réel avantage et après un coup de taille, le Scandinave mesura la grande force de l'adversaire.
Ses trois complices, tels une meute de loups, les encerclaient petit à petit sous l’œil bienveillant du dogue.


Fanny ! Cria Eirik.
Le grand maigre allait l'attaquer avec sa lame, ricanant déjà... Eirik ne pouvait rien pour elle. Ni même la regarder.

On va voir c'que t'as dans l'ventre, fillette ! Dit l'homme à l'épée en parlant à Eirik.
Les deux bras bandés, Eirik leva et abattit sa hache.
Une pluie d'étincelles illumina le jour tombant lorsque "José" para en grimaçant.
L'obèse se déplaça vers le flanc d'Eirik... La captive cria un avertissement. En balançant sa lourde arme vers le thorax de l'obèse, le Nordique y déchira le ventre et comme il s'était découvert, le brun à l'épée lui fit une estafilade sur les côtes, et le Blond sentit son sang couler, mais aucune douleur. Elle viendrait après, lorsque l'adrénaline serai retombée.
Le gros bonhomme blond était au sol, les deux mains sur ses entrailles fumantes.

Fanette était aux prises avec le grand échalas maigrichon qui ricanait, attaquant à la dague. Le jeune qui jusque là gardait la fille en dansant d'un pied sur l'autre poussa un hurlement lorsque Eirik trancha dans le gras du gros blond.

Papa ! Papaaa !
Agenouillé près de son père, le garçon pleurait. Puis, la rage au ventre, il vint attaquer le meurtrier de son père - qui n'était pas encore mort.

Dos à cette scène, Eirik parait avec difficulté, soufflant sous l'effort, sentant qu'il perdait du terrain...
Une douleur au mollet le fit rugir de surprise et de douleur... C'était le gamin ! Eirik plia un genou. S'affaissa.
L'homme à l'épée poussa un cri de victoire. Et tomba lourdement en avant, lâchant son épée.

Hund. Le chien était venu dans son dos et lui avait sauté à la gorge. Il la déchirait à présent et le sang giclait et faisait des bulles car l'homme voulait crier.
Hund se déchaînait ! Il commença à manger le visage du bandit, encore en vie.

Eirik se tourna brusquement vers Fanette. Le tout gamin était agenouillé auprès de son père agonisant. La fille captive pleurait. Et l'autre, le grand maigre ?

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L'autre, le grand maigre, cessa de ricaner à l'instant où Hund déchira la gorge de leur chef. La haine déforma ses traits. Il voulut en finir avec la jeune femme pour occire ensuite le blond et son diable de chien. Il avait jaugé la fauvette bien peu offensive mais, à défaut de l'être, elle était leste et esquivait les coups. Le jour n'était pas encore tout à fait tombé, mais l'obscurité gagnait le fond de la grotte. Ses yeux s'habituaient à la pénombre, et les lames renvoyaient parfois des éclats de jours.

Du coin de l'œil, elle vit Eirik mettre un genou à terre. Dans un cri, sans doute autant de détresse que de rage, elle évacua les larmes qui lui montèrent aux yeux, menaçant de brouiller sa vue. Si le Nordique tombait, n'avait-elle pas plus de chance de tomber aussi ? L'Angevine était galvanisée par ce qu'elle avait perçu, comme si à présent tout dépendait d'elle. Elle ignora la peur qui lui tordait le ventre, puisant en elle pour repousser ses limites. Un autre lieu, plus de deux années auparavant, quand Roman avait failli sous la lame d'un garde. Elle l'avait vu mort, elle s'était vue morte aussi. Elle ignorait toujours comment, elle s'était alliée à la camarde pour défaire celui qui s'apprêtait à achever son Italien. Elle avait tué pour la première fois.

Elle planta un regard déterminé dans celui de son adversaire, puis une fois, deux, trois, peut-être plus, elle tenta de le piquer. Il esquiva chacun de ses assauts. Elle se décourageait, et la seconde d'après, comprenant l'impérieux besoin de ne rien céder, elle se ravisait, reculant à son tour quand il tentait de l'estoquer. Les phalanges crispées sur son arme, elle fendit de nouveau d'un pas en avant tenant toujours le regard haineux du grand échalas. Cette fois-ci, elle sentit une résistance, faible, trop sans doute pour être mortelle. C'est son avant-bras qu'elle venait de larder de sa lame, une blessure peu profonde qui avait à peine entaillé le cuir de son pourpoint. Il souffla sa colère en avança vers elle d'un pas déterminé, puis d'un autre, tentant de viser tantôt son flanc, tantôt son cœur.

Huan était en alerte, incapable de prendre une initiative. Sans doute percevait-il le danger sans vraiment savoir quoi faire de cette information. Oreilles plaquées en arrière, queue basse dont l'extrémité battait timidement, il se déplaça vers sa maîtresse qui reculait vers lui, tant et si bien que, s'embronchant dans les pattes de son chien, elle tomba à la renverse de l'autre côté du corps dégingandé de l'animal. L'homme ricana de nouveau et se détourna d'elle un instant pour aviser Eirik. Il était à sa portée et affaibli. Il délaissa l'Angevine, arma son bras et fondit sur lui. Une pierre fusa avec toute la puissance du désespoir. Fanette n'était pas douée avec une lame, mais elle n'était pas mauvaise au lancer. Elle l'atteignit en pleine tempe. Il s'écroula dans un bruit mat.

La jeune captive avait cessé d'espérer au moment où le Nordique avait ployé le genou. Ses pleurs s'étaient arrêtés subitement. Elle avait fait le compte, rapidement, et s'en était retournée, aussi vite que le lui permettaient son poids et ses poignets liés. Sa silhouette replète s'était évanouie dans la neige qui tombait de plus en plus drue bien avant que le grand ne chute.

Fanette était debout de nouveau. Sa dague était passée de sa main droite à sa gauche et elle tenait serrée dans sa dextre une autre pierre, menaçant le fils qui s'était relevé de l'autre côté d'Eirik. Son regard couru rapidement de l'un à l'autre, puis sur les deux cadavres et sur celui qu'elle venait d'abattre, ne sachant s'il était mort ou assommé. Elle réprima une moue de dégoût. A présent que l'instant semblait moins critique, une vague de panique la submergea. Elle fit une enjambée dans leur direction.

– Maintenant barre-toi si tu veux pas finir comme eux !

Sa voix chevrotait, malgré l'assurance qu'elle voulut y mettre. Le garçon porta de nouveau sa main à sa dague, mais Hund releva la tête et fit un pas en avant, piétinant sans complexe le corps de sa victime. Il gronda, mâchoires serrées, découvrant à peine ses longs crocs blancs. Même Fanette n'était guère rassurée tant il était effrayant, le museau et l'encolure maculés de sang, le regard fixe, les muscles bandés sous son épaisse fourrure. Il semblait suspendu aux réactions du jeune homme. Ce dernier jeta sa lame et s'enfuit en courant, comme s'il avait le diable aux trousses.

La pression retomba. Fanette eut tout juste le temps de se retourner. Ses jambes vacillèrent, elle lâcha la dague pour prendre appui sur la paroi et son ventre se déversa par sa bouche, la laissant pantelante et pâle comme la mort. Les larmes coulaient à ses joues sans qu'elle ne sache les contrôler. Mais ce n'était pas fini. Elle en prit conscience à la respiration saccadée d'Eirik derrière elle. Elle s'efforça de reprendre contenance, passant à ses yeux un revers de main, et prit une longue inspiration. Enfin, doucement, elle se retourna, tentant de maîtriser le vertige qui la prenait à la vue du carnage.

Ce n'est qu'en s'approchant du Nordique qu'elle aperçut sa cotte tachée de carmin à hauteur du flanc gauche. Cette blessure s'ajoutait à celle qui avait entaillé son mollet juste au-dessus de sa botte. Ce n'était pas l'endroit ni le moment d'être blessé. Un bref instant, elle s'affola encore, ne sachant imaginer ce qu'ils allaient devenir là, alors que les chutes de neige semblaient forcir et que la nuit achèverait bientôt de les engloutir. Les émotions se bousculaient dans sa poitrine, avant qu'elle ne parvienne à les juguler en s'efforçant de remettre de l'ordre dans ses pensées et de décider de la conduite à tenir. Elle avisa la couverture de l'autre côté des braises froides.
Elle se pencha, nouant son bras autour de la taille du blond en l'invitant à s’agripper à elle.

– Venez Eirik, on va vous mettre là, vous s'rez mieux.

Il était lourd par rapport à elle, mais pas impotent. Il lui restait encore une jambe sur laquelle prendre un appui solide pour se pousser vers le fond de la grotte, alors qu'elle mettait toutes ses forces à l'y tirer. Après quoi elle récupéra dans le barda de son compagnon de route la petite boîte en fer renfermant l'amadou et le petit silex. Elle s'occupa de faire repartir le feu.

Elle ordonnait ses actions méthodiquement dans son esprit, pour ne plus céder à la panique, et s'appliquait ensuite à les mettre en œuvre. Elle plaça de la neige dans les deux écuelles cabossées qui leur servaient d'assiettes et les posa sur les flammes pour la faire fondre et la faire bouillir. De nouveau, fouillant les affaires du Nordique, elle extirpa les aromates qui servaient à agrémenter sa popote, les sentant tour à tour jusqu'à trouver le thym. Elle en préleva deux branches, puis retira du feu les deux récipients de fortune dans lesquels l'eau frémissait déjà, avant de faire infuser le thym dans l'un d'eux.

Pendant ce temps, elle voulut éloigner les cadavres mais elle ne parvint pas à les faire bouger d'un pouce. Elle ne sut déterminer si le grand échalas était mort ou non mais la pierre avait meurtri sa tempe et un maigre filet de sang s'en échappait. S'il n'était qu'inconscient, ainsi allongé au sol gelé de l'hiver, sans doute le froid finirait-il par le tuer.

Elle renonça à déplacer qui que ce soit pour revenir près d'Eirik. Les flammes dévoraient le bois ramassé un peu plus tôt et offraient une lumière dansante. Elle frotta ses mains d'un peu d'alcool. C'est de vinaigre dont usait Roman ou son père, elle les avait vu faire trop souvent à son goût. Etre l'épouse d'un assassin maniant aussi bien l'art de la médecine que celui des poisons lui avait apporté quelques connaissances. Au moins avait-il guidé plusieurs fois les gestes qu'elle s'apprêtait à faire. Puisqu'il fallait bien commencer par l'une des blessures, elle souleva sans trop de manières les épaisseurs qui le couvraient pour accéder à son flanc et grimaça. Elle tamponna doucement la plaie avec un linge imbibé de la décoction de thym, en se décalant légèrement pour ne pas faire écran à la clarté orangée du feu. Ses sourcils se froncèrent en une petite moue ennuyée.

– On dirait qu'il vous a juste percé la couenne mais faudrait refermer Eirik. J'ai déjà recousu des plaies mais, vous avez c'qui faut ?

Ses dents emprisonnaient le coin de sa lèvre inférieure, comme à chaque fois qu'elle peinait à maîtriser ses émotions. C'est une autre question qui bousculait la première. Qu'allaient-ils faire ? Depuis que le blond l'avait tirée des griffes du singe, il avait pris les initiatives, et elle s'était largement reposée sur lui, se contentant de suivre et de faire ce qu'il lui disait. Rejoindre le fin fond de la Bretagne, sans rien, pas même de quoi se protéger du froid, c’était une entreprise perdue d’avance. Elle lui devait sans doute la vie. Mais en l'instant, elle savait que les humeurs malsaines pouvaient s'insinuer par les chairs entaillées, qu'il ne lui serait pas facile de marcher. Elle craignait que la fièvre ne s'invite à son front. Comment saurait-elle l'aider à se déplacer s'il s'affaiblissait ? Comment pourrait-elle lui rendre ce qu’il lui avait offert ces derniers jours, de confort et de protection. Rien que l'idée de devoir aller récupérer l'acariâtre cheval qu'il avait détaché avant que les autres n'arrivent l'effrayait. Puis elle songeait au fuyard qui pourrait aussi bien donner l'alerte et lancer du monde à leur trousse. Et la peur de nouveau s'insinua traîtreusement à son esprit.
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Eirik_gjermund


Le Chef était mort grâce aux bons soins de Hund. L'obèse blond vivait encore, les deux mains sur son ventre ouvert. Le grand maigre gisait assommé, ou mort. La captive avait filé, cette idiote. Et Fanny - et Hund - firent décamper le fils du gros.

Il n'y avait plus de danger immédiat. Mais Eirik était blessé. A terre, son sang ruisselant dans ses bottes en peau de phoque noir. Son flanc saignait aussi. Il vivrait.

Fanette vomit son dîner et Eirik regarda l'obèse agoniser sans qu'il se décide à mourir. Hund recommença à manger le grand chef brun, à la gorge. Il allait falloir l'arrêter... La chair humaine rendait le chien-ours colérique.


Venez Eirik, on va vous mettre là, vous s'rez mieux.
Il se redressa seul mais accepta l'aide fournie. Il se déplaçait sans trop de mal s'il serrait les dents.
Assis, il aida Fanny à dévoiler sa blessure au niveau des côtes flottantes. Eirik se défit de deux couches d'habits pour qu'ils voient mieux. Pour ça, la Roussette fit repartir le feu et prépara du thym - Eirik le sentit.
Grimaçant en se pliant, il enleva sa botte et déchira son bas déjà bousillé pour mettre la blessure à jour. C'était peu profond, mais moche.
Fanny s'activait.

Arrête. Attends.
Eirik remit sa botte, nu pied, sa blessure étant au dessus. Il se leva, tangua un peu et s'assura sur ses deux jambes.

Le Nordique avait des choses à faire. Eirik prit sa dague et vint près de l'obèse aux entrailles fumantes.

Je te fais grâce.
L'homme qui pleurait hocha la tête et Eirik lui planta sa dague en plein cœur, pile entre les côtes. Il mourut aussitôt.
Hund.

HUND ! STOP ! Rugit le Nordique.
"Stop" était un mot universel...
Le chien ne broncha pas, mâchouillant les cordes vocales du mort, fouillant sa gorge jusqu'à l'épine dorsale en des bruits écœurants. Eirik prit une branche tombée et tapa sur Hund en gueulant des mots étrangers. Le chien se retourna brusquement, dérangé, se hérissa et grogna sur son maître.
Eirik brandit la branche et rugit, prêt au rapport de force, qu'il espérait non physique.

Hund ! Stop !
Le molosse grogna de mécontentement et s'en alla vers Hunt. Hunt n'était pas fugueur mais Eirik l'avait détaché pour qu'il attaque des dents et des sabots à sa guise.

Ce bref intermède avec son chien avait fatigué Eirik. Il fallait se débarrasser des corps.

Il faut se débarrasser des corps.
Mis à part leur confort, c'était vital pour eux, pour Hund et ses instincts primaires.
Découvert, Eirik commençait à avoir froid. Il fit le tour de la situation et des possibilités. Fanette n'avait pas pu déplacer l'obèse, forcément.

Le ravin.
Moins de cent mètres... En terrain traître. Et la neige forcissait. Et Eirik s'affaiblissait.

Le Blond vint vers le grand maigre dont le chapeau était tombé sous le coup de pierre, dévoilant des cheveux sales d'une vilaine couleur châtain. De deux doigts posés à sa gorge, Eirik prit son pouls. Il leva ses yeux vers Fanny.

Il est vivant.
Ce qui était un problème. Tout les trois. Les trois corps.

Si tu me couds je ne pourrais plus bouger. Il faut le faire maintenant.
J'ai ce qu'il faut pour coudre la peau.
Il faut jeter les corps.


Dague toujours en main, Eirik égorgea le survivant qui ne s'éveilla même pas. Mort. Le sang vermeil coula sur la neige déjà tachée de part en part. Que faire ?
Fanny.

Fanny, va chercher Hunt et les cordes.
Hunt n'était pas un cheval affectueux mais il avait accepté la jeune-femme.
Eirik se fit aider de Fanette pour attacher les pieds des hommes morts, un par un. Ils amenèrent Hunt au plus près du ravin et poussèrent les cadavres en contrebas, un par un. L'obèse laissa ses tripes derrière lui, encore chaudes. Eirik les prit avec son vieux tapis de selle et bazarda restes et tapis.

Voilà... La neige recouvrait déjà les traces de sang. La nuit promettait d'être longue...
Eirik s'affaissa contre la paroi de la grotte, au plus près du feu.

On dirait qu'il vous a juste percé la couenne mais faudrait refermer Eirik. J'ai déjà recousu des plaies...
Là. Dans le petit sac. Un coffret. Fil, aiguille, linge propre.
La blessure au mollet cicatriserait seule. Quoique. Il fallait voir. Ça saignait vraiment beaucoup.

La nuit était noire à présent. Et la neige blanche et vivace. Eirik but de longues gorgées de whisky. Il regarda Fanny.

Tout va bien s'passer. J'ai vu pire. Tu vas me recoudre et on va dormir. Demain est un autre jour.
Mettant ses côtes à nu sous l'air piquant, Eirik exposa sa blessure aux yeux et à l'aiguille de Fanette.

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Sa langue natale
Lison_bruyere
Fanette se demanda pourquoi il chaussait de nouveau sa botte. Elle se releva en même temps que lui, une lueur interrogative dans le regard, tandis qu’il assurait un fugace instant sa position verticale dans l’immobilité.
Elle avait trouvé réconfort aux gestes qu’elle connaissait, raviver le feu, préparer une décoction de thym, mais voilà qu’il se penchait de nouveau sur les corps qu’elle voulait occulter. Elle le suivit des yeux, minois froncé en une petite moue oscillant entre le dégoût et la résignation. De l’autre côté des flammes, Huan semblait tétanisé. Il s’était assis à deux bonnes toises du chien-ours et l’observait sans bouger un seul muscle. La faim devait le tenailler, mais il savait que son vis-à-vis le mordrait férocement s’il tentait de s’inviter au festin.

Eirik acheva le gros bonhomme qu’il avait éventré. Il faisait preuve de charité dans ce geste cruel. Il se tourna ensuite vers le chef, qui gisait la gorge déchirée sous les crocs du chien. Elle ne douta pas que le Nordique ait l’ascendant sur l’animal mais elle n’avait encore jamais vu Hund lui tenir tête ainsi. Elle se fit plus attentive quand il glissa deux doigts sur la jugulaire du grand échalas. Peut-être était-ce idiot, mais elle fut soulagée d’apprendre qu’elle ne n’avait pas tué. Elle détourna les yeux quand il l’égorgea, admettant que c’était là un mal nécessaire.

Le blond suivait son idée, réfléchissant à voix haute. L’Angevine l’écoutait, portant son regard sur le ravin occulté de nuit. Elle acquiesça à sa demande, réalisant qu’il devait économiser ses efforts et ses pas, même si elle se méfiait du grand cheval depuis qu’il l’avait mordu. Dans la grotte, elle récupéra les cordes accrochées à la selle puis, s’efforça d’afficher un air déterminé pour approcher l’animal. Il grattait dans la neige pour mettre au jour quelques brins d’herbe brûlés par le froid. Elle le contourna pour éviter ses postérieurs et ralentit le pas en approchant de sa tête. Il la releva en couchant les oreilles. De la vapeur s’échappait de ses naseaux. Sa longue crinière, humide de neige drapait sa forte encolure, bien greffée sur de solides épaules. Il semblait la jauger, mais bien que grimacier, il ne l’agressa pas. Elle porta sa main fine sur le licou de chanvre. Il renâcla bruyamment mais consentit à la suivre. Elle était minuscule face à la masse imposante d'Hunt.

La fauvette aida Eirik en silence, même si la tâche la répugnait. Ses mains tremblaient quand elle liait les chevilles des cadavres. Elle l’aida à les faire tomber. La neige et les broussailles atténuèrent légèrement la chute des dépouilles en contrebas, ne laissant remonter qu’une succession de bruits mats jusqu'à ce qu’ils s’immobilisent. Elle ferma les yeux, comme si c’était suffisant pour ne plus les entendre. Les entrailles fumantes étalées dans la neige provoquèrent un nouveau haut-le-cœur. Elle laissa son compagnon de route rejoindre l’abri exigu de la grotte, et rattacha le cheval à une branche souple, sous le couvert d’un arbre au feuillage persistant.

Elle eut froid encore. Ses membres tremblaient, et si ses jambes ne lui semblaient plus si solides, sans doute était-ce à cause des émotions qui pesaient à sa poitrine et barraient son front d’un léger pli. Elle raviva les flammes puis, dégotta le matériel de couture dans le baluchon du Nordique. Elle se saisit ensuite de la flasque de whisky à laquelle il venait de boire. Elle la porta à ses lèvres pour en prélever une gorgée. Elle en détesta le goût de terre légèrement fumée, mais la chaleur de l’alcool coulant à sa gorge lui fit un peu de bien. Elle en déposa une larme dans ses mains qu’elle frotta de nouveau. Son regard accrocha celui du blessé, affaissé contre la paroi rocheuse. Elle inspira longuement, cherchant courage encore pour ce qui lui restait à faire. Elle prit ses mots comme un encouragement et lui releva un sourire un peu pâle. Elle avait suturé des plaies déjà, mais pour autant n’était-elle pas coutumière de ce geste qu’elle n’avait pratiqué que contrainte par l’urgence des situations, tout comme en l’instant présent. Elle s’efforça de contenir le tremblement de ses mains, et se plaça de manière à ne faire aucune ombre sur la peau claire du Nordique. De nouveau elle tamponna délicatement la blessure avec un linge propre imbibé de la décoction de thym. Elle s’appliquait à mettre de la douceur à ses gestes, même si elle aurait voulu déjà en avoir fini.
Il était temps à présent, et le saignotement ne cesserait qu’une fois la plaie refermée.

– Vous êtes prêt Eirik ?

La question était destinée autant à lui qu’à elle-même, s’offrant ainsi l’impulsion nécessaire pour oser le premier point. Sa main gauche vint rapprocher les berges quand la droite plantait l’aiguille perpendiculairement à la peau, pour la ressortir de l’autre côté de l’entaille. Sans y prendre garde, elle retint sa respiration tout au long du geste, pinçant entre ses dents le coin inférieur de sa lèvre. Elle tira délicatement sur le fil et noua le premier point. Puis, elle releva les yeux vers le blond qui n’avait pas bougé d’un pouce. Elle expira longuement, en cherchant à son visage des signes de crispation. Elle renouvela son geste pour les points suivants, retenant son souffle à chaque fois que l’aiguille traversait la chair. Quand la dernière suture fut achevée, elle reposa fil et aiguille sur le couvercle de la boîte en fer et s’essuya le front dans sa manche. Elle reprit une gorgée de whisky et tendit la flasque à Eirik. Elle se souvenait d’un onguent noir à l’immonde odeur d’huile rance et de poix dont on avait badigeonné la suture qui à présent, laissait une marque hideuse à sa jambe. Il avait vertu d’aider à la cicatrisation en empêchant les humeurs malsaines de faire leur lit de la plaie. Elle n'était ni médecin, ni apothicaire et n'avait rien de tel. Elle se contenta d'appliquer sur la blessure un linge propre, plié en carré, et imbibé de la décoction de thym. Puis, elle maintint sa main dessus, en cherchant autour d'elle, comment le faire tenir. D'un drap? il serait simple de découper des bandes, mais ici, en pleine tempête de neige au milieu de nulle part... Elle eut une idée cependant.

– T'nez ça Eirik s'il vous plaît.

Joignant le geste à la parole, elle guida sa grande paluche vers le pansement, et retira sa main quand il y posa la sienne. Puis, elle alla fouiller dans ses affaires. Elles se résumaient à pas grand-chose, si ce n’est les vêtements qu’elle portait sur elle quand il l’avait trouvée. Une femme dans une auberge les lui avait lavés, mais elle ne les avait plus guère mis, puisque le Nordique lui avait acheté une tenue bien plus chaude. Elle en sacrifia un dont elle usa pour fabriquer de longues bandes d’étoffe et revint se baisser à sa hauteur.

– Ça n’va pas être aisé comme ça, faudrait ôter ces épaisseurs.

D’une main, elle l’aida à se débarrasser des frusques qui couvraient le haut de son corps, quand l’autre maintenait de nouveau le linge propre sur la plaie récemment suturée. Puis, elle noua autour de son torse les bandes de tissu qu’elle venait de découper. Enfin, elle l’aida à se revêtir. Elle n’aurait su dire qui, de lui ou d’elle avait été le plus éprouvé par l’exercice. Mais ce n’était pas fini. Il restait encore son mollet et il était bien moins aisé de l’examiner à la faible clarté des flammes, alors que l’homme était assis dos à la paroi. Elle rapprocha une branche dont l’extrémité était grignotée de flammes.
Il souleva le tissu qui couvrait sa jambe. Il était déjà tout gorgé de sang, mais l’effort réalisé pour se débarrasser des cadavres n’avait sans doute pas aidé à l’hémostase. Elle nettoya avec la même application la peau autour des berges, sans parvenir à faire cesser le saignement. Alors, arrachant encore une bande large à ce qu’il restait de ses vêtements, elle banda la plaie après y avoir appliqué le même pansement imbibé de la décoction de thym que pour son flanc.

– On aura vite fait de voir si ça continue de saigner, et si c’est l’cas, faudra r’coudre aussi.

Contre toute attente, une petite fleur rouge sang s’épanouit sur le bandage, mais elle cessa de croître ne souillant le tissu d’une tache pas plus grande qu’un sou d’or. Une fois le matériel rangé, Fanette se tourna vers le feu et ramena ses genoux contre sa poitrine en les enserrant de ses bras. Son regard vagabonda sur les flammes toutes proches. Elle en sentait la chaleur irradier à sa peau et rendre sans doute un peu de couleur à ses joues. Peu de mots furent prononcés.

Au-dehors, la neige tombait encore drue. Le vent soufflait en rafale, précipitant la chute lente des flocons en tourbillons agacés. Dans les ténèbres privées de lune, on ne distinguait qu'un tapis blanc et cotonneux qui semblait vouloir estomper tous les reliefs. Du départ du chemin, des arbres proches, du ravin un peu plus loin, on ne voyait plus rien. Même Hunt avait disparu, et ne restait de sa présence que les faibles bruits quand il grattait le sol ou qu'il s'ébrouait. De l'autre côté des flammes, presque à portée de main, compte tenu de l'exiguïté de l'abri, les deux chiens ronflaient. Huan avait trouvé refuge contre Hund. Parfois, son poil ras était parcouru d'un frisson. Le dogue n'était pas aussi bien équipé que le berger du Caucase pour résister aux températures glaciales d'un hiver blanc, surtout le ventre à moitié vide.

Fanette était épuisée. Elle se laissa basculer sur la vieille couverture en espérant trouver le sommeil. Mais les pensées s'entrechoquaient sous les boucles indociles. Elle se décala légèrement, jusqu'à venir trouver le contact du Nordique, comme un petit animal effrayé. Même affaibli par deux blessures, elle le pensait encore bien plus dangereux qu'elle, et se rassurait un peu de le sentir si près. La nuit avançait, pareillement tourmentée de neige qu'à la fin de l'après-midi. Les rafales de vent venaient mourir sur la paroi rocheuse et le feu ne parvenait pas à éloigner d'eux le froid glacial de l'air. La peur avait pris le pas sur sa fatigue. Elle songea à la fille, où comptait-elle fuir, les mains liées, dans une tempête de neige ? Etait-elle morte déjà, ou bien, avait-elle pu trouver refuge dans un hameau quelconque ? Combien de temps sauraient-ils tenir dans cette grotte sans eux-même succomber au froid ? Si le garçon donnait l'alerte, s'il revenait à l'aube avec une troupe plus importante ? La neige suffirait-elle à les décourager ? Et à travers toutes ces questions en revenait une autre, liée aux paroles prononcées par le juge quelques jours plus tôt.
Elle avait le tournis, et la température descendait encore, figeant le peu de chaleur autour des flammes, réduites à une simple source lumineuse. Elle releva la tête, cherchant à deviner si son voisin s'était assoupi, ou s'il veillait encore. Il lui sembla déceler l'éclat clair de son regard.

– Eirik, j'ai peur de c'que va raconter le garçon ? J'me suis enfuie sans accomplir le mois d'travail que je devais à Alençon, et les morts à présent. S'il ment. S'il dit qu'on les a agressé. Le juge a dit que j'devais m'faire oublier, sinon, si mon nom arrive encore aux oreilles du tribunal, j'risque d'être pendue pour de bon cette fois.
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Eirik_gjermund


Fanette but une gorgée de whisky et Eirik ne s'en étonna pas, malgré la grimace significative - elle n'aimait pas cet alcool. Elle tentait d'y puiser du courage. Depuis leur départ, la Roussette n'avait bu que des tisanes et du vin ; jamais du whisky. Lui en but sans se faire prier !
Sa dernière blessure suturée était à l'extérieur de la cuisse gauche. Une longue estafilade en biais. Nécessitant bien plus de points que celle-ci ! L'opération ne lui faisait pas peur. Eirik savait supporter la douleur. C'était en partie génétique... Son paternel n'était pas un tendre et ne reculait devant aucun mal, si ce n'est la maladie. Quant à sa mère, elle avait accouché sans un cri, sauf pour Halvor - le dernier fils. Il avait une caboche énorme. Eirik se souvenait de sa mère poussant une protestation lorsqu'il l'avait déchirée.
L'autre partie de résistance à la douleur d'Eirik était son mode de vie passé. Lorsqu'il combattait p
our gagner sa vie. Un miracle qu'il ne soit pas complètement édenté, d'ailleurs.

Vous êtes prêt Eirik ?
Il hocha la tête et grogna. Fanette avait les mains tremblantes... Elles se firent sûres dès que l'aiguille troua sa peau contusionnée et ouverte. La première piqûre le fit grimacer. Surprise ou douleur ? Il ne savait pas lui même.
Fanny lui fit cinq jolis points, même si les deux premiers étaient hésitants.

Elle regarda autour d'elle, soudain perdue. Il l'interrogea du regard mais elle ne le vit pas. La jeune-femme lui demanda de tenir la compresse, ce qu'il fit.
Fanette revint avec un bandage propre.

Ça n’va pas être aisé comme ça, faudrait ôter ces épaisseurs.
Eirik grogna, mécontent de se découvrir mais bien en accord avec la pertinence de la demande. L'aide de Fanny n'était pas de trop ! Se dévêtir lui faisait ressentir ses deux estafilades. En revanche, Eirik n'aurait aucun bleu, car il n'y avait pas eu pugilat. Mais si Hund n'était pas intervenu... Eirik serai sans doute mort. Et Fanny... Bien pire encore. Il y avait pire que la mort.

Torse nu, ses poils blonds se dressèrent d'indignation. Fanette fit le tour de son torse avec les bandages de fortune. Eirik sursauta sous les doigts glacés de la jeune-femme et il se dépêcha de se couvrir et serra sa gorge avec de la laine.
Il avait toujours un pied nu. Le mollet gauche était amoché, juste au dessus des bottes. Si le vaurien avait taillé dessous, il n'aurait pas atteint sa peau et aurait tranché dans ses chausses. De bonnes bottes ! Il ne voulait pas s'en racheter, elles venaient de loin !

On aura vite fait de voir si ça continue de saigner, et si c’est l’cas, faudra r’coudre aussi.
Eirik ne dit rien mais il observa Fanny et sa plaie. Elle banda sa jambe et ils attendirent un peu. Le sang ne se répandait plus.
Eirik remit la couche de ses vêtements et sa botte.
Il était frigorifié !

Tout prêt du feu, il leva ses yeux de glace vers son infirmière.

Merci. Tu t'es bien débrouillée. Pour l'homme, avec ton caillou. Bien visé. Et ton aide pour les corps. Tu as gardé ton sang-froid. C'est rare chez une femme. Dit-il, sincère.
Certaines s'en seraient mieux sorties, mais beaucoup auraient péri et glapit sous les coups et les macabres œuvres à mettre en place. Eirik ne doutait plus de Fanny.

Il regarda Hund revenir. Le chien ne lui adressa pas un regard. Il était rancunier. Eirik était passé à deux doigts de l'affrontement. Avec un tel molosse, les rapports de force étaient constants. Un chien dominant cherchait à dominer, à renverser le mâle alpha. La moindre faiblesse du Nordique le précipiterait à sa perte. Car oui, Hund pourrait le tuer. Ses instincts étaient plus forts que son affection. Eirik le savait. Hund le savait.

Le chien-ours entreprit de nettoyer les oreilles du dogue, comme un dominant pouvait faire pour asseoir son pouvoir, parfois par des cajoleries. Même chez les animaux il n'y avait pas que de la violence. Surtout chez les animaux, en réalité.


La neige tombait drue. Tout était noir, pourtant. Le feu éclairait les flocons furieux à un mètre et demi, mais plus loin.. le néant.
Eirik était inquiet. Il était inapte à la chasse. Leurs provisions étaient très limitées, et sans compter les chiens. Si le blizzard durait, il leur faudrait cuire l'avoine de Hunt... Fanette ne devait rien savoir. Pour le moment. Jusqu'à ce qu'il trouve une solution.

Sous l'effet du choc des températures, Eirik était secoué de tremblements incontrôlables. Il lui fallut vingt bonnes minutes pour se calmer. Chaque muscle s'en retrouva tendu.
S'apaisant peu à peu, Eirik piqua du nez. Il s'éveillait à chaque fois que sa tête penchait. Il avait froid. Oui, le Nordique avait froid. C'était du aux événements et à sa faiblesse physique... Sans tout ça, il n'aurait pas bronché face au blizzard et à la température négative. Eirik n'était pas un surhomme...

Hund ronflait. Eirik reconnaissait ce son familier comme on repère le pet de son meilleur ami.

Fanny regarda le Blond, les joues masquées par sa barbe et par l'ombre du rideau de ses cheveux sales. Il leva les yeux.

Eirik, j'ai peur de c'que va raconter le garçon ? (.....) Si mon nom arrive encore aux oreilles du tribunal, j'risque d'être pendue pour de bon cette fois.
Il avait été très imprudent de le laisser filer celui-là, mais Eirik n'avait pas voulu l'accabler. Il était temps.
Tu aurais dû le tuer ou l'immobiliser, quelque chose ! Il est parti, maintenant, et il va raconter c'que bon lui semble !
On ne laisse jamais filer un adversaire dans de telles conditions !
Se fâcha-t-il.
Mais Eirik se calma vite. Comment pouvait-elle savoir quand et qui laisser filer ?

Espérons qu'il retrouve la fille. S'il la retrouve, il ne dira rien du tout.
Le gosse était, des quatre hommes, le plus susceptible de leur causer des ennuis. Eirik avait tué son père et lui en tiendrait rigueur. Et des quatre, c'était le moins méchant. Il devait avoir un village, une famille, des amis. Une mère ? Et un père mort.
Bordel. Son visage se fit plus doux.
Eirik soupira.

Dès que la tempête se calme, on part. Vite et loin. Ça ira, ne t'en fais pas.
Le Scandinave s'envoya la moitié de sa flasque et sourit à la pensée qu'il avait plus de whisky que de vivres...


Une douleur lancinante l'éveilla, peu après l'aube. Durant une seconde, Eirik s'étonna de cette sensation puis chaque événement lui revint en mémoire. Et merde.
Une chaleur contre son flanc indemne lui fit remarquer Fanette, presque blottie. Mais elle ne dormait pas.

On devrais boire quelque chose de chaud. Une tisane, même pour moi. Je n'y ai pas pensé hier mais j'ai une petite boîte avec d'autres plantes.
Une bonne connaissance à lui lui avait offert ça. Millepertuis, gentiane, plantain, géranium, aigremoine... Quoi d'autre ? Il ignorait le nom de tout ça.
Une petite boîte juste à côté de celle qu'avait prise Fanny ! Et il n'y avait pas pensé...



    [ Plus tard... ]


Il neigeait toujours. Beaucoup. Il devait être dix heures mais le ciel était gris.
Eirik avait bu l'infusion sans rechigner, lui qui n'aimait pas les tisanes... Fanny et lui avaient regardé la plaie du mollet et son état était satisfaisant. En revanche, il était trop tôt pour déranger sa blessure suturée. Plus tard...

Tu as appris où à coudre la peau ? Demanda Eirik, car parler devenait leur seule possibilité.

Un peu plus tard, le vent cessa, mais pas la neige. Hund partit et grogna sur Huan, qui voulait le suivre.

Il va chasser...
Le solide homme du Nord en venait à espérer que son chien lui ramène à manger... Hund l'avait déjà fait. Tout espoir n'était pas perdu...
Tu as faim ? Il reste du poulet frais.. glacé plutôt ! Et de la viande de porc séchée. Quelques biscuits, quelques noix... Et du vin.
Le couple avait assez pour se nourrir aujourd'hui. A défaut de fraîcheur et de saveur, c'était comestible. Le poulet serai bon avec les aromates mais il ne restait que deux petites portions.

Je dois me lever.
Eirik prit appui sur le bord de la caverne et tangua. Son aisselle gauche se vit soutenue par la jeune-femme.
Merci, mais reste là, tu peux plus m'aider.
Eirik parti en clopinant vers les arbres et extirpa de son pantalon son membre. Il resta ainsi au moins une minute, sans arriver à pisser, et son outil semblait réduire entre ses doigts glacés. Puis vint un filet d'urine. Enfin !
Au retour, soulagé et plus sûr sur sa patte, Eirik vint voir Hunt et lui flatta l'encolure. Son bras droit lançait sa plaie.

Eirik revint s'asseoir près du feu. Il avait faim.

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Sa langue natale
Lison_bruyere
Fanette avait encaissé le coup de gueule en silence, regard baissé sur ses mains qu'elle nouait et dénouait nerveusement. Elle avait tué déjà, une fois, et avait tenté de le faire, plusieurs fois, dans l'impulsion d'une vengeance. Paradoxalement, elle ne se voyait pas comme une tueuse. Elle n'était qu'une aubergiste, une conteuse tout au plus, et elle avait subi la violence bien plus souvent qu'elle ne l'avait provoquée. Alors, si elle avait laissé filer le jeune homme, c'est qu'elle était à ce moment-là bien trop éprouvée par ce qui venait de se passer pour en envisager les conséquences. Pourtant elle devait reconnaître qu'il avait raison, et c'est bien pour cela qu'elle ne mouftait pas. Par chance, il s'était rapidement radouci, et pour ne pas encombrer son esprit d'inquiétudes inutiles, elle tentait de se raccrocher à ses dernières paroles. Elle coula un regard vers la tempête qui sévissait toujours au-dehors, espérant qu'elle ne dure que le temps de décourager d'autres de venir les dénicher.

Au lendemain, le manteau poudré continuait de s'épaissir. Les branches des arbres ployaient sous le poids de la neige. Le vent ne soufflait plus, et il y avait une certaine poésie au spectacle offert par les flocons qui descendaient doucement. Ils semblaient étouffer les bruits, estomper les couleurs, transformant le paysage en un cocon nébuleux. Seul le froid mordant rappelait l'âpreté de l'hiver et la rudesse de leurs conditions de voyage.

La jeune femme attisa le feu qui se mourait et prépara une nouvelle décoction de thym. La compresse s'était collée à la plaie de la jambe du blond, mais elle parvint à la retirer délicatement. Un peu de sang perla, mais rien d'anormal et les berges juste soudées gardaient une teinte rosée qui n'avait rien d'inquiétant. Elle mit un nouveau pansement en place, puis se rassit et noua ses doigts gelés autour d'un gobelet de tisane chaude.

– Coudre la peau ? Ben, mon mari, enfin l'père de mes enfants.
Elle précisa, puisqu'à présent, et bien qu'elle le regrettât, c'était à un autre qu'elle était unie. Elle sembla hésiter avant de poursuivre.
– Le père de mes enfants, c'est pas un homme bien. Enfin si, avec moi il l'était, mais ... Au diable les hésitations, après tout, le Corleone ne se cachait pas vraiment d'être un assassin. Ce qu'il gardait secret était l'identité de ses victimes et la façon dont il procédait, que ce soit poisons discrets ou coups de lame maquillés pour faire croire à l'acte d'un tire-laine.
– Il tue, pour le compte de sa famille maternelle. C'est ainsi qu'il gagne sa vie, puis, par son père, c'est un Corleone. Ils ont beaucoup d'ennemis. Souvent, il rentrait avec des blessures. Il a appris la médecine, il se soignait, mais parfois, j'ai dû l'aider, c'est comme ça qu'il m'a enseigné des petites choses, dont ça.

Elle posa un regard mélancolique sur le feu. Etaient-ce les activités de l'Italien qui avait eu raison d'eux. Tout avait changé à l'instant où il avait compris qu'il ne saurait préserver son innocence. Dès lors, il avait refusé de l'emmener avec lui quand il quittait la ville pour aller accomplir ailleurs ses sombres missions. Elle passait parfois plusieurs semaines sans nouvelles de lui, à l'attendre en tremblant chaque jour qu'il ne lui soit arrivé malheur, et l'enlèvement de leur fils avait fini de les briser, murant le tueur dans un chagrin où il n'y avait aucune place pour elle. Elle avait fini par lui faire comprendre d'un baiser égaré à de mauvaises lèvres, combien elle était perdue elle aussi. Elle était bien trop jeune pour n'être qu'une mère éplorée et une épouse résignée, mais il s'était drapé d'arrogance et d'orgueil et l'avait répudiée en l'accablant d'un mépris qu'il lui conservait encore, à son grand désarroi.

Inquiète, elle suivit des yeux les premiers pas d'Eirik quand il s'éloigna pour aller se soulager. Elle en ferait autant plus tard. Elle profita de son absence pour s'occuper du repas. Elle remit à dégeler dans la marmite les deux morceaux de poulet qu'elle agrémenta d'aromates. La viande datait un peu, mais malgré tout, le gras fondant s'imprégnait du parfum des herbes et les vapeurs parfumèrent l'air autour. Fanette n'avait guère faim, ou peut-être que si, mais elle ne savait plus la ressentir quand quelque angoisse la tenait, nouant sa gorge autant que son ventre.

Quand le Nordique revint s'asseoir, elle le servit en lui réservant le plus gros des deux petits morceaux, puis, se ravisant, elle ajouta le second à l'écuelle du blond. Elle attrapa un biscuit qu'elle grignota par habitude sans vraiment y trouver goût, et entreprit de casser quelques noix en brisant leurs coquilles d'une pierre.

Un bruit les alerta. Il venait de ce qui, hier encore, était un chemin. Fanette pensa au retour de Hund, mais elle distingua du coin de l'œil Eirik qui portait la main à sa dague posée tout près de lui. Contre toute attente c'est la jeune brune qui apparut. Elle s'immobilisa en les voyant et jeta un regard affolé autour d'elle avant de reporter son attention sur eux. Sa mise dépenaillée était maculée de sang et ses poignets étaient désormais libres des liens qui l'entravaient la veille. Des mèches folles s'échappaient de la longue tresse qui coulait à son épaule, et ses lèvres bleuies marquaient son visage pâle comme la mort. Elle tremblait de froid. Elle hésita un instant sur la conduite à tenir et amorça un demi-tour.

– Attends !

La fauvette se précipita, aussitôt talonnée par son chien. Elle rattrapa la fille par le bras.

– N'aie pas peur ... Oh, mais t'es g'lée. Viens là !

Elle l'entraîna d'autorité vers l'abri sommaire de la grotte et la fit asseoir près du feu. Elle glissa rapidement ses noisettes sur Eirik. Elle avait agi d'instinct, sans se soucier de ce qu'il pourrait en dire. Mais la neige continuait à tomber, même si les flocons semblaient plus épars, et la fille semblait être plus victime que menace.
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--Sylvia.


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Elle avait vécu l'enfer deux jours durant. Elle s'était trop éloignée du chemin, simplement pour uriner. Et elle avait entendu des pas, puis des rires. Ils étaient quatre. Deux avaient l'âge de son père, un de son grand-frère et le plus jeune, à peu près le sien.
Elle s'était rhabillée si vite que ses sabots s'étaient pris dans sa robe. Malgré ses cris, ils l'avaient emportée et vite bâillonnée.

Elle se nomme Sylvia et elle a seize années. Brune et bien en chair, elle est la fille d'un paysan. Elle voulait épouser le fils du maréchal-ferrant.
Désormais, plus aucun homme ne voudrait d'elle. Sylvia avait été souillée.
Sauf par le jeune, le fils de l'obèse. Il n'y était pas arrivé et les trois autres s'étaient moqué de lui, encore et encore.
Ce n'était arrivé qu'une fois en deux jours. Il faisait si froid... Même ces violeurs le sentaient. Ses trois bourreaux s'étaient contentés de l'attacher et de la faire suivre en lui promettant de la chaleur, sous toute ses formes...

Hier soir, il s'était mis à neiger. Avant la tombée de la nuit, ils avaient vu un feu au dessus d'eux. Le chef - José - avait voulu monter voir malgré le danger probable.

- Peut-être que c'est des soldats, José.
- Et pt'êt qu'non. Silence les gars.

Sylvia avait suivi, bien évidemment. A son refus d'avancer José lui avait collé une grosse mandale, hier. Elle avait encore la lèvre et la pommette tuméfiés.


Ce qui s'était passé là-haut avait été effroyable ! Ce grand sauvage blond et la fille avec lui... Sylvia avait fui avant même l'issue du combat. Fui pour sauver sa vie. Pour la perdre dans le froid ?
En pleurs, les mains liées, les sabots détrempés de neige, la robe en lambeau, Sylvia s'était enfoncée dans la forêt. Que plus personne ne l'approche !
A couvert, elle avait gratté la neige pour s'y faire un lit de terre, à l'abri sous un gros arbre. Elle avait défait ses liens, y passant ce qui lui semblait une éternité !
Elle n'avait pas dormi de la nuit, pas seulement à cause du froid. Elle avait entendu des loups... Elle ne pourrait pas survivre seule...
Que faire ? Aller retrouver les deux étrangers ? Il y avait une femme. Elle l'aiderait. Peut-être...

L'aube était peu discernable avec ce blizzard. Sylvia n'était pas partie bien loin. Toujours terrifiée, elle avait fait demi-tour. Si les inconnus n'étaient pas sur une hauteur et s'ils n'avaient pas fait de feu, jamais elle ne les aurait retrouvés.

Un cadavre barrait son chemin. Un jeune-homme blond, de son âge. Sa cheville était prise en étau par un piège à loup rouillé dont les crocs étaient enfoncés profondément dans sa chair, sans doute jusqu'à l'os car la jambe faisait un angle improbable. Ses mains étaient couvertes de sang, entaillées. Il avait tenté de se libérer. Son visage blanc était figé dans la douleur.
C'était le seul à ne l'avoir pas violée. Même si l'intention y était, Jackie - c'était son nom - avait fait preuve d'une certaine attention, comme quand il lui avait donné son manteau. Un manteau puant mais chaud, que Sylvia avait encore.
Il était étrange que les loups n'aient pas senti l'odeur du sang. Celle de Jackie et la sienne. Sylvia avait eu ses menstrues durant la nuit et ses cuisses charnues étaient poisseuses. Peut-être que si c'était arrivé avant, elle serait toujours vierge. Triste ironie !


Sylvia montait lentement la colline. Elle ne distinguait plus la fumée. Elle se croyait perdue. Puis vint à ses narines l'odeur de la nourriture !
A pas feutrés, elle s'approcha en redoutant le chien. Un très grand chien à poils court, peut-être méchant.
Les bras autour d'elle, Sylvia approcha encore et les vit. La jeune-femme et le blond, assis. Son courage vacillant, Sylvia fut tentée de faire demi-tour.


Attends ! Fit la fille, lui courant après, suivie du molosse.
Effrayée, Sylvia allait s'enfuir mais elle fut retenue.

N'aie pas peur ... Oh, mais t'es g'lée. Viens là !
La fille de paysan regarda l'inconnue dans les yeux.
Elles faisaient la même taille, mais là s'arrêtait la ressemblance. Brune aux yeux foncés, Sylvia était bien en chair. Peut-être vingt kilos de plus que la jeune-fille. Sylvia était vêtue d'une robe chaude mais toute déchirée, surmontée du grand manteau de cuir doublé du fils de l'obèse. Aux pieds, des chausses naguère chaudes enfilées dans de gros sabots. Elle avait tressé sa longue chevelure noire. Elle était hirsute, sa natte, maintenant.


J..J..J... Bégaya-t-elle, surprise de son filet de voix chevrotant.
Elle était gelée, ça oui ! Coup d’œil au chien. Il n'était pas menaçant. Coup d’œil au blond, là-bas. Il était vieux. C'était sans doute le père de la fille.

Approche. Dit-il avec sa grosse voix.
Encouragée par l'inconnue, Sylvia obéit, encore craintive. Elle fut invitée à s'asseoir et le fit raidement, le corps secoué de spasmes.

M... Me.. Mer-ci-ci... Je m'ap... pelle Sssylviia...
Peut-être que là serai son salut.



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