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[RP] Entre Chienne et Louve.

Alaynna
[ Sur les chemins, août 1466].

Diego disparu. Envolé le meilleur ami avec les jumeaux. Je croyais qu'il avait également Callie avec lui mais no, la petite se trouvait avec Maryha. Dans tout ce malheur de m.ierda, c'était une bonne chose pour Anna. Parce que Niallan aussi avait disparu. C'était bien la peine qu'il ait fait tout ce foin pour venir nous chercher puisqu'à l'heure actuelle, il n'avait tenu aucunes de ses promesses. A sa décharge, la disparition de Corleone l'avait mis à mal et même si moi, je gardais continuellement un oeil sur le Salaud de ma vie, il n'en restait pas moins qu'avec la dernière mouture dont il nous avait gratifié en nous larguant dans la nature, je l'avais mauvaise après lui. Parce que je voyais bien qu'Anna dépérissait à vue d'oeil et en voulait à son papà.
Mais au moins, puisque sa petite copine Callie était là, et mal en point elle aussi avec la disparition de son père, elles pourraient au moins se réconforter.
De mon côté, j'avais opté pour le même raisonnement que Maryha : la guerre, c'est plus fiable qu'un homme. Certes, cela faisait des semaines que je restais dans mon coin, depuis que j'avais "adopté" ce bébé qui me rappelle tant Andrea. Je voyageais discrètement avec le groupe, je m'occupais exclusivement d'Anna, du bébé, des chevaux, d'Appolo et de Njord. Dans l'immédiat, je venais d'être reçue à mes examens aux haras royaux et j'avais mis entre parenthèses mes études à l'Ostel Dieu ; mais je comptais m'y remettre sous peu. Maintenant que j'en avais fini avec le haras, j'aurai plus de temps pour terminer les cursus sur lesquels je m'étais engagée.

Durant ces dernières semaines, j'avais passé mon temps recluse avec Anna et ce petit bout de chou qui était entré dans ma vie. Je restais sur mes gardes et je me méfiais de tout le monde, mais surtout, je prenais mes marques avec le bébé et Anna, au contact du nourrisson, retrouvait quelques étincelles lumineuses de joie dans ses petits océans et se comportait déjà de façon très protectrice avec lui. Elle en délaissait sa poupée pour passer le plus clair de son temps à s'occuper de son nouveau petit frère.
D'un commun accord avec elle, nous lui avions donné un prénom. Ainsi, désormais, le petit Flavio s'acclimatait petit à petit, tout en douceur, à ce petit cocon familial que nous formions, Anna, lui et moi.
J'avais pris l'habitude de lui parler en italien, j'avais remarqué qu'il s'apaisait de suite dès qu'il entendait les sons ritals et le rituel des berçeuses à l'italienne avait repris de plus belle pour Anna et lui.

Evidemment, personne n'était au courant, hormis Niallan mais il ignorait que j'étais revenue avec le bambino.
Diego n'étant pas présent, c'était facile. Pas de Diego, pas de questions gênantes. Niallan non plus, quoique vu qu'il était déjà au courant de ma démarche et qu'il passe son temps à fuir et ignorer notre fille, j'étais tranquille de ce côté là.
Restait néanmoins que Maryha elle, il allait bien falloir qu'à un moment donné, je l'informe de la situation.

Et c'est l'une des raisons qui m'ont fait pousser la porte de la taverne ce soir. J'ai fini par la mettre au courant, ou tout du moins, j'ai allègrement passé sur les détails. J'ai balancé que j'avais adopté un fils, Flavio.
Evidemment, elle s'est mise dans tous ses états, surtout au vu de nos projets actuels. Heureusement, elle ignore ce qu'il en est réellement. Elle a d'abord cru que j'avais fait ça pour Niallan mais certainement pas ! Je sais exactement quel est le rêve de Niallan, et même si j'escompte le réaliser, je planque tout ça bien dans les tréfonds de mon âme, et le déni continue de plus belle pour ce qui concerne le Salaud de ma vie.

No. En fait, la seule chose que j'ai balancé du bout des lèvres à la Bridée, c'est que Flavio a environ trois mois, qu'il n'est pas blond mais brun et qu'il a les yeux d'Andréa. J'aurai pu m'éterniser encore et tenter de lui expliquer que c'est viscéral, qu'il n'y a pas que la couleur de ses yeux, et qu'en fait, dans son regard, dans la forme de son petit visage, de son minuscule menton, c'est mon fils décédé que je retrouve en ce petit bout d'homme.

Mais je n'ai rien dit. Strictement rien dit.

Et je m'en suis retournée auprès d'Anna, de Flavio, de mes Danois et des chevaux. En continuant de m'inquiéter pour le père de ma fille et pour Diego, sans n'en rien montrer. Maryha semble persuadée qu'il s'agit d'un coup d'Eliance.

Moi j'en doute. Mais là encore, je me la suis bouclé. Elle m'a dit que Callie, Anna et Flavio étaient de bonnes raisons de rester en vie. J'ai abondé en son sens. Un mensonge de plus de ma part, sans sourciller.
Parce que si Niallan ne revient pas auprès de nous pour tenir ses putains de promesse, j'y vois là moi, une excellente raison pour aller guerroyer. Mais pas pour me défouler comme je l'ai laissé entendre à Maryha.

Avec la disparition de Niallan, j'en ai même oublié mon geste fou et les conséquences qu'il pourrait advenir si jamais l'homme auquel j'ai dérobé le nourrisson retrouvait notre trace.

Et dans l'immédiat, c'est auprès de Flavio, qu'Anna et moi, puisons notre réconfort. Un jour en emmenant un autre.

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Montparnasse.
    Sur le chemin un peu avant Mende, Nuit du 22 au 23 aout 1466.


Le Rat et la Souris n’étaient les plus malins des hommes, mais ils faisaient exactement ce que Montparnasse leur avait demandé, et ca c’était une qualité de plus en plus rare chez les brigands.

Il n’avait pas sous estimé l’italien, bien au contraire, il savait l’homme rapide, habile et impitoyable. C’est pour cela qu’il avait créé cette arme de fortune, pour pouvoir frapper sans être à la porter de ces lames que Roman maniait à la perfection. Montparnasse n’eut pas la bêtise dénigrer son adversaire, et c’est pour cela qu’il avait put prendre le dessus sur lui. Le Rat et la Souris agrippèrent les bras de l’italien pendant que la pierre vient s’abattre sur la mâchoire du brun.

Le maintenir pour ne pas qu’il réplique, voila à quoi servait ces acolytes. En le voyant tituber, le galant sourit et se pencha légèrement sur l’italien pour répondre à son étonnement :


- En effet tu ne lui a encore rien fait. Et je m’assure seulement que tu ne lui feras rien.

Le deuxième coup de pierre frappa le jeune Corleone dans les cotes. Un léger bruit se fit entendre, surement celui de ces os qui cédèrent à la violence du coup.
Bien loin d’apaiser les envies de violence de Montparnasse cela ne fit qu’au contraire que les décupler.
Apres un léger coup d’œil à ces compagnons, afin de s’assurer qu’il le maintenait correctement le Galant lâcha la pierre pour passer à un bizutage en règle.

Le premier poing s’écrasa sur la pommette de l’italien très vite suivie d’un deuxième qui frappa au même endroit tendit que sa main gauche le maintenait par le col pour être sur de faire mouche à chaque coup.

Montparnasse s’acharna ainsi sur Roman quelque temps, frappant tantôt la pommette tantôt la mâchoire, tantôt les cotes brisés. Bandant comme un âne sous les coups qu’il lui assignait.
La violence l’excitait.
La violence lui faisant prendre son pied, bien plus encore que les corps de mille catins.
Son sourire en coin était vissé à ces lèvres et dans son regard il n’y avait qu’un mélange de folie pure et de plaisir malsains…

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Roman.
Le Florentin ne tenait déjà plus sur ses jambes, la douleur avait envahi son corps et son esprit. Sa conscience n'était plus qu'une suite d'impressions indécises de peur et de souffrance. Montparnasse frappait et frappait encore tandis que ses sbires maintenaient Roman debout alors qu'il ne reposait même plus sur ses pieds. Chaque respiration lui faisait sentir ses côtes brisées par les coups de poing répétitifs de Montparnasse. Il était incapable de voir le visage de son ennemi, encore moins de s'inquiéter de l'air triomphal et empli de jouissance que celui-ci affichait. Bientôt, il n'y eut plus rien d'autre qu'une impression de submersion totale dans un trou sans fond et sans lumière. Sa tête bascula sur sa poitrine et il perdit connaissance.
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Montparnasse.
Montparnasse se perdait doucement dans cette violence, et le Rat, qui commençait à bien connaître les vices de son employeur, s’en rendit compte et arrêta son geste quand la tête de l’italien bascula sur sa poitrine.

- Il a eu son compte Montparnasse, à moins qu’tu veuille sa mort, arrête toi.

Le jeune Galant regarda un instant le Rat, comme si il comptait lui faire subir le même sort, puis en regard Roman il hocha la tête et repris le contrôle de ces émotions. La vermine avait raison, il voulait seulement lui faire passer un message, rien de plus. Montparnasse s’approcha doucement de Roman et lui caressa la joue, sans s’inquiéter du sang qui couler sur celle-ci. Dans d’autre circonstance Montparnasse lui aurait surement fait des avances, il trouvait l’italien à son goût et aurait pris grand plaisir à se laisser aller contre lui. Mais les circonstances les avait fait ennemies, et l’italien n’était pas de ce bord là.
Il se pencha pour ramasser la lame que Roman avait fait tomber.
C’était une belle lame, un bel ouvrage.
Sourire en coin il se saisit de sa main, gauche, la même qui portait les initiale du Corleone et y grava un M et un C, les même initiale qu’il avait sur sa propre main, mais la signification était différente.
Si sur la sienne cela signifier Medici Corleone, le MC qu’il avait gravé été pour Montparnasse et Claquesous. L'ironie de la situation agrandit légèrement son sourire.


- Laissez-le là. On en a fini avec lui.

Il laissa tomber la lame à côté de l’italien et donna une grande claque dans le cul de sa monture pour que celle-ci s’en aille. Il aurait pu lui faire bien plus, mais il n’était pas là par vengeance, seulement pour faire passer un message. Un message plutôt clair.
Il adressa un signe de la tête à ces deux acolytes pour les remercier de leur travail et repartit à Montpellier. Il avait vraiment besoin d’une pute ou deux à présent, la crampe présente dans son pantalon avait du mal à disparaître. Il était à mille lieu de penser que le destin lui jouerais une mauvaise farce. Lui qui pensait que son frère serait à présent en sécurité se trompé lourdement.

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Roman.
Et au bord du sentier resta un homme étendu, inconscient, le visage tourné vers l'herbe encollée de sang. Sa respiration, rauque et faible, était le seul signe de vie qu'il pouvait encore montrer.

Il fallut une bonne heure pour que sur la route apparaisse un petit attelage, mené par un vieux fermier avec ses deux bœufs. Il revenait chargé de foin pour vendre sa production en ville...


- Hola ! Allons donc, qu'est-ce c'est qu'ça ?


Les bœufs arrêtés, l'homme s'approcha de Roman étendu à terre :

- Vindiou, qu'est-ce qu'on lui a fait, à çui-là ! L'a pas l'air d'un brigand...

Du bout de son bâton, il tâta le corps sans réactions. Il lui fouilla un peu les poches, pour faire bonne mesure, mais n'y trouva rien de bien intéressant, Roman ayant laissé une partie de ses affaires dans la carriole de Léorique. La dague, cependant, ouvragée à la poignée et d'excellente facture, constituerait un agréable petit plus à son salaire de la semaine.

- Hm, pov' gars. L'est pas encore mort... Ca serait bien dommage qu'il crève là comme un couillon, pis sans les sacrements...

Alors, jurant et soufflant, il remit le blessé sur le dos et le tira sous les bras pour le hisser tant bien que mal au milieu du foin. Si Roman avait été conscient à ce moment-là, il en aurait hurlé de douleur, bien que le vieil homme eut fait son possible pour n'être point trop brusque.


- Allons, en avant !

Le fouet claqua, et les bœufs reprirent leur lente progression vers Mende. Dans la charrette, sous une couverture de laine rêche, Roman n'avait toujours pas repris connaissance. Et c'était tant mieux pour lui.
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La_gertrude
Poussant tant bien que mal une brouette chargée d'un tonneau de bière, la vieille cuisinière ronchonnait. Elle ronchonnait toujours, et à tout propos, la Gertrude. A propos du temps, à propos du coq qui la tirait de son sommeil à l'aube, à propos des pommes de pin qui selon la saison risquait de l'assommer lorsqu'elle se rendait au village en visant sa tête exprès, elle en était persuadée.

Là, elle bougonnait sur le chemin de la taverne.


Non mais... pffff.. comme si l'Mathurin pouvait po s'charger d'am'ner ce foutu tonneau à M'dame Mirielle. Pis z'ont qu'à boire un peu moins, c'te bande de soiffards. Manqu'rait plus qu'ils se soient goinfrer d'galettes, j'sera bonne pour en r'faire. Comme si j'avais qu'ça à faire! Pis si l'livreur avait fait son boulot, j'serai po en train d'm'échiner à pousser c't'engin d'malheur !

Ah bah.. c'est quoi, c'te carriole d'foin qui bouche le chemin, là.. en plein milieu d'la route. Peut po s'garer un peu su' l'côté ? Non, faut qu'i s'croie tout seul!


Hélant le vieux paysan

Hey ! pousse donc un peu ton attelage d'là, t'vas me faire verser ma brouette!


Sans faire mine de ralentir sa charrette, le paysan montra le tas de foin derrière lui.


Crie pas comme ça, la vieille. Y'a un blessé qui risque bien de calancher si on traîne à lui trouver d'l'aide! Alors au lieu de râler, laisse tomber ton tonneau de vinasse et va donc au devant chercher un endroit où déposer ce pauvre gars.

L'hésitation ne dura que le temps de réaliser ce que venait de dire le paysan. La brouette se renversa dans le fossé, et n'écoutant que son bon coeur, la Gertrude partit aussi vite que le lui permettaient ses vieilles jambes en direction de la taverne qu'on pouvait apercevoir au loin.

L'village est pas loin, pousse tes boeufs, mon gars, Md'ame Mirielle saura quoi faire!
Lison_bruyere
Et pendant ce temps, les voyageurs poursuivaient leur route, emportant une fauvette recluse dans un chagrin qu'elle avait elle-même tissé. Si elle l'avait su en danger, elle se serait précipitée, ignorant toute prudence. Et si elle le savait blessé à présent, elle ferait demi-tour, et resterait à son chevet, veillant ses sommeils, apaisant ses douleurs, surveillant ses blessures, ou laissant couler à sa gorge un peu de bouillon, comme il l'avait fait lui-même pour la tenir en vie, les jours qui avaient suivi la naissance de leur fils.

Mais comment aurait-elle pu se douter de ce qui s'était tramé à l'arrière ?

Quelques heures encore avant de quitter le convoi, Roman lui avait dit qu'il ne souhaitait plus rester avec elle, et qu'aussitôt rentré en Limousin, il irait s'installer chez son père. Son absence n'avait étonné personne. Il avait sans doute emprunté une autre route pour regagner Limoges. Il serait bien plus rapide à chevaucher seul, loin des imposantes roulottes tirées par de lourds roncins. Ainsi, il n'aurait pas à croiser Fanette quand il retournerait à l'auberge pour y chercher ses effets personnels, et il se débrouillerait pour l'éviter quand il récupérerait le sac de toile et la sacoche de cuir laissés dans l'attelage. Alors, elle s'était résolue aux conseils de Nikita et Léorique, elle poursuivait la route avec eux, et n'ajouterait rien à la colère de son diable en ne lui imposant pas sa présence, puisqu'il en avait décidé ainsi.

Si elle avait su.
Mais elle n'en savait rien.
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Mirielle
M'dame Mirielle... M'dame.... Mirielle.. tcheu.. j'suis contente qu'vous soyez là... y'a un gars.. qu'amène un aut' gars.. pis l'aut' gars, bah.. l'aut' gars..

La tenancière de la taverne de Mende vit arriver une Gertrude à bout de souffle et tenant un langage pour le moins obscur.

Alors quoi, ma bonne Gertrude? Reprenez votre souffle et dites-moi ce qui se passe .. et calmement, je vous prie, parce là, je n'ai rien compris. De quels gars parlez-vous?

Bah.. le gars qu'est blessé, qui risque d'calancher, comme dit l'aut'gars. J'sais po bien c'que ça veut dire, calancher, mais ça doit êt'grave! Montrant du doigt la charrette qui approchait ... Mais r'gardez, v'là le gars avec l'aut' gars.

Lâchant son torchon, Mirielle s'approcha de la charrette, et apercevant la couverture de laquelle dépassait une paire de bottes, puis après avoir soulever le tissu et ayant constaté que l'homme avait le visage ensanglanté, comprit de suite qu'il y avait urgence. Et qu'il n'y avait aucun temps à perdre en subtilités linguistiques ni en présentations futiles.

S'adressant au paysan et à Gertrude:


Bon, vous me le montez dans une chambre à l'étage, et doucement, hein? Celle du fond. Ensuite, Gertrude, vous irez mettre bouillir de l'eau. Et vous amènerez quelques serviettes propres. Et.. faites venir le curé, on ne sait jamais..

Un peu plus tard, le blessé avait été installé sur une paillasse et débarrassé de sa chemise et de ses bottes. En gestes le plus délicats possible, Mirielle lui avait nettoyé le visage, le cou et le torse qui se soulevait de façon certes irrégulière, mais montrait que la vie n'était pas prête de quitter le corps. Mais même après avoir pansé les plaies visibles le mieux possible avec les maigres moyens dont elle disposait, la tavernière restait inquiète. L'homme, malgré qu'il semblait de constitution solide, restait plongé dans un monde à part, inaccessible.

Assise à son chevet, guettant le moindre mouvement ou frémissement de l'homme, elle tentait de s'imaginer ce qui avait bien pu arriver à l'inconnu pour se retrouver dans un tel état. D'où venait-il? Où allait-il? Que venait-il faire dans une région réputée rude et éloignée des chemins de grand passage? Quand tout à coup, elle repensa à la jeune femme, accompagnée d'un molosse, qui était passée à Mende peu de temps auparavant, qui non seulement lui avait semblé envahie d'une profonde tristesse, mais aussi d'inquiétude. Etait-il possible que l'homme soit celui qu'elle semblait attendre et fuir à la fois?

Mirielle n'avait qu'un seul moyen d'en apprendre peut-être un peu plus, en attendant que l'homme ne soit en mesure d'expliquer lui-même. Fouiller dans les affaires des autres était une chose qui la répugnait, mais là, elle n'avait pas le choix. Quelques écus et quelques lettres semblaient être ses seules richesses. A contre-coeur, elle déplia une lettre, puis une autre, sans vraiment les lire, juste à la recherche d'un nom.

Jusqu'à ce que l'une d'entre elle retienne son attention et qui semblait être la lettre d'une mère à son fils. Roman... c'était bien le nom que la jeune femme avait prononcé! Il devait forcément s'agir de "ce" Roman là, le nom étant peu commun, une coïncidence était impossible à imaginer.

Sans attendre, elle abandonna le blessé quelques instants, et se précipita sur encre et parchemin.




Fanette.. je ne sais où vous êtes, mais je me dois de vous prévenir. Vos craintes étaient fondées, votre époux semble avoir fait une mauvaise rencontre sur les chemins. Et les blessures dont il souffre ne sont effectivement pas dues à une simple poursuite après un sanglier..

Un paysan l'a trouvé gisant au bord de la route et l'a amené à l'auberge ce jour, vivant mais mal en point. J'espère qu'il reprendra connaissance très vite, assez vite pour qu'il puisse vous donner de ses nouvelles lui-même.

Mirielle, de Mende


Et le pigeon fut envoyé, il ne restait plus qu'à attendre.
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Comtesse consort
Lison_bruyere
Polignac, le 26 août 1466


- Alors, faisons demi-tour !

Le regard surpris de Fanette glissa sur les deux femmes, guettant leur réaction, avant de revenir au brun.

- Tous ? Je ne veux pas vous retarder Léorique. Je saurais retourner seule, et je pourrais peut-être prévenir son père, je crois qu'il était dans le sud aux dernières nouvelles.

Pour toute réponse, le Lisreux questionna du regard sa compagne et leur amie. Nikkita acquiesçait d'un hochement de tête convenu, laissant le dernier mot à la blonde compagne de l'ancien marin.

- Bien ! Prévoyez des vivres, on fait demi-tour !


Fanette s'avachit légèrement dans son dossier. Quelque chose venait de se dénouer dans la tension qui tenait son dos et ses épaules. Au message inquiétant de la bourgmestre de Mende, elle s'était immédiatement décidée à revenir sur ses pas. Bien sûr, elle avait envisagé les dangers potentiels mais elle ne s'était autorisée aucun autre choix, en dépit des derniers échanges avec Roman. La décision de ses compagnons de route lui offrait la possibilité d'envisager plus sereinement le retour en Languedoc, mais surtout, la jeune femme était rassurée de pouvoir s'adjoindre les compétences médicales de Nikkita. Elle leur offrit un sourire sincère et reconnaissant.

Le lourd convoi s'était évanoui dans la nuit, laissant derrière lui la grosse tour de Polignac et son enceinte crénelée, rivées à une cinquantaine de toises sur son bout de basalte. Les monts de l'Ardèche à l'est, et ceux de l'Auvergne à nord, fermaient l'horizon enténébré. La roulotte descendait à travers un enchevêtrement de vallées boisées et humides, et Fanette, aussitôt l'attelage ébranlé, avait cédé sa place à l'intérieur du vago pour s'installer sur le balconnet à l'arrière. Enveloppée d'une chape d'inquiétude et de remords, elle déroulait et enroulait sans fin la lettre de la bourgmestre, cherchant à occuper son esprit dans la contemplation du rideau sombre de la nuit. Immanquablement cependant, c'est son Corleone qui s'imposait à elle, un an plus tôt, quasiment jour pour jour, quand elle l'avait vu s'effondrer sans connaissance dans une ruelle de Vendôme, baignant dans son propre sang. Mais son visage exsangue s'animait pourtant de la colère et du mépris qu'il avait pour elle aujourd'hui. Et Milo s'entremêlait à ces images douloureuses, autant que son ventre qui n'avait pas encore saigné. Tout ajoutait à sa confusion et son inquiétude. Enfin, l'aubépine et la valériane, savamment dosées par Nikkita, doucement, engourdissaient ses sens, et finalement, les paupières s'étaient refermées sur ses affligeantes pensées, l'emportant, le temps de quelques heures dans un salutaire répit.
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Amalio
À Tarbes, le 27 août.

Savamment occupé à faire une sieste crapuleuse en compagnie de sa tendre et légitime épouse, le vieux Corleone savourait sans remords un voyage en agréable compagnie, avec sa Jo et des amis à elle, et surtout sans aucun des membres de sa trop nombreuse progéniture. Il fut donc fort contrarié lorsque l'on toqua à la porte en l'appelant, soi-disant qu'il y avait une lettre pour lui. Il se leva, se rhabilla, jeta un regard à son amante préférée encore assoupie dans le lit qu'ils avaient partagé, et sortit discrètement. Il prit le pli qu'on lui tendait et descendit dans la salle commune de l'auberge pour bénéficier de la luminosité qui n'existait pas dans le couloir de l'étage.

- Ha, ben en voilà une nouvelle...

Contrarié, le vieil homme replia le papier dans sa poche et commanda à boire en attendant que Joanne se réveille. Ils ne pourraient de toute façon pas repartir avant le soir, les chevaux ayant besoin de repos; autant la laisser dormir aussi.



Sieur Corleone,

S'il vous plaît, faites route vers Mende le plus rapidement possible. Je m'y rends avec un medecin mais, elle n'a jamais soigné de blessures sévères et depuis que votre fils y a été ramené, il est inconscient. J'imagine donc que son état est grave. Je n'en sais guère plus, mais, j'ai demandé à la femme qui s'occupe de lui de me faire un état un peu plus détaillé. Je vous le communiquerai si vous voulez.
Je vous en prie sieur Corleone, Mende, l'auberge municipale. Puissiez-vous y être rapidement rendu.

Fanette


Roman blessé, voilà qui suffisait amplement à contrarier ses plans de route. Mais pourquoi donc était-il dans un si grave état, s'il fallait en croire les mots de sa femme ? Était-ce de sa faute à elle ? Ce serait surprenant... bien que cette Fanette ne remontait pas dans son estime, même s'il devait s'avouer surpris que ce soit elle qui ait trompé son fils et non l'inverse. Roman avait écrit à ses parents quelques jours plus tôt à ce sujet...

_____________ Plus tard, dans la soirée.

Le vieux couple s'inquiétait du sort de Roman. Joanne, tourmentée, faisait grise mine. Sa figure s'allongea encore quand Amalio, après voir consulté la carte, lui annonça au mieux neuf jours de route pour se rendre à Mende.


- Est-ce que Gab serait plus près de Roman et disponible ?
- Mh, peut-être à Limoges. Je vais lui écrire, c'est une bonne idée
- Ca m'arrive de temps en temps... et seulement après trois bières... j'progresse !




Gab,
Je te fais porter cette lettre à Limoges, j'espère que tu t'y trouves.
Je suis à Tarbes avec Joanne mais Fanette nous a informés par lettre que Roman était grièvement blessé, à Mende. Nous avons au moins neuf jours de route devant nous. Peux-tu nous devancer auprès de lui ?
Sache aussi que sa gourde de blondasse l'a trompé, et qu'en plus d'avoir été tabassé par on ne sait qui, il ne doit pas avoir bien envie d'y survivre.
J'espère que tu pourras y arriver avant nous et soigner au moins une part de ses blessures. La lettre laisse penser qu'elles sont graves et qu'il n'a pas encore repris conscience.
Am & Jo

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Alaynna
Toujours sur les chemins, entre Helvétie et Anjou, le 28 Août 1466, dans la nuit.

Hormis les disparitions inquiétantes de Diego et de Niallan, ce, à quelques jours d'intervalle, le voyage se déroulait pour le moment sans encombres. J'avais reçu quelques jours auparavant une drôle de missive, d'une sorte de corbeau, ou plus exactement corpsbeau. Mes bleus avaient à peine glissés dessus et le papelard s'en était directement pris la direction du feu. Une histoire de type qui disait m'avoir croisé et qui voulait savoir si je me rendrais en taverne. Autrefois, cela m'aurait sûrement amusée, et juste par curiosité, sans doute y serais je allé. Mais il y a belle lurette que ce genre de "rendez-vous" sous entendu n'a plus aucune prise sur moi et n'éveille plus quelconque intérêt. J'ai également vu l'ombre d'un duc il y a deux jours et c'est à peine si j'ai froncé les sourcils. Par contre je restais sur mes gardes, car je savais qu'en traversant le Royaume de France, je risquais de payer le fait d'avoir abandonné mes fonctions quand j'avais accepté de suivre Niallan, venu me chercher, il y a quelques mois de cela. Mais ce qui m'avait le plus flanqué la frousse, c'est que Mahrya avait de nouveau eu l'idée de passer par Chalons, la ville maudite. Et dans la soirée, j'étais restée tétanisée en reconnaissant, au travers d'un carreau d'une taverne, le visage inoubliable de celui qui de presque frère, était devenu mon ravisseur et mon presque époux. Celui qui continuait de me faire cauchemarder les nuits et dont je portais encore la marque dans mon intimité était à quelques pas de moi, avec sa tante. Je les avais reconnus tous les deux et le choc passé, je m'étais carapatée au plus vite en priant que Mahrya nous sorte vite de ce bourbier. Evidemment, je savais que nous n'étions que de passage, mais il est évident que la justice, à côté du danger que représente toujours à mes yeux Gabriel, c'est de la gnognotte. Et sur le moment, je tremblais comme une feuille, ayant totalement oublié que je me baladais sous une nouvelle identité et les cheveux teints. La seule chose qui me paniquait, c'était d'apercevoir Gabriel et de me souvenir de la promesse faite à Niallan. Le blond m'avait bien prévenu lorsqu'il était venu me chercher qu'il était hors de question que je me retrouve avec Gabriel aux basques. J'avais promis de ne pas tenter de me venger et d'en rester éloignée. De toute façon, promesse ou pas, il n'était pas question que je me retrouve face à celui qui il y a encore un an était mon presque frère.
Aussi étais-je soulagée, lorsque le lendemain, j'avais aperçu Mahrya et Marion en taverne. Je les avais rejointes, mais je me l'étais bouclé concernant ma vision de la veille et je n'avais pas même abordé le sujet. J'étais pour ma part, sincèrement heureuse de revoir mon ex belle-soeur, que j'ai toujours tendance à considérer comme telle. Autant Niallan n'aime pas des masses sa soeur, devenue l'épouse de Diego, autant pour ma part, je l'aime bien. Elle m'a donné une bourse bien garnie pour Anna. Après tout, c'est sa nièce, et elle m'a dit qu'elle serait toujours là pour la petite si celle-ci avait besoin. Du coup, je me suis pensé que le petit cadeau de Marion, venait compenser les économies pour le bateau d'Anna, que Niallan avait dilapidé sans état d'âme l'année dernière. L'après-midi s'est plutôt pas trop mal passé avec Marion et Mahrya. Nous avons décidés d'une virée entre fille prochainement sur Paris. Elles ont dit boutiques et bordel. Et ma foi, j'ai dit que j'en serai, d'autant que je tiens à vérifier quelques petites choses mais surtout, je porte toujours la marque de Gabriel et ça, c'est..une chose à laquelle je dois vraiment remédier puisque Niallan n'a pas été fichu de le faire, même si techniquement, ça se passait entre nos alter ego, Raphael et Venus. Bref. J'ai donc accepté puis ça risque d'être épique, entre Marion et Mahrya.

Tout s'est donc bien passé, jusqu'à ce que la Bridée ne commence à me dire que Flavio était beau. Sur le moment j'ai tiqué, puis j'ai vu rouge quand elle m'a dit qu'elle était venu le voir en douce. Bien sûr, devant elle, je n'ai rien montré, ou tout du moins j'ai essayé. Evidemment qu'il est beau Flavio, puisque c'est mon fils ! Voilà ce que je lui ai répondu. En général, c'est notre réponse toute faite à Niallan et moi lorsqu'on nous complimente sur Anna. Mais ce qui est vrai, c'est que Flavio prend désormais toute sa place dans notre petite famille. Bien sûr qu'il est beau. Il ressemble à Andréa. Tellement. Mais je ne suis pas folle, parce que je sais que le nourrisson n'est pas mon bébé décédé. Il me le rappelle mais ce n'est pas lui. Néanmoins, la ressemblance est infiniment troublante. Sans doute que je pense cela parce qu'il est évident, que jamais l'on ne se remet vraiment de la mort d'un enfant. Petit à petit, auprès de Flavio, je me guéris de ma phobie des bébés et des petits garçons. Cet enfant là, j'en suis tombé gaga et je l'aime tout autant que je peux aimer Andréa, Raffaelle et Anna. Flavio, dans mon esprit, ne remplace pas mes bébés morts. Il a sa place bien à lui, et il est évident que déjà, je tuerai pour lui. C'est pour cela que depuis hier, je me méfies de Mahrya. Parce qu'elle a un peu trop insisté au sujet de Flavio en me disant combien il est beau, et puis surtout, elle s'est aventurée sur un terrain dangereux. Terrain miné sur lequel je ne laisserai personne venir m'emmerder : elle a osé me dire qu'elle ne croyait pas que je l'avais adopté et alors que je prenais mes clique et mes claque de la taverne, je l'ai entendu me demander si je l'avais acheté ou volé. Maudite soit-elle si elle commence à venir fourrer son nez dans ma vie et celles de mes enfants. Plus particulièrement celle de Flavio. Je sais que comme je n'ai pas répondu à sa question, elle va revenir à la charge. Je commence à bien la connaître. Mais si c'est le cas, je trouverai un moyen pour la lui mettre à l''envers.

Du coup, je redouble de vigilance envers le nourrisson et Anna. Parce que des deux, c'est tout de même ma fille qui m'inquiète le plus. Et quand je parle d'inquiétude, ce n'est qu'un doux euphémisme.
Je crois que dans mon prochain courrier à l'attention d'Estrella, je vais lui en causer pour avoir son avis. Et puis il faut que je lui dise pour Flavio. Et que je lui parle de Niallan également. Et puisqu'il est question du blond, il serait temps que je lui envoies un courrier à lui aussi. De toute évidence, que ce soit avec mon amie d'enfance ou le père de ma fille, je vais devoir la jouer fine et serrée. Car aucuns des deux ne sont des idiots et ces deux-là me connaissent particulièrement bien. Je vais devoir la leur faire à l'envers mais de manière intelligente. Coup de chance, ils n'ont quand même jamais su, l'un et l'autre, me décrypter aussi bien que le faisait Gabriel. J'ai donc, potentiellement, un certain avantage.

Et dans l'immédiat, je dois également faire attention à bien protéger mon identité, car Mahrya semble prendre un malin plaisir à nous faire passer sur des terrains qui me sont particulièrement minés. Mais après tout, aux yeux des étrangers, je suis Adrianah et blonde de surcroît. Reste à savoir pour combien de temps, avant qu'Alaynna ne refasse surface. Ou pas.

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Lenu
Tout cela ne vaut pas le poison qui découle
De tes yeux, de tes yeux verts,
Lacs où mon âme tremble et se voit à l'envers...
Mes songes viennent en foule
Pour se désaltérer à ces gouffres amers.

Le Poison. Charles Baudelaire.




[Quelques part aux alentours de Montpellier]


Cils qui papillonnent alors que l'aube se lève. Les orbes sondent la brume du sommeil, croisent les émeraudes du Corleone. Le sourcil s'arque, le corps s'étire, enroulé bien au chaud dans la peau de bête, elle aurait pu lui sourire. Oui elle aurait pu lui céder ce sourire qui s'offre au matin d'une nuit d'étreintes, mais le visage grave de Gabriele achève de la réveiller. Elle se redresse, nue dans la fraîcheur d'une nuit de fin d'été qui se meurt. Fraîcheur mordant le derme jusqu'à l'hérisser, orbes avisant les préparatifs d'un Corleone au visage fermé. Les paupières se plissent sans qu'aucune question ne se posent, c'est ainsi, entre eux.

- Je vais "chasser".

Voix tranchante trahissant l'état de Gabriele, le nez se plisse légèrement vu qu'il ne l'invite pas à la chasse alors qu'il lui tend un parchemin puis dépose deux autres près d'elle.

- Lis ça et envoie les deux autres s'il te plaît, on lève le camp au plus vite.
- Si. Je fais ça.


Les prunelles sombres se détachent de la silhouette s'enfonçant dans la forêt pour venir parcourir les quelques lignes du parchemin. Lénù grimace, elle connaît peu Fanette, et a du rencontrer une ou deux fois Roman à Limoges. Mais elle sait combien Gabriele est attaché à la famille, elle s'habille à la hâte puis va réveiller le reste du campement afin de préparer le départ et les avertir qu'ils vont rebrousser chemin. Quant à elle, elle chevauche vers la première ferme pour envoyer au plus vite les deux missives.



Pour Fanette :



J'arrive.

Ne confie mon frère à aucun incompétent se disant médecin, je ne veux pas le voir mort. Trois jours.

Corleone.


Pour Amalio :



Papa,

Je suis à 3 jours de route. J'y vais.

Dis moi ce qu'il s'est passé.
G.

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Lison_bruyere
Mende, le 28 août 1466

Fanette courait dans les ruelles, senestre plaquant sa besace contre ses hanches, quand dextre relevait le bas de ses jupes. Elle n'avait pas attendu qu'on dételle Ténèbres, ni même qu'on trouve un endroit où remiser la roulotte pour abandonner ses compagnons de route. Son souffle s'était emballé, à l'image de son cœur effréné qui battait d'une impatience urgente. Bourgmestre à peine saluée, ce n'est que quand cette dernière lui avait ouvert la porte de l'une des chambres de la municipale qu'elle s'était figée dans l'embrasure.

Le radieux soleil des étés du sud filtré par le papier huilé qui obstruait la croisée, ne dispensait plus qu'une clarté blafarde dans l'atmosphère surchargée de la pièce. Le fumet âcre des chandelles de suif se mêlait aux effluves des décoctions de simples. Roman gisait là, étendu sur le dos, le souffle discret, sensiblement irrégulier.

Elle glissa un pas léger dans la pièce, comme si elle craignait de l'éveiller, intimidée soudain par ce qu'elle découvrait. Un instant, le souffle lui manqua, trahi par ses lèvres entrouvertes sur sa gorge nouée. Elle chassa les larmes qui déjà s'accrochaient à ses cils et s'efforça de reprendre contenance. Délicatement, elle vint s'asseoir au bord du matelas, sans parvenir à détacher ses yeux de la silhouette aimée.

- Roman, c'est moi. Nikkita va te soigner. Ton frère et tes parents sont prévenus, ils arrivent.

Espérait-elle tant une réaction, qu'il lui sembla la deviner ? Avait-elle imaginé l'infime mouvement, à peine une contracture courant sous la peau hâlée de l'Italien ?

A défaut d'oser l'embrasser, son regard caressa les contours d'un visage méconnaissable. Toute la partie gauche était tuméfiée, déformant ses traits. La peau s'était parée d'une teinte violacée, avoisinant par endroits le noir. Les lichens étaient emprisonnés sous des paupières gonflées. La lèvre inférieure déchirée, laissait passer à l'inspiration un sifflement léger.
Les sourcils froncés en une petite moue affligée, elle laissa glisser ses yeux sur le reste du corps, pudiquement couvert d'un drap taché de carmin. Ses bras reposaient par-dessus. Alors doucement, n'osant aucun autre geste, elle glissa ses doigts sous sa paume. Noisettes incrédules s'accrochèrent à une blessure, gravée sur le dos de la main qu'elle tenait tendrement.
M C.
Sa lèvre blanchit sous l'emprise des dents qui venaient de la mordre. Roman portait la même marque que celle qu'il avait faite quelques mois plus tôt à Montparnasse, dessinant dans sa chair ses propres initiales à la pointe d'une lame. Ce ne pouvait être un hasard. Elle reposa la main sur le matelas, effleura son bras du bout des doigts. L'Italien de nouveau sembla réagir, d'un mouvement à peine perceptible qui, un fugace instant, sembla tordre un peu plus les traits de son visage. Elle guetta un autre signe, mais rien. Le corps de nouveau était parfaitement immobile, si ce n'est sa poitrine qui soulevait le drap à intervalles plus ou moins réguliers. Les yeux restaient obstinément clos, et rien qui s'apparentait à une parole ne franchissait la barrière de ses lèvres. Peut-être était-ce mieux ainsi, car sans doute aurait-il chassé la fauvette de son chevet, de la pièce et qui sait, de la ville.

Fanette se décida à l'abandonner. Doucement, elle apposa ses lèvres sur le dos de sa main, et quitta la pièce, pour n'y revenir qu'un peu plus tard, accompagnée de Nikkita. Si elle comptait ignorer la recommandation d'un Corleone trop imbu de lui-même pour accorder quelque qualité aux autres, elle avait fait part de son courrier à la brune, afin de lui laisser le choix d'intervenir ou non. Heureusement, le médecin ne s'était nullement laissée impressionner, et avait dicté une réponse que l'Angevine enverrait un peu plus tard.



Allez vous faire foutre. Il faut moins de trois jours pour claquer d'une hémorragie, ou pour que la gangrène s'installe. Tant que vous n'êtes pas sur place, je suis médecin, pas la céréalière du coin. Je ne manque aucun de mes serments, sous quelque pression que ce soit.
Nikkita,
Médecin qui vous laissera la place quand vous serez là.


Après quoi, la brune la précéda, déposant à côté du lit une sacoche de cuir, comparable à celle dans laquelle Roman emportait son nécessaire de médecine. Elle l'ouvrit et en sortit une petite balance, un pain de savon noir et une bouteille contenant un liquide ambré, qu'elle posa sur la table. La bourgmestre venait de verser dans un récipient de terre l'eau bouillie réclamée par le médecin. Elle déposa le broc et s'éclipsa. La femme s'y lava soigneusement les mains, avant de verser dans le creux de sa paume un soupçon du contenu de la bouteille. L'odeur aigre et parfumée du vinaigre de cidre emplit la pièce. Fanette ne perdait pas une miette de chacun de ses gestes. Elle semblait déjà concentrée, le regard posé sur l'homme étendu tandis qu'elle achevait de frotter ses mains au vinaigre. Ses traits étaient soucieux et fatigués, mais il se dégageait néanmoins de ses gestes une aisance presque routinière qui était plus que rassurante.

Délicatement, l'index et le majeur cherchèrent le pouls du blessé. Elle resta ainsi immobile un instant, évaluant le rythme des battements qui pulsaient faiblement sous la peau. Puis, elle inspecta longuement les muqueuses, les yeux, avant de poser le dos de sa main sur le front perlé de sueur de l'Italien. Au regard, rivé sur le visage du blessé, s'ajoutaient les doigts de sa senestre, aussi légers qu'une plume. Ils parcouraient le crâne, à la recherche d'une plaie dissimulée sous les cheveux. Ils s'attardèrent longuement sur la meurtrissure qui congestionnait la joue et l'arête de la mâchoire, habitués dans la finesse de l'examen à déceler une chaleur inhabituelle, signant une infection, ou au contraire, une zone froide attestant d'un début de gangrène. Elle procéda avec la même minutie pour la plaie de la main. Retirant ensuite le drap, elle poursuivit son examen tout aussi consciencieusement, cherchant tant à l'observation qu'à la palpation à s'assurer de l'intégrité des fonctions vitales. De larges hématomes venaient confirmer les multiples fractures costales que ses doigts venaient de déceler sur le flanc gauche. Elle s'attarda longuement, cherchant une contracture abdominale, surveillant à chacun de ses gestes la respiration du Corleone, un battement inhabituel des ailes du nez, qui traduirait une douleur. La brune se détendit légèrement, satisfaite de n'avoir rien senti qui puisse laisser penser à une hémorragie interne. Du reste, il en serait sans doute déjà mort. Elle acheva son examen tout aussi minutieux, en cherchant plaies ou fractures sur les membres, mais, hormis le dos de la main gauche, l'agresseur les avaient épargné. Les coups portés, sans doute avec une grande violence, n'avaient touché que le côté gauche du visage et de la cage thoracique.

Les secondes s'étaient suspendues sur les gestes du médecin. Fanette, immobile, ne l'avait pas quitté des yeux, n'osant aucune parole, pas même un souffle de peur de la déconcentrer. Nikkita se releva doucement lui adressant un sourire qu'elle voulait rassurant, puis, attrapa sa besace et en sortit quatre petits pochons de lin, soigneusement choisi au milieu d'une douzaine d'autres. Elle les tendit deux par deux à la jeune femme.

- Préparez deux infusions Fanette s'vous plaît. Camomille matricaire et thym pour l'une, et l'aut' avec les feuilles d'cassis et l'achillée. Demandez aussi à c'qu'on fasse un bouillon d'ortie. 

La fauvette s'était contentée d'acquiescer d'un signe de tête, puis était redescendue aux cuisines. Pendant ce temps, Nikkita, après s'être de nouveau soigneusement lavé les mains, baignait les plaies à l'eau bouillie, puis au vinaigre. Elle prépara un cataplasme, fait d'une charpie de lin imbibée d'un mélange de miel et d'une lotion, composée à part égale d'hamamélis et d'échinacée.
Elle tira ensuite le fauteuil à la tête du lit et s'y effondra. Il était encore trop tôt pour dire si l'Italien survivrait ou non mais il était jeune et d'une robuste constitution. Ce qui inquiétait le plus le médecin restait l'intégrité de sa rate. Avec les fractures costales, difficile de dire si elle n'avait pas souffert. Elle pourrait tout aussi bien se mettre à saigner, plusieurs jours après, voire des semaines, aussi devrait-elle fréquemment s'assurer de la souplesse de l'abdomen. Il ne restait qu'à surveiller les plaies, les nettoyer, changer le cataplasme régulièrement, et s'efforcer de lui faire avaler, six fois par jour la tisane de cassis et d'achillée, en alternance avec le bouillon d'ortie et l'infusion de camomille et de thym, utile pour combattre la fièvre.
Nikkita ne laissait à personne le droit de dispenser les soins, s'interdisant de quitter le chevet du blessé autrement que pour prendre quelque repos, jamais plus d'une heure ou deux. Fanette néanmoins avait insisté pour rester elle aussi aux côtés de son diable. On avait disposé pour elle, dans la chambre un second fauteuil, et bien que sa présence semblât inutile, elle ne se sentait pas le droit de l'abandonner.

Avec le concours de jd Nikkita

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Jo_anne
[Quelques jours avant le 27 août

- Rho... nan mais faites des gosses qu'ils disaient !

Oui Joanne est une mère ingrate. Si elle avait été une bonne mère pour Roman, cela aurait fini par se savoir. Vous ne le direz à personne, mais Joanne râlait par rapport à tout ça, simplement pour extérioriser sa culpabilité d'être et d'avoir été une mère brillant comme toujours par son absence. Elle qui avait toujours adoré picoler, boire jusqu'à plus soif et voyager toujours plus loin avait toujours eu du mal à gérer ses enfants... Surtout après en avoir perdu deux... La reine de la fuite, avait tenter de fuir ses enfants et ses responsabilités pendant de longues années. Et voilà que Roman répondait à sa missive avec un aveu qui avait plongé l'Italienne dans un profond labyrinthe de sentiments mêlés.



Madre,
[...]
J'aimerais te voir pour en parler de vive voix. Je suis plus meurtri qu'elle ne peut l'imaginer.


[Tarbes le 27 août]

Après une nuit de beuverie passé avec son jeune comparse de voyage qui avait d'ailleurs l'âge de Roman à peu de chose près, l'Italienne avait rejoint son époux pour la nuit et le petit matin puisque rien ne les pressait alors. Et alors que la mère indigne s'offrait gracieusement et généreusement à Morphée, Amalio recevait une missive. LA missive. Et bien qu'elle ait reçu également la sienne de la part de Fanette, vu que c'était Am qui lui faisait systématiquement la lecture, cela revenait au même...
Le réveil fut donc difficile... Et la mère indigne qu'elle était, réagit tout même en mère. Son fils, son petit bébé était grièvement blessé. Autant dire entre la vie et la mort pour elle puisqu'elle avait tendance à tout amplifié quand il s'agissait de ses fils. Les abandons comme les inquiétudes. Les regrets comme les bons souvenirs.

A ce moment là, Joanne était meurtrie au plus profond de son être. Et c'était sans doute difficile à comprendre. Mais Roman était son fils aîné. Et bien qu'elle ne l'ait pas élevée, elle était fière de lui. Il était beau, débrouillard, bien éduqué, riche, gentil, loin d'être bête... Il était père et l'avait fait grand-mère... Il était son fils aîné, et elle ne l'avait pas élevé mais il restait son bébé... Un bébé pour qui elle n'avait jamais été là...


Tu sais... Il ne m'avait jamais demandé de l'aide avant... Et c'est la première fois et ... j'ai même pas le temps de lui répondre... Il est mourant ... et j'ai même pas pu lui répondre...

Et Amalio de ramer pour tenter de la rassurer. Aller vite à Mende pour être près de lui. Et que ceux qui avait fait du mal à son bébé se prépare psychologiquement à se faire botter les fesses par une aveugle...
Roman.
Et dans les limbes, il errait, effleurant parfois la surface, le temps de quelques gorgées d'eau ou de bouillon, le temps de quelques instants de souffrance lorsqu'on déplaçait son corps sur le draps pour changer les cataplasmes ou le laver... Le reste de ses heures passaient en un silence apaisant et réconfortant. Il avait dompté sa respiration, il la contrôlait pour adoucir la douleur de ses côtes brisées.

Alors, il pouvait se rendormir, se blottir dans les songes d'années passées. Retrouver les heures de lumière qui avaient entouré son enfance et sa prime jeunesse. Les rires de Giulia et Maria, ses cousines, qui résonnaient dans les couloirs du palais florentin où sa tante les élevait tous les trois... les expéditions nocturnes avec leur frère aîné, Côme, qui menait Roman à la découverte des coins les plus passionnant de la ville... les sourires espiègles de Lucia qui lui cherchait des noises dans les jardins de la ville, jouant à l'esquiver tandis qu'il se démenait pour lui faire la cour... ses premières fois avec elle, dans les draps de soie de son grand lit... les banquets et les fêtes, le cliquetis des armes pendant les leçons, le crissement des plumes sur les vélins où il recopiait les passages désignés par son maître...

Ces doux souvenirs le maintenaient dans un état de rêve quasi permanent et lui épargnaient la peine de sa vie réelle. Il ne savait pas si on l'avait drogué pour qu'il reste ainsi somnolent, ou si son corps réclamait seul un repos de longue durée. Peu importe, après tout. Il n'était pas si mal, là, à se souvenir du soleil de son enfance...

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