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[RP] La Provence, dans les yeux d'un môme.

Ewaele
[Pour lui... Au-delà de tout]

Elle était redevenue une petite fille, fragile, cassante et posa sur le gamin des yeux implorants, demandant grâce, suppliant. Elle ne comprenait pas, ou peu, ne savait pas ce qu'elle faisait. Elle tentait vainement de se rappeler, ses doigts sur son front, cette cicatrice marquée à jamais dans sa chair et l'incompréhension, des sensations qu'elle avait éprouvées tout au long de ces derniers jours, de l'envie de changement qu'elle désirait. Que désires-tu vraiment lui chuchotait une voix dans sa tête. Son cœur battit plusieurs fois, entre incertitude et soumission envers la fatalité. Et quelque chose s'enclencha en elle, comme de l'eau coulant dans une rigole, les engrenages se remettant en place. Ce qu'elle était capable de faire, elle pouvait le défaire, facilement, aisément, du bout des doigts. Sa main droite descendit de la gorge de Grim et se posa sur sa poitrine, elle la leva lentement, le corps du môme fléchit, suivant le mouvement. Sa senestre lui maintint le crâne au sol, le protégeant de la douleur d'un assommement bien dérisoire en comparaison de la mort. Vide, paix et sérénité. Elle sentait une brûlure dans son ventre, s'étonnant que le gosse ne soit pas décédé sur le coup.

Ses mains lui faisaient mal, lancinantes, comme des braises ardentes au bout de ses bras, tombant pour venir caresser le sol d'une illusoire affection, d'une douceur feinte. Et son cœur, dans sa poitrine, battait des pulsations vides de ceux qui appellent la mort de leurs vœux, que la fin les foudroie sur place selon leur volonté. Mais ni la mort ne vint, ni la disparition et, si elle l'avait pu, la jeune femme serait rentrée sous terre pour s'enrouler autour de sa honte, s'éteindre à cette réalité. Ewaele leva lentement les yeux vers l’enfant, plein de larmes, brillant des sanglots cherchant à s'enfuir, à peine contenu dans sa gorge par la profondeur de sa crainte. Elle n’avait su le protéger, elle n’avait su l’emmener hors de ces terres tueuses… Un frisson parcourut son corps, la brûlure se tut. Son visage se recomposa. Elle se détendit et, du revers d'une de ses mains marbrées de noir, essuya l’émail de cristal qui coulait sur sa joue, tentant de réabsorber par la force de sa volonté, les autres larmes qui pointaient malgré elle. Tout le reste se passa vite. Le murmure du métal sortant du fourreau - dieu qu'elle s'étonnait à aimer ce bruit -, la rage, la haine, le départ. Elle avait gardé le silence tout du long, murée dans le mutisme normal de sa honte, toute entière se consumant au brasier vorace de la vergogne qu'elle éprouvait. Les bras tendus, raides, le long du corps, elle aurait préféré mourir. Elle ne méritait pas la confiance de cet enfant.

Elle le souleva, oubliant ses propres douleurs, oubliant le mal qui la rongeait. Elle devait l’emmener ailleurs, le sauver, prendre soin de lui comme elle n’avait pas su le faire. Dans la déflagration et le bouleversement de l'ordre. Dans l'éparpillement de la bienséance. Dans son démantèlement résolu, elle sentit son corps se briser un peu plus en soulevant le gamin… C'était maintenant que tout commençait. Dans la déconstruction asymétrique, dans le dérangement et le bouleversement à crever les yeux. Le plus fou des jardins perçait le sol de son indocilité. Le sien. Elle vivait, elle vivait et se devait de le voir vivre… Ecouter le courant d'air des perce-murailles, son insolence, sa persévérance, sa rébellion en déchirures d'encore un peu à tomber ici ou là, sans calcul ni revendication. Elle vivait et devait tout faire pour le sauver. Ses côtes la brulaient à la plier mais elle ne flancherait pas, son front la lançait, une croute de sang s’était formée dessus, et elle était tailladée de partout, ses habits en lambeaux… Mais qu’importait son apparence, pour l’heure la seule chose envisageable était de retourner à Brignoles… Alors, elle serra le sale gosse contre elle, faisant fi de ce qui la martelait au plus profond d’elle, l’enroula au mieux avec elle dans sa cape, sentant un liquide chaud se répandre sur son ventre… Son sang, sa blessure, poisseux, rouge garance liant la femme à l’enfant.

Cette nuit là, elle aurait aimé être perchée tout en haut du grand phare de Cork, sa ville depuis toujours jusqu’à jamais. Solidement harnachée à la rambarde, tout en haut, elle aurait attendu l’instant précis où ses doigts aurait senti qu’il était le moment de les frotter, de les frotter, de les frotter si fort, comme au temps de l’invention du feu. Cette nuit là, le ciel se serait embrasé, brusquement transpercé par ces trainées en brûlures d’astres pulvérisés. Cette nuit là, l’orage le plus dévastateur n’aurait fait mine que de parent pauvre, face à l’apocalypse en lifting acide sur le visage du néant. A l’heure sans heure, le temps aurait arrêté sa course, pour la première fois il aurait fait mentir la parole des hommes. Alors, une main tirée de l’invisible-incommensurable-indicible aurait posé la caresse délicate de l’heure exacte, de l’heure sans l’heure. Issue de l’union de l’avant et de l’après, elle unique et absolue… Nulle poésie n’aurait pu la décrire. Nul mot d’amour n’aurait su l’approcher. Nul peintre pour la peindre, ni même de musique pour l’évoquer, elle serait restée à jamais un mystère inviolable. Le rouet pervers des petites minutes continuerait à tourner dans l’esprit des hommes. Vaines marques aux repères aléatoires dans la suspension de l’heure sans heure. L’enfer des gestes à destination perdue reprendrait comme avant, la course éperdue prendrait l’apparence d’un but minable, la mort ne viendrait jamais au bon moment, les petites croyances fleuriraient, les canons reviendraient à l’aube des printemps, la terre saignerait, la terre pleurerait, les hommes oublieraient, encore, encore une fois… Il faudrait un miracle sans renaissance, pour tuer l’ardeur destructrice. Une sorte de néant reconstitué. Un vide. Elle ne parviendrait jamais à Brignoles...

Et son cheval avançait pourtant, sans doute plus vite qu’elle ne l’aurait voulu, comme s’il sentait que le temps pressait. Elle avait calé la tête de Grimoald sur son épaule, les lèvres de l’enfant frôlant son cou, ni chaudes, ni froides, comme son corps. Elle se maudissait et ne cessait pourtant de lui parler… Pour elle, pour lui, pour garder les yeux ouverts et éviter de suffoquer sous la douleur, pour éviter de le perdre définitivement et sa voix comme une douce mélopée vint lui murmurer un poème en gaëlique que son père lui avait appris…


Ní chasfaidh tusa thart do chloigeann [Tu ne tourneras pas le dos à la mort]
agus an bás ag rolladh chugat mar an t-aigeán. [quand elle déferlera sur toi comme l'océan.]
Coinneoidh tú ag stánadh air go seasta [Tu lui feras face sans reculer]
agus é ag scuabadh chugat isteach ina spraisteacha geala [quand elle avancera vers toi des profondeurs de l'éternité]
ó fhíor na síoraíochta. [en poudroiements de blanche écume.]
Coinneoidh tú do chíall [Tu garderas la raison et]
agus do chéadfaí agus é ag siollfarnaigh [conserveras tes sens lorsqu'elle submergera]
thar chladaí d'inchinne [les rives de ton esprit]
go dtí go mbeidh sé ar d'aithne, [ainsi tu sauras ce qu'elle est,]
go huile agus go hiomlán, [totalement, intimement,]
díreach mar a rinne tú agus tú i do thachrán [comme quand tu étais gamin]
ar thránna Mhachaire Rabhartaigh [sur les plages de Machaire Rabhartaigh]
agus tonnta mara an Atlantaigh [et que les grandes vagues de l'Atlantique]
ag sealbhú do cholainne. [s'emparaient de ton corps.]
Ach sula ndeachaigh do shaol ar neamhní [Mais avant que ta vie ne soit réduite à néant]
shroich tusa ciumhais an chladaigh. [tu es parvenu jusqu'au rivage,]
Tarlóidh a mhacasamhail anseo, [la même chose se produira alors.]
Scroichfidh tú domhan na mbeo [Tu atteindras le monde des vivants]
tar éis dul i dtaithí an duibheagáin le d'aigne, [après avoir fait l'expérience des abîmes,]
ach beidh séala an tsáile ort go deo, [l'eau de mer marquera ton corps à jamais]
beidh doimhneacht agat mar dhuine, [ta personnalité prendra son épaisseur,]
as baol an bháis tiocfaidh fírinne. [du danger de la mort te viendra la vérité.]*


Elle vit enfin les feux du campement, ralentit sa monture en tirant légèrement sur la longe, ne sentait plus son corps, vibrait au léger rythme de celui de l’enfant, une seule question en tête. Comment pourrait-il lui pardonner? Parce que ce n'était "pas de sa faute"? Baste! Elle se rappelait encore de la pulsion meurtrière qui l'avait prise face à ces hommes, impossible à endiguer, plus puissante que la marée, du goût de la colère au fond de la gorge, libératrice après la peine qu'elle avait ressentit. Contre elle, le corps de Grim comme un fleuve puissant ondulant entre ses cuisses. Contre son ventre. Il l’irradiait de chaleur et d'assurance, la retenant pour qu'elle ne tombe pas. Le vent lui fouettait le visage, et le ciel, juste à portée de main, était un présent plus précieux que la vie. C'était du bonheur, de la joie pure qui faisait danser ses cheveux, des éclats de feux dans tant de noirceur. Malgré elle, elle partit dans un rire caractéristique des gens innocents, des étoiles dans les yeux. Le paysage s'étendait devant eux, carrés de culture, maisonnettes... Et les forêts comme des tapis de mousse. Puis la réalité se troubla et elle pénétra dans un tuyau où les couleurs fanaient, les formes s'étiraient. Un froid lui prit les os mais elle l'accepta, ne dit-on pas qu’avant de mourir on voit tout toujours plus beau? Etait ce le cas? Un moment de sursis avant de s’envoler vers l’éternel… Elle sourit, que pouvait-elle faire d’autre? Ils étaient arrivés et elle n’avait plus rien à faire. Elle se sentit tomber impuissante, agrippa le corps fragile de l’enfant tout contre elle pour ne pas lui faire subir ce qu’elle ne maitrisait plus… Sa vie. Elle dût toucher le sol mais de cela elle n’en garderait aucun souvenir!



* Extrait : ‘Le chemin du retour’ (Pilleadh an Deoraí), poèmes gaéliques / Cathal Ó Searcaigh
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Virtuellevinou
Comme pour beaucoup de nouveaux parents, le moindre bruit incongru réveillait la jeune femme, surtout en plein milieu de la nuit. Se redressant rapidement sur son lit, elle se leva et se dirigea vers le lit d’appoint dans lequel sa fille dormait du sommeil du juste.

D’où pouvait provenir ce bruit ? Pourquoi l’avait-il réveillée ? Pourquoi ce sentiment d’urgence s’immisçait tout à coup en elle ? Où chercher ? Où aller ? Que faire ? Une chose était sure, elle ne pouvait rester là sans bouger, sans rien faire, elle devait en avoir le cœur net sinon elle ne pourrait se rendormir.

Instinctivement, elle sentait qu’elle devait s’engouffrer dans les ténèbres humides et froides de cette nuit d’hiver. Elle enfila ses bottes en claquant le talon au sol, déploya sa cape autour de ses épaules, en rabattit la capuche. Tout en tenant les pans fermement serrés contre elle, elle s’échappa de la chaleur et du confort tout relatif de la tente. Elle attendit un instant que son regard se fasse à l’obscurité nocturne, tendit l’oreille afin d’identifier la provenance du tapage. Elle se mit enfin à marcher dans la direction qui lui semblait en être l’origine.

Faisant fi des herbes hautes et des broussailles qui envahissaient ça et là le passage, se désintéressant des branches nues qui lui flagellaient le corps, Vinou continuait d’avancer, encore et toujours, elle allait de l’avant vers ce gouffre béant qui l’appelait. Elle porta machinalement la main sur la blessure, encore relativement fraiche qu’elle avait la tête. Celle-ci recommençait à la faire souffrir, telles ces douleurs lancinantes qui reviennent lorsqu’on le désire le moins.

La respiration de plus en plus courte, haletante, le visage tiraillé par la morsure du frimas, le corps transit malgré l’épaisseur de sa cape, la jeune femme marchait de plus en plus vite. Inquiète, de plus belle, elle se mit à courir aussi rapidement que son corps fatigué le lui permettait. Urgence, sans savoir pourquoi, elle ressentait une urgence comme elle aurait ressenti l’appel bien distinct d’un de ses enfants de l’autre côté de la rue.

L’air hagard, elle arriva à l’entrée du campement et s’immobilisa. L’horreur de la situation dilatait ses pupilles azurées devenues pratiquement noires, un cri étranglé lui resta en travers de la gorge. Vinou se laissa tomber auprès des deux corps emmêlés et ensanglantés qu’elle connaissait si bien. Ewa … la Rouquine … son amie … presque sa sœur … Grim … le sale gosse … l’espiègle … celui que son fils deviendrait peut-être … elle l’espérait… Elle leur caressa les cheveux, une main sur chacune des têtes, les larmes coulaient sur ses joues sans qu’elle ne s’en rende compte, elle se mit à hurler :

Ce n’était qu’un enfant ! Elle l’accompagnait ! Ils n’avaient rien à faire dans cette guerre ! Ils avaient toutes les autorisations nécessaires ! Pourquoi avoir fait cela ? POURQUOI ?

Elle devait se ressaisir, elle ne pouvait se laisser aller, ils avaient besoin d’elle, elle ne pouvait les laisser dans cette indifférence hostile. Elle ne pouvait les porter tous les deux, peut-être même pas le gamin seul mais elle se devait de le faire, d’au moins essayer. Elle avait besoin d’aide et rapidement. Elle regarda autour d’elle, un peu perdue. Comme à son habitude dans ces moments-là, elle se mordit la lèvre à sang avant de tomber sur la tente des Officiers. Elle l’avait son aide, elle était là à portée de main, elle n’avait qu’à aller la chercher et revenir aussi vite.

Connestable ! Connestable ! Viiiiiiiiiiiite … La Rouquiiiiiiiiine ... Le sale goooooooosse …

Vinou devait avoir l’air d’une folle furieuse, d’une hystérique, se ruant avec toute la force dont elle était capable dans la tente et arrachant presque le bras du premier Officier venu qu’elle connaissait, le Connestable de France, LeKaiser mais elle n’en avait cure, tout ce qui lui importait, était de les sauver. Sentant qu’il la suivait, elle repartit en sens inverse, vers la cruauté de la guerre.

Lentement elle écarta le gavroche de la Rouquine en faisant bien attention au sang qu’elle avait senti en passant la main sur le dos de celui-ci. Probablement avait-il été touché par derrière, une fourberie de plus de la part des agresseurs, à quoi d’autre pouvait-on s’attendre de la part d’impies ?

Le plus doucement possible elle sépara les deux carcasses. Si elle voulait tenir le coup, elle ne pouvait y voir des êtres humains mais des objets, des choses inanimées, elle devait faire abstraction de ses sentiments et de ses émotions et ne plus être qu’hermétiquement fermée à toute intrusion. Pendant qu’elle s’occupait du gosse, LeK avait déjà saisi la Comtesse dans les bras, elle le vit la transporter précieusement jusqu’à la tente de soin. La jeune femme ne put s’empêcher de pousser un soupire de soulagement.

Vinou reporta son attention sur le jeune garçon. Comment le porter, sans le faire souffrir plus que de nécessaire ? Comment ne pas trop toucher son dos tout en assurant la prise ? Toujours agenouillée, elle prit doucement sa tête pour la poser sur son épaule, fit glisser son torse sur son buste, glissa son bras gauche sous ses fesses. Elle prit une profonde inspiration tout en posant la main droite sur sa tête et se redressa, jambes légèrement écartées, le pied droit un peu en retrait par rapport au gauche afin de leur assurer un équilibre, bancal mais un équilibre malgré tout. Elle le portait comme une mère porte son enfant pour le bercer ou pour le réconforter. Tout en lui murmurant des paroles apaisantes, toutes maternelles, elle se mit en route.

Les premiers pas furent hésitants, incertains, la jeune femme ne sachant pas si elle tiendrait le coup jusqu’à la tente. Le visage marqué d’une détermination nouvelle, elle continuait à chuchoter. Elle ne pouvait lâcher, elle ne pouvait pas le laisser tomber. Non ! Elle n’en avait pas le droit ! Elle n’avait pas le choix ! On ne le lui avait pas laissé ! Elle devait faire avec et ferait avec. Chaque enjambée était plus assurée que la précédente, plus solide, plus déterminée. La faible lueur de la lanterne de la tente se fit voir, elle la guidait comme le messie guide les ouailles sur le chemin du Très Haut. Vinou la fixait avec intensité et y puisa la force et l’énergie dont elle avait besoin pour franchir les derniers mètres pour finalement franchir le seuil de la tente.

La première chose qu’elle vit, fut qu’Ewa avait été installée sur un des lits de libres et que le Connestable lui tenait la main. On lui avait retiré sa cape de licorneuse azure et ses cuissardes pour l’allonger et son visage avait été nettoyé. Par qui, elle ne le savait pas mais elle en fut soulagée et dans ces conditions, pouvait se permettre de s’occuper du gamin. Elle n’aurait pas à faire de choix entre son amitié et son instinct de mère.

Avec douceur et délicatesse, elle l’installa du mieux qu’elle put sur une couche de fortune, elle entreprit de lui ôter les vêtements un par un, faisant attention à sa jambe qui était à peine remise de ses précédentes blessures et en touchant le moins possible son dos ensanglanté. Rose, le dragon en jupon, qu’elle avait maudit quelques temps plus tôt, avait apporté une bassine d’eau claire et des chiffons. Vinou s’en saisit et nettoya le gamin avec toute la bienveillance dont elle était capable, lui fredonnant la berceuse qu’elle chantait à ses enfants.

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Théophile, incarné par Virtuellevinou
Theophile a écrit:


La route avait été plus longue et bien plus risquée qu'il ne l'avait imaginé. Quitter Arles avait somme toutes été un jeu d'enfant. C'est par la suite que tout s'était compliqué. Aix inaccessible, bien trop dangereux d'y passer seul, surtout listé en membre de Memento. Il avait donc décidé de contourner la capitale provençale et s'était perdu dans la guarrigue. Rien ne ressemble plus à un bois de pins qu'un autre bois de pins, surtout la nuit. Même les cartes dont il se servait pour tenter de retrouver son chemin semblaient inexactes. Certains petits villages croisés en chemin n'y étaient pas répertoriés, certaines routes n'étaient pas tracées aussi clairement que sur le parchemin. Bref ... tours et détours avaient fait durer ce voyage bien plus longtemps que prévu.

Il avait voyagé de nuit. Pour plusieurs raisons. Le risque de croiser des armées est plus limité, sans être nul pour autant. La nuit, les bruits sont amplifiés et il est plus facile de repéré un adversaire ou d'éviter une rencontre impromptue. L'expérience acquise au fil des années lui avait appris les pièges dans lesquels il fallait éviter de tomber en voyageant. Et les risques, en temps de guerre étaient accrus. La nuit restait sa meilleure alliée. Black, le fringuant frison semblait lui aussi sentir la nécessité de rester attentif et discret. Ses pas se faisaient prudents et la communion entre le cavalier et sa monture leur permit plus d'une fois d'éviter une embuscade ou de repérer un ennemi potentiel et d'éviter son chemin.

Enfin, après 2 jours de route, Brignoles apparut à l'horizon. La ville, assiégée à plusieurs reprises, était entourée de camps. Grâce aux oriflammes battant au vent, Théo n'eut aucun mal à trouver celui des français, dans lequel devait séjourner la jeune femme. A l'entrée, deux gardes l'interrogèrent sur les raisons de sa visite, il fut fouillé et désarmé et Black mené auprès des chevaux de la garnison. Puis, sous bonne escorte, il fut mené jusqu'à ce qui ressemblait à une tente de soins, au vu de la taille de celle-ci. Une fois encore, il dut attendre que l'estafette et le responsable des lieux examinent la raison de sa visite : la lettre que lui avait fait parvenir Vinou servit une fois encore de laisser-passer. Alors que les hommes discutaient encore, il la vit.

Le temps se figea ... ses yeux ne pouvaient quitter sa silhouette. Elle semblait si frêle et fatiguée. Visage pâle, la tête entourée d'un bandage ... elle était penchée sur un blessé apparemment. Lentement, il avança vers elle, ne prêtant aucune attention aux regards qui se posaient sur lui, aux gémissements et aux odeurs qui l'entouraient. Quelques pas encore et il se tint devant elle. Aucun son ne sortit de sa bouche et ses yeux se posèrent un instant sur le corps dont elle s'occupait, avant de revenir vers son visage à elle.



Vie ...

Virtuellevinou
La jeune femme était concentrée sur ce qu’elle faisait, ses mains habiles parcouraient le corps du sale gosse pour le nettoyer mais aussi pour le soigner. N’avait-elle pratiquement pas fini le cursus de la voie des sciences ? Il fallait bien que toutes les heures qu’elle avait passées au cours lui servent enfin à quelque chose.

De ce qu’elle avait pu voir, aucun organe vital n’avait été touché, la lame semblait avoir été rentrée entre deux côtés. Peut-être étaient-elles froissées ou même cassées mais pour cela, elle ne pouvait rien faire à part appliquer un onguent antidouleur à base de genévrier et de camomille. Pour l’ouverture qu’il avait au dos, elle appliqua un cataplasme fait d’un mélange de menthe, de thym et de romarin avant de recouvrir le tout d’un pansement, prenant bien soin d’épargner au jeune malade le moindre mouvement brusque et de ne pas trop serrer les côtes fragilisées de celui-ci. Elle avait bien de la chance que sa besace qui recelait tous ses trésors qu’elle utilisait sur ses propres enfants lorsqu’ils étaient blessés se trouvait toujours sous la tente de soin, à l’endroit où elle l’avait laissée. Vinou leva les yeux au ciel et adressa une prière de remerciements au Très Haut.

Pour finir sa besogne, elle passa la main dans le coup du gavroche pour lui faire boire par petites gorgées une infusion de tilleul aux vertus sédatives. Le sommeil et le repos, n’était-il pas le meilleur de tout les remèdes possible ? Elle l’aida à se recoucher et a l’installa aussi confortablement que possible sur le lit, le bordant des couvertures pour qu’il ne prenne pas froid. Elle avait conscience que ces gestes, peut-être trop maternels, pouvaient paraitre déplacés en ces lieux mais elle aussi avait besoin d’une chose à laquelle se s’accrocher pour continuer. Cette chose, c’était ses enfants qu’il lui tardait tant de revoir. Elle se laissait aller à caresser la joue du malade lorsqu’elle entendit une voix, mais surtout un nom qui lui fit chaud au cœur et la ramena dans le passé, pas forcément si lointain.


Citation:
Vie …


Une seule personne l’avait jamais appelée ainsi… personne à laquelle appartenait la voix … et qu’elle avait pendant si longtemps appelé « mon cœur » … une foule de souvenirs lui revint en mémoire, si forte et si intense qu’elle fut obligée de fermer quelques temps les yeux.

Elle le revit ami, timide et réservé, confident et soutien. Amoureux, surprenant, doux et tendre. « Mari » attentionné et protecteur. Père, peu présent, formidable et merveilleux. Lentement, Vinou se retourna pour lui faire face et lui sourit. Il avait été « son cœur » et elle savait qu’il l’était toujours pour elle. Elle savait qu’il était avec une autre et qu’il l’aimait tout comme elle en aimait aussi malgré tout un autre. Au fond, ils étaient tous deux si semblables malgré leurs profondes différences.

La jeune femme jeta un coup d’œil attentif de l’autre côté de la tente vers la Rouquine qui semblait paisible dans son sommeil, elle en fut rassurée tout comme elle le fut de savoir que Rose veillerait à présent sur les deux malades. Elle reporta son attention sur le nouveau venu et prit enfin la parole.


Bonjour Théo … Je … Je suis contente de te voir…
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Ewaele
[De l'ombre à la Lumière]

La jeune femme n'avait de cesse de se tourner et de se retourner, encore et encore, sur cette couche bien trop exiguë à son goût et qui plus est, d'une puanteur insoutenable. Son ancien propriétaire avait dû agoniser dessus de longues heures, cela ne pouvait en être autrement... Et pour couronner le tout, les ronflements tonitruants de ses compagnons de dortoir résonnait à ses oreilles, semblables aux carillons d'une Église en plein émoi. C'en était de trop! Elle rejeta négligemment le drap qui recouvrait ses jambes et posa ses dernières sur le sol brut de cette tente qui faisait office d’infirmerie. L'atmosphère du lieu était étouffante, oppressante pour elle qui avait l'habitude de dormir dans les tentes battues par les vents mugissants. Un sentiment plein de nostalgie s'empara alors d’elle mais elle le rabroua bien vite. Après tout, elle avait fait un choix et n'avait pas le droit de s'apitoyer sur son sort.

Comme si elle avait le pouvoir de chasser les idées noires qui la tiraillait, elle passa une main sur son visage ensommeillé. Puis balaya le lieu d'un œil averti, appréciant la largeur grâce aux quelques bougies dont la lumière vacillait dans les alcôves qui se nichait un peu partout. Une cinquantaine de paillasses avaient été installés aux pieds desquelles se tenait une malle de bonnes factures. La veille, lorsque le Connétable de France l'avait laissé au bon soin des bras de Morphée après quelques recommandations et lui avoir souhaité une agréable nuit bien sûr, c'était Vinou accompagnée de Maëlya qui se tenaient alors à ses côtés, elle l’avait aidée à déposer ses affaires qui n'avaient désormais plus les vertus protectrices qui leur étaient nécessaires, sa cape azure, sa tunique de cuir et enfin sa lame dans la dite malle, avant de s'écrouler sur la paillasse, éreintée... Elle venait de rentrer de sa première sortie depuis le fameux jour où ils l’avaient retrouvée, inconsciente ou presque, à l’entrée du campement.

Ayant achevé son inspection du lieu, elle s'approcha de l'entrée de la tente, ouverture s'apparentant plutôt à une meurtrière qu'autre chose dont s'échappait un filet d'air tiède. Essayant de couler un œil au dehors, elle ne vit que ténèbres et la chaleur accablante qui en émanait la désintéressèrent bien vite. Ewaële devait se rafraichir et décida de trouver une source d'eau aux alentours. Le temps de trouver l'objet de sa quête, elle aurait tout le temps de se remémorer ce qu’elle avait vécu et ressenti depuis qu’il l’avait soulevé du sol et de décider ce qu'elle ferait. S'approchant de la malle, la rouquine empoigna le fourreau de son épée qu'elle porta à son côté et coula un regard sur sa tunique mais l'atmosphère suffocante du lieu lui fit renoncer. La rousse n'allait pas non plus faire quelques emplettes en ville, seulement se dégourdir les jambes et se passer un peu d'eau sur le visage. La lame n'était donc pas non plus de rigueur après tout... Ah! Peste! Qu'est un enfant sans son hochet?! La Comtesse, tâchant de faire le moins de bruit possible, traversa la tente d'un pas le plus silencieux dont elle était capable. Les postures et les mimiques grotesques des endormis étaient comiques, tantôt un filet de bave au coin des lèvres, tantôt quelques mots inintelligibles prononcés d'une voix ensommeillé. Elle se dit alors qu'elle ne devait guère être mieux... Elle sortit précipitamment…

Elle était là assisse au bord de l’eau, sa main plongée sentait le liquide glisser entre ses doigts, légère sensation qui lui faisait penser à une caresse. Elle se laissa bercer par ce mouvement et repartit quelques jours en arrière. Son esprit était confus, ses souvenirs empreints de différents sentiments, et pourtant, malgré ses blessures qu’elle essayait d’occulter, ce n’était pas l’escarmouche qui la faisait frémir mais ce qu’elle avait vécu après… C’était dans cet amas de confusion que son corps se réveilla. L'instinct de l'animal dont on entrait dans le périmètre et qui se sentait menacé fit frisonner sa peau. On la touchait, mieux encore on la soulevait. Il n’y aurait eu aucun mal à cela si elle pouvait réagir un tant soi peu… Mais la fatigue et les coups avaient eux raisons d’elle, ses forces l’avaient quittée et à part ressentir les choses, elle ne pouvait guère faire mieux. Dans un premier temps cette proximité l’ennuya, elle ne savait pas à qui elle avait à faire ni où elle se trouvait. Comment pourrait-elle se défendre et le gosse… Il n’y avait là nulle place pour un combat qui n’avait lieu d’être en l’absence de possibilités autres que l’inéluctable défaite. Elle en serait de toute façon bien incapable. Ewaele ne bougeait point. Les sons émis qui venaient d’être traduits par son cerveau la laissaient paralysée. Comme si ses mots avaient besoin d’être appuyés, l’homme maintenant lui murmurait à l’oreille, mais elle n’arrivait pas à décrypter, cette voix ne lui était pas inconnue, mais elle était trop lasse pour ouvrir les yeux, la volonté lui manquait. Elle sentait la chaleur de son corps contre le sien et les secousses sans doute provoquées par ses pas, il avançait vite, son souffle se faisait court dans son cou, cette légère brise elle la trouvait rassurante, presque douce… Puis ce furent les battements de son cœur qu’elle perçut, rapide… Qui était-il?

Plus tard sans doute, elle quitta ses bras forts et rassurants et le froid la saisit. Elle ne savait toujours pas ce qu’il se passait autour d’elle, aurait voulu crier dire que cela allait, mais les mots ne voulaient pas franchir la barrière de ses lèvres… Et cette main dans la sienne maintenant, elle aurait voulu la humer pour voir si les effluves étaient les mêmes que celles d’un peu plutôt, si elle avait à faire au même homme. Sa mémoire tournait dans le vide pour essayer de mettre un nom sur cette voix, ces murmures, elle avait déjà vécu cela, elle le connaissait, et cette saveur qui naissait en elle et qui l’obligeait à reprendre pied ne pouvait venir que de lui. Elle sentit une légère pression sur ses doigts et d’une façon sans doute imperceptible elle rendit le contact. Cette peau chaude, ces doigts enlacés aux siens, cette main elle en connaissait aussi les creux et les bosses… Et la volonté se fit plus forte, elle devait ouvrir les yeux, elle devait mettre un nom, voir son visage, au moins lui sourire si ce n’était plus… Une fine fente, juste de quoi percevoir un filet de lumière trop puissante encore pour écarquiller ses émeraudes, mais ce qu’elle vit la rassura, un cordon et un trèfle pendant autour d’un cou. Elle sut… Et ses lèvres s’étirèrent et un filet fluet en sorti…
Lek.

Et puis soudain, contre toute attente, la physionomie de la jeune femme changea sans nulle raison, ou pour des fondements qui seuls germaient dans son esprit. Ses muscles se détendirent, ses épaules se relâchèrent et un timide sourire s'épanouit sur le visage. Puis elle sursauta quand, dans ses doigts elle sentit quelque chose se faufiler autre que de l’eau, son retour sur ce moment ne s’effaça pas pour autant. Elle le gardait précieusement en elle. Même si depuis Vinou lui avait expliqué ce qu’il s’était passé, il avait été là et était resté auprès d’elle. Depuis Chalon il avait été fort prit et son temps lui étant très précieux elle n’avait osé donner suite aux diverses entrevues et conversations qu’ils avaient eues. Aujourd’hui elle regardait l’horizon avec un nouvel espoir…
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Virtuellevinou
Afin de pouvoir parler plus librement et de ne pas être obligés de chuchoter constamment de peur de réveiller les convalescents, Vinou avait emmené Théo près du feu de bois du camp. Leurs « retrouvailles » avaient d’abord été un peu froides, chacun observant l’autre avec plus ou moins d’intérêt. La discussion prit un tour plus chaleureux et plus complice lorsqu’ils avaient évoqué leurs enfants.

Matthéa grandissait de plus en plus, elle lui avait confectionné des biscuits décoratifs pour Noël, Théo les lui tendit. Emue aux larmes, la jeune femme les pris et la plaça sur son cœur. Elle s’en voulait tellement d’avoir raté ces fêtes de fin d’année, fêtes familiales par excellence. Que dire des jumeaux, Emma et Audric ? Vinou se demandait s’ils la reconnaitraient encore après tout ce temps passé loin d’elle. Ils n’étaient encore que des bambins lorsqu’elle avait demandé de l’aide à leur père pour le garder durant son absence. Elle les savait en sécurité à Sarlat auprès de leur gouvernante qui avait aussi été la sienne. Elle avait toute confiance en la femme d’un certain âge qui était devenue au fil des années sa confidente, sa mère de remplacement. Elle lui présenta avec fierté et une tendresse toute maternelle, Maëlya, sa lumière dans ces contrées désolées où elle se trouvait, sa dernière née.

Ils discutèrent un long moment au coin du feu, les premières lueurs de l’aube pointaient déjà à l’horizon lorsqu’il se décida à reprendre le chemin du retour. Ils se quittèrent sur un « au revoir » qui ressemblait plus à un « adieu » aux yeux de la jeune femme. Elle le regarda s’éloigner dans le lointain, laissant avec lui s’en aller son amour qu’elle avait bafoué, sa tendresse qui lui manquait souvent, son réconfort dont elle avait tellement besoin en ce moment.

Lorsqu’elle se mit à frissonner dans la fraicheur de ce début de journée, elle prit soin d’éteindre les dernières braises du feu et se retourna dans sa tente pour se reposer quelques heures. Son sommeil fut agité, envahi de souvenirs, bons et moins bons, d’images nettes et précises de certains moments passés ensemble, des larmes qu’elle avait si longtemps retenues et qu’elle pensait ne plus pouvoir verser glissèrent sur ses joues sans qu’elle ne s’en rende compte.

Plus tard, elle se réveilla, fit sa toilette, donna le sein à sa fille et la prépara pour une petite visite aux convalescents. Sous la tente de soins, elle s’approcha d’abord du « sale gosse », posa la main sur son front, vérifiant ainsi si la fièvre le gagnait ou pas. Rose qui avait trouvé une jeune femme, presque encore une jeune fille pour l’aider à s’occuper des blessés était allée se reposer à son tour. Rassurée sur l’état de santé du gamin, Vinou se dirigea vers le lit de la Rouquine. Voyant celui-ci vide, elle fronça les sourcils.

Connaissant Ewa, celle-ci en avait certainement eu assez d’être alitée dans un tel endroit et avait dû sortir. Mais où avait-elle bien pu aller ? Quelle direction prendre ? Elle hésitait lorsqu’une buse se posa devant elle. La jeune femme lut avec attention le message et poussa un soupire. Il fallait vraiment qu’elle trouve la Comtesse et rapidement en plus.

Parcourant le campement, elle regardait ça et là à la recherche de la chevelure de feu de son amie. Enfin elle la trouva assise au bord de l’eau, un peu perdue dans ses pensées. Prenant garde à ne pas se mouiller ni à mouiller sa fille, elle s’assit à ses côtés et déposa un baiser sur sa joue. Les deux jeunes femmes papotèrent un moment, de tout, de rien, tout pour éviter de parler de ce qui les entourait.

Vinou finit par lui montrer le message qu’elle avait reçu, elle devait quitter Brignoles pour aller à Toulon. Les routes étant peu sur et mal fréquentées, elle ne pouvait emmener Maëlya avec elle, elle ne pouvait prendre ce risque. Non ! Elle ne le pouvait pas. Elle savait que cette séparation, si vite après sa naissance, lui arracherait une partie du cœur et broierait ses entrailles mais elle n’avait pas le choix, elle devait faire ce pourquoi elle avait donné sa parole et devait surtout laisser sa fille aux bons soins de son amie Ewa, si celle-ci acceptait.

La jeune femme parti un peu apaisée, la Rouquine, bien qu’un peu mal à l’aise avec le poupon, avait accepté sa demande. Sa fille serait en sécurité et son amie serait entourée par des amis de confiance qui étaient aussi en ville. Dont un personne en particulier, Vinou n’avait pu s’empêcher de voir certaines choses, certains gestes, certains murmurent significatifs entre la Comtesse et le Connestable de France.

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