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[RP] D'un conseiller ducal exaspéré et d'un amour contrarié.

Anne_blanche
A la lecture de la missive, la belle humeur de Terwagne sembla s'envoler. Anne remarqua la tristesse qui envahissait le regard de sa tante, et en éprouva deux sentiments contradictoires. D'une part, elle se sentait touchée par la peine de la Dame de Thauvenay, sans vraiment la comprendre, puisqu'elle était certaine de l'amour que lui portait le vicomte. D'autre part, elle était plutôt contente de voir sa tante se mettre au diapason, en quelque sorte.
Anne l'aurait volontiers interrogée, le plus discrètement possible, mais c'était tout de même gênant. Pas aussi gênant que cette histoire de cochons qui se roulaient allégrement dans leur fange, mais un peu quand même.
Elle n'eut pas à chercher comment présenter ses questions. Terwagne renouait déjà les lacs, et s'intéressait à elle.


Furieuse?
Et sur quoi?
Ou plutôt sur qui?
Pas moi, j'espère...


Un alibi, sans aucun doute, mais Anne n'hésita pas à répondre, malgré l'apparente distraction de sa tante, qui triait et lisait les documents épars sur sa table de travail.

Non, ma tante, pas vous ! Enfin ... si. Hum ... non, je ne ...

Avec un soupir d'exaspération, Anne s'assit sans y avoir été invitée, et prit deux ou trois inspirations.

Pardonnez-moi, ma tante, mes propos sont aussi clairs que le Rhône par temps de crue. C'est que j'ai tant à dire que tout cela m'étouffe, et se bouscule.

Vous le savez, ma tante, ce duché me tient à coeur, autant qu'à vous. Dès que je peux, je viens à Lyon, je vais consulter les rapports publics dans votre bureau, et dans celui de Messire Raithuge. Ce que je vois dans ce dernier bureau me met hors de moi !


Elle dut s'arrêter de nouveau, refouler la colère avant qu'elle ne la prenne tout entière.

Quoi ! une mine qu'on n'entretient pas parce qu'on manque de pierre, alors que nous avons deux carrières ! Je suis allée en salle de doléances, j'ai demandé à Messire Raithuge ses raisons, quand il a voulu fermer une mine. Et croyez-le ou non, ma Tante : j'ai eu mal.


Le mot était sorti sans qu'elle le pèse. Elle s'y arrêta elle-même, repassa sa phrase dans sa tête, et se dit qu'après tout, elle ne pouvait en choisir de meilleur. Elle baissa un peu la voix. Ses pensées, mises en mots, prenaient à ses propres yeux un poids encore plus lourd que quand elle les gardait pour elle.

Où mènent-ils le Duché, ma Tante ? Personne n'a-t-il donc lu les notes que j'ai laissées à la bibliothèque ? A quoi bon travailler pour le duché, si ce travail ne sert à personne par la suite ? Ou alors, l'ont-ils jugé si mauvais ? Je suis découragée, ma Tante.

Encore plus bas, elle ajouta :

Tellement découragée que je songe à partir.
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Terwagne
Alors qu'elle s'apprêtait à répondre aux interrogations de sa nièce, celle-ci murmura une dernière phrase, très brève, qui suffit à elle seule à lui figer le sang et les lèvres.

Les secondes s'écoulèrent, le temps comme suspendu à sa bouche entrouverte, avant qu'enfin elle ne parvienne à en faire sortir un son.


Partir... Et où donc? En Berry, retrouver votre parrain? Dans un autre Duché où là aussi vous serez un jour découragée?

Sa voix s'était faite rude, et elle s'en rendit compte elle-même, mais s'il était bien une chose qu'elle ne supportait pas, c'était que l'on abandonne un combat, aussi impuissant puisse-t-on se sentir à un moment donné.

Tentant de calmer ses ardeurs, elle prit le pichet d'eau posé sur le bureau et en remplit deux verres, avalant le contenu du sien sans tarder.


Pardonnez-moi, Anne... Ce n'est pas contre vous que je suis en colère, enfin pas contre vous seule, mais bien contre de nombreuses personnes.

Vos notes ont été lues, par moi en tous cas, et complétées par le tutoriel que j'avais rédigé du temps de mon appartenance à l'office des finances, où j'étais sous-intendante à la Curia.

Seulement, je présume que comme tout un chacun, certains conseillers ont besoin de tenter de mettre en place leur vision des choses, de tenter de trouver d'autres solutions, et d'ensuite comprendre eux-même leurs erreurs.

Du moins je leur souhaite de s'en rendre compte, de ces erreurs.


Elle se tut, longuement, se servant un second verre d'eau, et le buvant en prenant son temps, avant de poursuivre.

Vous savez, Anne, le découragement, je le ressens en ce moment plus que jamais, et je ne suis pas en droit de vous dire de ne pas y céder...

Seulement, j'avoue que cela me chagrinerait fortement, et que vous êtes sans doute celle qui chaque jour me donnez envie de continuer à me battre et à rester, sans le savoir.

Sans votre présence ici, et celle de Milyena, je crois qu'il y a belle lurette que moi-même j'aurais claqué bien des portes, aussi bien celle du conseil ducal que celle de l'APD où je ne me sens absolument plus soutenue par mes colistiers.

Oui, belle lurette que j'aurais suivi mon envie de voyages, de vent et de liberté... Mais j'ai un coeur, un coeur qui parle bien plus fort que mon découragement, un coeur qui aime bien des gens ici, et qui aime cette terre comme si elle était celle de ma naissance.

Un coeur qui me dit de rester et de continuer à croire qu'un jour...

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Membre de l'APD : la compétence au service des Lyonnais et Dauphinois
Anne_blanche
Anne, qui avait baissé les yeux et s'absorbait dans la contemplation de ses bottes, les releva timidement quand le silence devint pesant. Elle s'était attendue à ce que sa tante n'apprécie pas son besoin d'air frais, mais pas à la dureté de sa voix quand elle lui en fit reproche.

Partir... Et où donc? En Berry, retrouver votre parrain? Dans un autre Duché où là aussi vous serez un jour découragée?

Plutôt que de proférer une réponse qui aurait été encore plus rude, Anne préféra boire le verre servi. Au moins, Terwagne se souvenait qu'elle avait un parrain en Berry : encore un pan du voile levé.
La jeune fille était si agacée qu'il lui en venait des envies de hurler que oui, elle irait en Berry, s'installerait chez son parrain, et se réconcilierait avec Oncle Georges. Mais c'eût été pitoyable, et inutile.
La dernière question l'avait blessée, par ce qu'elle sous-entendait de pessimisme, et parce qu'elle savait bien que sa tante ne l'avait posée que pour faire jouer le ressort de la culpabilité.


Pardonnez-moi, Anne... Ce n'est pas contre vous que je suis en colère, enfin pas contre vous seule, mais bien contre de nombreuses personnes.

Elle ne desserra les lèvres que pour boire une nouvelle gorgée, regard rancunier par-dessus le bord du gobelet.
Terwagne expliquait des choses qu'elle savait déjà, au sujet du besoin des gens de faire des erreurs pour avancer. Anne n'écoutait qu'à moitié. C'était justement ça qu'elle reprochait à certains membres du Conseil actuel : cette propension étrange à agir selon leur bon plaisir, au lieu de se plier à la contrainte de la raison.

Un nouveau silence s'installa, plus pesant que le précédent. Anne regrettait presque d'être venue. Elle avait cru trouver en bureau des assurances, et s'apercevait qu'elle s'était trompée. Elle se mit à calculer dans sa tête ce que les erreurs de gestion allaient coûter aux Lyonnais et Dauphinois, et fut effarée du résultat. Sa mine boudeuse devait la faire passer, une fois de plus, pour une enfant sans cervelle qui claque les portes à la moindre contrariété. Tant pis ! Elle était si en colère contre tous ces beaux parleurs qu'elle aurait été capable, à cet instant, d'entrer au couvent pour le reste de ses jours.
Ce fut encore Terwagne qui rompit le silence, pour faire part à Anne de ses propres doutes. Et à mesure qu'elle parlait, Anne s'ancrait encore plus fortement dans son envie de départ. Elle n'en pouvait plus, de rester assise là, elle avait besoin d'action, de mouvement, et par-dessus tout besoin qu'on la comprenne.
Elle se leva, et se mit à faire les cent pas, s'arrêtant à chaque phrase pour peser ses mots, dans une tentative désespérée pour faire admettre, sinon comprendre son point de vue.


Tout cela est bel et bon, ma Tante. Mais êtes-vous consciente que vous me posez sur les épaules un poids que je ne suis pas prête à endosser ? Je ne veux pas que l'on fasse les choses pour moi ou à cause de moi ou grâce à moi. Je ne veux pas de cette responsabilité-là !

Vous rendez-vous compte que vous semblez me reprocher de ne point aimer ce Duché, alors que j'ai prouvé plus que bien d'autres, par des actes, il est vrai, et non des paroles, à quel point ce Duché me tient à cœur ?

Vous êtes-vous avisée qu'à me parler de moi, de vous, vous n'évoquez aucune solution pour éviter au Duché cette catastrophique perte d'écus engendrée par la mauvaise gestion de ses richesses ? Oh ! Je sais bien : je ne suis qu'une démissionnaire qui aurait mieux fait de garder sa charge plutôt que de fuir lâchement ses responsabilités. Je n'ai pas fini de l'entendre, celle-là, en particulier dans la bouche de gens sans honneur qui ne comprennent pas qu'on en puisse avoir. Et puisque je suis démissionnaire, je n'ai plus qu'à me taire, et surtout ne proposer aucune solution, aucune aide...


L'amertume lui donnait la nausée. Elle s'arrêta face à Terwagne, reprit plus doucement, ne pouvant empêcher la nuance de reproche dans sa voix.


Vous avez Messire Walan, vous, ma Tante, et Dame Myliena. Moi, j'ai des tombes en Berry, un grand-oncle plus haineux que le Sans-nom lui-même, un parrain qui m'aime à sa façon, un vieil oncle moribond, une sœur qui sert le Très-haut...

Vous avez l'âge d'être écoutée, je ne suis qu'une fillette qui a le front d'en remontrer à bien des grandes personnes.

Vous savez vous faire aimer...


Anne détourna la tête, pour qu'on ne vît pas les larmes qui lui montaient aux paupières. Elle ne voulait pas de la pitié d'autrui, encore moins celle de ses proches.

Je vais partir, ma Tante. Au moins un temps. J'ai besoin de... de me trouver. De savoir qui je suis, moi, au-delà de tous ces morts qui me dictent mes actes depuis que je suis née.


Elle avait bien compris le découragement de sa tante, ses doutes, son besoin d'être confortée dans ses espoirs et ses choix. Mais elle était incapable de rassurer. Ce n'est pas aux cadets à jouer ce rôle-là auprès de leurs aînés.

Mes pas me porteront ... je ne sais où. Peut-être auprès de ...

Anne se mordit violemment la lèvre, une vague pourpre lui gagna les joues et le front. Très vite, bafouillant un peu dans sa hâte à faire oublier ses derniers mots, elle reprit aussitôt.


Il ne m...manque pas de... de nobles dames am...mies de feue ma mère en ce royaume. Il s'en tr...trouvera bien une qui m'... m'accueillera un temps.
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Terwagne
Sidérée, voila bien l'état d'esprit dans lequel la mirent les mots de la jeune fille. Mais que croyait-elle? Qu'elle regardait les choses et les erreurs commises au Conseil Ducal sans rien dire, sans tenter de faire entendre raison à certains?

Excédée plus que touchée par l'émoi et la détresse visible de la jeune fille, elle se leva et regarda par la fenêtre afin d'éviter de lui laisser voir son regard noir.


Je ne vous ai nullement reproché de ne pas aimer ce Duché, je ne l'ai même pas sous-entendu, pas plus que pensé un seul instant, et vous le savez!

Je sais tout ce que vous avez fait, oui! Je le sais!

Et contrairement à vous, je ne sous-entend pas que vous n'avez pas essayé de sauver les meubles et n'avez pas essayer de proposer des solutions en quittant tout.


Vous rendez-vous compte que vous venez de m'accuser de ne pas moi proposer de solutions?!?! Qu'en savez-vous?

Vous n'y êtes pas au Conseil Ducal!
Vous n'avez aucune idée de ce que j'y dis ou n'y dis pas, de ce que j'entretiens comme relation avec les autres conseillers!

Alors non, je n'évoque pas cela devant vous!
Parce que j'estime que si vous avez quitté ce Conseil Ducal c'est pour ne pas en connaître les affres et les tensions, pas plus que les coup-bas et le découragement que l'on peut y ressentir quand on parle dans le vide... Je ne vous les imposerais pas en vous les racontant, cela ne ferrait qu'ajouter encore à votre découragement.

Comprenez-le, ou pas, pour ma part je sais que mes raisons sont là et nulle part d'autre.

Elles ont pour but de vous protéger, moi que vous accusez à présent de mettre un poids sur vos épaules!

Mais jugez-moi comme il vous plaira, Anne!
Vous qui ne voulez pas qu'on en fasse de même à votre égard.
Jugez-moi sans savoir, à tord et injustement, si cela peut vous aider à partir comme vous semblez tellement en éprouver le besoin.


Elle se calma soudain, prenant conscience de ce qu'elle était en train de faire... La pousser à le suivre, ce vent dont elle pensait sans doute qu'il la conduirait vers une herbe plus verte et plus douce.

Enfin, elle se tourna vers elle, et même s'approcha, reprenant d'une voix plus douce, mais où la colère était pourtant encore présente, juste atténuée par cet amour filial qu'elle éprouvait pour la demoiselle.


Je ne sais pas grand chose de cette famille dont vous parlez, ni de votre parrain dont j'ai entendu dire l'autre soir qu'il était en Berry, ni de votre soeur dont je n'ai pas plus de souvenir.

Moi, j'ai Milyena, en effet, et le Vicomte d'Ancelles aussi, oui... Mais cela ne durera sans doute pas, parce que non, je ne sais pas plus que vous me faire aimer.
Ou en tous cas pas longtemps.

Walan cessera un jour de m'aimer, ne vous leurrez pas, tout comme celui qui m'avait brisé le coeur au point que je veuille rejoindre le Très-Haut l'avait fait auparavant.

Mais peu importe, c'est ainsi... Je suis sans doute attirante au départ, contrairement à vous, mais très vite décevante.
Regardez, même vous aujourd'hui me regardez avec un air déçu au-delà des mots.


Avalant sa salive avec difficulté, elle resta un moment silencieuse, se demandant ce que la jeune fille espérait d'elle... Qu'elle la retienne? Qu'elle lui dise comprendre son besoin de partir? Qu'elle lui donne une espèce d'assentiment?

Elle ne se sentait en droit de faire aucune de ces choses...


Chacun de nous est libre de ses actes, Anne.
La seule chose importante c'est de ne jamais les regretter et de faire en sorte qu'ils soient fidèles à ce que nous sommes réellement.

Alors si vous pensez que partir vous est nécessaire, faites-le...
Si vous pensez que vous ne le regretterez pas, allez-y...
Si c'est de cette façon que vous pensez être le plus fidèle à ce qui bat au fond de vous, prenez cette route...

Moi, je prierai pour que jamais vous ne connaissiez le regard en arrière les larmes aux yeux.

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Membre de l'APD : la compétence au service des Lyonnais et Dauphinois
Anne_blanche
Rien compris ! Terwagne n'avait rien compris !

Effarée, Anne l'écouta déverser ce qu'elle percevait comme des contre-vérités, se repliant de plus en plus à mesure que la Dame de Thauvenay s'échauffait.

Terwagne évoquait son cœur qui battait pour le Duché, son amour des gens d'ici qui la retenait, pour mieux faire comprendre à Anne qu'elle n'avait pas de cœur, elle qui partait, puis prétendait être certaine qu'Anne aussi aimait le Duché ; elle s'imaginait qu'Anne l'accusait de ne point proposer de solution, alors qu'à aucun moment il n'était venu à l'esprit de la jeune fille que sa tante aurait pu rester les bras croisés face à la débâcle.

Pire que tout, elle prétendait faire le bonheur d'Anne malgré elle, lui cacher des choses pour ne pas la décourager, alors même qu'Anne était de ceux qui ont besoin de savoir pour avancer. "J'estime", disait-elle. Rien compris. Elle n'avait rien compris des raisons d'Anne, pas plus que n'importe quel inconnu de ce duché. Atterrée, Anne percevait d'un coup toute l'étendue de l'incompréhension qui s'était installée entre elles, sans qu'elle y prît garde, tout simplement parce que jamais, au grand jamais, elle n'aurait pensé que sa tante pût ne pas partager sa vision de ce genre de choses.
La protéger ! Par le Très-haut, mais de quoi donc ? Terwagne avait "ses" raisons, en effet, mais posées sur des bases fausses. Et cette façon de s'offrir en victime expiatoire, de prétendre ôter les dernières chaînes qui la retenaient à Vienne en s'imaginant qu'elle la jugeait, et que ça l'aidait de la juger ! Bouche bée et yeux grands ouverts devant ce déluge de reproches infondés et de phrases perçues comme autant d'insultes, Anne attendait, incapable de la moindre réaction, l'estocade finale.

Elle vint sous la forme d'une interprétation erronée de sa mine.


Regardez, même vous aujourd'hui me regardez avec un air déçu au-delà des mots.

De la déception... Dans ce qui n'était qu'espérance de compréhension, la Dame de Thauvenay voyait de la déception.
Et Anne, au bord de l'évanouissement comprit soudain la folie de sa propre existence : que l'on s'adresse à elle, comme le faisait Terwagne, comme à une égale à qui l'on s'ouvre de ses plus intimes sentiments, et elle se sentait bafouée dans son enfance encore si proche ; qu'on lui parle comme à une petite fille, et elle se révoltait de tout son être, de toute ces odieuses capacités que le Très-haut lui avait accordée un peu trop généreusement.
Ni enfant, ni adulte, Anne n'était rien. Nul, jamais, ne la comprendrait, hormis Gabriel. Et Gabriel était mort. Dans ses efforts désespérés pour se faire admettre telle qu'elle était, elle ne rencontrerait jamais que tentatives de protection inspirées par quelque instinct de maternité surgi de la nuit des temps, ou appels frénétiques à une maturité émotionnelle qu'elle savait ne point posséder.

Un sanglot l'étouffa, un seul, qui fut aussitôt ravalé. Les yeux soudain secs, elle se redressa, plus droite que les "i" tracés par ses doigts toujours maladroits. Elle marcha sur Terwagne, à pas lents, les traits figés, poings serrés dans les plis de sa jupe immaculée. Le genou ploya, plus raide que celui d'une vieille femme, le front s'inclina imperceptiblement, sans que le regard quitte une seconde les yeux encolérés de la Dame de Thauvenay.


Le Très-haut vous garde, Dame.

La majesté du demi-tour ne parvint qu'à lui donner à ses propres yeux qu'un air encore plus ridicule et pitoyable. Menton haut et visage de bois, elle quitta la pièce.
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Terwagne
Walan... Comme toujours, à sa pensée, et plus encore en prononçant son prénom, elle avait immédiatement senti la tempête se rendormir peu à peu en elle, pour laisser de nouveau place à la femme sensible et fragile qu'elle était au fond d'elle.

La femme qui aimait les gens sans pouvoir le leur montrer et leur faire comprendre.
La femme qui était tellement maladroite avec les mots et les sentiments.
La femme qui avait tellement peur de perdre les gens qu'elle aimait mais était si souvent incapable de les retenir.

En elle, toutes ces idées se bousculaient alors qu'Anne s'apprêtait à quitter la pièce, avec en guise d'adieu une formule de politesse toute fait, lui rappelant douloureusement qu'après tout elle n'était qu'une étrangère, qu'aucun lien de sang ne les liait l'une à l'autre.

Peut-être était-ce pour cela qu'elle avait tellement de mal à la comprendre et à l'aider, au final...

Parce que oui, face à cette souffrance qu'elle devinait en Anne, celle-là qui la rendait si agressive parfois, la Dame de Thauvenay se sentait simplement impuissante. Impuissante comme on peut l'être devant un mystère.

Mais comment aurait-elle pu comprendre une enfant, elle qui n'en avait pas et sans doute n'en aurait jamais?

Et Anne était-elle encore une enfant ou déjà une jeune femme?

Quelle était la marche à franchir entre ces deux états?

La réponse fusa en elle, brusquement, sous la forme d'un souvenirfugace et flou pourtant... Son premier amour! C'était ce jour-là qu'elle-même s'était sentie femme et plus enfant, après avoir longtemps lutté contre.

Norf! Anne! Etait-ce cela qui... Le rouge sur ses joues l'autre jour, dans le coche...

Dans un réflexe irréfléchi, elle s'élança dans le couloir à la suite de la demoiselle et se contenta de lui poser cette question surprenante, et sans forme.


Est-ce que je le connais? Le responsable de ce rouge qui vous allait si bien...
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Membre de l'APD : la compétence au service des Lyonnais et Dauphinois
Anne_blanche
Si les huissiers qui attendaient dans les corridors de Pierre-Scize qu'un Conseiller fasse appel à leurs services avaient pu lire les pensées, ils auraient été bien surpris de saisir au passage des "Je ne sers à rien", "Je n'aurais jamais dû naître", "La vie est inutile", et autres "Fable absurde rêvée par un fou" qu'Anne se répétait en boucle. En arrière-plan, ils auraient perçu la révolte contre les décrets du Très-haut, qui interdisent, sous peine d'exil sur la Lune, que l'on attente à sa propre existence. Anne voulait revoir Gabriel, sa mère, sa marraine, connaître son père. Or, ils étaient dans le Soleil. Elle devait donc vivre. Mère Wilgeforte le lui avait bien expliqué.
Mais les huissiers ne voyaient qu'une toute jeune fille, qui quelques semaines auparavant était encore Conseillère Ducale, Chancelière du Lyonnais-Dauphiné, et ils se contentaient sur son passage de redresser la position, avant de s'appuyer de nouveau au mur. Elle saluait chacun d'un rapide signe de tête, avec l'impression que ces couloirs n'en finiraient jamais, qu'elle errerait ad vitam aeternam entre deux parois sombres et glacées.


Est-ce que je le connais? Le responsable de ce rouge qui vous allait si bien...

Anne s'arrêta net, souffle coupé. Lentement, elle fit demi-tour, pour se retrouver face à Terwagne.

Ma tante, ce n'est ...


... pas l'endroit pour parler de ces choses-là, pas le moment de les évoquer, pas la peine de me courir après, pas utile de laisser croire n'importe quoi aux huissiers, pas mon désir de penser à lui, à l'avenir, à la vie... Et encore moins le lieu et l'heure d'exposer tous ces "pas"... Anne laissa donc sa réponse en suspens.
A la limite de son champ de vision, elle devinait l'attention aux aguets d'un page et d'un huissier, croyait percevoir leur respiration retenue, le glissement feutré du pas qui se rapproche comme par hasard.
Aussi prit-elle l'air le plus dégagé possible.


Ce n'est pas si absurde de rougir quand le froid vous mord les joues, ma tante. A moins que vous ne fassiez allusion à cette soirée en taverne où je me tenais près du feu ? Dans l'un et l'autre cas, vous connaissez le responsable !

Tout en parlant, elle s'était acheminée de nouveau vers le bureau du bailli. L'effort qu'elle s'imposait pour ne pas s'insurger, devant les domestiques, contre la question de Terwagne avait blanchi ses jointures, emperlé sa lèvre.
La porte refermée, Anne fit face à la Dame de Thauvenay, prête à lui jeter à la face quelques phrases cinglantes où il aurait été question de la nécessaire retenue face aux subordonnés. Mais elle avait beau se sentir misérable, incomprise, désemparée, elle restait Anne Cornedrue de Culan, fille du vicomte Valatar et de Maryan d'Ambroise. Une cadette ne donne pas à ses aînés de leçons de savoir-vivre.

Et puis...
Il y avait, dans la course de sa tante à travers les corridors pour la rattraper, dans la spontanéité de sa question, une forme de tendresse qui n'échappa point à Anne.
Elle ne voulait pas se radoucir. Sa tante l'avait blessée, au plus profond de son être. La rancune lui dictait de rester froide et distante. Mais sa détresse face à la découverte que jamais elle n'aurait sa place nulle part, son sentiment d'absolue solitude la poussaient à se confier, à abandonner les armes.


Vous ne le connaissez pas.

Voix cassante, dernier sursaut d'orgueil, aussi vain que sa propre existence.

Il est de bonne noblesse, d'âge proche du mien.

Cils qui s'affolent, fragile rempart d'un regard déjà indécis.

Nous sommes tous deux Académiciens. Mon père avait pour sa mère la plus grande estime.

Qu'il est donc difficile de garder intacte sa colère, même quand on sait qu'on n'a pas d'autre carapace contre l'incompréhension !


Je ne sais, ma Tante, s'il me regarde comme je le vois. Il me semble qu'il recherche ma compagnie.
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Terwagne
Retour dans le bureau, et débuts d'aveux, citadelle de froideur et de colère s'effritant au fil des mots livrés...

Pour toute réponse, la Dame de Thauvenay se contenta de sourire à la jeune fille, avec la même tendresse qu'on peut mettre dans une main tendue.

Que dire? Que répondre?

Une fois de plus elle n'en avait aucune idée, se sentant désoeuvrée et impuissante à donner des conseils, à se réjouir même pour la demoiselle, elle qui craignait tellement l'amour au fond d'elle-même.

Les minutes s'écoulèrent, lentement, longuement, avant qu'enfin elle n'avance un siège vers sa nièce et prenne elle-même place sur un autre. Assises, toutes deux seraient à la même hauteur, et cette pensée fugace la rassura.


C'est toujours bien compliqué de savoir si l'autre nous regarde comme nous-même le voyons...

Combien de fois se l'était-elle posée cette question face à Walan? Des centaines de fois sans doute. Mais l'heure n'était pas à l'introspection, alors elle finit tout de même par tenter d'en apprendre plus de la bouche de Anne.

De quel Duché est-il?
Est-ce là bas que vous comptiez vous rendre?

Enfin, pardonnez mes questions, mais comprenez que si ce jeune homme mérite votre attention, il attise forcément un peu ma curiosité.

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Anne_blanche
Le sourire de Terwagne amena une nouvelle ombre sur le front d'Anne. Se moquait-on ? Oui, bien sûr, comme toujours... Quelle sotte pulsion, aussi, que de s'épancher comme elle venait de le faire ! Elle ne récoltait que silence et sourire protecteur.

Le silence fut cependant bénéfique. N'osant réitérer sa sortie outragée, de peur de passer définitivement pour une idiote, estimant avoir fait plus que sa part du chemin de retour vers sa tante, Anne n'avait d'autre solution que l'introspection. Penser, c'est ce qu'elle savait le mieux faire, après tout.
Elle dut bien s'avouer que Terwagne aurait pu dire n'importe quoi, elle y aurait trouvé de quoi alimenter sa colère et sa rancune. Voilà qui n'était point digne de la fille de Valatar ! Lui, au moins, d'après ce que lui en avaient raconté Dame Mysouris, Dame Marie-Alice, Dame Arielle, mettait de côté ses sentiments personnels pour prendre les décisions vraiment importantes. Serait-elle donc incapable d'agir de même, elle dont on disait qu'elle lui ressemblait tant ?

Terwagne l'invita du geste à s'asseoir, et en fit autant. Le grincement du bois agaça les nerfs à vif d'Anne, si bien que la voix de la Dame de Thauvenay lui sembla, par contraste, bien agréable à entendre.

C'est toujours bien compliqué de savoir si l'autre nous regarde comme nous-même le voyons...

Voilà qui était rassurant, au fond. S'il s'agissait bien d'une vérité universelle, Anne n'avait plus besoin de se tourmenter. Une contrainte omniprésente n'en est plus vraiment une, puisque si tout le monde la ressent, chacun est à même de comprendre l'angoisse d'autrui à ce sujet.

De quel Duché est-il?
Est-ce là bas que vous comptiez vous rendre?
Enfin, pardonnez mes questions, mais comprenez que si ce jeune homme mérite votre attention, il attise forcément un peu ma curiosité.


Forcément, oui... Après tout, Terwagne restait la seule personne qui s'occupât encore un peu d'Anne, au quotidien, ou presque. C'était bien un peu gênant d'être un objet de curiosité, mais puisque la jeune fille avait décidé de mettre de côté hargne et rancune, elle s'efforça de n'y voir que le bon côté.

Il est des Flandres, ma Tante. Mais je ne comptais pas m'y rendre. C'est trop loin, trop au Nord, et l'on dit que les gens y parlent une langue rude, que je ne comprendrais pas.

Elle aurait pu ajouter que ça ne se faisait pas, de se lancer sur les chemins pour imposer sa présence à quelqu'un dont on ne sait s'il l'appréciera ou non, mais il lui semblait que ce genre d'arguments ne recueillerait chez Terwagne qu'assentiment poli. Elle préféra parler encore un peu de "lui".

Peut-être ses parents l'ont-ils tôt fiancé, pour ce que j'en sais. A Paris, l'autre jour, il m'a cependant semblé que sa mère avait organisé cette soirée dans l'unique but d'observer de plus près les filles à marier du Royaume.

L'extrême jeunesse d'Anne reprenait le dessus. Elle émit un petit rire au souvenir de l'espèce de joute que s'étaient livrée mère et fils.

C'était amusant, ma Tante. Dame Arielle a tout fait pour mettre son fils en valeur, et lui s'est acharné à se faire oublier, avant de me venir rejoindre en lisière du salon. J'étais la plus insignifiante demoiselle de la réunion, tant par l'âge que par le nom. On aurait dit qu'il savait les desseins de sa mère, et lui signifiait par son attitude qu'il préférait ne point penser encore à l'engagement.

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Terwagne
C'était sans aucun doute la première fois que sa nièce semblait lui livrer de cette façon une petite partie de son intimité et de ses sentiments, et elle l'écouta avec grande attention. Par moment, même, il s'en serait fallu de peu pour voir naitre un sourire affectueux sur ses lèvres.

Les Flandres... C'était bien loin en effet. Pour ce qui était de la langue, elle ne se faisait aucun doute sur la capacité que la jeune fille aurait à fort rapidement comprendre et se faire comprendre pourtant.

Le récit de la soirée à Paris la toucha, surtout en raison du léger rire sortant des lèvres de Anne. Comme cela faisait du bien de l'entendre rire... Eait-ce déjà arrivé en sa présence? Il lui sembla que non...

Ce petit rire, elle le grava immédiatement dans sa mémoire, comme un trésor qu'elle espérait garder longtemps en elle, sur lequel elle pourrait compter les soirs de cafard et de doute pour lui remonter le moral.

Silencieuse, elle observait à présent la jeune fille, sans plus poser de question, ni au sujet de l'objet de son éveil amoureux, ni au sujet de son prochain départ.

Ce silence entre elles aurait-il duré longtemps? Laquelle des deux y aurait mis fin en premier? Jamais elle ne le saurait, puisque ce fut un agent extérieur qui mit fin à l'entretien familial... Un messager du Gouverneur qui requérait sa présence au plus vite en salle de réunion.

Contrariée, elle se leva et prit congé de la jeune fille, en s'excusant.


Hum... Vous m'en voyez navrée, mais je crains que nous ne devions terminer cette conversation un autre jour.
J'espère que nous en aurons l'occasion avant votre... départ?


Elle ne put empêcher la note interrogative de clore ses propos, malgré ses efforts, pas plus que le dernier regard qu'elle lança à la jeune fille avant de quitter la pièce d'être rempli de prière.
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