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Info:
Rencontre improbable et impromptue dans une taverne du Mans entre un Fou et une Pivoine.

[RP] Le Mans : songes

Edern
HRP : RP bien évidemment ouvert à tous, n'hésitez pas à vous amuser un peu !

Partout, la vie est de retour : les oiseaux gazouillent de plaisir, les arbres verdoient de bonheur, les rivières coulent allègrement vers la mer. Même le blanc des nuages le dispute en éclat au bleu du ciel. Les paysans regardent avec amour l'action bienfaitrice de l'astre solaire sur leur terre nourricière. Les vents joyeux administrent la communauté humaine. En trois mots comme en cent : les royaumes renaissent.

Partout ? Non, car un esprit irréductible résiste encore et toujours à l'envahisseur doucereux. Le monde ne lui est pas hostile : il ne lui est qu'indifférent, ce qui est bien pire. Il n'y a plus de spectacle. Plus de scène. Plus d'acteurs, plus de publics. Tout cela a disparu pour lui, car...

... les mots fuient le monde. Fuient le Fou ! Déjà deux mois... le temps qui ne comptait pas fait désormais sens. Les grains s'écrasent inexorablement au fond du sablier. Combien sont-ils ? Quel est le délai qui lui a été accordé ? Déjà soixante jours, soixante nuits d'une angoisse sourde sans cesse grandissante. Il doit avoir failli à sa mission, quelle qu'elle soit... il a dû perdre le combat. Oh, pour le savoir, il a bien essayé de s'abandonner totalement, de se retirer d'une réalité déjà bien éloignée. Rien. Rien, si ce n'est ces rêves. Ces cauchemars ! Récurrents, jamais tout à fait écartés. Là où les mots s'alignaient harmonieusement, là où prose et vers jaillissaient autrefois sans effort, des visions du néant font plus que le narguer : elles l'écrasent sans vergogne. Il est piétiné par le rien. Chaque combat est un peu plus violent et imprévisible que le précédent et il le sait. Réduit à une inhabituelle impuissance, le Fou ne peut que surveiller à la lisière de sa conscience ce qui le terrifie.

Que faire ? Chercher. Quoi ? Une réponse. Lui qui aime tant les questions...

~~~~~~~

Le Mans. Une taverne, n'importe laquelle. Non qu'elles constituent un refuge pour le trouvère déchu ; il n'est à l'abri nulle part. Depuis le début de la Fuite, aucun endroit ne lui a permis de retrouver ce qui lui manque. Ni les contrées du sud, ni le Périgord, ni le Limousin, ni le Berry, ni la Touraine, ni rien. Les tavernes demeurent pourtant un de ses lieux de prédilection, ultime parcelle survivante de son activité passée. On peut y écrire au chaud. Y rencontrer l'âme salvatrice, peut-être ? L'espoir est pourtant déçu depuis fort longtemps. Pourquoi en serait-il autrement aujourd'hui, alors que tout va mal ? Non, les raisons de sa présence ici sont purement matérielles.
Et d'ailleurs, la pêche aux renseignements est ouverte en toute saison, qui plus est dans une zone aussi stratégique que la capitale mainoise : s'ils ne guériront pas son mal, ils pourront toujours lui être utiles un jour. S'il survit... et si la survie en vaut la peine.

Table isolée au coin de la pièce. Chaise de bois. Du chêne. Écritoire en place, plume à la main, encre sagement liquide dans son fragile récipient. Feuille blanche ! Le Fou est désespéré, mais patient. La guerre est d'usure, il ne rendra pas les armes facilement. L'établissement est presque désert. Ça, il en a l'habitude ! Choisir sa solitude a toujours été un plaisir. Malgré les conflits, les maladies et les famines, on est vite perturbé, de nos jours. Pas de pitié pour les faibles.

Quelque chose qui s'agite, là-bas. Soudain, la douleur. Un voile passe devant les yeux d'Edern, qui fixent maintenant le mur poussiéreux d'en face. Le Fou n'a pas bougé, sa main continue de tenir l'instrument de sa gloire passée, son corps reste conforme à la position que le siège exige de lui. En lui, les images défilent, impitoyables. Des lettres d'acier labourent sa peau, arrachent ses os, déchirent ses organes. Le soleil est bleu, la mer est jaune. L'océan ! Il se rapproche en hurlant, l'engloutit. Il s'enflamme. Le glace.

Suffocation, suffocation, suffoc...

Songes d'un soir de printemps. L'esprit du Fou est en sang.
--Emery
Dadoudadoudadoudiiii ! Emery était ravi d'avoir pu échapper à son père. Il fallait le comprendre : aider tous les jours son paternel n'était ni passionnant, ni de tout repos. Le retour des beaux jours était aussi un retour aux champs. Et elle était exigeante, la terre, avec les petits doigts du jeune garçon. Cela dit, moins que les vieux outils hérités du père de son père, et du père encore avant lui, et du père... bah, ça dépassait les doigts de la main, trop compliqué. Dans tous les cas, il mourait d'envie de s'enfuir, au moins pour quelques heures.
Quand il avait compris que personne ne le poursuivrait une fois disparu dans les ruelles du marché où la famille vendait quelques légumes tout rabougris, il s'était faufilé entre les étalages des paysans fatigués. Ce n'était pas tous les jours qu'on avait l'occasion de découvrir tout seul la capitale ! Il pourrait raconter ça à Jacquot, ça le rendrait malade de jalousie. Si avec ça il ne devenait pas le plus célèbre des gosses du village pendant au moins une semaine...

Ah mais d'abord, il fallait accomplir un exploit. Transgresser un interdit, comme qui dirait. La rue des belles dames le tentait bien, si seulement il n'y avait pas ces histoires à propos d'il ne savait plus quoi... un truc de maladie de ventre bas. Et pis son père l'apprendrait sûrement, un coup pareil. Donc sa mère. Non non non. Quelque chose de plus discret.
Tripotant machinalement l'écu qu'il avait reçu pour s'acheter un dîner, il déchiffra les enseignes des échoppes qui défilaient autour de lui. Il stoppa brutalement au milieu de la rue. Une taverne ! Très, très bonne idée. Il allait enfin goûter de l'alcool ! Ça, c'était un truc de grand. Pas pour lui, donc pour lui.

Il entra donc d'un pas assuré dans l'établissement, traversa fièrement la pièce principale et posa sa pièce sur le comptoir et de sa voix la plus joyeuse et attendrissante, il s'exclama :


Un verre de vin s'vous plaît ! C'est pour mon papa qu'est occupé à rentrer son étal.

Le tavernier, un homme gros et rougeaud comme tous les taverniers du monde, sembla être amusé de sa commande et hésita un moment. Il se décida enfin et lui versa le breuvage désiré en échange de la rondelle de métal. Emery jubilait. Alors que son bienfaiteur s'en retournait vers sa cuisine, il se retourna rapidement afin de trouver une place tranquille où goûter l'interdit. Un peu trop pressé, il renversa quelques gouttes de la boisson sur le plancher. Une belle petite tâche écarlate...

Nom de...

Il s'arrêta, inquiet. Sa mère lui avait interdit de lasmémé... blasfimé... ah oui, blasphémer. C'était une insulte à Aristote et tout ça, avec des histoires de foudre qui s'abattait sur le bétail et d'ogres qui venaient manger les enfants pas sages. Et puis surtout, c'était un prétexte pour que le prêtre du coin lui coure encore une fois après. Un coup à se retrouver en tête à tête avec le curé dans une pièce noire. Brrrr.

Il tourna sur lui-même, jetant des regards inquiets d'un coin à l'autre de la taverne. Bah, il n'y avait personne.


... Dieu.

Saperlipopette ! Dame si, y'avait ce type à gauche, là, tout seul près du pilier ! Est-ce qu'il l'avait vu, entendu ?
On ne l'apercevait presque pas, pensez donc, un gars en noir dans un coin sombre. D'ailleurs, Emery le trouvait bizarre. Il gardait son chapeau à l'intérieur d'une bâtisse, c'était pas un blasphème aussi ça? Probablement un étranger. Et un riche, à coup sûr ! Y'avait que les riches pour avoir de quoi écrire. Et surtout, savoir écrire. Quoique, il n'avait pas l'air d'écrire grand chose, le bougre.

Le gamin fit un pas en direction de l'homme, puis deux. Il s'assit finalement en face de lui, se tenant bien droit sur la chaise pour pouvoir le dévisager au-dessus de la table. L'autre ne le voyait même pas ! On aurait dit qu'il était ailleurs. Un peu comme quand les adultes avaient trop bu. Sauf que lui n'avait pas l'air rigolo au point de se mettre à danser sur la table en disant des cochonneries sur la servante. Il ne bougeait pas. Même ses yeux bruns restaient immobiles dans leurs orbites.

C'était peut-être un comédien, il en avait déjà vu rester dans la même position pendant des heures rien que pour avoir deux malheureuses piécettes. Avec ses amis, il adorait leur botter le derrière pour gâcher la représentation. Naturellement, la tâche exigeait de savoir déguerpir vite fait. C'était une habitude que l'on prenait vite, à moins de douze printemps.

Emery avisa le bâton posé sur le mur à côté du voyageur - car ce ne pouvait être qu'un voyageur, tous les Manceaux buvaient à plusieurs. Peut-être pas le moment de se faire remarquer, encore moins rosser, par une action d'éclat inopportune. Observant l'homme du coin de l'oeil, il porta le verre de vin - son trophée ! - à ses lèvres. Ça avait un drôle de goût, il n'était pas sûr d'aimer. Pour ne pas se dégonfler, il avala encore une gorgée et le reposa sur la table avec un bruit mat.

Le garçonnet inspecta rapidement les alentours puis, tant pour se donner une contenance que pour satisfaire sa curiosité grandissante, il lança à l'inconnu :


Pourquoi qu'vous êtes ici, z'attendez quelqu'un ?

Et sans plus attendre, il reprit une gorgée de jus de raisin en décomposition.
Edern
L'océan se retire dans un tourbillon. Le sable reste. Il tente de s'en échapper alors que chaque tentative de mouvement le ramène en arrière, un peu plus profond. Le sablier est retourné. Il n'est plus qu'un squelette cliquetant, lancé d'une paroi de verre à l'autre par une main invisible. La dent du destin le déchiquette. Le mâche. Le recrache. Le mâche...

Au loin, les mots se décomposent. Les lettres se dispersent. Le sol se dérobe, quitte ses pieds dans un grondement. A l'envers, à l'endroit. Il tombe. De tous les côtés. Il tombe. Tombe, tombe... tombeau.


Pourquoi qu'vous êtes ici, z'attendez quelqu'un ?

Une ancre minuscule... un début de je. Qui est-il ? Edern, déclinez votre identité...

Je suis le Fou... Je suis le Fou... Je suis le Fou... Je suis le Fou... Je suis le Fou ! Je suis le Fou ! JE SUIS LE FOU !

Ça y est. Il s'est accroché à une question et le brin d'herbe a tenu. L'univers reprend une consistance, laquelle ? La Fuite continue, mais il ne souffre plus. Du moins plus autant. Ce n'est que partie remise, comme d'habitude... le silence le terrassera de nouveau, dans une heure, un jour, un mois. Sauf s'il trouve...

Le brouillard se dissipe. Un peu, suffisamment pour que Le Fou remette ses pensées dans le désordre qui est le leur. Histoires, légendes, contes, chants, gestes, textures et couleurs... tout est là et il n'arrive plus à s'en saisir. Immergé dans l'eau, elle lui coule entre les doigts. Il lui faut se concentrer pour retrouver un peu de la puissance d'antan, allier le feu et la glace. Une goutte de sueur imaginaire sur son front. Trop pour continuer à officier comme trouvère... le luth a été vendu sur la route du nord. La flûte de bois l'accompagne encore... c'est différent. Différend.

Seule compagne, une plume qui se refuse au Fou.

Un écho par delà les ombres...

Il cligne des yeux. Devant eux, le monde est de retour pour un temps indéterminé. Il fait plutôt sombre. Ah oui, la taverne. Un enfant. Dans le vin la vérité... tsss.
Lui, l'homme aux multiples surnoms - que n'a-t-il déjà entendu ? le Rimailleur, le Passager de l'Ombre, et même l'Enchanteur au Poitou, il y a six mois de cela -, lui n'a rien laissé transparaître. Rien ne change de ce côté-là. On ne torture pas l'esprit de la même façon qu'on torture le corps... personne ne saura jamais. Personne ne devra jamais savoir. La solitude paie et se paie...

Il va falloir s'occuper de ce garçon. Un paysan en herbe, probablement. Il en a le physique et les manières. Une terre de paysans que le Maine... d'un ennui profond s'il n'y avait ce carrefour. Il faut suivre les chemins qui se croisent et se recroisent... se mêler des noeuds ! Domaine royal ? Roi des fous, fou des rois...
Les interlocuteurs innocents se font rares, de nos jours. Le laisser repartir ? Il n'a rien fait. Justement ! Pourtant... s'il n'y a plus de joueurs sur l'échiquier, à quoi bon ? Pourquoi jouer ?

Allons. C'est au Fou qu'on parle. C'est une réponse de Fou qu'on aura. Trop tôt pour les vers, et la taverne est un lieu de prose avant même que d'être un lieu de boisson. Une inspiration et il relève la tête, découvrant son visage fin. Il y a encore des rythmes qu'il peut soutenir...

Esquisse de sourire sardonique. Les mots répondent présents. Sans masque !

Je cherche.

La plume toujours en main, flottant entre deux mondes, le Fou guette la réaction du bout d'homme qui lui fait face.
Ah, l'attente...
--Emery
Hihihi. L'avait l'air tout drôle, l'homme, avec son regard perdu on ne savait où. Devait quand même avoir plus bu que lui. Même son verre avait disparu. A moins qu'il sifflait le liquide dans la petite bouteille posée à droite. Beurk, c'était noir. Une histoire de vampire maudit que ça ne l'étonnerait pas. C'était pas comme ça dans l'temps, ma p'tite dame.

Bah, finalement c'était pas mal, le vin. Ça rafraîchissait le gosier et éclaircissait l'esprit. Il se sentait plus éveillé, alerte. Plus prompt à la plaisanterie. Il savait qu'on rirait de ses fines plaisanteries. Il était irrésistible. L'avait même envie de commencer à chanter un bon air euh... foinard. Non, en fait ça parlait de paille. De gens qui se battaient dedans. De rudes ébats, tiens ça oui.

Un large sourire vint illuminer le visage du gosse.


Je cherche.

D'accord. Emery prit une autre gorgée. Que c'était bon, ce breuvage ni trop froid, ni trop chaud, qui descendait le long de sa gorge... mieux que tous les jus de sa mère, où on retrouvait des trucs pas toujours très clairs. Morts comme vivants.

'ttendez. Minute, comme qui dirait. Une 'tite seconde, voire moins. C'était pas trop une réponse, ça, "je cherche" ! C'est-y-pas qu'on voudrait le rouler ? Ahahaa, il l'avait vu venir, l'autre avec ses grands airs de j'fais-l'endormi-bizarre-mais-j'en-pense-pas-moins. On ne bernerait pas un gars comme lui aussi facilement. L'était pas né des grimaces du singe euh... de la dernière pluie, oui, c'était ça.

Bon sang de bonsoir, c'était pas un violon rose qui jouait tout seul à deux mètres du sol, là-bas ? Lui manquait une corde, en plus. Il reprit un peu de vin. C'est bon, il avait le bon nombre de cordes, Aristote soit loué. Tout allait pour le mieux dans la meilleure des tavernes possibles. Le vin, c'était qu'une affaire de métaphysique, c'était bien connu.

Trêves de sérieuseries. Fallait le recadrer, l'inconnu. L'faire comprendre que y'avait de la place que pour deux autour de cette table. Non, zut. Que pour un. Crotte, la table était assez grande pourtant. Raaah. Pourrait ptêtre la couper pour que sa réplique soit valable. Non, ce serait trop long et son père le laisserait pas toucher à une scie.
Que faire, mes aïeux, que faire ? Un beau paradoxe, que cela, même si le gamin éméché ne connaissait pas le sens de ce mot. Pensez, quatre syllabes et un "x"... l'aurait vraiment fallu inventer un jeu pour leur faire apprendre un machin pareil. Lettre compte triple, mot compte quadruple. Mince, et quand on voit double ? Tout sur le rouge.

Les yeux d'Emery s'illuminèrent. Bien sûr ! Il avait trouvé une réplique im-pa-ra-ble. LA réplique. Celle qu'après elle, eh ben, on n'oserait plus jamais parler devant lui sans baisser les yeux. On l'appellerait "maître". Ou "seigneur", à la limite.

Le violon s'arrêta. Rrrroul'ments de tambour. Tatatsam. Alors comme ça, on cherchait, hein ?


Et t'cherches *hips* quoi ?

Magnifique. A travers les vapeurs fruitées qui régnaient désormais sur son petit cerveau, le garçon sentit néanmoins que ses propos n'avaient pas tout à fait eu la portée désirée. Quelque chose lui disait que le brave Chercheur, il devait pas être ben déstabilisé. Ça alors. Scrogneugneu. L'avait l'air de se payer sa tête, maintenant. C'était quoi d'ailleurs, ce sourire ? Emery détailla un instant son interlocuteur. Devait être plus âgé que son grand frère qui travaillait au moulin, mais moins que son père. Les mains n'étaient pas calleuses, ni travailleur ni soldat. Prêtre ? Pas l'habit. Noble ? Pas les manières, ni le ton. L'aurait pas laissé s'asseoir à côté, de toute façon.

'ttention. Fallait viser juste, c'te fois. Comme à l'entraînement. Mmm, quel entraînement ?


Et t'es qui, d'abord ?

Si avec ça, l'étranger trouvait à répondre quequ'chose de plus brillant et percutant, eh ben... il pourrait se reprendre un autre verre de vin.
Edern
Départ précipité de la conscience pour trois gouttes d'alcool. Il faut bien que jeunesse trépasse...

Jeunesse. Il a été jeune, un jour. Non pas qu'il soit vieux. Il dépasse ces histoires depuis... bien longtemps. Était-il le Fou, enfant ? Oui. Depuis le jour de sa naissance, il ne sait quand. Le contraire n'est ni envisageable, ni envisagé. Edern ne se souvient que peu de cette période. Sa propre mémoire... ce sont les seuls mots qui lui aient jamais résisté. Oublier l'enfance de l'art pour mieux le pratiquer. Seule compte la renaissance... avant, rien. Des âges. Médiocres sans être insignifiants. Moyens.

Plonger dans la genèse, peut-être...

Suffit. Le simulacre de conversation dans lequel on l'a engagé exige malgré tout une attention soutenue de sa part. C'est qu'il faut être ce qu'on paraît... aller au fond des choses puisque la ville n'est pas dangereuse, il le sait. Les bottes qui piétineront bientôt l'herbe à peine verdoyante ? Du bruit, rien que du bruit. Les équidés cornus qui se plaisent à choisir leur allure, au pas, au trot, au galop ? Insignifiants. Ou presque.

Presque...


Et t'cherches *hips* quoi ?

Une bonne question, mon jeune ennemi. Espérons que tu as du temps devant toi. Une éternité, qui sait. Un vrai dialogue...
Le Fou baisse de nouveau la tête, couvrant son visage d'une vague ombre. Il n'y a plus que sa scène, sa scène à lui, obsolète... léger soupir.

Ce qui fut perdu et jamais retrouvé. Les braises parmi les cendres d'un feu jamais ranimé. Un fleuve sans embouchure. La source de tous les mots...

Ah. Le gamin ne l'écoute pas et enchaîne. Il ne sera pas trop difficile de se libérer...


Et t'es qui, d'abord ?

La première des questions pour ce qui est de l'usage. Parfois pour ce qui est de l'intérêt... les points d'interrogation se succèdent. La question du mystère, de l'inconnu. De la totalité impossible... de la particularité indéfinissable.

Il a mille réponses. Si tous les mots doivent s'échapper, elles seront les dernières à partir. Gravées en lui dans le plaisir et la douleur, plus qu'aucun fer porté au rouge ne pourra jamais le marquer. Mendiant, seigneur, évêque, hérétique, guerrier, villageois, esprits sots, rusés... tous trouvent la leur.

Mais...
Une pour les gouverner tous.
Mouhahaha.

Choisis entre la crainte et le dégoût
Devant celui qu'on nomme le Fou !


Et voilà, il n'a pu s'en empêcher. Il s'en est douté à la sonorité des premières phrases, une vingtaine de secondes plus tôt. Le vers est encore profond... il ne lui a pas encore été arraché. On ne le déloge pas facilement. C'est plutôt bon signe. Si La Fuite se poursuit, la résistance porte ses fruits. Il conserve une part de son pouvoir.
De son vouloir...
Des mots qui lui reviennent. Le Fou s'empresse de les coucher sur le parchemin. Le flux se tarit vite, de lui-même. Chaque goutte de sang noir étiré en longues lettres est une victoire et une défaite.

Deux pas en arrière, un pas en avant...

Le gosse a regardé ses mains. Qu'y a-t-il trouvé ? Rien, évidemment. Même pas une des tâches d'encre qu'il croyait éternelles quelques mois auparavant. Le Fou ne vit plus de poèmes vendus aux amoureux et riches marchands, ne rédige plus de pamphlets pour un avide de pouvoir contre un autre avide de pouvoir, ne chante plus de légendes dans la chaleur maternelle d'une auberge pleine. Il ne le peut plus. Manger et boire, certes... se souiller dans les mines ? Hors de question. Il n'est pas bon de trop manipuler les forces du sous-sol. La terre est rancunière...
Et ses mains doivent rester propres.
Enfin, propres...

Lorsqu'on n'a qu'une plume, voler devient un défi.


HRP : la porte est toujours ouverte...
Cerridween
[Le fou se croit sage et le sage se reconnaît fou. ]

Elle regarde la lune…

Elle a quitté Léard. Elle se tient là au milieu des remparts regardant le ciel.
Elle sourit là haut.
Le vent du soir vient caresser la peau de son visage. Elle aimerait qu’il la lisse, qu’il efface les traces. Celles que le temps a laissées au hasard avec plus ou moins de violence. Des sillons minces faits par les années au coin de ses yeux, jusqu’au baiser d’une hache d’un Diable.
Remonter le temps. Faire quelques lieues. Se trouver sur des remparts, si peu différents que ceux où elle se tient, le noir ayant remplacé le rouge.
Remonter le temps.
Oublier le mauvais… comme le bon. Revenir en arrière, refaire l’histoire à l’envers sans avers de médaille.
Ne plus être à moitié comme l’astre qu’elle contemple. Incomplète, inconstante, inconsciente parfois.

Mais non…
Rien n’est magique dans ce monde. Rien. Elle gardera sa part d’ombre, mais gravée là, sur la joue comme dans l’onde de l’eau verte qui s’offre à la contemplation de ce ciel sans nuage. Demie, comme elle. Demi-sœur, demi-épouse, demi-femme, à demi-droite… sans demi-tour.
Les regrets… des fois… pas vraiment…ça passe… ils s’allument avec le soir quand le venin de la mélancolie arrive. Quand sa tête n’est plus occupée par le fracas des joutes politiciennes, des débats, des armes, des plumes qui raclent les vélins. Quand elle se retrouve seule avec le silence et le passé qui l’a rattrape dans la pénombre. Ils s’échappent avec la lueur du jour. Sa faiblesse. Tue. Un Capitaine n’a jamais peur, un capitaine n’a jamais froid, encore moins aux yeux. Il ne se retourne pas. En apparence.

Les yeux retombent sur la ville. La main valide vient étriller un peu son bras qui refroidit plus vite… le temps encore et toujours.
Du vin… oui… du repos un peu…
Elle descend les escaliers dont elle commence à connaître les moindres aspérités depuis les temps que les encornés les foulent tous les soirs. Elle emprunte les ruelles en silence. De la lumière dans le quartier des bouges et des caves. De la lumière et une porte qu’elle pousse.


Choisis entre la crainte et le dégoût
Devant celui qu'on nomme le Fou !


Le Fou...

Elle penche un instant la tête pour le regarder. Le Fou. Entier. Surtout à demi mot. Fou à moitié, à moitié sage, plein d'éclairs de lucide déraison ou de d'une clairvoyance absurde. Sourire qui s'esquisse à la commissure droite de ses lèvres.

Bonsoir le Fou.

Mi-figue, mi raisin, elle n'a pas d'alternative. Il a l'impromptu à la pointe de la langue et l'humeur vagabonde. Elle s'assoie non loin. La prudence contre la folie. Bouclier inutile. La retenue et la curiosité silencieuse suffiront.
Un verre de vin aussi qui se pose non loin de lui. Elle a distance. Respectable. Sage. Et dans sa tête revient la question. Cette douleur exquise, comme une impression qu'il a lu à livre ouvert. Elle boit une gorgée et laisse trainer ses émeraudes vers la silhouette attablée.


Êtes vous serviteur ce soir ou souverain ?


Maitres et esclaves.

Les mots comme les gens face à la vie.

Maitres et esclaves.

_________________
--Emery
Vindiou de vindiou. C'était décidé, il ne reprendrait pas la ferme du paternel. Le commerce du vin, y'avait que ça de bon ! En acheter beaucoup, beaucoup... quoi, fallait vendre après ? Formalité. Pour une bouteille, on trouvait toujours des débouchés. L'offre faisait la demande, en quelque sorte. Ça marchait depuis des siècles et ça marcherait des siècles encore. Jolie bouteille, sacrée bouteille...

Qu'est-ce qu'y causait, l'autre enchapeauté ? Des trucs de cendres embouchées dans une source. Pas très clair tout ça. Sauf s'il parlait d'une source de vin. Oh oui ! Y'aurait un lac, forcément. Il y emmenerait Jacquot. Ils construiraient un radeau avec des tonneaux. Pis après ils rempliraient les tonneaux de vin. Un coup à devenir riche en moins de temps qu'il n'en fallait pour le boire. Mais les tonneaux, s'ils étaient pleins, ils couleraient, nan ? Donc eux aussi. Savaient pas nager dans l'eau, alors dans le vin ! Pis le paternel le gronderait, s'il se noyait.
Source de maux de tête, c'te histoire...

Gnéquidit le foufou ? Choisir entre la pinte et des égouts ? Mordiou, l'élection était évidente. Quoique, la première finissait immanquablement dans les seconds. La question était donc plus finaude qu'elle n'en avait l'air. C'était un peu comme choisir entre l'oeuf et la poule, voyez ? Si si. Il en avait dans la caboche, l'étranger aux paumes immaculées.

Scritch, scritch. Le son rêche de la plume qui écorchait le parchemin attira ce qui lui restait d'attention. Ivre en moins d'un verre, Emery se laissa entraîner dans les courbes d'une main et de son instrument. Il vit des vallées se délier dans un seul geste du poignet, des abîmes se libérer sous dans un jaillissement d'encre noire. Noire comme la nuit, noire comme...

Absorbé dans la joie, la bonne humeur et un verre sale, le rouge se faisait morose. Toute première expérience avait ses rudesses. Si le gamin en était encore aux balbutiements de sa vie d'homme, il commençait néanmoins à comprendre une règle simple et universelle : à chaque coup son contre-coup. On buvait avec l'un, on trinquait avec l'autre, et vice-versa.

Il se faisait tard, non ? Papa d'vait avoir fini d'ranger son installation. Y faudrait qu'il recompte les sous, et après il le chercherait. Il saurait pas où chercher donc il chercherait un peu partout, le trouverait pas, irait se rafraîchir et le trouverait donc ici en pleine conversation philosophique avec lui-même, et accessoirement un inconnu pas très rassurant. Il devait éviter à tout prix qu'un tel piège diabolique se referme sur sa pauvre petite âme innocente. Éviter une certaine volée de bois vert, notamment. Partir maintenant pour ne pas souffrir plus tard. Oui, s'il se dépêchait, il pourrait remonter dans la charrette avant que son père ne soit prêt, se faire discret jusqu'au village et retrouver sa paillasse le temps de se refaire une santé. Santé ! Non, une autre fois.

Se levant avec toute la grâce accordée par les circonstances - à savoir, une quasi-chute suivie d'un rot sonore -, Emery prononça ces sages paroles qui restèrent gravées à jamais dans sa mémoire et celle de l'Humanité, pour des siècles et des siècles, amen.


Grrmmmbll.

Ainsi avait-il parlé. Drapé dans une dignité que lui auraient enviée les empereurs romains, auréolé d'une sainteté que n'aurait pas reniée Aristote, manquant de vomir sur le palier, le garçonnet sortit en grommelant et claqua la porte.

On ne le reverrait pas de sitôt.
Edern
Si le monde entier était un théâtre, il n'en reste plus que des ruines. Pour seul public et unique acteur, un enfant aviné... rien ne révulse plus le Fou qu'une opportunité manquée. S'il n'avait fait le choix de l'indifférence, il pleurerait les fautes des autres. Les châtieraient, aussi.

Dehors, l'astre solaire qui se couche, l'astre lunaire qui se lève. Les jours sont censés raccourcir, pourtant les nuits du Fou durent, durent... le sommeil n'a plus rien de réparateur, bien au contraire, depuis qu'il l'enfonce un peu plus dans ses rêves terrifiants. Le silence n'hésite plus à étendre ses ailes sur sa conscience à toute heure. Le Fou en a livré tant, des batailles contre ce vieil ennemi ! Pas une seule seconde sans qu'il n'ait lutté de tout son corps, de toute son âme. Pour en arriver à quoi, aujourd'hui ? Subir un temps qui s'étire, vidé de tout sens... la punition est lourde, incomprise. La mort comme remède ? Le Fou ne veut ni ne peut mourir...

Cependant... si la tendance est toujours à la Fuite, les mots affluent encore en certains lieux. Ultime pied de nez ou adieux prolongés ? Dans tous les cas, il a senti l'appel jusqu'ici. Partout, les chants de guerre fleurissent au soleil de la haine. L'Anjou est prête à tuer, le Maine à mourir : quand on s'entend à ce point, on ne se retourne plus... rien n'est écrit mais la plume se gonfle de sang devant le parchemin frémissant. Le Fou se tient à la croisée des chemins, ouvrant ses bras aux vents de l'Histoire, des histoires... il sera là quand ceux qui savaient pleureront, quand le noeud sera tranché, quand les fils rompus serpenteront entre les pauvres êtres humains pour s'entremêler de nouveau, quelque part, ailleurs, quand le jeu sera renversé, quand les pièces reprendront vie le temps d'une énième manche. Les corbeaux seront au Mans ! Promesse d'un océan écarlate... le Fou en récoltera l'écume.

Le vieux barde n'est pas loin : les arbres bruissent de son souffle ancien, à peine entendu, encore moins écouté. S'efface-t-il, lui aussi ? Le pouvoir disparaît-il partout ?
Remonter à la source de sa folie. Trouver ses semblables. Les semblables du Fou ? Peut-être !
Le voyage sera long, il le sait. Il n'a jamais foulé les terres de l'ouest depuis... depuis...
Long et difficile.

En attendant ces jours d'autres tourments, un autre dénouement. Il s'agit de le préparer. Semer l'inquiétude dans la foi, le doute dans la certitude. Rien de plus facile. Fine langue contre langue de bois ! Le jeu est nul puisque inégal.


Bonsoir le Fou.

Tiens. Quelqu'un est entré. Une femme. D'apparence assez banale... voyons voyons. Il l'a déjà vue, mais où ? Elles se ressemblent toutes, les pintades, dans toutes les basses-cours. On y criaille, glousse, caquette. On s'y regroupe joyeusement avec la stupide conviction que la somme des faiblesses fera une force. Sur ce qu'on croit être une armure, on fait couler la couleur pour se revendiquer d'un idéal dégoulinant de médiocrité.

Tais-toi, cher imbécile. C'est la guerrière aux trois couleurs. Deux pour et par le feu, une pour l'espoir. Des cicatrices plus complices que factices. Un nom qui fait écho. Des mots qui s'alignent pour composer une vieille légende, très vieille légende... de celles dont les racines courent jusqu'aux origines de l'univers, mères de jeunes pousses et de chênes vénérables.

Elle est assise. Seule, aucune Vérité en vue. Le Fou ne lui a pas répondu, n'a pas détourné ses iris bruns des lettres qui dansent pour lui. Elle se trouve à la limite de son champ de vision et doit pertinemment le savoir. Tsss... c'est bien plus amusant de laisser approcher. Les questions n'en ont que plus de saveur.


Êtes vous serviteur ce soir ou souverain ?

Oh.
Vu comme ça.
Il reste donc des joueurs en ce monde.
Il va lui falloir se concentrer un peu plus. Changer de cour. Ce ne sera pas long...

La main droite du Fou range la plume dans l'écritoire usé. Il croise tranquillement les bras, détache son regard du garçon sur le départ et le laisse flotter un moment sur les murs ternes de la taverne. Ce qui subsiste de son sourire se décompose en une expression de la neutralité la plus absolue. Il ferme les paupières. Les rouvre. Le choix des mots est fait.

Deux paires d'yeux se croisent.

Je sers et me sers des mots contre toute attente
Je décide en mon nom du jour et de la nuit
Il est pourtant une interrogation brûlante
De quel Ordre relèverait donc la Folie ?


Plume contre aiguille...
Une conversation qui ne manquera pas de piquant.
Cerridween
Les yeux sombres se sont relevés.

Et les vers résonnent…

Ils résonnent et font vibrer la corde sensible là, au fond, dans un coin d’un passé qui n’a plus d’avenir.
Ceux qui lui ont donné une couleur, un emblème. Pivoine, le rouge te va si bien… avant que de noir tu te pares. Ils tintent l’avant, révélant les affres de l’après, soulignant le silence.
Comme au sein de murs rouges, où le Pique, ton sur ton avec le décor, l’avait surnommée pour son envie d’en découdre, son emphase prompte à s’empourprer à l’époque où elle n’avait pas d’aiguille, seulement les mots en étendard, balbutiements.
Comme dans les caves de Melle, où de sa voix de Centaure, un comte trépassé, vénérant Bacchus plus qu’Ares ce soir là, apostrophait les Muses, sa répartie et la vie.

La bouche s’était close. Parce que les mots étaient devenus douleur, râpaient la gorge. Ils avaient trop de sous entendus, trop d’échos, à chaque détour de sens. Ils étaient devenus ses ennemis, souvenirs. Ils appelaient l’Archange. Même s’il était censé guérir, il blessait par son absence. Il n’y avait que le silence qui sonnait assez juste pour dire le gouffre et la vacuité. Aucune phrase n’avait assez d’emphase, de profondeur. Aucun mot n’avait plus cette joie, ludique, acerbe ou taquine pour sonner encore sans qu’ils piquent une partie de ce qui lui restait de cœur. Il y aurait bien une autre Fleur pour connaître ce secret, cette ancienne envie, cette ancienne folie douce, mais elle doit être fanée maintenant. Elle, elle est devenue Maître, maître des aiguilles et pour tous elle l’était et l'est seulement. Celles de la vie avait érodé doucement l’empreinte du rouge… pour assombrir celle qui comme la Vérité n’aimait plus la lumière.

Les regards se croisent. La danse commence doucement, sur la mélodie avancée d’un tango qui n’existe pas encore.
Que vas-tu faire Pivoine ?
Ton cavalier s’était avancé. Il tend la main du bout des charbons qui te regardent, dans cette expression lisse qui rappelle la compagne qui l’a prit lui et qui refuse de t’étreindre puisque tu lui as juré d’être et de le rester, sans jamais forcer aucun destin.
Un pas en avant pour valser avec la folie ? Est-ce si différent de ce que tu fais depuis que le sang a rougi la neige ? Ce pas de deux, contre l’évidence. Avec ce masque que tu portes.
Allons oublie.
Alors oubli.
Remets tes escarpins, remets une robe, même vespérale, avatar, et salue, main sur la poitrine, celle qui ne bouge plus.
Tu ne risques rien.
Tu es déjà perdue.

Les pépites d’or qui dorment au fond de l’eau verte viennent de crépiter un instant avant d’être de nouveau noyées.


Elle relève de l’ordre des Chimères,
Servie par de doux rêveurs et des incompris
Soupant de songes aux saveurs douces amères
Ayant pour seul et unique but l’infini.


Pas en avant et tu es tombée dans tes travers.
As-tu trébuché Pivoine ?

_________________
Edern
Mouhahaha. Défi relevé. Fourbis tes mots, chevalier, arme ta langue tant que tu le pourras. Un combat à mort ? Non, bien mieux, bien pire : un combat contre la mort. Une guerre sans merci. Diantre, quelle impolitesse.
Qu'on se le tienne pour dit, ce lieu n'est plus une taverne ; ce n'est pas encore un tribunal, bien que les prétoires aient parfois des charmes dont il faut user et abuser. C'est une arène où on ne cherche ni la fortune, ni la gloire. Où on n'emporte presque rien.
On ne s'y bat pas dans l'espoir du succès...

Le Fou hésite malgré tout. Elle lui a laissé la main. En bonne guerrière, elle tâte peut-être le terrain pour mieux la refermer. Sait-elle qu'en terre de jeu, les sables sont mouvants et les prévisions, impossibles ? Là où la raison a fui depuis bien longtemps, toute tentative d'établir un empire est vaine. Attend-elle une exécution extatique ? Pourquoi ne pas aller au-devant de l'incertitude ? Ne jamais laisser de réponse sans question.
Cependant... même sans point d'interrogation, mille questions se sont envolées pour se poser sur lui, en lui, révélation implicite. Mille aiguilles qui sont autant d'affreux délices pour qui erre aujourd'hui dans la lande des pas perdus.

La réponse est incertaine. Les mots tourbillonnent plus vite qu'à l'accoutumée, entraînant l'esprit du Fou dans des recoins dont il avait oublié l'existence même. Il goûte à l'ancienne puissance à un degré tel qu'il ne l'aurait plus espéré, du fond de sa dérisoire survie.
Qui es-tu, Cerridween, pour rouvrir aussi vite les portes des possibles perdus ? Il y a plus que de la curiosité dans ces émeraudes, il y a plus que de la douleur dans ce qui marque ton corps. Il y a la folie de ceux et celles qui cherchent. Et se perdent dans leur quête d'absolu...

Chimères. L'alliance improbable... le Fou a connu de telles légendes, contées dans des langues qu'on ne parle plus et qui vous pénètrent quand même. Les mots ne s'embarrassent pas de la compréhension immédiate pour embrasser le monde.
Chimères. Quand le mensonge rejoint la vérité, les monstres commencent à danser.
Chimères. Un rêve dans un autre rêve.

Deux âmes, deux tables. La place devant Edern est vacante, pourtant il ne l'y invitera pas. Assise loin ? La belle affaire ! Elle est déjà bien plus près qu'elle ne voudrait bien l'admettre. Trop près ? Pas encore. Plus tard, peut-être... elle devra d'abord oublier tous ses regrets. Mais les murailles du Fou sont solides et aucune faille n'a jamais été trouvée. On s'y heurte dans l'affrontement ou on le traverse dans l'indifférence, pauvre être transparent dans la lumière du crépuscule. Un masque, lui ? Tous ou aucun. Il n'a de mystérieux que les mystères qu'on lui prête.

Le Fou esquisse un sourire, un sourire empreint d'un désespoir serein qui ne vient que rarement effleurer l'horizon de sa conscience.
Oui.
Ce soir, enfonçons-nous dans les abysses de l'absurde, puisque rien ni personne ne s'y oppose. Ce dialogue marquera le début de la reconquête. Le signal d'une autre révolte contre l'oppresseur invisible.

Les yeux bruns restent plantés dans les vertes vallées qui s'offrent à eux. Le temps d'une marche, parcourir l'Autre...

Du feu ou de l'eau, quel fut votre lot ?

Rien n'est plus beau qu'une question qui jaillit au milieu du silence.
Cerridween
Elle a failli lever un sourcil…

La question…
La question qui sonne comme... La connaît-il ? Les miroirs verts soulignent les traits du visage, sondent les ambres sombres qui la regardent. Mais rien ne passe dans l’impasse de ce regard. Coïncidence, destin, alignement des astres, sens caché, aveu… elle ne sait pas bien. Elle voudrait ne pas avoir la suspicion qui se réveille, comme un serpent lové là, au creux de ses entrailles.

Ignis et glacies.
Feu et glace.
Ce qui est ta devise vient de se matérialiser là en une question sous tes yeux.
Quel fut ton lot ?
Les deux. Forgée à blanc dans la fournaise de la peine, des heurts, des pleurs, des coups. Enneigée par le silence, par le blanc du deuil, ce grand manteau dont tu as prit l’opposé pour te parer tous les jours.

Qu’est ton lot ?
Les deux. Le clair-obscur, la demi-teinte, le mélange paradoxal, l’oxymore, l’improbable fusion entre le chaud et le froid.

Ignis et glacies.
Le doute lâche peu celle qui se méfie, par métier, par raison et par expérience aussi. Qui es-tu le Fou ? Celui qui sait lire les âmes ? Celui qui dévoile les cartes une à une ? Celui qui a de la chance ?
Allons Pivoine… laisse tes armes. Laisse ton âme. Oublie pour une fois. Lâche prise, tu n’es pas le maître cette fois. On ne cherche pas un sens à la folie. Tu n’as pas demandé pourquoi quand la pluie soulignait l’impossible. Elle tangue et la mélodie lancinante lui fait fermer les yeux.


Le feu pour la renaissance,
La glace pour l’hiver,
Le givre pour la repentance,
Les cendres pour hier…


La voix se fait murmure…

Le brasier pour la haine,
Le froid en rempart,
La neige pour la peine,
Le rouge en avatar.


Les émeraudes se rouvrent lentement.
La main a quitté le verre et vient de se refermer appuyée sur la table.
Emmène moi.

_________________
Edern
Le Fou...

Le Fou se tait.
Il ne fait pas silence. Il contemple les mots qui dansent dans la nuit à la lueur d'un point d'interrogation merveilleux.
Elle joue de tout son être. Brûlé et gelé, le Fou sait déjà qu'il ne sortira pas indemne de la partie. Il sait aussi que chaque perte peut le rapprocher de la source de ses rêves, hâter un dénouement dont la teneur lui sera inconnue jusqu'à la fin. Des petits pas avant le grand saut. Il a donc droit à une dernière inspiration...

Ce soir, la réalité ondule entre un enfer délicat et un paradis mélancolique.

Le Fou a vu les émeraudes disparaître dans un battement de cils. Les larmes ont-elles jamais coulé le long de ce visage ? Les crevasses de sang séché ont-elles jamais accueilli ces gouttelettes étincelantes ? Ce vert est-il le reflet de la folie qui te hante, Cerridween, ou bien de celle que tu poursuis à en mourir ? Celle du Fou n'a de miroir que ses mots, des mots dont la funeste fuite a été provisoirement suspendue par une improbable rencontre...

Deux solitudes. Comme une impression que tout est à sa place, qu'une fugace harmonie imprègne ce monde désolé. Le rythme est-il dans le temps, à contre-temps ou hors du temps ? Qu'importe... c'est celui qui donnait vie au Fou quand il sillonnait encore les routes, toutes les routes. C'est celui qui faisait battre son coeur et lui donnait la force contre le silence lourd et immobile. C'est celui enfin qu'il tentait d'impulser à des êtres humains trop mécaniques quand il bataillait encore pour l'éternité. Alors jouons à ce rythme...

S'élève un murmure plus puissant que tous les cris. Dans un mouvement de balancier incertain, les mots hésitent entre espoir et désespoir, entre souvenir et avenir. Mû par la force chuchotante qui vibre en son âme vagabonde, celui qui fut trouvère cherche à se lever. La pression du sol sur ses jambes ainsi que le poids de son mantel blanc et noir le tirent un instant hors de l'expérience onirique qu'il éprouve, qui l'éprouve pourtant bien réellement. Que vas-tu faire de ce tas d'os et de chair, où vas-tu déposer ce corps fragile sans assécher le fleuve des mots qui coule en toi, en elle ?

Deux yeux se sont rouverts en majesté éphémère.
Ils cherchent. Pourquoi ?
Elle appelle. Au secours ?
Qui sait...

Il s'assied à l'autre table de bois, bois qu'elle touche maintenant, bois qui sépare et qui rassemble. Les autres remparts n'ont plus cours ; dans la folie, point de rang. Juste des noms. Un mètre à peine entre eux, mais aucune distance.
Il n'a rien, sinon plume et parchemin récupérés au passage. Son regard brun se perd dans le relief de ce dernier.
Et encore mille questions. Elles sont siennes, entièrement siennes, ses seules et uniques maîtresses. Se bousculent à la porte de son esprit, martèlent ses lèvres, toutes plus destructrices et créatrices les unes que les autres. Laquelle choisir ? Laquelle laisser filer, fuser, fleurir ?
Aucune.
Aucune, car c'est à elle.
A son tour de se découvrir.

Posant sa plume noire devant lui, il la pousse à la portée de celle qui est désormais plus que son interlocutrice, pointe dirigée contre ce qui lui tient lieu d'armure.
Il aime ce qu'elle révèle.

Les yeux bruns se lèvent de nouveau sans frémir. Voix basse, si basse...

Une arme pour les désarmés.

Choisis...
--_la__pivoine
Il s’approche.

Le funambule des mots, l’équilibriste des vers. Il est là. Noir et blanc. Blanc et Noir.
Oxymore lui aussi ?
Clair-obscur et pénombre illuminée.
Les émeraudes dessinent la silhouette qui se découvre.
Miroir mon beau, miroir. Dis moi qui tu es. Saurais-je qui je suis… qui je fuis…
La musique vient de prendre des accents de mélodie oubliée. Il n’y a plus d’armes, plus d’écarts, plus d’opposé.
Juste un pas de deux, là sur un fil, si infime, si tenu, si fragile. La toile qu’ils tissent entre eux, comme une soie d’araignée, petit à petit. Le motif est imprécis… le connaissent-ils vraiment ? On ne voyage pas forcément en connaissance la destination. Il n’est que plus beau, le chemin si on n’attend rien. Rien d’autre que ce qui se présente…

Les ambres sombres soulignent les émeraudes. Les doigts avancent quelque chose. Une plume. Noire suie. Elle la regarde s’avancer vers elle.


Une arme pour les désarmés.

Un présent.
Il lui donne son arme. A lui. Aurait-elle donné sa lame ? Désarmée, c’est elle qui l’est et elle reste un instant, silencieuse, regardant la plume comme un bien précieux. Puis les doigts de la Maître des Aiguilles se déploient lentement et s’approchent. Un peu gauche, pas bien assurés.
Ce n’est pas sa main d’épée.
Mais c’est la seule qui lui reste.
Coïncidence, destin… ironie… ironie doucement cruelle.
Ils effleurent la plume, se retirent un instant… puis la saisissent avec délicatesse. L’eau verte la parcourt suivant l’épine dorsale. Elle est belle, si fragile. Si petite. Si délicate. Et pourtant la peau ressent tout ce qu’elle peut dire, tout ce qu’elle peut cacher, tout ce qu’elle respire.

Elle regarde le Fou. Encore. Ai-je le droit, d’entacher quelque chose ? La magie du moment ? Si je coupe de ce fil d’Ariane, je serai perdue là, dans le labyrinthe que tu as ouvert.
Je suis bien là, le Fou. Dans cet univers. Entre deux eaux, entre deux mondes, le mien et le tien. Un peu le notre. Juste pour ce soir peut-être. Sûrement.
Les moments sont d’autant précieux qu’ils sont éphémères. Je le sais, je le sens. Jusqu’au fond de ma chair, de mon cœur détruit, je ne revivrai pas ce moment.
Presque plénitude. La lune qui s’arrondit au-delà du sourire, pour devenir pleine. Et qui éclaire, autre chose…
Sans lâcher la plume, lentement, les doigts s’approchent du parchemin. Elle s’en empare sans avidité, avec la retenue du respect. Et sans encre elle trace des lignes invisibles pendant qu’elle murmure absorbée par son écrit…

Une âme pour les condamnés…
Un refuge pour les affamés…
Une clef pour les rêves…
Le drapeau des trêves…
Est-ce ta clef, le Fou ?


Les émeraudes se relèvent du parchemin. La plume vient piquer le bout de son doigt et une goutte coule. La main trace difficilement une traînée rouge. Est-ce ce qui nous réuni le Fou, autant boire jusqu'à la lie, à l'hallali, tout se dévoile... un jour.... aujourd'hui... ce soir... écrit en écarlate…

L’espoir des chimères.
Edern
Une main caresse son arme.
Un esprit caresse ses mots.
Elle parcourt son chemin. Le Fou frissonne.
Yeux dans le vague, non, noyés dans l'océan entier.

Tue-moi...

Maintenant n'est qu'un soir parmi des jours, des mois, des années... la mort en fera une éternelle apothéose... un ultime éclat de voix... la sublime consécration d'une existence sans destinée... permets-moi de rejoindre les mots que j'aime et qui s'échappent pourtant sans un bruit...

Tue-moi.

Il n'est de pire supplice que celui de Tantale. Allège ma volonté de ces désirs impossibles. Détruis cette effroyable liberté. Enferme-moi dans ces lignes droites et sinueuses, insaisissables. Efface les contradictions qui furent tout mon passé, sont encore mon présent et ne pourront qu'être mon futur.

Tue-moi !

Fais tien l'instrument de ma folie, règne sur le monde qui a refusé les mots que je lui prodiguais ! Fais parler ceux qui ne m'ont toujours opposé que le silence ! Défais-toi des promesses de l'espoir ! Envole-toi sans attendre et de cette plume que je te cède, ôte-moi cette vie qui ne mène à aucune mort !

Point d'interrogation ?
Si... une voix... de femme... belle... mais désincarnée... la question se glisse dans les méandres d'une folle inconscience.
Non...
Le Fou vivra.

Une vision l'a envahi avec une douceur guerrière. Celle de mots trempés dans l'encre rouge des passions. Plus qu'une simple goutte, une blessure charnelle, une soif qui ne sera jamais étanchée. Il voit deux papillons, deux feux où leurs frêles ailes vont s'enflammer, petites lueurs passagères. Le rouge est leur couleur, la folie, leur étendard. Leur seul trait d'union peut-être, si mince, si solide. Nulle aube pour cette insolite fusion. Nul avenir pour les êtres qui ne se reconnaissent ni d'ici-bas ni de là-haut. Elle disparaîtra sur un cheval blanc, poursuivant les chimères qui peuplent les derniers songes d'une humanité trop humaine. Il s'enfoncera à l'ouest, vers l'enfance de l'univers, son enfance, arpentant un tunnel obscur creusé jusqu'aux entrailles de la Terre. Dernier rendez-vous entre deux astres... deux spectres.

Ô temps ! Meurs ! Ce soir, le Fou n'est pas le jouet de ta fureur...

Peu ont déjà eu l'occasion de voir le sourire qui s'étire à présent sur ses lèvres. On y trouve reconnaissance et relèvement d'un nouveau défi, salut et adieu.
La main dextre du Fou s'avance sur le parchemin saignant, frôle sa semblable de l'autre côté du miroir. Puis elle s'ouvre, paume vers le ciel, fleur timide ouverte aux rayons d'un soleil oublié.

Les combattants de l'absurde déferlent délicieusement sur un champ de bataille déserté depuis bien longtemps. Une clameur tranquille s'élève.

J'ai une infinité de clés à mon trousseau
Moins que de portes à ma formidable prison
On y entre pourtant sans désir d'évasion
Pour y jouir de la liberté, celle...


Exaltation et damnation dans les yeux d'un Fou brillant.

... des mots !
--La__pivoine
Il a touché sa peau.

Longtemps que la diaphane blancheur, percluse de cales, n’a pas été touchée. On ne touche pas la Maître des Aiguilles. On ne la touche jamais. Elle est cette pierre froide qui fait partie des remparts de Ryes. Froide, lointaine, elle veille du haut des créneaux. On ne touche pas la Maître des Aiguilles. Elle est la mort, la souffrance, drapée de sombre. Elle est la rigueur, la cruauté de la réalité, marquée sur son visage, sur sa chair, au plus profond des tréfonds de son âme.

Elle frisonne…
Il faut être Fou pour toucher la mort, le désespoir… pour toucher l’espoir aussi. L’effleurement est une caresse. Il vient de la ramener à son simple état. D’un simple revers de main. D’un simple mouvement de doigt. Elle n’a plus aucune armure. Elle n’a plus aucune protection. Le masque vient de rouler au sol lentement.
Elle est seulement… elle. La femme qui se terre derrière la façade de glace, opaque, pour ne pas qu’on voit pas le sang couler. Pour ne pas qu’on voit la peur, pour qu’on n’entrevoit pas le gouffre qui s’étend dans sa poitrine. Pour qu’on ne voit pas ses rêves même si beaucoup se sont éteints, soufflés comme une flamme de chandelle en plein vent.

D’un coup de plume déshabillée… par un sourire.
Et la main s’ouvre vers elle.
C’est la fin elle le sait…
Et pourtant ses doigts sont toujours fermés sur la plume qui se vide lentement de la goutte d’encre rouge.
Elle se sent libre ce soir. Grâce à lui… à cause de lui…
Le poids a quitté ses épaules. Elle pourrait presque sentir les murs rouges, écouter encore chanter l’insouciance.


J'ai une infinité de clés à mon trousseau
Moins que de portes à ma formidable prison
On y entre pourtant sans désir d'évasion
Pour y jouir de la liberté, celle... des mots !


Elle sourit elle aussi… doucement.
Les doigts s’approchent et posent délicatement la plume noir dans la main du Fou avant de refermer ses doigts. Elle vient de laisser la clef de sa prison ce soir. La prison qu’elle a elle-même érigé avec des mots prononcés. De ceux qui sont plus dur que le métal, plus épais que du granit, plus pérennes que les montagnes. Et elle non plus malgré tout, malgré les coups, malgré la fatigue, malgré la lassitude qui l’englue, elle ne veut pas sortir.
Le sourire s’élargit doucement sur un coin de lèvre, du côté opposé à ce sourire peint sur sa joue et qu’elle ne veut pas voir bouger.

Elle voudrait lui demander. Tant. Elle voudrait lui demander la destination. Où. Quand. Quand pourras-tu encore me rendre mes ailes ? Quand pourras-tu d’une simple question m’enlever mes chaînes ? Elle ne demandera pas. Il lui a dit qu’il serait là.
Si elle les aime encore.
Si elle y croit encore.
Elle doit être Folle pour pouvoir espérer cela.
Miroir, mon beau Miroir, comme tu me révèles…

Elle remet doucement ses remparts. La glace se referme petit à petit. Elle a laissé un peu de feu dans les prunelles qui lui font face. Elle gardera le sien, pour se réchauffer sur le long chemin qu’elle va emprunter.

Et la réalité sévère, se rappelle. Violente de banalité. Sous les traits d’un homme d’arme qui est entré.


Capitaine ? ose-t-il hasarder devant le spectacle étrange.

La Pivoine a tourné la tête et l’a hoché.


C’est…. Enfin…

Je sais…


Elle se retourne vers le Fou alors que la porte se referme. Elle le regarde sans rien dire un instant. Juste à contempler l’espoir briller dans les reflets d’obsidienne.

Ce soir il y a un seul mot que je déteste… il serait « adieu ».

Elle se lève lentement, comme encore engourdie.

A défaut de clef… j’aurai au moins une chose en ces lieux, qui m’aura permit d’imaginer encore mieux… le plaisir de la délivrance.

Elle fait un signe de tête, main valide sur la poitrine.

Au revoir le Fou….
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