Afficher le menu
Information and comments (0)
<<   1, 2   >   >>

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

Ab imo pectore

Izarra
Lesparre, chambre ducale. Rideaux clos, toujours clos, obstinément. La duquessa est cloîtrée là depuis son retour de Confolens, mangeant peu, parlant moins encore. Les rares qui réussissent à l'approcher, Margaux essentiellement, et parfois Elianor, la préfèrent presque muette d'ailleurs, tant ses divagations les effraient quand elle parle.

Alors elle se tait, aujourd'hui encore. Silhouette déformée, amaigrie à l'exception du ventre qui par comparaison paraît démesurément enflé, silhouette noire aux mains gantées, échevelée, recroquevillée sur un amas de coussins posés à même le sol près de la cheminée. Encore a-t-il fallu que la brave Margaux se fâche et fasse violence à sa dame pour qu'elle consente à prendre place ailleurs que sur le carreau nu du sol.

Elle se tait, et elle regarde. Elle regarde danser dans les flammes de l'âtre les folies, les chimères, les souvenirs qui tourmentent sans relâche sa cervelle et la mettent en pièce. Le regard halluciné fixé sur le feu, elle ne voit ni n'entend rien d'autre que ses délires dans lesquels dominent, depuis l'affreux séjour en Angoumois, le visage mutilé et les yeux accusateurs de l'époux assassiné.
Izarra
Quelques jours plus tôt, une lettre à l'écriture enfantine et appliquée arrive à Ryes.

Citation:
Chère tante Cerridween

J'espère que cette lettre te trouvera en bonne santé entre les murs de Ryes. Moi, je t'écris de Confolens, en Angoumois. Je t'écris à propos de mère, dont l'état m'inquiète terriblement. Je sais qu'Eloin voulait t'envoyer une missive à son propos il y a quelques semaines déjà, mais j'ignore si elle l'a fait. Si ce n'est pas le cas, peut être ignores-tu encore la triste nouvelle. Mère est devenue folle. Complètement folle. Je l'ai vu en cette baronnie maudite se mettre soudain à crier, à repousser des fantômes qui n'existaient que dans son imagination, s'arracher les cheveux et se tordre les mains en hurlant à ses maris de la laisser tranquille. Oui, oui, tu as bien lu, mère parle à ses maris, toute veuve qu'elle soit...

Il a fallu quasiment l'assommer pour qu'elle se tienne tranquille, et nous avons repris sous bonne escorte le chemin de la Guyenne.

J'ai peur tatie, je meurs de peur de la voir dans cet état et je ne sais qu'y faire. Nul d'ailleurs ne le sait. A part toi peut-être? Je sais bien que mère et toi êtes fâchée, mais je t'en prie, ne pourrais-tu venir essayer de la soigner? Elle est si mal tatie, si mal.... Et l'enfant qu'elle porte n'arrange rien on dirait, à lui aussi parfois, elle parle, et pas précisément avec amour...

Oh je t'en prie tatie, rejoins-nous vite! Je ne sais plus vers qui me tourner!

Affectueusement

Ta nièce Elianor
Cerridween
Pourquoi était-elle venue ?

A cause d’une lettre. Une lettre qu’elle avait reçue. La destinataire. Sa nièce. Celle qu’elle avait accouchée. Celle qui était née avec un autre avant qu’elle perde celui qui avait compté le plus pour elle. Celle qui venait de l’appeler à l’aide. D’une plume enfantine et désespérée.

On ne brise pas des serments. Pas elle. Il faut dire… son frère avait tout fait pour lui cheviller au corps. Mort dans ses bras avec ces dernières paroles… prends soin des enfants et d’Izarra pour moi. On n’oublie jamais le sang. On n’oublie jamais surtout quand c’est le sien, son propre sang qui se répand sur une neige de janvier. Celui qu’on a sur les mains, parce qu’on l’a accompagné dans la mort qui l’a cueilli avec le sourire. Qu’on l’a bercé pendant des heures à travers les larmes et la folie. Qu’on a défendu sans pouvoir le sauver. Qui avait fait battre son cœur et maintenu son corps en vie. Parce qu’elle lui avait juré avant que son souffle s’échappe, après que la tâche au sol soit devenue trop grande, à travers un sourire qui la hantait encore tant.

On n’oublie pas les serments. On n’oublie jamais le sang. Et c’est le sien qui l’appelait sur le velin. Une nouvelle fois. Alors… elle était venue la maître d’arme. Elle n’était pas bien belle à voir. Non. On ne lui avait rien épargné pourtant ces jours derniers. Elle avait souffert en enfer, corps et âme, pour sauver un soleil de nuit allumé dans son cœur et qui peut être, peut être, ne la réchaufferait pas. Elle avait éteint définitivement une flamme qui était partie dans une gangue de bois, rejoindre en paix l’au-delà et sa terre, les siens. Elle avait accepté un écu dont certains yeux à Ryes, lui hurlaient qu’il était usurpé. Comment autant de poids pouvait encore tenir sur ces frêles épaules ? Comment encore parvenait-elle à rester debout au milieu des cernes et des insomnies, de la mélancolia profonda qui l’engluait plus que jamais ? Pourquoi accepter de mettre encore un coup de dague dans son cœur alors qu’elle prenait à bride abattue le chemin vers un castel qui l’avait rejetée ? Pourquoi aller secourir celle qui auparavant lui avait elle-même planté avec des mots choisis une lame dans des blessures anciennes ?

On ne brise pas les serments. C’est tout. Ça semble irréel n’est ce pas ? Juste quelques mots qui vous demandent parce qu’ils ont passés vos lèvres de vous oublier, de faire taire vos douleurs même les plus vives, les plus abjectes… D’oublier les rancoeurs, même les plus purulentes, celles dont le poison emplie encore votre cœur. De faire fie de soi, de sa santé, de ses envies, de ses doutes, de ses fuites. Venir. Parce qu’on le doit. Alors que votre cœur vous dit de faire machine arrière sur ses routes où elle avait laissé autant de biens que de gens chers à son être. Elle ne s’est pas départie de sa tenue qu’ils connaissaient tous. Sable. De pied en cap. Sa cape licorne grise était la seule couleur qui subsistait de sa mise. Des nouveautés. Quelques unes… à ses poignets deux bracelets de force, d’un cuir noir brillants, qui enserraient ses avant bras. Une brigantine sur mesure du même cuir et de la même teinte qui comprime son torse. Une nouvelle cicatrice sur sa tempe, vestige des luttes avec les démons, le seul visible encore…

Elle était arrivée à la faveur de la nuit. Lesparre semble dormir. L’arrivée est une formalité. Hadès s’en va rejoindre fourbu l’écurie, pendant que la rousse sur le seuil du castel reste un instant figé. Elle essaie de chasser les mots. Les mots si durs qui avaient claqués des mois auparavant. Lentement dans un grand soupir, elle essaie de les expulser. Hors d’elle. Comme la rancœur. Comme les regrets. Elle a promis. Assume tes serments Pivoine.
Son pied se pose sur les escaliers de la demeure comme dans un rêve. La fenêtre ducale laissait passé dehors une faible lumière à travers les rideaux tirés. Ses pas la mènent douloureusement vers la chambre d’Izarra. Elle s’arrête sur le seuil et arrive à peine à lever la main pour frapper à l’huis. Allons tu le dois. Lentement la main burinée par les exercices et les services, par les années à avoir été délaissée des soins que lui prodigue une femme, frappe le bois de quelques coups.

La réponse ne vient pas… Alors la rousse pose sa main sur la poignée. Son corps se crispe un instant pendant qu’elle pénètre dans la chambre. Elle était là pourtant. Etait-ce vraiment elle cette mince silhouette avec ce ventre proéminant et d’une forme hors norme pour un si frêle corps, recroquevillée sur un fauteuil ? Ses yeux vagues, cette peau trop blanche, qui semble seulement vivre grâce au mouvement des flammes ?

Lentement elle s’avance, la rousse, se retournant cœur et tripes pour avancer, tellement elle a mal pour son ancienne amie et pour elle-même. Elle avait prédit la chute. Elle avait prédit cela lors de leur dernière rencontre. Elle aurait voulu à cet instant s’être trompée. Mille fois.
Temps d’arrêt.
Elle n’a toujours pas bougé.


Izarra…

Que dire, à une amie qui vous a trahit, que dire à cette femme qu’elle plaint, qu’elle aime et qu’elle hait, dans un mélange douloureux… juste son nom. Le premier pas est fait. Elle décidera elle… si elle veut bien prononcer le sien et la faire apparaître de nouveau devant ses yeux.
Izarra
Elle ne quitte pas l'âtre des yeux, fascinée par le ballet imprévisible de ces langues d'or qui s'élèvent, se tordent s'emmêlent sans ordre apparent. Imprévisibles. Déconcertantes. Comme lui. Toute à sa contemplation, elle n'entend pas les quelques bruits soudain produits. Ou plutôt refuse de les entendre. Elle a vaguement conscience de leur existence, infimes bourdonnements à l'extrême limite de sa perception, insectes agaçants qui vrombissent à ses oreilles dans le but d'accrocher son esprit. Mais elle se détourne, la brune, elle se détourne de ces signes d'un monde extérieur qu'elle en est venue à haïr, auquel elle se sent et se veut étrangère, auquel plus rien ne la rattache si ce n'est un ultime lien, mince et ténu : l'enfant qu'elle porte.

Avec obstination, elle se plonge, s'enfonce, se noie encore un peu plus dans ces flammes où dansent ses rêves, ses démons, ses chimères et toutes les illusions de son esprit malade. Elle refuse cet appel d'une réalité qu'elle veut fuir.


Izarra...

Imperceptible tressaillement. Le bourdonnement d'un de ces indésirables insectes a percé sa carapace, se frayant un chemin jusqu'à son entendement. Du moins ce qu'il en reste. Izarra... L'étoile... Mélancolie. Quelle incongruité d'entendre ce mot, ici et maintenant. Izarra... Ca n'est pas elle, Izarra. Izarra, c'est une petite fille rieuse et enjouée, une enfant à l'aube d'une vie pleine de promesses, d'une vie qui lui souriait en lui montrant devant elle un chemin semé de roses. Elle, elle n'est qu'une vieille dame et le bouquet qu'elle tient contre un coeur désormais vide ne contient plus de roses. Il ne lui reste que les épines auxquelles peu à peu son âme s'est accrochée, déchirée, déchiquetée. Des épines acérées, aussi mortelles que la hache qui tua son premier époux, ou que la dague qu'elle planta elle-même dans le coeur du second.

Qui donc pouvait avoir l'idée de l'appeler ainsi? Avec effort, la démente tourna la tête pour identifier l'origine de cet appel. Noire. Aussi noire qu'elle, la silhouette qu'elle distingue. Peut être même plus noire encore qu'elle, dont les éternels gants écarlates jettent une lueur sanglante sur l'obscurité de la vêture. Les yeux verts remontent lentement; découvrent le visage pâle, émacié, sur la tempe duquel court une cicatrice; apprivoisent une chevelure dont la teinte réveille un écho douloureux au coeur de la brune. Elle connait cette silhouette. Elle sait à qui appartiennent ces mèches rousses et ses yeux d'un vert tranchant. Elle sait. Non. Elle savait. Elle savait et ne sait plus. Cherche. Fouille frénétiquement sa mémoire à la recherche d'un nom qui lui échappe, qui se joue d'elle, s'approche aux lisières de son esprit et se dérobe moqueusement. Un nom qu'elle a voulu effacer, délibérément, avant que la maladie ne se charge d'exaucer à sa façon ce souhait d'oubli. Un nom qui finit par émerger des limbes, par ressurgir ab imo pectore avec le maëlstrom de souvenirs et de sentiments divers qui lui sont liés. Les lèvres pâles s'entrouvrent pour le laisser passer dans un souffle, ce nom aimé et détesté à la fois.


Cerridween?

Une lueur d'incrédulité s'allume dans le regard hésitant, aussitôt suivie d'un éclair de crainte. Léger mouvement de recul. Comment savoir? Comment savoir si c'est bien son ancienne amie qui se tient là? Comment être sûre qu'il ne s'agit pas à nouveau d'un produit de sa folie, d'une ombre, d'un fantôme? Elle a brusquement peur, la brune désormais familière des revenants, peur de cette silhouette dont elle ne sait pas si elle appartient à la réalité ou à son monde de souvenirs. Avec effort, elle se redresse, prend appui sur la cathèdre au pied de laquelle elle s'est laissée glisser _ quand, comment, elle ne s'en souvient plus _ et se relève, les yeux fixés sur la statue revêtue de noir. Avec précaution, elle fait un pas, puis un autre, et encore un autre, jusqu'à se retrouver face à cette énigme. Elle hésite, lève sa main gantée de rouge, avance doucement le bras. Et effleure lentement le visage aux traits fins en murmurant, sans interrogation latente cette fois.

Cerridween... Tu es... revenue...

Elle se fige, se raidit même, imperceptiblement, s'interrogeant sur les raisons de ce retour...
Cerridween
Elle la regarde marcher vers elle…

Ce n’est plus qu’une ombre son amie d’antan. Une ombre noire. Seules deux tâches écarlates parent ses mains et jure dans cet univers figé, perturbé seulement par la lueur mouvante d’un feu. Elle est maigre. Bien trop maigre. Elle semble glisser sur le parquet, comme un fantôme.
Elle avait prévu la chute la rouquine. Elle aurait voulu se tromper mille fois oui. Et elle s’était trompée oui. Mais sur l’ampleur du désastre.
Elle reste figée pendant qu’Izarra arrive à sa hauteur. Une main gantée s’avance lentement. La rousse ne cille pas et regarde les yeux hagards qui semblent chercher quelque chose, une réponse, une vérité dans ses propres traits. La caresse du tissu s’applique le long de sa joue, tenu, pendant qu’un mince frisson parcourt le dos de la rousse.

Izarra. Qu’es-tu devenue. Où sont passés les jours heureux de Carcassonne à l’abri de la Rose des vents ? Où sont passer les rires des jardins de Beaumont quand elles coursaient toutes deux les enfants Vergy, haut comme trois pommes ? Où est passé ton regard tranchant ? Que nous est-il arrivé à toutes deux ma douce… regarde nous. Que nous est-il arrivé. Une descente aux enfers en même temps que le géant blond rejoignait un paradis qui ne nous sera sûrement pas destiné. Est-ce seulement cette perte qui en a entraînée tant d’autre ? La perte de la quiétude, de l’insouciance, du bonheur peut-être… le début du noir, des deuils, des responsabilités, des engagements. La morsure de la vie, la première, la plus douloureuse… et elle a continué son carnage sur nos traits, miroirs visibles de nos âmes, perdues, tristes… jusqu’ ce que nous nous entredéchirions à notre tour…

La caresse gantée s’est arrêtée et la main reste un instant en suspens, dans le silence pesant de la pièce perturbé par le crépitement du bois qui se fend sous la faible chaleur qui subsiste. Les lèvres émaciées de la brune s’entrouvrent, cherchant un instant des mots, qui viennent éclore dans un murmure, brisant le calme de la pièce.

Cerridween... Tu es... revenue...

Ce n’est pas une question. Juste un constat. Et pourtant derrière résonne un mot qui se répercute dans les oreilles de la rousse, écho tenu des quelques mots prononcés. Pourquoi. Pourquoi es-tu là devant moi ?

A son tour de murmurer pendant que la main pourpre s’abaisse lentement.


Oui….

La rousse ne bouge toujours pas figée comme la glace. Il faut trouver les mots. Les bons. Les justes. Pour ne pas rejouer la scène déchirante et violente qui les avaient séparés. Parce qu’en venant elle réitère la promesse de veiller sur elle comme elle promet à Elianor d’essayer d’aider sa mère. Il y a des sujets à éviter. Mais des vérités à ne pas cacher. Ainsi que des querelles à enterrer.

J’ai reçu une missive d’Elianor. Qui me disait que tu te portais fort mal et qu’elle s’inquiétait pour toi. Je suis venue. J’ai promis Izarra. De vous porter secours à tout prix. Un jour de janvier que je n’oublie pas. Alors oui je suis venue. Pour elle et pour toi.

Un temps d’attente encore… elle regarde le visage d'Izarra sans réaction. Seuls ses yeux montrent qu'elle enregistre petit à petit les mots qui s'égrainent...


Mais pas que par respect pour ce serment… parce que je ne peux pas malgré les mots que nous avons eus, raser un passé qui est mien. Tirer un trait sur des souvenirs qui me sont chers. Alors je suis venue oui. En faisant fie de ces mots durs. Que tu as prononcé. Que j’ai prononcé.


Lentement sa main blanche et abîmée par les exercices se lève vers Izarra. Elle la présente paume ouverte. Les yeux n’ont pas quittés les siens…


Viens t’asseoir avec moi… rester debout dans ton état va te fatiguer plus que nécessaire… et… je crois que nous avons beaucoup à nous dire.
Izarra
Elianor... Ainsi c'était sa si discrète et réservée benjamine qui avait pris sur elle et averti sa tante. Un maigre sourire étira les lèvres de la navarraise à l'écoute de ces mots.

Pauvre enfant.... Il est vrai que je lui ai donné à voir un bien triste spectacle ces derniers temps.... Je ne pensais cependant pas qu'elle irait jusqu'à t'alerter...

Les prunelles d'émeraude s'arrachent à leurs semblables de sinople et s'abaissent vers la main tendue. La prendre, c'est accepter de renouer le fil, ténu, fragilisé, affaibli, mais réel, de leur amitié. La refuser, c'est se figer à jamais dans la rancune, la colère, les reproches.

L'hésitation est brève, à peine perceptible. Et la main gantée d'écarlate vient se poser sur la paume offerte, comme un oiseau épuisé qui trouve enfin une branche pour se reposer. C'est main dans la main que brune et rousse vont prendre place près de l'âtre. Assise dans sa cathèdre, la brune tente de retrouver ses anciens gestes, son ancienne personnalité. Elle appuie ses deux mains sur les accoudoirs, se redresse autant que le lui permet son dos douloureux, tente de rassembler ses esprits.


Il y a beaucoup à dire oui.. Tellement que je ne sais même pas par où commencer.

Elle s'interrompt. Osera-t-elle? Osera-t-elle confier ce fardeau qui lui pèse, qui la ronge de l'intérieur, osera-t-elle avouer la vraie raison de sa folie, de sa déchéance? Voici encore quelques mois seulement, elle n'aurait pas hésité un seul instant. La question ne se serait pas même posée à son esprit. Mais aujourd'hui, il y a cet abîme entre elles, trop large pour qu'elle se jette en avant, tête baissée, au risque de s'y précipiter. Elle avance à petits pas circonspects, à voix basse, à phrases hachées, construites d'ellipses, d'allusions, de non-dits. Ne pas le nommer. Ne pas réveiller ce qui les a séparées. Dire pourtant ce qui déclenché ce qui les réunit ce jour...

Je l'ai épousé, plus précipitamment que prévu. Sans doute l'as-tu su...Comme tu as du savoir qu'il était mort peu de temps après notre union...

Silence lourd. Hic et nunc, étoile. Si tu nes les prononces pas maintenant, tes lèvres se scelleront à jamais sur les paroles qu'elles hésitent encore à laisser passer... A celle qui a fait un mea culpa à demi-mot, tu peux en retour offrir ta propre pénitence et remettre ton sort entre ses mains. Il y suffit d'une petite phrase, à peine quelques mots et le sort sera jeté...

C'est moi qui l'ai tué Cerrid... Je l'aimais, et je l'ai tué...

Silence qui retombe comme un rouge rideau sur la scène d'un théâtre. Sa tirade est finie, et la fin de la pièce dépendra de la réplique de celle qui se trouve face à elle.
Eloin
Derrière la porte, un souffle indécelable, mais bien présent...

Espionage ? Non... Veille, surveillance, pour une brune voulant s'assurer que brune aux gants écarlates et rousse à la cape grise se réconcilient enfin. Ce qu'il sortirait de cet épisode, elle l'ignorait totalement, et à vrai dire elle s'en moquait. Qu'elles se jettent des mots à la figure, aussi durs que quelques mois auparavant, si cela pouvait les libérer de la douleur qui enserrait leur coeur telle une gangue de fer...
Oreille tendue et main appuyée sur le chambranle de la porte, une porte close qui ne bouge pas d'un pouce sous son poids pourtant trop lourd pour elle-mesme, désormais. Elle passait la majorité de ses journées assise, et la moindre marche luy infligeait une fatigue et une faiblesse des jambes qui la forçaient à prendre du repos.
La jeune fille énergique et rieuse qu'elle avaict esté n'existait plus, du moins pour le moment. Trop de malheur, trop de tristesse, de noir dans cette demeure pour qu'elle puysse se laisser aller à l'insoucience. Tous, dans le castel, redoutaient les moments ou la duquessa sortait de sa chambre. Et maintenant qu'elle ne quittait plus son refuge plongé dans le noir nuit et jour, c'estait à elle, mais à Margaux et Elianor le plus souvent qu'il revenait de faire face à ce reflet vitreux qui leur faisait face. La suivante luy avaict mesme interdit d'aller voir sa dame depuys qu'elles estaient revenues d'Angoumois, sous prétexte qu'elle en aurait un choc et que son état pourrait en pâtir... Eloin n'avaict rien dit, mais elle n'en pensait pas moins, son état elle savaict à quel point il en était, et les limites qu'elle devaict ne point dépasser.
Mais finalement, c'estait le courage, et la peur de voir ce qu'estait devenue cette femme autrefois si imposante qui luy avaict empêché de pousser la porte de la chambre ducale, cette chambre pourtant à quelques pas seulement de la sienne. Et ce jour, alors que brune et rousse se rapprochaient au delà de toutes les espérances, elle estait là, une main en suspend, preste à frapper pour demander la permission d'entrer. Quant une phrase, un aveu la coupe net dans son élan.


C'est moi qui l'ai tué Cerrid...

Eclair fulgurant qui se déchire devant ses yeux exprimant la stupeur, main qui retombe lentement le long du corps, et jambes qui reculent malgré elle jusqu'à aller trouver le froid mur de pierre du couloir.
Tué... Ainsi estait-ce cela, la raison de ces gants écarlates, de cette folie qui luy prenait toute sa force et sa joie de vivre !
Devant les milliers de questions qui se bousculaient dans sa teste en ébullition, la dame de parage regagne sa chambre, avant que de refermer violamment la porte derrière elle, laissant un écho qui faict trembler les murs du castel encore endormi à cette heure..

_________________
Dame de compagnie de la duchesse
Cerridween
La bouche de la rousse s'ouvre en grand...

Elle s'attendait à tout.
Aux remontrances.
Aux éclats de voix. Aux réprimandes, aux pleurs d'avoir quitté la mesnie en claquant la porte. Au rappel de son serment, de l'accueil de cette famille qui n'était de facto pas tout à faite la sienne comme le montrait la barre de bâtardise qui lacérait son écu, laissé aux écuries avec Hadès.
A la leçon de morale. Sur ton d'envolées lyriques. Sur la charge qui lui incombait, sur les enfants, sur Guilhem, ses erreurs, qui n'auraient peut-être pas été possibles si elle ne l'avait pas laissé en Rouergue.
A Elianor blessée, sans que la rousse ait pu faire quelque chose, alors que sa présence eut été fort salutaire pour sa nièce.

Mais rien... la voix n'est pas haussée, la démarche un peu raide, mais pas hautaine. Rien de l'ancienne Izarra qui la toisait dans les clôtets de toute sa superbe ducale en détruisant sa vie du revers de la main. Rien. Une voix douce et fatiguée qui égraine les paroles comme un chapelet hésitant entre les doigts d'une pénitente. Lentement ils se dévident dans l'air ambiant, ses mots, à demi mesure jusqu'à l'impact.
La rousse vient de recevoir l'aveu comme un coup dans la poitrine... un instant, elle se demande si la folie ne la prend pas elle aussi. Ils repassent inlassablement dans sa tête ces mots prononcés doucement, mais pourtant si durs, si tranchants.

C'est moi qui l'ai tué Cerrid... Je l'aimais, et je l'ai tué...

La bouche de la rousse se referme lentement.
Imaginez une tempête en mer. Les vagues de plusieurs mètres, la houle qui claque, le ciel déchiré d'éclairs et vous balloté au milieu, seul, soumis aux éléments déchainés...
C'est ce que traverse la rousse à travers les divers sentiments qui la transpercent de part en part à cet instant. Elle l'aimait. Pardieu. Elle ne comprend toujours pas. Elle aimait la plus belle enflure du Royaume, un Louvelle, un Louvelle, foutredieu, qui a dû aller serrer la pince du Sans Nom sans passer par la case Purgatoire tellement son âme pesait déjà lourd. Un traitre. Un manipulateur. Izarra. Après … après Raphaël... Elle l'aimait. Elle ne peut rien y faire, la Pivoine noire, même si cela lui donne la nausée. Mais la suite, la suite, est comme un coup de théâtre, un coup de tonnerre transperçant un ciel vide de nuages. Un coup de semonce qui résonne encore dans le silence oppressant de la pièce où elles se trouvent toutes deux...

Elle lui avoue. Elle lui avoue un crime. La rousse aurait voulu le tuer de ses propres mains. Il est vrai. Comme une bonne partie du Royaume. Après de longues tortures, de longs jours d'agonie, pour le mal qu'il avait fait, non seulement aux hommes, mais à elle, à sa famille. L'ombre du Cassel repasse aussi, en bon fantôme de ses malheurs passés. Elle a tué le Louvelle. Et elle l'aimait. Comment comprendre... même pour la rousse... comment comprendre... la Pivoine elle aussi, a fait du tord à un être aimé. L'a enfermé et enchainé. Pour son bien. Rappelle toi Pivoine tu aurais pu le tuer. Mais ce n'était pas Enguerrand dans les cellules. Ce n'était pas lui. C'était cet Autre qui le torturait, qui te torturais aussi...
Elle l'aimait et elle l'a tué. Et les sinoples de la rousse regardent les gants rouges qui détonnent sur la mise noire de son amie d'antan. Il ne faut pas un doctorat en médecine maintenant pour comprendre leur présence. Le point de départ de sa folie ? Cela lui semble une évidence. Elle s'était promis de mourir, la Pivoine noire, si jamais Enguerrand ne sortait pas des cellules, sans l'Autre ou vivant.

La rousse déglutit... doucement... pardieu que dire après un tel aveu. Que dire, que faire. Comprendre peut-être pour l'instant. Le temps que la ronde de ses penses se calment et que son esprit affolé s'apaise.

Izarra.... pourquoi...
Izarra
Paupières qui s'abaissent pour voiler un regard incertain. Pourquoi? Combien de fois depuis cette nuit fatidique s'est-elle posée cette même question, la brune? Des dizaines, des centaines peut-être. Tant de fois elle l'a tournée et retournée dans sa tête, jusqu'à en devenir folle, littéralement... Tant de fois elle a vu se dérouler à nouveau cette veillée funeste, se demandant ce qui l'avait poussée à saisir son arme, à la lui plonger dans le coeur en souriant...Tant de fois qu'elle en a perdu le compte, sans vraiment trouver de réponse.

A moins qu'elle n'en ait trop trouvé, au contraire. Pourquoi quoi, d'ailleurs? Pourquoi l'aimer? Pourquoi le tuer? Les deux sont aussi incompréhensibles l'un que l'autre, pour quiconque ne connaît pas les tréfonds du coeur et de l'âme de la navarraise, ces abîmes qu'elle dissimule avec tant de soin qu'elle avait fini elle-même par oublier ce qui y gîsait.

Pourquoi l'aimer? Parce que la faucheuse n'avait pas voulu d'elle, cruelle qui s'était contentée de lui prendre sa raison de vivre sans l'achever,qui l'avait laissée seule face à un vide qui lui donnait le vertige et que rien ne pouvait combler, pensait-elle. Parce qu'elle avait passé des années à feindre de vivre, à feindre l'intérêt. Pour des terres qu'elle détestait. Pour des tâches qu'elle accomplissait avec répugnance.Pour des enfants qui la maudissaient ou la quittaient, voir les deux à la fois d'ailleurs. Pour une famille qui lui avait assigné, avec amour, avec bonne conscience, mais implacablement, le rôle d'un être incomplet. Celui d'une veuve, qui n'est pas censée se remettre un jour de la perte de son époux. Celui d'une mère qui n'est pas censée vivre pour autre chose que ses enfants. Et elle avait endossé ce rôle, s'y était réfugiée, cloîtrée, en avait fait une muraille qui la protégeait du monde extérieur mais aussi, mais surtout, d'elle-même. Qui la protégeait de ce qu'elle n'avait jamais cessé d'être. Non, être veuve et mère ne lui suffisait pas. Non le deuil ne l'avait pas subitement transformée en modèle d'abnégation bien pensante, bien disante, bien agissante. Elle n'était que ce qu'elle avait toujours été. Une femme coléreuse, égoïste, avide et luxurieuse. Une kyrielle de défauts, comme autant de points faibles, qu'il avait su faire ressurgir. Si Raphaël avait su apaiser sa nature violente, lui au contraire avait réveillé ce qui sommeillait de pire en elle. Leur relation n'avait rien eu d'idyllique. Disputes, coucheries, incompréhension mutuelle et méfiance, voilà ce qu'il lui avait "offert". Certes. Mais aussi une intensité de vie qu'elle n'avait plus ressentie depuis des années et qu'il avait été le seul à lui procurer. Et aussi sûrement que le drogué en vient à adorer la substance qui lui offre, l'espace de quelques instants, l'illusion du bonheur, elle en était venue à l'aimer.

Et à le détester. Car cette drogue-là ne la rendait ni sourde, ni aveugle, ni stupide. Avec une douloureuse lucidité, elle pouvait au contraire voir tout ce que cet homme et cette union avaient d'inquiétant, de dangereux. Tout ce qui l'avait poussée au meurtre...

Relevant les paupières, elle revint fixer dans les prunelles sinoples de la rouquine un regard étrangement clair, épuré temporairement de toute démence, tandis qu'elle entreprenait de répondre à cette simple et unique question.


Pourquoi? Il ne m'est pas facile de te répondre... Les raisons en sont si confuses. Et pénibles à affronter. Pourquoi?

Elle laissa passer un moment de silence, un flottement.


Par pitié, un peu. Pitié face à un homme qui souffrait atrocement de ses blessures, pitié face à un homme de toute façon condamné mais qu'attendait une longue et pénible agonie avant d'être délivré de ses tourments...

Par colère aussi, colère pour ce qu'il avait fait ou causé. Colère pour Cahors, pour ta perte, pour celle de mes enfants. Colère de n'être pour lui qu'un ventre titré, alors même que de mon côté je ne le traitai que comme une distraction pourvue d'une certaine utilité...

Par intérêt sans doute. Après tout j'avais obtenu ce que je voulais, et même au-delà. L'enfant que je portais était légitimé, je gagnais deux nouveaux titres, l'époux me devenait inutile...

Et puis.... et puis par peur, beaucoup... Peur qu'il se rende compte de ce que j'éprouvais et que je cachais avec tant de soin, peur qu'il ne s'en serve contre moi. Peur qu'il me détruise, ou que je ne me détruise moi-même...

Elle grimaça un sourire ironique, rappel lointain du rictus qu'elle avait si souvent arboré avant de mettre un adversaire en pièces. Mais c'était elle-même l'adversaire visé cette fois.

Evidemment côté destruction à éviter, j'ai manqué mon affaire, c'est le moins qu'on puisse dire...
Cerridween
Pardieu...

La rousse de se remet toujours pas de l'aveu. Elle est là, assise pendant que se dévident les mots de la brune harassée, le visage trop blanc éclairé seulement par quelques flammes. Le silence est pesant. Izarra reste là tête baissée un instant.

Ce regard... la transperce. Revient Izarra l'ancienne... pas celle de la Rose des Vents. Cette belle jeune tavernière qui riait tant. Celle qui avait pignon sur rue à Carcassonne, encore libre. Mais l'Izarra toujours rebelle, la noble, la duchesse, la droite, celle qu'elle a apprécié et connue. Une amie. Une sœur presque, belle, aux côtés de son frère, liée. Celle qui avait été son pilier, son guide. Son double, sa moitié. Dépositaire de biens de ses secrets, comme elle l'avait été pour elle, la rousse encore heureuse, quand le trio encore existait.

Elle la regarde dévidée par ses lèvres les grains du chapelet de ce secret qu'elle lui offre là, terrifiant, cet aveu qui sonne dru après les mois d'absence. Qu'il est dur pour la rousse de l'entendre... car oui elle est chevalier. Justice, honneur et bravoure. Qu'ils sont lourds à porter en ce jour. Car elle avoue avoir tuer. Oui. Et même si sa victime fut l'un des plus beaux des démons du Royaume, elle s'est arrogé un droit que Dieu seul avait. Justice, honneur et bravoure. Qu'elle avait promis de servir. Qu'elle incarnait. Là. Devant elle. Devant son ancienne suzeraine. Devant celle qui était amitié, part de sa vie, ancrée par les liens du mariage, de la vie, de ses joies et de ses deuils. Devenue.... meurtrière. Le mot lui déchire le cerveau, lui vrille le coeur déjà déchiré. Pourtant le qualificatif n'est pas usurpé. Justice, honneur et bravoure, Pivoine. Alors que vas-tu décider... serment ou parjure ? Devoir ou coeur ? Le tien est si en miette, Pivoine...

Mais il bat encore... oui. Et durement dans sa poitrine. Elle écoute les raisons qui ont poussé ce geste défendu, honni, hors des champs de bataille. Elle l'a tué parce qu'il était mourant. Mourant. Souffrances abrégées. Qu'aurais-tu fait Pivoine ? Rappelle toi il n'y a pas si longtemps... oui, dans ce décor d'Enfer où tu le croyais perdu. Rappelle toi Pivoine, cette envie. Celle là oui. Celle qui reste dans ton coeur comme marquée au fer rouge quand Il te toisait de ces yeux noirs morbides, cet Autre qui te l'avait pris. Que tu croyais mort, parti, vaincu par ce démon qui possédé un corps que tu voulais détruire s'il n'était plus le sien. Rappelle toi ta fureur. Rappelle toi l'ire qui t'a pris le corps, le coeur et les tripes. Rappelle toi. Et si maintenant, tu imagines une lame dans ta dextre... serait-il encore en vie ? L'aurait-tu égorgé comme dans ce cauchemar qui aurait pu si d'arme tu avais eu à cet instant, devenir prémonition des plus terrifiantes ?

Toi aussi tu le haïssais... comme elle l'a haï. Car il y avait de la haine dans cet amour. Cahors... la perte... elle a donc souffert. Elle n'en doutait pas. Elle a souffert aussi loin. Loin des siens. Peut-elle lui dire le déchirement de quitter Léard son havre de paix ? De ne pas pouvoir regarder les pièces se vident une à une de son maigre mobilier ? De voir les piécettes s'amassaient sans aucun bonheur lorsqu'elle avait tout vendu puisqu'elles ne lui rendraient ni souvenirs, ni chez un chez elle comme celui là, encore hanté de souvenirs de lui, d'elle, des petits quintefeuilles ? Et elle... oui elle lui avait manqué. Oui elle l'a haï. Chaque jour. Autant de jours où elle a regretté.

La colère oui elle a connnu aussi. Elle l'a été longtemps contre la brune. Contre elle même aussi. De cette même colère triste, de cette colère teinté de chagrin, qui avait éclaté contre Guilhem dans les jardins de Ryes quand elle avait su... pour son enfant. Contre le Louvelle par contre. La colère était froide. Différente de la brune mais tout aussi violente. Elle avoue qu'elle l'aurait tuer pour les mêmes motifs.

L'intérêt... là Izarra tu frappes à la mauvaise porte, pour qu'on te comprenne. L'intérêt. Elle ne croit pas mentir en disant qu'elle n'en a eu jamais la rousse. Jamais. Sauf l'intérêt des autres. L'intérêt pour elle même en a-t-elle jamais eu ? Elle cherche dans ses souvenirs la Pivoine noire et fatiguée... et pourtant elle ne voit pas. Et côté destruction elles se rejoignent... la brune en pensant à elle, la rousse en se tuant pour les autres. Elles ont là le coeur ouvert sur une blessure, la même. Peut être d'ailleurs, le mal vient de la même cause. Il a le nom d'un ange, parti. Qui les a conditionné en montant là haut dans le firmament. L'une en tuant un amour et en se détruisant, l'autre en portant les autres à bout de bras et en se tuant elle-même, sous le poids des peines.

Ironie.


Izarra... sais tu à qui tu viens de dire ça...

Elle a murmuré... lentement...

Je... comprends... oui... j'ai... moi aussi... enfin Izarra... j'ai caché un connétable de France dans les cellules de Ryes. Accro aux pavot, possédé par un autre et … je n'ai rien dit parce que je lui avais juré... j'ai récolté ça...

La main blanche se pose sur la tempe encore striée de rouge...

Une semaine en entier... attaché par mes soins... il s'est battu contre lui même. Et quelqu'un m'a aidé. Il n'a encore rien dit... pourtant... Izarra... j'aurai pu passé en cour martiale... maintenant tu sais. Je....

Grande inspiration...

C'est un secret bien moindre je sais... Je ne dirai rien... pas maintenant en tout cas... pas tant qu'on ne me le demandera pas.... je vais pécher par omission en somme... si je ne tiens pas ma promesse, tu auras ça contre moi. Que nous enterrions à jamais la hache de guerre et nos rancœurs... pour le passé et ce que nous avons vécu.

En attendant je reste un peu...


Elle rapproche son siège de la cathèdre et s'y rassoie. Elle pose doucement sa main sur le ventre distandu d'Izarra...

… parce que c'est pour bientôt...
Izarra
Si elle sait? Oh oui elle sait! Malgré l'absence, la folie, la rancoeur, elle sait à qui elle s'adresse. Ces deux-là se connaissent bien, si bien, trop bien presque. Jamais elles n'auraient pu s'entre-déchirer comme elles l'ont fait dans le cas contraire. C'est justement parce que chacune savait exactement où frapper pour faire mal que leur dernière encontre fut si violente. Parce qu'avec l'intime connaissance qu'elles avaient l'une de l'autre, il n'était que trop facile, sous l'emprise de la colère, d'inciser à vif les anciennes blessures mal refermées,de venir donner de la lame à l'endroit précis où l'armure de l'autre présentait une faille.

Devoir. Honneur. Loyauté. Respect de la parole donnée. Tout ce qui pour la brune n'est que vains mots, prétextes spécieux pour couvrir toutes les lâchetés humaines, manteau sous lequel on camoufle _ souvent bien mal _ haine, orgueil, ou tout simplement vide de l'existence. Mais pas pour elle, pas pour la rousse assise face à elle. Elle, elle a pris ces mots, les a crus. En a fait une règle de conduite, une raison de vivre, un sacerdoce. Plus même, les années passant, ils sont devenus l'essence même de son être, ce qui la caractérise. Elle, elle les a suivi, respecté, quoi que cela lui coûte. Et il lui en a coûté, songe la brune avec tristesse en contemplant les traits marqués du visage de son ancienne vassale. Qu'avons-nous fait de nous ma douce... Qu'avons-nous fait sans lui sinon partir à la dérive vers des horizons sombres, si sombres, trop sombres...

Elle attend, la navarraise. Elle attend la réaction, qui n'est pas précisément celle à laquelle elle songeait. Elle avait imaginé le mépris, les reproches, la condamnation, le dégoût. Elle avait imaginé l'indifférence, le dédain. Elle avait même osé parfois _ seule au milieu de ses crises de démence, haletante, étouffée sous le poids des remords _ rêver la compréhension. Mais pas une seule seconde elle n'avait pensé récolter en retour un aveu comme celui qu'elle venait d'entendre. Elle écarquille ses yeux cernés, la bouche arrondie dans une "o" de surprise muette. Peine à retrouver l'usage de la parole. Hésite. Réfléchit. Murmure, enfin.


Moindre? Je te connais Cerrid, suffisament pour réaliser ce que tu as pu endurer en agissant ainsi...

Ma douce... Quel étrange mal que celui qui nous ronge et nous détruit... Si différentes dans le parcours mais si semblables à l'arrivée. Meurtries, épuisées, déchirées. Toi, pour les autres. Moi, pour moi-même et par moi-même. On m'appelle la louve parfois, je ne l'ignore pas. Mais ils se trompent. Je n'attaque pas pour nourrir, défendre, protéger ou sauver les miens. C'est toi qui agis ainsi, louve de Vergy, pas moi.

Silence. Offre de paix. La brune tressaille, infimement. Jeter le bienheureux voile de l'oubli sur la colère, la rancune, l'amertume accumulée? Lentement, elle vient recouvrir de sa main gantée celle de la rousse posée sur son ventre. Secoue légèrement la tête. Impossible. Il lui manque encore quelque chose pour enterrer tout cela. Quelque chose dont elle n'a guère l'habitude de se soucier, moins encore de quémander. Mais que valent les habitudes? Trois fois rien, infiniment moins que ce qu'elle s'apprête à demander.


Il me faut obtenir encore une chose pour pouvoir clore ce douloureux chapitre...

Elle relève les yeux, les plante dans les sinoples qui lui font face. Inspire. Et se décide.

Pardonne-moi...
Cerridween
Le crépitement de la pluie commence à se faire entendre sur les vitres de la chambre...

Tintement désordonné sur la face lisse des fenêtres, venant ponctuer la demande d'une brune harassée à une rousse dévastée...
Lave moi de mes pêchés.
Efface les comme sous l'onde qui tombe des cieux gris.

Pardonne-moi...

Une supplique...

Elle a demandé.... pardon. Elle. La brune fière jusqu'au bout des ongles qui ne s'est jamais agenouillée devant quiconque. Celle qui n'a jamais reconnue ses fautes, seul peut-être au Très Haut... et encore, trop orgueilleuse pour ne pas vouloir les lui dire en personne et sans intermédiaire, ne voulant que son pardon à lui, non celui de ses serviteurs en soutane. Elle lui offre sa tête, son coeur sur un plateau. D'un simple mot, d'une simple phrase...

Elle demande pardon à elle. Celle qui n'a pas son rang. Celle qui n'a pas ses titres et sa richesse. Mais peut être celle qui ne l'a jamais trahi, ni courtisé. Celle qui ne l'a pas regardé à travers une couronne ducale, ni à travers ce qu'elle pourrait retirer d'elle. Qui lui a montré en déposant les seules terres qu'elle possédait. Celle qui l'a juste aimée pour elle et quittée pour ses choix. Celle qui lui a fait l'offrande de la vérité, toujours, même nue, même brutale. La seule peut-être sur laquelle elle a toujours pu compter...

Les sinoples de la rousse la regarde, l'iris agrandi, silencieusement pendant que continue la symphonie anarchique de la pluie...

Aurais-tu le cran de refuser Pivoine ? Le voudrais-tu ? Cette main tendue la deuxième en quelques semaines … la deuxième fois où sur l'autel de l'amitié perdue. Veux-tu retourner aux rancœurs, à ce fiel, à cette solitude que tu supportes de moins en moins, le cœur trop gros pour la porter... écoute... les anciens heurts ne résonnent plus à tes oreilles... ils sont relégués au temps et lavés eux aussi.

Lentement la deuxième main de la rouquine se pose sur celle d'Izarra.
Délicatement les doigts la prennent cette main gantée de pourpre...
Ils l'élèvent doucement, jusqu'à ses lèvres qui posent un baiser sur le tissu...
Avant de la remettre sur la sienne, comme si elle était en verre et prête à se briser...
Avant que ses lèvres murmurent...


Tu es pardonnée...

Ainsi soit-il ma douce... que nous enterrions ici, les querelles, nos derniers mots... puissions nous continuer à nous entendre car il y a tant à faire pour sauver tes enfants...

Ma douce... puisque nous abordons les sujets douloureux je dois te parler de...

Ce n'est pas le bruit des gouttes de pluie sur la vitre qui ont retenti mais des gouttes au sol. La rousse lève un oeil inquiet sur la duchesse, le dos cambré et le visage un instant crispé sous la douleur.

Les sujets attendront plus tard... Il y a plus urgent à l'instant.
La rousse s'est levée en hâte et vient d'ouvrir la porte avant de hurler :


A moi le château ! Eloin ! La duchesse accouche !
Eloin
Assise... Près du feu, une couverture sur ses épaules, le froid qu'elle sent venir semblant provenir de l'intérieur, et non de la pièce. Les fenestres estaient calfeutrées par ce temps glacial, les feux dans les chambres alimentés régulièrement, pourtant elle avaict tout de mesme froid, comme si nulle chaleur ne pouvait pénétrer son corps...

Se repassant en boucle les dernières semaines, temps de joie pour elle qui avaict célebré son mariage et attendait la venue de ses enfants avec impatience, temps d'inquiétude face aux tourments du comté, temps de colère impuissante contre cette folie qui faisait de cette femme qu'elle avaict tant admiré une simple femme en proie à une faiblesse inimaginable un an auparavant.
Les enfants eux-mesmes regardaient leur mère, avec au fond des yeux cet éclair de pitié qu'elle mesme n'avaict jamais éprouvé. Elle estait triste pour sa dame, certes, triste de la voir ainsi, mais elle n'avaict point pitié. Elle pouvait avoir pitié, la chambellan, mais uniquement de ses ennemis mal en point, pas de ses amis. Et elle s'interdisait ce sentiment qui luy faisaict honte, parce qu'elle ne pouvait point le ressentir. C'estait au dessus de ses forces.

Un éclair dans le ciel jusque-là calme, trop peut-estre. Et puys, une pluie, dilluvienne, s'abbat sur le castel et ses environs. Et un cri, qui la faict revenir à la réalité plus surement qu'un seau d'eau sur la teste.

A moi le château ! Eloin ! La duchesse accouche !

Femme qui se relève sans se soucier de son propre état : celuy de la duquessa primait sur tout, mesme sur sa propre vie, s'il le fallait. Pas rapides jusqu'à la porte de sa chambre, dans le couloir, avant que d'entrer dans la chambre ducale dont la porte vient d'estre ouverte à la volée par une rousse jà affairée. Signe de teste, pas besoin de plus pour la saluer, les retrouvailles auront lieu plus tard, si tout se passe bien...


Que vous faut-il, Cerridwen ? Des gens, des linges, de l'eau chaude ?

Pas ignorante des choses de l'accouchement, la dame de parage. Plus depuys qu'elle avaict aidé la chambellan de Normandie à mettre au monde son fils alors qu'elle venait tout juste de dire "oui" à son Blackney de mary !
_________________
Dame de compagnie de la duchesse
Izarra
Deux mains l'une contre l'autre, l'une gantée et l'autre nue. Une question, une réponse. Et soudain par-dessus l'abîme qui les séparait encore, au-dessus de ce vide entre elles où résonnaient encore reproches et amertume, il se trouve désormais un pont. Non. Une passerelle. Fragile encore, qu'un souffle de colère pourrait bien emporter à nouveau.Mais il n'y a plus de colère chez la brune, plus de rancoeur. La gangue noirâtre qui enserrait leur amitié vient de se rompre, laissant cet inestimable joyau resplendir à sa juste mesure et inonder l'âme de la navarraise d'un sentiment qu'elle n'a pas ressenti depuis bien des mois: l'apaisement.

Elle relâche enfin sa garde, se détend. Inattentive à d'autres signaux, physiques ceux-là. Inattentive? Pas exactement. Elle les a bien remarqué au contraire, ces tressaillements. Cette alternance de serrements et de détentes. Elle sait, trop bien, ce que cela annonce. Et s'en détourne. Tout comme dans ses crises elle fuit la réalité, elle tente à nouveau de fuir ce qui arrive. "Comme si l'on fuyait ce genre de choses" songe-t-elle, amèrement ramenée à la lucidité par une nouvelle contraction, et par la sensation d'un écoulement tiède le long de sa peau.


A moi le château ! Eloin ! La duchesse accouche !

Elle lève vers son amie des yeux de noyée. Une part d'elle, infime, sait qu'elle est chez elle, assistée de serviteurs dévoués, entourée de tout le confort que peut procurer la richesse matérielle. Cette même part d'elle sait aussi avec certitude désormais que la femme qui lui fait face ne l'abandonnera pas. Mais tout le reste de son être épuisé, de son esprit déchiqueté, déraisonne à mesure que les contractions se font plus rapprochées, plus douloureuses. A ces vagues de douleurs physiques, auxquelles peut-être elle pourrait faire face, se joignent d'autres assauts, plus insidieux. Les noirs souvenirs, la folie et ses griffes acérées, la démence et son rire sardonique s'emparent à nouveau d'elle. Elle n'est plus rien, plus duchesse, plus femme âgée pour qui l'accouchement est presque routine. A nouveau, comme dans ses cauchemars, elle se retrouve presqu'encore enfant, quinze ans, enfermée de force dans un couvent rébarbatif. Autour d'elle se pressent des nonnes au visage dur, inamical, presque haineux, qui lui jettent des regards lourds de reproche. Fille perdue, traînée, catin... Ces mots qu'on lui assènent la heurtent de plein fouet, la blessent au plus profond d'elle-même. Et malgré les années écoulées, elle n'est plus à nouveau que cela. Une catin qui accouche d'un bâtard, et à qui les âmes bien intentionnées souhaitent une mort miséricordieuse qui seule, disent-elles, saurait racheter son péché.

Et elle crie, elle s'agite,la brune au regard fou. Insensible pour l'heure à la douleurs physique, encore supportable, elle n'en peut plus de cette torture morale qui la réduit peu à peu en miettes, cherchant désespérement une branche à laquelle se raccrocher avant que le torrent de ses peurs ne l'entraîne et la submerge.
Louise
Deux meschines, devant la porte entr'ouverte, regardant la silhouette d'Eloin mander à la dame -revenue d'on ne savait où- ce qu'il luy fallait.
Louise, la première, se permet un toussotement qui signale de faict leur présence, et saluant Eloin d'un sourire, s'adresse à la dame dont elle aperçoit l'ombre dans l'entrée de la chambre.


Dame, je suys Louise, et voici Marie. Nous sommes à vos ordres !

Court le message, d'autant plus que le visage fermé de la dame de parage n'annonce rien de bon quant à la suite des évènements. Et attente, qu'on les rabroue pour leur audace, ou qu'on leur assigne une tâche, quelle qu'elle soit...
See the RP information <<   1, 2   >   >>
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)