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Ab imo pectore

Cerridween
La rousse lentement défait les ceintures qui la parent.

Le mantel licorne est déjà tombé sur le dossier d'une chaise. Miséricorde rejoint le sol, comme sa dague, son couteau de lancer. Seule sa trousse d'herboriste reste à son côté. Et l'angoisse aussi. Même si elle n'est pas perceptible sur son visage. Ici elle n'a plus rien. Surement quelques potions et herbes oubliées avant son départ houleux quelques mois auparavant. Mais nullement la pharmacopée sur laquelle d'habitude elle se repose. Angoisse. Car la duchesse est affaiblie à souhait. Maigre et fatiguée, elle va devoir supporter un accouchement, ce qui paraît difficile à la rousse. Un frisson se glisse le long de son échine. Elle n'avait que l'espoir que le travail se fasse rapidement, étant donné que la brune en était à sa cinquième grossesse.

La nuit s'annonçait dure.

La porte s'ouvre et apparaît Eloin. Pas mécontente la rousse de la voir arriver si vite. Pas d'interrogations quant à sa présence. Là n'est pas le lieu ni le moment.

Que vous faut-il, Cerridween ? Des gens, des linges, de l'eau chaude ?

Elle s'approche de la suivante et lui murmure en retroussant les manches de sa chemise.

Des gens à disposition. Amener de l'eau chaude à profusion, du savon, des linges, une aiguille et du fil de soie. Et si vous avez quelque part de l'huile de violette et de laurier... amenez également. Dès que tout sera près, j'aurai besoin de vous. Cela peut être rapide comme très long alors hâtez tout le monde et menacez que ce soit moi qui me charge personnellement des retardataires.

Arrivée en trombe dans la chambre de deux chambrières. Le château s'est donc bien réveillé.
La rousse laisse Eloin sur ces derniers mots.

Je vous laisse donner ordres et faire au mieux pour que cela soit préparé au plus vite.

Elle se retourne vers Izarra. Crispée sur son siège. Criant comme une possédée. La petite Elianor avait donc raison, plus qu'elle ne croyait...
Elle s'approche doucement de la brune et la prend dans ses bras pour la forcer à se calmer.


Allons ma douce.... chuuuuuuuut.... tu sais déjà ce qui t'attends... des douleurs, un grand moment difficile. Mais nous ne te laisserons pas seule... je suis là.... je ne pars pas...

La rousse fatiguée se détache un instant du corps distandu et annonce d'une voix calme.

Je vais t'aider à te lever. Ensuite je t'aiderai à enlever ta robe. Puis tu vas aller t'allonger...

Les deux mains se tendent vers elle pour qu'elle les saisissent. Izarra tu n'as pas le droit d'abandonner.
Eloin
Eclair de surprise au fond des yeux de la part de la rousse, auquel elle ne répond pas. Etait-ce un crime que de ne point trouver le sommeil ? Dans son cas, soumises aux multiples inquiétudes qui estaient les siennes, elle estimait que c'estait là une excellente raison.
A moins qu'elle ne se demandait la raison de sa présence à Lesparra alors que sa propre délivrance se rapprochait de plus en plus ? Cela devait estre cela, certainement. Et pour cela elle n'aurait qu'une seule réponse à apporter : le devoir d'assister celle qu'elle considère maintenant comme une mère, qui l'a guidée indirectement dans le chemin qu'elle a pris désormais, et qui l'a conseillée lorsqu'elle estait prises de doutes, au tout début de son mandat de chambellan.
Arrivée de Louise et Marie, et signe de teste pour les saluer. Remerciement silencieux au deux soubrettes d'estre arrivées si vite, en réponse à l'appel de la licorneuse. Leur aide ne serait point de trop visiblement. A voir le visage crispé de la duquessa et les hurlements effrayants qu'elle poussait, cela n'augurait rien de bon pour la suite.
Autant la mise au monde du jeune Hervald Blackney avaict esté calme et rapide, autant cette délivrance là promettait d'estre dure pour le moral des femmes présentes.
Un soulagement, cependant, éclaire son visage d'une mince lueur de gaieté lorsque Cerridwen luy confie avoir besoin d'elle. Pour une fois, sa propre gestation ne consistuait point un obstacle pour l'aide d'une femme preste à mettre au monde sa progéniture.
Hochement de teste en entendant les besoins de son vis à vis, avant que de se retourner vers les meschines, tandis que la rousse s'en va quant à elle tenter de faire revenir à la raison une duquessa en proie à des démons si violents qu'elle mesme en ressentait une certaine peur. Cette lueur démoniaque au fond de ces yeux, elle aurait aimé ne jamais avoir à les voir...


Louise, va en cuisine, mande à Benoist de faire chauffer deux marmittes d'eau chaude. Ensuite tu iras chercher du savon et des linges propres. Prends aussi une petite bassine, pour le lavage des ustensiles et des mains.
Marie, trouve du fil de soie en grande quantité, ainsi nous n'aurons point à refaire un voyage pour cela, et des aiguilles. Et surtout, trouves Margaux ! Son aide sera précieuse !

Et de voir les meschines détaler vers l'étage inférieur au risque de se rompre le cou dans les degrés, avant que de gagner elle-mesme à nouveau sa chambre, et de fourrager dans un petit coffre. Toutes les pousses de plantes qu'elle a pu récupérer dans les jardins de Lesparra et au cours de ses voyages sont conservées là, dans des bocaux soigneusement fermés, à l'abri de l'air et de la lumière, pour mieux les conserver. Il s'y trouve également quelques préparations faites par son amie Lillaka lorsqu'elle luy avaict annoncé son départ pour la Guyenne, en précisant qu'elle mettrait certainement sa progéniture au monde là-bas. Et de trouver, au fond du coffre, une petite fiole à laquelle s'accrochait une étiquette : "huile de violette et de laurier", parmi de nombreuses aultres fioles.

Merci Lillaka, mon amie...

Elle y trouva aussi de l'huile de coriandre, qu'elle prit également au cas ou, ainsi qu'un bocal contenant des pétales de rose pour le bain suivant la mise au monde. Et prit un petit flacon contenant du miel, un autre rassemblant du miel, des roses pillées et du sel, dont il fallait enduire le corps du nouveau-né pour le débarasser du sang de l'enfantement -d'après les explications de Lillaka.
Rassemblant le bas de sa robe pour former une coupelle, dévoilant de fait ses jupons blancs, Eloin y déposa les divers objets et retourna dans la chambre ducale, y entrant véritablement cette fois, tandis que Cerridwen aidait Izarra à se relever.
La dame de parage posa sur une table près de la cheminée -table qui servait d'ordinaire à la duquessa pour écrire- les divers flacons, et adressa un signe de teste signifiant à la rousse qu'elle avaict trouvé ce qu'il luy fallait.

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Dame de compagnie de la duchesse
Izarra
Et soudain elle la trouve, sa branche: deux bras qui l'enveloppent, une voix familière et rassurante qui se fraie un passage au milieu des sirènes hurlantes de ses peurs. "Tu sais déjà ce qui t'attend"... Oh oui je sais ma douce, je sais et cela me fait trembler d'angoisse. Du sang, des larmes, des cris et la souffrance, aigüe, brute, animale. Voilà ce qui m'attend.

Et de fait, la douleur monte avec violence, au rythme des contractions de plus en plus rapprochées. Elle lui tord le ventre, lui noue les tripes, avec une intensité à couper le souffle. Souffle qui se fait haletant, haché, pénible. Impression que l'air ne parvient plus à ses poumons, qu'elle aspire en vain à grandes goulées pour tenter de desserrer ce garrot qui l'étouffe. Incapable de rien faire d'autre que chercher sa respiration, elle se laisse faire, comme une automate, une poupée dénuée de volonté propre. Elle sent, vaguement, les mouvements annoncés par la voix de sa belle-soeur. Elle sent qu'on la met débout, bien plus qu'elle ne se lève elle-même. Elle sent un frisson la parcourir lorsque l'air de la pièce effleure son corps dévêtu de la sombre robe qui le couvrait. Elle sent qu'on la renverse sur sa couche. Lit de plaisir autrefois, quand les corps emmêlés laissaient éclater leurs jouissances. Lit de souffrance aujourd'hui que vient le temps d'expulser d'elle le fruit de ces jouissances passées. Pauvre fruit,non désiré par sa mère, et déjà sans père. Mort le père. Les pères. Morts, tous morts. Mort, le beau troubadour aux yeux de miel, pendu, pendu, pendu. Mort, le chevalier qui éclairait ses jours, tué, tué, tué. Mort l'amant qui réveillait ses nuits, dagué, dagué, dagué. Ronde macabre autour de celle qui tente comme elle peut de donner la vie...

Cris. Douleur. Sang. Mains qui se crispent sur l'étoffe des draps au rythme des contractions qui lui déchirent les entrailles. En finir... En finir...Litanie obsédante, entêtante, en finir avec cette souffrance, cet éternel combat toujours à recommencer. "Tu enfanteras dans la douleur". Pas de doute, la douleur est bien là. Pour le réconfort de la foi en revanche, la brune pourra repasser.
Louise
Un instant plus tard, des pas se firent entendre dans le couloir, ainsi que le souffle de femmes portant quelque chose de lourd. Louise et Marie apparurent, portant ce qu'Eloin avait demandé, et derrière elles suivaient trois meschines portant à grands ahanements une marmitte d'eau fumante.
Sur un signe de Louise, les jeunes filles déposèrent la marmitte près du feu, sur le carrelage de la pièce, après qu'elle eut écarté du pied les quelques fleurs sechées qui jonchaient le sol.
Sur un hochement de teste, elles se retirèrent, prenant soin toutefois de rester dans les parages au cas où. Marie et Louise déposèrent les ustensiles sur la table voisine à la cheminée, là où Eloin avaict posé des fioles, et attendirent en silence, le bon vouloir de la dame rousse, en évitant de regarder la duquessa en pleine souffrance.
Cerridween
Aller Pivoine...
Reste calme. Sois le havre de paix dans le vent qui souffle au détriment de la tempête de ton propre coeur.

Les mains de la rousse délasse avec le plus de rapidité possible la robe noire d'Izarra. Les aiguillettes passent et repassent dans les œillets, chemin sinueux et inverse, pendant que le tissu se détend peu à peu. Peu à peu elle effeuille le tissu sable qui vient avec son aide tomber sur le sol. Avec précaution la rousse prend les bras de la brune en chemise et l'amène sur le lit en l'allongeant sur les coussins.

Ses mains palpent un instant le ventre distendu... le bébé bouge oui... rien d'anormal pour l'instant de ce côté là. Le soupir de soulagement n'est cependant pas de mise. Il y a quelque chose qui l'arrête , la Pivoine noire, quelque chose dans son esprit qui lui susurre qu'il manque ou qu'il y a quelque chose en trop.
Les mains relèvent la chemise et regardent à la recherche d'un signe... qui vient. Du sang... oui du sang entre ses cuisses. Ne pas regarder la duchesse. Réprimer le cœur qui vient de s'emballer. Ravaler le cri qui est lattant.

Attendre... elle ne peut rien faire de plus.
Retour d'Eloin. Avec le nécessaire qui lui avait été demandé.
Presque quelques secondes après, arrivée des deux servantes avec de l'eau portées par d'autres.

Déjà bon point.
La rousse se relève et s'approche de la table.


Eloin, il va falloir si vous le pouvez vous placer derrière la duchesse et lui servir d'appui. Si jamais vous ne vous sentez pas de le faire, demandez à une de ses dames.

Attrapant un récipient et le remplissant d'eau fumante, elle se lave les mains avec du savon. Ses mains s'emparent ensuite de la bouteille d'huile de laurier et de violette, de deux linges et se rapproche du lit. Les contractions sont certes violentes, mais elles ne sont pas assez rythmées...
Les mains de Cerridween cherchent... du sang toujours... elle s'essuie les mains sans qu'Izarra, les yeux clos et les mâchoires serrées par la douleur ne puissant y voir goutte...


Aller courage ma douce....

Le coeur n'y est pas, car trop inquiet... maudit Louvelle... si elle le tenait ce jour...
Eloin
Regard posé sur les gestes de la rousse, tandis qu'elle rassure la duquessa et prend les choses en mains, en digne maistresse de cérémonie qu'elle estait en cet instant. Maistresse visiblement fort inquiète au demeurant, mesme si elle s'efforçait de le cacher aux femmes présentes, et surtout à la première concernée.
Mais pour elle, la dame de parage, il n'y avaict nul doute sur le faict que cette délivrance là ne serait pas aussi simple et rapide que celle à laquelle elle avaict assisté au fief de Montgommery. Cette fois c'estait différent, la joie d'enfanter n'estait point présente, ni dans le regard perdu et les mains cripées de la duquessa, ni dans la froide assurance d'une rousse s'attendant visiblement au pire. Ce pire qu'elle n'avaict jamais voulu imaginer jusqu'à présent luy sautait à la figure comme une évidence, comme si elle l'avaict jusque là dissimulée derrière ses vains espoirs et ses longues heures de prière dans l'oratoire.

Se placer derrière la duquessa, la soutenir... Réflexion à peine esquissée que la décision estait jà prise, pour elle qui avaict tant reçu de cette femme qui à présent souffrait le martyr pour un enfant qu'elle n'avaict nullement désiré.


Je vais le faire.

Quatres mots prononcés distinctement, d'une voix trop calme bien sur, pour montrer qu'elle estait en bonne forme. Mais elle avaict vu pire ces dernières semaines, et ce jour elle se sentait vaillante, aussi elle ferait ce qu'on luy demanderait. Elle ne tenterait point le diable non plus...
Retirant la ceinture de tissu qu'elle portait sous la poitrine, ainsi que le surcot qu'elle avaict enfilé pour affronter le froid, Eloin se déchaussa rapidement et se rapprocha du lit.


Comment dois-je me mettre ?
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Dame de compagnie de la duchesse
Esprit
Le vent se lève à l'extérieur du castel... Vent au son déchirant qu'émettrait une âme damnée en tourment... S'engouffrant à travers les branches dénudés des arbres du jardin, dans ce paysage de désolation hivernale... Rien dans la scène qui se passait ne permettrait de se réjouir... Rien... Un courant d'air s'insinue à nouveau dans le bâtiment...Comme plusieurs mois auparavant... Vent froid...Glacial... Comme la mort... Il ère dans les couloirs, à la recherche d'une pièce ou finir sa course... Et cette pièce sera celle de la maitresses des lieux... Porte qui s'ouvre avec fracas, faisant voler au passage les rideaux, tissus et autre papiers qui seraient présent dans la pièce... Tourbillon qui nait pendant quelques secondes, et qui s'arrêtent au pied du lit, où gît une femme, livide, en compagnie d'autres personnes... Puis le calme... Le silence après cette tempête... Silence pesant... Comme annonciateur de malheur... Malheur qui devait arriver un jour ou l'autre... Ce malheur que peu de gens souhaiterais...

La même illusion qu'auparavant apparaît là ou le courant d'air s'était finalement tu... Une vague ombre d'un homme... De grande stature... Au physique marqué... Il observe la scène... Les protagonistes... Il sourit... reconnaît certains d'entre eux... Des larmes coulent le long de ses joues à leur vue... Il sait... Il sait qu'ils le rejoindront bientôt... Pour certains bien plus vite que d'autres... IL s'approche du petit groupe sur le lit... En fait le tour une ou deux fois... Puis viens se planter derrière celle qui n'avait pas vue depuis... Depuis sa mort... Cette chevelure rousse... bien que ternie depuis le temps... Il la reconnaitrait entre mille... Cette femme qui dans une autre vie avait été sa sœur... celle qu'il chérissait plus que tout... Celle qu'il protégeait de tout... Celle qu'il aimerait encore protéger comme il l'avait fait... Mais il ne le pouvait plus... Du moins tant qu'elle serait encore de ce monde... Il approche son visage de la nuque de sa sœur... Sachant pertinemment qu'il ne pouvait la toucher... Il tente d'humer son odeur... Mais rien ne passait entre les deux mondes... Rien... Hormis les sons, si la personne y était réceptive... Il reste quelques secondes dans cette position... Puis souffle légèrement sur son cou... Cherchant à la faire réagir... Elle bouge... Peut-être un frisson qui lui parcourait le corps... Léger sourire... Il s'approche de son oreille... Et dans un souffle... Prononce quelques mots...

Merci pour tout ce que tu as fait... Et ce que tu fera... Nous t'en serons toujours redevable...

Il attend un moment avant de lui faire face... Il la fixe droit dans les yeux... Ces yeux vert qui avait été sa dernière vision de ce monde... Son ange... Il lui devait tout... Et sa famille aussi... Elle les avait protéger, comme il lui avait demandé... Mais elle... Qui l'avait protégée... Nouveau souffle...

Maintenant... Je serais ton ange... A jamais... Je serais toujours la quand tu en aura besoin...

Il lui sourit une dernière fois... Il ne sais pas si elle l'a entendu... Mais cela ne l'empêche pas d'être enfin heureux d'avoir pu lui dire ce qu'il aurait du avant de pénétrer dans les ténèbres... Il fait volte-face... Et cette fois il se retrouve nez à nez avec son épouse... Livide... Les yeux cernés... Si proche de la mort... Si poche de lui... enfin... Depuis combien de temps errait-il entre les deux mondes dans son attente... Il ne le savait plus... Il tente de passer sa main dans ses cheveux... Mais rien n'y fait... Il continue à passer au travers... Tenter de toucher sa main... Toujours la même chose... Il la fixe dans les yeux...

Mon aimée... Je suis là... Je ne te laisserais pas seule... Pas maintenant... Je serais là pour t'accompagner dans ton nouveau voyage...

Une nouvelle fois il tente de poser sa main sur la sienne... Mais cette fois le contact se fait... La porte entre les deux mondes commence donc à s'ouvrir... Elle le rejoindra...Sous peu... Il en est certain... Il approche ses lèvres des siennes, et lui donne un baiser... Bien funèbre scène que celle-ci... Mais il n'avait pu se retenir... Cela avait fait bien trop longtemps qu'il attendait ce moment... Il s'écarte... Commence à s'éloigner d'elle... Et toujours dans un souffle...

Je t'aime... Rejoins-moi...

Il passe à coté de celle qui fut sa sœur... Laisse sa main effleurer ses cheveux... Puis se met à quelques pas du lit... Cette fois-ci pour observer ce qui se passera... Et attendre le moment propice pour agir... Et l'emmener... Loin...Loin d'ici et de ce monde... Ou tout sera à nouveau possible... Pour eux...
Izarra
S'habitue-t-on jamais? Cinq fois déjà, elle avait enfanté. Cinq fois elle avait cru mourir, déchirée, béante, vidée de son sang et de sa substance. Cinq fois elle avait maudit Dieu, le diable, le destin, les hommes, broyée de souffrance, réduite à un hurlement qui n'en finissait pas. Non. Jamais on ne s'habitue, jamais on n'oublie ces heures qui marquent comme un fer rouge.

Et les heures à nouveau défilent, lentes et douloureuses.... Heures qui pourraient être des minutes, ou des jours. Quelle importance que le temps pour la femme dont tout ce qui reste de force est tourné, absorbé, dans la lutte qu'elle mène?

Contractions qui s'enchaînent, de plus en plus vite, qui lui laissent à peine le temps de reprendre souffle. Halètements. Râles. Cris. Hurlements. Elle hurle, elle hurle à s'en éclater les cordes vocales, elle hurle comme une bête blessée, indifférente au mal qui monte et éclate au fond de sa gorge, comme si des éclats de verre la déchiquetaient à chaque cri, indifférente à cette douleur qui n'est rien face à celle qui lui lamine les entrailles.

Bien peu de choses également ces quelques sensations qui lui parviennent encore au fond de son supplice, et pourtant si précieuses… Celle de deux bras fins et pourtant solides qui l’enserrent et la soutiennent sans qu’elle parvienne à savoir de qui il s’agit, incapable de reconnaître sa douce et fidèle Eloin mais malgré cela pleine de gratitude pour ce réconfort, maigre mais réel, qu’on lui procure. Celle d’une autre présence près d’elle, flottante comme les paroles qui lui parviennent aux oreilles, paroles d’encouragement, d’affection, qu’importe ! En de tels moments, les mots comptent moins que la voix qui les prononce et cette voix-là apaise, autant qu’il est encore possible, la femme écartelée par les affres de l’enfantement.

Un souffle soudain. Réalité? Délire? Elle l'ignore et peu importe au fond, quand réalité et délire se confondent, se mêlent étroitement comme ils le font, lentement mais sûrement, depuis des mois, dans son esprit. Et pour elle ce souffle inattendu a autant d'existence, presque plus, que les présences pourtant réelles qui l'entourent. Un souffle qui un court instant suspend le temps, la souffrance. Un souffle qui éveille en elle un écho lointain, l'écho d'un temps révolu dont l'essence même tient toute entière dans un unique nom...


Raphaël....

Simple murmure, c'est tout ce qu'elle peut encore arracher à sa gorge en feu, à sa voix brisée. Simple murmure qui rappelle douloureusement tout ce qu'elle a perdu, comme un coup de poignard qui lui perfore le coeur. Simple murmure qui jette à bas les dérisoires défenses élevées par Orgueil et Fierté et fait perler aux yeux de la brune des larmes brûlantes. Le rejoindre… Oh, le rejoindre, enfin… Etrange, léger, ténu, si elle en avait la force, elle sursauterait sous l’effet du brusque contact qu’elle vient de ressentir. Folie, folie ! On ne touche pas les morts, démente que tu es ! Elle aurait juré pourtant…

Court répit dans la bataille. L'adversaire, bien vite, revient à l'assaut. Adversaire, cet enfant qu'elle a porté, sans joie, et dont la mise au monde l'épuise. En finir.... Que s'arrêtent ces lames qui la fouaillent au plus profond de son être, ces vagues de souffrance qui menacent à chaque minute de l'engloutir. Il serait si simple de se laisser submerger... Et pourtant.... Pourtant, obstinément, avec tout l'entêtement dont elle est capable, elle lutte, encore. Une lutte qui n’a rien de réfléchi, qui n’est pas même vraiment la sienne. Lutte primaire, animale, exigence viscérale qui l’oblige à puiser dans ses ultimes ressources pour donner la vie, coûte que coûte, fût-ce au prix de la sienne. Contrairement à ce que racontent les niaiseries colportées ordinairement, cela n’a rien de beau, rien de grand, rien d’exaltant. Ce n’est que sang, larmes, et nécessité. Nécessité inscrite dans sa chair même, à laquelle son corps ne peut se soustraire, ne peut que se plier et obéir.

A bout de nerfs, à bout de force, elle s'arc-boute, se cambre sous le mal. Poussée par poussée, lentement, si lentement, par d’infimes avancées, elle parvient… A donner le jour à la chair de sa chair? A expulser ce vampire qui se nourrit d'elle depuis des mois? Dieu seul sait laquelle de ces deux assertions conviendrait le mieux à l’état d’une âme brisée.

Et vient le temps de la décrue. Décrue de l'angoisse. De la souffrance qui d'aigüe se fait lancinante, diffuse et _ miracle _ supportable, infiniment supportable, lui laissant le loisir, rappelée brusquement à la réalité, de tendre l'oreille, en quête d'un vagissement qui lui indiquerait que l'enfant vit...
Cerridween
Gestes immuables...
Déjà faits... refaits...
Après avoir demandé à Eloin de se placer derrière Izarra et de la maintenir sous les bras pour l'aider dans son effort, elle a mit de l'huile sur ses mains lavées...
Elle a palpé...
Encouragé...
Encore et encore...
Essuyé les tempes pleines de sueurs, après s'être levée maintes fois pour laver le linge qui les recueillent dans l'eau claire.
Attendu, patiemment sur le lit, maintenant les jambes de la duchesse écartées...

Les heures s'égrainent augmentant son angoisse... ça ne devrait pas être si long. C'est le cinquième... ça ne devrait pas être si long. Même si le sang a arrêté d'apparaître, elle sent au plus profond d'elle la rousse, l'inquiétude qui lui vrille les tripes. Elle tressaille à chaque contraction accompagnant Izarra du mieux qu'elle le peut. Elle sait... elle sait la douleur. Elle l'a vécue déjà. Dans une clairière, avec une gitane à qui elle devait sa vie et celle de sa fille.
Laïs... La petite frimousse qu'elle avait mis au monde et qui avait tout d'un coup rempli sa vie d'un autre sens.
Mais le temps n'était pas aux souvenirs, ni aux espoirs futurs. Il était au présent, vif, vibrant, intense, douloureux...

La porte de la chambre s'ouvre dans un courant d'air violent. Le vent s'arrête près du lit faisant voler les courtines...

Fermez cette porte !

La rousse se retourne vers la lit après avoir crié son ordre à l'adresse des suivantes. Les sinoples reviennent rivées sur la duchesse écartelées...
Un frisson parcourt son échine...
Une présence... elle sent quelqu'un. Elle se retourne... mais rien... rien que le vide du lit et des courtines dont les pans s'offrent en cascades figées à ses yeux qui cherchent un instant... elle aurait cru... C'était comme une caresse... lointaine... contre son cou et son oreille. Pourquoi son coeur s'est emballé ? Comme réveillé par un souvenir... un souvenir heureux... comme si la glace d'un coup venait d'exploser dans sa poitrine.
Elle secoue la tête et se retourne vers Izarra qui vient de se tordre sous l'effet d'une nouvelle contraction.
Et de nouveau, ce battement de coeur à contre temps... un contre temps douloureux. Le souffle coupé un instant.. apnée... pourquoi ces larmes qui montent, lentement, au coin de ses yeux. Pourquoi d'un coup le gouffre béant qui s'ouvre, qui s'étend sous ses pieds, ce manque, impétueux et violent. Elle n'a pas senti cela depuis... depuis... et une larme s'écoule, goutte de chagrin, le long de la joue couleur craie. Elle voyage un instant, la perle d'eau, le long de sa peau, s'attarde un instant sur son menton avant de mourir dans la laine de son doublet près de son cœur, ne laissant aucune trace sur le noir du tissu.

Un nouveau cri la ramène sur terre.
Les contractions sont maintenant à leur paroxysme.
Et un instant Izarra ouvre les yeux... deux yeux fous qui d'un coup deviennent calme comme une mer d'encre et regarde devant elle en frappant la rouquine de plein fouet de ce regard limpide.


Raphaël...

Les larmes ont afflué sur le visage déformé de la duchesse... et Cerridween reste un instant immobile, changée en statue de sel par son regard de gorgone. Le temps suspend son vol une fraction de seconde pendant que la rousse perdue regarde sa vieille amie...

Puis violent il reprend son cours pendant qu'elle rejette sa tête sur l'épaule d'Eloin et hurle de nouveau.
La rousse baisse la tête...


Ma douce, courage ! C'est presque fini... je vois l'enfant !


Ses mains se portent entre les jambes de la brune à l'agonie... peu à peu le petit être arrive... des cheveux bruns....
Une nouvelle contraction... une suivante...
Et la rousse tient l'enfançon dans ses bras qui hurle son désaccord d'avoir été si violemment poussé dans ce monde de lumière et de bruit...

Ma douce c'est un garçon...

Lentement la rousse l'emmaillote dans l'un des linges qui se trouvent sur le lit et le pose délicatement sur la poitrine d'Izarra...

Vous pouvez sortir du lit Eloin... reposez vous...

La voix de la rousse est fatiguée, éteinte, encore secouée... la lutte n'est pas finie. Surtout que s'écoule de nouveau du sang....
Eloin
Esprit figé dans l'attente de l'ordre de la rousse, qui de fait ne tarde point à venir, de mesme que son exécution. Sous l'oeil attentif et un tant soit peu inquiet de Louise, elle monte enfin sur le lit et se place derrière la duquessa, preste à soutenir les assaults de ce corps qui ne s'appartenait plus. L'esprit de la navarraise luy appartenait-il encore un petit peu, en cet instant critique ?

La suite des évènements luy apporta une réponse qui luy cingla le visage pire qu'une gifle. Une révélation à laquelle elle s'attendait un peu, mais qui brisa le reste d'espoir que son coeur entretenait en secret, et qui l'avaict aidée à regarder ce qu'estait devenu sa dame au cours des dernières semaines.
Un vent violent s'engoufra dans la chambre faisant frissoner la dame de parage et, faict étonnant, apportant un peu de calme et de réconfort à la duchesse. L'ordre tonné par la rousse fut immédiatement exécuté par une Marie tétanisée par ce qu'il estait en train de se dérouler dans la chambre ducale, comme si elle avaict compris, du hault de son jeune âge, la tragédie qui s'annonçait. Comme si elle avaict deviné que tout cela ne pouvait plus avoir de fin heureuse, qu'il estait trop tard pour les miracles...
Eloin échangea un regard avec Louise, luy ordonnant de se tenir preste à obéir au prochain ordre qui tomberait. Il faudrait certainement apporter nourriture pour la duchesse, et lait pour l'enfançon si elle ne pouvait point le sustanter elle-mesme.

Raphaël... Ce mot prononcé par celle qu'elle soutenait la fict reporter son attention sur la scène à laquelle elle participait bien malgré elle, comme si un coup de tonnerre venait de pénétrer dans la chambre. Le duc... Ou plutost son esprit, estait-il dans la chambre ? Elle estait croyante, elle adorait Aristote et Christos à chacune de ses prières, mais certaines manifestations des esprits ne pouvaient point la tromper sur les choses qui existaient et que certains taisaient. Le cas du possédé qui avaict failli la violer à Noirlac estait gravé en sa mémoire comme une preuve vivante de ces âmes qui ne trouvaient point preneur ni au paradis, ni en enfer, et qui revenaient hanter les vivants jusqu'à ce qu'ils atteignent leur but. Mais quel estait le but du défunt duc, en ce cas ?
La réponse s'imposa à elle aussi clairement qu'elle intima silencieusement à son esprit de se taire.


Ma douce c'est un garçon...

Sourire qui parvient à chasser les noires pensées qui s'estaient emparées d'elle en cet instant, avant que de reporter son regard sur le petit estre vagissant entre les bras de la rousse.
Et, tandis que la rousse la relève de sa fonction, elle murmure quelques mots à l'adresse de la duchesse qu'elle a aidé à s'allonger dans le lit.


C'est bien, duchesse. Vous avez enfanté d'un fils...

Des mots guère réconfortants, certes, mais ce serait peut estre les derniers qu'elle dira à sa dame, et cela luy brise le coeur et luy faict perdre ses moyens, elle qui d'ordinaire sait toujours quoi dire en fonction des circonstances...
Elle quitta le lit, prenant soin de ne point faire de gestes brusques, ces instants de soutien de la duchesse ayant éveillé en son ventre une légère douleur qui avaict tendance à l'inquiéter. Elle avaict jà eu ces douleurs dernièrement, lorsqu'elle forçait trop, certes. Mais là c'estait différent. Comme si son corps luy lançait un cri d'alarme, comme s'il voulait la prévenir que son tour viendrait bientost...
Debout, elle remit ses mules et se dirigea vers la table ou reposait une bassine d'eau chaude, et, après avoir lavé ses mains par principe de précaution, elle trempa un linge dans de l'eau fraische, et l'essora avant que d'aller le poser sur le front de la duchesse. Elle aurait du quitter la pièce, laisser la suite se dérouler sans elle, mais elle ne pouvait point. Quelque chose la retenait dans cette chambre, sans qu'elle sache quoi...

Alors, assise sur le lit, ayant faict signe à Marie d'approcher la petite bassine emplie d'eau frasiche et de la poser sur un tabouret près du lit, elle se chargea, à intervalles régulier, de réumidifier le linge, tout en veillant à ne point déranger le travail d'une rousse qui luy semblait éreintée et à bouts de nerfs. Qu'avaict-elle vécu, depuys qu'elle avaict quitté Lesparra et renoncé à sa terre ?


Louise, va annoncer la nouvelle dans le castel...
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Dame de compagnie de la duchesse
Izarra
Un fils... La duchesse replie lentement ses bras et les referme sur la minuscule chose tiède et vagissante qu'on lui a posée sur le ventre. Un fils... Mais il n'est pas temps de se consacrer à cette petite créature. La douleur a beau s'être atténuée, elle est toujours là, rappelant que les choses ne sont pas encore achevée. Pour les mener à terme, il va falloir serrer les dents et fournir encore un effort. Tenir, encore un peu, malgré l'épuisement qui la gagne... Longues minutes de lutte, à nouveau, avant d'atteindre enfin la délivrance, si bien nommée. Visqueuse, gluante, mais bienheureuse délivrance, qui relègue enfin la souffrance, lancinante tout de même, au second plan, ramenant au premier ce petit corps frémissant de vie qu'elle sent contre elle. La brune se force à résister à la torpeur qui l'envahit peu à peu pour se concentrer sur cet être tout neuf.

Son fils.

Vaut-il tout ce qu'elle a enduré, cet enfançon? Question oiseuse, maintenant qu'elle le tient entre ses bras. Non qu'elle se sente déborder d'amour pour lui. La navarraise n'a jamais montré beaucoup d'inclination pour l'amour maternel. Ou l'instinct, nommez-le comme il vous plaît. Le seul instinct qu'elle ressent, profondément ancré dans sa chair, c'est celui de possession. * Son * fils, à elle. Rien qu'à elle, encore pour quelques instants, avant qu'on ne le lui arrache, qu'on coupe ce cordon qui les lie, qu'elle ne perde une partie d'elle-même.

Rien qu'à elle? Oui, puisque lui n'est plus. Qu'aurait-il dit, ressenti, l'insaisissable père, face à la naissance de cet héritier? Elle l'ignore. Les époux terribles ont échangé bien peu de choses pendant leur éphémère vie commune, et certes pas leurs impressions, émotions et autres états d'âme. Ils sont restés assez parfaitement étrangers l'un à l'autre pour qu'elle ne sache imaginer comment il aurait pu réagir. Elle hausserait les épaules, si elle en avait la force. Comment? Indifférence, probablement. Vague fierté peut-être, à l'instar de tout mâle face à sa descendance, comme si leur maigre contribution pouvait se comparer à ce qu'endurent les femmes pour devenir mères. Sans doute rien de plus. Vaines spéculations de toute façon.

Etreinte maternelle qui se resserre, bras qui impulsent un léger mouvement, un bercement, tandis que ses lèvres s'entrouvrent sur un souffle.


Un fils... Mon fils... Faran...

Silence qui retombe, bercement qui s'interrompt. Ces modestes gestes suffisent à saper le peu de forces qui lui restent.
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