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[RP] Les félins sont tous issus d'une seule et même famille.

Gnia
Depuis qu'ils avaient quitté Tarbes, Agnès, d'humeur taciturne, s'était renfrogné dans un silence qu'elle ne coupait que pour répondre brièvement aux conseils et suggestions du Basque qui les guidait. La nuit avait été courte, ponctuée comme à l'ordinaire de cauchemars et le réveil n'avait apporté aucun soulagement. Elle avait été prise de violentes nausées, qui couplées au manque de sommeil, avaient eu raison de ses dernières forces, avaient ourlé ses yeux de larges halos sombres et continuaient de l'inquiéter quant à ce qui avait bien pu les provoquer.

Aussi lorsque le petit groupe qui constituait son escorte bifurqua vers la maison de vigne non loin, elle y vit là une aubaine pour tenter de prendre un peu de repos. Elle s'imaginait déjà s'étendre dans la fraîcheur de la maisonnette où il y aurait surement un providentiel tas de paille ou s'assoupir un instant à l'ombre d'un arbre. A peine descendue de sa monture, elle avait aussitôt farfouillé avec fébrilité dans son bissac à la recherche de sa cape pour lui tenir lieu de couverture. A dire vrai, elle n'avait même pas véritablement écouté ce qu'Iban lui avait dit, se contentant de hocher la tête à ses suggestions.

Pourtant, lorsqu'elle l'entendit apostropher quelqu'un, elle se tourna vivement vers l'intruse avant de reprendre ce à quoi elle était occupée avant, rassérénée et par le faciès ridé qu'elle avait aperçu et par l'attitude confiante du Basque.

Mais, lorsque la voix chevrotante l'interpela, elle sentit soudain un frisson glacé lui dévaler l'échine et sa peau se hérisser en chair de poule. Comment diable l'antiquité connaissait-telle son nom ? Et celui du Basque ? La vieille transpirait la sorcière à des lieues et dès lors, avait ressurgi des tréfonds de l'inconscient d'Agnès une frayeur incontrôlable, viscérale qui la fit lentement se retourner et poser sur elle un regard aux pupilles étrécies de peur.

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Iban
La superstition était de loin le dernier des défauts que l’on eût pu reprocher à Etxegorry. Cependant, lorsque la vieille se mit à parler, le Basque eut la pensée amèrement ironique qu’il aurait sans doute mieux fait de suivre plus régulièrement l’enseignement catéchétique du curé d’Aramitz, que petit, il avait eu l’habitude de manquer au profit d’escapades dans les montagnes et de combats entre clans de mauvais garçons de son village. S’il tenta de garder la tête froide et une allure incrédule, cette intrusion de surnaturel dans son univers parfaitement rationnel de mercenaire désabusé eut l’effet d’un désagréable réveil à l’eau froide. Il connaissait fort bien tous ces contes qu’il avait entendu racontés mille fois par les anciens lors des veillées au sujet des sorginak, ces créatures malicieuses au service du Sans Nom. Ces histoires de bonnes femmes ne lui avait pas fait grand’peur à l’époque. En croiser une était bien la dernière chose à laquelle il s’attendait. Peut être avait il tout simplement mal entendu son discours ?

« Que fais tu si loin d’Euskadi, sorgina de malheur ! Pourquoi ton maître t’envoie t-il si loin de nos vertes contrées ? Que sais-tu donc qui puisse nous être profitable ? Parle maintenant, nous t'écoutons !»

Cet entretien lui paraissait à mesure qu’il parlait des plus absurdes. Cela ne se pouvait… Etait-ce lui qui répondait de la sorte comme les cavaliers des légendes à une sorcière de la lande ? Sottises et niaiseries que tout cela ! Ses sens l’abusaient, voila tout… une illusion, rien de plus…et à le voir délirer de la sorte, la Saint Just devait se gausser. Le regard de la sorgina pourtant semblait transpercer chair et esprit. Il détourna les yeux de ce regard effrayant, ne pouvant le supporter plus longtemps. Derrière lui, Agnès, les yeux écarquillés de frayeur, ne riait pas.
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--Sorgina
Continuant à darder sur les deux compères un oeil luisant de mauvaiseté, la vieille rétorqua vivement.

Ce que je fais? Peut-être bien que je t'attendais mutiko...

S'appuyant sur sa méchante canne, la sinistre s'approcha à pas lents, se délectant visiblement de la situation.

Profitable? Qui te dit que ce sera profitable?

Elle garda un long moment le silence, mettant à rude épreuve les nerfs des deux voyageurs, puis brandit sa canne en un geste menaçant.

Berezko ! Berezko ! Berezko ! s’écria-t-elle soudain avec un ton qu’on aurait dit sorti d’outre-tombe.

Depuis qu’Amalur a enfanté Ilargi et Eguzki, ses deux filles, depuis que les Laminak peuplent les royaumes souterrains d’Euskadi, mon maître Akerbeltz règne en souverain sur les hommes. Malheurs à ceux qui ont droit à sa préférence, malheur aux disciples de Mikelats ! De son désir terrible, aucun kutun ne peut les préserver. Il en est trois qui sont particulièrement chers à son cœur.

Elle entama alors une affreuse comptine, relevant un doigt à chaque couplet de sa prophétie pour mieux compter les trois personnages de cette fable.

Katamotz, aveuglé par l’étoile, se laissera bercer sous le signe du loup. Le souffle sulfureux de la salamandre ne l’a pas assez échaudé, le pauvre, et
l’appel des filles de Jaun Zuria le jettera dans les affres du doute et de la solitude. Qui sait ce qu’il fera, abandonné de tous ? Cela sera sans doute plaisant à observer…

Otsoa est perdue entre sa volonté de grandeur et son désir de passion. Ses fruits seront dévorés par le lion et ses pleurs écarlates ne pourront faire renaître ce qui sera à jamais perdu. Elle errera dans les brumes du begizko jusqu’à ce qu’un sang nouveau lave le sang souillé. Que de sang ! Que de sang !

Lehoixu quant à elle, à la crinière si noble et à l’allure si fière, perdra bientôt la moitié de son soyeux pelage, qui sera la part d’Akerbeltz. Si elle entend conserver l’autre part, il n’y aura d’autre choix pour elle que de la plonger dans les eaux les plus sombres pour la teindre de noir jusqu’au jour de sa mort.

Elle s’arrêta un instant ses yeux brillants fixés sur le Basque

Nos trois petites marionnettes vont s’entredéchirer sans le savoir dans la Cité des Saules où Kixmi sera bientôt crucifié une nouvelle fois. Tout ce qui a été promis sera accompli de leurs propres mains… et de celles d’Akerbeltz.
Qu’il entende, celui qui a des oreilles !

Esana esan, emana eman

Et la sombre vieille acheva sa macabre prédiction en ricanant.
Iban
[Le soir venu]

Quelle journée !

Assis à proximité des braises mourantes, le Basque observait pensivement le paysage des alentours qui tendait à se fondre avec l’horizon en une même obscurité. Le soleil venait de disparaitre derrière les collines et le ciel n’était de ce fait pas encore tout à fait sombre. Les étoiles les plus lumineuses étaient cependant déjà visibles. L’air s’était rafraichi et une brume légère couvrait le fond de la vallée de son blanc duvet. Les chouettes commençaient à discourir de leurs hululements plaintifs. La nuit et son cortège de fraîcheur et de calme apportaient aux cinq voyageurs les conditions de repos fort agréables dont ils avaient bien besoin. Après s’être rassasié d’un lièvre et de quelques oiseaux, la petite troupe éreintée ne songeait plus qu’à dormir. Agnès et deux de ses gardes s’étaient déjà allongés, emmitouflés dans leur longues capes sous un vaste tilleul dont les branches humides exhalaient en cette fin de journée leur suave parfum. Quant au troisième des soldats, il avait été chargé de veiller jusqu’au minuit, après quoi on le relaierait. Iban quant à lui, ne parvenait à trouver le sommeil. Ses pensées restaient prisonnières des sinistres prédictions de la vieille.

Katamotz, Otsoa et Lehoixu… Lynx, Louve et Lyoncelle… de ces trois personnages, Iban n’en connaissait qu’un seul. « Le Lynx » était le surnom qu’on lui donnait souvent du fait de son regard perçant et de son profil qui avait quelque ressemblance avec celui dudit félin. Le reste de la prédiction qui semblait le concerner était des plus hermétiques. Que venait faire dans sa destinée le signe du loup ? ou les filles du Seigneur Blanc ? Une fois de plus, l’idée que toute cette scène ait été une vaste mascarade lui vint à l’esprit. Cependant, il en était certain, elle l’avait appelé par son nom et elle avait évoqué le souffle de la salamandre, aussi connaissait-elle peut-être son triste passé et sa fâcheuse rencontre avec la Vicomtesse d’Avize. Faisant un effort, il chercha en sa mémoire les ancestrales bénédictions qu’on lui avait apprises pour se protéger du mauvais œil, le begizko, et des malédictions d’Akerbeltz le Sans-Nom. En vain… Il s’en voulu de céder ainsi aux affabulations superstitieuses des vieux et des bonnes femmes de son pays. Toute cette histoire était à dormir debout !

Le Basque ôta le gant qui couvrait sa main gauche. Ses deux griffes de métal lui causaient une douleur lancinante à chaque fin de journée. De deux coups secs, il les ôta et les rangea dans sa besace, puis d’un pan froid de sa cape écarlate, il apaisa la meurtrissure de ses moignons de doigt. Avivées par le souffle irrégulier du vent, les braises avait fait naître quelques petites flammes qui consumaient deux dernières branches à moitié noircies déjà. Remâchant ses sombres pensées, Etxegorry fixa son regard fatigué sur ces danseuses graciles et chamarrées qui rongeaient en crépitant le bois sec. Bien que les yeux fascinés du mercenaire ne puissent se fermer sur ce mouvant spectacle, son esprit fatigué se trouva bientôt embrumé en un demi-sommeil. Le bruit des pas qui se rapprochaient derrière lui interrompirent sa torpeur. Il tourna la tête pour identifier celui qui approchait.

« Le sommeil ne vient pas, Comtesse ? »
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Gnia
Agnès avait attendu non sans impatience le moment où viendrait la nuit et avec elle, le repos et, qui sait, peut être un sommeil qui lui permettrait de chasser le malaise qu'avaient instillé les paroles de la vieille rencontrée plus tôt. Tout le reste du jour durant, elle avait cherché à en deviner la signification, chassant parfois d'un claquement de langue agacé cet événement qui ne pouvait pas être réel, se murant dans un silence inquiet lorsque le ricanement de la sorcière résonnait à nouveau dans sa tête, lui rappelant que ce qu'elle avait vu et entendu n'avait rien d'un mauvais rêve.

Aussitôt le souper avalé, la Saint Just s'était allongée, blottie contre le tronc d'un tilleul, enveloppée de sa cape et elle avait appelé le sommeil de tous ses voeux. Elle était épuisée et souffrait depuis plusieurs jours d'une fatigue le soir venu qui ne lui était point coutumière. Elle aurait rêvé pouvoir s'assommer d'une infime portion de thériaque et son effet salvateur. Envie de rien, plus aucun désir, plus de souffrance, plus de douleur, juste rien, le néant. Mais le contexte ne se prêtait nullement à ce type d'abandon. Bon gré mal gré, elle s'enfonça petit à petit dans l'inconscience d'un sommeil léger et tourmenté, ballotée plus que bercée par les bruits de la nuit.

Le sang. Elle avait parlé de sang. Du sang, toujours lui, omniprésent, étroitement lié à la terre, son linceul. Son goût douceâtre dans la bouche, l'odeur de terre, violente. Le sentiment de se noyer, de sombrer, qu'à chacune de ces tentatives pour trouver une bouffée d'air, elle ne respire que du sang. Et de la terre.
Le front en sueur, Agnès ouvre les yeux sur le feuillage de l'arbre au dessus d'elle et tente de discipliner une respiration chaotique. Le réveil salvateur l'a libéré pour un temps de ses démons. Mais il est désormais clair que le sommeil ne viendra plus.

Elle n'est point la seule à qui Morphée refuse ses bras. Là, près des flammes dansantes du feu de camp, le Basque. La Saint Just se lève discrètement, saisit dans son paquetage une outre de vin et s'approche.
Sa question n'appelle pas vraiment de réponse. Alors, elle s'assoit en silence près de lui, s'octroie une grande lampée de vin qu'elle boit à même l'outre et se laisse hypnotiser elle aussi par le ballet des flammes. Enfin, la voix rauque de la comtesse échappe un murmure tandis qu'elle tend à Iban l'outre de vin.


Il ne viendra plus.

S'égrènent de longues minutes de silence, interrompues seulement par le craquement du bois qui se consume, avant qu'elle tourne enfin la tête vers lui. A cet instant, la Saint Just n'a plus rien de la noble fière et hautaine au regard chargé de dédain. Son visage transpire son tourment, son regard n'est que désarroi.


Si vous avez compris ce qu'elle voulait dire, je vous en conjure, expliquez-le moi.
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Iban
Le Basque but lentement le doux breuvage qu’Agnès lui proposa. Le vin, par cette froide nuit, réchauffa opportunément son gosier sec.

« Je connais tous ces noms qui sont ceux de ma langue. Quant à l’interprétation de ses mots, je ne puis vous en apprendre beaucoup… ils m’ont paru bien peu compréhensibles… »


Il se remémora une nouvelle fois les paroles de la vieille. Elles s’étaient inscrites en lettres de feu dans son crâne fiévreux.

« Katamotz signifie « lynx »…c’est ainsi que l’on me surnomme. Voyez comme mon sort est prometteur… la solitude et le doute… »


Un sourire amère déforma légèrement les lèvres du mercenaire.


« Otsoa désigne la louve et Lehoixu la petite lionne. Je ne sais à qui elle faisait référence… Mais l’une des deux prédictions doit vous être destinée, Comtesse, j’en ai bien peur… puisqu’elle s’est adressée à vous. Met avis que vous devez être une louve : à la fois douce et dangereuse…cela vous ressemble fort, n’est ce pas ? » continua-t-il, tournant la tête vers le visage défait de la Comtesse, avec un sourire interrogateur.

La plaisanterie n’était pas du meilleur goût en cette nuit oppressante, et elle ne parvint pas à égayer la mine sombre de la Saint Just. Iban ne savait que faire pour réchauffer leurs deux cœurs glacés par le regard de la vieille qui depuis cette rencontre funeste semblait continuer de les sonder inlassablement.


« Il faut cesser de se tourmenter outre mesure à présent, ou nous finirons par devenir tous deux fous. Puisque, semble-t-il, nos destins sont inéluctables, mieux vaut ne point y songer… S'échiner à vouloir les éviter serait bien vain et ajouterait aux souffrances auxquelles nous avons été condamnés la peine d’en chercher fébrilement le remède, qui, si les dires de la vieille sont vrais, n’existe point. Si, je vous le concède, cela est bien difficile ce soir, tâchez tout de même de n’y plus penser. Mieux vaut profiter du temps qu’il nous reste avant l’application de nos sentences, ne croyez vous pas ? »

Le sourire qu’il lui adressa se voulait à présent doux et rassurant. Elle resta silencieuse, perdue dans les méandres de ses sombres pensées. De sa main mutilée, le Basque frictionna vigoureusement le dos d’Agnès qui, malgré l’épaisse cape qui couvrait son corps éreinté, grelottait.

« Vous tremblez de froid. » constata-t-il « Allons reprendre nos force à présent, voulez vous ? La route est encore longue jusqu’à Montauban, et nous ne sommes pas à l’abri de nouvelles déconvenues. »

Alliant le geste à la parole, il se leva et tendit un bras à la Comtesse pour l’aider à se hisser sur ses pattes. Tous deux regagnèrent le tilleul sous lequel reposaient leurs compagnons de route, et s’allongèrent à leurs côtés. Avant que de fermer ses paupières trop lourdes, le Basque observa silencieusement le scintillement irrégulier des étoiles au travers du feuillage de l’arbre protecteur.

Comment s’imaginer qu’Akerbeltz le Sans-Nom soit à l’œuvre par une nuit si tranquille ?

Katamotz…Otsoa…Lehoixu…

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Varden
Mauléon, le soir. Tard ...

Seule une veilleuse demeurait désespérément allumée dans la demeure d'Arezac en cette nuit si noire de fin d'été béarnais. Valère restait attablé à son bureau et tentait désespérément de rédiger un manuscrit ... Une lubie ... Celle d'écrire des mémoires, que son nom perdure, qu'une trace persiste, comme si le temps, les mémoires estompaient trop le souvenir d'un homme qui n'avait finalement réalisé que peu de choses durant sa courte vie ...

L'heure était donc à l'écriture, aux pensées sombres d'une nuit sans lune, à l'oubli perpétuel que le lendemain tout reprendrait comme le quotidien l'ordonnait ... Et même pire dans les jours à venir sans doute.

L'heure était donc de mauvaise augure ... Et le pire oiseau de malheur , annonciateur de mauvaises nouvelles, avait choisi de venir lui rendre visite ce soir. Entendant ses pas, Valère étouffa à peine un soupir avant de se retourner et de se lever pour aller à sa rencontre.


Par Saint-Volusien, Espaing, que fais tu ici ?

L'homme au nom illustre, d'âge moyen inclina légèrement la tête en face du Comte, pliant genou devant celui qui chaque jour subvenait à ses besoins vitaux.

Mauvaises nouvelles. Comme à l'accoutumée, Votre Grandeur.

"Il" est de retour.


Varden blêmit, ressentant un tressaillement au plus profond de lui-même, comme s'il n'y avait pire nouvelle qu'on eut pu lui annoncer. Il savait de qui Espaing parlait évidemment. Il n'y avait personne d'autre que "lui" ...

Impossible ! Impensable !

Pendant que le Comte entamait une marche effrénée en forme de boucle au beau milieu du salon, l'homme de confiance béarnais se releva, hésitant avant de prendre la parole de nouveau ...

Jour de Dieu, Espaing ! Ce n'est pas Dieu possible ! En es tu sûr ? L'as tu vu de tes yeux ? Vu comme tu me vois ce soir !

C'est tout comme, Coms Varden, Astim qui longtemps avait suivi sa trace avant de le perdre au-delà de Mortagne ... Astim l'a vu et c'est de sa main qu'il m'écrit cette nouvelle que je vous porte en cet instant !

Un verre vint se briser sur le sol pierreux de la demeure mauléonaise.

Par tous les saints, ne serait-il donc pas humain ? Pour revenir chaque fois plus vivant que jamais !

On me l'avait dit mort ! On me l'avait conté trépassé ! Espaing ! Répare cette folie, Détruis cette souillure ! Seule sa mort a un goût que le monde saurait apprécier !

Crois moi, c'est là notre fléau, c'est là aussi notre chance. Que l'on lave la mesnie d'Arezac de la crasse que cet irrévérencieux personnage représente !

Rejoins Astim ! Emmène Tristan ! Va, cours, tue ton destrier s'il le faut mais achève le ! Et assure toi qu'il n'ait pas la mauvaise idée d'user d'une nouvelle vie dans quelques mois !


La colère était plus grande encore qu'à l'heure où Niria et Agnès s'étaient retrouvés au sommet du donjon de Pau, la rancoeur plus tenace.

Iban Etxegorry, il le maudissait encore, encore ... et encore !

Qu'il crève, entouré par les rats de son espèce, dévoré par les pires charognards qui soient ! C'était le seul destin qu'il méritait de subir ! C'était là son unique avenir et il avait pris un rendez-vous pour un bond rapide vers une fin précoce mais désirée !

Assassin, meurtrier, empoisonneur, manipulateur ... Aucun superlatif ne correspondait assez bien à l'homme, à la bête ...

Iban, c'était le crime incarné, sous la pire forme qui soit ... Son filleul devant Dieu, devant Christos et Aristote ... Puisse-t-il subir toutes les calamités du monde avant de trépasser ... Car déjà Espaing était parti, Valère errait désormais seul, du verre brisé saignant ses pieds à même le sol. Alors, il sortit, accompagnant du regard le fidèle Espaing et le jeune et fougueux Tristan qui déjà s'éloignaient dans la nuit à brides abattues.


Et qu'il implore ma pitié ! Qu'il pleure et qu'il se parjure ! Mais seul son sang répandu sur les lourds pavés d'Armagnac ou d'ailleurs nettoiera son passé de pêchés et de cruautés ! Que sa seule rédemption soit dans la mort ! Vous m'entendez ?! Dans la mort !!!

Les cris de Varden ne trouvèrent pas écho sur les cavaliers partis au loin sur la route d'Orthez, puis d'Armagnac, ils ne trouvèrent pas écho non plus dans la quiétude du bourg de Mauléon.

Le lynx était loin, il s'échappait encore, mais la traque était lancée, la chasse ouverte et il y aurait du félin à souper pour bientôt ...

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Iban
[Le lendemain]

En la fin de matinée de leur deuxième jour de voyage, ils arrivèrent à Lectoure. C’était jour de foire en la cité des comtes d’Armagnac et une foule bruyante et bariolée se pressait autour des étals pour tenter de débusquer les produits les plus frais, les étoffes les plus soyeuses et les bijoux les plus reluisants. On négociait et pinaillait à grosse voix et les balances des marchands qui étalaient là leurs chargements venus de tous les villages d’Armagnac n’étaient jamais vides. Cette concentration d’escarcelles remplies et d’échanges d’écus sonnant et trébuchant était une opportunité d’importance pour les chapardeurs de tous poils. Iban, à qui ce triste métier n’était pas étranger, crut en distinguer quelques uns : un gamin d’une douzaine d’années qui trancha l’aumônière du ceinturon d’une bourgeoise trop occupée à vérifier que les étoffes fussent de bonne qualité, un homme plus vieux qui chipait quant à lui directement à l’étal, un faux mendiant qui grâce une habile torsion de la jambe jouait les infirmes. Au coin de la grand’place, une troupe de baladin crachait le feu au son d’une mandore et de quelques pipeaux.

L’on pouvait trouver là toutes sortes d’articles. Un marchand exhibait, en les ventant de sa voix rocailleuse, toutes sortes d’épices multicolores et savoureuses venues pour la plus part du lointain Orient. Un peu plus loin, un forgeron expliquait aux badauds impressionnés les vertus d’une lame à la fois légère et mortelle qu’il venait de forger selon la mode arabe. Il y avait également beaucoup de tisserands, d’orfèvres, de savetiers, de chapeliers, de poissonniers et de bouchers, d’apothicaires, de fermiers et de vignerons en tout genre qui juraient tous à qui voulait l’entendre qu’on ne pût trouver de meilleurs produits à Lectoure voire dans tout le Royaume de France que sur leurs propres étals.

Les cinq voyageurs avaient déposé leurs montures et leurs effets à l’Auberge des Trois Jars pour profiter quelque temps de l’atmosphère festive de la foire. Agnès comme ses gardes avaient substitué aux couleurs de la mesnie Saint-Just des habits bourgeois pour mieux passer inaperçu dans la populace. Iban quant à lui, avait gardé ses frusques anodines. Le mercenaire appréciait fort l’animation du vaste marché où l’on se bousculait avec bonne humeur.


« Ma foi, cette étape est plaisante. Si notre voyage l’avait permis, j’aurai commercé ici : les prix sont bien meilleurs qu’à Montauban. Mais puisqu’il nous faut voyager légèrement…» dit il à la Comtesse tout en chipant une olive parfumée qui marinait avec ses consœurs dans une vaste jarre sur un étal à portée de main. « Cela dit, la vie est fort paisible à Montauban, trop paisible sans doute… presqu’ennuyeuse. Mais fort heureusement, les querelles religieuses commencent à y instiller un peu de venin et de fiel. Voila qui promet d’égayer un peu la vie de notre bonne ville. »

Il recracha le noyau du fruit de son larcin.

« Qu’est ce donc d’ailleurs qui vous amène à Montauban, Comtesse ? Vous ne craignez donc point de vivre cernée par les hérétiques ? »
lui demanda t-il d’un ton narquois.
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Gnia
Après le calme inquiétant des chemins et les rencontres étranges que l'on y faisait, l'activité bruyante de la ville en ce jour de foire sonnait comme une résurrection.
Agnès avait toujours été fascinée par la ville, son lent réveil dès l'aube, le claquement des volets des maisons et échoppes qu'on ouvre, le chant des matrones sur le chemin du puits, le rire des lavandières en partance pour le lavoir ou la rivière, les roues des carrioles grinçant sur le pavé, les derniers beuglements d'ivrognes que la maréchaussée tentait d'embarquer. Tous ces sons discordants accompagnés des odeurs toutes aussi discordantes de la ville formaient une sorte d'ode à la vie qu'elle ne se lassait jamais de contempler.

A l'idée de rester un peu dans la ville baignant dans l'atmosphère festive qui accompagnait toujours les foires, son regard s'était allumé d'une joie presque enfantine. La ville avait été son terrain de jeu, née et élevée au coeur d'Arras, capitale de l'Artois. Quant aux foires, son père n'avait jamais manqué d'emmener sa marmaille sur les chemins pour aller écouler ses travaux de forge que l'on s'arrachait dans tout le Nord de la France. Pour le reste, mieux valait ne pas penser au retour de la dernière foire et éviter une énième nausée.

Ils déambulaient avec nonchalance au gré des étals. Non loin, un forgeron bonimentait, attirant une petite foule qui s'engluait autour de lui pour suivre sa démonstration. Tandis qu'Iban lui faisait la conversation, elle s'approcha jusqu'à parvenir à la planche posée sur des tréteaux où l'artisan présentait son travail. L'oeil fut attiré par l'éclat d'une lame, ses doigts caressèrent un instant la garde du poignard finement ciselée avant de s'en saisir pour soupeser l'arme. Plutôt bien équilibrée mais surement trop lourde. Ignorant le babillage du jeune apprenti qui lui faisait la promotion de l'article, elle détendit soudain son bras pour venir poser la lame juste sous le menton du Basque qui se tenait à ses côtés. Trop lent.
Un demi-sourire amusé aux lèvres, elle répondit enfin au Lynx, conservant la lame sur sa pomme d'adam sans appuyer.


Ne soyez donc point si curieux, Iban.
Est-ce que je vous demande ce qui vous a amené à Montauban ou ce que vous avez fui pour vous y retrouver et surtout ce qui vous y fait rester ?


Tout aussi brusquement qu'elle s'était amusé à tenir le Basque en respect, elle jeta le poignard sur l'étal et lâcha à l'apprenti un méprisant et sans appel

Juste bon à vider les poulets.

Elle se tourna à nouveau vers Iban. Son visage enjoué avait subitement laissé place à des traits tirés par la fatigue.

Partez du principe que, lassée de l'air vicié des salles de conseil, je suis venue me ressourcer chez les bouseux. Vous l'avez dit, la vie est paisible à Montauban. Contentez-vous de cela.
Et si nos intérêts devaient s'opposer, je gage que nous le saurons rapidement...


Puis glissant son bras sous celui du mercenaire en un geste familier qui ne manquerait pas de le surprendre, elle ajouta


Je suis lasse. Raccompagnez-moi aux Trois Jars.
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Iban
Sa question resta un instant sans réponse.

« Si je vous ennuie, dites le m… » commença t-il lorsqu'une lame vint se poser subrepticement sur sa gorge. « Eh bien ! Pour une réponse, me voila servit » pensa le Basque tout en laissant la Comtesse s’amuser à le menacer, bien que ce fut là un petit jeu qu’il n’appréciait guère. Il déglutit péniblement, à la fois honteux de s’être laissé prendre au piège et dérouté par cette cruauté amusée qu’il ne lui connaissait pas.

Il fut plus surpris encore lorsque, ayant fini de s’amuser à ses dépends, elle reposa son dangereux jouet et glissa avec le plus grand naturel son bras sous celui qu’il lui offrait sans y avoir pensé. Cette familiarité inattendue désorienta un peu plus le Gascon, qui, n’y entendant plus grand-chose, mais soucieux de ne pas laisser paraitre son trouble, entreprit de faire comme si de rien n’était. Le visage de la Comtesse s’était assombrit. Le charme des bruits et des couleurs de la joyeuse foule qui éclairait tantôt son visage d’enjouement venait sans doute d’être rompu par quelque triste pensée. Iban, quant à lui, se sentait tout à fait serein dans cette ville qui bourdonnait de senteurs plus ou moins plaisantes, de lentes promenades comme de courses effrénées et d’éclats de voix tant polis que scabreux. Il aurait bien profité encore un peu de l’enjouement de la place grouillante.


« Ne voulez-vous point que nous nous essayions à quelques pas de danses ? » lui demanda-t-il en lui indiquant du menton une farandole qu’animait un pitoyable flutiau et un misérable tambourin dont la grotesque musique ne dissuadait pourtant pas les badauds de s’improviser danseurs. « J’ai beau avoir des mœurs bien rudes, je crois n’être pas si gauche que ça pour ce qui est de joindre une farandole. »

La diversion ne lui semblait pas mauvaise, mais elle ne sut pourtant intéresser la Saint Just qui se contenta d’esquisser une moue peu convaincue. L’un des jacques bonhommes dansant, qui avait remarqué que les deux passants s’étaient arrêtés l’espace d’un instant pour observer un peu leur ridicule spectacle, tendit le bras vers le mercenaire comme un appel à entrer dans la ronde, tout en adressant à la Comtesse un sourire particulièrement édenté. Sans façon, Iban déclina l’invitation d’un sourire sardonique des plus explicites. Agnès quant à elle, affecta une indifférence vis-à-vis du pauvre drôle sous laquelle on sentait frémir de l’agacement. En y réfléchissant un peu, le Basque se dut bientôt d’admettre que tourner indéfiniment en rond en donnant la main à des culs-terreux ahuris au rythme des binious de bien piètres musiciens n’était pas la proposition la plus heureuse qu’il eut pu formuler. Il fallait en convenir, il aurait bien du mal à rendre le sourire à la Saint Just. Etxegorry, d’ordinaire combatif, jugea néanmoins très rapidement que ses efforts s’avèreraient vain et, revenant à un pragmatisme qui le caractérisait tout autant que sa combativité, abandonna une lutte qu’il estimait perdue d’avance.

« Soit, rentrons donc. »

Et ils bifurquèrent tous deux dans la rue étriquée qui descendait en une douce pente jusqu’à leur auberge. Le retour fut silencieux jusqu’au bas de la rue. Mais une fois sous l’enseigne des Trois Jars, il ne put s’empêcher de reprendre innocemment la discussion qui avait attristé un instant plus tôt la Comtesse, sans bien savoir si c’était sa curiosité, sa cruauté ou encore l’attrait sensuel qu’elle exerçait sur lui qui le poussait à la tourmenter encore un peu. Sans doute était-ce un peu des trois.

« Vous ne devriez point trop prendre à cœur mes questionnements sur votre séjour à Montauban, Comtesse. Il ne faut y voir qu’une simple et honnête curiosité. Après tout, je comprends fort bien que vous souhaitiez y trouver du repos. Vous me voyez fâché, néanmoins de vous entendre supposer que mes intérêts puissent être contraires aux vôtres. »

Il lâcha son bras avec délicatesse, et céda galamment le passage pour la laisser entrer la première.

« Mes intérêts sont les vôtres » poursuivit il en entrant à sa suite « Vous le savez, n’est ce pas ? »

Et il referma la lourde porte des Trois Jars sur leurs talons.

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Gnia
La frénésie commerçante de la grand place et des ruelles adjacentes céda bientôt le pas aux quartiers plus calmes qui abritaient leur auberge. Tandis qu'ils cheminaient en silence, Agnès essayait de se souvenir de la dernière fois où elle avait dansé. Dans cette atmosphère proche de la Fête des Fous, elle s'était soudain sentie totalement étrangère. Comme si ce qu'elle avait été n'existait finalement plus que parce qu'elle se persuadait du contraire. Quitter l'Artois avait sonné le glas de l'innocence et de l'insouciance. Tenter de l'ignorer était définitivement voué à l'échec.

Alors qu'ils arrivaient devant la porte des Trois Jars, Iban remit la discussion sur le tapis. Agnès retint un ricanement. Le contraire eut été étonnant. Après tout, ne lui avait-il pas avoué qu'elle l'intriguait ?
Elle s'apprêtait, une fois passé la porte basse, à filer droit aux escaliers menant à l'étage. Cependant les derniers paroles du Basque retinrent son attention. Un sourire cruel retroussa les lèvres pleines de la Saint Just.


Ah oui ? Je pensais que vous étiez de ceux pour qui les intérêts fluctuent aux reflets chatoyants d'écus sonnants et trébuchants. Ainsi, soudainement, j'aurai acheté votre fidélité inconditionnelle sans le savoir ?

Elle avait posé un pied sur la première marche, la main tenant fermement la rampe. Elle hésita un instant, avant de poser un regard caustique sur le visage du mercenaire.

Serait-ce cet... Amour... Ce mot fut craché avec mépris... dont vous parliez tantôt qui vous vous rendrait subitement simple et honnête avec moi ?

Agnès haussa imperceptiblement les épaules, tournant le dos au Basque pour gravir quelques marches. Finalement, elle n'était même pas sûre d'avoir envie d'entendre la moindre réponse à ses questions. Toutefois elle marqua une halte dans son ascension, tournant légèrement la tête, lui jetant un dernier regard par dessus son épaule.


J'allais vous proposer de partager un verre avec moi. Mais je m'en voudrai de vous priver de la liesse qui résonne à l'extérieur. Ma compagnie est nettement moins... enjouée.
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Iban
La Comtesse s’apprétait à reprendre son ascension lorsqu’Iban l’arrêta en retenant délicatement son poignet.

« N'ai-je jamais employé le mot "amour" que par erreur, Comtesse ? » lui dit-il en la regardant avec des yeux luisant de malice « Ce mot là est bien trop noble et abstrait pour un être forgé en un alois aussi grossier et concret que le mien… Votre charme ne me laisse point indifférent, il est vrai. Cette simplicité et cette honnêteté que vous semblez me reprocher en sont peut être le fruit : comme un malheur ne vient jamais seul le charme d’une femme rend non seulement l’homme aveugle, mais aussi bien souvent stupide… Cela étant, je ne désespère point que le Très-Haut vous inspire un peu plus d’amitié et de sollicitude à mon égard. Ne me suis-je point montré, après tout, affable et avenant à votre égard jusqu’ici ? »

Il l’observa un instant en silence tandis qu’un sourire dont on n’eut pu dire s’il était franc ou sarcastique éclaira progressivement les durs traits de son visage.

« Quant à ce qui touche à nos intérêts, vous me jugez encore une fois bien sommairement. En outre… je crains que les prophéties de la veille ne nous force désormais à veiller à la communauté de nos intérêts. Les déconvenues qui nous ont été promises nous forcent à faire cause commune, avec ou sans écus à espérer… Ne croyez vous pas ? »


Lentement, il éleva sa froide et blanche main jusqu’à ses lèvres rugueuses, tout en gardant ses yeux fixés sur ses prunelles sœurs.

« Que vous le vouliez ou non, belle Agnès, nos destins sont désormais liés irrémédiablement. Néanmoins, il dépend encore de votre bon vouloir que nous tachions de lutter conjointement pour que ceux-ci ne se précipitent avec trop de diligence. »

Il reposa sagement sa main. Et monta de quelques marches afin de se retrouver au niveau de la sienne. Le mercenaire observait à présent la Comtesse de haut. La promiscuité du Lynx et de la Louve sur cette marche d'escalier, avait quelque chose d'adorablement gênant.

« La liesse m’est également fatigante, et votre tristesse m’inquiète... Allons donc boire à votre bonne santé ! » conclut-il sur un ton qui se voulait plus rassurant et enjoué.

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Gnia
Lorsqu'il la retint, ses sourcils se froncèrent imperceptiblement. Le geste n'avait rien de menaçant mais il restait osé. D'autres auraient écopé d'une gifle magistrale. Mais il semblait de toutes façons que le Lynx bénéficia d'un traitement de faveur chez la Saint Just. Elle s'en défendait, mais le Basque l'intriguait probablement tout autant qu'elle ne l'intriguait. De ces curiosités qui vous poussent irrépressiblement à observer à la dérobée ceux que vous pensez forgés dans le même métal que vous.

L'escalier offrait une légère pénombre mais elle ne fut surement pas suffisante pour masquer la moue contrariée que la réponse d'Iban avait fait éclore sur le visage de la Saint Just. La franchise dont il faisait montre déstabilisait Agnès, comme à chaque fois qu'elle réalisait qu'elle puisse susciter chez les autres des élans qu'elle estimait être bien incapable de ressentir elle-même.

Et la suite la troubla encore d'avantage. Les paroles de la vieille résonnèrent encore à ses oreilles. Chaque mot restait gravé dans son esprit et le sommeil d'Agnès, déjà tourmenté, s'en trouvait souvent encore plus agité.
Toute à sa perplexité et à son inquiétude, elle laissa Iban porter la main qu'il tenait à ses lèvres. Et lorsqu'il s'approcha encore, elle leva sur lui un visage bouleversé au regard qui n'avait plus rien de dur ou de déterminé, juste intensément préoccupé.

Boire à sa santé. Voilà qui sonnait étrangement aux oreilles d'Agnès, elle qui avait par trois fois fait un pied de nez à la mort en si peu de mois. Toujours silencieuse, elle détacha enfin ses azurs du visage où semblait luire éternellement une lueur sarcastique et reprit l'ascension des marches.

Dans le confortable et propret établissement qu'était l'Auberge des Trois Jars, elle s'était arrogé la meilleure chambre quand bien même la foire avait fait dire au tenancier qu'il était complet. Une imposante bourse d'écus déposée sur le comptoir se chargea de modifier rapidement cet état de fait.
Elle pénétra dans la pièce, le Basque dans son sillage. D'un geste de la main, elle lui désigna un coffre sur lequel trônait une bouteille de vin et deux ou trois chopes qui n'attendaient que d'être emplies. Avec la location de la chambre avait été expressément demandé que l'on y trouva toujours à disposition de quoi étancher sa soif et même s'enivrer.


Servez-nous.

Et sans prêter plus attention à lui, Agnès s'adonna machinalement au rituel immuable qui suivait le passage du monde extérieur à la rassurante intimité du lieu qu'elle s'était choisi comme refuge. D'abord ses souliers valsèrent, atterrissant avec un bruit mat dans un coin de la pièce. Puis non sans fébrilité, comme si l'habit lui brûlait la peau, elle entreprit de délacer le bustier qui habillait la simple chemise de toile. Chainse qui complétait avec une longue jupe de drap sombre sa vesture de petite bourgeoise et dont le col fut rapidement et largement ouvert. Elle retira ensuite un à un les petits peignes en os qui tentaient de maintenir son épaisse chevelure au dessus de sa nuque et lorsque la masse de boucles brunes fut enfin libérée, elle s'accompagna d'un profond soupir de soulagement.

Défaite de ce qu'elle considérait ses carcans, il lui semblait qu'elle pouvait enfin respirer à nouveau normalement. Les traits de son visage s'étaient imperceptiblement détendus et elle fit même grâce d'un discret sourire au Basque tandis qu'elle le rejoignait et se saisissait du verre qu'il lui tendait.
Une lueur amusée éclaira son regard tandis qu'elle levait son verre vers lui.


A ma bonne santé donc. Et à un peu plus d'amitié et de sollicitude à votre égard.


Le sourire moqueur qui accompagna ses paroles fut rapidement masqué par le récipient qu'elle porta à ses lèvres. Première gorgée qu'elle ne prit même pas la peine de savourer.
Posant le verre sur le coffre, elle s'affala ensuite dans les bras accueillant d'un moelleux fauteuil, remonta ses pied nus sur le siège, son bras étreignit ses genoux sur lesquels elle posa son menton. L'autre main se saisit à nouveau du verre qui fut ponctionné d'une large part de son contenu. Puis, les yeux dans le vague, comme si sa phrase n'était destinée à personne d'autre qu'à elle-même, elle murmura


Ne vous inquiétez donc pas de mes subites mélancolies, elles ne sont qu'une partie de moi-même qui ne peut rester trop longtemps ignorée...
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Iban
Lorsqu’Iban pénétra dans la chambre de la Comtesse, il ressentit une profonde gêne en laquelle se mêlaient un soupçon d’indécision et une sourde joie. Il avait le droit d’entrer dans le sanctuaire, tel le néophyte de quelque culte ancestral, soulevant le rideau interdit qui le séparait jusqu’ici du Saint des saints pour être enfin initié aux mystères préservés par le voile. La chambre, quoique bien plus confortable que la mansarde ingrate que l’aubergiste avait bien voulu céder aux trois gardes et au mercenaire, n’avait en soi rien de bien extraordinaire, mais l’invitation silencieuse de la Comtesse à trinquer la baignait d’un halo ténébreux et intrigant, qui inspirait au Gascon une crainte respectueuse.

Il s’avança près du coffre et se mit en devoir d’exécuter les ordres de la Saint Just. Cette dernière, quant à elle, retrouvant l’atmosphère rassurante de son logis d’un soir, l’ignorait une fois de plus. Elle se débarrassait progressivement de ses effets, comme d’une mue inutile qui empêchait son éclosion. Ce rituel intime et inattendu ne manqua pas de décontenancer le Basque. Tandis qu’il versait approximativement le précieux breuvage dans les choppes, il jeta subrepticement de furtifs regards du côté de la belle dame sans merci. Souliers, bustier, col furent négligemment retirés comme autant d’atours inutiles à une beauté fatiguée du monde, et qui entendait renaître sans mensonge, plus rayonnante encore dans sa simplicité que sous ses parures artificielles. Sa chevelure humiliée par de tyranniques petits peignes d’os jaillit enfin en une cascade plus sombre qu’une nuit sans étoile, inondant sa nuque blanche d’une fraîcheur nouvelle.

Le Gascon ne prêtait à présent plus aucune attention à sa tâche. Ce rustre et effronté mercenaire, élevé dans une ferme terreuse, devenu marginal après s’être extirpé des lourdes traditions et des pesanteurs familiales ; ce hâbleur sarcastique et blasphémateur, cet amant volage et impitoyable, se trouvait confronté à deux insidieuses pensées qui corrodaient inéluctablement le rempart de cynisme et d’indépendance qui protégeait jusqu’alors son esprit suffisant. Il se rendait tout d’abord compte que son désir n’était pas entretenu uniquement par l’appel de la chair. Lui, qui avait fréquenté bien des bordels du Royaume, savait à présent que c’était aussi l’esprit méprisant de la Comtesse, son orgueil indomptable et ce tempérament qui rivalisait de vivacité avec le sien qu’il brûlait de dominer en maître et roi. A cela s’ajoutait une violente prise de conscience de l’abîme insondable qui séparait leurs deux mondes respectifs. Bien qu’ayant été l'invité de nombreux châteaux et le bras droit de maîtres dont il eut parfois pu renverser le trône s’il avait révélé les sordides missions qu’ils lui commandaient d’accomplir, il restait néanmoins mal né et serviteur. Ces deux violentes révélations faisaient sourdre en son âme ténébreuse désir passionné et colère. Jamais depuis ce jour où il avait aperçu la Vicomtesse d’Avize sur la grand’place de Reims, il n’avait ressenti un tel tumulte de sentiments contradictoires. « Le souffle brûlant de la Salamandre… ». Ainsi donc, les dires de la vieille sorgina se réalisaient bien plus tôt qu’il ne l’escomptait ; et il se laissait pourtant dévorer par ce poison corrosif sans rien lui opposer. Il avançait consciemment vers l’abysse sans pouvoir ni vouloir s’arrêter. De sa contemplation, d’autant plus discrète qu’elle se faisait avide, naquit bientôt un dessein des plus malsains. La violence, dont Etxegorry avait parfois usé pour s’arroger les faveurs du sexe faible, lui semblait, en cet instant où sa raison était bel et bien asservie par des sens obnubilés par un objet inaccessible, le dernier des recours pour éviter que son esprit tourmenté ne sombre dans la folie.

Par chance, le renversement d’une choppe dissipa en un instant ces ignobles pensées. La Comtesse, encore occupée, ne fit pas attention à la bévue. Le Gascon remplit de nouveau la choppe et lui la tendit.


« A votre santé, Comtesse, puissiez vous trouver à Montauban le repos que vous venez y chercher. »

Le Basque, malgré sa confusion, n’avait pas tout perdu de son ironie habituelle.

Elle posa gracieusement son verre et s’assis sur un fauteuil prenant une posture tout enfantine.

« La mélancolie semble en effet étrange pour une femme qui semble avoir été comblée par la Providence de tous les bienfaits auxquels toutes les autres songent. »


Iban but laborieusement une gorgée de sa choppe, trop absorbé par l’observation du joli minois qui apparaissait au dessus des genoux de la Comtesse. Quitte à paraître insolent, il ne put s’empêcher d’ajouter, persuadé qu’il perçait là l’endroit le plus douloureux d’un abcès déjà fort nécrosé :

« Je ne puis y voir que l’effet que fait naitre chez une femme les tourments d’un amour déçu ou insatisfait… à moins qu’il ne s’agisse d’une pesante et longue solitude... »
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Gnia
A l'assertion du Basque sur les bienfait supposés qu'avait pu lui réserver la Providence, Agnès ne put retenir un ricanement amer et son visage se tordit en une furtive grimace de dédain. Qu'elles en bénéficient, toutes les autres, des mirages trompeurs, des ors factices, de la déférence de façade, des carcans imposés par sa condition alors le Destin lui refusait, à elle, d'aspirer aux plus simples des espoirs.
Pour apaiser l'agacement certain qu'avait provoqué cette phrase somme toute insignifiante et qui paraissait si logique dans la bouche du mercenaire s'adressant à la comtesse, elle vida d'un trait le contenu de son verre.
Bien mal lui en prit.

Quoique bien plus que quelques gorgées de vin seraient nécessaires à adoucir le trouble violent en hibernation qu'avait fait soudainement éclore les mots faussement anodins qu'Iban avait ensuite ajoutés.
Comme s'il venait de lui enfoncer soudainement une lame en plein coeur, Agnès sembla un instant tétanisée, levant sur le Basque un regard où se mêlaient incompréhension et surprise. Puis, profondément irritée par cette réaction qu'elle n'avait pas su maîtriser, s'admonestant d'avoir baissé sa garde et ainsi lui offrir une prise, elle déplia les jambes et se leva calmement, hiératique, bien que cela ne fut plus d'aucune utilité à présent.

Se saisissant de la bouteille de vin, elle prit le temps de remplir lentement à nouveau sa coupe, puis de la porter à ses lèvres, avant d'enfin poser ses azurs dont la teinte s'était subitement assombrie sur l'homme qui lui faisait face.


Sur quoi miseriez-vous alors ? Amour inassouvi ou solitude oppressante ?

Le regard implacable qui le toise, le ton chargé de défi, la mine qui s'est faite ironique, tout dans l'attitude que la Saint Just lui oppose suinte la provocation.

Tu as déniché une plaie à vif que tu as fouillé sans vergogne de tes griffes . Soit.
Et maintenant, le Lynx, que vas-tu faire ?

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