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[RP] L'Eglise de Sémur

Anne_blanche
Messe ? pas messe ? L'on était bien dimanche, et messe ou pas, Anne se rendit à l'église. Ses vêtements étaient encore couverts de la poussière du voyage, mais elle n'en avait cure. Le Très-haut voit les âmes, pas les oripeaux.
A cette heure fort matinale, l'église était encore vide, à moins que quelques miséreux chargés de cirer les bancs ne s'y fussent endormis, ou que derrière les piliers se cachassent quelque pécheur honteux de sa faute. Anne rejoignit immédiatement son prie-Dieu et s'y agenouilla.

Elle commença par une action de grâces au Très-haut, pour le remercier de les avoir conduits sains et saufs, son fils et elle, à travers le Berry et la Touraine, pour cette mission de ravitaillement.
Puis une prière, pour la sauvegarde de cet étrange garçon, le jeune Valatrion, qui les avait accompagnés à l'aller, et s'était lancé ensuite dans la direction de l'Anjou, sur la foi d'un nom prononcé, et qu'il avait cru reconnaître. Dernier lien avec Gabriel.
Le cœur lourd, Anne récita encore des prières à l'intention des âmes de son frère, de ses parents, de son époux, de sa marraine... Les disparus la hantaient trop souvent, trop souvent elle aspirait à les retrouver.


Très-haut, donnez-moi la force de lutter contre l'acédie...

"Pensez aux vivants"... Était-ce Aristote en personne qui venait de lui souffler cette idée ?
Les vivants, c'étaient ses amis, Dame Marie-Alice, qui se remettait difficilement à Chinon d'une terrible blessure reçue au combat, et au chevet de qui elle n'avait pas été autorisée à se rendre ; Messire Walan, dont elle était sans nouvelles depuis des semaines, depuis que, guéri, il était retourné au combat ; Dame Ewaële, jetée en prison par la bêtise d'Angevins félons ; et cette petite rencontrée dans une taverne de Châteauroux, filleule de Walan, qui suivait aveuglément la troupe interlope du balbuzard, au risque - comme toutes celles qui croyaient trop longtemps en lui - d'y perdre son âme.
Pour tous elle pria, longuement.

Quand elle releva la tête, l'église était toujours vide. Sans doute l'heure de la messe n'était-elle pas encore arrivée.
On était bien, dans le calme et la bonne odeur de cire et d'encens, un peu entêtante. Apaisée, Anne résolut de rester là. Elle sentait son énergie lui revenir à chaque inspiration.

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--Legueux


Le gueux se présenta à l'église pour la prière dominicale.

Pas plus de curé dans la bâtisse du seigneur que d'or dans sa bourse vide...

"La messe n'a pas été préparée ! Quel glandouilleur ce curé !"

Il pensa si fort qu'on dut l'entendre jusqu'au royaume des cieux !

Plus qu'à retourner dans sa bicoque délabrée... ou en taverne pour communier avec les piliers de comptoir, toujours bien présents eux !
Guillaume.
Dimanche, jour de messe. Du moins, l’Église en avait décidé ainsi depuis maintenant de nombreuse année, bien avant sa naissance, bien avant celle de ses parents, et bien avant celle des parents de ces parents. Mais en Duché de Bourgogne, en cité de Sémur, il fallait croire que cela n’était pas encore admis. Dimanche, jour de messe, mais les cloches ne sonnèrent pas. Aucun ou si peu de fidèles se rendaient en l’église de la ville pour y écouter les paroles d'un clerc, y prier, et communier avec l'ensemble des autres arrivés. En une semaine de présence, et trois messes possibles, aucune n'avait été proposée au peuple.

Dimanche, jour de messe. Comme toutes les semaines, le garçon se leva encore plus tôt que d'habitude, aux premières lueurs de l'astre solaire, afin de participer à la cérémonie. Pour l'avoir déjà tenté par deux fois, il savait que l’église de Sémur serait vide, mais comme toujours, il gardait espoir. Les miracles sont l’œuvre du Divin, et assurément, il n'accepterait pas longtemps que son curé ne travaille pas. S'habillant de sa robe de bure simple, teintée de brun, et de ses chausses de cuirs trouées, il se rendit en destination de la « maison du Divin ».

Une fois entré, la scène ne laissa que peu de doute. Soit la messe avait déjà commencé, bien avant l'aube donc, soit, une fois encore, aucune messe ne fut proposée aux habitants et voyageurs de cette ville. Triste, mais peu surprenant. Présente toutefois, une dame. Seule dans un si grand lieu, elle semblait chercher la même chose que lui. La voir ainsi peina quelque peu le mini-moine. Que devait-il faire ? Car si lui pouvait parler souvent au Divin, peut-être n'en avait-elle pas les mêmes avantages. Aussi, lui vint une idée. Étrange, hors-norme, peu légale, mais qui semblait d’extrême nécessité. Continuant sa traversée, il rejoignit l'endroit réserver habituellement à l'officiant, se décidant à en prendre sa place, le moment d'une messe improvisée.


« Bienvenu Fidèle, dans la Maison du Très Haut ! » Guillaume s'essaya donc à l’exercice, se rappelant tant bien que mal les dernières messes du Père Curé Bender. Peu de personnes présentent, c’était un fait, mais il lui tenait à faire du mieux possible. Posant son Livre, il chercha rapidement un extrait à expliquer, comme l'aurait fait le roux. Puis, il patienta un moment, n'attendant plus que les derniers retardataires, espérant qu'ils viennent.
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Anne_blanche
Dehors, il faisait beau. Un automne magnifique, du genre qu'on appellerait, dans un ou deux siècles, "l'été indien". A travers les vitraux, le soleil jouait à colorer de rouge ou de jaune les dalles du sol et les piliers.
Les prières en mots d'Anne s'étaient muées en élan silencieux, et communication directe avec son Créateur. Elle était bien. Le temps coulait sans qu'elle en eût conscience.
Dans son dos, la porte parfois s'ouvrait, se refermait. Des fidèles en quête du Père Ian, probablement, lequel Père Ian devait encore se reposer dans quelque cellule conventuelle, à expier quelque forfait datant de Mathusalem mais que les autorités séculières lui reprocheraient ad aeternam.


Bienvenu Fidèle, dans la Maison du Très Haut !

Anne sursauta, sa main se tendit instinctivement vers le fourreau vide pendu à son côté, alors qu'elle avait laissé ses armes, le temps de la prière, à la garde de Bacchus, dans le coche. De toutes façons, elle n'avait jamais appris à s'en servir, et l'apprentissage n'était pas à la veille de commencer.
Le temps d'une inspiration, elle était redescendue sur terre, et son regard cherchait le propriétaire de la voix. Une voix fluette, qui lui parut, dans l'état de semi-transe où l'avait plongée la prière, celle d'un ange.
Du coup, elle chercha d'abord en hauteur, sous la voûte. Puis, l'inspiration ayant cédé la place à une expiration, ce qui est le signe infaillible qu'une bonne seconde vient de s'écouler, à hauteur "normale" d'homme adulte. Puis descendit encore d'un cran.

En fait d'ange, l'auteur de la voix était plutôt un angelot. Un garnement - huit ans ? dix ans ? - vêtu comme un moine, avait pris la place qu'occupe d'ordinaire un curé.
Froncement de sourcil, colère qui monte.
Sauf que, dans la maison du Très-haut, on ne pique pas de colère, aussi justifiée soit-elle.
Nouvelle inspiration, lente, voulue, celle-là ; et les rouages de la cervelle de se mettre en marche, très vite, si vite qu'une simple expiration suffit à Anne pour parvenir au bout de sa réflexion.
Les mots étant ce qu'ils sont, il en faudra cependant quelques-uns pour rendre compte de ladite réflexion, et un peu plus d'une seconde pour les lire.
En gros, mais en raccourci, voici ce que ça donna :


M'enfin, ils sont où ses parents, à ce petit ? Norf non : pas de parents, puisqu'il porte une bure. Ce doit être un oblat. Mais alors, où est son mentor ? On ne lui a pas appris, dans son couvent, que pour dire la messe il faut être ... Hum ... il faut être quoi, au fait... Hum hum ... Dites-moi, Anne ** ton sévère, quoique tout mental ** : et vous-même, à cet âge, rappelez-moi, vous faisiez quoi, déjà ? vous étiez copiste à l'Académie et conseillère municipal, si je ne m'abuses ? peut-être même déjà Académicienne. N'est-ce point vous qui avez ragé, toutes ces années, d'être comme une adulte enfermée dans le corps d'une enfant ? N'est-ce pas vous qui avez clamé à mainte reprise que la valeur n'attend point le nombre des années ? Vous vouliez une messe, le Très-haut vous l'offre. Entendez messe et priez.

Elle quitta donc l'inconfortable position sur le prie-dieu, et s'assit sur son banc à dossier, visage attentif tourné vers l'officiant.
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Jerem51
Monseigneur Jerem, le Recteur du Chapitre Régulier romain qui, par hasard, se trouvait en repos à Semur dont il était vicaire, n'avait point l'intention de dire de messe vu l'absence répétée du moindre fidèle aux dernières qu'il avait faites, et les paroles de Dieu n'étant pas faites pour les murs, il se réservait désormais aux demandes de pastorales et aux cérémonies de baptêmes et de mariage.
Aussi fut-il surpris quand, depuis son bureau installé dans la sacristie, il entendit une drôle de voix souhaitant la bienvenue dans la maison de Dieu. Il passa alors sa tête par la porte et aperçut un drôle installé à l'autel.
Sans faire de bruit, pour ne pas l'effrayer, Monseigneur Jerem décida de le laisser continuer et se cacha à l'abri d'un pilier pour observer la suite ...

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Prêtre de l'Eglise aristotélicienne, vicaire de Semur et théologue du St-Office; ex-conseiller aux légumes et aux niveaux 3, prieur de la Congrégation de Saint-Thomas
Guillaume.
Voyant la dame prendre place, il se rassura sur sa crédibilité. En quelques mots seulement, le voilà pris pour un vrai curé, et n'aura pas à se soucier du détail durant toute la cérémonie.

« Je suis Guillaume Alexandre de Lescuragne. » Il s'inclina devant l'ensemble de l'assistance, soit une seule personne, avant de se redresser tout rapidement. Si l'idée de politesse à s'incliner lui avait paru bonne, une fois mise en œuvre, elle paraissait bien plus étrange. Avait-il déjà vu un curé saluer de cette façon les fidèles croyants ? Il en doutait fortement. À ce moment alors, la présence d'une seule dame lui paraissait comme une bonne chose. Pour sa première cérémonie, il éviterait de faire connaitre son manque de compétence, ses erreurs et quelques doutes. Une seule dame ne pourrait que très difficilement propager ces faits. Satisfait par son analyse personnelle, et convaincu par lui-même, il hocha la tête avant de reprendre.

Cette messe serait spéciale, assurément.
« Le Très Haut nous réunis ici afin de le saluer, de lui prouver une nouvelle fois notre fidélité et tout notre amour pour lui. Récitons ensemble le texte pour nous en rappeler. » Aussitôt dit, le gamin prononça les paroles habituelles. Il oublia cependant qu'il était maintenant officiant, et le son de sa voix fut que trop peu audible pour la seule fidèle présente. Ne restait qu'à espérer qu'elle en connaisse chacun des mots. « Je crois en Dieu, le Trés-Haut tout puissant, créateur du Ciel et de la Terre, des Enfers et du Paradis, juge de notre âme à l'heure de la mort. Et en Aristote, son prophète, le fils de Nicomaque et de Phaetis, envoyé pour enseigner la sagesse et les lois divines de l'Univers aux hommes égarés. Je crois aussi en Christos, né de Maria et de Giosep. Il a voué sa vie à nous montrer le chemin du Paradis. C'est ainsi qu'après avoir souffert sous Ponce, il est mort dans le martyre pour nous sauver. Il a rejoint le Soleil où l'attendait Aristote à la droite du Trés-Haut. Je crois en l'Action Divine ; en la Sainte Église Aristotélicienne Romaine, Une et Indivisible ; en la communion des Saints ; en la rémission des péchés ; en la Vie Éternelle. »

Un moment de calme et de silence laissant à chacun, et surtout à lui-même, le temps de bien repenser aux paroles. Guillaume reprit alors, racontant la petite histoire comme les curés faisaient si souvent. Pour cela, rien de mieux que l'une des premières qu'ont lui avait transmis, dans son plus jeune âge, par un vieux curé alençonnais.« La vie nous met constamment à l'épreuve. » Qu'en savait-il, lui, âgé de seulement huit ans ? « Depuis quelques semaines maintenant, nous pouvons constater l'absence de curé en cette église de Sémur, et depuis quelques jours, le départ des hautes personnes de l’Église. Beaucoup parmi vous, attendront le miracle divin, l'action des autres pour leur apporter ce qu'ils désirent. Erreur. » Formule mal employée, la dame était toujours seule. « Je vais vous en conter une histoire. Lors d'un hiver glacé et période de famine, un pauvre homme n'eut plus aucune ressource et le voilà promis à une mort certaine. Alors, plusieurs villageois vinrent le voir à tout de rôle, en bon fidèle de Notre Créateur et grande âme charitable qu'ils étaient. Chacun proposa de l'aider. Certains pensèrent à le chauffer en lui offrant les buches, d'autres acceptèrent de partager les rares ressources alimentaires qu'ils possédaient. »

Le gamin haussa alors les épaules jugeant déjà la suite de l'histoire sans même comprendre tout les mots et le sens. Il se contentait de répéter ce qu'on lui avait autrefois raconté, jusqu’à en recopier les attitudes du conteur, pour faire plus réel. « Mais l'homme refusa tout cette aide. Il ne voulait pas de la pitié des gens et restait enfermé dans sa fierté. Il ne cessait de leur répondre qu'il priait constamment le Très Haut et que celui-ci lui viendrait en aide, qu'il n’abandonnerait pas le fidèle croyant qu'il était. Mais, une nuit, la mort le trouva. Une fois au Ciel, face au jugement divin, l'homme émit sa plainte ne comprenant pas pourquoi il n'avait pas été aidé, pourquoi le Créateur Tout-Puissant avait décidé de tuer sa créature la plus loyale et la plus fidèle ? Lui qui avait passé sa vie à la prière et au respect des paroles du Très Haut, des Prophètes, des Anges et de l’Église. » Il s'interrompit une nouvelle fois, pour commenter l'histoire de manière peu habituelle. « Les hommes ne font que se plaindre du Divin. » Il haussa de nouveau les épaules avant de reprendre pour conclure. « Le Très Haut lui répondit alors, lui disant qu'il avait entendu ses prières, de si nombreuses fois qu'il ne pouvait se résoudre à l'abandonner à sa faim et au froid. Plusieurs fois, il avait fait en sorte de l'aider, en lui offrant du bois pour se chauffer, ou des maigres aliments, mais que jamais il n'avait accepté. »

Soufflant un peu, l'histoire lui paraissait moins longue avant de la raconter. Comme toujours, des détails échappaient à sa compréhension, et des erreurs s’étaient glissées dans son récit, mais l'essentiel paraissait bien présent. Dans tous les cas, le jeune garçon semblait bien ravi de sa prestation. Ne restait plus qu'à commenter pour expliquer l'histoire et il en aurait fini de sa première messe dominicale. « Cela signifie qu'il ne faut pas tout attendre du Divin. Il nous met à l’épreuve, il sait nous aider, il sait pardonner, il sait même être cause de miracle, mais c'est à chacun de nous de faire les bons choix et de voir les signes qui nous envoient. À tout instant. » Il se gratta l’arrière du crâne, pas très sûr de lui-même pour cette fois.


La fin, il l'avait presque oubliée. Il fallait boire et manger, mais il détestait le vin. Le mini-moine était alors heureux, pour la première fois il allait pouvoir appliquer sa première mesure de futur Pape. Dans un grand sourire, il invita alors la fidèle à le rejoindre.
« Venez partager le lait et le pain de l'amitié ! » Du lait, oui, ce n’était pas une erreur. Il ouvrit son petit sac, y sortant un vieux bout de pain et une bouteille de lait. Il découpa avec toute sa force le pain en deux, puis servit le lait dans deux coupes présentes. « Que soit béni ce pain, signe de Christos, et ce... lait de la réconciliation. » Il n'attendait plus que la dame pour commencer.
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Anne_blanche
Un mouvement furtif du côté de la porte donnant sur la sacristie, et une ombre non moins furtive qui se glissait à l'abri d'un pilier : ce fut tout ce qu'Anne perçut de Monseigneur Jerem, mais elle eut le temps de le reconnaître, et préféra faire comme si elle n'avait rien vu. Puisque le digne prélat ne faisait pas mine d'interrompre l'oblat, c'est qu'il jugeait bon de le laisser continuer. Sur cette pensée digne du futur La Palice, elle reprit son écoute attentive de la messe.

Et ce fut la plus étrange messe à laquelle il lui fut donné d'assister. Et pourtant, elle se souvenait des messes de sa plus tendre enfance, celles dites par Monseigneur Kuzcau, debout devant l'autel, à côté de son cochon, son corbeau sur l'épaule. Ou de celles du Père Altho, s'interrompant toutes les deux phrases, y compris au milieu des prières, pour hurler à l'hérésie et réclamer des bûchers.


Je suis Guillaume Alexandre de Lescuragne.

L'oblat s'inclina, et Anne faillit se lever en répondant "Anne de Culan, enchantée". Mais elle n'en fit rien, parce que le petit risquait de prendre ce qui n'aurait été qu'une marque de politesse pour une moquerie. Elle se contenta donc d'incliner la tête et de joindre les mains, comme si elle entrait en prière, mais de temps à autre elle relevait subrepticement les yeux, pour suivre le manège de l'étrange officiant.

Récitons ensemble le texte pour nous en rappeler.

Le petit se mit à le réciter avec une voix contenue d'enfant sage, au lieu de le déclamer mono tono comme il est d'usage pour un officiant. Du coup, Anne rata le départ. Elle s'efforça de le rattraper, sans cependant en rater un seul mot, si bien que Monseigneur Jerem, de derrière son pilier, devait entendre quelque chose comme


Et en Aristotetote, son prophètephète, le fifils de Nicomaquemaque et de Phaetistis...

Elle réussit à refaire son retard, et le mot "Eternelle" fut prononcé à voix unies. Soupir de soulagement, souffle qui redevient peu à peu régulier, après ce bel effort.

La vie nous met constamment à l'épreuve.

Oui. Certes. L'oblat aux allures d'angelot semblait tout pénétré de cette évidence. La première réaction d'Anne, en entendant si graves paroles dans si jeune gosier, fut un léger sourire. La seconde, un frémissement de sourcil, signe chez elle d'une intense et rapide réflexion. La troisième, un air d'extrême gravité empreint sur le visage. En effet, ladite réflexion l'avait portée, une fois de plus, à se souvenir de ses huit ans à elle, et de se remémorer qu'à cet âge elle avait déjà eu son lot d'épreuves diverses, de la mort de son père à l'abandon de sa mère, en passant par les prémices de la vocation de son frère. Et puis qui peut dire ce qu'autrui ressent comme épreuve ? Peut-être cet enfant avait-il fort mal vécu son oblation, après tout. Ou encore un caillou lui était-il entré dans la chausse. Elles avaient vécu des jours meilleurs, les chausses de l'officiant. Ça se voyait au premier coup d'œil. Cela aussi, c'est une épreuve, marcher avec des chausses en mauvais état.

Anne écouta le texte sacré, cent fois lu et relu, tiquant de temps à autre quand il lui semblait que l'orateur modifiait à sa sauce. Mais elle ne dit rien. On ne dit rien, dans une église, quand on est bien élevée. Après tout, c'est peut-être elle qui avait mal lu.


Les hommes ne font que se plaindre du Divin.

Euh... hum... ah ? Ah bon. Pourquoi pas ? Pas faux non plus.

Cela signifie qu'il ne faut pas tout attendre du Divin. Il nous met à l’épreuve, il sait nous aider, il sait pardonner, il sait même être cause de miracle, mais c'est à chacun de nous de faire les bons choix et de voir les signes qui nous envoient. À tout instant.

En cet instant précis, il y en eut un, de miracle. On dit que la Vérité sort de la bouche des enfants. Anne en fit d'un coup l'expérience. Ces mots qu'elle avait entendus à maintes reprises, dans toutes les variantes du "aide-toi, le Ciel t'aidera", elle les ressentit en ce matin d'automne comme Vérité. Et elle resta là à regarder l'enfant, lèvres entrouvertes, paupières fixes, vivante image de la stupéfaction.

Venez partager le lait et le pain de l'amitié !

Le ... le lait ? Il avait bien dit "le lait" ? Encore sous le choc de la révélation qu'elle venait d'avoir, Anne se leva, s'approcha, tandis que l'enfant s'acharnait sur un quignon tout sec et versait dans les coupes sacrées un liquide dont la couleur certifiait qu'il ne s'agissait pas de vin.
Et là, instant de panique : n'est-ce pas impie de communier sous l'espèce du lait ? n'allait-elle pas commettre, en voulant être agréable à cet enfant qu'elle ne connaissait ni d'Oane ni de Boulasse - elle tentait de se convaincre qu'elle n'avait assisté à la cérémonie que pour ne pas blesser le petit - quelque péché mortel ? Non, non : le seul péché mortel, c'est le péché d'orgueil. Ce n'est pas de l'orgueil, que de boire du lait au lieu de vin. Euh... Ben si, quand même un peu. Si le Dogme dit qu'on communie au vin, qui était-elle, simple mortelle même pas diaconesse, bien que sœur d'évêque et de nonne cloîtrée, pour décider qu'elle communierait au lait ?

Elle tourna vers le pilier un regard suppliant. Si seulement Monseigneur Jerem pouvait venir lever le doute !

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Jerem51
Monseigneur Jerem avait prononcé mentalement le Credo puis avait écouté avec attention ce que le petit drôle racontait et, ma foi, il devait reconnaître qu'il s'y prenait plutôt bien quel que soit la façon dont cette morale lui avait été enseignée.

Oui, trop de fidèles avaient l'habitude de tout attendre de l'Eglise qu'ils savaient bien trouver quand il s'agissait de les baptiser ou de les marier mais qu'ils abandonnaient ensuite sans vergogne. Il suffisait que le Très-Haut leur demande d'assister de temps en temps à la messe en contrepartie pour qu'ils la désertent, qu'il prêche la paix pour qu'ils se livrent à la guerre, qu'il enseigne l'amitié pour qu'ils se livrent à l'asservissement et à l'esclavagisme vis-à-vis de leurs prochains, il y en avait même pour se moquer des sermons de l'Eglise, mais dès que tout allait mal, on n'en accusait pas moins l'Eglise !
Comme si l'Eglise et Dieu étaient responsables du comportement malsain de certains Hommes ! Bizarrement, jamais on n'accusait le Sans Nom, comme si son nom devait être plus respecté que celui de Dieu !

Mais voyant que le petit en avait presque terminé, Monseigneur Jerem sortit de ses réflexions; irait-il communier et révélerait-il sa présence au point d'effrayer un si bon "pasteur" ?
C'est alors qu'il sentit se poser sur lui un regard. Il vit alors qu'il n'était pas seul dans l'Eglise et qu'une jeune fille avait, elle aussi, écouté la messe.
Il prit alors le parti de faire semblant de n'arriver que maintenant en se dirigeant vers celle-ci et devant son air hésitant, il lui demanda:


"Bonjour ma fille, très bonne messe que celle à laquelle nous avons assisté; j'avoue que ce petit drôle s'est admirablement débrouillé. On ne l'avait certes présenté en taverne, mais je dois dire que je suis favorablement surpris. Cependant, on dirait que quelque chose vous chagrine ..."
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Prêtre de l'Eglise aristotélicienne, vicaire de Semur et théologue du St-Office; ex-conseiller aux légumes et aux niveaux 3, prieur de la Congrégation de Saint-Thomas
Anne_blanche
Il avait raison, finalement, le petit officiant. Anne s'était tournée vers le pilier, avait adressé à Monseigneur Jerem un prière muette, et Monseigneur Jerem l'avait entendue ! Si ça se n'était pas du mini-miracle !
Anne inclina la tête en signe de respect, tout en adressant au Très-haut une pensée pleine de gratitude.


Bonjour ma fille, très bonne messe que celle à laquelle nous avons assisté; j'avoue que ce petit drôle s'est admirablement débrouillé. On ne l'avait certes présenté en taverne, mais je dois dire que je suis favorablement surpris. Cependant, on dirait que quelque chose vous chagrine ...

Elle hocha la tête : le prélat prêchait une convaincue.

Monseigneur voudra bien pardonner ma mise quelque peu poussiéreuse, fort peu digne de cet édifice, mais je rentre à l'instant d'un périlleux voyage et je tenais à rendre grâce de l'avoir achevé saine et sauve.
Oui, ce ... jeune homme promet !
Ce qui me gêne, Monseigneur, c'est cette communion au lait. Il me semble, spontanément, que si le Très-haut a permis à notre officiant improvisé d'avoir en sa besace une bouteille, ce n'est pas sans dessein. Mais le vin a une telle valeur symbolique que je n'ose me résoudre au lait sans crainte de pécher. Monseigneur m'aidera-t-il à trancher ?

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Jerem51
Monseigneur Jerem réfléchit un instant ...

Et bien, ma Fille, Christos choisit le pain et le vin parce qu'ils lui semblaient être le fondement visible de l'amitié que les Hommes partagent entre eux, mais c'est vrai qu'il pensait surtout aux adultes et le lait, à défaut de vin, peut très bien, me semble-t-il, remplir utilement le même office. N'a-t-il pas été créé de même par Dieu pour réjouir le coeur des Hommes et des enfants ?
"A défaut de grives, il faut parfois savoir se contenter de merles" dit le proverbe et le lait fera bien l'affaire pour une fois. Aussi, je prendrais volontiers de son bon lait.
Cependant, si vous préférez du vin pour communier dans l'amitié aristotélicienne, nous en avons et je peux vous en servir, si cela peut vous rassurer.
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Prêtre de l'Eglise aristotélicienne, vicaire de Semur et théologue du St-Office; ex-conseiller aux légumes et aux niveaux 3, prieur de la Congrégation de Saint-Thomas
Guillaume.
Le garçon était surpris. Une deuxième personne avait fait son apparition, ce qui lui compliquait la tâche. C’était là deux fois plus de témoins prêts à rependre la nouvelle qu'un môme avait pris le rôle du curé, qu'il était mauvais et qu'il fallait le bruler. Si c’était le cas, il pouvait faire ses adieux à ses rêves de papauté. Puis, il se souvint que le Très Haut le protégeait et que jamais il ne ferait cela a un mini-moine qui priait souvent pour lui et qui voulait lui consacrer sa vie. Oui, même après avoir récité le conte, il en avait déjà oublié toute la morale.

La nouvelle personne força Guillaume à une remise en cause de son partage de nourriture. Pendant que les deux parlaient ensemble, sans qu'il lui soit possible d'entendre, il s'acharna à nouveau sur le bout de pain qu'il avait si difficilement réussi à couper en deux. Il lui en fallait faire un troisième morceau. Puis, la charité en lait n’étant pas son fort, il préféra transvider la moitié de la coupe réservée à la dame dans une nouvelle, plutôt que de toucher à une seule goutte de lait qu'il s’était si précieusement réservé.

Haussant les épaules devant cette table encore vide de ses compagnons d'un dimanche, il se fit entendre.
« Venez, faites pas vos timides ! Nous sommes entre fidèles ! »
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Anne_blanche
Anne écouta avec une grande attention les explications de Monseigneur Jerem. Elle n'était pas forcément convaincue par l'idée que Chrestos eût oublié de penser aux enfants. Pas vraiment le genre du prophète. Mais après tout, même les prophètes peuvent avoir des moments d'absence.

Cependant, si vous préférez du vin pour communier dans l'amitié aristotélicienne, nous en avons et je peux vous en servir, si cela peut vous rassurer.


Perplexité, quand tu nous tiens... Le vin, ça n'avait jamais été la tasse de tisane d'Anne. Un peu d'hypocras de temps à autre, dans le seul but de ne pas passer définitivement pour l'originale de service, le vin de messe parce qu'il n'y avait pas moyen d'y couper, c'est là tout ce qu'elle se contraignant à avaler, en matière de vin. Elle n'aimait pas non plus la bière, trop amère. L'eau, chacun sait que ça ne fait rien que pourrir le poumon. Restaient les tisanes, le jus de pomme ou de poire, fermenté ou non, quand elle pouvait s'en procurer, et le lait. Anne adorait le lait.
Et puisqu'un prélat de la valeur de Monseigneur Jerem ne dédaignait pas de communier au lait, elle n'allait tout de même pas bouder son plaisir !


Si le lait convient à Monseigneur, il me conviendra aussi.


Venez, faites pas vos timides ! Nous sommes entre fidèles !

On ne pouvait que sourire, et s'exécuter de bonne grâce. Elle s'approcha donc de l'autel.
Le pain était un quignon plus dur qu'un caillou, mais le lait semblait bon ... même si sa coupe n'était plus qu'à moitié pleine, alors qu'elle aurait juré la voir quasi débordante quelques secondes auparavant.

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Jerem51
Monseigneur Jerem s'approcha de l'autel en compagnie de la jeune fille.

Ne vous inquiétez pas, le lait vaut bien le vin de messe, comme le disait parfois St-Bynaar: "quand on n'a pas ce dont on a besoin, on prend ce que l'on a"

Puis, se tournant le petit drôle

Mon jeune ami, Monseigneur Bender ne s'était pas trompé en me parlant de vous, vous vous débrouillez très bien pour votre âge. C'est lui qui vous a appris à dire aussi bien les messes ?

En attendant la réponse, il se saisit d'un morceau de pain qui lui parut un peu dur; c'est vrai que vu le prix du pain et sa rareté en ce moment, mieux valait encore utiliser celui que l'on avait sous la main, même s'il datait de plusieurs jours.

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Prêtre de l'Eglise aristotélicienne, vicaire de Semur et théologue du St-Office; ex-conseiller aux légumes et aux niveaux 3, prieur de la Congrégation de Saint-Thomas
Guillaume.
Un grand sourire, le petit Guillaume était heureux. Ainsi donc, ses deux premiers paroissiens venaient partager pain et lait avec lui. Plus de doute, à présent, il était d'autant plus convaincu en son avenir papal. Qu'il aurait aimé que ses autres connaissances soient présentes également, des personnes comme Childesinthe, Calyce, Eillin, Bender, et même l'autre voyou avec qui il avait fait le voyage. Sans doute cela serait possible lors de son baptême. En attendant, il goutta son pain et son lait. Le premier n'allant définitivement pas sans l'autre, au risque de quoi les jeunes dents du mini-moine menaçaient de le quitter à jamais.

Aux paroles de l’homme, le curé improvisé se gratta la tête essayant de se souvenir.
« Oh non, il ne m'a pas appris. » À vrai dire, Bender lui avait beaucoup appris, mais pas dans ce même domaine de compétence. Guillaume avait ainsi pu comprendre la signification de certains mots, à ses dépens. Le Père Curé s'amusant de lui apprendre la mauvaise définition et de voir le garçon en faire ainsi l'usage. Prendre des coups, également, parmi un flot d'insultes était également l’éducation cléricale dispensée. Étrangement, c’était en matière religieuse qu'il reçut le moins d'enseignement. Mais le garçon se garda bien de faire ces précisions en cet instant.

À y regarder de plus près, l'homme semblait également être clerc. Certes, le garçon vêtu en moine n'en était nullement un, mais convaincu d’être le futur Pape il pensait être facilement excusé. L'homme en revanche, n'aurait eu aucun intérêt à se travestir de la sorte. Son ton se fit effronté, comme celui d'un gamin, ce qu'il était.
« C'est vous le curé d'ici ? L'absent ? »
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Jerem51
Monseigneur Jerem se mit à rire

Ah, non, non, le curé ici, c'est le Père Ian, mais il y a bien longtemps qu'il est en retraite !

Moi, je ne suis que le vicaire et j'interviens plutôt pour les pastorales, les baptêmes et les mariages parce que, par ailleurs, j'ai beaucoup d'occupations à Rome: théologue qu Saint-Office où je traduis les textes anciens et vérifie que les textes plus modernes écrits par d'autres hommes d'Eglise sont conformes au Dogme, Recteur du Chapitre Régulier où je dois surtout relancer un office qui a sommeillé pendant trop longtemps, prieur de la Congrégation de St-Thomas ... On me doit, à vrai dire, une dizaine de textes qui tous font aujourd'hui parti du dogme de notre église. C'est ainsi que j'oeuvre pour le Très-Haut.
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Prêtre de l'Eglise aristotélicienne, vicaire de Semur et théologue du St-Office; ex-conseiller aux légumes et aux niveaux 3, prieur de la Congrégation de Saint-Thomas
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