Clemence.de.lepine
Paris, Hôtel de Josselinière
Nuit du dix décembre
L'hiver avait cet inconvénient d'apporter trop tôt la noirceur de la nuit. Mais il avait cet avantage d'apporter aussi la neige. Et elle tombait. A gros flocons, elle venait recouvrir les horreurs de Paris d'un manteau virginal. Et c'était encore beau, c'était encore pur, car les allées et venues étaient rares à cette heure. Demain, la neige, mêlée aux immondices, se serait muée en boue, et y pataugeraient les passants, les marchands et les chevaux. Demain, l'aube naissante jetterait sur le monde sa lueur blanchâtre. Demain... les draps seraient rouges et rouge son coeur d'avoir trop saigné. D'avoir martelé sa poitrine pour fuir, fuir, fuir...
La journée avait atrocement commencé. Elle s'était poursuivie de façon moins ardue. Elle se finirait... comme elle devrait se finir.
Les vapeurs de la fête embrouillaient toujours délicieusement ses sens et elle réussissait à percevoir encore, étouffés, quelques rires enjoués et légères notes de musique depuis la grande salle. Où se poursuivaient les festivités. Où elles dureraient sûrement toute la nuit.
Elle éteignit le sourire rêveur qui persistait sur ses lèvres et, mortifiée, se laissa tomber sur les genoux. L'os cogna contre la pierre et la douleur vrilla jusqu'à son front. Se mordant les lèvres pour ne pas crier, elle rabattit autour d'elle les pans de sa pélerine, pensant peut être ainsi se protéger des assauts triviaux de ses pensées fugaces et dérangeantes. Se couper de ce monde grossier, pendant trois heures, l'oublier.
Pardonnez-moi mon Dieu car j'ai pêché. J'ai menti, j'ai triché, j'ai eu de mauvaises pensées, des envies de meurtre et de vengeance. J'ai subi les assauts du Leviathan et j'y ai parfois succombé. J'ai été égoïste, mesquine et grossière. J'ai beaucoup pensé à moi et si peu pensé aux autres. Je me suis perdue dans mes fautes, je me suis oubliée. J'ai invoqué votre cause pour arriver à des fins si peu convenables. J'ai utilisé les préceptes de vos prophètes et les ai adaptés à ma cause, pour justifier des actes impurs. Mais je m'en repens, et je promets d'être bonne, d'être meilleure, car ce jour a conçu une femme nouvelle. Et cette nuit la verra naître. Pardonnez-moi.
Indulgentiam, absolutionem, et remissionem peccatorum nostrorum tribuat nobis omnipotens et misericors Dominus.
Trois heures. Trois heures de prières. Pour elle, pour ceux qu'elle aimait, pour ceux qu'elle exécrait et pour qui elle demanda aussi indulgence et salvation. Pour les morts. Pour ses morts. Pour ceux qui n'avaient pas eu le temps de vivre, qu'ils reposent en paix. Pour Aimbaud. Sa famille qui était désormais la sienne. Ses propres amis. Elle rendit grâce à Dieu, aux prophètes, et à l'Eglise. Seule, elle fléchit la nuque, et ses cheveux, qu'elle avait défaits, encadraient de boucles folles ce visage absorbé. Si bien que, entre l'azur du manteau et l'or de la chevelure, on n'apercevait de Clémence rien d'autre que les courbes de son corps plié. Soumis.
Et puis, le temps passé, elle se releva. Avait-elle assez expié ? Avait-elle assez prié ? Avait-elle assez loué ? Appuyée contre un pan de mur, elle s'accorda un moment pour s'extirper de cette transe spirituelle. Elle se sentait en paix. L'obscurité de la pièce, où ne brûlait aucune chandelle, lui procurait un sentiment de félicité tel qu'elle regretta de devoir l'abandonner bientôt. Massant ses membres douloureux, elle jeta un oeil par la fenêtre et, y collant une paume blanche et tremblante, apprécia le contact froid du verre et l'empreinte que sa main y laissait. Une trace d'elle. Ephémère. Comme un coquelicot que l'on cueille en été.
Elle glissa plus qu'elle ne marcha vers la porte, et, à celui qui gardait l'entrée, ordonna d'une voix douce.
Allez chercher Isaure.
L'heure approchait.
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Nuit du dix décembre
L'hiver avait cet inconvénient d'apporter trop tôt la noirceur de la nuit. Mais il avait cet avantage d'apporter aussi la neige. Et elle tombait. A gros flocons, elle venait recouvrir les horreurs de Paris d'un manteau virginal. Et c'était encore beau, c'était encore pur, car les allées et venues étaient rares à cette heure. Demain, la neige, mêlée aux immondices, se serait muée en boue, et y pataugeraient les passants, les marchands et les chevaux. Demain, l'aube naissante jetterait sur le monde sa lueur blanchâtre. Demain... les draps seraient rouges et rouge son coeur d'avoir trop saigné. D'avoir martelé sa poitrine pour fuir, fuir, fuir...
La journée avait atrocement commencé. Elle s'était poursuivie de façon moins ardue. Elle se finirait... comme elle devrait se finir.
Les vapeurs de la fête embrouillaient toujours délicieusement ses sens et elle réussissait à percevoir encore, étouffés, quelques rires enjoués et légères notes de musique depuis la grande salle. Où se poursuivaient les festivités. Où elles dureraient sûrement toute la nuit.
Elle éteignit le sourire rêveur qui persistait sur ses lèvres et, mortifiée, se laissa tomber sur les genoux. L'os cogna contre la pierre et la douleur vrilla jusqu'à son front. Se mordant les lèvres pour ne pas crier, elle rabattit autour d'elle les pans de sa pélerine, pensant peut être ainsi se protéger des assauts triviaux de ses pensées fugaces et dérangeantes. Se couper de ce monde grossier, pendant trois heures, l'oublier.
Pardonnez-moi mon Dieu car j'ai pêché. J'ai menti, j'ai triché, j'ai eu de mauvaises pensées, des envies de meurtre et de vengeance. J'ai subi les assauts du Leviathan et j'y ai parfois succombé. J'ai été égoïste, mesquine et grossière. J'ai beaucoup pensé à moi et si peu pensé aux autres. Je me suis perdue dans mes fautes, je me suis oubliée. J'ai invoqué votre cause pour arriver à des fins si peu convenables. J'ai utilisé les préceptes de vos prophètes et les ai adaptés à ma cause, pour justifier des actes impurs. Mais je m'en repens, et je promets d'être bonne, d'être meilleure, car ce jour a conçu une femme nouvelle. Et cette nuit la verra naître. Pardonnez-moi.
Indulgentiam, absolutionem, et remissionem peccatorum nostrorum tribuat nobis omnipotens et misericors Dominus.
Trois heures. Trois heures de prières. Pour elle, pour ceux qu'elle aimait, pour ceux qu'elle exécrait et pour qui elle demanda aussi indulgence et salvation. Pour les morts. Pour ses morts. Pour ceux qui n'avaient pas eu le temps de vivre, qu'ils reposent en paix. Pour Aimbaud. Sa famille qui était désormais la sienne. Ses propres amis. Elle rendit grâce à Dieu, aux prophètes, et à l'Eglise. Seule, elle fléchit la nuque, et ses cheveux, qu'elle avait défaits, encadraient de boucles folles ce visage absorbé. Si bien que, entre l'azur du manteau et l'or de la chevelure, on n'apercevait de Clémence rien d'autre que les courbes de son corps plié. Soumis.
Et puis, le temps passé, elle se releva. Avait-elle assez expié ? Avait-elle assez prié ? Avait-elle assez loué ? Appuyée contre un pan de mur, elle s'accorda un moment pour s'extirper de cette transe spirituelle. Elle se sentait en paix. L'obscurité de la pièce, où ne brûlait aucune chandelle, lui procurait un sentiment de félicité tel qu'elle regretta de devoir l'abandonner bientôt. Massant ses membres douloureux, elle jeta un oeil par la fenêtre et, y collant une paume blanche et tremblante, apprécia le contact froid du verre et l'empreinte que sa main y laissait. Une trace d'elle. Ephémère. Comme un coquelicot que l'on cueille en été.
Elle glissa plus qu'elle ne marcha vers la porte, et, à celui qui gardait l'entrée, ordonna d'une voix douce.
Allez chercher Isaure.
L'heure approchait.
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