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[RP]L'Hostel Particulier des Houx-Rouge

Niels
 
« Houx-Rouges, salle du trône - Vers la sortie »



Il s’était tût. Lorsque Niels jouait avec ses amis, Thorvald savait que sa place était en dehors de la scène ou plutôt à l’arrière-plan: les chiens ont le droit de jouer avec le gibier quand ils l’ont débusqué mais quand les chasseurs arrivent, ils doivent se mettre à leurs bottes et suivre les directives. Le borgne observait le spectacle de trois hommes à la carrure impressionnante s’en prendre à une femme pas plus haute que trois pommes. Pour quels résultats? Celui de perdre du temps. Certes, ce n’était pas ce qui leur manquait: qui se soucierait de la disparition d’une brune enceinte jusqu’au cou et de deux danois sans importance? La prévôté de Paris avait bien d’autres chats à fouetter, chats dont lui, Thorvald, abusait de temps à autre pour servir son maître. Des émotions? Le borgne ne les montrait que rarement. Il avait été éduqué dans le but de servir et il servait. Cela incluait le fait que le côté humain de sa personne n’était souvent qu’un frein à l’exécution de son travail. Même si ce soir, il n’approuvait pas la façon de faire, même s’il la trouvait inutile, inefficace, même si selon lui tout ceci n’était que perte de temps, ce n’était pas à lui d’en juger.

A l’avant-plan, Niels avait rompu le contact. Les bras croisés dans le dos, il avait contourné la béarnaise pour s’approcher de Morten et la toiser de toute sa hauteur. Morten…Sans doute lui avait-elle sauvé la vie et c’était tant mieux. En son for intérieur, il en était convaincu: il aurait regretté perdre Morten. Il y avait trop de souvenirs qui le liait au valet des épées. Le tuer aurait permis de satisfaire son besoin de vengeance, celui de montrer qu’on ne pouvait lui désobéir ou lui tenir tête. Il y avait mieux à faire. Morten ne nécessitait qu’un « petit » redressement de son esprit. Oui, c’était ça: un redressement.

Les dernières paroles d’Eudoxie mijotaient à petit feu dans l’esprit du roy de deniers. Ainsi donc, Søren s’était ouvert à elle. Il avait évoqué avec elle le prequel de toute cette histoire. Elle connaissait le nom de sa cousine. Savait-elle que cette idiote avait accusé le blond de meurtre à cause d’un détail auquel lui-même n’avait pas pensé? L’arme du crime. L’arme du crime appartenait à Søren. C’était ce brave Morten qui en avait fait cadeau au Eriksen et l’arme s’était finalement retrouvé entre les mains de Niels. Le roy de deniers avait même oublié ce détail quand il avait frappé. Albanne. Ah Albanne! Elle avait toujours voulu joué les intrigantes. Elle avait hérité cela de son côté scandinave. Il fallait croire que le côté Pelletier avait tout gâché. Jamais elle n’aurait été de taille pour s’opposer à lui. Jamais! Le regard dardé vers le sol, caressant de sa froidure le visage bouffi du Sørensen, Niels répondit enfin à la captive.


- Je sais qu’Albanne était avec lui quand il a trouvé ce livre. Ma cousine a eu la bonté d’esprit de laisser un de mes hommes la servir, un homme que personne n’aurait jamais soupçonné…et qui n’avait rien de danois.

Edouard… Ce brave Edouard avec ses manières ampoulées. Qui aurait pu en effet croire que ce vieil homme avait certaines addictions à son âge? Il ne fallait jamais se fier aux apparences, elles pouvaient être trompeuses.

- J’ai fait fouiller en vain les affaires d’Albanne avant sa mort et après que la maladie l’eut emporté… Enfin, la lame de Seurn. Vôtre chevalier servant vous a t-il dit qu’il n’a pas hésité pas à tuer de sa lame une pauvre femme sans défense aux portes de l’agonie? Le bien et le mal… Pour vous je suis l’incarnation du mal parce que je prends les moyens de mes désirs n’est-ce pas? Et l’homme que vous aimez est celle du bien pour la simple raison que vous l’aimez. Le fait qu’il tue sans aucune pitié ne fait pas de lui un suppôt du Sans-Nom comme je dois l’être à vos yeux. Si le monde était manichéen, cela serait trop facile…et navrant. Les cas de conscience « dame Castera » sont de petits bonheurs dont il serait dommage de se passer.

Sven et Jørgen tournèrent alors Eudoxie vers Niels afin qu’elle puisse gouter non seulement aux paroles du Roy de deniers mais également à son non verbal.

- Albanne a emporté son secret dans sa tombe. Qu’elle ait confié ces feuillets à Søren, qu’elle les ai transmis à un tiers ou mis en sureté m’importe peu. Et je serais qu’elle n’aurait jamais détruit une telle richesse. En tuant ma cousine, Søren a hérité du fardeau de me les ramener… ou il le paierait cher. Vous et votre bâtard aussi.

Elle l’avait agacé. Elle lui rappelait son échec, un échec face à une femme, face à sa propre cousine. Albanne l’avait toujours mis en échec. Elle s’était refusée à lui lorsqu’il lui avait fait part de son intérêt pour elle. Elle était la cause de certaines leçons paternelles qu’il avait dû subir et elle l’avait mis en échec pour récupérer ces feuillets. Aussi jolie soit-elle, sa mort était amplement justifiée même s’il n’y était pour rien. Le Très-haut lui même abondait dans ce sens en la punissant de ce fléau. Oui: Fléau…mais pourquoi lui? Pourquoi lui…aussi? Inconsciemment, Niels porta la main sur son bras, à l’endroit où une tâche noire s’étalait inexorablement, jour après jour, sur sa peau. Dos à Eudoxie, le Roy de deniers se dirigea alors vers la porte sans pour autant jeter un regard vers celle qui était toujours détenue par ses sbires. Il attendit que Thorvald vienne lui ouvrir la porte et lorsque cela fut fait, il tourna lentement la tête vers la béarnaise.

- Vous avez trois jours. Ma patience n’ira pas plus loin. Mes sieurs, je crois que notre invitée n’a plus besoin de notre… « soutien ».

À ces mots, Jørgen et Sven relâchèrent la béarnaise. Ils emportèrent avec eux le corps inerte de Morten, l’agrippant par les aisselles et laissant ses pieds trainer au sol. ils rejoignirent Niels, s’apprêtèrent à sortir avec lui. Le danois franchit le pas de la porte, Thorvald, Jørgen et Sven et les autres lui emboitant le pas. Du couloir, des sons gutturaux à l’accent scandinave retentirent une fois encore.

- Trois jours pour convaincre Søren de me ramener ces documents et obtenir titres et terres. Sans cela…vous devrez en assumer les conséquences. Tous les trois.

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Eudoxie_
Il est faux de croire que l’échelle des craintes correspond à celle des dangers qui les inspirent. On peut avoir peur de ne pas dormir et nullement d’un duel sérieux, d’un rat et pas d’un lion. (Marcel Proust)

Duel ? Abandon ? Lâcher-prise…

"Salle du trône des Houx Rouges"


Petite chose insignifiante dans les desseins d'un homme à l'ambition et à l'égo démesuré, épine dans le pied d'un plan qu'il espérait se dérouler sans accroc, femme objet dont la manipulation s'avérait plus complexe qu'escompté, voilà ce qu'elle était... voilà comment Eudoxie se sentait.
Frêle parturiente épuisée, physiquement autant que mentalement... Brunette jouant carte après carte sans obtenir le moindre résultat, lasse de ce jeu de dupes, lasse de vouloir sortir d'un piège qui n'avait pas d'issue, lasse de laisser Niels s'amuser à ses dépens.

Elle ne sortirait jamais de cet endroit, il le savait autant qu'elle en était convaincue, au final l'écoutait-elle seulement encore quand il lui parlait d'Albane, de sa mort, de Soren et de ce qu'il pensait qu'elle ignorait sur la lame qui avait tué la pauvresse, avait-elle encore la force d'être ce pion qu'il manipulait ?
La raison était touchée, la fierté, le physique n'étant plus que poupée de chiffon entre les mains de deux brutes danoises, si elle n'avait pas compris comment des amis de Soren avaient pu violer sans état d'âme des serveuses, la chose lui semblait plus claire à présent.

Et le sol vacille sous ses jambes quand les géants blonds la relâchent enfin sans qu'elle comprenne vraiment pourquoi, trois jours, trois jours pour quoi ? Trois jours enfermés ici pour obtenir quoi, quand comprendrait-il que si Soren ne lui avait pas donné ce qu'il demandait c'est parce qu'il ne l'avait pas...
Des menaces... non voilées... Qu'espérait-il au fond ? Son "ami" d'enfance était pendu par les mains dans une cage, l'autre pour ainsi dire mort sur le sol, et elle... elle sentait que tout lui échappait, quoi qu'elle fasse, enjôleuse et cordiale ou provocatrice et hautaine, rien n'atteignait cet homme... A quoi bon...

En assumer les conséquences... Tous les trois... Comptait-il Morten qui au final retournait à son maître tiré par Sven et Jorgen ou son bébé à naître... quelle importance... ce fou n'aurait pas ce qu'il voulait et ils les tueraient pour ça... probablement sans sourciller
Les mains venues se mettre en berceau sous son ventre soutenait un abdomen aussi dur que de la pierre, observant le détestable cortège sortir sous les ordres du maître et de les entendre rire à l'extérieur alors que la porte se refermait sur elle.

Fin de l'acte, rideau sur la scène, la protagoniste principale cesse la représentation et les genoux ploient sous le poids de toute cette folie qui s'abat sur elle, venant rejoindre la mare de sang à ses pieds dans un sanglot qu'elle ne contrôle plus.
Le corps, l'esprit, Eudoxie lâche prise oubliant même un instant la présence de son danois à quelques mètres avant de céder au cri primal d'une souffrance qui la tiraille depuis un moment, se moquant bien de ce qu'on en pensera derrière cette foutue porte.

Crier pour ne pas perdre la raison, crier pour extérioriser ces douleurs, crier pour... crier, crier tout simplement parce que le besoin était là, parce que de mauvaises pensées s'insinuaient dans son crâne, parce que... mais non... non...
Elle s'en était fait la promesse à elle-même elle ne fuirait plus, ne se ferait plus spolier comme chez le comte, et pas plus aujourd'hui qu'hier ou demain, prenant une profonde inspiration il lui fallait se ressaisir.

Les mains se posèrent au sol, rencontrant le visqueux du sang en cours de coagulation au sol, poussant dessus pour relever le corps fatigué et endolori avançant vers la cage où son danois était tout juste conscient, à peine avait-elle croisé le bleu de son regard pendant toute cette parade autosuffisante du Castral-Roc.
Geôle rejointe, les mains de la béarnaise s'agrippèrent au barreau, cherchant de ses perles noires, comment débloquer la porte, par quel moyen le sortir de là-dedans, mais là tout de suite un besoin plus impérieux...

Seurn...

Le voir, s'assurer qu'il respirait, détailler son corps, remonter pupilles pour chercher les attaches au plafond de cette saleté de prison, maudire Niels et lui souhaiter la pire de toutes les tortures, et ce besoin de le toucher.
Un bras marqué de la poigne successive de plusieurs danois se faufila alors entre les barreaux pour venir effleurer du bout des doigts le visage sali de son autre, pour obtenir une réaction quelque chose, n'importe quoi, un semblant de conscience de sa part.

Parle-moi…

Tout juste un sursaut, à son toucher à peine un tremblement et se furent des onyx inquiètes qui se mirent à balayer les alentours de la cage, trouver le moyen d'ouvrir cette prison de fer, de détacher son danois… de…
Non… ce n'était pas possible... cet être machiavélique aurait-il tout prévu depuis le début, jusqu'à cet instant, jusqu'à cette gifle qui semblait pourtant l'avoir pris de court ? Et pourtant c'était bien une clé qui se trouvait accroché au mur, presque pas visible dans la pénombre.

Courant pour aller la récupérer en délaissant le visage de son blond d'une caresse, la petite brune manque de se vautrer en se brélant les pieds dans les pans froufrouteux de cette robe qu'on lui avait mis sur le dos.
Attrapant le sésame entre ses doigts, l'orthézienne ne put se résoudre à penser que c'était là un détail oublié par Niels, tout, il calculait tout, elle en était maintenant persuadée mais sur l'instant, elle s'en foutait et attrapant son jupon, repartie en sens inverse pour rejoindre son danois.

Serrure déverrouillée, la porte lourde est tirée et une petite brune entre dans la geôle ses mains se portant sur le visage de son aimé dans un soupir, regard sombre se dirigeant sur les poignets enfermés par des menottes.
Clé encore, est-ce que ? pourquoi pas tenter… Danois délaissé et clé sur la porte récupérée, le souffle de la béarnaise se faisant court sous l'effort et le ventre tendu plus qu'il ne l'aurait dû.

Et priant tous les saints, le corps collé à celui de son autre, Eudoxie, hissée sur la pointe des pieds, introduisit la clé dans la serrure des menottes, le bras de Soren retombant lourdement sur le sien provoquant un sourire sur les lèvres de la brune, le premier depuis son entrée ici.
Ramenant le membre danois sur son épaule, même opération fut effectuée à l'opposé, mais dans sa hâte, un détail avait été oublié par la bestiole qui lui fut rapidement rappelé quand le poids de son géant scandinave retomba sur elle une fois le bras libéré.

Aussi pleine de bonne volonté qu'elle était, la petite brune était bien incapable de soutenir la carrure de son ange blond et la chute des deux corps lorsque celui de Soren fut libéré le lui remit en tête amèrement alors que sa tête heurtait le sol de la prison de fer écrasée sous le poids de son danois.
Peur, précipitation, rien de bon à tout ça et le résultat, Soren était libéré oui… et elle se retrouvait estourbie, avec une douleur à l'arrière du crâne et un colosse lui écrasant le ventre à lui en couper le souffle sans pouvoir s'en dégager.

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Soren

Libéré de ses entraves, le corps chuta lourdement sur une Eudoxie se trouvant dans la dernière ligne droite de sa grossesse. Le choc brutal contre le sol de pierre de la salle du jugement provoqua en moi un sursaut de conscience, un rappel qu’il fallait revenir à la réalité pour lutter contre les dangers de l’extérieur. Autour de moi, tout était sombre. Une sensation de froid et d’humidité se propagea le long de mes jambes. Les sons qui parvenaient à mes oreilles étaient confus. Ils résonnaient creux quand si j’étais dans un souterrain. La goutte d’eau qui s’écrasait dans une flaque de manière incessante et régulière me donnait l’impression d’être coincé dans une boucle temporelle, de revivre encore et toujours le même instant. Je n’avais pas conscience de où j’étais. Søren: oui, c’était mon nom. Et à part ça?

Sur le seuil de mon esprit, les souvenirs affluaient peu à peu, éparses, désordonnés, confus : un baiser, la mousse d’une bière qui coule le long des parois d’une chope, la traversée d’une rivière, une gorge qui s’offre à mes lèvres. Et puis vint la douleur, celle qui part de l’arrière du crâne pour venir, tel un cercle de feu entourer la tête danoise. Au feu succéda l’étau qui compressait les os dans ses dents de métal. J’ai dû lutter pour ne pas sombrer à nouveau dans l’inconnu une fois encore, lutter pour ne pas m’enfoncer dans ce corps spongieux non identifié. J’ai roulé pour me dégager de là et m’étendre sur le dos. L’effort m’amena une nouvelle fois près de l’inconscience et le passé récent se présenta à moi.


    «  J’avais du mal à y voir. La flamme de ma torche vacillait sans cesse: y avait-il d’autre passages secrets? L’antre de Mapsie refuserait-elle de me livrer ses secrets? A mes pieds, gisait une pile de livre. For fanden! L’université n’était pas mon lieu de prédilection et les langues anciennes ne m’attiraient guère. Cela avait fait l’objet de discussion avec Eud : A quoi sert la connaissance des langues étrangères? A lire des livres. Oui mais à quoi sert de lire des livres? Ça sert dans le domaine religion. Et bien voilà! Moi, le domaine religieux, sans être athée, ça n’est pas ma chope de Sainte. Le peu de temps que je passais à l’université, je le prenais dans les cours de navigation. Ça, ça servait à quelque chose. Et les langues, eh bien… Je venais de découvrir à quoi ça servait. For fanden! Ce n’est pas moi qui aurait dû être ici. C’est Eud! En quittant notre appartement parisien après son départ, j’avais espéré que je pourrais trouver par moi-même, revenir avec de l’information pertinente, suffisamment précise pour que Eud l’exploite, que je négocie un accord avec Niels: la libérer en échange de ma parole d’honneur que toutes les informations que l’on décodera sur le logion XVII lui seront transmises. Niels me connait, c’est…Enfin je devrais peut-être employer le passé…C’était un ami. Il sait qu’il peut me faire confiance.

    Alors pourquoi étais-je venu ici? Parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire, parce que sans ce mince espoir, Niels avait toutes les cartes en mains, toutes les cartes…et Eud en prime. Et puis, Eud ne connaissait pas l’antre de Mapsie, elle n’avait jamais erré dans les souterrains des Houx-Rouges. Me donner à Niels et la laisser venir ici seule ou même avec Morten eut été totalement stérile: Les chances qu’ils trouvent cet endroit étaient quasi nuls. Même moi… De ce fait, vous devez vraiment vous demander ce que je faisais ici? je feuilletais, je cherchais dans ces livres rempli de mots incompréhensibles un signe, un indice, un dessin, une inspiration.

    La bibliothèque de Mapsie contenait trop de livres. Les sortir tous était totalement impossible. Je ne me voyais pas traverser une partie de Paris en sifflotant et en poussant une brouette chargée d’ouvrages religieux. Amener Eud ici fréquemment? C’était folie. Si un des sbires de Niels nous suivait, trouvait le passage secret, nous étions faits. A trop tirer le Sans-Nom par la queue, on risquait de l’échauder. Alors, je n’avais pas le choix. Il me fallait faire un tri, trouver les sources d’informations pertinentes et filer les étudier au calme, dans un endroit plus éclairé.

    Depuis combien de temps étais-je ici? Je n’en savais fichtre rien. La torche semblait se consumer à une vitesse phénoménale. J’en avais besoin pour repartir. Le temps jouait contre moi, la lassitude aussi. Mon esprit s’accrochait sans cesse aux récifs de ces mots étrangers. A force, cela me donnait mal au coeur et fatiguait mes yeux. Rien. Rien qu’une forêt de symboles, de lettres qui se refusaient à moi. Autant chercher une aiguille dans une meule de foin. Peut-être était-ce dû à la concentration dans laquelle j’étais plongé pour trouver le moindre petit indice toujours est-il que je ne les ai pas entendu venir. Comment ont-ils su? Comment ont-ils trouvé l’endroit? Je n’en savais rien. Je pensais que Mapsie était mon allié. J’ai constaté qu’elle fleuretait aussi avec Niels. Juste au moment où je pensais enfin avoir résolu l’énigme dont la solution me sautait aux yeux depuis les premiers instants… » 


- Eud ?

La voix était trainante, les yeux avaient du mal à s’ouvrir complètement malgré l’absence de clarté. La silhouette qui se découpait devant moi était encore floue et pourtant j’en aurais mis ma main au feu…ou porté mes lèvres aux siennes. Ces bras, ce visage, c’était ma Castera.

- C’est toi. Oui…C’est toi. Co…Comment vas-tu?

Ça, cela ressemblait fortement à l’hôpital qui se posait des questions sur l’état de la Charité.

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Eudoxie_
On ne peut avoir que deux attitudes face demain : la peur ou la foi. (Henry Ward Beecher)

Bonheur ? Geôle ? Et maintenant…

"Salle du trône des Houx Rouges"


Respirer, reprendre son souffle lorsque le poids d'un mastodonte danois, fusse-t-il l'être aimé, libérait sa personne dans une ouverture de bouche appelant l'air de tous ses vœux, de toute son âme, de... nom de... mourir écrasée sous l'homme qu'on aime mais bonjour le cauchemar.
Souffle court et regard sombre planté sur le toit de tôle de cette cage à vous filer une chair de poule dantesque, le balancement des menottes de fer hypnotisa le corps en souffrance un instant, jusqu'à ce que la voix de Soren ne s'élève à ses côtés lui faisant pivoter la tête.

Je suis en vie...

Etait-il utile de lui dire que ses bras et poignets étaient marqués de la rencontre de ses amis d'enfance Sven et Jorgen ? Que sa joue raisonnait encore de celle de Niels ? Que son esprit était encore embrumé de ce qu'on l'avait drogué ? Que le ventre abritant le fruit grandissant la torturait depuis qu'elle avait hissé Morten Moribond sur le lit de sa prison dans les sous-sols des Houx Rouges.
Non certainement pas... Lui dire qu'elle allait bien eut-été un mensonge aussi, et le sang qui maculait sa robe, même sans être le sien, démontrait parfaitement que non... ça n'allait pas, que non Niels n'avait pas fait dans la dentelle même s’il n'avait pas porté atteinte contre elle jusqu'à ce qu'elle le gifle.

Un long soupir et les mains de la petite brune se posèrent au sol pour assoir le corps au ventre rond pivotant vers son danois, jambes se repliant doucement en envers en portant ses perles noires sur lui.
Elle était en vie oui, ça résumait la situation et une douleur sourde formait un étau autour de sa tête, sensation chaude et humide sillonnant sur sa nuque dégagée, dextre se portant d'instinct pour essuyer l'intrus.

Doigts rougis de carmin... l'impact au sol avait sans doute été trop violent avec le poids de son ange blond et le cuir chevelu avait cédé... probablement, mais peu lui importait, d'un geste discret, les longs cheveux noirs portés sur le côté furent rejetés en arrière et la main essuyée sur la robe, un peu plus un peu moins de sang, qui verrait la différence.
Doucement la paume de sa main vint se poser sur le visage sali, le caressant avec tendresse en prenant mille précautions pour ne pas faire plus de mal qu'il n'y en avait déjà, un sourire se voulant rassurant se dessinant sur le visage d'Eudoxie, sentiment de plénitude de le retrouver au milieu de toute cette folie.

Et je vois que toi aussi... Et tu pètes le feu en plus.

Un léger rire, pas bien convaincant, mais pourquoi ne pas tenter une touche d'humour quand tout va mal et qu'on pense que rien ne pourrait être pire.

Seurn... comment te sens tu ?
As-tu trouvé ce pour quoi on est venu ici ?
Dis moi que tu vas bien ?
Il veut les pages...
Tu as mal quelque part ?


Interrogations mélangées, sur son bien-être, autant que ses trouvailles et s'inquiéter sans doute trop, brouillant son esprit, cogitant en dépit du bon sens, partant trop loin, ou pas assez et puis...
Cette phrase qui rebondissait à l'intérieur du crâne de l'inénarrable, cette menace sourde laissant agir le venin dans la morsure que le serpent venait de lui prodiguer " Trois jours pour convaincre Søren... Sans cela…vous devrez en assumer les conséquences. Tous les trois. "

Il veut le logion... Il veut le pouvoir...
Il te veut toi... avec lui... dans sa folie...


Frémir et capturer le regard bleuté fatigué du sien.

Il... Je... Tu...
Il nous tuera...
Sauf si...


Hésiter et se mordre la lèvre, ne pas oser et n voir pourtant aucune autre option, ne pas vouloir s'y résoudre et se dire que foutu pour foutu...

Tu le connais toi...
Crois-tu qu'il tiendra parole si tu lui donnes ce qu'il veut ?


Senestre partant à la rencontre de son homologue danoise et phalanges s'entremêlant les unes aux autres, point d'ancrage rassurant, atome d'un espoir pas encore tout à fait éteint.
Eudoxie voulait croire que malgré sa perfidie, peut-être Niels était-il homme de parole, oui elle savait que le Castral-Roc avait pris le parti d'un oncle tortionnaire lui offrant pouvoir mais avait-il trahi une parole ou une promesse donnée en plus d'avoir abandonné Soren à son sort ?

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Soren

« Houx-Rouges, salle du trône - Libéré, délivré. »



J’avais du mal à garder la tête hors de l’eau, au dessus du seuil de conscience. Les yeux se fermaient tout seuls et il me fallait lutter pour résister et ne pas se faire emporter plus profondément dans les abysses de l’onirisme. For fanden! Je ne comprenais pas ce qui se passait. l’instant d’avant j’avais été capturé dans la caverne de Mapsie, roué de coups, forcé à boire ce liquide amer qu’ils ont fait couler dans ma gorge. Et le suivant? Eud à mes côtés, le froid qui me parcourait l’échine et l’incessante sensation de vaciller, de sombrer. Devant mes yeux que j’avais du mal à garder ouverts, le visage d’Eud se découpait dans un halo de brume. Elle était en vie. J’ai senti sa main sur mon visage, plus que je ne l’ai vu. J’avais la gorge sèche, aussi sèche qu’un parchemin antique qui s’égrenait quand on le prenait en main. Était-ce un rire que j’ai entendu à ce moment-là? Celui de Eud ou celui du Sang-Nom?

 « Comment je me sens? » 

- Comme un danois devant une chope de Sainte vide.

Pour moi, la réponse était claire, limpide. Dans mon esprit, les syllabes s’enchainaient parfaitement et il n’y avait aucune ambiguïté quand à la question à laquelle je répondais. Les paroles d’Eud mettaient du temps à franchir la nasse dans laquelle mon esprit était englué. La dextre se leva avec peine vers le visage de la béarnaise, écartant au passage une mèche qui masquait son oeil droit. Souriait-elle? Souffrait-elle? Elle était en vie, elle l’avait dit. Mes yeux ne me trahissaient donc pas.

- J’ai…trouvé…Besoin…de toi. Ne…

… « t’inquiète pas? ». Ce dernier fragment de phrase resta coincé dans la gorge. Ma main s’enroula autour de la nuque d’Eudoxie comme elle le faisait dans des moments plus sensuels qui n’appartenaient rien qu’à nous. Cette fois cependant, l’objectif recherché était tout autre. Je n’avais pas la capacité d’élever la voix. Il fallait qu’elle s’approche, qu’elle entende ce que j’avais à lui dire, voire qu’elle devine ce qui n’aurait pas la force de sortir.

- L’antre de…. Mapsie. Héritage….Latin…ou grec… autre… grav… table.

La tête dressée vers elle jusqu’alors retomba sur le sol comme aspirée par celui-ci. Pendant combien de temps avais-je perdu connaissance? Un instant? Un moment? Une demi-journée? L’éternité? Les paupières se plissèrent deux ou trois fois avant de réussir à s’ouvrir. Eud était toujours là, proche de moi. C’est à ce moment que je remarquai son étrange accoutrement de couleur rose délavé parsemé de petites gouttelettes bourgogne. Combien de temps ai-je mis avant de réaliser? Avant de comprendre que ce motif n’avait rien d’artistique?

- Tu… Tu saignes?

Le bébé. Avait-elle perdu le bébé par la maltraitance de Niels? Sa robe maculée de sang trahissait-elle un accouchement prématuré? Forcé? D’autres images me revinrent alors brutalement à l’esprit et un courant glacial me parcourut de la tête aux pieds, hérissant mon épiderme sur son passage. Toute la force qui me restait encore se liquéfia instantanément en moi. Je n’eus que le temps de tourner la tête sur le côté avant qu’une bile jaunâtre, verdâtre ne jaillisse d’entre mes lèvres et se répande, après plusieurs saccades, sur le sol pierreux de la salle. Mon corps fut pris de spasmes alors que mon estomac se vida de ses derniers reliefs dans un concert sonore qui n’avait rien de mélodieux. La vague passa et laissa sur la grève picotements acides dans la gorge et claquements de dents. J’avais froid comme si je me trouvais au bout de la jetée de Helsingør par une froide journée d’hiver. Mon corps était pris de soubresauts, de tremblements. Un goût acre me restait en bouche.

- Eud…Le bébé… Tu l’as per….Comment vas…tu?

Certaines de ses questions s’étaient volatilisées. D’autres restaient tapies dans un recoin de ma tête attendant que le délai de traitement de l’information par mon esprit leur permettent enfin d’être prises en compte. Les crampes à l’estomac avaient fini par s’effacer. Petit à petit, je prenais du mieux, vidé certes mais la douleur s’évacuait et je ressentais la vie couler enfin dans mes veines. J’avais soif et la faim pointait le bout de son nez. Niels avait gagné la première manche: je m’y attendais. Nous avions encore du jeu dans nos mains. Il n’avait pas encore ce qu’il voulait…et, il est vrai que nous non plus. Ou pas totalement.

La tête pivota d’un demi-tour, scrutant les détails que la pénombre voulait bien révéler. La pièce était sombre et plus vaste qu’une prison. Je distinguai le trône sur son piédestal de pierre et les torches qui vacillaient au gré des courants d’air. En face de moi, il y avait une cage, des chaînes de métal. J’allais me retourner vers Eud pour qu’elle m’aide à me lever lorsqu’un murmure se fit entendre à l’autre bout de la pièce


- Psssit…Par ici…Oh vous! …Par ici.

La voix était manifestement celle d’une femme…ou d’un fantôme sorti d’on ne sait où, une personne qui aurait erré trop longtemps dans cette vieille bâtisse, une de celle dont les brimades, l’emprisonnement et les railleries auraient poussé en vain à trouver une issue de sortie au travers du dédale de passages secrets qui fourmillaient sous les Houx-rouges, une âme-en-peine aux cheveux blonds comme les épis de l’été.

- Il faut que vous partiez!…oui…partir! Vite! Avant qu’ils ne vous enferment ici pour le restant de votre vie.

La voix provenait d’une ouverture dans le mur derrière le trône de pierre. Elle n’était pas plus haute qu’une main et large de trois. Trois, c’était aussi le nombre de barreaux de métal qui l’obstruaient. L’obscurité s’étendait derrière. Etait-ce de là que venait le léger déplacement d’air qui faisait parfois vaciller les chandelles même en l’absence de mouvement dans la pièce? Une porte de sortie ou le premier passage à franchir vers l’enfer lunaire?

- Ils vont tout vous prendre, tout, y compris l’enfant que vous portez! Ils vont arracher vos vêtements, abuseront de vous quand ils en auront envie. Vous serez leur jouer. Ils vont même vouloir prendre votre âme. C’est ce qu’ils ont essayé de faire avec moi..
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Eudoxie_
Les meilleures raisons ne touchent pas l'esprit de ceux qui ont peur. ( Pierre-Claude-Victor Boiste )

Joie ? Angoisse ? Houx rouges…

"Salle du trône des Houx Rouges"


Des questionnements plein la tête, des angoisses, des hantises et pourtant ce besoin optimiste d'y croire, ce foutu espoir qui ne quittait jamais la béarnaise, quelque soit les circonstances, quelque soit l'obstacle, quelque soit la forme qu'il revêtait.
Et à cet instant, il prenait la forme d'une demande de Sainte, sacro-sainte Sainte, infaillible besoin primaire de son blond en tout lieu et toute taverne, la réclamant à corps et à cris invoquant sacrilège si absente de la carte des boissons servies.

L'espace d'un moment un sourire naquit sur le visage de la petite brune, sa main se faisant cajoleuse sur la joue danoise teintée de boue, il était faible et ça y'avait aucun besoin d'avoir fait médecine pour le voir, pourquoi restait la question, le corps de Soren ne semblant pas porter de coup.
Drogué ? Fort probable, Niels savait sans doute qu'il n'obtiendrait rien par la force avec son ami d'enfance, mais... en jouant de point de pression comme elle... que lui avait-on fait pour abattre ainsi son géant danois.

Inquiétude et joie se mêlait à qui mieux mieux, et le visage penché vers le sien Eud écouta attentivement les murmures entrecoupés, ainsi donc il avait trouvé l'endroit qu'il venait chercher et peut-être même ce qu'il voulait trouver mais ses réticences à certains apprentissages...
Bloqué de n'avoir pu déchiffrer, un soupir trahissant son exaspération et un "si tu m'avais écouté" filtra de ses lippes, et sans un mot compris alors qu'un nouveau statut venait de lui être attribué dans cette aventure : traductrice...

Pas le temps de soutenir la tête qui retombait au sol, l'orthézienne grimaça au son du crâne au sol, se remémorant alors qu'il lui faudra soigner le sien à un moment donné, sentant le filin sanguin filer de sa nuque jusque sous son corsage en suivant sa colonne.
Le cuir chevelu avait cette fâcheuse tendance à saigner facilement, mais cela se calmerait bien à un moment et puis était-ce vraiment important, c'est alors que la question fusa "tu saignes" et l'inquiétude dans son regard en évoquant le bébé suivit d'une autre interrogation.

La suite des évènements ne permit pas à l'orthézienne de répondre, se contentant d'assister impuissante au spectacle de ce corps secoué de spasme rendant tripes et boyaux, le haut le cœur pointant à son tour au bord de ses lèvres.
Se lever vite et s'éloigner pour évacuer la bile qui lui brulait la gorge, douloureux retournement d'estomac, bol gastrique vide de toute pitance depuis son dernier repas quand... avant que la drogue ne l'emmène dans tout ceci.

Les cheveux épargnés d'avoir été attachés par une autre, la bestiole s'en retournait vers son autre quand son attention fut attirée par un chucho, un murmure, comme une rêverie sortie de nulle part, une voix fantomatique, se pouvait-il qu'il s'agisse encore du spectre de sa mère.
N'ayant aucune envie de passer pour folle aux yeux de Soren, elle se dirigea vers ce qu'elle avait cru entendre, se guidant au son pour trouver la source de cette voix, traversant la pièce en contournant la mare de sang pour monter les marches du trône et disparaître derrière.

C'est alors qu'un visage de femme se dessina derrière des barreaux, dans une ouverture si petite que ce qui frappa Eud fut le regard clair similaire à celui de son géant blond, et le désespoir qui s'y lisait accentuant la véracité des mots qu'elle venait de prononcer.
Senestre se posa sur le bord de l'ouverture alors les phalanges de sa main droite s'enroulait autour du barreau le plus à gauche de l'ouverture, tentant de comprendre et rivant son regard sombre à celui de cette femme dont elle ignorait tout hormis le calvaire supposément évoqué à l'instant.

Nom de... Mais comment on sort d'ici... Vous savez comment ?
Tout semble clos.


Sur l'instant et comme rarement dans sa vie, Eudoxie n'eut que faire de ce qui était arrivé à cette blonde, ni même de ce qui pourrait bien advenir d'elle, tout ce qu'elle voulait c'était sortir de là par tous les moyens.
Quand une phrase claqua dans son crâne "tout y compris l'enfant que vous portez" ainsi que la fin de la tirade, doigts de la main gauche s'enroulèrent alors aussi autour d'un barreau la béarnaise approchant son visage de l'ouverture pour percevoir plus son interlocutrice.

Chétive, à peine vêtue, le cheveu ébouriffé et les bras et la gorge marqués de bleus, le tableau de la pauvresse ne laissait plus de doute sur la véracité de ses dires et un frisson désagréable s'insinua le long de sa colonne comme un millier de piqures.
Longue inspiration pour contenir son ressenti quand un mouvement l'interpella plus en retrait dans la pièce attirant son attention, plissant le regard pour tenter de percevoir, les perles noires s'ouvrirent toutes grandes en découvrant la silhouette d'un enfant âgé tout au plus de quatre ou cinq ans.

NOM DE DIEU !!!

Juron, blasphème, la brune ne terminait jamais cette phrase, jamais sauf en de très rares occasions et dans un tout autre cadre, mais découvrir jusqu'à quel point cet endroit relevait d'un être infâme, abject au point de....
Billes d'onyx captèrent les perles d'eau de la blonde entre tristesse et regain de peur, entre envie de la sortir de là et de vouloir avant tout se sauver elle, son bébé et Soren, la vision de cette mère et son petit n'étant que présage à fuir.

Est-ce qu'il y a un moyen de sortir d'ici... de vous faire sortir aussi... Je... De...
Tu es là depuis combien de temps ?.?.?


Oublier jusqu'à ses douleurs, sa blessure, son danois et ne plus voir que cette femme et son enfant captifs d'un fou et de ses sbires.
Oublier le champ des possibles et vouloir sortir d'ici à tout prix pour ne pas devenir cette blonde qu'elle plaignait de tout son être.



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Soren

Aux jurons, l’apparition posa sa main sur ses lèvres, stupéfaite comme si ces mots avaient été prononcés par ses propres lèvres. Elle, elle ne jurait jamais, même en de très rares occasions et dans un tout autre cadre qui ne se présentait plus depuis des années. Cela faisait longtemps, très longtemps qu’elle avait été enfermée ici, aux Houx-Rouges, sans voir personne, sans avoir la possibilité de partir. Au début, ils l’avaient traité comme une Reyne qu’elle n’était pas. La petite paysanne avait valets, toilettes et mets raffinés à portée de main. Il lui suffisait de demander et elle était servie, elle et son fils. Elle en avait profité. La chambre dans laquelle ils l’avaient installé avec ce dernier était vaste, bien aménagée et luxueuse. Ici, pas de rat, pas de blattes ou autres rampants qui venait s’insérer dans ses draps pendant qu’elle dormait. De cela, elle avait horreur. C’était ce qui rendait sa vie à Helsingør insupportable: les blattes, surtout les blattes. Ici, elle n’avait plus besoin de travailler pour subsister. Elle était soudainement montée de plusieurs crans dans la société. Les hommes ne lui parlaient plus à l’impératif, ne reluquaient plus sa poitrine avec concupiscence, ne glissaient plus leurs mains sur ses fesses… mais cela ne dura pas.

Le prix à payer pour tout cela? Répondre à quelques questions et laisser son fils s’entretenir en tête à tête avec le seigneur des lieux de temps à autre. Elle n’était d’ailleurs pas dupe: tout ceci, elle le devait à lui, à lui et à certains traits de la famille régnante qu’il portait sur sa face. Elle n’était pas folle…enfin…pas encore: pour que cela continue, elle le savait, il fallait qu’elle continue à être une source d’intérêt pour le maître des lieux. Alors, aux questions qu’on lui posait, elle répondit toujours dans le sens attendu par son interlocuteur sans en dore jamais trop. Servir à l’auberge des clients de toute sorte lui avait permis de développer ce don, celui de savoir ce qui est désiré. Oui, elle était tombée enceinte après qu’un homme ait abusé de ses attraits charnels et ce malgré les précautions qu’elle prenait toujours en pareille situation. Non, elle n’était pas une catin et ne vendait pas son corps à tout venant. Oui, l’homme avait payé pour la basculer dans son lit mais il était riche et noble. Cela ne faisait pas d’elle une prostituée, simplement une jeune fille qui avait envie d’un peu plus de confort de temps à autre.

Au début des interrogatoires, elle avait hésité à donner plus de détails sur celui qui était sans aucun doute pour elle le géniteur de son fils. L’homme n’avait jamais reconnu sa paternité et elle, elle n’avait même jamais osé lui dire qu’elle était tombée enceinte de ses oeuvres: elle tenait à sa vie et savait que toute démarche pour obtenir bourses ou privilèges pour cette naissance se serait conclus par sa propre mort. L’homme avait cette réputation. Il était radical dans sa façon de régler ses soucis. Niels? Elle ne le connaissait pas. Elle ne savait pas qui il était, ce qu’il désirait. Il lui offrait ce qu’elle aimait. Elle le prenait de bonne grâce et se contentait d’alimenter sa curiosité comme elle le pouvait pour profiter le plus longtemps possible de cette situation. Et puis, elle ne voulait pas s’exposer à la vengeance de ce géniteur.

Le temps passa aux Houx-rouges et elle comprit alors que le Roy de deniers ne désirait qu’une chose : que soit enfant soit de la descendance de l’héritier Eriksen, le jeune, celui qui ne régnait pas et dont on disait qu’il avait été banni du Danemark pour éviter qu’il ne revendique le duché d’Helsingør. Niels s’était trompé et elle en comprit alors la raison. Pour autant, devait-elle renoncer à ses toutes ces petites gâteries que la vie lui avait offerte? Elle savait pertinemment comment les hommes de son pays se comportaient quand ils étaient déçus de ne pas avoir ce qu’ils désiraient. Alors, elle se tût. Elle conforta Niels dans son erreur, profitant encore et encore de ses largesses. Pourtant, ce fut tout le contraire qui se passa: une fois Niels convaincu que l’enfant était de Søren Eriksen, ses journées devinrent un enfer. Son fils lui fut enlevé le jour et Niels s’occupa de son éducation. Quand à elle, elle devint progressivement l’objet de railleries et de défoulement de la part des sbires du roy de deniers. Fini les jolies robes, les manières élégantes et les repas raffinés. Elles fut confinée dans sa chambre. Toute visite lui fut interdite. Les interrogatoires cessèrent. Elle perdit intérêt aux yeux de Niels. Le danois se contenta de la garder en vie et sous sa coupe. Lui même ne la toucha jamais, ses hommes eux profitèrent de son corps lorsqu’ils en eurent envie. Ils la violèrent: seul, à deux, à plusieurs. Ils la battirent, l’humilièrent. Elle devint leurs esclaves dans les limites autorisées par Niels. Son esprit s’étiola peu à peu, glissant inexorablement vers la folie, vers une peur raisonnée mais prenant toute la place dans sa vie. Seul son fils la retenait encore à la surface lorsqu’ils lui permettaient de venir la retrouver pour la nuit. Le secret de la descendance de Lars Eriksen resterait sans doute à jamais murée entre les parois de la folie d’une ex-serveuse d’auberge d’Helsingør.

Derrière ses barreaux, la voix s’interposa.


- Ne blasphémez pas malheureuse! Ici, il ne nous reste que le Très-Haut comme allié! Vous êtes dans l’antichambre de l’enfer lunaire petite sotte!

Sortir d’ici? Si seulement, elle savait comment faire, elle ne serait pas là, à parler à une inconnue dont elle se foutait royalement…ou presque car la présence de la folle ici, derrière ces barreaux n’était pas fortuite ni désintéressée.

- Crois-tu que je serais ici à te parler si je savais comment sortir d’ici petite sotte?

Sotte. Voilà un mot qu’elle adorait prononcer à l’encontre des autres. C’était sans doute un moyen de défense naturel que son esprit avait mis en place pour nier la réalité. Avec Eudoxie, elle alterna vouvoiement et tutoiement sans aucune raison, sons même y faire attention. D’une réplique à une autre, son ton passait du registre de la compassion à celui de la raillerie, de la douceur à la rigueur de l’impératif. Elle était serveuse attentionnée, mère aimante ou mégère qui était loin d’être apprivoisée. Elle sautait du coq à l’âne, complimentant Eudoxie pour la beauté de sa toilette puis tapant du plat de la main contre le mur et mâchant ensuite quelque chose de non identifiable qui croquait sous la dent. Lorsqu’Eudoxie remarqua l’enfant qui l’accompagnait, elle se raidit dans l’ombre, portant ses bras autour du petit être comme si la béarnaise était un danger pour lui. Elle ne le lâcha plus du reste de la conversation.

- Tais-toi! Tu vas tous nous faire repérer et ils vont venir nous prendre. Au propre comme au figuré. Même toi tu y passeras. Ils n’auront cure que tu sois enceinte alors tais-toi!

Un bruit métallique se fit entendre dans la pièce alors qu’une lame racla la pierre de la cellule en passant entre les barreaux de la petite ouverture. La folle d’Helsingør ne relâcha pas le poignard danois pour autant. Sur celui-ci, des entrelacs métalliques entourant les initiales « S » et « E » brillaient lorsque l’éclat d’une flamme passait dessus.

- Tiens! La voilà la clé que tu cherches. Prends-la et sers t’en toi, toi ou ton homme, quand ils viendront vous quérir. Tue! Ensuite…

Ses prunelles brillèrent dans la pénombre. Des doigts décharnés s’agrippèrent à l’un des barreaux et un visage émacié vint se coller dans l’ouverture, visage s’approchant du mieux qu’elle le pouvait d’Eudoxie.

- Vous devrez payer votre dû toi et lui!… Il se dit que ton blond est entré ici par un passage secret? Ça veut dire qu’il connait un moyen de sortir non?

Elle avait beau être folle, certaines traces de logique subsistait encore dans son esprit.

- Vous viendrez me chercher, moi et mon fils, dans notre chambre et vous nous ferez sortir avec vous. Si vous mettez trop de temps à tenir parole… je les alerte…et ils me vengeront!

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Eudoxie_
J'ai appris que le courage n'est pas l'absence de peur, mais la capacité de la vaincre. ( Nelson Mandela )

Captive ? Poignard? Qui…

"Salle du trône des Houx Rouges"


Sotte... Petite sotte... Oui mais en attendant qui se trouvait enfermée depuis des lustres et charriée d'un endroit à un autre avec son mouflet ? uhm ? La petite brune était déjà au bord de la rupture nerveuse alors fallait voir à pas trop la chatouiller quand même.
Bon le discours de la blonde était pas faux non plus, si elle avait su comment sortir elle serait sans doute pas là n'empêche que bon... pas obligé d'être désagréable quand on est à peu de chose près dans la même galère.

La réaction de la femme l'interpellait, sauf celle protectrice de son petit, ça elle pouvait le comprendre mais pourquoi le garçonnet semblait-il bien traité alors que la femme était si.. sale ? Chétive ? L'ombre d'une âme ?
Tout à ce questionnement les pupilles sombres furent attirées par le poignard et ses inscriptions, un autre juron manquant de s'échapper de ses carmines tandis que sa main vint presque arracher la lame de celle qui la tenait.

Sa clé, bah tiens... Faisant pivoter l'objet entre ses doigts, confirmation fût faite, cette lame danoise elle la connaissait bien, très bien même et la bougresse n'avait aucune raison d'avoir cette arme entre les mains.
Sans sourciller, les perles sombres se posèrent sur l'inconnue, captive ? vraiment ? alors comment avait-elle ceci en sa possession qui hier encore ornait la ceinture à la taille de son géant blond ?

Qui es tu ? Comment as-tu ça en ta possession ?
Tu sais beaucoup de chose sur lui pour quelqu'un qui est soi disant "captive" ?


Main se détachant des barreaux et visage de la proximité d'un autre émacié.

Tu me demandes de l'aide et tu me menaces en même temps ? Qui est sotte...
Je pourrais décider de te laisser moisir ici...


Regard porté sur le gamin sous la protection de la blonde.

Sauf que je suis pas mauvaise et que ton fils a rien demandé maintenant je veux savoir : pourquoi il te garde ici, il ne fait rien pour rien.

Se décalant un court instant, la tête pivota pour voir ce que faisait Soren de son coté, s'étonnant de ne pas l'avoir vu arriver déjà, songeant qu'il était sans doute plus faible qu'elle ne l'aurait cru.
Finalement revenir à la blonde emprisonnée et poser une main sur la sienne, avant de s'approcher pour lui murmurer tout bas en la fixant droit dans les mirettes bleutées.

Je te promets pas de te sortir de là...
J'ai aucune idée de ce qui est faisable ou pas, d'où tu te trouves, je ne connais pas ce lieu et mon "blond" n'est pas vaillant après être passé entre les mains des sbires de Niels mais...
Je te promets d'essayer...
Je veux pas te faire une promesse que je suis pas certaine de pouvoir tenir.
J'ignore bien qui tu es et pourquoi, mais lui ne devrait pas être là c'est sûr.


Un long soupir en jetant un regard sur le petit blondinet et la béarnaise s'éloigna pour traverser de nouveau la pièce en sens inverse, la fouillant du regard en cherchant une outre, un vase, un godet, quelque chose pouvant contenir de quoi boire... mais rien.
Arrivée à proximité de son danois, Eud l'aida à s'assoir en l'appuyant contre le mur, son ventre la tiraillant, son crâne la faisant toujours souffrir, préférant s'installer au sol aussi, étourdie de trop d'émotion ou du sang qui filait doucement de son cuir chevelu.

Sans un mot, la dextre armée vint déposer sur les genoux de Soren le poignard qui lui appartenait, observant son visage les lèvres pincées.
Et dans sa tête tout s'imbriquait, se mélangeait la rendant perplexe, une blonde, un petit, eux en piteux état, Niels, ses sbires, Morten, les autres et une question posée intérieurement : "Et maintenant on fait quoi ?"


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Soren

 « Houx-rouges, salle du trône. »


Et maintenant on fait quoi? La question était pertinente, la réponse était moins évidente. Dans un premier temps, il me fallait rassembler mes esprits, lutter contre cette somnolence, cet engourdissement qui cherchait à s’emparer de moi, à me submerger à chaque fois que je sortais la tête hors des brumes. Était-ce cette boisson qu’ils m’avaient forcé à ingurgiter? Le résultat des coups distribués et savamment dosés? Niels n’avait pas été présent et pourtant ses hommes savaient exactement ce qu’ils devaient faire, jusqu’où ils devaient aller: ni trop ni trop peu. Avoir conscience, en partie, de ce qui se passait mais ne point pouvoir agir, devoir imputer cette faiblesse à mon corps sans même être capable de hurler, de vociférer, voilà où j’en étais rendu. Niels voulait clairement me faire passer un message: ici, je n’étais qu’un spectateur, un témoin, un personnage secondaire qui irait tout naturellement vers lui. Oui, il voulait que ce soit moi qui vienne à lui, de plein gré, parce que mon consentement était la seule chose à faire et il jubilerait que je le reconnaisse. Il ne voulait pas forcer mon allégeance par la torture, la douleur. Il voulait que je reconnaisse sa supériorité.

J’avais soif. Les lèvres gercées, la langue gonflée, et cette difficulté à garder la tête droite s’ajoutaient aux crampes d’un estomac vide qui se plaignait à son tour. Le contact du métal froid sur la peau tuméfiée de la jambe droite au travers d’une large déchirure des braies provoqua un sursaut de conscience qui me fit ouvrir les yeux. Hésitante, la dextre s’empara de la froide intruse et vint la porter à la hauteur du regard. La lame tourna devant mes yeux incrédules, présentant chacun de ses côtés successivement: le poignard danois. Mon poignard! Offert par Morten, perdu suite à un pari et gagné par Niels. Décidément, ce poignard était lié aux Houx-Rouges. Ce fut Albanne qui me le rendit en me demandant comment il s’était retrouvé dans le dos d’un de ses proches, m’accusant à mots à peine voilés de ce meurtre. Et voilà qu’après s’être retrouvé confisqué par les hommes de Niels dans l’antre de Mapsie, il revenait à nouveau entre mes mains dans cette prison glaciale. Était-ce un bon ou un mauvais présage? Qui avait donné cette lame à Eud? J’avais vaguement perçu qu’elle discutait avec quelqu’un il y a un instant mais avec qui? qui…

…Aux questions d’Eudoxie, la « fantôme » n’avait esquissait qu’un sourire qui se dissimulait aisément dans l’obscurité et les réponses de la brune furent un véritable nectar à ses lèvres: elle, la folle, la moins que rien, celle dont on abusait sans autre raison que de satisfaire ses propres désirs, voilà qu’elle impressionnait, qu’elle devenait source d’intérêt, bras sauveur. Sa connaissance des passages souterrains des Houx-rouges faisait d’elle celle avec laquelle il fallait compter, transiger. Pour une fois, c’était elle qui avait le jeu en mains. Elle expliqua alors cela à Eudoxie, lui dit que dans cette bâtisse, on pouvait aller de n’importe où à n’importe où en toute discrétion si on savait s’y prendre. Cette nuit, après que les hommes eurent passé devant sa chambre sans s’y arrêter, elle sut qu’ils ne reviendraient pas: le maître des lieux avaient des affaires importantes à traiter et ses hommes ne se soucieraient pas d’une pauvre folle ni même de son fils. Même lui ce soir était de moindre intérêt. Elle avait hésité un moment et puis, rassemblant son courage, elle était sortie par le passage secret de la cheminée. Elle s’était rendue jusqu’au poste des gardes, espérant y chiper quelques extras de nourritures que les hommes laissaient derrière eux de temps à autre. C’est là qu’elle me vit, moi, le blond, l’héritier des Eriksen, celui que le maître des lieux désirait comme père pour son enfant, ce gosse qu’elle serrait dans ses bras jusque dans cette pièce. Le « Eriksen » comme elle m’appelait dans ses chimères était mal en point. De la bave s’écoulait de la commissure de mes lèvres. j’étais inconscient, les poignets et les chevilles attachés aux quatre coins de la table qui servait à boire, à manger, à danser, à torturer. Me délivrer? Elle ne le pouvait. Elle n’avait pas la clé. Et puis pour quoi faire? Je n’étais visiblement pas en l’état de la sortir de là. C’est alors qu’elle aperçut mes effets entassés dans un coin de la salle. Elle avait eu le fol espoir d’y trouver un plan. Pourquoi aurais-je eu un plan des souterrains des Houx-rouges? Parce qu’elle le voulait, elle l’espérait, parce qu’elle aspirait à s’enfuir d’ici plus que tout. N’est-ce pas le pouvoir des fols de croire que tout est possible? Lorsque cela fonctionne, le fol devient génie et passe à la postérité. Pour elle, cette postérité lui tendait les bras car ce fut alors qu’elle aperçut le poignard. Elle s’en empara et s’éclipsa, emmenant son fils toujours dans ses jambes. Enhardi par sa découverte, la curiosité la poussa à en savoir plus sur les activités de ses geôliers. Elle ne manqua pas une miette de l’apparition maternelle au réveil d’Eud et elle y vit un signe: la brune était protégée par des forces éthérées bienfaisantes. Elle n’avait aucun doute là-dessus. Cette brune, c’était sa planche de salut si seulement elle voulait partager un peu de sa protection divine. Elle arriva près de la grille de la salle du trône au moment où Niels et ses sbires s’apprêtaient à partir. Quelques instants plus tard, elle comprit comment elle pouvait tirer partie de la situation.

Eud lui avait promis. Essayer de la sortir de là? Pour elle, c’était suffisant. C’était courir une chance qu’elle n’avait pas eu depuis son enfermement ici. Qu’importe que la brune ait des soupçons sur elle, l’important était qu’elle la sortisse de là. Ce fut d’ailleurs par un sifflement de dédain digne d’un serpent menaçant qu’elle répondit aux interrogations de la béarnaise et lorsque son fils entra dans la conversation au travers des paroles d’Eudoxie, elle raffermit plus encore son emprise sur celui-ci. Elle resta tapie dans son ombre, observant Eudoxie s’approcher de moi et me tendre le poignard, estimant qu’un pacte avait été conclus entre la brune et elle. Elle était sur le point de regagner sa chambre, avait même tourné le dos à la grille lorsque un bruit métallique rompit la quiétude de la pièce: le lourde porte à l’entrée de la salle du trône venait de s’ouvrir dans un grincement sinistre.

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Eudoxie_
L'ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine et la haine conduit à la violence. Voilà l'équation. ( Averroès )

Porte ? Visite ? Qui…

"Salle du trône des Houx Rouges"



Pas même un mot... rien... Tout juste le regard clair s'était-il perdu sur la lame qu'elle venait de lui rendre après l'avoir soulevé pour s'assurer que c'était bien le sien, les glaciers posés sur les initiales gravées étant plus que parlant.
Le mutisme de celui qu'on aime... était-il pire souffrance quand on était dans l'incertitude de quoi faire ? probablement que non, en tout cas pour la bestiole l'effet était aussi douloureux que cet étau qui enserrait son crâne.

A quoi pensait-il ainsi plongé dans ses pensées ? Avait-il encore conscience qu'elle était là à côté de lui, robe maculée de sang, le ventre rond de porter son enfant en proie à des tiraillements depuis plusieurs heures.
Avait-il seulement idée, de ce que Morten avait subi... avaient-ils été molestés de concert ? Toute cette violence, si lui avait déjà vu tête rouler dans un panier d'osier, participé à des guerres, vu couler plus de sang qu'un corps en contient, il n'en était rien pour la béarnaise.

Se rendait-il compte de cette peur qui la prenait toute entière malgré son désir de la refouler ? De ce qu'elle se demandait encore comment il était possible qu'elle n'ait pas craqué avant que Niels ne sorte, avant ce cri primal poussé plus tôt ?
Une main allant pour chercher ancrage sur sa sœur danoise, Eudoxie avait besoin de le savoir conscient de sa présence, mais en lieu et place la main arracha le poignard des doigts qui le tenait en entendant la porte s'ouvrir.

Réflexe de survie, instinct, appelez ça comme vous le voudrez mais la bestiole se redressa avec difficulté mais assez rapidement pour que l'impétrant ne soit pas là avant que la main armée ne se cache dans son dos.
Le souffle affolé et la tête lui tournant légèrement, les petites obsidiennes n'avaient pas lâchés l'homme de main qui s'approchait d'eux, repensant aux paroles de la petite blonde, Niels avait donné trois jours alors pourquoi le borgne revenait ici.

Sans un mot la trogne des mauvais jours avait lancé une outre non loin de Soren avec une miche de pain, ne s'étonnant même pas qu'il soit détaché à peine un rictus moqueur dédaigneux s'affichant sur sa face burinée.
L'œil avait fait le détail de la situation et de la bestiole, comme si son intégrité se devait de rester entière, un frisson désagréable la prenant entière, main libre se posant alors par automatisme protecteur sur son ventre.

Donnez-lui ce qu'il demande, sinon...
Coup de menton porté vers le bidon avec un signe explicite d’éventrement
Ce ne sera pas beau à voir
Rictus malsain s'élargissant en regardant Soren
Demandez-lui

Un poignard dans le dos, mais venait-il de se planter dans le sien ou la poigne qui se refermait sur la garde de celui entre ses doigts allait-il venir s'enfoncer entre les omoplates du borgne ?
L'homme était aussi haut qu'elle était petite et pourtant l'idée lui traversait l'esprit à elle qui n'avait jamais blessé personne, sur l'instant oui planter cette lame dès qu'il aurait le dos tourné lui semblait une porte de sortie, peut-être bien la seule.

Et lorsque l'homme eu finit de se repaître de sa situation de puissance pour tourner talons, un moment de latence, avant que la décision se prenne, le corps de l'orthézienne avançant vers le mastodonte.
Le bras levé pour frapper, le regard sombre s'ouvrit grandement, sa bouche s'ouvrant manquant d'air, la main armée s'ouvrant laissant tomber le poignard danois pour soutenir la fulgurance d'un ventre déchiré par la douleur qui la terrassait.

Bruit de fer rebondissant au sol, Thorvald avait pivoté pour ne voir qu'une petite brune en train de s'effondrer devant lui, bras se tendant pour la rattraper avant qu'elle ne heurte le sol, la brunette était un pion important dans les desseins de son maître.
FOR FANDEN !!!
Fulgurance d’une onde électrique dans ses chairs et étonnement de constater la réaction du borgne qu’elle s’apprêtait à trucider, une once d’humanité ? un réflexe ? une intention réelle de lui éviter tout mal ? Le cerveau de la brune engourdi ne savait qu’en penser, juste peut-être ne pas l’abimer sous peine de sanction…



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Soren

« - For fanden! Tu ne dois pas l’avoir mis dans tes bras pour ses qualités au maniement des armes! »


Ça, c’était l’Autre.

« - Non, pas la peine de me répondre: je sais. Je t’ai déjà dit que je vous voyais quand vous faites des choses que vous n’êtes pas censé faire?  »

Il avait parfois un sens de l’humour assez particulier…

« -  …et de facto, je la pensais plus habile de ses mains. »

Mais en règle générale…

« -  Alors maintenant, t’as plus qu’à te bouger les fesses et à réparer ses bourdes. For fanden! Une crampe au bide au moment où elle allait frapper: moi j’appelle ça du manque de courage! »

Il était plutôt du genre…

« -  Ramasse ce poignard avant que cet abruti ne le voit et fais ce que tu dois faire. Tue-le! TUE-LE! »

… Violent!

« -  Sinon, ni l’un ni l’autre, vous n’aurez plus l’occasion de rouler dans les draps et faire vos mille détours avant d’arriver au but final! »

Il pouvait parfois être subtil et parfois manquer cruellement de tact. Cynique, impudent, moqueur étaient des adjectifs qui lui collaient assez bien à la peau mais « violent » était l’essence même de cette partie de moi-même qui ne me quittait jamais. La première fois qu’il s’était manifesté, j’étais encore à Helsingør. C’était par une chaude journée d’été. J’étais parti faire une balade solitaire à cheval sur les terres de mon oncle. Lorsque je suis passé sur la lande au sud de Helsingør, mon chemin a croisé celui d’un troupeau de moutons, décharnés pour la plupart. La lande n’était pas des plus verdoyante dans ce coin de pays. Il m’a parlé. Non. Il a d’abord murmuré indistinctement à mes oreilles, comme une brise d’été qui peine à remuer les branches des buissons. Et puis ses paroles se sont faite plus compréhensibles, sa voix plus affirmée, ses mots plus ciblés. L’intensité de sa voix est monté crescendo. Je suis descendu de cheval, j’ai sorti le poignard qui pendait à ma ceinture et j’en ai attrapé un. De quoi? Un mouton! Un de ceux qui étaient tellement chétifs qu’ils ne méritaient pas de vivre. C’était ça que je me disais lorsque je me suis approché de lui et que mon poignard est passé sur sa gorge. Pauvre bête! J’ai du m’y reprendre à plusieurs reprises. C’était la première fois que j’en tuais une, que je tuais tout court…et j’ai aimé ça. Le sang qui s’écoulait de son cou à grand jets macula mes vêtements, éclaboussa mon visage, couvrit mes mains. Depuis, Il ne m’a pas quitté et ses visites subséquentes ont été plus macabres, plus intenses. Il, avec un I majuscule.

« -  Tue! TUE! Tue avant qu’il ne découvre la lame pauvre idiot! »

Je ne sais même pas comment c’est arrivé. Tout ce que je me rappelle, c’est Eud qui se tordait de douleurs dans les bras de Thorvald et la face au regard surpris de cet abruti de Thorvald comme s’il venait d’entendre Oncle Lars dire qu’il voulait devenir moine et se faire pardonner tous ses crimes. Et le froid de la lame…Et son oeil empli de dédain quand il s’est penché sur moi… Son haleine fétide qui me leva un haut-le-coeur…À moins que ça n’était la mienne. Et puis son « For Fanden! »… Son oeil exorbité, l’autre qui aurait pu tomber dans l’instant s’il avait été présent. J’ai senti la lame déchirer ses entrailles. J’ai entendu le bruit du métal qui perforait sa chair, le poignard s’enfoncer jusqu’à la garde et même au delà, l’extrémité du métal qui ressortait dans son dos sous la force de l’impact et ce malgré l’épaisseur du colosse. L’autre me faisait tout percevoir. Il avait décuplé mes sens. Le flot sanguin qui s’écoulait de la blessure du borgne devenait un torrent impétueux qui cherchait son chemin au travers des écueils d’une chair meurtrie, la mousse rougeâtre qui s’écoulait d’entre ses lèvres était comme ce bouillon de cultures qu’une sorcières faisait mijoter dans son chaudron de malheur. La lame qui entaillait l’abdomen était un rasoir qu’un barbier aiguisait sur sa lanière de cuir, l’onomatopée de l’agonie s’inspirait du crapaud repu d’avoir avaler trop de mouches, le bruit sourd du corps qui s’effondra sur le sol à la bille de bois fendue en deux par la vigueur d’un bucheron bien charpenté.

Une flaque sombre s’étala sur le sol sous le cadavre de Thorvald. La tête du danois s’était tournée de mon côté dans sa chute, le dallage de pierre avait fait pénétrer la lame plus profondément encore dans le ventre. Mon regard s’était figé sur la lame ensanglantée qui sortait de son échine, comme pour bien me convaincre qu’une telle bête pouvait être abattue d’un seul coup. Thorvald n’avait pas eu le temps de faire ses adieux. De toute façon, dans mon souvenir, il n’était pas connu pour être le meilleur des orateurs. Il avait fini sa vie comme il l’avait vécu : dans la violence. Peut-être espérait-il une mort en champ de bataille comme ses glorieux ancêtres? Tant pis, je n’avais pas de guerre à lui offrir. Il allait devoir s’en accommoder.


« -  Jamais je n’aurais pensé que tu y serais parvenu. Joli non? Avoue que cette exaltation est bien plus intense que tes chevauchées provençales! Maintenant, débrouille-toi! Je t’ai fait revenir à la conscience, je t’ai débarrassé de ce tas de graisse, Il faudrait bien que toi et ta grosse fassiez une part du travail! »

- Ferme la porte Eud. Vite…

Une voix trainante, un esprit qui se secouait comme un chien en entrant dans une auberge après avoir reçu une ondée printanière...Thorvald mort, Eud qui semblait souffrir le martyr, une porte ouverte devant moi, un couloir duquel je percevais du bruit. For fanden! Mais où étais-je? Qu’est-ce qui s’était passé? En cet instant, je ne pouvais laisser parler que mon intuition et celle-ci me disait : danger. Gagner du temps, reprendre pied dans la réalité, reconnecter les points, les souvenirs. La dernière chose dont je me souvenais, c’étaient ces signes gravés sur la table, mon étonnement dans la caverne de Mapsie… et Niels accompagné de ses hommes qui venaient d’entrer dans la pièce. Devant mes yeux qui clignaient pour effacer les derniers limbes du voile qui les obscurcissait, m’apparut alors le visage d’Albanne de Castral-Roc, un visage sur lequel se lisait un doux sourire apaisé, un abdomen cerclé de rouge à l’endroit même où ma lame s’était enfoncée lorsque j’ai mis fin au duel qui nous opposa.

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Eudoxie_
Où serait le mérite, si les héros n’avaient jamais peur ? ( Daudet)

Vitesse ? Tuerie ? L'Autre…

"Salle du trône des Houx Rouges"


Une ombre furtive, rapide, à peine un souffle était passé au-dessus de son visage que la noirceur du regard eudoxien s'ouvrait en grand pour voir le S et le E gravés au pommeau en se sentant atterrir lourdement au sol alors que son blond l'enjambait pour se ruer sur Thorvald.
Comment ? Comment celui qui était dans les choux un peu avant pouvait-il agir avec une telle rage. La brune ne chercha pas plus loin en poussant sur ses pieds pour glisser sur ses fesses et s'éloigner de cette scène de boucherie dont elle avait bien failli être un dommage collatéral.

Une main soutenant la douleur d'un ventre meurtri de contractures et l'autre portée devant sa bouche pour éviter de crier et d'ameuter le reste de la troupe, le regard noir de la béarnaise ne pouvait pas se détacher de ce qui se jouait devant elle, bien incapable d'y apporter quelque chose favorisant son danois.
Les deux avaient une stature similaire, la différence ne se ferait pas là, ni sur leurs compétences à combattre sans doute et une note aigüe s'échappa de ses phalanges en voyant Thorvald avoir le dessus une lame déjà prête à trancher la gorge de son scandinave.

Regard vainqueur posé sur lui avant de la regarder rapidement de son unique œil, pour narguer celui qu'il tuerait sous peu sauf qu'il ne faut jamais sous-estimer un Eriksen amoureux, futur père de surcroît et l'air hébété de Thorvald suivi du mousseux rougeâtre à ses lèvres effraya autant qu'elle tira un sourire la béarnaise.
Sourire qui disparut tout aussi rapidement en assistant à la violence gratuite qui s'en suivi poignard danois s'acharnant sur une chair dont la vie s'échappait inexorablement, carmin filant au sol plus vite qu'une goutte de pluie tombant des cieux.

Noire... Rouge... De quelle couleur il s'agissait Eud ne le savait pas trop mais celui qui tirait les ficelles à ce moment précis n'était plus Soren, elle en était maintenant persuadée et si le doute lui avait encore taraudé l'esprit, l'attaque le lui confirma, jamais il n'aurait pris tel risque de la blesser....
Corps dégagé et les petites sombres rivées sur ce métal sortant d'un corps répandant son résiné rapidement, en une flaque inondant tout autour d'elle et l'entendre la sortant de l'état hypnotique presque végétatif.

Pivotée sur elle-même et se mettre à genoux en usant du mur pour se relever malgré son ventre rebondi, et avancer rapidement pour pousser la porte, clé du borgne usité pour fermer de l'intérieur, bonne option aucune idée, faire ce qui passe en tête et revenir vers son autre.
Stoppée debout auprès de lui et charbonneux de regarder la masse morte à ses côtés, sentiment étrange s'emparant d'elle, comme si... elle se rendait compte que le corps étendu là aurait pu en être un autre.

Pour qui, pour quoi, la brune se pencha pour glisser sa main entre la dépouille et le sol, extirpant non sans mal la dague des vicaires et de la chair transpercée, fermant les yeux de dégoût en ressentant les vibrations des entrailles exhortant de l'abdomen sur sa main.
Ils auraient besoin de cet objet pour sortir encore, c'était certain et l'ombre croisa la clarté du regard de Soren encore étendu de son combat quand les mains jointes sur la garde du poignard se levèrent dans les airs retombants autant que la brune sur le dos de Thorvald le poignardant... comme pour aboutir le geste inachevé plus tôt.

Une fois....
Deux fois....
Trois fois....
Et...
Encore...

Cri primal et frénésie, peur, tension, crainte, tout sortait là, le dos du borgne se retrouvant larder d'entailles, la béarnaise continuant cette folie jusqu'à ne plus avoir de souffle et stopper son geste la lame encore ancré dans cet homme mort sous ses genoux.
Respiration lourde et écourté, les mains pleines de sang crispées sur l'arme et le regard dans le vague.

Sortons d'ici...

Non elle n'avait pas tué ce gaillard mais ce qu'elle venait de faire était l'aboutissement de tout ce bordel, de ce qu'elle n'était pas, et à cet instant Eudoxie compris en partie ce que pouvait ressentir son ange blond quand l'autre prenait possession de lui, à ceci près que la brune était très consciente de ce qu'elle venait de faire même si elle n'expliquait pas comment et pourquoi.
Les Houx Rouges étaient en train de la changer et il fallait qu'elle sorte... vite....

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Soren
 
« Salle du trône des Houx-rouges, caverne de l’Autre »


- « Oh! Mais c’est un côté de ta brune que je n’imaginais ça! »

Quelque part en moi, dans une caverne où la lumière ne filtrait pas, des chaînes s’étaient brisées. La rage avait eu raison de ces liens. D’habitude, je me sentais glisser petit à petit vers cet abîme, comme si j’étais sur une planche savonnée. Si je me débattais, je ne faisais qu’accélérer la venue de l’issue fatale. Si je n’y résistais pas, elle arriverait malgré tout, inexorablement. Ce jour-là, il avait profité de mon état d’engourdissement, de la situation présente et peut-être oui d’une part de complicité de ma part. Seul lui pouvait nous sortir de ce guêpier. Seul lui pouvait rassembler les forces de ce corps désarticulé, fatigué qui ne me répondait plus, d’insuffler une énergie supplémentaire et… de planter ce couteau dans le ventre de Thorvald! Mon esprit était trop embrumé. C’était pile ou face. S’il prenait le contrôle, nul ne pouvait prédire ce qu’il ferait et je sais qu’il ne partagerait pas ses souvenirs avec moi. J’ai tergiversé et lorsque Thorvald a menacé Eud, la chaîne a cédé et le sang s’écoula du corps sans vie du geôlier.

Qui l’a réellement tué? Moi ou lui? A cet instant, je le voulais. Lui, il le veut toujours. Tout cela a t-il vraiment de l’importance? Alors que Eud s’échinait sur le cadavre de la montagne danoise, Je perdis contact avec la réalité. Les sons se déformèrent grossièrement pour devenir totalement inaudibles et s’éteindre. Un voile sombre s’étira devant mon regard, s’opacifiant graduellement. L’odeur de l’humidité ambiante, de la sueur, du sang s’estompa. Le froid de la pierre contre mon visage, mon torse ne devint plus qu’un vague souvenir. Les lumières s’éteignirent alors. Lorsqu’elles réapparaitraient, je n’aimerais pas ce que je verrais. Je le savais. Cela se passait toujours ainsi.

    « Il m’appelle l’Autre, sur un ton de dédain, comme si ce corps lui appartenait, comme si j’étais quelqu’un d’étranger à lui. Il se ment à lui-même parce qu’il ne m’aime pas. Il n’apprécie pas ma façon de faire, mes paroles. C’est un hypocrite. Sans moi, ou plutôt sans cette partie de lui, nous serions déjà morts. Je suis lui et il est moi, deux facettes d’une même personne mais cela, il le dénie vigoureusement. C’est un couard. Qu’est-ce qu’il croit? Que je ne sais pas que cette fois-là aux Houge-rouges, c’est lui qui s’est arrangé pour briser mes chaînes? Ces propres chaînes que lui même utilise pour me garder prisonnier. Saleté d’hypocrite et de couard! Saleté de blond! Un jour, c’est toi qui prendra ma place. C’est toi qui sera enchaîné dans cette caverne et c’est moi qui te permettrait de sortir prendre l’air de temps à autre et de profiter de ce corps. Oui, moi! Car je ne suis pas un faible moi! Tu aurais beau essayer de tirer sur tes liens pour te libérer, tu n’arriveras à rien, pas sans mon assentiment. J’attends ce jour avec impatience tu sais? Et à chaque fois que tu cèdes comme tu l’as fait ce jour-là, tu nous rapproches un peu plus de ce moment. Inexorablement. C’est ce qu’on appelle la fatalité Seurn… Et j’aime ces jours comme ceux-là, comme cette fois-là aux Houx-rouges… »


La tignasse fut agrippée et tirée vers l’arrière, une main ensanglantée disparaissant sous les épis bruns. Le corps jusqu’alors inerte avait repris de la vigueur. Les lèvres de Søren distillaient le venin de la haine au coeur même des esgourdes d’Eudoxie. Les traits du danois n’avaient plus rien à voir avec ceux du prisonnier. Ils étaient déformés par la haine, par l’appel de la violence, par la jouissance que lui procurait la mort de ce porc de Thorvald. Sa main droite, appuyée au sol, était une île dans la mare de sang qui s’étendait au fur et à mesure que le borgne se vidait. Le visage maculé de sueur et de coulisses sanguinolentes, les lèvres gercées par la soif, par la douleur, le blond mordilla indécemment le lobe de l’oreille de la béarnaise, caricature grossière d’un amant se voulant sensuel et inspirant le désir à sa maitresse. Mais de sensualité, il n’y en n’avait pas une seule once.


- Tu aimes ça hein? Avoue! Tu as pris beaucoup de plaisirs à enfoncer cette lame dans son dos n’est-ce pas? Bien plus que quand ce niais de Søren s’insinue entre tes cuisses. Admets-le! Il n’y a rien de plus jouissif que de donner la mort à ceux qui nous veulent du mal. Même les plaisirs charnels sont fades à côté de cela!

Les mains de l’Autre délaissèrent alors la cascade brune de ses cheveux, glissèrent le long de échine laissant des marques rouges éphémères sur sa peau légèrement hâlée, sur le tissu de sa robe de bal. Sa paume agrippa sa poitrine, la pétrit vigoureusement avant d’enlacer son poignet d’un filet digital. Son autre main recouvrit celle de la béarnaise, celle qui avait porté les coups. Il resserra alors sa poigne sur la prisonnière, faisant tourner lentement son poignet pour que la lame à la lame l’angle qu’il désirait.

- Tu crois que je ne vous vois pas quand il te déshabille? Que vos corps s’enlacent? Quand il te dit des mièvreries au creux de l’oreille pour éveiller ton désir?

D’un geste sec du poignet, L’Autre imprima un mouvement rapide de haut en bas à la main d’Eudoxie. Un son lugubre se fit entendre lorsque le métal déchira une fois de plus la chair du geôlier inerte. Une fontaine de sang sortit de l’entaille.

- Il ne sait pas ce qu’  « extase » veut dire…

L’attelage manuel fut relevé et rabaissé une fois encore. L’impulsion donné par l’Autre suivit un crescendo macabre.

- Il manque de ce côté intense, sauvage qui démultiplie les sensations…comme maintenant!

Et une fois encore la lame déchira les chairs du borgne. Et encore. Et une autre fois encore.

- Tu as besoin de violence dans tes ébats et moi seul suis capable de te le donner.

Le métal enfoncé dans les chairs, l’Autre lui fit lâcher le poignard en détachant un à un ses doigts crispés de la garde. Son visage s’écarta de celui de la béarnaise.

- Mais avant, on va sortir d’ici. Qui m’aime me suive! Et ne tergiverse pas trop longtemps, ça va aller vite.

L’Autre s’éloigna d’Eudoxie et de dirigea vers la porte. Dans sa main droite, le poignard de Søren dégoutait encore du sang de Thorvald, prêt à frapper de nouveau. Le démon vengeur, comme l’avait appelé une fois soeur Marie-Clarence à Ste-Illinda, n’était pas du genre à élaborer des plans complexes. Il ouvrit brusquement la porte et sortit dans le couloir, tournant la tête vers la droite, vers le côté le plus probable d’où pouvait venir le danger. Erreur! Dans l’obscurité de la place, le garde qui se tenait là mit un instant avant de frapper. Sans doute attendait-il de clairement identifier celui qui venait de passer, la possibilité de blesser Thorvald avait dû le retenir de toute précipitation. Cette hésitation lui fut fatale. Si une lame froide frappa bien le gras de l’épaule gauche, elle ne fit qu’entailler profondément la chair. Quelques instants auparavant, elle se serait plantée entre les deux omoplates, entre deux vertèbres, faisant voler des éclisses d’os dans l’air. Une pièce avait été lancée en l’air et elle était tombée sur le côté « Autre ». Le garde de Niels n’eut pas de deuxième chance: Le poignard gravé des lettres « S » et « E » entremêlées vint déchirer ses entrailles. La force du coup fit rejaillir une gerbe carmine d’entre ses lèvres. Le corps se recroquevilla autour du poing de l’Autre, la lame ayant emporté ses viscères tourna dans son abdomen d’un mouvement rotatoire sous l’impulsion du poignet donné par l’Autre. Le visage de Søren exprima une satisfaction silencieuse à entendre les entrailles se déchirer sous l’effet de son coup. Lui ne ressentait pas la douleur provoquée par la lame ennemie dans son épaule.

Le corps s’affaissa sur celui de Søren, inerte, les yeux ouverts, exorbités, figé dans le froid de l’éternité. Une mousse rosâtre s’était formée à la commissure de ses lèvres. Des coulisses brunes maquillaient son visage de part et d’autre de sa bouche. L’Autre s’écarta et le cadavre chuta lourdement sur le ventre. Le bruit sourd se répercuta en écho le long du couloir. Le visage de celui qui n’était qu’un simple homme de mains était tourné vers l’entrée de la salle du trône, le corps barrant le pas de la porte. L’Autre tourna le visage de Søren vers l’intérieur.


- Alors? Tu attends quoi?

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Eudoxie_
Dans tous les cas, l’espérance mène plus loin que la crainte. (Ernst Jünge)

Crainte ? Espoir ? L'Autre…

"Salle du trône des Houx Rouges"


Sortie du vague brutale, poigne ferme agrippée à ses cheveux l'entrainant de force contre des lèvres connues, à l'écoute d'une voix familière et pourtant... c'était la première fois que celui qui s'adressait à elle lui parlait, la première fois que la petite brune le rencontrait sans ses chaines protectrices.
S'il eut été encore un doute, celui-ci s'évanouit au moment où les yeux de la béarnaise s'ouvrirent à leur maximum sous le vent glacé que représentait ces mots "ce niais de Soren"...

L'Autre, sans entrave, Eud l'avait entraperçu quand Soren avait abattu froidement Thorvald mais pas à ce point, c'était la prima nova pour elle et cette entité qui vivait au creux de son danois, cet Autre dont elle savait qu'il était... dangereux était un doux euphémisme.
Mâchoire serrée et résistance passive, l'orthézienne l'écoutait déblatérer ses insanités à son oreille, quand sa tête fut rendue à sa liberté, le regard sombre suivant le moindre geste du corps de son blond.

Paupières closes au passage des mains sur son corps, sentant le carmin du borgne s'imprégner sur sa chair, les mains sans douceur, grossières et la geôle digitale se former autour de son poignet.
Etrange sentiment que celui d'être caresser par l'homme que l'on aime et ne pouvoir l'apprécier sachant qu'il n'est pas lui-même, qu'il n'est plus maître de ce qui se passe, se réjouir de le retrouver et craindre ce qu'il serait capable de faire.

Baisser le regard sur la main enveloppant la sienne sur la garde du poignard danois et frémir, l'image de cette pauvresse éventrée dans les bois lui revenant brutalement en pleine face, lui ou un autre ?
Le murmure à son esgourde ne put que la ramener à sa situation précaire, un frisson lent détaillant chaque vertèbre sous la concupiscence des mots distillés à son oreille, d'une telle perfidie qu'un haut le cœur aurait pu la prendre en quelques secondes.

Et le premier coup porté au cadavre des mains associées lui fit fermer les yeux sous la giclée de sang encore chaud qui vint maquiller son visage d'un trait de carmin sombre, la suite du massacre de ce corps inerte et du venin verbal se déroulant dans l'ombre d'un regard clos.
Était-ce la peur ? Les mots empoisonnés susurrés ? La chaleur du sang sur ses mains ? La puissance de la vengeance au travers de ce corps lardé ? Mais le discours de l'Autre trouvait écho chez la petite brune et oui... lacérer ce corps lui avait procuré du plaisir et lui procurait encore alors que sa main unie à l'Autre s'abattait encore pour s'enfoncer dans la chair de Thorvald brisant os sur son passage.

Le regard de l'orthézienne ne s'ouvrit de nouveau qu'une fois sa main séparée de la lame et le corps de l'Autre dégagé du sien, ne découvrant sous ses genoux qu'un amas de chair informe, une boucherie sans nom qui lui aurait assurément soulevé le cœur rien que de l'imaginer, et pourtant...
Pas même un haussement de sourcils, pas même un battement de cils, rien... aucune réaction si ce n'est d'avoir relevé son corps endolori et jeté un regard vers le fauteuil trônant là avant de pivoter vers la porte en avançant vers la sortie pour voir le corps du garde s'affaler au sol.

Un allié ? Eudoxie avait plusieurs fois imaginé sa prime rencontre avec l'autre, sans que Soren ne contrôle plus rien, mais jamais au grand jamais elle ne l'avait envisagé comme un "sauveur", la vie prend de ces détours parfois que l'humain n'est pas à même de décrypter.
Ensanglantée de la tête au pied, sans pour autant être blessée, la petite brune enceinte jusqu'aux yeux avança vers la porte alors qu'il l'invectivait, visualisant le paradoxe entre l'aimé et le craint, l'espérer et le redouté, et pourtant à cet instant l'un et l'autre ne semblait faire qu'un.

Je te suis Se...

Se reprendre et réaliser en plissant le regard.

Je t'appelle comment ?

Oui a question pouvait paraitre stupide et pourtant elle revêtait tout une symbolique, pour elle en tout cas, peut-être pour lui aussi, alors que les pépites sombres découvraient la blessure sur l'épaule de son danois, billes noires cherchant alors l'arme responsable près du garde du regard pour s'abaisser et la ramasser.
Un poignard danois aussi, forcément... quoi d'autres dans une bâtisse où ne résidait que des colosses scandinaves blonds, et puis se souvenir subitement et se surprendre à hésiter mais...

Il y a une femme et son fils par là, elle sait comment sortir, c'est elle qui t’a rendu le poignard, faut qu'on la récupère.

Oui, Eud n'avait qu'une parole, même si elle doutait que l'Autre en ai quoique ce soit à faire, mais elle ne pourrait se reprocher de l'avoir abandonnée sans essayer, et il n'y avait pas de mensonge là-dedans, qui mieux que cette blonde aurait pu les guider.
Sortir, seul désir, que ce soit avec cette femme ou non, mais sortir, s'enfuir pour vivre, elle avait hésité... elle avait aimé cette vengeance... elle tenait en main une arme tout à fait prête à l'utiliser... Qu'est-ce que les Houx Rouges étaient en train de faire d'elle ?



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Soren
 
« Souterrain des Houx-rouges, l’Autre aux commandes »


 
« Je t’appelle comment? ». Cette question l’avait fait sourire et quand l’Autre souriait, son regard s’allumait d’une lueur mauvaise. « Tu ne m’appelles pas. Tu me suis ou tu meurs. ». Tel avait été sa réponse sifflée entre des lèvres d’où sortaient assurance et autorité. L’Autre avait les rênes en mains et il n’avait nullement l’intention de les lâcher. Il tourna alors la tête en direction de son épaule blessée. Une tâche sombre s’étalait s’étalait sur sa peau, dans son dos, sur sa poitrine, ce corps qui portait déjà de nombreux souvenirs de cette soirée. Il porta sa main sur l’endroit tuméfié et observa sa paume maculée de rouge. L’Autre ne ressentait pas la douleur. Ni coups, ni entailles. Il était insensible à ces signes, à ces mises en garde émises par le corps qu’il occupait. Ça, c’était le fardeau de Søren. C’était son rôle à lui de remettre la chair en état après ses escapades. Qu’il puisse franchir un point de non-retour n’était pas son problème. Cette carcasse était une prison pour lui, une prison… mais un moyen d’action malgré tout. Silencieusement, il tourna son regard vers Eudoxie.


- Fais attention à la marche! En plus, elle est poisseuse.

Il avait les traits de Søren ses yeux avait l’écume bleu-grise de Soren. Il avait les lèvres du danois, celles qui répondaient aux appels sensuels de la brune béarnaise mais il n’embrassait comme l’héritier Eriksen. Pourtant Il était l’essence même des Eriksen, la source maudite dans laquelle tous les mâles de cette famille ont bu depuis des générations. Il était ces tâches noires qui coulaient dans leurs veines, cette déshumanisation qui leur avait permis d’asseoir leur autorité, leur domination sur les terres autour de Helsingør. Certains le maudissaient, d’autres l’appelaient. Aucun ne le commandait. Il venait quand il le désirait, quand il trouvait une faille dans leur esprit et qu’il avait envie de s’y glisser. Søren l’appelait folie ou malédiction, d’autres le vénérait. Et en cet instant, dans le couloir de la salle de trône, il faisait connaissance avec sa nouvelle amie.

L’Autre détourna alors son regard d’Eudoxie. Son message était passé. Il n’avait pas besoin d’en ajouter plus, ni par des mots, ni par l’expression de son visage. Il vint poser son pied contre la joue de sa victime. Le cuir de sa botte caressa sa joue barbue sans précipitation. Ses revinrent vers celles de la béarnaise. Le sourcil gauche levé, il la toisa d’un oeil interrogateur. Puis sans ménagement, sans prévenir, par trois fois, il tapa le visage du cadavre de le pointe de sa botte. Par trois fois, la tête vola sous la puissance des coups. Le visage se couvrit d’hématomes, prenant une teinte rosée. Au quatrième coup, un « crac » sinistre se fit entendre. La tête faisait un angle étrange avec le corps. L’Autre poussa alors le corps sur le côté et s’abreuva du résultat de sa mise en scène sur le visage de sa « coéquipière » du moment.


- Il était en travers de ton chemin. Tu aurais pu trébucher. Tu vois que je prends soin de toi?

Sa main s’empara alors de la joue d’Eudoxie. Elle se fit étrangement câline. Les paumes de ses doigts effleurèrent la peau maculée de sang, redessinant ces coulisses qui captaient son attention, étalant sur son visage une goutte carmine comme d’autres plus coquettes étalent la poudre blanche. Du revers de ses phalanges, il lui prodigua la même douceur en suivant l’arête de sa mâchoire. Il releva la tête et chercha son regard. Qu’y lira t-il? Peur? Envie? Dégout? Que lui inspirait-il? De la répulsion? Sa main emprisonna alors sa nuque. Il referma sa poigne sur elle. Ses yeux se plissèrent, Ses dents se serrèrent. Sans lui donner d’autres échappatoires, il amena ses lèvres aux siennes. Si elle avait résisté, ç’eut été après un crac sinistre qu’il aurait eu son baiser. Le goût en aurait été indubitablement différent, pas désagréable non. Il ne dit pas un mot. La détermination sur son visage parlait pour lui. Leurs lippes se joignirent. Il investit dans le même geste sa cavité buccale. Il ne l’embrassait pas, il prenait possession d’elle avec le même état d’esprit que celui qui l’animait lorsqu’il a guidé son bras armé pour exprimer sa vengeance contre Thorvald. Il n’y avait aucun douceur dans ce baiser, aucune volonté d’échanger, de partager, de transmettre. Il se faisait pilleur, détrousseur, voleur. Il prenait ce qui désormais lui appartenait parce que tel était son désir. Sa main passa de sa nuque à son menton. Son emprise se referma sur lui, l’empêchant de détourner le regard.

- Ça n’a rien à voir avec les mièvreries que le blond te donne n’est-ce pas? Ça, ça a du gout!

Il pencha la tête vers le bas, vers ce voyeur au regard fixe qui les avait regardé s’embrasser et du bout du pieds repoussa encore un peu plus loin le cadavre sur le côté.

- Tu vois? Même lui approuve.

Il relâcha alors son étreinte sur Eudoxie et d’un coup de pied dédaigneux retourna l’homme de main de Niels sur le dos. Il s’accroupit et récupéra dans les entrailles la lame à la garde marquée d’un S et d’un E. Il nettoya la lame poisseuse sur les braies du garde et s’adressa à la béarnaise sans même la regarder.

- C’est pas fait pour les petites filles comme vous ce genre de jouet.dit-il en faisant tourner la lame qu’il tenait en main de tous les côtés.

- Faites attention! Vous pourriez vous couper! Ça serait dommage. Ça n’est pas fait pour couper des légumes.

Un sourire narquois au coin des lèvres, il s’enfonça dans le couloir en face de lui, dans ce labyrinthe qu’étaient les soubassements des Houx-rouges. Si l’objectif de Søren était de sortir de là, l’Autre était mû par des sentiments différents: ceux de la haine, ceux de la violence, ceux de la vengeance. Les histoires de Mapsie ne l’intéressaient pas, les énigmes n’ont plus. Pour le Eriksen, il n’y avait que deux manières de reprendre le contrôle. La première, c’était l’épuisement physique. Quand à la deuxième, il ne l’avait encore jamais expérimenté.

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