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[RP] Il n'y a rien de plus triste qu'une vie sans hasard (*)

Alphonse_tabouret
La main tendue éventra la brume dans laquelle il flottait, bienheureux, au fil d’une ivresse satisfaisante, embourbant la conscience sans l’immerger dans l’oubli, arrondissant ces angles qui ne cessaient, journée après journée, de lui rentrer dans les flancs pour rappeler à sa mémoire les devoirs et obligations auxquels il était forgé et il la considéra, dans un sourire étiré, se poser à son bras. L’horizon de volutes sur lequel il se tenait se brouilla délicatement, forgé à la voix douce d’Anaon, le monde s’immergeant au sourire accentué par les cicatrices et au regard bleu qui le couvait à la façon d’un ciel d’été, amenant à sa bouche un gout de fruits si fort qu’il en sentit le parfum se répandre autour d’eux.

_ Et si vous m'indiquiez votre chambre que je vous y ramène ?

L’alcool élargit le sourire du comptable, vaincu dans son duel et incapable de s’en apitoyer, venant poser sur les doigts longilignes d’Anaon, la chaleur des siens, les y pressant doucement en penchant la tête pour lui confier, l’accent maternel ressurgissant invariablement dans son phrasé dès lors qu’il délaissait la raideur des costumes desquels il se vêtait à toutes occasions, rendant la voix légèrement rauque dans la provocation taquine qu’il lui adressa :

Je suis convaincu que nous sommes bien peu à vous avoir entendu formuler telle demande…
Un rire malté lui échappa tandis qu’il délaissait la main de la mercenaire pour prendre appui sur l’un des accoudoirs et se relever, chancelant légèrement dans un monde fait de vacillements où les lignes droites étaient devenues biais, prenant le temps de quelques secondes pour assurer une stabilité relative, plus proche de son hôte que ne l’aurait voulu la bienséance qu’il imposait en temps normal, distance relativisée par l’abus éthylique et le confort étrange dans lequel tous deux s’étaient enveloppés au fil de la soirée, sauvageons apprivoisés le temps de quelques heures, uniquement conscient que c’était là un moment rare, tant pour elle que pour lui.
A l’étage, finit-il par dire sommairement en lui prenant la main, trop fier pour attraper le bras et s’y caler à la manière d’un ivrogne, mais au fil de devoir trouver l’équilibre dans un autre point de gravité que celui de son corps traitreusement emmailloté d’ambre, osant le geste comme ne l’osent que ceux qui frôlent l’inconscience, et s’il avait était en état, Dieu sait qu’il se serait abreuvé avec une attention de chat de la réaction que ce simple geste provoquait chez la sicaire dont la distance du corps comme de l’esprit était restée maitrisée tout du long... Mais l’on ne refusait pas l’intimité spontanée des assoiffés, interaction désintéressée rendue légale par le tournoiement de l’esprit dans la valse alcoolisée de la nuit, familiarité dont eux même ne ressentaient pas l’absurdité et qui, à cet instant, n’avait rien de lascif, ni même de calculé dans les tempes faunes.

Les pas lents, flottants, les menèrent dans le couloir désert, passant devant les cuisines où s’agitait en permanence un service, qu’il soit de jour ou de nuit, nécessaire à nourrir l’appétit de tous, aussi bien des clients, que des courtisans ou des domestiques prenant le relai au diurne pour nettoyer et arranger la tête échevelée de la Maison Haute, pour finalement gravir une à une les marches menant à la chambre. Posant une main sur la poignée de la porte, le chat abandonna celle de sa compagne inattendue pour passer une main dans sa nuque, confiant, irrémédiablement amusé tout autant qu’étonnamment sincère, tandis qu’il l’ouvrait.


Me croiriez-vous si je vous disais que vous n’êtes que la deuxième femme à mettre un pied ici ?

Sans attendre de réponse il acheva d’élargir la vue sur son monde, vaste chambre, au lit imposant quand tout autour, c’était le vide qui dominait de sa présence. Un unique tableau était accroché au mur, portrait signé par la gitane, et si l’on comptait bien quelques meubles, comme un bureau, une table de chevet et une commode, ils étaient sobrement raffinés, exigeant l’examen pour révéler leur facture impeccable. Une vaste porte-fenêtre donnait sur un balcon embrassant de sa hauteur, la vue les jardins de la bâtisse, et si Anaon avait eu envie d’y prendre l’air, elle aurait trouvé un escalier lui permettant d’aller s’y prélasser. La seule extravagance que s’était permis le comptable dans cette austérité volontaire, craintive, lui qui savait que possédait une chose équivalait à pouvoir la perdre, restait la vaste baignoire non loin de l’éclat de la faîtière, splendeur où l’on aurait pu y loger deux corps sans qu’ils ne s’y gênent de trop et près de laquelle siégeait une petite table faite pour être à hauteur des rebord. Monacale, ou presque, ainsi était le monde du chat, contraste saisissant avec l’opulence sans cesse renouvelée de chaque pièce de la maison où l’on avait pour habitude de recevoir les hôtes, car ici, se terrait l’animal, ici était la tanière du félin, espace qu’il ne permettait qu’à de rares d’embraser de leur présence le seul espace qu’il considérait comme son dû.

Saoul, faune jusqu’au bout des sabots, le jeune homme ne s’embarrassa d’aucune pudeur, lui qui n’en avait que peu, éternel objet pour qui le corps avait tant de fois était soumis à l’appétit des autres sans jamais être tarifé, et se dirigeant vers le lit, passa sa chemise par-dessus sa tête sans même songer un seul instant qu’il pouvait offusquer qui que ce soit, révélant au clair-obscur de la nuit s’éteignant, les courbes de son torse glabre, exception faite de la ligne brune naissant à son nombril pour plonger à son ventre, avant de se laisser tomber sur le lit. Un dernier effort lui fit quitter les bottes, le laissant, bras en croix sur la couette chiffonnée, les yeux songeurs portés au plafond, attendant qu’elle ne le rejoigne à la bordure de la couche pour délaisser la peinture et retrouver l’azur femelle, laissant filer un instant de silence avant de demander, à mi-voix, dans la simplicité des enfants que l’on borde au sortir d’une nuit agitée, si loin de se douter que c’était là le pantin dansant qui se trouvait à ses côtés, n’ayant pour souvenir que le feu de cette soirée estivale commune:

Vous n’attendrez pas aussi longtemps pour revenir, n’est-ce pas ?
_________________
Anaon


    La main masculine se pose sur la sienne, attirant son regard sur ce geste.

    "Je suis convaincu que nous sommes bien peu à vous avoir entendu formuler telle demande…"

    Sourire s'amenuise un peu pour revenir amusé. Les prunelles quittent leurs mains pour trouver celles embrumées du comptable.

    _ Il est vrai que je n'ai pas pour habitude de raccompagner les jeunes et jolis garçons jusqu'à leurs couches. Mais il faut bien un début à tout...

    Elle laisse sa main se faire repousser doucement par un Alphonse qui semble avoir assez de confiance pour trouver seul son équilibre. Dextre et senestre restent pourtant levées, prêtes à accourir en renfort. Et quand les doigts de l'éphèbe viennent à nouveau se saisir des siens... elle ne s'offusque pas. Pas plus qu'elle ne le fera quand il se rapprochera ou s'appuiera sur elle. Chien qui montre les crocs dès que l'on avance trop près de son pelage, elle ne fera mine d'aucune menace. Dans un réflexe, sa main esquisse un sursaut indolent auquel l'Anaon ne voue pourtant aucune importance. Parce qu'elle a proposé à Alphonse ce contact. Et peut-être aussi, parce que cette soirée et celle de toutes les exceptions.

    Guidée par le comptable, guidant ses pas et son aplomb, la sicaire suit la direction indiquée à travers le ventre de l'Aphrodite. L'attention de la mercenaire arrive encore à s'aiguiser pour s'affairer à chercher les moindres singularités du passage emprunté, et tenter de replacer l'espace, par rapport à la grande salle où elle était venue virevolter le temps d'un Noël passé. Sa plus grande vigilance reste pourtant tout accordée à Alphonse. Les mains n'hésitent pas à se faire appui pour soutenir la démarche du comptable jusqu'à ce qu'il les délaisse sur le pas d'une porte.

    Me croiriez-vous si je vous disais que vous n’êtes que la deuxième femme à mettre un pied ici ?

    Un sourcil se rehausse d'une légère surprise. Les lèvres s'entrouvrent doucement puis se ravisent. La porte s'écarte sur le petit monde d'Alphonse, et comme pour en respecter le cocon et son importance inviolée, elle n'avance pas sous le chambranle. Elle reste là, immobile, à contempler cette petite fenêtre que le jeune homme ouvre sur lui-même. Les azurites scrutent le pénombre, et c'est sans peine qu'elle y devine la même sobriété élégante qui meuble son bureau. Son inconscient le lui interdit, mais la sicaire aurait pu faire le rapprochement avec sa propre vie d'antan. Il y avait bien des fioritures de plus, oui, mais chez elle, tout n'était que simplicité... mais simplicité raffinée. Un trait, qui se trahit encore aujourd'hui dans ses habits, où bien qu'en garçonne, où bien que sans ornement, l'œil avisé aurait apprécié la facture dans la moindre de ses coutures, et qui n'est pas de celle qui drape habituellement les épaules des mercenaires. Mais par son dépouillement, la chambre d'Alphonse aurait pu être aussi, luxe à part, celle que l'Anaon occupe actuellement dans une auberge de la capitale.

    Il n'y a pas de décoration. Il n'y a pas de bibelot. Il n'y a rien de personnel outre ce qu'elle reconnait comme étant un cadre accroché sur le nu du mur. Et sans qu'elle puisse vraiment l'expliquer, la sicaire se trouve profondément troublée par ce vide. Les pupilles cherchent désespérément la moindre chose qui puisse rappeler un souvenir, quelque chose qui pourrait trahir un attachement d'Alphone. Mais elle ne décèle rien. Est-ce l'alcool qui désinhibe ses ressentis et les débride ? La sicaire ressent une soudaine tristesse à l'encontre de l'éphèbe. Injustifiée peut-être. Inappropriée, sans doute. Mais à constater cette chambre si aseptisée de tout, elle ne peut s'empêcher de voir le jeune homme comme un semblable. Le vide d'une chambre qui n'est rien d'autre que la cristallisation du vide sa vie. Du refus de s'attacher aux choses qui Rapellent... Du refus de se livrer même à soit-même. Ne rien avoir sous les yeux qui puissent rappeler les douleurs. Ne rien avoir, pour nous faire croire que puisque l'on a rien à perdre, on a rien à souffrir.

    Alors que les azurites analysent la chambre, elle ne sait si c'est sa propre critique ou celle d'Alphonse qu'elle est en train de faire. Elle revient à lui, mais quand elle le voit se déshabiller devant elle, son regard fuit bien vite par réflexe dans un coin de la pièce. Un instant, l'attention se perd sur les bords d'une baignoire rehaussés par le liseré blême des lueurs lunaires. Les prunelles s'abaissent. Le regard chemine sur le sol, glisse sur les bottes et osent remonter sur le lit où le comptable vient de s'échouer dans le son moelleux des draps.

    Elle le contemple un instant... puis c'est seulement qu'elle se permet de profaner son intimité d'un pas respectueux. Elle s'approche de la couche, puis sans un mot, elle tire la couette sous le corps près à se faire crucifier au sommeil pour l'en couvrir avec minutie jusqu'à mi-torse. Lentement, elle prend assise sur le bord du lit et elle se penche, passant une main par-dessus le buste élancé pour trouver appui de l'autre côté. Sans arrière pensée, pourtant naturellement attirées, ses prunelles effleurent le corps d'adonis à demi-voilé sous ses yeux, avant de se river à nouveau dans les miroirs de Tabouret. A ses petits mots feutrés, l'Anaon reste quelques secondes sans réaction. Elle ne saurait répondre. Elle ne saurait mentir. Elle qui ne sait pas où elle sera demain, elle qui se sait souvent si peu capable de tenir les promesses qu'elle a pu faire. Alors à cela, les lèvres fissurées s'animent d'un sourire, doux, mais contrit. Un sourire qui rassure autant qu'il dit "qu'il ne sait pas."

    Le temps se suspend quelques instants... Et avant qu'elle ne reparte, faisant l'inverse du chemin parcouru, avant qu'elle n'aille chercher le petit coffret de drogue qui lui est dû et son manteau qu'elle a abandonné en cours de soirée, la sicaire se penche. Ses lèvres se posent sur le front de l'éphèbe. Délicatement. Et elles restent un instant scellées à la peau blanche, avant que la voix n'éclose dans un léger murmure et un sourire tendre tout contre son front dont elle s'éloigne à peine :

    _ Vous l'aurez, quand vous le voudrez... Votre danse...


Musique : " You'll Be Queen One Day ", Game of Thrones saison 1, composé par Ramin Djawadi
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    | © Image Avatar : Eve Ventrue | © Image Signature : Cristina Otero | Anaon se prononce "Anaonne" |
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