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[RP] Dans les traces de pattes.

Cira
Alençon soit. Cira ne demandera pas pourquoi, ne demandera pas quelle ville là bas ni ce que Samsa a à y faire. Sa nature curieuse est endormie comme le reste et ne s'exprimera pas ce soir, pas pour des détails trop futiles ou personnels.
Affamée elle a presque engloutie tout son repas alors que Samsa n'en est encore qu'à la moitié. Un bout de pain traine sur la table et elle s'en empare, coupant des morceaux pour racler le reste de son bouillon au fond de son bol. La privation, la faim, la famine, elle a connue, elle sait ce que c'est que de se plier en deux parce la faim est trop présente, de rêver de nourriture tellement le manque est grand et depuis cela elle met un point d'honneur à ne jamais gaspiller.

La Cerbère reprend la parole et Cira écoute. Combien de fois avait t-elle fait la même chose ? Elle avait fuit, on l'avait récupéré, elle était repartit et on l'avait à nouveau rejoint, prenant également des risques pour elle ou à cause d'elle tellement ses crises de désespoir pouvaient être impulsives. N'avait t-elle pas manqué se faire écraser par son cheval une fois partit lors d'un affreux déluge ? Une forêt devait être traversée et si son escorte n'était pas apparut elle ne serait sans doute plus de ce monde. Son escorte...c'est elle qui avait toujours était là et ce depuis des années. Ses pensées tournées vers le garde font écho aux paroles de Samsa et sans réellement s'en rendre compte, la jeune fille s'affaisse dans son siège, s'assombrissant de plus en plus. Par tout les Saints qu'est ce qu'il pouvait lui manquer. Il avait toujours été là, avait tout traversé avec elle, lui avait tenu la tête hors de l'eau à chaque épreuve. Il avait sût la faire sourire alors qu'elle voulait pleurer. Il lui avait redonner l'espoir que tout pouvait s'arranger et qu'il serait là, toujours, quoi qu'il advienne, quoi qu'elle fasse, quoi qu'elle décide. Et il était où maintenant ?

Sournoisement son coeur s'emballe alors que tous les souvenirs, tout les mots viennent rebondir sans son esprit. Sa respiration se fait courte, elle halète, tremble et finit par serrer ses doigts sur le bord de la table. Ça recommence, encore. Ses lèvres closes tremblent jusqu'à ce que ce soit tout ses muscles qui prennent le même chemin. Elle suffoque et ouvre grand la bouche pour reprendre de l'air. Elle va craquer elle le sait, ce n'est pas la première fois que ça arrive, ça c'est déjà produit dans son manoir mais pas en public, jamais en public.
Ses yeux apeurés balaient la pièce du regard alors qu'elle tente en vain de se calmer. Pas en public, sauver les apparences, rester calme.
Les choses sont souvent plus facile à dire qu'à faire et c'est brusquement qu'elle se lève de table pour sortir en vitesse de l'auberge. Tant pis pour la fin du bouillon, tant pis pour Samsa.

Le froid de l'hiver s'engouffre violemment dans ses vêtements et elle resserre les pans de sa cape autour d'elle tout en tournant à la droite de l'auberge. Là, dans un coin, loin des fenêtres de la bâtisse et de tous regards indiscrets elle tombe à genoux dans la neige, hurlant à nouveau sa douleur tel un animal blessé. Les cris sont puissants, aigus, violents, désespérés, meurtris, fou. Des larmes viennent ravager ses joues avant de tomber sur la neige qui trempent maintenant ses vêtements et font rougir ses mains sans qu'elle s'en rende compte. Ce qu'elle veut, là maintenant, c'est que tout s'arrête, que la douleur s'en aille, qu'on lui arrache le coeur pour ne plus rien ressentir.

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Samsa
    "Ça ne tient pas debout,
    Le ciel coule sur mes mains.
    Ça ne tient pas debout,
    Sous mes pieds le ciel revient."
    (Christine and the Queens - Christine)


Samsa ne l'a pas vu s'enfoncer dans sa chaise, s'assombrir, le regard sombre posé sur sa bouillie qu'elle faisait tourner dans ses mains durant son récit. Elle n'a pas vu la lente descente de Cira, et son coup d'oeil furtif n'a pas suffit à ce qu'elle prenne conscience des doigts maigres crispés sur la table. La Cerbère boit l'eau qu'elle s'est servie et, lorsque le godet est abaissé, c'est une jeunotte au bord de la crise que Samsa retrouve. Une crise de quoi, d'ailleurs ? La jeune bouche s'ouvre, semblant chercher un air qu'elle ne trouve pas, et la Cerbère va pour croire que la pauvre est en train de s'étouffer. Mais comme elle tremble, Samsa repose lentement son godet, s'appuyant un peu sur la table, respectueuse dans sa discrétion.

-Cira pardi... ?

Celle-ci se lève soudainement, manquant de renverser sa chaise, et file droit vers la sortie sous quelques regards interrogateurs.

-Merde pardi... !

Elle enfile rapidement ses gantelets de combat en se levant à son tour et gagne la sortie précipitamment. Le vent froid d'hiver et de nuit presque entièrement tombée maintenant la gifle, chasse la chaleur confortable du feu de cheminée de l'auberge et agite les cheveux bruns-roux. La Cerbère regarde à droite et à gauche; où a-t-elle pu aller ? De quel côté ? Aucun ne semble plus enviable qu'un autre dans cette ville devenue misérable, pas encore relevée.
Un cri retentit à sa droite, et Samsa se redresse brusquement alors que les yeux sombres se tournent dans la direction, transforment la petite flamme en feu qui s'entourent d'étincelles métalliques devenues lames. Ses poils se hérissent, non réellement de froid, mais d'horreur. Elle pense à un cri de détresse, d'appel au secours. Ça y ressemble, à ça comme à ceux qu'elle a pu pousser jadis. Cerbère dégaine l'épée et s'élance vers le cri. Elle ne trouve personne sur place, aucun malfrat tentant crime sur la jeune noble, même pas un chien un peu trop affamé. C'est Cira qu'elle trouve, forme noire à genoux dans la neige.


-Merde pardi.

Lui, il n'est pas marmonné.
Elle rengaine son épée et retire sa cape noire qu'elle pose sur Cira en s'agenouillant à son tour dans la neige fondue et la boue qui n'en reste pas moins froide, collante, et désagréable. Et que dire ? Samsa ne sait que trop bien qu'il n'y avait rien à dire, rien à faire, dans ce genre de moment. Pour elle en tout cas. Maladroitement, elle tente de trouver des mots pour combler sa présence. Une main se pose sur le dos frêle, légèrement, presque timidement.


-Là pardi... Ça va aller té... T'es... Hum... T'es pas toute seule pardi..

La voix s'est faite aussi chaude et apaisante qu'elle a pu alors que Samsa se tourne légèrement pour protéger un peu la jeune noble du petit vent traître qui souffle, pourrait avoir raison de sa maigre carcasse. Qu'aurait-elle pu dire de plus, elle qui ne savait pas de quoi elle souffrait, elle qui ne la connaissait que depuis quelques heures tout au plus ? Même dans l'ignorance la plus totale, la Cerbère eu tentée de rester vraie dans ses mots.
Oui, ça irait. C'était comme tout. Ça passait. Ça allait et ça revenait, comme la pluie dans le ciel.
Oui, Cira n'était pas seule. Samsa était là.

Cerbère veillait.

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Cira
Plongée dans les enfers de sa douleur, elle ne ressent ni la neige, ni le vent et n'entend pas les pas qui crissent dans l'étendue blanche et se rapprochent d'elle. Elle n'entend rien, ne voit rien, ne sent rien pas même cette cape qui vient se poser sur ses épaules, il n'y a rien, juste ce vide immense qui lui donne le sentiment d'étouffer et d'être oppressée comme si elle était entrain de se noyer. Dans ses entrailles c'est le déchirement, vif, net, précis, tordant. Qu'on lui arrache donc le coeur pour qu'elle arrête de souffrir, qu'on l'assomme pour qu'elle arrête de penser ou qu'on la tue, tout simplement pour qu'elle trouve enfin la paix.

Les paroles de la Cerbère ne sont que gifles à ses oreilles. Non ça n'allait pas aller, jamais. 10 ans que ça devrait s'arranger. 10 saletés d'années qu'elle devait pouvoir avoir une vie normale mais non, ça n'allait jamais parce qu'à chaque fois qu'elle remontait la pente, on venait la pousser dans le dos pour qu'elle s'écroule et si elle était seule, complètement seule. Sa mère, son père, ses oncles, son frère, tous, ils étaient tous partit, que ce soit dans la tombe ou ailleurs. Elle était seule et les seuls moments où elle ne se sentait pas abandonnée c'était quand son escorte était là, ombre bienveillante qui veillait sur elle, lui tendait la main quand elle tombait, lui insufflait de l'air quand elle suffoquait et la réconfortait quand elle faisait des cauchemars ou sentait les larmes montaient. Ils s'étaient détestés jusqu'à devenir inséparables et il n'avait jamais jugé, juste protégé.

Les larmes ravageant encore ses joues, elle aurait aimé dire à Samsa de dégager, de la laisser crever dans ce coin de taverne pour enfin être libérée mais aucun son ne sortit de ses lèvres mis à part les sanglots et sans essayer de la repousser, elle se redressa juste pour s'asseoir sur ses fesses et se blottir dans les bras de la Cerbère. Son visage s'enfouit contre sa chemise et elle laissa sa peine se déverser tendis que ses mains se retenaient à elle comme un naufragé se retiendrait à son radeau.


Ne me laisse pas...

Seules dans la nuit et au milieu de la neige, nul n'aurait put savoir si les mots étaient adressés à la femme d'arme ou à une illusion qui manquait par son absence. Quoi qu'il en soit, Cira n'était pas toute seule oui, Samsa était là, pour le moment...
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Samsa
    "Murmure trois mots et j'accourrai,
    Et ma chère tu sais que je serai là.
    Je serai là."
    (Michael Jackson - You're not alone)



Cira se redresse pour s'asseoir et Samsa la laisse faire, l'observe de ses petits yeux sombres qui se font chauds. Elle vient se blottir contre elle et la Cerbère, digne de son surnom, l'accueille. Ses bras se referment autour d'elle, se font aussi protecteurs que réconfortants alors qu'une main caresse plus qu'elle ne frictionne le dos malingre. Aux paroles qu'elle entend, Samsa répond, pensant que c'est à elle qu'ils sont adressés. Elle ne réfléchit pas au ton employé, à la personne, à la manière; elle sait que ce genre de choses devient superflu lorsque la douleur envahie tout, que l'ouragan passe et ne laisse derrière lui même pas la destruction, mais le néant.

-Je ne te laisserai pas pardi...

Cerbère a parlé, et quand Cerbère parle, Cerbère s'y tient et fait. Sa loyauté, tout comme ses principes et ses valeurs, n'avaient pas de limites. En même temps qu'une promesse implicite qu'elle fait à la jeune noble, c'est aussi à elle-même que Samsa la fait, celle de la relever, de la sortir de ce chemin commun qu'elles ont connu.
Leur respiration dégage de légères volutes blanches qui se perdent rapidement, mais Samsa ne bouge pas. Patiemment, elle laisse Cira s'apaiser, l'ouragan passer et, lorsque son petit corps n'est plus secoué ni crispé, elle attend encore. Laisser le temps au temps. Sa main gantelée continue son mouvement régulier comme s'il pouvait s'agir de la seule chose réelle, la seule attache entre Cira et le monde. La voix de Samsa se fait entendre de nouveau, basse tant dans son ton que dans sa tonalité alors qu'elle incline la tête, bienveillante.


-Viens pardi... Rentrons té, tu seras mieux pardi...

Comment cela aurait-il pu être pire, physiquement au moins ? Mentalement, il faudrait sonder, écouter les échos, tant ceux de Cira que de Samsa.
Doucement, Samsa se détache de Cira, l'enveloppe mieux dans sa cape et se relève. Elle se penche afin d'être prête à l'aider en cas de besoin et cherche à accrocher les yeux clairs des siens.


-Debout pardi...

S'il y avait quelque chose à réveiller, Samsa voulait le faire. S'il n'était pas trop tard pour qu'une once d'estime soit encore là, un gramme de fierté, un grain d'orgueil, l'air d'une envie, l'ombre fugace de combattivité, alors elle voulait s’atteler à la tâche, et quand bien même; rien n'était jamais tout à fait mort.

-Je connais le chemin pardi...

Tant celui emprunté que celui de la rémission. Oui, elle connaissait ces deux chemins, elle avait arpenté les deux, bien malgré elle dans les deux cas car longtemps, elle avait voulu mourir, elle avait tenté, avait refusé toute forme de guérison. Samsa pensait que vivre dans la douleur et la mort était la seule manière d'expier ses erreurs, le seul moyen de se faire pardonner. Le temps lui avait fait comprendre qu'il n'y avait pas d'erreurs à se faire pardonner. Il n'y avait que les regrets qui resteraient. Éternellement. Mais avec eux, même avec les pires, les plus lourds, il était possible de vivre.

-Viens té...
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Cira
Des bras se referment dans une étreinte réconfortante, protectrice. Depuis combien de temps ne l'a t-on pas tenu comme ça ? Juste pour apaiser, protéger, comme si elle n'était plus qu'une petite fille venant se réveiller d'un mauvais rêve.
Elle laisse sa peine se déverser, ses larmes couler sans aucune retenue parce qu'elle en a besoin, parce qu'il faut que ça sorte encore et encore pour un jour ne laisser plus qu'un champ de ruines mais un champ calme et pouvant se reconstruire.
Au fil des minutes la douleur se fait moins vive, le coeur bat moins vite et la respiration se calme tandis que les perles de sel se raréfient. La tempête est passée et s'en va au loin ne laissant qu'une adolescente épuisée mais apaisée pour la soirée.

Doucement la jeune fille revient à la réalité et se laisse secouer par un frisson alors que son dos se redresse. Elle devrait s'excuser pour avoir agit ainsi, pour l'avoir planté dans la taverne, pour la faire se geler au coin de l'auberge et surtout pour avoir ce comportement devant une inconnue. Elle n'en fait pourtant rien parce que le silence vaut mieux que des excuses et qu'elle préfère faire comme si de rien n'était plutôt que de se perdre en excuses inutiles. Si Samsa avait été gênée, si elle avait trouvé cela inconvenant pour sûr qu'elle l'aurait dit, elle en est certaine.

La Cerbère s'écarte encore et lui réajuste la cape alors qu'un regard de gratitude est lancé par les azurs. Les billes bleu suivent le mouvement du Secrétaire Royal jusqu'à finalement se poser sur la main tendue vers elle. Debout lui dit-elle. Oui, cela serait sans doute mieux mais en est-elle encore capable ? Ne serait t-il pas plus simple de rester là, les fesses dans la neige à attendre de finir en glaçon ? Ne serait t-il pas plus facile de se laisser aller à s'endormir contre cette auberge plutôt que de continuer à se battre ? N'aurait t-elle pas une vie meilleure dans l'Autre Monde ? Elle pourrait retrouver les siens sans plus jamais souffrir. Mais avec ce qu'elle avait fait, avec ce qui s'était passé y aurait t-elle droit ? Ne serait t-elle pas condamnée aux enfers ? Ce qui se passait, les épreuves à affronter, les coups du sort, n'était-ce pas sa Croix finalement ? Le Très Haut ne la punissait t-il pas ce qu'elle avait fait ? Souffrir serait peut être la clé pour expier sa faute ? Pour pouvoir prétendre au Paradis une fois les erreurs lavées ?

A la seconde demande de se lever, elle baisse les yeux à terre et se regarde, honteuse de cette pauvre petite noble, le séant dans la neige et la boue. Et puis comme à chaque fois, elle déplie doucement les jambes, tend une main vers le mur de l'auberge et se hisse en grinçant des dents. Sa main cherche celle de Samsa et s'y agrippe le temps de dérouiller sa gambette blessée.
Elle ne parle pas, ne regarde même pas la Cerbère et se contente de réajuster sa tenue, de secouer la neige et de placer correctement les capes sur ses épaules. D'un geste sûr, elle vient remettre de l'ordre dans sa chevelure et pour finir vient essuyer les dernières traces de larmes sur ses joues. Son menton se relève, ses épaules se baissent mais son dos reste droit.
Elle est prête, elle peut rentrer, elle peut affronter les regards des quelques présents dans l'auberge du moins jusqu'à pouvoir s'effondrer et s'endormir dans son lit.

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Samsa
    "Mais on n'oublie pas
    L'enfant qui reste, presque nu,
    Les instants d'innocence,
    Quand on ne savait pas.
    On ne change pas :
    On attrape des airs et des poses de combat."
    (Céline Dion - On ne change pas)



La jeune noble prend le temps qu'il lui faut, le temps de rassembler en elle les forces de se relever, de continuer d'avancer. Elle finit par le faire, et la Cerbère referme sa main sur la sienne pour l'aider dans sa tâche. Elle ne sait pas vraiment quel levier elle a activé, mais le résultat est là.
Un sourire fin nait sur les lèvres tout aussi fines en voyant Cira se remettre dignement, se replacer à rang de demoiselle debout. Lorsque Samsa trouve en sa posture ce petit quelque chose de nouveau, de revenu, elle hoche la tête et part devant. La porte de la taverne est poussée, et la Cerbère s'efface pour laisser passer la jeune noble. De derrière, elle peut montrer les crocs aux clients qui poseraient un oeil un peu trop insistant, un peu trop intrigué, sur Cira. Les chambres sont rejointes, face à face, et Samsa tend à la jeunotte la clé de la sienne.


-Si tu as besoin, je suis en face pardi. Je ne ferme pas té.

Cette nuit, le sommeil sera léger, digne de Cerbère, alors les intrus peuvent bien entrer, mais peu de chance qu'ils en ressortent.
Samsa regarde Cira entrer dans la sienne, s'en assure, et Cerbère rentre dans son antre provisoire. La porte est refermée, mais pas verrouillée. Il fait noir et les pupilles se dilatent, viennent chercher lumière à la fenêtre. Une main gantelée écarte légèrement les rideaux de simple tissu pour constater la vue et Samsa retourne près du lit qu'elle tâte; ça a l'air de tenir la route. Le bouclier à son épaule est détaché lestement, déposé près de la tête de lit. Suit la ceinture avec épée, couteau et petite sacoche. La Cerbère retire grèves, cuissots, canons d'avant-bras, gantelets et bottes, et s'allonge sur le lit.
Sur le dos et mains croisées sur le ventre, Samsa détaille le plafond sans le voir. Des milliers de questions tournent dans sa tête, des voix et des visions. Elle ferme les yeux en grimaçant et secoue violemment la tête pour s'en défaire. Les yeux se rouvrent sur le noir, l'ambiance calme et silencieuse de la chambre qui s'en retrouve presque apaisante alors que Samsa se sent soudainement épuisée.


-Zyg pardi... Reste té... Viens, pardi...

Le murmure se perd, s'évapore, alors que Cerbère se met sur le côté, un bras tendu comme s'il avait pu être posé sur quelqu'un couché à ses côtés. D'un coup aussi précis que puissant, le sommeil l'assomma.


[Le lendemain]

Samsa s'éveilla au premier pépiement d'oiseau annonçant la nouvelle de l'arrivée du soleil. Son regard sombre se porta immédiatement à ses côtés, mais tous les matins se ressemblaient. Tous les matins, l'absence était notable, la même absence, celle qui avait toujours été là. Cerbère soupira, se mit sur le dos, et referma les yeux un instant. Enfin, elle se décida à se lever avec énergie et remit ceinture, bouclier, et les quelques pièces d'armures sur elle. Elle s'assit et remit ses bottes qu'elle laça.

Nouvelle journée.

Cerbère s'étire et se coiffe à la va-vite avec ses doigts. Toque est remise en place et porte est ouverte, crachant au monde la fière Bordelaise, même au réveil. Dans la salle commune, très peu de gens debout; les voyageurs, assurément. Au froid piquant du matin, Samsa répond par une place près de l'âtre. Du pain et du fromage sont disposés sur la table, et elle dégaine le couteau afin de commencer à écraser le second sur le premier.

Tartine de fromage... Bavardages.

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Cira
Elle avance, fière et ce malgré le boitement de sa jambe qui s'est fait plus visible à cause du séjour dans la neige. Elle s'en moque pourtant et rejoint sa table sans un regard pour les présents. Quoique maigre, emmitouflée de noir et le teint pâle, elle se tient droite et silencieuse présentant tout au mieux une silhouette fantomatique presque inquiétante et la présence de la Cerbère dans son dos, prête à montrer les crocs, ne doit sans doute pas rendre la scène plus rassurante.
Ses sacoches de voyage sont récupérées et elle rejoint l'étage des chambres. La sienne se trouve en face de celle de Samsa. C'est bien.


Ça ira. Merci.
Bonne nuit.


La jeune fille entre dans la sienne et verrouille sa porte par prévention. N'est pas femme d'arme qui veut et Cira était un cas désespéré avec une épée entre les mains.
Lentement elle rejoint le centre de la petite pièce et y fait tomber les sacoches, ses mains se portant à ses hanches pour observer la chambre. Celle-ci était simple d'apparence mais il y avait le confort minimum ce qui serait amplement suffisant pour la seule nuit qu'elle passerait ici.

L'excès de fierté laissé derrière la porte de la chambre, la jeune fille se met à trembler, prenant enfin conscience qu'elle est trempée jusqu'aux os. D'un geste ample, elle se dégage de la cape de Samsa qu'elle étale au sol pour la faire sécher puis fait de même avec la sienne, avant de quitter ses bottes et le reste de ses vêtements. La chaleur de la salle principale filtre à travers le sol du plancher mais il n'en reste pas moins qu'elle est toujours congelée et qu'elle tremble de froid.
Tirant une des sacoches vers elle, elle fouille et sort plusieurs pièces qu'elle enfile en couche comme un oignon pour remplacer ses vêtements mouillés.

Enfin prête à dormir, elle se laissa quelques minutes à genoux au bord du lit, les mains croisées, à murmurer de nouvelles prières pour enfin se blottir dans la chaleur bienveillante du lit.
Allongée sur le flanc et tournée vers la fenêtre, sa main vient jouer et enserrer le pendentif qui orne son cou depuis plusieurs mois maintenant. Sa présence la réconforte tel un talisman. Il lui réchauffe le coeur autant qu'il peut lui briser par les souvenirs qu'il fait remonter mais c'est le risque à prendre et elle ne s'en séparera pas.
Ses lèvres viennent l'embrasser alors que ses yeux se ferment et qu'elle murmure une nouvelle prière.


Reviens moi...

Elle embrasse à nouveau le collier et se laisse aller aux bras de Morphée. Cette nuit, épuisée par le froid, la route et les émotions elle dormira d'un sommeil de plomb, laissée en paix par les mauvais rêves.


[Le lendemain]

Quand elle rentre dans l'auberge, Samsa se trouve à une table près de l'âtre et la jeune fille tapent ses bottes à l'entrée pour en faire tomber la neige avant de la rejoindre et de défaire le fermoir de sa cape.

Bonjour. Les chevaux vont bien. Ils ont l'air en forme et ont put se nourrir convenablement.

Les cheveux lâchés et emmêlés de la veille ont fait place à une lourde tresse impeccable et le froid du petit matin a piqué les joues blanches de petites rougeurs qui lui donnent un air bien moins cadavérique. Les cernes sont toujours présentes mais le visage semble reposé et apaisé, signe que la nuit n'a pas été agitée pour une fois et que la jeune fille a put prendre le repos nécessaire et retrouver des forces pour affronter une nouvelle journée. Les azurs semblent également moins ternes mais peut être que cela est dû aux couleurs rosées de son visage qui l'illumine un peu plus que la veille.
Quoi qu'il en soit, c'est une Cira chétive mais affamée qui s'installe à table et qui pique un morceau de pain pour déposer du fromage dessus.


Je voulais vous remercier pour hier. Vous n'étiez pas obligée de m'escorter jusqu'ici ni de payer ma part. Je m'occuperais donc de la seconde moitié et ce n'est pas négociable.

Et quand le petit bouchon parle, on écoute.

Où allez vous vous rendre maintenant ?
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Samsa
    "Hé Delilah, ne t'inquiète pas de la distance;
    Je suis juste là si tu es seul,
    Écoute une nouvelle fois cette chanson.
    Ferme les yeux, écoute ma voix c'est mon déguisement,
    Je suis à tes côtés."*



Samsa étale fromage sur pain quand Cira arrive, mais pas du côté auquel Cerbère s'attendait. Elle qui pensait être matinale ce jour, elle a trouvé plus vive. L'esquisse d'un sourire se peint à l'analyse qu'elle en fait, celle que la jeune noble a, cette fois au moins, quitté immédiatement l'étreinte de la nuit plutôt que de s'y complaire. Une conclusion confortée par l'apparence plus appréciable que celle de la veille. La jeune fille est soignée, debout, et visiblement affamée.
Cerbère sourit doucement et repose yeux sombres sur sa tartine alors que Cira vient s'installer. Ils se relèvent, laissent la demoiselle parler, et la voix bordelaise ne se fait entendre qu'une fois le silence revenu.


-C'est normal pardi.

Un mouvement de tête vient indiquer à Cira qu'elle ne contestera pas la décision de partager les frais, non parce que ça l'arrange, mais parce qu'il n'y a pas de raison valable de l'en empêcher.
Les crocs qui ne sont rien de plus que dents humaines viennent mordre dans la tartine avec appétit et mastiquent avant que la bouchée ne soit avalée.


-Vous ne pensez pas sérieusement que je vais vous laisser en pleine nature ainsi pardi ?

"Maintenant" ? Pourquoi irait-elle ailleurs, "maintenant" ? Qu'est-ce qui a changé ? Rien n'a changé. Les apparences sont juste différentes, les sensations aussi. Le fond reste le même.
L'espace de quelques secondes, le visage se fait très sérieux, implacable, et puis un sourire en coin vient adoucir l'expression. Les revers de la médaille intitulée "Cerbère", ces petites attitudes protectrices qui pouvaient attendrir ou agacer. Ces petites attitudes qui étaient bien plus, qui étaient des faits qu'on ne pouvait pas lui retirer.


-Jusqu'à temps que vous ayez d'autres pattes dans lesquelles vous réfugier, vous serez dans les miennes pardi. Et moi, je vous suis té.

Phrase à l'apparence autoritaire qui passe immédiatement pour autre chose avec la suite.

-On ne se relève pas en une nuit pardi. Vous allez retomber pardi, parce que c'est de ça qu'est fait le chemin vers la surface té, je le sais pardi.
J'ai mis trois ans et demi à me remettre d'un simple événement pardi, d'un truc aussi... Banal que la mort de quelqu'un pardi.
Le mot "banal" lui écorche sévèrement la bouche, car Zyg n'avait rien de banal, leur vie n'avait rien de banale. Sa mort n'avait pas été anodine, pas plus que ses conséquences, mais l'évidence de la réalité, c'était bien que des gens mourraient tous les jours et que le deuil était une épreuve que tout le monde connaissait un jour, au moins. Je ne sais pas depuis combien de temps vous arpentez le sentier aussi doux que cruel de la souffrance pardi, mais si ça fait longtemps pardi, il vous reste encore quelques pas pardi, qui ne se font pas seuls té.

Le terme de "pas" est employé comme une fin proche, des efforts qui s'achèvent, mais le contexte trahi ce mot qui s'avère prendre le sens de la difficulté, celle d'avancer chaque jours quand on a la sensation de laisser quelqu'un, quelque chose, derrière soi. Le sentiment d'abandon qui envahi, la résignation qui vide, ce mélange non-exhaustif qui transforme le ruisseau en fleuve.
Le regard sombre de Samsa est posé sur Cira, chaud et bienveillant, sans l'ombre d'un autoritarisme constant ou mal placé, pas plus que celle d'une possessivité qui existe pourtant, parfois, en la Cerbère.

Et les crocs remordent dans la tartine.



* = paroles traduites de Plain White T's - Hey there Delilah

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Cira
C'est votre droit de continuer votre chemin, je ne vous demande rien.

Le regard de la jeune fille vient plonger dans celui de la jeune femme. Elle est grande, elle n'a besoin de personne. Elle se prend des coups dans la figure depuis des années alors elle n'a pas besoin d'être maternée par une inconnue tout ça parce qu'elle avait eu la faiblesse de pleurer dans ses bras la veille.
Elle a dormit, elle se sent reposée et forte....du moins jusqu'à la prochaine crise.
Le sourire de la Cerbère semble avoir entendu ce dernier point et prend un malin plaisir à y répondre par une esquisse en coin. Saleté d'azurs, de vrais miroirs incapables de cacher ce qu'elle ressent.
Une nouvelle phrase tombe et par simple excès de précaution quant à voyager seule, elle hoche la tête.


Soit.

Voila, c'est fait, c'est dit, c'est approuvé, il n'y avait plus qu'à trouver un endroit ou bien quelqu'un chez qui se réfugier. Facile à dire mais à faire c'était une autre paire de manches.
La Cerbère continue de parler et la gamine se renfrogne, ne souhaitant pas savoir de quoi sera fait demain. Elle sait déjà qu'elle est faible, qu'elle a mal, qu'elle tombera encore et encore parce que sa vie était faite ainsi et elle n'a pas spécialement besoin qu'on lui rappelle dès le petit déjeuner.
Sans répondre et à demi boudeuse qu'on puisse savoir ce qui se passe dans sa tête, elle se concentre sur sa tartine de fromage jusqu'à lâcher un "
12 ans" qui tombe comme un couperet.

La tartine se termine et elle prend une gorgée d'eau fraîche pour faire passer le tout avant de croquer dans une pomme. Elle n'a plus envie de parler, enfermée dans son mutisme après avoir posé une durée sur son mal être. 12 ans. Bon sang elle n'aurait jamais crû que cela fasse si longtemps, pourtant quand elle faisait le calcul c'était ça. Tout avait commencé à ses 3 ans, voir au delà mais ça pour le moment elle n'en avait pas conscience. Elle était une enfant maudite qui prenait les petits bonheurs à bras le corps pour pouvoir profiter du calme avant la tempête, avant que la foudre s'abatte à nouveau et qu'elle se retrouve au sol.

Inconsciemment ses sourcils se sont froncés, créant quelques petites rides sur son front pâle. La pomme est mangée à moitié avant d'être délaissée sur le bord de la table. Finalement elle n'a plus très faim.
Sa chaise se recule et elle se lève, rattachant sa cape sur ses épaules et reprenant sa pomme qu'elle donnera à son cheval plus tard.


Je vais chercher mes affaires, il est temps de partir.
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Samsa
    "Un prototype une version beta,
    Une seule réponse à toutes les questions : "j'sais pas",
    Comme un constat d'échec dans la playlist,
    Comme un air d'abandon sur la setlist."
    (Casseurs Flowters - Inachevés)


La Cerbère n'a pas su cacher sa surprise au nombre d'années lâché par Cira. Douze ans... Douze ans ? Ses cinq ans sans Zyg lui paraissent déjà immenses, ses trois ans de plein Enfers, insupportables. Comment peut-on se complaire à douze ans de malheurs et de souffrances ? Mais sans doute la jeune noble n'a-t-elle pas eu le choix. On peut donc survivre autant de temps sans air ? Quel âge avait-elle déjà ? Quinze ans ? Quinze moins douze... On pouvait avoir conscience de sa vie de merde à trois ans ?
Elle se relève, un mur nouveau entre elle et le monde, et Samsa la laisse faire. Calée dans sa chaise, elle termine rapidement sa tartine de fromage et se lève à son tour. Elle, elle est prête. Toujours, ou presque, mais pour cette fois, ce sera tout de suite.


-Je vous attends avec les chevaux pardi.

Le vouvoiement a été reprit en signe de respect à sa condition et comme une reconnaissance de son état amélioré.
Samsa s'éloigne de son pas martial et gagne les écuries jouxtant le bâtiment principal. Guerroyant est retrouvé dans sa stalle et elle le fait harnacher, comme la monture de la jeune noble que Cerbère flatte doucement. Elle sort les montures et retrouve Cira devant l'auberge, tenant les rênes le temps que sa compagne de voyage se mette en selle, prête à l'aider au besoin. Samsa enfourche ensuite Guerroyant lestement, avec une souplesse contrastant la lourdeur trapue qui la caractérise.


-Allons-y pardi, et parlons té. Racontez-moi pardi.
Je sais que vous et moi avons un point commun regrettable té.


Cash. Rentre dedans.
Regrettable, c'était en tout cas le moins que l'on puisse dire. Quitte à ce que ce genre de chute existe, il aurait été préférable que personne d'autre n'y goûte. Surtout pas personne si jeune. Comment allait-elle vivre plus tard, si depuis toujours elle vivait dans ce monde tranchant et misérable ? Un pli soucieux vint prendre place sur le front bordelais, rare véritable expression du visage en ces instants. En son fort intérieur, elle se promet de veiller sur elle, en bon Cerbère qui observerait jeune chiot commencer à marcher, gronderait à toutes les menaces approchantes et apportant réconfort et protection.

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Cira
La jeune fille monte à l'étage et y récupère ses affaires, l'éternel "12 ans" frappant à ses oreilles comme un son de cloche et ses échos. Dans la chambre le dos s'est à nouveau courbé et les épaules affaissées. Passer sa vie à survivre vous fait entrer dans une spirale où vous en oubliez le temps tant votre concentration est fixée sur le jour J, sur la journée à passer, à surmonter pour pouvoir voir le jour suivant. Vous ne pensez pas, vous survivez et c'est quand vous êtes posé, que le calme est là et qu'on vous demande de réfléchir que tout vous revient dans la figure et que le constat se fait. Vous avez une vie de merde depuis 12 ans et ce n'est pas près de s'arrêter.

Les sacoches sont fermées et posées sur son épaule avant qu'elle ne referme la porte pour retrouver la salle principale et l'aubergiste. La clé est rendue et les écus viennent fleurir sur le comptoir pour payer la seconde partie. Un merci, un salue et elle sort rejoindre Samsa et les chevaux.
La pomme emportée plus tôt est offerte à l'étalon noir et elle l'emmène près d'un muret, grimpe sur la pierre, se hisser en selle et tourne bride sans un mot pour Samsa.

Le visage de la flamande est fermé, bouffé par le constat implacable qu'elle vient de réaliser. Elle ferait mieux de se pendre que de continuer mais le désespoir fait sournoisement place à la colère de n'être qu'un pantin, jouet du destin et du Très Haut. Hier elle avait hurlé sa douleur, aujourd'hui elle voulait hurler sa haine devant tant d'acharnement sans raison. Elle avait payé, c'était assez, il fallait dorénavant la laisser vivre. Pourquoi lui avoir donné 2 mois de pur bonheur si c'était pour à nouveau lui plaquer le visage au sol ? Y avait t-il seulement un brin de logique dans tout ça ? Qu'on l'achève donc plutôt que de s'amuser ainsi avec elle !

Elle peste, secoue la tête et sans avertir sa compagne fait partir sa monture au galop. Il faut qu'elle respire, que ses poumons se remplissent d'air frais et que sa rage se fane dans les pattes puissantes de sa monture. Les doigts gantés serrent la bride au plus fort jusqu'à s'en faire blanchir les phalanges, les joues se piquent à nouveau de rose alors que des mèches rebelles viennent sortir de la tresse. Elle ne pense plus, écoute juste sa respiration se mêlant à celle de son cheval jusqu'à ce que celui-ci sentant la pression des cuisses se relâcher sur ses flancs finisse par passer au trot puis au pas avant de s'arrêter.
Le corps juvénile se redresse et lâche bride avant qu'une main vienne flatter l'encolure.


Bon garçon...

Sa tête se tourne alors et ses azurs viennent fixer Samsa qui se trouve derrière.

Vous voulez tout savoir ? Bien.

Et elle parle alors que les chevaux avancent au pas. Elle laisse sa langue se délier parce que Samsa est une étrangère, parce qu'elle sait qu'elles ne se reverront pas, parce qu'il n'y aura pas de jugement fait.
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Samsa
    "Je te donne mes notes , je te donne ma voix,
    Ce que j'imagine et ce que je crois,
    Les raisons qui me portent et ce stupide espoir,
    Une épaule fragile et forte à la fois.
    Je te donne, je te donne tout ce que je vaux , ce que je suis, mes dons,
    mes défauts, mes plus belles chances, mes différences."
    (Jean-Jacques Goldman - Je te donne)



Cira s'éloigne sans mot ni regard et Samsa pense qu'elle est fâchée après elle, qu'elle y a été trop forte, trop vite. Elle renâcle brièvement face à son erreur. Cela lui coûterait-elle ? Cela leur coûterait-elles ? Toute à sa réflexion de comment rattraper tout cela, elle perd sa capacité de réaction lorsque la jeune noble talonne et s'éloigne au galop. La Cerbère est surprise et ordonne charge à son tour à son destrier bai, bien habitué. L'arrière-main se ramasse et le corps massif s'élance comme le boulet d'un canon. Les sabots frappent le sol à pleine puissance dans un bruit de tonnerre alors que Samsa, couchée sur l'encolure, tâche de ne pas perdre de vue la cavalière la devançant. Le souffle de Guerroyant se fait plus lourd; il n'avait rien d'un coursier et, bien qu'elle la rattrape, Samsa sait que ça ne durera guère si Cira décide de la semer. Sans aucun doute que son cheval est bien plus endurant que le sien. L'usage n'en était pas le même.
Elle finit par ralentir avant de s'arrêter et la Cerbère l'imite, stoppant au mieux la charge de l'étalon qui respire fort mais semble heureux de cette libération d'énergie.

Au pas, la bordelaise écoute maintenant celle qu'elle découvre lyonnaise, bretonne, flamande, auvergnate, et d'autres encore. Voyageuse. Elle comprend sa vie faite d'abandons et de morts sans vraiment la comprendre. Comment cela pouvait-il arriver, à ce point ? Elle prend vue générale de la vie des nobles, du manque de principes chez beaucoup de gens, et cela lui brise autant le coeur qu'il le révolte. Elle entend l'amitié du garde, ces vents contraires qui, se rencontrant, forment un cyclone où il fait bon vivre à l'intérieur. Jamais l'attention de la Cerbère ne se relâche, intégrant chaque événement comme autant de détails d'une sculpture fascinante par son horreur.
La fin de l'histoire la laisse muette. Muette de consternation. Muette de colère. Elle ne peut plus dire qu'elle comprend, parce qu'elle n'a pas vécu. Samsa sait que ce genre de chose ne peut attirer compréhension que s'il a été vécu. Et qu'a-t-elle vécu, elle ? La mort de ses parents. La mort de Zyg, cette unique mort qui l'a mise par terre, autant sinon pire que Cira en l'heure actuelle. Le soutien sans égal de ses moitiés, ces trois puis deux femmes qui l'ont porté sans répit, ces femmes que Samsa a aimé de la plus pure des formes et des manières. Leur disparition dans le temps, dans le silence, elles-mêmes brisées par la vie. Mais elles vivaient encore pour la Cerbère, elles vivaient encore dans sa tête, dans ses paroles et ses rires, là où l’évocation de Zyg n'apportait que chagrin et douleur dans une nostalgie pourtant douce et caressée.

La Secrétaire Royale parle aussi, même si ses épreuves sont moindres, et à âge plus avancé. Elle n'a pas peur de raconter ses moeurs, ni les maladies par lesquelles elle a pu passer. Il y a longtemps que Samsa n'a plus peur.
Elle raconte Zyg, bien sûr. Elle montre à Cira la délicatesse de leur lien, tout ce qui le rendait important, sans mots. Elle lui explique sa chute, brutale, devenue violente lorsqu'elle prend conscience des sentiments réciproques qui l'habitaient. Elle lui raconte ses ressentis, sa haine et sa colère contre le Très-Haut de lui avoir prit la seule personne qui comptait pour elle, de l'avoir puni injustement sans qu'elle n'eut rien fait ni demandé. Elle lui parle de cette rancoeur qui l'a suivi des années durant, son attitude provocante envers la religion, envers tout ce qui pouvait se rapporter au Très-Haut. Elle éclipse cependant l'épisode de torture et de meurtre ignoble porté à une nonne innocente; seul le comportement très sombre est évoqué, sous-entendu avec un froncement de sourcils et un menton qui se rentre légèrement, honteux. Sans craintes ni détours, elle évoque sa psychologie devenue instable que l'on diagnostiqua bipolaire à tendance schizophrène.
La Cerbère lui parle des conséquences. Des bonnes, comme la personne qui a survécu à tout cela, la franchise gagnée, le courage acquis, la fierté forgée. Des mauvaises, aussi, comme les nuits encore parfois troublées de voix, de visions, de souvenirs, les mots prononcés par autrui qui la font parfois replonger. Elle lui raconte sa survie à l'arrache, aux scarifications, la force qu'elle est devenue, la fin des maladies dans sa tête. Toutes ces épreuves où elle a été aidée, mais qu'elle a dû faire seule. Tous ces rapports entre elle et le passé, entre elle et ses regrets.


-Je crois... Je crois pardi, que parfois on a tendance à se surcharger té. A croire qu'on aurait pu faire plus té, à croire que c'est en souffrant qu'on se fait pardonner quelque chose qu'on ne pouvait pas savoir pardi. Ce n'est qu'une aide à la guérison pardi. C'est comme un médicament dont il faut être prudent avec le dosage té.
Je crois que parfois, on est trop dur avec soi-même té. Je n'ai pas réussi à me pardonner pardi, je ne sais pas si j'y arriverai un jour. Sans doute pas té, mais le pardon pardi, ce n'est pas ce que je cherche té. J'ai simplement réussi à accepter, à accepter celle que j'étais à l'époque pardi, à accepter le fait que tout n'était pas que de ma faute té.
Je n'ai pas cherché la rédemption pardi, ni l'oubli té. J'ai cherché un responsable té, que j'avais trouvé en le Très-Haut pardi. Je voulais qu'Il me réponde, qu'Il s'explique pardi. J'ai fait des choses horribles pour ça pardi, mais... J'ai fini par arrêter té. Il ne me répondrait jamais pas vrai té ? Et pour dire quoi pardi ? Et j'ai cherché comment avancer pardi, parce que des gens avaient besoin de moi pardi. C'est ce qui m'a fait tenir té; les autres. Les principes et les valeurs que j'ai secoué, que j'ai réveillé sans forcément le vouloir pardi. Je crois que dans un sens, ça me détourne de... Pas mal de choses pardi. Ça me donne une sorte d'influence que je n'ai pas pu avoir à l'époque té, ça ne me laisse pas impuissante comme je l'ai été pardi. Ça soulage les gens, ça les aide, ça les guide pardi. J'aime me dire que ma vie a ce sens-là pardi : protéger té. Protéger de tout ce que j'ai vécu pardi.

Qu'est-ce que tu cherches toi pardi ? Qu'est-ce qui te fait tenir té ?


Les petits yeux sombres de la Cerbère, jusqu'alors fixant l'horizon, se posent de nouveau sur Cira, inconscients de l'écho que les mots ont pu avoir sur la demoiselle. Ils ont quelque chose en eux, quelque chose de sincèrement doux et de triste qui se meut en chaude bienveillance, comme un feu de cheminée en hiver.
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Cira
Elle finit de parler et laisse un long silence s'installer. Elle est vidée, le dos courbé et les mains posées négligemment sur le pommeau de la selle. Parler de ses pertes restent encore et toujours douloureuses, celle de sa mère et son petit frère encore plus. Son jeune âge à l'époque aurait dû l'aider à oublier mais il n'en est rien et comme si cela avait été l'élément déclencheur de sa vie de poissarde elle y pense souvent, tout le temps.
Ses yeux se ferment un moment alors que ça tête dodeline au grès du mouvement de sa monture. Parler est dur. Parler fait tout remonter mais parler, tout raconter, tout évoquer, sans aucun filtre, sans aucune limite, lui donne tout de même le sentiment que quelques morceaux de son coeur en miettes se recollaient.

Et puis la Cerbère prend la parole et Cira tend l'oreille, écoute son histoire qui n'est pas plus joyeuse que la sienne. Comment peut-on naître sous destin si funeste ? Comment peut-on survivre après tout ça ? L'une comme l'autre avaient perdu. L'une comme l'autre avaient aimé. L'une comme l'autre avaient souffert mais pourtant elles étaient encore tout deux ici, debout, vivantes.
Quand l'amour est mort, on ne voit plus rien. On maudit le sort qui nous fait survivre, on a peur de vivre. Voila ce qu'elles étaient, des survivantes et Cira ayant une peur compréhensible mais immense de l'abandon avait tout simplement peur de vivre seule, toute seule, sans Lui pour l'aider, sans Lui pour la soutenir, sans Lui pour la réconforter, la prendre dans ses bras, lui murmurer des paroles rassurantes. Sans Lui pour l'aimer tout simplement et lui dire que tout irait bien parce qu'Il serait toujours là.


Si je n'avais pas fait ce que j'ai fait, si j'avais fait attention, tout ça n'existerait pas et je ne serais pas ici, dans la neige, avec vous.

Non Cira tu ne serais sans doute pas ici mais où serais-tu ? Peut être qu'il y aurait eu moins d'abandons mais tu n'aurais pas fait la connaissance de certaines personnes qui ont été chères à ton coeur, qui t'ont aimé et que tu as aimé et tu ne L'aurais sans doute jamais rencontré. Tu aurais toujours ta famille ou peut être qu'une maladie les aurait emporté, peut être qu'elle t'aurait emporté. Avec des suppositions on refait le monde mais la vie, la vraie, celle qu'on ne peut pas s'inventer, celle que l'on doit subir est toujours bien loin des rêves d'une petite fille.

La seule responsable de tout ça c'est moi, pas le Très Haut et personne n'a jamais eu besoin de moi pour faire sa vie. Je n'ai finalement était qu'un boulet qu'on se traine et qu'on se passe de main en main une fois qu'on en a marre.

Sa gorge s'assèche et elle déglutit. Que faire d'elle même ? Que faire de sa carcasse ? Elle devait rejoindre d'autres pattes pour que Samsa la laisse tranquille mais au finalement elle serait une gamine dépressive qu'il allait falloir se coltiner. Qui pouvait bien vouloir de ça ? Qui pouvait supporter de voir une fille aussi lumineuse qu'une porte de geôle ? Qui accepterait de ramasser les morceaux à part Samsa ? Elle n'avait plus personne maintenant. Tous avaient disparus ou bien se terraient dans un couvent.

Je ne sais pas comment je tiens encore debout. Si cela ne tenait qu'à moi je ne serais déjà plus de ce monde mais c'est mal, je ne dois pas, mon âme resterait dans les limbes pour l'éternité.

Elle sent le regard de la Cerbère sur elle mais continue de fixer la route devant elle. Oui, mis à part le risque de flotter dans les limbes rien ne la retient dans ce monde sauf peut être une chose, un infime espoir qui reste en veille au creux de son ventre, cette petite flamme qui ne l'a pas encore quitté.

J'ai l'espoir qu'Il se réveille sans doute, qu'Il me revienne.

Parce que oui, même s'Il se mourrait, Il n'était pas encore mort, elle n'avait pas encore eu la lettre fatidique et elle se raccrochait à cela même si ce n'était qu'un mince et stupide espoir.
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Samsa
    "Mais c'est un mauvais pari, une mort certaine.
    Mais je veux ce que je veux, et je dois l'avoir.
    Lorsque le feu s'éteint,
    Assombris les cieux,
    Cendre chaude, allumette éteinte, seule la fumée est restée."*


Samsa ne sait pas comment prendre la première réponse de Cira. Seul son silence vient y faire écho. A la seconde phrase cependant, les sourcils fins quoique marqués se froncent, préoccupés. Il avait bien fait son oeuvre macabre, qui qu'Il soit, Très-Haut ou Destin, car voilà que la jeune noble s'accuse de ses malheurs et se place au rang de boulet. Jusqu'au bout, Cerbère l'écoute, détourne ses petits yeux sombres à l'évocation du suicide. Elle avait passé près de cinq ans a souhaiter mourir, elle avait tenté par deux fois, et tentait encore implicitement à chaque bataille qu'elle livrait. Un équilibre de mauvaise foi et d'arrangement qu'elle avait trouvé mais qui pouvait lui en vouloir ? Qui pouvait lui reprocher de bricoler les choses pour s'en sortir ?
Samsa repose ses yeux sombres sur le chemin. Les deux cavalières ne se regardent finalement pas, préférant parler sans avoir à supporter quelconque jugement, quelconque yeux impudiques sur leur personne mise à nue.


-De quoi est-on responsable à votre âge pardi ? Que vouliez-vous faire à cinq ans pardi, à huit, à dix té ? Vous commencez tout juste à pouvoir influer sur les gens plus âgés pardi. Aujourd'hui encore pardi, je ne sais pas si j'aurais agi différemment de vous té. Parfois, il n'y a simplement pas de responsable pardi, même si se dire le contraire aide et soulage té.

Le silence retombe, Samsa se laissant presque exagérément bercée par le pas lourd de Guerroyant. Elle connaissait mal le monde des nobles, mais elle savait que pour beaucoup, leur progéniture n'existait pas plus que les dragons. Une tendance remarquée également dans les autres classes sociales, mais particulièrement dans celles-ci, les hautes, les grandes.
La voix bordelaise se fait de nouveau entendre avec son léger accent et ses tics de langage, sans que ses yeux ne quittent l'horizon.


-On a tous le droit d'abandonner pardi. Les armées vaincues se rendent té, les loups dominés se rendent pardi, les étalons défaits s'en vont té. Nous avons notre faiblesse d'être humain té. Mais je crois en effet qu'il ne faut pas le faire pardi. Je crois que tenter, ça vaut le coup té. Cette fois, c'est lui qui en vaut le coup pardi.

"Et moi, c'était mes Moitiés".
Un instant, un doigt de Samsa vient jouer avec une mèche de crinière du destrier bai, et les yeux se relèvent vers Cira.


-Où est-il pardi ? Pourquoi vous n'êtes pas près de lui té ?

Incompréhension bordelaise qui aurait donné n'importe quoi pour être près de Zyg si seulement ils avaient pu échanger leur place, qui aurait donné n'importe quoi pour avoir encore cet espoir au coeur que ses yeux gris se dévoilent de nouveau au monde. Quelle justification pouvait-on donner à l'absence et à l'abandon qu'on subissait soi-même souvent ?


* = paroles traduites de Sia - Fire meet gasoline

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Cira
Elles avancent et Cira continue de fixer la route entre les oreilles de son cheval. Les mèches rebelles viennent chatouiller ses joues et son cou alors que de la buée s'échappe d'entre ses lèvres. Il fait froid, l'air est vivifiant et piquant si bien qu'elle vient resserrer le col de sa lourde cape autour de son cou. Elle a froid mais est-ce le vent qui s'infiltre ou juste le souffle de la Mort qui flirte avec elle ?

Je suis responsable de mes actes, responsable d'un fief et des gens qui habitent sur mes terre. Je ne suis pas une enfant et si quand je l'étais j'avais écouté, si je n'avais pas courut, si je n'étais pas tombée, rien de tout cela ne serait arrivé.

Si il y avait un responsable et c'était elle. Qui d'autre ? Le candélabre qui était passé par là ? Allons bon !
Elle avait presque 15 ans, elle avait son indépendance, elle avait même effectué 3 mandats comtaux alors non elle n'était plus une enfant et oui à son âge elle avait et avait eu déjà des responsabilités.
Un nouveau silence tombe et Cira le laisse faire, poussée dans ses réflexions jusqu'à ce que la Cerbère Le mentionne.

Par Aristote bien sûr qu'il valait le coup ! Elle si étanche au contact masculin, elle qui collait à tous les hommes l'étiquette d'enfoiré s'était laissée approcher, avait baissé les armes, avait fendue la carapace pour offrir son jeune coeur d'adolescente. Ils avaient commencé de manière fastidieuse mais Il n'avait jamais abandonné, Il avait toujours été là, présent, même dans ses pires bêtises qui plus d'une fois aurait put leur coûter la vie. Il y avait eu des hauts et des bas, des cris, des larmes mais aussi des rires et une confiance sans faille. Il connaissait tout d'elle. Ses craintes, ses peurs, ses désirs, ses espoirs. Il l'aimait, lui avait dit et cela avait finit de faire fondre la glace qui l'entourait. Princesse des glaces au caractère de dragon ou petit lutin taquin. Ses humeurs allaient et venaient au grès de leur relation mais n'étaient jamais aussi bonnes que quand Il était dans les parages la couvant de son regard bienveillant, protecteur et amoureux, le tout accompagné de son sourire de vaurien.

Et puis vient la question fatidique, celle que toute personne censée aurait à cet instant précis. Celle qu'elle se demandait elle-même. Celle dont elle se refusait de donner réponse.
Une main se crispe sur la bride tandis que l'autre vient rabattre sa capuche sur sa tête, cachant en partie son visage au regard de Samsa. La gorge se serre, la salive devient difficile à avaler alors que dans son ventre une boule se forme. Elle sent à nouveau les légers tremblements qui viennent secouer ses jambes et ses bras. Le nez lui pique, les larmes montent et ses lèvres viennent s'entrechoquer. Elle n'a aucune excuse pour ne pas être auprès de Lui. Elle devrait y être. Elle devrait Le veiller, lui tenir la main, lui parler, lui dire de s'accrocher, que tout ira bien, qu'Il va s'en sortir, se réveiller de ce sommeil dans lequel Il est plongé depuis si longtemps.
Elle devrait faire tout ça mais elle ne peut pas parce que son impulsivité l'a poussé à fuir le lendemain de la nouvelle.
La carcasse juvénile s'enfonce un peu plus dans la lourde cape noire alors que de nouvelles larmes silencieuses viennent glisser sur ses joues.


En Flandres, dans le monastère de Tournai.

La voix est rauque, cassée par cette gorge qui ne se desserre pas. Il est là bas oui, mais pourquoi elle n'y est pas ? Cela ne répond pas à la question de Samsa et elle le sait. Elle l'évite, ne veut pas mais les mots sont posés, les réflexions faites, l'histoire racontée et la tête de la jeune fille se tourne vers la Secrétaire Royale, offrant à sa vue des yeux brillants et rougis, des perles étincelantes sur les joues et une bouche qui tremble de honte, de peine et de peur.

Je ne suis pas avec Lui parce que j'ai peur ! Peur de Le voir mourir, peur de Le perdre lui aussi. Je ne veux pas Le voir comme ça, je veux garder une belle image de Lui, je veux pas qu'Il me laisse et vous n'avez pas à me juger sur ça !

Elle cri parce que son corps faible ne peut pas hurler. Elle étouffe un sanglot alors que son visage retourne se fixer sur la route devant elle. Elle a honte de l'abandonner mais elle est terrorisée à l'idée de le voir mourir. Elle peut pas. Déjà à bout de le savoir au plus mal, elle préfère recevoir une lettre que de le voir de ses propres yeux parce que si c'est le cas elle ne s'en relèvera pas, elle le sait, elle le sent.
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