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Fin 1467 - Carnet de voyage d'Eirik Gjermund et Fanette Loiselier

[RP] Qu'est-ce qu'on peut bien (re)faire après ça ?

Lison_bruyere
Sur les routes, fin octobre 1467
 
 
Depuis combien de jours déjà était-elle prise dans l'étau de la peur ? Fanette n'en savait plus rien. Son séjour dans les geôles Alençonnaises lui avait fait perdre la notion du temps. Elle avait senti une main glacée lui étreindre le cœur quand la juge l'avait reconnue coupable et passible de la peine de mort par pendaison. Ses jambes s'étaient dérobées sous elle et elle était retombée sur son banc, livide et tremblante. Pourtant, la magistrate, sans doute influencée par le témoignage de la victime, avait contrevenu à son propre verdict pour se montrer finalement plus clémente. Sa peine de prison était accomplie, sa bourse allégée de cinq écus, et elle devait un mois de travail dans un hospice. Pourtant, elle avait attendu la faveur de la nuit, et s'était faufilée par une poterne dissimulée dans la muraille, à l'opposé des portes de la ville. Depuis qu'on l'avait arrachée à ses enfants, elle n'avait qu'une obsession, les retrouver. Les frères Beaurepaire les conduisaient en Bretagne, c'est donc là qu'elle irait.
 
La peur encore l'avait accompagnée, quand, sous le couvert des arbres, elle cheminait. La lune semblait drapée dans des écharpes d'anthracite et de gris floconneux. Parfois, les nuages se dissipaient un instant, et la lumière nacrée révélait le chemin bordé des grands arbres sur près de cent pieds. Mais, dès qu'elle se voilait de nouveau, les ténèbres semblaient se rapprocher dangereusement. Elle s'efforçait d'en percer les mystères, l'oreille aux aguets, prête à fondre dans un fourré au moindre bruit. Ce n'est que quand les premières lueurs de l'aube teintèrent de mauve l'horizon qu'elle se détendit un peu. Aucune armée angevine n'avait croisé sa route, et les gardes d'Alençon ne s'étaient pas lancés à ses trousses. On pourrait encore l’attendre ce matin, dans quelque hospice que ce soit.
 
La fauvette était épuisée, et assurément éprouvée par les jours précédents. Elle devait prendre un peu de repos au risque de s’effondrer. Elle s'écarta du chemin pour s'enfoncer sous le couvert du bois. Elle distingua clairement le chuchotement d'un cours d'eau. Le dogue la bouscula et disparut sur l’étroite sente. Elle accéléra le pas pour retrouver son chien. La végétation s'était un peu clairsemée et une berge descendait en pente douce jusqu'à l'eau, dans laquelle Huan folâtrait. Elle posa son baluchon dans l'herbe. Il ne contenait guère que Babet, la marionnette que Claquesous avait donnée pour Milo, et une tenue propre et sans doute trop grande pour elle. Elle baissa les yeux en écartant les pans de la robe qu’elle portait depuis trop de jours déjà et imprima une petite moue de consternation. Son regard glissa à nouveau sur la rivière. Elle ôta ses bottes et s’avança vers le courant. La fraîcheur de l’eau lui scia les chevilles. Elle renonça à s’y baigner, de peur d’aggraver encore la fièvre qui la tenait depuis le début de sa captivité, d’autant qu’elle n’avait rien pour allumer un feu. Elle ôta sa cape de laine bouillie, puis, délaça la cotte brune qui la couvrait, et fit glisser à ses pieds la chainse de cainsil. Le froid mordit son derme instantanément, cyanosant déjà ses extrémités. Elle fut prise d'une quinte de toux, aussi s’empressa-t-elle de revêtir les vêtements propres et parfumés qu’on lui avait préparés. Le chien grimpa sur la rive en face, s’ébroua et disparut de sa vue, le nez au ras du sol.
 
Elle s’accroupit au bord de l’eau avec les habits dont elle venait de se défaire et entreprit de les laver. L’odeur nauséabonde des geôles semblait incrustée jusqu’au plus profond des fibres de l'étoffe. Elle frottait à s’en user les mains, quand elle entendit un bruissement de branches derrière elle. Trop affairée à sa tâche pour se retourner, elle invectiva son chien.
 
– T'avise plus de me bousculer toi !
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Noir
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Octobre. La nuit se faisant jeune. Noir s'y mouvait, tel un nyctalope. La lumière du jour blessait ses yeux blancs. Il avait le cheveu blanc malgré sa petite trentaine, et ce depuis ses quinze ans. La blondeur pâle de ses jeunes années avaient vite cédé la place à une toison plate et crème. Sa peau, presque translucide, était toujours voilée au maximum.
Parmi des habitants, on le croyait lépreux, et ça l'arrangeait.

Son âme était aussi noire qu'il était clair. Noir. Tel était devenu son nom.
Il n'avait ni famille, ni amis, ni une quelconque bande. Il était seul. Toujours et à jamais.
Noir était fin, petit, vif comme un renard.

Il vivait sa vie d’ermite. S'attaquant aux voyageurs esseulés. Et il les pistait, pour être sûr qu'ils étaient seuls. Femme, enfant, peu importait ! Noir devait survivre.
Il avait repéré une jeune-fille. Mais elle avait un chien. Noir n'aimait pas les animaux non comestibles. Tuer un chien d'une flèche ne serai pas un problème.
Il était chasseur. Il aimait pister. Il aimait les défis.
Cette fille n'en était pas un. Son chien, si. A contre-vent, Noir s'approchait. Il veilla toute la nuit.

Au matin, la fille alla se laver. Noir la vit ôter ses vêtements. Pour lui, elle ne ressemblait à rien de désirable. Aucune femme. Il voyait sa nudité comme s'il était un père ou un frère bienveillant.
La jeune-femme se rhabilla et parlât stupidement à son animal.

Noir attendit un peu. Puis, vif comme l'éclair, il grimpa sur un arbre, sur une branche, attrapa les cheveux de la rousse et lui colla sa lame sur la gorge. Le chien était hors de portée.


Deux choix s'offrent à toi. Je tue ton chien d'une flèche et prends tes affaires. Et te tue, pourquoi pas ? Ou bien je te lâche et tu me donnes tes biens, sachant que de deux flèches, je vous aurait, ton chien et toi. Vous pourriez vous en sortir vivants...

La lame effilée traça un fin sillon vermillon sur la gorge pâle.
Noir tenait haut et ferme la chevelure.
Son gabarit modeste et sa vie de marginal lui avaient apprit à sauter d'arbre en arbre.
Il secoua les cheveux, donc le crâne, de la rousse.


Choisis vite, je ne suis pas patient.



Lison_bruyere
Elle laissa échapper un cri de surprise autant que de peur qui rameuta Huan. Etait-il chien plus inapte à comprendre le danger que celui-là ? Le dogue bonasse se pointa les oreilles en arrière en remuant la queue, avisant la fauvette et l'homme au-dessus d'elle. Elle roula des yeux, mais l'animal se coucha, battant toujours joyeusement du fouet en attendant qu'on l'invite à jouer lui aussi.
Les larmes s'accrochèrent à ces cils quand le sang perla à sa gorge. Elle tenta d'agripper la main fermement nouée à sa chevelure mais il la secoua, amplifiant une douleur déjà vive. Sa voix s'érailla de pleurs.
– J'ai rien ... j'ai rien c'est vrai ... regardez.

Sur la berge, restait le baluchon abritant la petite marionnette de bois que Claquesous avait donné pour son fils, et des simples qu'elle espérait revendre pour s'offrir un bain chaud dans la première ville qu'elle traverserait une fois passée la frontière alençonnaise. Elle avait revêtu les vêtements propres qu'il contenait, et ceux qu'elle venait d'ôter et qu'elle s'employait à nettoyer avant que l'homme ne se saisisse d'elle, flottaient maintenant au gré du courant, entraînés vers l'aval par les eaux du ruisseau.
Ne pouvait-il pas se rendre compte de son apparence dépenaillée ? Ses cheveux empestaient, ternis par la fange fétide qui couvrait le sol du cul de basse-fosse où elle avait passé les derniers jours. Elle ferma les yeux. La douleur de son crâne tiraillé était largement occultée par la terreur qui opprimait son cœur et la privait de souffle.
– Je vous en prie ... supplia-t-elle.
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Noir
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Rien à voler ? Il y avait toujours.
Noir était hors de portée. Comme toujours.

J'ai rien ... j'ai rien c'est vrai ... regardez.
Elle pleurnichait. Noir lui fit tout de même une taillade fine, d'un poignard très propre. Les yeux blancs virent le sang et il eut un rictus. Méchant !
Je vous en prie ...
Je veux tout ! Même c'que t'as pas. Boire. Manger. Un sac. Tout.

Le chien était brave. Pas besoin de le tuer. Pas que ça ai fait une différence pour Noir.


Eirik_gjermund


Eirik. Jouk, qu'il avait été. Eirik de son père, Joukahainen de sa mère. Maintenant, il était Eirik. Eirik Gjermund. Tout le monde s'en foutait. Et lui aussi.

C’était le mois d'Octobre et il faisait froid. Le Nordique chaussait ses bottes de phoque noir et sa fourrure de loup blanc, venant du pays. A ses cotés, Hund, son énorme Berger du Caucase de quatre-vingt dix kilos. Sous ses fesses, Hunt, un solide cheval de trait pouvant supporter son poids et ses bagages. Eirik n'était pas une armoire à glace. Il était très grand et avait des muscles nerveux. Nu, on y aurait pas vu de gras, voire même une maigreur. Il était sec et puissant. Sa lourde fourrure lui donnait dix kilos de plus.

Il était seul. Et il aimait ça.
Eirik comptait faire s'abreuver Hunt à la rivière. Il stoppa. Ce n'était pas net...
Il entendit une femme pleurante et un homme menaçant.


Choisis vite, je ne suis pas patient.
Je vous en prie ...

Bon... Eirik fit asseoir Hund, démonta Hund sans un bruit. Il s'approcha. Une jeune-fille était tenue par les cheveux par un singe.
Je veux tout ! Même c'que t'as pas. Boire. Manger. Un sac. Tout.
ZZZZZ ! Ponc !
Une hachette vint fleurer l'équilibriste à deux doigts du museau, se plantant de le bois.
Attirant ainsi l'attention du maraud, Eirik fit jouer sa hachette sans dégainer sac lourde hache à double tranchant, trop lourde pour cette occasion.

Dégage. Et tu vivras.
Lâchant la fille, le gars fit une pirouette sur son arbre. Agile ! A sa place, Eirik aurait eu la face au sol !
Elle n'a rien à voler ! Dit-il.
Et il s'envola, branche après branche.

Ensuite, Eirik vint vers la femme, au sol, qui se tenait les cheveux et la gorge. Une goutte de sang mouilla la terre. Vermeil.


Ça va ? Tu...
C'est alors qu'Eirik la vit. Elle ! Elle ! Oui, elle ! Il fut en colère.
Tu n'apprendras donc jamais rien, femme ?! Défends-toi ! Défends-toi ! Il aurait pu te tuer !
D'un claquement de langue, Hund vint.
Eirik cracha. Il regarda Fanny, car c'était elle.

Il t'a tailladé proprement et j'aurais fait pareil. Montre !
Eiriki la chopa à la mâchoire et regarda l’estafilade.
C'est joli. Bien soigné, tu n'auras presque pas de cicatrice.
Elle l'avait connu comme Jouk, mais il était Eirik.
Il planta ses iris glaciers dans ses prunelles.

Si tu n'apprends pas à te défendre,k tu vas mourir.

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Sa langue natale
Lison_bruyere
Quand la main lâcha sa tignasse crasseuse, Fanette retomba sur le sol. De la terreur que l'homme venait d'ajouter aux tensions des jours passés, ses jambes s'étaient dérobées. Elle se recroquevilla sur la berge, tentant de retenir fébrilement le sang qui s'écoulait de l'entaille, ou les portant à son crâne douloureux comme lorsqu'elle se protégeait enfant des coups du Messonier. Huan rampa dans sa direction, cherchant de sa truffe humide à passer la barrière de ses bras pour trouver son visage. Il se recula soudainement quand l'homme se baissa à la hauteur de sa maîtresse.

Elle reconnut son timbre, alors qu'un peu plus tôt, trop effrayée quand le maraud la maintenait, elle n'y avait pas prêté attention.
– Eirik ...
Elle le laissa parler, ne se risquant pas à contrevenir à la colère qui amplifiait les accents métalliques de sa voix. Il avait raison. Elle avait manqué de prudence, ne se retournant même pas quand elle avait entendu un bruit derrière elle, persuadée que c'était son chien. Elle s'était que trop affranchie de la vigilance qui lui avait sauvé la peau bien des fois quand elle n'était qu'une petite vagabonde. Les chemins semblaient si loin derrière elle. Elle ne les pratiquait plus, du moins, jamais seule, et si elle n'avait eu d'autres choix que de le faire à présent, elle était sans doute bien trop éprouvée pour garder son quant-à-soi.

Elle porta les yeux sur lui de fait, quand il lui releva le menton pour examiner sa blessure. Comment pourrait-elle bien la soigner, quand elle n'avait plus rien ? Même ses vêtements venaient de se faire emporter par le courant. Elle n'avait que ce qu'elle portait sur elle et la marionnette de bois destinée à son fils, pas même de quoi manger. Elle n'osa le lui dire. Ce n'est que l'évidence de sa dernière remarque qui la poussa à lui parler.
– Je n'dois pas mourir Eirik, j'en ai pas l'temps. J'dois aller à Brest, j'veux r'trouver mes enfants.
Et l'évocation des minis Corleone l'enhardit un peu. Si elle était d'ordinaire plutôt craintive, l'amour de son fils l'avait poussé un an plus tôt à faire preuve d'un courage dont elle se croyait dépourvue. Elle planta son regard de noisette dans les prunelles d'eau glacée du Nordique.
– Emmenez-moi Eirik s'il vous plaît. J'trouverai le moyen de vous dédommager, j'vous promets. Emmenez-moi auprès d'eux, et apprenez-moi à pas mourir.
La fauvette n'était pas vraiment de celles qui savent demander, mais l'impérieux besoin de revoir ses enfants que les frères Beaurepaire conduisaient en Bretagne valait bien quelque audace. A la voir ainsi, le visage émacié, boucles emmêlées et ternies de crasse, des vêtements trop grands pour être les siens, il ne fallait pas être devin pour se rendre compte qu'elle n'avait pas un écu en poche, mais elle avait habillé sa voix de toute la foi dont elle était capable. Plus qu'une proposition, c'était une supplique, elle ne parviendrait jamais à retourner à eux toute seule.
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Eirik_gjermund


Eirik fut très impressionné par le voleur voltingue. Il se pensait souple et preste. A côté de ce singe, il était un vrai manche à balai ! Mais la force avait eu raison de l'agilité.. pour cette fois.
Eirik fut agacé de reconnaître Fanny. Encore elle ! Ici ? Et encore en mauvaise posture ! Cette femme cherchait la mort...

Eirik ...
Oui ? Allô, j'écoute ? Non. Rien à foutre.

Rien à foutre... Et merde ! Non. Il penchait la tête de la Faible. La lame du Voltigeur avait l'air propre. Savait-on jamais.

Je n'dois pas mourir Eirik, j'en ai pas l'temps. J'dois aller à Brest, j'veux r'trouver mes enfants.
Fanny aurait pu être belle, mais elle était sale et moche. Ses habits étaient dépenaillés, usés, impropres. Alors que le visage, désespéré pourtant, restait beau et noble.

Elle le regarda. Profondément. Et Eirik pensa à sa jeune sœur, Kukka. Il l’imagina en danger. Il vit dans ce regard le sien, si les choses avaient été inversées.

Emmenez-moi Eirik s'il vous plaît. J'trouverai le moyen de vous dédommager, j'vous promets. Emmenez-moi auprès d'eux, et apprenez-moi à pas mourir.

.........


D'accord.
Malédiction !
Des deux mains, Eirik pressa les épaules de Fanny, gentil. Son regard restait froid.

Ils sont où, tes gosses ? Avec qui ? Tu dois demander ou forcer ?
Je dois savoir. Tu as toujours la dague et les cuirs que je t'ai donnés ?

Eirik, de force, presque, avait fixé liens de cuir et dague au poignet de Fanny.

Il s'écarta.

Je ne viens pas si tu ne sais pas te défendre. Tu es pressée ? Alors tente de m'éventrer.
Tu tuerais pour tes enfants ? Imagine que c'est moi qui les détient. Au mieux, je les ferai adopter. Au pire, eh bien je les violerais, et je les torturerais, je les tuerais, et je les violerais encore. La chair de ta chair.

Pas d'émotion. Malgré les paroles immondes.

Tu es faible. Tu tue les hommes dans leur dos, c'est bien, tu as raison.
Eirik se pencha et prit dans ses bras une petite bûche.

Je viendrais avec toi. Je te protégerais. Mais si je suis en danger, tu devras agir. Pour me sauver, te sauver, ou ton enfant. Si je te suis, tu devras me couvrir. Attaque, femme !
Eirik avait des bracelets de force en cuir, mais peu importait.
S'il suivait cette femme, il voulait qu'elle soit un minimum apte. Fanny avait une dague, légèrement courbée, effilée, très pointue.
Eirik pivota son corps.

Ne regarde pas l'endroit où tu vas tailler. A ton niveau, pique et taille où bon te semble. La bûche, c'est ton enfant.

Fanny voulait voir ses enfants. Rien n'était plus puissant et féroce que le désir d'une mère lésée'. Eirik serra la bûche contre lui.
J'ai ton enfant. Il est à moi, pas à toi. Je ne te le rendrais jamais ! Tu es d'accord ? Si non, attaque ! Reprends ton enfant, ou je m'en irais avec, et tu resteras là, comme une pauvre femme amputée de ses entrailles.

Fanny n'avait l'air bonne à rien. Il fallait qu'elle se bouge. Vite !

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Sa langue natale
Lison_bruyere
Sa voix était glacée et déterminée. Fanette le regarda, un peu perdue sans doute, avant de comprendre ce qu'il cherchait à faire. Elle lui avait dit déjà ce jour où il avait fixé à son avant-bras une arme discrète et redoutablement tranchante. Elle lui avait dit que, toute craintive qu'elle soit, si ses compagnons de route tiraient l'épée pour se défendre, elle ne se dérobait pas. Chaque mot assené par le Nordique faisait ressurgir des souvenirs qui s'enchevêtraient plus ou moins distinctement. Elle était épuisée, elle avait eu peur et il faisait froid, mais elle le défendrait si elle avait à le faire. N'avait-elle pas déjà sauvé la vie de son diable de Corleone ? Pourquoi d'ailleurs ? Pour qu'il l'abandonne un an plus tard, entre les pattes d'un violeur et d'un assassin notoire ? Elle contracta les mâchoires.
Elle le regarda caler une bûche au creux de son bras ... son enfant. Comment pouvait-il énoncer toutes ces horreurs ? Elle se demanda depuis combien de temps elle n'avait pas revu ses petits, et elle se rendit rapidement compte qu'elle était incapable de répondre à cette question. Les récents événements lui avaient fait perdre la notion du temps, une semaine, un mois, plus ?

Elle refoula un sanglot et planta un regard farouche dans celui d'Eirik. Tout s'emmêlait, le froid, la fatigue, le manque de Stella et de Milo, Roman, le coup de couteau, le procès, les geôles, et face à elle, le Nordique qui l'aiguillonnait en ajoutant d'abjectes images à son esprit déjà embrumé. Sa main se referma sur un caillou. Elle se releva sans le lâcher des yeux.
– J'ai plus rien ... qu'ça ! J'étais en prison.

Elle manqua de lui balancer dans la figure, c'est qu'elle n'était pas mauvaise armée d'une pierre, et parvenait souvent d'un premier jet à sa cible, surtout lorsque celle-ci était imposante et plus ou moins immobile. Mais même si en l'instant, elle était un peu trop confuse pour réfléchir, elle réalisa qu'Eirik ne lui était pas hostile et retint son geste. Elle avait pourtant le sentiment qu'elle devait réagir, se défendre, lui reprendre la bûche qu'il tenait fermement contre lui. Ses phalanges blanchies desserrèrent leur étreinte et la pierre roula au sol. D'un coup de pied, elle l'envoya valser contre le tibia du nordique et se rua sur lui. Il n'avait qu'une main pour se défendre, puisque l'autre tenait ce qui symbolisait l'enfant. C'est sur ce flanc qu'elle l'attaqua, prenant son appel pour sauter et s'accrocher à tout ce qu'elle pouvait attraper, la fourrure qui le couvrait, l'épaisse lanière de cuir qui retenait la hache qu'il gardait à son dos, ses épaules. Ses ongles s'enfonçaient dans la chair. En crochetant son avant-bras gauche autour de son cou, elle cherchait moins à l'étrangler qu'à se maintenir, tentant de hisser son visage à hauteur du sien. Elle le mordrait c'est sûr, suffisamment fort pour lui faire mal, suffisamment fort pour le surprendre et lui faire lâcher l'enfant sur qui elle portait déjà sa dextre.

C'était folie sans doute, mais qu'avait-elle d'autre pour se défendre que ses poings, ses dents et sa rage ?
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Eirik_gjermund


Un bref instant, Eirik se dit qu'il avait été trop loin. Trop brute, trop brutalement. Ses mots abjects touchèrent Fanny. C'était le but.
En laissant ses enfants, de gré ou de force, on les exposait au pire, rarement au meilleur. Si le Nordique était sûr d'une chose, c'est que Fanny se battrait bec et ongles pour eux. Mourrait, pour eux.Pourquoi ses chers enfants lui avaient-ils été enlevés..? Il n'était pas sûr de le savoir. Elle était trop bavarde.

Prendre une bûche pour symboliser un gosse, c'était une première pour lui ! Pas si con, pourtant. Pour deux raisons. La première, faire un transfert dans l'esprit de la mère. Le second, attaquer une personne qui tiendrait son enfant sans blesser le gamin.
Chaque chose en son temps.

La Roussette saisit une pierre... Eirik s'apprêtait à parer avec la bûche. Enfant-tronc ou pas, une caillasse restait une caillasse ! Ça faisait mal. Le bras féminin retomba, comme la pierre. Ouf...
Eirik lui asséna quelques mots et vit une lueur vilaine dans le regard de la Faible. Qui, du coup, ne semblait pas l'être.

Elle shoota dans le caillou, qui lui meurtri le tibia et le Scandinave fut étonné. Il considérait cette arme abandonnée. Erreur. Une commissure s'étira sous la douleur fugace.
Trois secondes...
Il en fallu deux à Fanny pour sauter sur lui, emprisonnant son bras libre de son corps frêle. Elle était si légère ! Mais se tenait fermement. Ses doigts fins le tiraillaient, elle mit à jour sa gorge et le griffa férocement, son bras opposé tenant son cou et le serrant avec une force qui l'étonna.
Un pied prit appui sur la ceinture retenant sa hache, qu'Eirik sentit glisser... Et les ongles ! Aïe !
Son bras bloqué - l'autre tenant la précieuse bûche - il tenta de soulever la prise de la Roussette. Tenace, il n'y parvint pas, récoltant de féroces griffures jusque sur la joue ! Sale bête !

Abandonnant la douceur, il donna un puissant coup de hanche qui décolla l'assise de la fille et en profita pour libérer son bras prit en étau. Libre ! Sans gêne, il le passa entre les cuisses de la harpie improvisée, jusqu'à la hanche. Son coup d'épaule, il délogea les ongles de quelques centimètres de sa gorge fragile. Si costaud soit-il, il avait les points faibles d'un humain. Eh oui.
Évitant les dents cannibales, il fit pivoter le corps de la jeune-femme, la désarçonnant, et ses rudes mains défirent de force l’étreinte méchante de son cou.
Eirik termina par un bond, et Fanny, sans prise, allait tomber.

Elle tomba. Il la retint par la main à quelques centimètres du sol et la lâcha. Il avait toujours la bûche. La gorge rouge et entamée de griffures.
Le Nordique posa la bûche. Il avait la respiration saccadée. Se libérer de cette tigresse avait été plus dur que prévu ! Il lui offrit l'un de ses rares sourires, et sa main pour qu'elle se relève.


Eh bien ! Bravo. Garde tes ongles comme ça...
Il grimaça en se frottant la gorge. Une larme de sang teinta ses doigts.
Tu t'en sors bien à mains nues. Tu auras un bon effet de surprise. Je ne m'attendais pas à un tel assaut !
Tu dois aussi savoir te servir d'une arme. Tu as toujours la dague que je t'ai donnée ?


Les yeux glace regardèrent Fanny. Pas si faible lorsqu'elle ne s'apitoyait pas...

Brest, c'est loin. Nous avons un peu de temps mais chaque jour compte.
Il va bientôt faire nuit... Il nous faut du bois. Que dis-tu de brûler cette bûche ?
Dit-il avec un sourire nouveau.
Ils avaient encore le temps. Fanny était chaude, il ne fallait pas la laisser s'encroûter !

Bon. Nous allons passer à la dague. Mais laisse-la dans son fourreau... M'égorger ne serai pas productif et je n'en ai pas très envie...
Tu vas simplement faire des mouvements de pique et de taille. Piquer, c'est planter. Tailler, c'est.. bah, t'as compris.
Et ne la sors pas du fourreau ! Tu m'as d'jà fait mal avec tes ongles...

Pas de bûche sur ce coup.

De la main, d'un signe "viens", Eirik invita Fanny à l'attaquer d'instinct. Il corrigerait au besoin.
Viendrait après le moment de manger...

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Sa langue natale
Lison_bruyere
Main fine se tend vers la paluche qui vient la relever. Fanette le fixe, l'air sans doute un peu hagard, cherchant à comprendre ce qui vient de se jouer un peu plus tôt. Le sourire se dessine dans la broussaille d'une barbe, alors le sien y fait écho, par réflexe peut-être, ou par mimétisme, qu'importe. Question récurrente, a-t-elle toujours la dague qu'il lui a donnée ? Que pourrait-elle bien avoir avec elle, quand les trois mercenaires payés pour la ramener à Alençon se sont saisis d'elle sans lui laisser le temps de quoi que ce soit. D'un léger signe de tête, elle répond par la négative et récupère celle qu'il lui confie.
Et le sourire s'efface à ses lippes au fil des mots qu'Eirik lui adresse. N'en a-t-elle toujours pas fini ? Doit-elle encore se battre, prouver qu'elle sera utile s'il le faut ? Un instant, une lueur de découragement passe dans son regard déjà terni de fatigue. Elle le sait, avec une arme, elle n'est bonne à rien. Depuis son enfance qu'a-t-elle appris de plus sinon à endurer les coups, ou plus tard, à s'y soustraire ? Combien de fois l'acier, pour peu qu'elle en ait eu, a manqué sa cible ? Pire, s'est retourné contre elle, guidé d'une main adverse pour lacérer sa jambe, son flanc, combien de cicatrices porte-t-elle de n'avoir pas su se défendre ?

Mais l'homme en face ne bronche pas. D'un geste il l'invite. Noisettes glissent sur lui, puis sur la dague qu'elle tient, dont le fourreau de cuir enveloppe la lame, pour remonter encore sur le Nordique et se planter dans son regard de glace. Elle hésite. Il lui a dit déjà de ne pas chercher la confrontation, au risque de mourir en fille stupide, et pourtant, il attend qu'elle l'aborde, comme ça, de face, lui qui doit bien peser le double de son poids et la dépasse de plus d'une tête. Il attend, bien campé sur deux jambes solides quand les siennes la supportent à peine.
Ses jambes …
Alors, elle bondit en avant, courbée pour échapper à ses bras, du moins le croit-elle, et vient abattre sa lame sur les tibias de son adversaire, espérant le faucher. Elle roule à ses pieds et, lestement se relève dans son dos. Alors, main crispée sur la poignée gainée de cuir, fauvette allonge le bras pour harponner sa cible n'importe où. Elle aurait aimé être plus rapide, qu'il n'ait pas le temps de se retourner. Peut-être l'a-t-elle été, peut-être pas. Elle n'a pas eu le temps de voir où elle pique, ultime réflexe, dos, flanc, cœur. Un voile sombre trouble sa vue, et comme il n'a pas encore réagi, elle ose un pas en avant, fendant l'air de sa lame devant elle.
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Eirik_gjermund


Silence. Tant mieux. Cela signifiait une certaine concentration.
Fanny, armée, sembla démunie, le regard désemparé. Il fallait qu'elle arrête de faire ça. Ça lui donnait un air lamentable. Mais c'était faux. Elle n'était pas lamentable. Son assaut féroce le prouvait. Si seulement elle pouvait garder ce regard et ce mental combatif, sa vie changerait ! Sa vie ? Oui, toute sa vie. Le mental, c'était tout.

La Roussette frêle le regardait dans les yeux, dague au fourreau brandie.
Eirik n'était pas un maître d'arme. Il ne l'avait jamais été. Pour personne. Il faisait ça à l'instinct. Peut-être s'y prenait-il mal. A lui, on lui avait jeté une arme et on l'avait attaqué sans autre forme de procès. Eirik était un homme. Alors c'était très différent.

Face à la fille, le Nordique vit son attaque avant même qu'elle ne la lance. Elle avait regardé son flanc, ses jambes, l'espace à côté. Une attaque lue ne valait rien.
Fanny bondit vers le bas, Eirik s'écarta, la dague faucha l'air. Le fourreau le frôla, mais il n'aurait pas été entaillé.
Preste, Fanny était déjà dans son dos. Eirik avait bougé, le coup de la fille planta le vide. Le Nordique saisit le poignet et de force - ce n'était pas dur - pressa le fourreau contre la gorge pâle de son élève.
C'était trop facile. Mais Eirik n'était pas déçu.
Il rendit son arme à Fanny.


Tu annonces tes coups avec ton regard. Tu as regardé le sol et mes jambes. Là où tu allais frapper. Autant le crier.
Tu dois garder le regard fixe pour ne donner aucun indice. C'est dur. Tu devras apprendre.

Eirik passa sa main dans les deux tresses de sa barbe. Et ses iris de glace revirent vers Fanny.
Sans arme, tu m'as surpris. Tu es féroce, car instinctive. Avec une arme, tu es trop prévisible.
Allez, range ça. On va manger. Tu as faim ?


Le Nordique avait trouvé la Pâle totalement démunie, à peine couverte. Lui poser des questions l'angoissait. Elle parlait beaucoup trop.
Après sa réponse, Eirik s'en alla vers Hunt, son cheval. De son sac, il sortit une grande cape de voyage doublée. Laine et cuir imperméable. Il ignorait le gros chien de Fanny, qui avait l'air bien trop gentil. Pour le que le sien - Hund - ne l'attaque pas, c'est qu'il était bien trop brave. Brave dans le sens des Sudistes, soit idiot et couard. Ce mot - brave - voulant dire courageux ailleurs. Hors, Eirik connaissait surtout des Sudistes. Et être "brave" n'était pas un compliment.

Avec la cape usée, la Scandinave revint vers Fanny et la couvrit.

Voilà. Tu es moche mais tu n'attraperas pas la mort. C'est comme ça qu'on dit ?
Va chercher du bois. Je vais m'occuper du gibier que j'ai chassé.

Non, Fanny n'était pas moche. Juste mal attifée. Eirik, depuis son assaut toute griffe dehors, la voyait différemment. Elle n'était pas faible. C'était l'ablation de la chair de sa chair qui la rendait ainsi, pas sa nature même.

Le Scandinave avait une perdrix bien grasse. Hund avait un renard.
Eirik s'approcha de son chien-ours et de son repas et proféra des mots gutturaux. Hund ne bougea pas, le renard mort entre ses pattes. Eirik gronda. Hund s'éloigna, à regrets.
De sa hache, le Sauvage coupa le renard en deux parts non égales. Par la queue, il prit "sa" part, qu'il jeta au chien de Fanny. Il aurait un bout de ventre et les cuisses.

Puis le Blond alluma un feu. Fanny devait chercher des munitions. Il fit cramer les plumes de la perdrix et la vida, jetant certaines entrailles aux chiens, déposant le reste dans un récipient. Il y mit les autres morceaux plus nobles.
Dans la sorte de poêle fixée aux deux barres, Eirik ajouta un peu d'eau puis des herbes données par son amie Sudiste. Une merveille !

Deux gobelets cabossés étaient posés sur la terre, car Eirik s'était un peu éloigné des galets sableux de la rivière.
L'odeur de la volaille sauvage aromatisée emplissait les narines.
Eirik donna une gamelle tout aussi cabossée à Fanny, avec une vieille fourchette à deux dents, qui formait un angle peu pratique. La viande ferme était ramollie par l'eau et son jus. Il servit copieusement sa compagne et lui encore plus.

Hyvä ruokahalu. Ca veut dire, bon appétit, en Finnois. God matlyst, en Norvégien.
Fanny l'avait connu comme Jouk. Son prénom Finnois. Il l'avait abandonné.
Les godets étaient pleins d'un vin rouge, plutôt bon. Fruité, point trop râpeux.

Le Nordique croqua sa viande, le jus ruisselant sur sa barbe.

Alors ? Pourquoi t'as plus tes gosses ? Épargnes-moi les noms que j'connais pas et fais court.
On va être tout les deux un moment. Sauf si tu m'écoutes pas.

Eirik essuya sa barbe d'un revers et but.
Il ne savait pas du tout à quoi ce voyage mènerait... Et s'il pourrait aider cette mère meurtrie. Amputée.

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Sa langue natale
Lison_bruyere
Fanette grimaça en sentant le cuir du fourreau s'appuyer à sa gorge. Elle acquiesça sans oser un mot. Prévisible avec une arme, ou féroce sans, le résultat était le même, il avait eu le dessus. Quoi que, s'il lui avait été véritablement hostile, elle aurait jeté le caillou, et là, peut-être que ça aurait changé la donne. Ils ne le sauraient jamais. 
Elle referma sur elle la cape qu'il posa sur ses épaules. La chaleur un peu rêche de la laine se diffusa immédiatement à ses membres et ses traits se détendirent. Elle esquissa même un sourire à sa réflexion. Elle aurait ri si elle avait été plus en forme, ou si elle le connaissait mieux. Elle se contenta d'une réponse plus sobre, même si ses prunelles s'éclairèrent d'une lueur amusée.
– Merci. Oui on dit ça, quoi que, j'me demande si je ne l'ai pas déjà attrapée, la mort. 

Il évoqua le repas, et son estomac se manifesta, presque douloureusement tant la faim la tenaillait. Depuis son départ d'Alençon, elle n'avait plus rien mangé, son ventre se tordait de l'intérieur. Il devait être en train de se dévorer lui-même, ce n'était pas possible autrement.
– J'ai faim oui. 
Elle appuya son accord d'un signe de tête et lui tourna le dos pour s'enquérir de bois. Elle pouvait bien consentir à cet ultime effort, puisqu'il lui donnait l'assurance d'un peu de mieux ensuite. Un feu, de quoi manger, du repos enfin, sans craindre de se faire surprendre seule dans son sommeil. Elle amassa tout ce qu'elle put trouver aux alentours, et le ramena vers le foyer qu'il venait d'allumer. Le temps était maussade et le sol détrempé. Elle utilisa la lame comme on lui avait appris, pour faire sauter l'écorce du bois, et éviter ainsi qu'elle ne retienne l'humidité qui ralentirait la combustion. Après quoi, elle s'assit au plus près des flammes, observant les gestes du Nordique. 

Les parfums appétissants envahirent l'air qui les enveloppait. Huan, les babines sanguinolentes d'un repas de viande fraîche tout juste ingurgité, vint se vautrer près d'elle, appuyant sa lourde tête sur ses jambes. Elle trouva réconfort à glisser sa main sur le poil ras du dogue. Elle en trouva bien plus à avaler un repas chaud, dont les effluves délicieusement parfumés l'avaient faite languir. 
– Gotmaliste, tenta-t-elle de répéter maladroitement. Vous êtes Norvégien ou Finnois ? 
Elle ne savait situer aucun de ces deux pays, si ce n'est en haut de la carte. Elle lui aurait bien demandé s'il avait déjà vu les lueurs vertes dans le ciel nocturne, qu'elle-même rêvait de voir un jour, mais la chaleur de la gamelle proposée diffusait à sa main, lui rappelant qu'il n'était plus l'heure de parler. Elle ne releva pas le nez, gardant les yeux fixés sur sa viande comme si elle craignait qu'on la lui reprenne, piquant chaque morceau qu'elle portait à sa bouche comme elle pouvait, et tant pis si ce n'était pas élégant. Son dernier repas chaud datait de trop longtemps pour qu'elle s'en souvienne. Celui-ci avait la saveur d'un réel festin.
Elle reposa l'écuelle vide à côté d'elle, repoussant le museau de son chien qui tentait d'en lécher le fond, et consentit enfin à poser un regard sur Eirik. Il voulait savoir et elle ignorait bien ce qu'elle pouvait dire, craignant qu'il ne change d'avis s'il apprenait l'idiotie du geste qui l'avait mise dans pareille situation. Elle prit un bref instant pour y réfléchir avant de se décider à causer.

– J'étais en prison Eirik. On m'a emmené de force, sans me prévenir. Nous faisions étape à ... Elle réfléchit un instant, sans plus se souvenir de l'endroit où elle était quand les trois mercenaires s'étaient emparés d'elle. D'un geste, elle sembla chasser l'air devant elle, et poursuivit. Peu importe. Mes enfants sont avec les deux frères qui me payaient pour leur faire découvrir la Bretagne et ses légendes.  Je sais qu'ils ont décidé de ne pas les abandonner, ils les amènent avec eux, à Brest.
Elle s'interrompit, pensées irrémédiablement captées par l'image des deux minis-Corleone. Elle réprima un soupir. 
– Je crois pas qu'ils sont en danger, les deux frères vont veiller à leur sécurité, mais, ils sont petits, ils n'ont pas dû comprendre, surtout Stella, je l'allaitais. Ce doit être dur pour eux. Ça l'est pour moi Eirik ...
Sa voix se nimba d'impuissance.
– J'ai perdu le fil, j'sais plus depuis combien de temps j'suis séparée d'eux.

Elle égara son regard sur les flammes qui dévorait le bois mort. Les escarbilles montaient vers le ciel en crépitant. Abîmée dans ses pensées, elle imagina le quotidien de ses enfants auprès de deux inconnus qui n'avaient aucune attirance pour tout ce qui chouinait en salissant ses langes. Elle tenta de se rassurer. S'ils avaient décidé de ne pas s'en défaire auprès du premier orphelinat venu, c'est qu'ils voulaient en prendre soin jusqu'à les lui rendre. De nouveau, elle reporta son attention sur le Nordique, et un peu plus loin, sur Metsa, bien qu'il lui semblât que le chien portait aussi à présent un autre nom. Elle ne savait que peu de choses de cet homme, si ce n'est que c'était la troisième fois que la providence le plaçait sur son chemin, à l'exact moment où elle avait eu besoin d'aide. Elle lui étira un léger sourire.

– J'peux une question Eirik ? Comment on décide de quitter son pays ? N'y a-t-il personne pour tenir à vous dans le Nord, ou a qui vous teniez ?
Fanette avait pris le large déjà. Au sortir de l'enfance, elle s'était sauvée de chez les Messonier, auxquels son père l'avait confiée à l'aube de ses quatre ans, et quelques semaines plus tôt, c'est son époux qu'elle avait fui. Mais partir aussi loin, dans un pays dont on ne connaissait ni la langue, ni les us, il ne fallait pas manquer de courage pour s'y risquer. Elle voulait comprendre ce qui poussait à un tel exil.
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Eirik_gjermund


Le temps où Eirik était un combattant - gladiateur à la Française - était révolu. Il était un homme fait, mûr. Plus le jeune gars avide de sang. Même s'il l'était encore un peu, parfois... De temps à autre, se bastonner faisait du bien, sans intention de tuer. Une bagarre saine, qui défoulait, voire causait une amitié éphémère.
Engagez donc deux femmes dans un combat ! Combien de chances pour qu'elles finissent copines ensuite ?
Depuis peu, le Nordique prenait plaisir à la compagnie amicale des femelles. Mais point trop jeunes... Étrangement, il se confiait plus envers elles. Sur certains points. Avec des mâles, il causait différemment.

Quand il l'avait vue pour la première fois, Eirik n'avait pas aimé Fanny. Elle était presque tout ce qu'il détestait. Presque. Il les avait suivies - Amarante et elle - car elles payaient.
Puis Eirik avait recroisé Fanny. Une Fanny moins malade mais toujours aussi désespérée. Sans éprouver de sympathie, Eirik avait eu de l'empathie. Cette femme faible avait perdu ses enfants. Cette femme faible ne savait pas se défendre. Les deux étant, pour lui, incompatibles. Était venu le désir de l'aider. Pour ses enfants. Parce qu'elle les aimait très fort.
Les sentiments du Scandinave, d'abord négatifs, étaient devenus neutres. Puis... Comment dire ? Il ne savait pas mettre des mots pour ce qu'il ressentait envers cette femme.

Il fut satisfait de la soulager de la fraîcheur en lui déposant sa cape doublée sur les épaules.

J'ai faim oui.
On va manger.

La perspective de la nourrir lui faisait plaisir. Il voulait qu'elle soit en forme pour récupérer ses enfants. Où peut-être qu'il commençait à bien l'aimer...

Malgré son était de faiblesse manifeste, la Roussette alla chercher du bois. Et ne s'en contenta pas. Avec une lame, elle écorça certaines branches dont elle alimenta le feu.
La bûche qui avait symbolisé son enfant ne brûlait pas. Elle reposait à côté du foyer. En fin de compte, Eirik n'avait pas eu l'envie de la mettre au feu.

Il avait étendu une vieille couverture usée jusqu'à la corde parsemée d'aiguilles de pin en face de lui, pour Fanny. Lui, il posait son cul sur son tapis de selle. Le chien de la fille reposait sa tête sur sa cuisse. C'était une belle bête, mais Eirik ne connaissait pas cette race. Il avait encore le sang du renard sur les babines.


Gotmaliste.
Il sourit. Fanny avait choisi de répéter le mot le plus simple. Le Finnois était trop riche de syllabes compliquées, parées de trémolos tout aussi complexes. Le Norvégien était plus facile.
Go ot maht lyyst.
La femme mangeait comme une affamée. Et Eirik se sentit satisfait de pourvoir à ses besoins. Oui... C'est qu'en fin de compte, il devait l'apprécier...

Vous êtes Norvégien ou Finnois ?
Eirik ignora la question le temps de mordre, mâcher, avaler, essuyer le jus.
Les deux. Ma mère est Finnoise, mon père Norvégien. J'ai deux prénoms et deux noms ; Joukahainen Ilmarinen de Finlande et Eirik Gjermund de Norvège.
Joukahainen est prénom très connu dans une Odyssée Finnoise. Le Kalevala.

Le Métisse - oui ! - croqua à nouveau puis haussa une épaule :
Appelle-moi Jouk ou Eirik, peu importe. En ce moment, je suis Eirik, et Metsa est Hund. Il répond au deux lui aussi. Mais mon cheval, lui, c'est Hunt.
L'énorme équidé puissant, très haut, très large, très musclé, mangeait de l'herbe non loin. Vu sa carrure, Eirik l'imaginait plutôt chasseur de viande...

Fanny passait par diverses émotions, qu'Eirik remarquait. Parce qu'il était vieux. Jeune, il ne savait pas lire l'humain. Elle posa son regard désarmant sur lui.

J'étais en prison Eirik.
Ça, il ne l'avait pas vu venir... Fanny continua ses explications, riches mais brèves.
Je crois pas qu'ils sont en danger... Dit-elle à propos des ses enfants, en soupirant.
Le Nordique l'écoutait, mais il sauçait son assiette avec un morceau de pain presque frais. La miche était à disposition.

Ce doit être dur pour eux. Ça l'est pour moi Eirik.
Le Scandinave leva les yeux, s'essuya la bouche d'un revers, but une grosse lampée. Il parla d'une vois égale :
Aucun enfant ne devrait être séparé d'une mère aimante et bonne pour eux.
Des femmes aiment leurs gosses mais leur font du mal, malgré elles ou pas.
Je crois que tu devrais avoir tes enfants avec toi. Fanny. C'est bien ton prénom ? Et ton nom de famille ?
Bois ! Il va faire froid cette nuit.

Eirik remplit les vieux verres de métal cabossé. Il resserra son col sur son cou nu. Il s'était presque habitué au temps chaud français...

Lui ne regardait pas le feu, les yeux perdus. Il réfléchissait. Ils étaient seuls, deux combattants ; Hund et lui. Eirik avait des biens à voler. Il ne pourrait dormir que d'un œil. Et Fanny n'avait rien. Eirik passait en revue ce qu'il pourrait lui offrir pour dormir dans un confort tout relatif.


J'peux une question Eirik ?
Il la regarda de ses yeux glace et vit un léger sourire. Décidément, elle n'était pas franchement moche. Qu'on lui rende ses enfants, qu'elle mange bien une bonne semaine, qu'elle mette une tenue pas trop usée et coiffe ses cheveux. Ce serai une femme nouvelle.
Eirik tendit le menton, à l'écoute.

Comment on décide de quitter son pays ? N'y a-t-il personne pour tenir à vous dans le Nord, ou a qui vous teniez ?
Le Nordique se rembrunit dans la lumière de la nuit tombée, ses traits froids éclairés par les flammes, donnant des éclats de cuivre à sa barbe, faisant scintiller les bagues argentées terminant les nattes de son menton.
Il grommela.
Puis il regarda Fanny, en grattant ses épais cheveux blonds lui chatouillant la nuque.
Grmpf. Longue histoire...

J'ai un père, une mère, trois jeunes frères et une petite-sœur. Kukka. Je suis parti avant sa naissance quand j'avais treize ans. J'ai été marin. Un peu ici.
Je suis rentré chez moi. J'habite en Norvège, là où la nuit dure des mois pour laisser place à un jour tout aussi long. Le pays voisin est la Finlande. Mon père fait du commerce entre ces deux pays.

Eirik but, finit son verre, le termina, se resservit. Knut. Son père.
J'suis revenu quand Kukka est née, reparti, et revenu à ses quatre ans. Et reparti.
Kukka, perle Scandinave. Eirik grogna.
J'suis revenu pour des bottes et un manteau.
Eirik tendit un pied botté, fait de cuir luisant, gris.
Peau de phoque noir. Très chaud. Mon manteau, c'est du renard des neige. Et du loup blanc. Vous avez pas de phoques ici ?
Ce n'était pas une question, mais ça y ressemblait. Une question absurde. Des phoques, ici ? Vraiment ? Non ? Pour de vrai ? Noooon ?

Bois !
Après, il faut dormir.
C'est quoi, ton chien, comme race ? Le mien, un Berger du Caucase. Je l'ai volé à des Russes.

En lui disant de boire, Eirik ne voulait pas qu'elle soit ivre. Peu lui importait. Il voulait qu'elle se réchauffe.
Il débarrassa les assiettes sans les donner à lécher aux chiens. Il les laverait plus tard.
Eirik regarda Fanny, pénétrant.

Tu en sais très beaucoup sur moi maintenant.
Pourquoi tu me fais confiance ?

Bonne question !

Derrière Eirik, Hund sommeillait et son pelage réchauffait le bas de son dos. Les flammes donnaient un éclat surnaturel aux cheveux de Fanny. En rendant sa beau presque translucide. Non... Elle n'était pas moche.

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Sa langue natale
Lison_bruyere
Fanette se laissait bercer par l'accent métallique du Nordique. Ses phrases courtes imposaient un rythme saccadé et rapide, donnant à son phrasé une musicalité différente. Elle se sentit bien mieux qu'elle ne l'avait été depuis son arrestation, et, l'espace de ce repas, enveloppée de la chaleur du feu, et sûrement soulagée par la présence rassurante d'Eirik, elle mit de côté ses inquiétudes et se laissa aller à cette conversation à bâtons rompus. La mélancolie s'invita néanmoins à ses traits quand il évoqua ses enfants, mais elle lui sourit malgré tout, reconnaissante de cet avis.
– Mon véritable nom, c'est Fanette, Fanette Loiselier. J'suis angevine moi, de Craon. Mais si vous préférez m'appeler Fanny, ça m'va aussi.

Elle tourna la tête vers Hunt quand il prononça son nom, et détailla un instant sa silhouette paisible qui broutait.
– J'en ai pas souvent vu d'aussi massif et grand. Il vient du Caucase comme votre chien ?
Du cheval, son regard glissa sur le chien, qu'elle apercevait, couché derrière le dos de son maître. Elle s'amusa.
– Les gens trouvent souvent Huan énorme, mais c'est parce qu'ils n'ont pas vu votre chien. Y'a d'autres géants au Caucase ?
La jeune femme n'était guère instruite, elle ne savait pas plus placer ce pays sur la carte, qu'elle ne pouvait le faire avec ceux du métis. Elle caressait distraitement son molosse indifférent aux considérations géographiques et qui ronflaient comme un sonneur, appréciant visiblement le moment.
– Huan, j'sais pas d'où y vient, c'est un dogue, un dogue de forte race j'crois. On me l'a donné pour me défendre, parce que mon mari était pas souvent avec nous, mais j'suis même pas sûre qu'il sache se servir de ses dents pour mordre. Huan c'est le chien d'une légende, de nombreuses victoires ont été remportées grâce à lui, mais, c'lui-là est mal nommé.
Elle posa malgré tout un regard affectueux sur l'animal.
– Il est bon à rien mais, c'est un gentil compagnon et, il est d'une patience rare avec mes enfants, surtout Milo. Mon fils fait courir sur son dos ses petites figurines de bois, ou, oh ! vous les verriez Eirik quand il lui raconte des histoires... Toute la tendresse de ses souvenirs s'imprima à son visage, de la douceur de son sourire à la lueur un peu lointaine qui couvait au fond de ses yeux. Milo est encore petit, il baragouine plus qu'il ne parle, mais le chien l'écoute, aussi longtemps qu'il lui cause, à grand renfort de geste.
Plusieurs fois, après que l'Italien l'ait répudiée, elle avait songé à se défaire du chien. L'animal mangeait plus qu'elle, et elle avait déjà bien du mal à joindre les deux bouts sans s'encombrer d'une bête inutile, accumulant les dettes, mais finalement, elle n'avait jamais su s'y résoudre.

Elle porta le gobelet à ses lèvres. Le vin était doux et fruité, pourtant, elle sentit la chaleur de l'alcool descendre le long de sa gorge. Elle se propagea à ses joues, y ramenant un peu de couleur. Elle l'écouta attentivement quand il parla de sa famille, et de la jeune Kukka qu'il ne devait connaître que bien peu. Il n'avait pas précisé s'ils étaient encore vivants, ou morts, et elle n'osa pas lui demander, craignant que ça ne la regarde guère. Elle sourit à ses bottes, se rappelant celles que lui avait achetées un Gitan pendant la guerre en Anjou, trois ans plus tôt, quand il gelait à pierre fendre dans les baraquements sommaires des armées en campagne. Elle ne dit rien, continuant à l'écouter. Une phrase cependant éveilla sa curiosité.
– Des nuits de plusieurs mois, et des jours tout aussi longs ? C'est donc vrai Eirik ? Celui qui m'a parlé des lumières vertes qui dansent dans le ciel m'avait dit ça aussi. J'ai pas trop su si je devais le croire ou s'il se moquait de moi. Mais où reste le soleil tout le temps de la nuit ? J'comprends pas, c'est le même monde qu'ici non ?

Elle trempa de nouveau ses lèvres dans le gobelet, essayant d’échafauder une explication sans y parvenir. Boisson achevée, elle se délesta du contenant, le déposant à côté d'elle, puis, étirant un sourire un peu fatigué, elle s'allongea au sol, sur le côté pour pouvoir encore voir le Nordique et causer avec lui. Elle replia un bras sous sa tête, quand l'autre main tentait de remonter sur elle les pans de la couverture sur laquelle elle était installée. Sa dernière question l'étonna. Pourquoi lui faisait-elle confiance ? Peut-être parce qu'elle n'avait pas d'autres choix. Elle prit un instant avant de répondre, relevant un sourire doux vers lui.
– C'est la troisième fois que vous m'aidez Eirik, et, vous vous souvenez cet été à Paris ? J'avais pas l'sou. Quand j'vous ai demandé si vous alliez le faire pour rien, vous m'avez répondu nan ! Pas pour rien, pour éviter qu'tu sois tuée. Et vous m'avez accompagnée encore, quand plus rien ne vous y obligeait. Alors, j'crois que si vous m'vouliez du mal, vous auriez déjà trouvé bien d'autres occasions.
Elle imprima une petite moue amusée.
– Puis j'ai rien à craindre de vous parce qu'vous savez que j'ai rien à voler, et qu'en plus j'pourrais vous mordre bien plus fort que mon chien. Si ça s'trouve, j'vous fais peur.
Elle ponctua sa phrase d'une œillade malicieuse. Elle ne croyait pas un mot de ce qu'elle venait d'ajouter évidemment, mais l'idée qu'elle, p'tite fauvette puisse effrayer un ours pareil semblait si incongrue qu'elle en était plaisante.

La fatigue pesait doucement sur ses paupières, mais elle n'était pas si mal, les muscles enfin déliés quand elle avait passé tant d'heures tétanisée par le froid. Elle releva malgré tout encore son minois vers l'homme impassible en face d'elle.

– Eirik, votre prénom, l'autre, Jouk, vous avez dit tout à l'heure qu'il était issu d'une odyssée, le Kalava ... Elle n'était plus très sûre du nom mais l'idée y était. J'suis un peu conteuse vous savez, les hommes avec qui sont mes enfants, c'est pour ça qu'ils m'ont embauchée, pour mes contes. Mais c'lui-là, j'le connais pas. Vous voulez bien me le dire ?
Fanette aimait écouter les conteurs, même si le plus souvent, dans son auberge de Limoges, c'est elle qu'on sollicitait pour prendre cette place. Elle chercha son regard, espérant y lire un consentement.
– Moi, j'connais qu'une seule légende du Nord, j'sais pas si c'est de votre pays. C'est celle d'une épée forgée par un dieu, Odin qu'on l'appelait. Et l'épée s'appelait Balmung, vous la connaissez ?
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Eirik_gjermund


Fanny. Fannette. C'était presque pareil. Ou pas. Autant que la contraction de ses deux prénoms, qui donnerait une sorte d'"Eijk". ... Donc, Fanette.
Craon ? Ça ressemblait à une insulte. "Tu n'es qu'un petit craon méprisable !". Ça sonnait bien.
Fanette le questionna sur Hunt.

Il vient du Caucase comme votre chien ?
Il haussa les épaules.
Jeg vet ikke. Ça veut dire , je ne sais pas. En Norvégien.
Fanette n'en retiendrait rien mais Eirik aimait bien glisser des mots ou des phrases de ses pays. Énervé, il le faisait sans s'en rendre compte.
J'ai acheté ce cheval au Danemark, il y a plus de dix ans. Je ne connais pas les chevaux. On m'a juste dit qu'il était croisé avec un cheval de bât et de joute. Les chevaux de joute doivent supporter parfois deux cents kilos. Une grand homme aussi lourd ou plus que son armure, et son arme. En plus de porter beaucoup, comme un de joute, il tire lourd, comme un de bât. Je n'en sais pas plus.
Mais c'était déjà pas mal...

Les gens trouvent souvent Huan énorme, mais c'est parce qu'ils n'ont pas vu votre chien. Y'a d'autres géants au Caucase ?
Huan. On dirait un nom Mongol. D'où vient ce nom pour le chien ?
Hund est un chien dit "chien-ours". Les os, les poils. Il garde les prisons de Sibérie, ils vivent bien quand il fait moins trente. Froid. Très froid.
Chien d'attaque, la race de Hund. Ils tuent vite. Chien d'attaque.
Ici, Hund a chaud. En été, je vais au Nord si je peux.

Eirik n'avait pas répondu à la question. Parce qu'il ignorait la réponse.
Je ne connais pas plus les chiens que les chevals. Juste la race de Hund. Ils sont très durs. j'ai déjà du me battre avec lui. Sinon, il m'aurait tué. Je lui ai arraché un bout d'oreille, un jour.
Sobre, le Nordique avait le ton monocorde d'un prof d'Histoire. Comme si rien ne comptait, comme si rien ne l'émouvait.
Et en effet, il manquait bel et bien un petit morceau d'oreille à son chien.

Fanette parla de son chien à elle. Jeune, Eirik considérait un animal incapable d'attaque ou de défense comme bon pour l'abattoir. Mais maintenant, Eirik considérait qu'un chien pouvait aussi apporter de l'amour.

Il est bon à rien mais, c'est un gentil compagnon et, il est d'une patience rare avec mes enfants, surtout Milo.
Eirik écouta encore un peu.
Alors le chien, il est pas bon à rien.
Ce n'était pas le feu qui faisait briller les prunelles de Fanette mais l'évocation de son fils. Elle l'ignorait sans aucun doute, mais Eirik aimait les enfants. Il eut un léger sourire à l'évocation du mioche jouant sur le dos de Huan.
Eirik pensa aussi à une toute petite fille brune, Solveig, enfant d'une de ses conquêtes très particulière.

Fanette buvait, plus lentement que lui, et encore heureux pour elle ! Conscient de ses provisions, le Nordique ralentit l'allure.
Lorsqu'il lui parlât de son chez lui, très loin au Nord, il sentit son incrédulité émerveillée et fut encore plus fier de ses origines. Il habitait un pays merveilleux.

Des nuits de plusieurs mois, et des jours tout aussi longs ? C'est donc vrai Eirik ? Celui qui m'a parlé des lumières vertes qui dansent dans le ciel m'avait dit ça aussi. J'ai pas trop su si je devais le croire ou s'il se moquait de moi. Mais où reste le soleil tout le temps de la nuit ? J'comprends pas, c'est le même monde qu'ici non ?
Eirik grogna. Les Dieux créaient le monde, pas lui. Il ne connaissait pas leurs secrets. Dans ce pays à Dieu unique, il était difficile de se dévoiler en toute quiétude. Mais qu'on essaie donc de le mettre au bûcher pour hérésie, qu'on essaie !
Je vis loin, très loin au Nord. Une nuit peut durer trente jours, et un jour cinquante nuits. Au soleil de minuit, il fait très jour. A la lune de midi, il fait moins sombre qu'à minuit.

Ils avaient fini de manger et Eirik avait les jambes tendues, pieds vers le feu et s'appuyait sur ses mains. Il regarda le ciel et la rivière face à eux étant dénuée d'arbres, il voyait les étoiles.
Beaucoup de marchands ne viennent pas chez nous au printemps car la glace fond, c'est dangereux. Nous faisons nos vêtements, nous mangeons avec ce que nous avons. Comme dans beaucoup de pays... Sauf ici. Vos marchands vont et viennent chaque saison.
Il y a le ciel vert, chez nous, comme tu dis. C'est...

Eirik soupira.
On dit chez nous que les Dieux accueillent un esprit important ou nous passent un message. Je ne sais pas ce qu'on en dirait chez vous.
C'est magnifique. Les lumières dansent. C'est divin.
Je crois que seuls les pays de neige ont ça. Tout les humains sont du même monde, mais... Grmpf.

Le Nordique refusa d'en dire plus sur sa vision de la vie et surtout, sur ses croyances intimes.

Ils changèrent de sujet et Fanette lui dit pourquoi elle lui faisait confiance. Eirik l'écouta mais ne dit rien.

Puis j'ai rien à craindre de vous parce qu'vous savez que j'ai rien à voler, et qu'en plus j'pourrais vous mordre bien plus fort que mon chien. Si ça s'trouve, j'vous fais peur.
Un grondement sourd vint du ventre d'Eirik pour éclater en un rire grave.
Je me sens mieux loin de tes griffes, petit lynx.
Et je n'ai jamais été un voleur. Encore moins de femmes.
Je n'aime pas les voleurs.

Eirik n'était pas un voleur. C'était un meurtrier.

Fanette s'allongeait. Il l'imita, en biais d'elle, la tête haute sur son sac.

Eirik, votre prénom, l'autre, Jouk, vous avez dit tout à l'heure qu'il était issu d'une odyssée, le Kalava ...
Il sourit dans sa barbe.
Moi, j'connais qu'une seule légende du Nord, j'sais pas si c'est de votre pays. C'est celle d'une épée forgée par un dieu, Odin qu'on l'appelait. Et l'épée s'appelait Balmung, vous la connaissez ?
Je connais, mais je voudrais que tu me racontes quand même. Demain.
Et mon histoire, demain aussi.
Nous devons dormir. Nous allons devoir marcher. Dors.


Eirik resta un temps à observer les étoiles, désignant mentalement celles qu'il voyait de chez lui. Un nuage vint et le croissant de lune fut caché. Le Blond s'endormit.
Il avait le sommeil léger. Ses propres ronflements le réveillaient et il changeait de position. A un moment, Eirik remit une bûche dans le feu et le tisonna, pour se rendormir. Il rêva de ciel vert.

Deux heures après l'aube, Eirik s'éveilla. Hund dormait toujours, contre lui. Fanette aussi. Le feu faisait de faibles flammes. En s'étirant, il réveilla son chien. Huan leva la tête.
Eirik décida d'attendre un peu, somnoler un peu... Juste un peu...

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Sa langue natale
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