Afficher le menu
Information and comments (0)
<<   1, 2, 3, ..., 8, 9, 10   >   >>

Info:
Enlèvement de Milo di Medici Corleone - 16 juin 1466 - et événements qui en ont découlé.

[RP] Entre Chienne et Louve.

Alaynna
[Entre chien et loup] -Johnny Hallyday -


Ni le bien, ni le mal,
Ni couché, ni debout,
Elles sont comme ces larmes*
Que l'on verse à genoux
Elles sont comme deux soeurs*
Mais tellement différentes*
Qu'elles aimeraient l'enfer*
Si l'enfer les attend...
C'est une guerre qui n'a pas de frontières
C'est du sang, c'est des larmes et des coups



Le soir éteignait ses dernières lueurs sur l’immense port qui paraissait sans fin, et semblait vouloir engloutir dans une forêt de mâts l’entièreté du décor. De ce côté-ci, la ville grimpait en pente douce entre des jardins et des bois, pour grignoter le flanc de la falaise qui faisait office de rempart naturel à toute la façade nord.
Le soleil venait donc mourir en répandant ses derniers rayons sur la terrasse de bois d’une taverne sans fard. Bouge pour matelots et dockers, elle avait littéralement les pieds dans l’eau. À cette heure, y dansait sur une piste de sable, avec une lascivité fatiguée, une esclave défraîchie, mais audacieuse et pas maladroite, qui essayait de son mieux d’offrir un divertissement à ses rares spectateurs. Il n’y avait pas une demi-douzaine de clients à s’attarder sur elle. Tous las de leur journée de travail, ils goûtaient à la douceur du soir, après une journée harassante.
Avec la fin du jour se levait un vent frais, pour souffler un peu les âcres puanteurs venues de ces ruelles portuaires. La taverne, miteuse, ne risquait pas de déborder de clientèle, et d’ailleurs seul le patron servait encore les clients qui s’attardaient à y boire son mauvais vin.
Debout sur la terrasse, appuyée nonchalamment à la rambarde en dédaignant comme à mon habitude tables et tabourets, et sans doute la seule à vraiment regarder la danseuse, je m'enquillais un breuvage que je ne pourrais jamais finir tant il était infect.

Ma contemplation solitaire, se portait enfin sur l'objet que je tenais entre mes mains. La boite, doublée de soie satinée et élégamment fermé d’un nœud ornementé retenu d’une petite fibule d’argent, le tout dans des tons d'un azuré de pastels, était de toute évidence empreinte de valeur. Elle ne contenait qu’une seule chose, posée sur un écrin d’une légère étoffe de soie : une très grande fleur, aux larges pétales, d’un blanc nacré, aux reflets bleutés. Chaque pétale, il y en avait sept, se finissait à sa pointe dans une teinte d’azur délicat, et la texture de la fleur évoquait sans mal quelque vaporeux tissu translucide. Les étamines, nombreuses, semblaient des fils d’argent éclairés de l’intérieur. Enfin, le pistil frappait par son contraste de dégradés d’or, se détachant comme une petite trompe évasée.

Je levais délicatement devant moi la fleur séchée, aux allures de joyaux qui symbolisaient à mes yeux, Raffaelle et Andrea. Saisons de printemps et début d'été, étaient, depuis maintenant trois années, maudites.
Ils ne quittaient jamais mon esprit, petites âmes tellement aimées et regrettées. Mais le plus douloureux, restait le souvenir d'Andrea. Parce que je l'avais vu. Je l'avais tenu contre mon sein, entre mes bras, et je l'avais baigné de mes larmes et bercé de mes lèvres. J'avais senti son odeur. Caressé son visage, ses petites mains, son petit corps. Cherchant durant des heures et des heures à réchauffer ce petit être froid, inerte,rigidifié. Contre mon sein, ce petit nourrisson mâle qui ne tèterait plus comme il le faisait pourtant dans le douillet abri de mon ventre. J'avais clos ces yeux qui m'en rappelaient d'autres et ne s'ouvriraient jamais plus, d'une main de velours.
J'avais longtemps crié, je crois. Les hurlements étouffés de ce prénom, je les rêvais chacune de mes nuits, tel un cocon de ouate.
Depuis trois ans, je le vois régulièrement ce petit bout d'homme. Il vient me voir, me hanter, me parler, me montrer tous ses progrès. Je l'ai même vu devenu homme en train de me montrer fièrement comme lui aussi, tout comme moi, sait jouer avec le feu tout en se jouant des flammes. Nous avons de longues discussions lui et moi qui me tiennent alors éveillée, dans mes nuits les plus sombres.
Il aime à venir, quand, assise au pied de la couche d'Anna, je veille sur son sommeil. Il se glisse alors sur mes genoux, se lovant entre mes bras, et lui et moi, restons ainsi, le regard tourné vers Anna-Gabriella. Il veille sur elle, il ne lui en veut pas d'être là, il l'aime. Quelquefois, une jolie petite fille brune au même regard iroise que son frère nous rejoint. Depuis que je l'avais vu lors de cette vision, alors que j'avais manqué m'asphyxier au contact d'un brasier ardent, c'est toujours sous cette forme là qu'elle m'apparaissait. Vaporeuse, ethéree.

Nous ne sommes pourtant pas encore précisément au jour anniversaire. D'ici trois petites semaines, je pourrai graver une nouvelle ciselure sur ce petit bout de bois précieux qui m'accompagne depuis trois ans.

J'ignore encore où je serai à ce moment là. Mais où que je sois, mémoires seront honorées. Seule. Parce qu'il est de ces souvenirs qui ne peuvent se partager, ni être profanés par quiconque. La seule personne avec qui je pourrais les partager me hait. Et je refuse le droit à Corleone d'aller pleurer notre fils sur sa sépulture.
De nouveau, ces jours-ci je ressens plus cruellement encore le manque et le vide. Pour un esprit observateur, il serait aisé de constater que, à plusieurs reprises dans une même journée, dextre s'en vient se poser furtivement sur mon ventre vide et desséché, et s'en arracher tout aussi vite, comme si elle venait de s'y brûler.
La vue d'une femme enceinte, d'un ventre rond, m'insupporte, tout autant que celles des nourrissons et des petits garçons.
Les larmes sèchent, mais les blessures restent. Je n'oublies pas, je fais seulement semblant la plupart du temps. Je compose ma vie avec ces morceaux d'Eux qui survivent, dans ma caboche.

Mais il est des moments, où, en une fraction de seconde, tout peut basculer. Surtout quand les vieux démons se mettent à secouer violemment les chaines pourtant soigneusement cadenassées..


Ni Dieu, ni maître,
Ni saint, ni traître,
Qui les attend et qui les arrête ?


*paroles légèrement modifiées à ma sauce.

_________________
Claquesous
    Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille
    Applaudit à grands cris.
    Son doux regard qui brille
    Fait briller tous les yeux,
    Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
    Se dérident soudain à voir l'enfant paraître,
    Innocent et joyeux.
    Lorsque l'enfant parait
    Tombera le couperet
    Joli printemps, je reviendrai



Le printemps avait pointé son nez et avec lui, le masqué et sa promesse.
Non, le minot n'avait point oublié.D'ailleurs les raisons de sa vengeance tournaient en boucle dans sa tête lorsque la nuit surgissait, l'empêchant de dormir, lui rappelant combien les mal-nés comme lui ou Enguerrand étaient peu de choses dans ce bas monde.
La souffrance fraternelle, ses gémissements et l'image de l'aîné torturé par les Corleone le hantait.

Lutécien était donc revenu à Limoges, se cachant, discret, fantôme parmi les ombres, il avait rapidement repérer la belle Fanette, constaté que son petit habitant avait bel et bien quitté ses entrailles, et l'avait suivie, épié des jours durant.
Il avait observé le train train quotidien de la jeune femme, avait poussé l'audace jusqu à l'effleurer au marché au milieu de la foule. Mais lui arracher le nourrisson et s'enfuir en courant était la meilleure façon d'être pincé et pendu.
Alors, le Blanc rongeait son frein et continuait son observation, patiemment, il attendait le moment propice ou sa proie serait sans surveillance.

Les appartements du couple se situaient au rez de chaussée de l'auberge, séparés de la salle commune par une pièce servant de cuisine et d'office. La chambre conjugale comportait une alcolve dans lequel est placé le berceau et Fanette avait pour habitude de trimballer son rejeton dans un couffin, dans tous les recoins de l'auberge.

Il avait vu le retour du Corleone. Ses poings s'étaient serrés et l'envie de planter sa dague pour achever l'homme qui semblait déjà mal en point le démangeait...Mais si vengeance il devait y avoir, elle devait être bien calculée et devait faire souffrir. Et quoi de plus atroce que la perte d'un enfant ? L'angoisse des non-réponses, savoir s'il était encore en vie, ou, avec qui et pourquoi ?

Il assistait, le nez collé aux fenêtres à la vie familiale qu'il n'avait jamais connu. Il avait souri lorsque cette mère berçait son bébé, claqué sa langue lorsque les lèvres du petit glouton s'étaient refermées sur le sein gorgé de lait, se réjouissant avec lui de cet instant de tendresse.

Sa patience fut récompensée après quelques jours lorsqu'enfin l'homme s'absenta. Le moment d’inattention maternel surgit lorsque le jeune voyou libéra la jument de Fanette, une aiguille planté dans la croupe pour bien la faire ruer et hennir.
Fanette était sortie en catastrophe, laissant la fenêtre entrouverte, les rayons du soleil pénétrant et égayant la pièce ou dormait l'enfant sans se douter qu'au dehors, Lutécien était prêt à bondir.
Mais cette erreur, ce léger manque de vigileance allait lui être fatal et surtout, sa course effrénée pour récupérer une monture hors d'elle, laissait à Claquesous tout le loisir d’œuvrer.

Il devait néanmoins être rapide et enjamba le rebord, le cœur battant la chamade.
Il s'approcha du bébé et très délicatement vint déposer quelques gouttes d'un breuvage qu'il avait sucré afin de ne point contrarier le petit être avec un goût amer. Il s'amusa du spectacle de la petite langue passant sur la pulpe et ce bec s'ouvrant, réclamant encore le liquide qui allait le faire dormir plusieurs heures durant.
Il souleva le bébé enveloppé dans ses couvertures, le pressa contre lui en le berçant puis sans s'éterniser, reprit le chemin inverse, rabattant sa cape, cachant le petit enlevé aux yeux d'un éventuel badaud, bien que la ruelle fut déserte, les habitués très certainement occupés à calmer une bête affolée et aider Fanette a la récupérer.

C'est ainsi que quelques minutes plus tard, un jeune masqué en selle sur un splendide étalon, franchit les portes de la ville sans que personne ne se doute qu'il avait caché contre son torse le fruit de sa vengeance.

Au retour de Fanette, ils seraient déjà loin...très loin.
Roman.
À quelques rues de là, dans le cabinet médical que son père lui confiait en son absence, le père de l'enfant s'astreignait à nettoyer les blessures qu'il avait récoltées quelques jours plus tôt, au cours de sa dernière mission. Rien de grave, ni de bien sérieux, mais Roman tenait à s'assurer d'une guérison prompte et entière. Il devait se tenir prêt, toujours. Prêt à partir et à quitter sa femme et son fils pour s'en aller tuer. Heureusement, grâce à l'intercession de son père dans les affaires Medici, il avait pu bénéficier d'un peu de répit après la naissance du garçon, mais il avait bien fallu reprendre le travail.

Amalio avait été un père absent, imaginé et fantasmé par Roman comme la terreur des nobliaux florentins, et l'homme qu'il avait finalement appris à connaître, une fois adulte, n'était pas tout à fait le même que celui de ses songes. Pourtant, il l'admirait, et apprenait de lui. Son expérience, son savoir... tout cela était bon à être transmis. Mais s'il y avait bien une chose que le vieux Corleone, père de douze enfants, n'avait jamais su évoquer, c'était l'attachement paternel. Il n'en parlait pas, esquivait le sujet, bien que Roman eût appris par sa mère qu'Amalio aurait retourné ciel et terre pour se porter au secours de l'un de ses rejetons. Il l'avait déjà fait, d'ailleurs...

Mais exprimer son amour, son affection... non. Ca, le vieil Amalio ne savait pas faire. Il savait éduquer à la dure, donner des baffes, traduire le grec, concocter des potions, mais pas franchement faire montre de tendresse.

C'était cela que Roman avait découvert, seul, dans le secret de son âme, à la naissance de Milo. Cet amour inconditionnel envers le petit être qui tenait fermement son index entre ses doigts repliés.

Et chaque fois que l'Italien se penchait sur le berceau de son fils, chaque fois que Milo tournait vers lui un regard ou remuait sa bouche pour émettre un son à son intention, chaque fois, il pensait aux enfants qu'ils n'avait jamais connus. Ces jumeaux qui avaient commencé à grandir dans le ventre d'Alaynna. Son fils aîné, sa première fille. Ces enfants qui n'avaient pas vécu.

Et toujours, il haïssait leur mère de les avoir tués. Il était inconcevable pour lui de changer d'opinion à cet égard. Il la tenait pour responsable de leur mort.

La naissance de Milo, ainsi, était teintée d'une once d'amertume, de regret et d'amour non assouvi... Mais s'il venait à disparaître, cette fois, il n'y aurait plus aucune résilience possible. L'anéantissement de son âme était programmé.

_________________
Lison_bruyere
Les vêpres sonnaient au clocher, mais le hennissement plaintif et épouvanté de Sienna couvrit sans mal l'écho des airains qui emplissaient l'azur. Fanette quitta d'un bond le fauteuil installé dans l’alcôve, à côté du berceau de son fils, et se précipita vers la croisée entrouverte, juste à temps pour voir disparaître la baie dans un galop effréné. Ce que l'affolement soudain lui avait fait occulter, c'était la silhouette qui, après avoir libéré l'animal, s'était tapie dans l'ombre du mur, à moins de trois coudées d'elle. Elle coula un regard anxieux vers Milo, mais l'enfançon, repu de lait, avait à peine esquissé un mouvement, perdu aux limbes d'un sommeil bienheureux. Elle traversa à la hâte l'office et la salle commune pour se ruer dehors. Le chien, intrigué par le remue-ménage, s'était jeté lui aussi dans la ruelle, échine hérissée et nez au vent. Fanette n'eut pas le temps de contourner la bâtisse pour rejoindre la pâture, que la jument déboulait dans la rue, manquant de peu de la percuter. La bête, l’œil hagard, l'allure bien trop vive, glissait sur les pavés, dans le vacarme assourdissant du claquement des fers qui l'affolait plus encore. Et Huan, répondant à un atavisme séculaire, se jetait à la poursuite de la pourtant docile Siena qu'il saluait chaque matin.

Déjà les cris de frayeur et les invectives jalonnaient la course folle de l'animal terrifié. La jeune femme, dans un espoir presque vain courait derrière ses animaux, alarmée à l'idée que la jument piétine quelqu'un. La baie remontait le quartier de l'Abbessaille vers la grand-place de la cathédrale, mais l'extrémité nord de la ruelle était obstruée par deux ânes, croulant sous une cargaison de draps qu'un tisserand menait dans l'une des teinturerie établie sous les arcades, en face de l'auberge. Quand l'homme vit la diablesse lui foncer dessus, il agita son bâton à grands renforts de cris, pour lui barrer la route. La bête pila net, se râpant les jarrets aux irrégularités du sol de pierre. Heureusement, avant d'avoir pu opérer un demi-tour, une main vive s'était saisie de son licol et tentait à présent de l'apaiser de la caresse et de la voix. Fanette, tremblante encore de panique, les joues cramoisies par l'effort ne tarda pas à les rejoindre. Elle glissa à son tour sa main sur le licol, remerciant l'homme pour sa réactivité, et reprit le chemin de l'auberge, s'efforçant d'ignorer les menaces et les injures des camelots mécontents, ramassant au sol les marchandises que les deux animaux y avaient précipité. Elle prit soin d'attacher sa jument dans la grange, et d'y enfermer le chien. La pénombre fraîche et tranquille finirait par apaiser l'excitation qui les avait gagnés l'un et l'autre, puis elle poussa la porte de l'auberge.

Par chance, la salle commune était encore vide, mais les premiers clients ne tarderaient sans doute pas, au sortir de la messe ou pour le souper du soir. Fanette essuya ses mains dans un torchon et se dépêcha vers ses appartements, espérant y retrouver son fils, comme elle l'avait laissé, ses paupières sereinement refermée sur son regard d'ardoise, abandonné à quelque rêve.

Le souffle lui manqua quand elle découvrit le berceau vide, dépouillé des couvertures tout autant que de l'enfant, et la croisée à l'autre bout de la chambre donnant grande ouverte sur le pâturage. Le regard hébété glissa de l'un à l'autre rapidement, avant qu'elle ne comprenne ce qui s'était joué en son absence. Elle s'effondra sur le berceau vide, laissant échapper son désarroi dans un hurlement qu'elle ne parvint pas à contrôler, puisant sa douleur dans ses tripes, son cœur, sa gorge. Puis, la vue brouillée par les larmes, elle se précipita de nouveau au-dehors, contournant cette fois la bâtisse pour se trouver derrière, sous les fenêtres de la chambre conjugale. Elle longea le mur, sans rien remarquer qui ne la renseigne sur l'identité de celui qui s'était introduit chez elle, et avait emporté son enfant, ni même dans quelle direction il avait pu s'enfuir.

Elle revint vers la ruelle, bouleversée, pantelante, le visage ravagé de larmes, le souffle irrégulier, arrêtant les passants, dans une urgence fébrile, mais aucun d'eux n'avait vu quoi que ce soit. Le soleil s'abîmait sur l'horizon quand elle revint démunie et impuissante à l'auberge. Elle ignorait en quel endroit de la cité se trouvait son époux, alors, elle avait envoyé un gamin le quérir au hasard, chez ses parents, ou à l'auberge de son frère. Elle ferma les yeux sur un sanglot, cherchant toujours le souffle qui lui manquait. Jamais elle ne s'était éloignée de son fils. Quand elle avait à faire à l'auberge, elle l'installait dans un couffin, pour le garder à vue en toute occasion, mais là, un instant avait suffi. Elle l'avait abandonné et on le lui avait enlevé. La cruauté de ce constat fit redoubler les pleurs qui rongeaient ses joues de sel. Elle souhaitait ardemment le retour de Roman, espérant qu'il sache que faire, où même qu'il tienne l'enfançon dans ses bras. Et jamais pourtant elle n'avait autant craint de le revoir. Saurait-il jamais lui pardonner cette faute ? Pourrait-elle jamais se la pardonner elle-même ?

Elle attendit, perdue, désespérée, effrayée, souffrant mille tourments de ne savoir où était son petit à cet instant, qui le tenait contre lui, ou l'avait abandonné à une mort certaine.
_________________
Lison_bruyere
Monluçon, le 22 juin 1466

La fontaine-grotte était toujours adossée au côté nord de l'église. Fanette s'y était rafraîchi le visage avant de suivre le dédale de ruelles jusqu'à la porte Bretonnie. Elle leva un regard dilué de chagrin sur les hourds de bois qui la protégeaient. A quoi bon ériger des murailles et des portes, des échauguettes et des herses, des douves, des hourds, s'il était si simple d'entrer et de sortir d'une ville sans que personne ne vous demande rien ? L'Amaron baignait encore les courtines après qu'un seigneur du passé, inquiet, en ait détourné le lit pour protéger sa place-forte, avant de le laisser rejoindre le Cher. Elle s'engagea le long du ruisseau, en remonta le cours qui serpentait entre vignobles et champs de blés. Huan, le chien de Yohanna, semblait accorder son humeur à la sienne. Depuis le drame survenu au samedi précédent, il glissait sa haute carcasse grise dans les pas de la jeune femme, cadençant sa foulée à la sienne.
Au loin, les neuf coups de none emplissaient l'azur écrasé de soleil. Elle se laissa choir sur un talus herbeux qui surplombait les eaux tranquilles. Le dogue, nonchalamment, s'installa à ses côtés, et cherchant la caresse, posa sa lourde tête sur la cuisse féminine.
Dans un soupir, la main fine vint flatter lentement le poil ras sur lequel la lumière glissait la nacre de ses reflets. Fanette ne les remarquait pas, pas plus qu'elle ne s'émerveillait du vol rapide des libellules aux ailes métalliques, de la brise légère qui balançait doucement le feuillage argenté des grands peupliers qui bordaient le cours d'eau. Elle qui, tant de fois, s'était efforcée d'habiller de petits bonheurs les chagrins de ses amis, ne trouvait plus aucune saveur pour adoucir ses journées.

"Dis-moi que pour toi tout va bien, amène du bonheur à mon bonheur." Etait-ce ce lieu de leur rencontre qui avait soudain ramené Svan à ses souvenirs ? Un sourire triste étira fugacement ses lippes quand lui revenaient les derniers mots que lui avait écrits la brune. Seize mois à présent qu'elle l'avait rencontré, ici-même, aux berges de l'Amaron. Seize mois, pour faire d'une étrangère une sœur, pour s'éprendre d'un danseur Italien, pour lui donner un fils, pour se le faire reprendre.

Fanette ne rêvait plus, ne riait plus, ses pensées entièrement tournées vers Milo, inquiètes, coupables, désespérées. Elle n'avait rien dit à la Danoise, elle n'avait pas osé. Le chagrin de l'Angevine était le pendant parfait du bonheur de sa presque sœur, et elle n'avait pas eu le cœur de le brouiller de son malheur. Elle n'avait pas menti pour autant, tournant sa lettre sans jamais livrer ses propres sentiments, mais simplement l'unique raison qu'il lui restât de se réjouir pour elle.

Elle chassa Svan de ses pensées, pour les reporter sur le nourrisson dont elle était privée. Jusqu'ici, leurs recherches n'avaient strictement rien donné. Le royaume était si vaste, et à défaut de piste, ils s'en étaient remis au hasard pour choisir leur chemin. Ils s'étaient arrêtés dans chaque hameau, à chaque ferme, cherchant en vain à savoir si quelqu'un était venu se procurer un peu de lait de chèvre ou de brebis. Ils avaient interrogé les gardes et les habitants de chaque ville, chaque village, pour obtenir inexorablement la même réponse. Personne n'avait vu ou remarquer un enfançon voyageant avec une ou plusieurs personnes.

La jeune mère porta sa main à sa poitrine, trop ferme, et trop chaude. Elle s'efforçait de suivre le conseil que lui avait donné Nikkita à Limoges. Ne pas rompre le cycle, se libérer elle-même du lait qu'elle ne pouvait plus offrir à Milo, mais quelle cruauté que de ne savoir qui nourrissait son fils, quand le liquide nourricier se perdait dans les larmes et la douleur.

Elle enroula ses bras autour de ses genoux et y enfouit sa tête. Les oiseaux, indifférents à son chagrin, se livraient à de mélodieuses joutes, mais au-dessous, dans l'ombre dansante des feuillages, Fanette attendait son époux, et elle pleurait encore.
_________________
Lison_bruyere
Limoges, le 1 juillet 1466

Limoges accueillait à nouveau le couple, après un périple infructueux dans les hameaux, villages et cités alentour. Fanette s'était interdit de perdre espoir. Roman n'abandonnait pas non plus, chevauchant tant que le soleil éclairait les cieux, et lui confiant soir après soir l'échec de ses recherches. Et puis, ce jourd'hui, il avait laissé à son épouse le bref signé du sire d'Alzo.




A vous, Signore Roman di Medici Corleone,
De Danyhel Alzo.

Buongiorno.

Permettez-moi de vous souvenir, nous nous sommes entrevue la veille. Rencontre brève, je l'accorde.
Ne tournons pas autour du sujet. J'aimerais en venir au sujet délicat. Votre fils. Mon aide, vous est offerte, plus que necessaire en cette affaire car. Malgré moi, durant une absence mortelle à Vérone, mon cher et simple d'esprit Archibalde, n'aura rien trouvé de mieux, afin de contre-dire mon autorité, d'adopter deux raclures. Nommons, Claquesous & Montparnasse. Ainsi, comme il a pu me revenir, ces deux imbéciles y seraient pour beaucoup dans l’enlèvement de votre fils.

L'un aurait violé une fillette de votre clan. Quant à l'autre, par vengeance, aurait prit votre fils. Il n'en sera pas ainsi éternellement. S'il faut couper les couilles de ces enfants du Malin, je le ferais. Alzo à toujours été respectable, et jamais, Ô grand jamais, n'a été une famille aussi perfide et sans valeurs.

Étant Chambellan du Comté, je vous fais le serment, de demander à chaque homologue de province de me tenir informer dans les plus bref délais de l'apparition d'un de ses deux monstres en leur terre.

Cela ne restera pas impuni.

Que le Très-Haut vous veille, et veille à votre fils.
Alzo.


Les sourcils froncés, la jeune mère l'avait lu, relevant vers son Italien un regard interrogateur. La tentation était grande de se raccrocher à cette idée, de se convaincre de la culpabilité des deux hommes pour se focaliser sur leur traque. Sans écarter cette idée, ne risquaient-ils pas de passer à côté de leur fils ? Après tout, ils n'avaient trouvé aucun témoin direct de l'enlèvement. Tout comme elle avait accusé Zilofus, ces soupçons n'étaient fondés que sur un désir de vengeance avoué de vive voix quelques mois plus tôt.

Tout le jour durant, la fauvette avait tourné et retourné dans son esprit cette éventualité. Au soir venu, elle y songeait encore. Ça n'avait aucun sens. Pourquoi les deux frères ne s'étaient pas vengés quand l'occasion leur avait été offerte. Machinalement, elle porta la main à son flanc gauche. Sous l'étoffe de son vêtement courait la marque d'une entaille laissée par Zilofus quand en janvier, il l'avait enlevée, et glissait à son oreille des mots qui l'avaient glacée de terreur. Elle ferma les yeux un instant, ressassant ses souvenirs.

- Ne songez pas à vous tirer, ni à prévenir quelqu'un ou je m'occuperai d'extraire moi-même le p'tit Corleone de votre panse.

Alors Fanette, résignée et épuisée avait docilement attendu le Normand, dans la salle commune d'une auberge d'Angoulême où il l'avait laissé le temps de réparer l'essieu de la charrette. C'est là que la famille improbable s'était pointée. Le père adoptif d'abord. Il avait soufflé son haleine au visage de la jeune femme en glissant ses doigts dans ses boucles, se jouant de sa frayeur immobile. Quand il avait cédé la place au plus jeune de ses deux fils adoptifs, et bien qu'elle refuse de confier quoi que ce soit sur sa situation, Claque avait rapidement senti que quelque chose ne tournait pas rond, et loin de lui vouloir du mal, il lui avait offert un couteau en la quittant.
Couteau que son aîné n'avait pas manqué de récupérer quand, à ton tour, il était venu la trouver. S'il l'avait un peu brutalisée, malgré tout, il n'avait fait montre d'aucune violence visant à l'abîmer plus qu'elle ne l'était déjà. Et pourtant, elle n'ignorait pas le manque d'humanité dont il pouvait faire preuve. Il le lui avait lui-même confié, et si ce n'était pas suffisant, une femme lui avait rapporté un jour qu'il avait tranché le ventre d'une femme grosse, emportant deux vies d'un seul coup de lame.
Alors, comment croire que les deux frères n'auraient pas su profiter de cette rencontre fortuite, s'ils voulaient se venger de la punition infligée par Roman, pour ôter d'un seul coup la vie de son épouse et de l'enfant en devenir ?

Fanette secoua imperceptiblement la tête, chassant ses souvenirs douloureux. Elle refusait de croire Milo aux mains de Claquesous et Montparnasse. La simple idée d'imaginer son fils avec deux êtres pervers, dénués de conscience était insupportable et Roman ne manquait pas d'ennemi, à commencer par le clan ibérique qu'il décimait régulièrement depuis presque une année, peut-être même plus, qu'en savait-elle ? Elle se souvenait avec douleur avoir surpris son diable égorgeant un diplomate espagnol à Vendôme. Ses départs s'étaient multipliés depuis, et même s'il lui taisait les détails de ses voyages, elle n'en ignorait pas les raisons. Puis, en novembre, Roman avait manqué de succomber sous les coups d'un groupe d'Espagnols, venus le cueillir sous les remparts de Limoges. Il n'avait dû son salut qu'à une poignée de gardes qui l'avaient reconnu comme étant un familier de la princesse de Malemort. Mais les coups du Corleone chez les Ibériques avaient dû être nombreux pour qu'ils s'aventurent à le chercher jusqu'en son fief, peut-être avaient-ils trouvé moyen de se venger ?

Fanette ne savait plus que penser, alors, elle se raccrochait à un espoir, venu du Béarn, où quelqu'un semblait en savoir plus que ce qu'il ne voulait dire. Un homme était parti discrètement mener l'enquête là-bas, lui épargnant pour le moment un voyage trop éprouvant.
_________________
Alaynna
[Les petits pieds...d'Andrea*] -Celine Dion -


Je ne te connaissais pas, mais tu me faisais rire aux éclats.
Avec les petits coups de souris, que tu donnais derrière mon nombril.
Même sans te connaitre, je t'aimais si fort déjà, quand j'ai compris que tu étais là...
Pourquoi les petits pieds d'Andrea, ne feront jamais leurs touts premiers pas.
Pourquoi ses petits pieds ne grandiront pas...



Jour après jour, nuits après nuits, je restais dans le sillage de Niallan. Je le surveillais, je veillais sur lui, j'encaissais ses humeurs sans broncher, même quand dans les pires moments il était odieux.
Je n'en disais pas un mot à quiconque, mais dans mon esprit tordu, ces moments là faisaient partie de cette "punition" que je m'infligeais à moi-même depuis maintenant un peu plus de deux ans.
Bien sûr que je ne m'étais toujours pas pardonné cette putain de fuite. Evidemment que si je pouvais revenir en arrière, je le ferai afin de combler ces trois foutus mois durant lesquels j'ai privé un père de sa fille et vice-versa.
Alors quand à l'Hôtel Dieu, il me fut annoncé que je pouvais toujours porter la vie, alors que je n'y croyais plus, j'ai vu cela comme un miracle. Mais en fait, no. Le vrai miracle, serait d'offrir à Anna ce petit frère, celui de mes rêves, celui auquel je croyais dur comme fer quand j'étais enceinte d'elle et que j'avais raconté mon rêve à Niallan, persuadée que j'étais d'attendre des jumeaux. Ce petit frère issu du même sang qu'elle. Ce petit frère que seul son père et moi pourrions lui offrir, parce que je me refuse à porter l'enfant d'un autre que lui dans mon cocon maternel.
Il n'y aura pas de miracle. Je l'ai compris l'autre soir, quand, dans son ivresse, il m'a jeté ce regard noir en apprenant que mon ventre n'était pas mort. Je l'ai compris quand il m'a dit qu'il allait louer un utérus pour avoir son enfant rien qu'à lui. Et je l'ai compris quand Diego m'a parlé de son plan B. J'ai senti une sourde douleur monter dans tout mon être. Au final, sans nous l'avouer, Niallan et moi partageons le même rêve.
Je donnerai tout, pour l'Enfant du Pardon. L'Enfant du Bonheur. Celui qui effacerait toutes les douleurs d'avant. Adoucir les pertes de Niallan. Adoucir les pertes de Raffaelle et d'Andrea. Parce qu'Anna a beau être là et la plus adorable des petites filles qui soit, elle n'est pas un petit gars. Et la douleur est toujours là, tapie au fond de moi, et ressurgit toujours, que je le veuille ou non.

N'empêche qu'au fond de moi, je veux toujours y croire à mon miracle. A notre miracle avec Niallan. Mais j'ai moi aussi prévu un plan B. Parce que Niallan nous a déjà abandonné une fois Anna et moi, et qu'absolument rien ne me garantit qu'il ne le refera pas une nouvelle fois. Et j'en ai parlé avec Anna, elle est d'accord pour avoir un petit frère qu'elle pourra protéger, et avec qui elle pourra jouer.

Alors à force de traîner dans les tavernes minables dans lesquelles je garde un oeil sur le père de ma fille, quand je ne le ramène pas moi-même entre les draps, j'ai fini par entendre un nom. Celui d'un type qui selon certaines sources, pourrait bien m'aider à obtenir ce que je veux. Plusieurs fois, j'ai entendu causer de lui. Et alors que l'on vient de débouler à l'endroit même, où, très certainement, Anna fut conçue, ça secoue salement dans mon moi intérieur.
Je ne sais pas de quoi demain sera fait avec Niallan. Mais ce que je sais, c'est que si mon ventre doit servir d'écrin maternel, nul autre que le Salaud de ma vie ne pourrait y déposer ses fruits.
Mais je vais faire les choses à ma manière et m'assurer que quoi qu'il arrive, Anna aura un petit frère. S'il n'est pas de sang, alors il sera de coeur.

J'ai tracé quelques lignes sur un vélin, que j'ai soigneusement scellé, avant de le glisser au type qui m'a causé de cet homme, capable de m'aider.


" - Trouvez le, et faites lui parvenir ce pli. Presto ! Parce que je n'ai pas que ça à faire et que la patience n'est pas mon fort."

En fait la seule personne hormis Anna, envers qui je fasse preuve d'une patience et d'un amour sans faille, c'est Niallan. Mais ça. Je me refuse toujours de l'admettre, tout comme le reste, même si Maryha me tanne régulièrement sur le sujet, et que, pour lui faire plaisir, mais surtout, pour avoir la paix, j'ai fini par admettre devant elle ce qu'il en est vraiment.

Citation:
La Claque,

Parait-il, selon certaines sources, que vous pourriez m'aider à obtenir ce que je veux. Alors je m'adresse à vous. Votre prix et votre lieu seront les miens. Un bébé. Mâle. Rien de plus, rien de moins.

Et ne vous avisez pas de me la faire à l'envers.

Je me suis laissé dire que vous auriez une gueule d'ange. J'ai connu un type de votre acabit, et autant vous dire qu'à mes yeux, les gueules d'ange sont le diable incarné. Le messager que je vous envoies saura me faire parvenir votre réponse.

A.


En un coup de vent, de poussière, le bonheur s'en est envolé.
J'aurai tout donné, pour que tu grandisses dans mes bras.
Le mauvais sort avait pointé, le malheur c'était donc ça.
Couché au creux de mes mains, un petit être si léger.
Mais tellement, tellement pesant, dans mon coeur de maman.
Et je ne lui aurai chanté qu'une seule fois..
Buona notte caro tesoro, fattoria i tuoi occhi e dormi**




* Titres et paroles légèrement modifiées à la sauce de la JD.
**Bonne nuit cher trésor, ferme tes yeux et dors
.

_________________
Alaynna
Aucune réponse ne m'était parvenue et pourtant, ce jour-ci serait à marquer d'une pierre blanche. A mes yeux, il s'agissait de l'un des plus beaux jours de ma vie, et j'étais loin de m'imaginer dans quel enfer, je venais de me fourrer.

Mais pour en revenir au tout début de l'histoire, ce jour-ci, comme souvent ces derniers temps, - depuis le fiasco parisien entre Raphael et Venus ; dixit Niallan et Alaynna -, je trainais sans beaucoup d'entrain dans les bouges du coin, continuant de veiller sans relâche sur le blond, même si je faisais en sorte de me faire aussi discrète que possible afin que Niallan ne remarque rien.
Pour bien des raisons, je me faisais du souçi à son sujet, mais je n'en pipais mot à personne et je le tenais à l'oeil.

Mais aujourd'hui, j'étais seule dans le bouge infect que je m'étais trouvé et nonchalamment appuyée contre le comptoir, je ne pouvais alors pas manquer cet homme qui venait de passer la porte avec un large panier en main. Mon attention avait tout de suite été focalisée sur cet homme. Bien qu'une partie de son visage était dissimulé par un masque, il avait l'air jeune, mais surtout, ce qui m'avait frappé, c'est que mes sens s'étaient mis en alerte alors même qu'il passait la porte. La vision angélique de Gabriel m'avait alors traversé l'esprit, figeant mes bleus sur la silhouette masculine qui venait d'entrer.
Je le vis se diriger dans ma direction, et poser son panier sur le tabouret, près de moi, alors qu'il se penchait vers le tavernier afin de s'adresser à lui.

En temps normal, je n'aurai sûrement prêté aucune attention au panier si je n'avais vu un minuscule pied battre l'air, et le panier gigoter.
Me tournant légèrement sur le côté, je penchais la tête afin d'apercevoir l'intérieur du panier et mes bleus happèrent alors deux petites prunelles et j'eus alors l'impression que le temps se suspendait et que le souffle me manquait.
Le souvenir de ce regard ne m'avait jamais quitté depuis trois ans. A la seule différence que trois ans auparavant, les délicates prunelles étaient inertes et ma main avait clos définitivement les paupières sur ces yeux qui ne cessent de me hanter depuis.
Mais là, devant moi, les mêmes yeux, par un effet d'optique très certainement avaient croisé les miens, m'arrachant alors une plainte sourde incontrôlable, venue du plus profond de mon être.
Et sans plus réfléchir, je me penchais au-dessus du nourrisson, nouant mon index au sien et lui soufflait quelques mots d'une voix rauque dans un italien, qui sembla alors étonnamment apaiser le bébé.


" - Andrea, il cielo avrebbe deciso di rinviarti tra i viventi e vicino a me? "*

Je me trouvais en état de choc, j'avais totalement oublié le monde qui m'entourait, jusqu'au lieu dans lequel je me trouvais. Tout ce que je voyais, là, sous mes yeux, c'est cette peau qui effleure la mienne. C'est ce regard qui me hante depuis trois années. C'est mon fils qui se trouvait là, devant moi, et qui semblait s'agiter de moins en moins alors que je lui parlais, comme s'il avait reconnu ma voix, comme s'il connaissait par coeur les intonations maternelles qui sortaient de ma gorge.

" - Non è possibile, non sei tu! Perché ti avrei tu si rinviato vicino a me? Non puoi essere vivente, sei morto, ti ho tenuto nelle mie braccia, ti ho bruciato, ho seppellito le tue ceneri in un luogo che solo tu ed io conosci. No, sei un miraggio."**

Un instant, je détournais mon visage ravagé par la vive souffrance que faisait remonter en moi la vision du nourrisson afin de me tourner vers l'homme qui avait déposé le panier. Celui-ci me tournait le dos, et semblait parti dans une discussion animée avec le tavernier. Aucuns des deux ne prêtaient attention à moi, ni même à l'enfant.

Mon sang ne fit alors qu'un tour et instinctivement, je soulevais le nourrisson de son panier de fortune pour le glisser tout contre moi, nichant son petit crâne tout contre ma poitrine, le rassurant tout en continuant à lui susurrer des paroles tendres en italien. Et d'une main, je dénouais le foulard de soie qui pendait à ma ceinture afin d'en recouvrir le bébé, et je me dirigeais vers la sortie du bouge, d'un pas calme, afin de n'éveiller l'attention de personne.

J'étais dans un tel état, que sur le moment, je ne réfléchissais à rien. Ni à la portée de mon geste, ni aux conséquences, et encore moins au merdier dans lequel j'étais en train de me fourrer.
Tout ce qui comptait dans l'instant présent, c'est que je venais de retrouver Andrea. Mon fils était revenu d'entre les morts.
Mon esprit tordu et torturé par la souffrance qui venait de me remonter à la gueule d'un jet, avaient pris le dessus sur tout le reste, et tout semblant de raison m'avait quitté.

J'étais persuadée, dans l'instant présent, que je tenais mon fils entre mes bras, et tout mon être était ancré sur le fait que je devais mettre mon petit bout de chou à l'abri auprès d'Anna et moi.
J'étais incapable de penser clairement, et j'étais encore bien plus loin de m'imaginer que je venais d'enlever un bébé qui n'était pas Andrea, aux propres mains de son ravisseur. Sans le savoir, je venais de me fourrer dans un sacré merdier. Et j'ignorai encore toute l'étendue du désastre.

J'étais en train de vivre ce que je pensais être l'un des plus beaux jours de ma vie avec le retour de mon fils adoré au bercail et je filais droit en direction du chalet maternel, rejoindre Anna, évitant soigneusement le campement du groupe afin de n'éveiller l'attention de quiconque.




* Andrea, ce n'est pas possible, le ciel aurait-il décidé de te renvoyer parmi les vivants et auprès de moi ?
** Ce n'est pas toi ! Pourquoi t'aurais t'on renvoyé auprès de moi ? Tu ne peux pas être vivant, tu es mort, je t'ai tenu dans mes bras, je t'ai brûlé, j'ai enterré tes cendres dans un lieu que seul toi et moi connaissons. Non, tu es un mirage.

_________________
Lison_bruyere
Pendant ce temps, à Limoges...


- Je veux venir, c'est mon fils aussi ! Je peux être utile.
- Tu ne le seras pas, et je ne pourrais pas m'occuper de toi.
- Je peux très bien m'occuper de moi toute seule.
- Je veux que tu restes ici, tu y seras plus en sécurité.
- Si je suis avec toi, je serai en sécurité.
- Non ! Et je t'interdis de me suivre. Si tu me suis, je ferai demi-tour pour te ramener, ou je t'attacherai à un arbre et je t'y laisserai.


Le ton ne souffrait plus aucune contestation possible, et Fanette s'était enfuie, refusant que son époux soit témoin des larmes qu'une fois encore, elle ne parvenait à retenir. Chaque jour distillait un peu plus son poison dans le cœur de cette mère privée de son fils. La culpabilité, l'impuissance, la peur, la colère, la vengeance, tout avait fini par se mélanger, si bien qu'elle se surprenait elle-même à se conduire de la manière la plus incohérente qui soit. Et dans un inexorable désespoir, dissimulé sous le masque d'un quotidien servile, sous des sourires de convenance, de l'ivresse et des rires, elle avait offert ses lèvres à un autre tout aussi perdu qu'elle, juste parce qu'en ces futiles instants, il ne l'avait traité ni comme une mère, ni comme une épouse.
Alors, elle subissait à juste titre le courroux de son Italien. Il lui refusait le droit de l'accompagner, quand jamais ils n'avaient été aussi près de ce fils qu'on leur avait arraché un samedi de juin.

Cinquante-quatre jours passés à se demander si elle le reverrait, et les événements s'étaient précipités depuis peu. D'abord, il y avait eu quelques échanges épistolaires avec Kaghan, qui avait laissé à la fauvette l'impression qu'il en savait plus que ce qu'il voulait dire. Ensuite, Browden, l'homme de main du Sire Becket, parti enquêter sur cette piste, avait fait un retour des plus intéressants. Le blond Béarnais lui avait parlé des événements de novembre, et du fait qu'il ne faille pas s'étonner quand on envoyait des innocents se faire battre ou torturer.
Un nom était alors immédiatement venu aux lèvres de Fanette : Montparnasse.
Pourquoi Kaghan, qui en savait plus que ce qu'il voulait dire, aurait évoqué cette histoire, si l’enlèvement n'était pas l’œuvre de Montparnasse ?
Tout cela collait, et ce n'était pas la première fois que, parmi les nombreux ennemis des Corleone et des Medici réunis, ressortait ce nom. Les courriers s'étaient multipliés, dans chaque coin du Royaume pour tenter de localiser l'homme en question. Si Roman ignorait où le trouver, il savait en revanche, où il ne se trouvait pas. Il avait déjà écumé les miracles, Brissel et tous ces quartiers mal famés de Paris, localisant quelques-uns de ses ennemis, rapidement mis hors de cause. Mais ni celui-ci, ni même l'un de ses proches ne s'y trouvait.

Finalement, l'information vint du sire Becket, relayée par une autre source. Montparnasse avait été remarqué à Montpellier, puis Nîmes, Arles et il faisait de nouveau route vers le Languedoc.
Le voyage se préparait, dans l'urgence. Personne des témoins qui l'avait discrètement filé, n'avait vu d'enfançon. On l'avait juste aperçu, se faire tirer les cartes par une gitane, dans une auberge mal famée, ou acheter quelques vivres sur un marché.
Armes et poisons du Corleone étaient choisis avec soin, et précautionneusement rangées dans ses sacoches de selle. Nul, de lui ou de son épouse, ne doutait qu'il sache faire avouer à cette ordure ce qu'il avait fait de Milo. Mais pour l'heure, seul l'Italien partait, et il ne voulait pas d'elle.
_________________
Lison_bruyere
Limoges, le 11 août 1466

Fanette n'avait pas le droit de courir au-devant de son fils non, c'était au-delà de ça, ainsi qu'elle l'avait expliqué à Seayrath. Elle en avait le devoir. Elle avait partagé tant d'épreuves avec lui, avant même qu'il ne vienne au monde, puis, elle lui avait donné la vie, en manquant d'y perdre la sienne. Et sept semaines durant, il avait fait d'elle une mère comblée, tendre, aimante. Elle avait goûté à ce bonheur de chérir un enfant, né de ses entrailles et de l'amour qu'elle portait au plus beau des diables de la Saint-Jean.

Roman lui avait interdit de la suivre, mais elle ne savait s'y résoudre. Peut-être le perdrait-elle, mais Milo, en l'instant lui semblait plus important que tout. Dans le sud, un homme ne se doutait sans doute pas combien la fauvette rêvait de le voir mourir. Elle voulait être là quand il révélerait ce qu'il avait fait de son fils. Elle voulait pour une fois, planter sans peur son regard dans le sien et ne plus le lâcher jusqu'à ce qu'il rendre son dernier souffle. Et si son époux l'épargnait, elle aurait sans doute suffisamment de colère pour le tuer elle-même.

Alors, elle avait accepté. Elle partirait d'ici quelques heures, avec l'homme le plus improbable qui soit. Celui qui avait marqué son flanc d'une trace indélébile, et qui, par sa faute, s'était fait trancher le lobe de l'oreille par le vieux Corleone. C'était sans doute une folie, mais d'autres se joindraient à leur voyage, alors, elle en avait moins peur. Et puis, elle n'avait guère le choix, les routes étaient plus sûres à six que seule et elle devait faire ce voyage.
Peu importe qu'elle ne soit pas rompue au maniement des armes, peu importe que le manque de sommeil et d'appétit l'ait rendu plus frêle encore. Et si la force et le courage n'avaient jamais été ses qualités premières, elle puiserait sa détermination dans l'espoir et la rancœur qui tiraillait son âme.

Milo saurait que sa mère n'était pas restée à Limoges à pleurer son inquiétude alors que c'est dans le sud que menait la meilleure piste qu'ils aient eue jusqu'à présent.

Montparnasse.
_________________
Lison_bruyere
Montpellier, le 18 août 1466

C'est une aube de sang qui se levait doucement sur l'horizon est. Quelques cirrus, ourlés d'or, voilait encore l'astre de feu. Fanette posa pensivement le regard sur ce tableau carmin et son cœur se serra à l'idée qu'il fut un mauvais présage. La silhouette de la cité se dressait au bout du chemin, avec, reliant deux des courtines, une massive tour carrée d'une quinzaine de toises, coiffée de deux pins, qui avait eu l'audace de prendre racine sur ce promontoire incongru.

Siena cheminait d'un pas tranquille, parfaitement indifférente à l'agitation qu'on devinait de l'autre côté des murailles. La jument savait qu'au terme des nuits de voyage, une ration de fourrage et de grain l'attendait. Ils dételèrent l'attelage dans le pré qui s'étendait devant la porte de la Blanquerie. Quelques camelots y avaient dressé leurs étals, se soustrayant ainsi à l'octroi dont ils auraient dû s'acquitter pour aller vendre leurs marchandises sous les halles du grand marché. La fauvette tira sur le licol, pour déloger le nez de la baie qui se ruait avec gourmandise sur quelques brins d'herbe. Zilofus devrait se trouver une autre bête pour atteler à sa charrette, puisque c'est ici que leurs routes se sépareraient. Ainsi que l'avait imaginé la jeune femme, il n'avait rien fait des menaces proférées la veille et l'avait menée à bon port sans chercher à lui nuire d'une quelconque façon.

Pour l'heure, elle salua ses compagnons de route d'un air préoccupé et entraîna la jument à sa suite, dans les ruelles de la cité. Dans l'escarcelle suspendue à sa ceinture roulait une poignée d'écus qu'elle remis bientôt à un garçon d'écurie pour prendre soin de l'animal. Délestée de sa bête, elle avait investi la chambre d'une auberge, déposant sur le lit son gros baluchon de toile. Elle en avait extirpé une tenue plus féminine, abandonnant sa vêture de voyage qui dévoilait bien trop ses formes à son goût. Puis, elle passa à son cou la bandoulière de la besace de cuir fauve qu'elle tenait de sa mère. Doucement, elle glissa les doigts sur les six lettres brodées d'un fil de lin. A l'intérieur, elle avait rangé un couteau dont la lame ne dépassait pas la longueur d'une paume, arme sans doute plus discrète que l'arbalète ou l'épée, que du reste, elle ne savait pas manier.

Quand tierce sonnait au clocher de Saint-Lazare, la fauvette arpentait de nouveau les ruelles encombrées, à la recherche de son diable et de Montparnasse. Si le grand air avait posé sur le minois taché de son quelque couleur, ses traits reflétaient l'inquiétude qui empoignait son cœur un peu plus à chaque pas. La ville puait. Les relents iodés du port, se mêlaient aux effluves corsés qui émanaient du quartier des tanneurs ou de celui des bouchers. Ses chausses claquaient dans la fange, grossie des détritus jetés par les croisées, souillant le bas de ses jupes. Les charrettes à bras, ramenant aux échoppes les cargaisons sorties du ventre des navires se faufilaient parmi la populace. Elle ramena sa besace devant elle, se rassurant de sa main posée dessus, et qui pourrait rapidement dégainer son arme s'il le fallait. La circulation était difficile tant le monde était dense à se croiser dans les rues. Elle ralentissait le pas devant chaque auberge, cherchant à deviner si, à travers les fenêtres ouvertes qui dégueulaient des odeurs d'alcool, de soupe et de sueur, elle n'apercevait pas la silhouette oblongue du courtisan des miracles.

Les sourcils s'étaient froncés imperceptiblement, et un éclat mêlé de peur et de hargne couvait dans son regard. Happée par la foule, elle avait l'impression d'être ballottée comme une feuille dans un torrent. Parfois, elle bousculait à ton tour, pour chercher à en remonter le cours, croyant apercevoir dans une chevelure au-devant les reflets châtains de son Italien, ou ayant reconnu dans une voix les notes chantantes de son accent, mais le plus souvent, elle suivait le flot, s'engouffrant parfois dans une venelle qui lui semblait à peine plus calme, ou plus propre. Et son cœur battait à tout rompre, d'impuissance, de colère et d'inquiétude, comme si l'agitation autour d'elle se distillait à ses veines. Elle resserra ses doigts fins sur la besace, jusqu'à sentir au-dessous la forme du couteau. Et tout le manque qu'elle avait de son fils noua subitement sa gorge, ourlant ses cils d'un sanglot qu'elle chercha à contenir. Le coin de lèvre blanchit sous les dents venues s'y accrocher. L'autre main chercha l'appui du mur, avant que ses jambes ne se dérobent. Devant elle, à quelques toises à peine, elle en était sûre, la silhouette de l'homme qui avait pris son enfant s'éloignait déjà. Avait-elle trop espérér le trouver ? N'était-ce pas son imagination qui lui jouait un tour, ou l'étourdissement qui laissait croire à son esprit tourmenté ce qu'elle avait besoin de voir ?
Le souffle court, les membres encore tremblants, elle se précipita de nouveau dans la foule, bousculant, houspillant, puisant dans sa détermination ce qui lui manquait de force, avec le devoir urgent de ne pas le perdre de vue. Si c'était bien celui-là, alors, dans l'inconscience de son chagrin elle en était certaine, elle saurait lui faire avouer ce qu'il avait fait de son enfant.
_________________
Lison_bruyere
Languedoc, le 21 août 1466

On s'engageait dans la combe de Barouquier, ultime effort pour les chevaux, avant de redescendre sur les berges sauvages du Gardon, qui offriraient une halte fraîche et ombragée, jusqu'à la fin d'après-midi, quand hommes et bêtes reposés, reprendraient le voyage.

Si Fanette était bien présente de corps, elle passait le plus clair de son temps recluse dans ses pensées, à ressasser le fil des derniers jours. Montpellier avait amené son lot de certitudes, et ce mot n'avait jamais autant rimé avec déconvenue. Ce, dès son arrivée, quand Montparnasse et Vivia, prévenus par une Jenifael à la langue trop bien pendue, s'étaient pointés dans la salle commune, où la jeune femme éclusait sa colère dans un verre d'une piquette si aigrelette que même les épices ajoutées en abondance par le cabaretier peu regardant ne l'avaient adouci.

- Où est mon fils Montparnasse ?
- Votre fils ?
- Mon fils !
- Là où vous l'avez laissé j'imagine.


Evidemment, elle n'avait su se contenter de cette réponse, et s'était emballée un peu en lui collant la pointe de son couteau entre les côtes quand il avait cherché à s'en aller. Il ne voulait rien dire de plus. Soit ! Roman saurait bien le faire parler, et dans la rage qui ne la quittait plus depuis quelques jours, elle s'était cru capable de le faire asseoir pour attendre sagement l'Italien. Grossière erreur. Les coups étaient rapidement portés, au poignet, à la gorge, et la main l'avait relevée, plaquée violemment contre un mur en resserrant une étreinte brûlante à son cou, pour mieux souffler au secret de l'oreille quelque effrayante promesse.

- Je n'ai pas votre fils de merde, je m'en contrefous, mais levez encore la main sur moi, et vous saurez que le sort de Lili n'était qu'un joli rêve comparé à ce que je vous ferai.

Voilà pourquoi les doigts longs de Montparnasse étaient encore bien visibles autour de son cou, signant la hargne inconsciente dont elle avait fait preuve en s'opposant à lui. Voilà pourquoi Vivia, après l'avoir molestée à son tour, lui avait arraché quelques mèches de cheveux. Tous ces risques pris pour … presque rien.
Comme par hasard, quelques heures plus tard, le grouillot postal lui avait glissé un bref.




J'ai pris votre fils.
Je vous avais averti.
Claquesous


Et la colère passée, avait cédé la place à l’incompréhension et à l'impuissance. Fallait-il donc tout recommencer ? Chercher dans le royaume l'infâme, sauf que, comment penser que Mont ignorait où se trouvait son frère ? Roman saurait le lui faire dire. Et si ces sentiments ne suffisaient pas à étioler un peu plus la fauvette, le chagrin de la confrontation avec un Roman ivre, qui passait accord avec un Montparnasse tout aussi dangereux que lui, avant de l’abandonner seule en sa compagnie suffit à lui faire perdre toute confiance en l'avenir. Comme fin de non-recevoir, le couple était de nouveau revenu voir une Fanette qui serrait les dents, pour lui annoncer que le petit frère avait vendu Milo, et que l'histoire ne les concernait plus.
C'était tout ? Bien sûr que non ! Vivia avait renouvelé ses menaces, dissuadant la fauvette de toute idée de vengeance, adoucissant presque la voix pour lui dépeindre un enfer qu'elle-même connaissait trop et qui pourrait devenir son quotidien si elle persistait.

Alors elle en était là, perdue, assise non loin d'un feu de camp, sur une berge du Gardon, à écouter parler ses compagnons de route sans vraiment les entendre. Et quand, l'observant à la dérobée, elle croisait le regard glacial de son diable, elle se rencognait un peu plus dans le silence.
Après s'être imaginée revenir à Limoges avec son fils et son époux, elle mesurait combien, dans ce voyage, elle les avait perdu un peu plus l'un et l'autre.
_________________
Roman.
Et Fanette avait bien de quoi se morfondre, car l'Italien n'avait plus que rancoeur et mépris à son égard. Qu'elle l'eût suivi jusqu'à Montpellier ne l'avait guère étonné et n'avait même pas ajouté grand-chose à sa colère... mais la voir chaque jour lui faire ses yeux de biche blessée dans l'espoir d'un mot gentil de sa part ne manquait pas de lui donner envie de la gifler.

La flèche qu'elle avait enfoncée dans son coeur, le jour où elle lui avait avoué l'avoir trompé, avait créé une blessure irréparable... car bien qu'elle ne lui eut parlé que d'embrasser cet autre homme, elle avait bien assez bafouillé pour qu'il comprenne qu'elle en avait été à l'initiative et que cela aurait pu aller bien plus loin. Ha, elle avait cherché à se dédouaner : c'était un peu de sa faute à lui, aussi, il n'avait qu'à être plus présent. Elle avait trop envie de lui et il n'avait que peu de temps à lui consacrer. Un discours qui visait à rendre le Florentin coupable de ce qui s'était passé... et si, le premier jour, il avait convenu qu'il avait été très absent et qu'elle avait sans doute pu s'en inquiéter et s'en émouvoir, il avait très vite retrouvé la raison : elle l'avait trompé, quelles que soient les excuses qu'elle pouvait trouver.

Il ne supportait pas cette idée. Il avait eu en elle une confiance aveugle et totale, émerveillé qu'il était par sa bonté, sa douceur et sa délicatesse... en adoration devant cette tendre créature qui lui montrait tant d'amour, malgré les meurtres et le sang qu'il portait sur les mains. Et là voilà tombée de son piédestal. Cette femme qu'il avait crue la meilleure de toutes, la plus aimante et la plus attachée, s'était laissée aller avec un autre. Elle avait écouté ses pulsions et elle avait partagé la bouche d'un intrus, son souffle, et sa chair...

Souillée à jamais. Voilà ce qu'il pensait d'elle à présent. Et il n'avait plus la moindre once de désir pour elle, plus la moindre tendresse, plus le moindre souhait de lui démontrer la plus petite marque d'affection. Il n'était plus qu'un coeur de pierre et une âme en peine.

Et tandis qu'au soir, elle allait se coucher à l'abri d'une roulotte, il s'en allait ailleurs, dormant, selon les tours de garde, dehors ou à l'abri d'un autre véhicule. À chaque feu de camps, elle lui jetait des petits regards à la fois coupable et pleins d'espoir... qu'il ne faisait qu'effleurer du sien, juste le temps de voir qu'elle le regardait encore. Il n'avait plus pour elle le moindre sourire.

Souillée à jamais.

Et lui, trahi, empli de colère et de reproches, chevauchait toujours loin d'elle, pour ne pas avoir à supporter ses quelques bavardages - plus rares qu'auparavant - avec les autres compagnons de leur convoi. Ils repartaient vers Limoges et seule la présence de son ami Léorique adoucissait un peu la peine et la rancoeur de l'Italien.

Ce soir-là, il restait en arrière, surveillant distraitement les cahots irréguliers de la dernière charrette de leur convoi, dont une roue menaçait de craquer. Sa monture allait d'un pas docile, ondulant sous ses cuisses, confiante en son cavalier et en son chemin. Après un long moment, lassé de ce spectacle monotone, il décida de finir la route seul avec ses pensées. Après tout, ils arriveraient à Mende à l'aube, et il n'y avait aucune raison pour qu'on ait besoin de lui d'ici-là, au vu des quelques heures qui restaient à voyager. Il fit arrêter sa monture et mit pied à terre pour se désaltérer au petit ruisseau qu'il avait repéré non loin du sentier.

_________________
Montparnasse.
Montpellier. Ville de plaisir et de luxure. Le galant s’y était arrêté quelques jours pour profiter des charmes que la ville avait à proposer. Il n'était pas là pour offrir ses services mais bel et bien pour profiter des formes et des charmes particuliers de cette population atypique.
Séjour qui aurait dut être en somme des plus agréables.

Pourtant on lui avait glissé un petit caillou dans ces bottes.
Et ce caillou avait un nom.
Corleone.
Un nom qui revenait sans cesse sur le chemin du jeune homme.
Un nom synonyme d’affrontement, de plaisir, de luxure et de coup.

Si la plupart des membres de cette fratterie de consanguins souhaitaient sa mort, d’autres au contraire attendaient qu’il donne la vie.
S’il partageait la couche des blondes, de façon plus ou moins volontaire, les bruns au contraire ne lui apportaient que mépris et dédains.
Mais en ce mois d’août 1466, les Italiens avait fait une grave erreur.
Celle de le mêler à des histoires dont il souhaitait justement s'écarter.

Bien sûr qu’il était au courant que son imbécile de frère avait chopé le mini Corleone. Mais il était loin d’approuver l'idée. Il estimait être quitte avec cette famille. Cela l’avait plutôt mis en rogne quand son frère lui avoua son crime, et, loin de le soutenir, et de l’épauler comme l’aurait fait un frère, Montparnasse avait laissé le jeune Claque dans sa merde et s’était tirer.

Il estimait ne rien à voir avec tout cela.

Il estimait aussi Fanette. Autrefois…

Mais ils étaient venus le trouver. Ils l’avaient accusé, sans même chercher à déméler le vrai du faux. Le peu de respect qu’il éprouvait pour cette famille dont le nom célèbre résonner encore sur certaines lèvres suinta en même temps que coula son sang sous la lame de la blondirousse. Et si, un dernier élan d’humanité, qu’il semblait avoir retrouvé lors de sa disparition momentanée, le poussa échanger quelques courriers qui manquaient cruellement de courtoisie avec son frère, il s’avéra qu’il ne puisse rien faire pour cette famille en deuil. Claque n’avait plus le gamin. La dernière lettre échangée avec son jeune frère mis fin à leur discussion, clouant le bec du galant le ramenant à ses propres erreurs.

L’histoire pour Montparnasse aurait pu s’arrêter là.

Seulement…

Seulement il y avait toujours ce petit caillou dans sa botte...
Ce petit fragment de roche qui roulait sans cesse sous son pied à chaque pas qu’il faisait.
Le vin avait perdu de sa saveur, le sexe de son attrait.

Allongé sur son lit dans une Auberge ou l’odeur de l’amour avait fini par s’incruster dans les murs, sa dernière lueur d’humanité se tut.

Ce gosse il n’en avait vraiment rien à foutre.
Son frère était en danger.
Sa fierté avait été blessée.
Son honneur bafoué.
Un gout de sang envahie doucement sa bouche.
Des fourmillements familiers glissèrent sur ces mains.
Il scruta longuement les cicatrices qui ornaient ses chaires.
Les Corleones vont regretter de les avoir sous-estimés.

Montparnasse est de retour mes enfants…
Et il a soif de sang.

Un lettre fut rédigée rapidement, adresser à un certain Le Rat, à Limoges. Homme fiable et sans scrupule à qui Montparnasse confiait des tâches les plus ingrate. Comme la surveillance du jeune frère de Roman.
Oh il ne comptait pas faire grand-chose…
Seulement équilibrer un peu le jeu auquel on l’avait si gentiment invité à participer…

Il y a un nouveau joueur à la table mes amis.

Et il ne compte pas se plier à vos règles….


    Nuit du 21 au 22 aout 1466.


Un cheval fut volé. Aucune lettre ne fut laissée. Il serait vite de retour. Montparnasse disparut dans la nuit. Il ne voulait pas mêler Vivia à cela, non pas qu’elle ne fut pas capable de se battre aussi bien qu’un homme, non mais son sadisme naturel risquait de gâcher le plaisir au Galant, et Montparnasse comptais prendre un grand plaisir à accomplir le plan qu’il s’était fixer. Puis si cela tournait mal, parce que ça finissait toujours mal, il préférait que Vivia ne soit pas impliqué dans cette histoire.
Cela ne concernait que son frère, les ritale…et à présent lui.


Le pauvre cheval salivait d’avoir galopé autant, mais Montparnasse se moquait bien de sa monture. En galopant jour et nuit il avait fini par rattraper le convoi.
Il retrouva le Rat et son ami quelques kilomètres avant Mende. Montparnasse n’eut besoin que de les saluer, et de leur donner la sommes promise pour que ceci accorde leur violon au sien. Le reste de leur temps ils ne firent que suivre le convoi, attendant la bonne occasion…


    Nuit du 22 au 23 aout 1466.


L’occasion qu’il attendait patiemment se présenta enfin...
Roman était séparé du groupe. Un sourire mauvais se dessina sur les lèvres de Montparnasse. L’italien lui avait semblait n’être que l’ombre de lui-même lors de leur rencontre. Il serait tellement dommage de rater cette occasion. Tellement dommage de ne pas appuyer sur cette plaie purulente qu’il avait su voir entre Fanette et Roman. Si c’était envers la femme qu’il gardait rancœur, c’est sur l’homme que Montparnasse souhaitait faire passer son message.
Il voulait briser le plus fragile des deux.
Elle.
Et on ne brise pas une femme comme on brise un homme non, les femmes encaissent bien mieux les coups que les hommes, étonnement, mais elles se brisent quand on s’en prend à leur cœur. Et si il était apparu clairement que l’italien ne ressentait plus rien pour Fanette, il avait lu dans le regard de la fauvette toute la peine qu’elle ressentait à être ainsi ignorer de lui.
Une pierre trois coups.
En évincer Roman du jeu, il équilibrait la rencontre future entre Claque et Fanette, il brisait la Fauvette, et il prendrait un pied immense à cogner cette gueule d’amour qui lui avait lentement enfoncé une lame dans le cul. Le jeune galant pouvait se montrer rancunier parfois, et même si ce n’était pas ce dernier sentiment qui guider ces actes, il n’allait pas tout de même pas cracher sur cette occasion qu’on lui offrait…

Restant en retrait il invita le Rat et son ami, qu’il avait surnommé la Souris pour plus de facilité dans la discussion, à souhaiter le bonjour à Roman.
Trois contre un.
Les combats à la loyal était tellement révolu.
Seul le résultat comptait, et Montparnasse ne ressentait aucune honte à cela…

Le Rat se plaça à droite de Roman, fourbu, la trogne vérolé, les dents acérés, son surnom lui allait comme un gant. Et si sa corpulence n’était pas des plus effrayantes au premier abord, il y avait dans ces yeux sombres la lueur de la folie qui brillait de mille feux, faisant bander ces muscles prêts à bondir. Il était rapide, fourbe, et sans une once d'honnêteté. La souris quant à lui, était son exacte opposé, d’une carrure bien plus imposante il se montrait plus lents, mais ces coups était plus douloureux, se plaçant à gauche de Roman il le regarda en souriant, silencieux comme à son habitude.
Aucun coup ne lui fut porter, aucun geste en son égard, seulement deux être atypique et répugnant venant se poser de part et d’autre de l’assassin.

C’est la voix de Montparnasse qui rompit le silence qui s’était établie.

Avançant, pas à pas avec une lenteur calculé, il faisait tourner dans ces mains un bas qu’il avait lesté d’une grosse pierre. La pierre prenait de de l’élan à chaque tour qu’elle faisait tandis que le sourire du brun s’élargissait sur son visage, son regard devenant de plus en plus glacial à chaque pas qu’il faisait…


- Je crains que notre accord ne soit rompu mon cher Roman. J’ai néanmoins pris grand plaisir de négocier avec toi… Malheureusement je me vois dans l’obligation d’équilibrer un peu les comptes…si tu n’en voie bien sûr pas d’inconvénient.

La question était bien sûr purement rhétorique et la distance qui les séparé était à présent suffisante pour que le jeune voyou allonge le bras, dirigeant par ce geste la grosse pierre emprisonné dans le bas en direction de la mâchoire de l’italien.

_________________
Roman.
Entouré de deux inconnus patibulaires et sales, Roman n'avait pas eu l'occasion de se servir de ses armes. Il avait manqué de vigilance, persuadé d'être en sécurité vu la proximité de la ville, mais il s'était fait rattraper avant l'orée de la forêt. Sous les arbres, ce quatuor dangereux se jaugeait du regard. Roman avait à la main l'une de ses dagues, mais il n'aurait pas la stupidité de lancer en premier une attaque qui ne lui vaudrait qu'une triple riposte de la part de ses ennemis. Montparnasse, devant lui, jouissait visiblement de cette situation qu'il avait convenue à l'avance.

- Qu'est-ce que tu fous ? J'ai rien fait à ton frère, je l'ai même pas encore vu.


Seul un sourire narquois lui répondit, éclairant le visage de son agresseur. Il savait Montparnasse aussi dangereux que lui-même... et bien plus retors. Et sa lame ne pouvait pas parer le coup que celui-ci lui porta avec son arme bricolée...

La grosse pierre lui heurta la mâchoire de plein fouet malgré le pas qu'il avait fait en arrière ; il eut le temps de sentir les bras des deux acolytes de Montparnasse le retenir pour l'empêcher d'esquiver davantage... et de tomber en arrière sous le choc. Il perdit un instant la vue, aveuglé par la douleur et par la force du coup. L'arme était rudimentaire mais efficace... Roman tituba, l'esprit envahi par un vide qui ne s'emplissait que d'un goût de sang.

_________________
See the RP information <<   1, 2, 3, ..., 8, 9, 10   >   >>
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)