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[RP] Les félins sont tous issus d'une seule et même famille.

Gnia
Celle des carnivores.
Et la nuit, tous les chats sont gris.
Retenez le bien, c'est important pour la suite.



Il est des lieux que l'on quitte sans aucun état d'âme. Des endroits qui portent tellement profondément enfouis en leur terre les racines du malheur que l'on peut s'en détourner sans mélancolie aucune . Des terres que l'on préfèrerait savoir désolées que d'avoir à y remettre un jour les pieds. Mais le destin a pour chacun de nous un plan, aussi improbable, illogique et cruel soit-il et il se moque bien de nos petites superstitions attachés à ces lieux maudits.


Une ombre drapée d'une longue cape, le visage masqué par le capuchon, se glissait dans les faubourgs de Tarbes, frôlant les murs avachis des taudis puants, évitant de justesse un seau d'immondices jeté dans l'égout à ciel ouvert des ruelles, se faufilant entre fange et crasse vers un but connu d'elle seule.

Une pause à l'ombre du porche d'une bâtisse toute aussi misérable que les autres, un regard circulaire pour s'assurer que la ruelle est déserte avant de toquer quelques coups à l'huis selon un rythme bien défini. Un oeil jaune, globuleux et forcément soupçonneux apparait dans la trappe ménagée dans la porte et qui fait office d'oeilleton. Un verrou claque et à l'instant où la porte s'entre-ouvre, l'ombre est déjà à l'intérieur. A cet instant, une bourrasque de vent fait grincer au dessus de la porte une enseigne vermoulue sur laquelle l'on peut encore déchiffrer "Antoine Sonneur, Maître Apothicaire".

La boutique est close depuis que les portes de la ville ceinte sont été soigneusement refermées par le guet mais c'est à présent l'heure des clients qui, le temps d'une nuit jusqu'à la suivante, ont les moyens de faire oublier à Maître Sonneur le serment de Galien.

Un hochement de tête sous la capuche salue l'homme replet qui se tient derrière l'épais comptoir. Sans le visage portant les traces indélébiles de la petite vérole, le ventripotent pourrait prétendre à une allure sympathique, mais les cicatrices qui grêlent son faciès lui ont ôté définitivement toute prétention à l'adjectif bonhomme.
Celui à l'oeil jaune qui a ouvert la porte un peu plus tôt et qui se fait ombre de l'ombre quitte enfin ses talons, s'assoit sur un tabouret branlant et se rencogne, l'épaule appuyée sur une lourde étagère chargée de bocaux crasseux.

Une main chargée de bagues vient repousser la capuche sur la chevelure pour dégager le visage et l'on entend l'ombre parler pour la première fois, une voix rauque aux intonations de ceux qui parlent la langue d'oïl.


Le bon soir, Maître Sonneur.
Oui.. Cela faisait longtemps... Je ne m'attarderai pas, vous savez ce qu'il me faut.


Une lourde bourse est posée sur le comptoir qu'elle fait résonner d'un bruit mat. L'apothicaire lève sur sa cliente un regard hésitant, guettant comme une forme de confirmation. C'est que, le bruit parlant de lui-même, la somme est conséquente, bien plus qu'à l'accoutumée. La jeune femme esquisse un discret sourire et opine du chef.


Je fais mes réserves, l'on ne se reverra pas. Et je ne sais si je mettrai la main sur quelqu'un de votre compétence de sitôt alors je prévois...
Et vous, vous aurez de quoi offrir de la viande à votre marmaille ou vous payer des ribaudes jusqu'aux premières gelées.


L'apothicaire acquiesce avant de mettre son corps massif en branle et de réunir la commande de sa cliente. Les commandes ne dérogent jamais à une routine qui s'est établie depuis quelques mois, presqu'un an à vrai dire. Thériaque, thériaque et thériaque. Et de temps à autre un peu de chanvre. Rien de bien sorcier ni de trop répréhensible en somme, et surtout rien que ne soit en dehors des multiples cordes que Maître Antoine Sonneur possède à son arc.

La jeune femme le suit à l'autre bout du comptoir tandis qu'il sort avec parcimonie d'un bocal de l'herbe qu'il pèse ensuite. S'accoudant au comptoir, elle se penche vers lui. Ses narines frémissent un instant, caressées par la forte odeur de terre émanant de ce qu'il manipule et surtout par les promesses de paradis oniriques qu'elle faisait miroiter. Enfin elle s'adresse à lui à mi-voix


Et vous m'ajouterez de quoi se prévenir d'hôtes encombrants et, le cas échéant, de quoi s'en débarrasser... Et passez moi les remèdes fantaisistes de charlatans destinées aux clientes occasionnelles. Je veux ce que vous fournissez aux patronnes de claques qui veulent conserver leurs puterelles à la chair fraîche, fraîches, justement.


Les paupières lourdes de l'artisan se soulèvent un instant, dévoilant des pupilles légèrement perplexes sur la femme qui lui fait face. Tiens, la Dame change ses habitudes et semble s'être adjoint d'autres vices à ceux qui la possèdent déjà. Il noue un lien pour fermer le petit sac de tissu qui contient l'herbe à sorcière avant de lui faire signe qu'il a compris sa demande et s'efface dans l'arrière boutique.
Et la jeune femme de laisser un coude sur le comptoir de bois massif, de poser son menton dans la coupe formée par sa paume et de contempler, les yeux dans le vague, les rangées de bocaux, bouteilles, jarres et autres curiosités qui jonchent les étagères qui lui font face, en attendant le retour de son fournisseur de pêchés.

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Iban
Le félin resta un instant immobile, figé sur ses pattes arrière. Puis, après quelques secondes seulement, sa pupille se dilata brusquement, il se mit à écumer et à cracher violemment, grattant et griffant désespérément le pelage roux de sa gorge pour tâcher de stopper cette toux morbide, avant de s’effondrer brutalement sur la table, sans vie.

« Trop rapide." conclut le Basque en affichant une moue de désapprobation,

"Comprenez, Maître Sonneur... il me faut quelque médecine plus lente, qui ronge secrètement les tissus… Une mort subite rendrait le meurtre trop apparent, ou bien l’on croirait à quelque punition venu du Ciel. Mais si mes victimes s’effondrent si subitement, on finira par croire que le Très Haut est bien léger dans ses jugements capitaux… »

Au fond de l’arrière boutique de son fils, le père d’Antoine Sonneur, petit vieillard à l’œil furtif et au ton mesquin, avait bien du mal à satisfaire ce client exigeant. Il venait d'essuyer un cinquième insuccès. A force de tentatives infructueuses, il ne resterait bientôt plus aucun greffier-minet dans le voisinage. Il fallait pourtant bien trouver le poison approprié: l’homme était un habitué.

« Nos remèdes sont pourtant préparé avec le plus grand soin, selon des recettes tirées des plus grands maîtres italiens en la matière, je vous l’assure, Messer Etxegorry… » bégaya t-il pour s’excuser de ce nouvel échec.

« Je sais, je sais, vos produits sont excellents… mais celui-ci n’est point à ma convenance. Allons, je suis sur que vous parviendrez à me concocter celui que je recherche… »

Le petit vieux attrapa par la queue le cadavre du chat et le jeta sur le tas constitué des dépouilles de ses infortunés compères. Puis, ayant cherché quelques ingrédients sur la multitude d’étagères qui tapissaient le mur poussiéreux de l’arrière boutique, il s’en fut dans son atelier pour mettre de nouveau au point sa préparation mortelle. Le Lynx quant à lui s’assit sur un tabouret vermoulu qui se trouvait là pour attendre une nouvelle fois le résultat des expériences du sinistre vieillard.

Entra Antoine Sonneur, de sa démarche pesante.

« Eh bien ! Maître Antoine, un autre client exigeant, ce soir ? »

« Une cliente, Messer Etxegorry, une cliente… » répondit l’apothicaire tout en vaquant à la recherche des articles qu’on lui avait commandés.

Le Basque se leva pour aller furtivement jeter un coup d'œil à la cliente en question. Mise à part quelques puterelles, il était fort rare que le sexe faible se hasarde dans un tel lieu de perdition. Peut être était ce là une bordelière dont le Gascon se ferait une joie de combler la fin de nuit. Lorsqu’il aperçut le visage de ladite cliente, la surprise, puis un sourire narquois vinrent moduler tour à tour les expressions du Basque. Il sortit de l’arrière-boutique et se tint derrière le comptoir.

« Vous faut-il quelque poudre pour parfaire votre teint, Comtesse, ou un onguent pour masquer les blessures de votre visage ? »
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Gnia
Foutresaintgeorges ! Par les bourses farcies de Sainct Gland, patron des couillons, en voila une connerie ! ®*

Le juron fut, fort heureusement pour les oreilles improbablement délicates qui auraient pu traîner à cette heure dans ce coin peu recommandable des faubourgs de Tarbes, étouffé dans la gorge.
Néanmoins tout dans l'attitude de la Saint Just exprimait la vaste étendue du langage fleuri qu'elle avait retenu à la vue du Basque. Il y avait eu d'abord un regard agacé qui avait quitté à contre-coeur son observation pour se poser sur le faquin qui osait l'interpeler. Puis les pupilles s'étaient agrandies de surprise tandis que les paroles prononcées forçaient leur chemin dans son esprit. Puis il y avait eu ce fugace mouvement de recul précédant l'expression de celle qui vient de réaliser qu'elle est sous le coup de la loi de l'emmerdement maximum. Le tout s'était joué imperceptiblement en un instant, avant qu'enfin le déchaînement de sentiments désagréables que lui inspirait cette rencontre impromptue ne s'apaise et qu'elle puisse offrir au Basque un regard chargé de dédain.


Mon teint se suffit à lui-même, Iban, et quand bien même cela ne serait pas le cas, je ne viendrai point le parfaire ici...
Quant à la cicatrice sur mon visage, il y a fort longtemps que j'ai renoncé à cacher ce qui ne peut efficacement l'être.


Les lèvres s'étirèrent en un sourire cynique tandis que ses yeux se posèrent rapidement sur l'ouverture menant à l'arrière boutique avant de revenir sur le Basque. La situation était tendue. Si l'apothicaire revenait maintenant, il ne serait point difficile de savoir ce que la Comtesse était venue chercher, mais s'il ne revenait pas rapidement, il lui faudrait supporter plus avant encore la désagréable rencontre. Quoiqu'il en soit, il fallut se résoudre à l'évidence, elle était bel et bien piégée. Foutu destin qui se jouait d'elle ces derniers temps, menant irrémédiablement ses pas à croiser ceux d'Iban Extegorry.

Non. A dire vrai, ce ne sont point les futilités qui m'amènent icelieu. Je cherche de quoi me défaire efficacement de l'inopportune présence de gens de votre espèce, Iban. Quoique pour des cas comme le vôtre, une dague bien effilée ferait tout aussi bien l'affaire. Nous avons tendance à un peu trop nous croiser à mon goût ces derniers temps, voyez vous.

A celui qui est acculé, il ne reste que deux solutions. Fuir ou faire front. Et il n'était pas dans les habitudes de l'artésienne de sonner la retraite. Sauf alarme imminente ou pour mieux revenir. Alors le regard, animé l'instant d'avant d'une lueur goguenarde, se fit implacable et la Saint Just laissa siffler entre ses dents

Retournez vaquer à vos affaires, Extegorry, et laissez-moi aux miennes, cela vaut mieux pour vous.


* [HRP : Tout le crédit de ce magnifique juron va à Aloysius_whace, qui fut, me semble-t-il, président de la fédération des pêcheurs, et contrairement à se que l'on pourrait croire, ceux qui pêchent du poisson ne sont pas forcément ceux qui collectionnent les pêchés...]
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Iban
Visiblement, Agnès de Saint-Just ne lui avait toujours pas pardonné leur malheureuse première rencontre. Il convenait d’être diplomate. Néanmoins, ce que la raison se prend à vous dicter est bien souvent déformé par le tiraillement insidieux des sentiments et Iban, malgré sa ferme résolution de se montrer avenant, ne put parvenir à réprimer ce sourire jubilatoire qui déformait odieusement son visage buriné. Surprendre une Comtesse dans les bas-fonds de Tarbes pour y faire commerce de denrées illicites : cela était pour le moins cocasse ! C’était toujours un intense plaisir pour le félin que de jouer cruellement avec les souris. Et quelle souris, en l’occurrence : Agnès de Saint Just et de Dublith, Comtesse du Lavedan, Vicomtesse de Bapaume, Baronne de Desvres, Dame de Seuiri et d'Herlies ! Une femme de caractère, désormais traquée et sur la défensive. L’entretien promettait d’être interessant… Il réprima cependant son sourire aussitôt qu’il le put et affecta un air tout à fait calme et un ton tout à fait posé.

« Des menaces ? » répondit-il d'un air amusé, « Voila qui ne sied guère à la noblesse de votre rang ,ni à l’incommodité de votre présente situation… vous semblez oublier que nous sommes seuls ici… si l’on exclut bien sûr, et l'on est en droit de le faire, la présence de ce bon vieil Antoine et de son gâteux de père. »

Lentement, il passa de l’autre côté du comptoir et se tint devant elle. Ses yeux d’un bleu profond envisagèrent minutieusement le visage de son ancienne connaissance.

« Autant dire que je pourrai fort bien me jeter sur cette jolie gorge… » ajouta-t-il en lui lançant un regard à la fois concupiscent et ironique, « J’imagine déjà cette multitude de missives parfumées allant avertir tous les châteaux du royaume de la tragique et mystérieuse disparition d’Agnès de Saint-Just dans les bas-fonds de Tarbes… On feindra de s’apitoyer sur votre triste sort. On se vêtira de noir pendant quelques temps, on louera ces qualités, que jusqu’ici on se gardait bien d’évoquer, qui font de vous une femme exceptionnelle, on déplorera une si grande perte pour les Conseils, on pleurera beaucoup, mais pas trop longtemps, puis l’on s’empressera de retourner à l’intrigue, à la mesquinerie et à la fornication… car, il faut bien l’avouer, ce sont là des choses bien plus divertissantes que le deuil.»

Il se redressa et s’avança un peu plus vers elle. Cette discussion l’amusait, et, de surcroît il entendait patienter jusqu’à ce qu’on apporte les produits de cette curieuse cliente. Cette histoire de poison ne lui semblait qu’à demi vraisemblable.

« Je ne m’en prendrai pas à vous, cela dit. Vous m’intriguez trop pour cela, Comtesse. Je ne tue que les ennuyeux. Vous êtes un des rares membres courageux de votre sexe et de votre condition. Rares sont les dames de votre rang qui oseraient ainsi se rendre jusque dans ces lieux maudits pour venir y acheter des potions. L’air empoisonné des salles de conseil ne vous suffisait-il pas pour que vous vous rendiez chez un apothicaire des plus douteux ? »
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Gnia
Faire front.
Certes, mais l'équilibre des forces ne penchait point en la faveur de la Saint Just. Pour en avoir déjà fait les frais lors de leur première rencontre, elle savait que physiquement elle ne faisait pas le poids et elle pouvait également oublier tout effet de surprise qui aurait été assurément à son avantage. Dès lors il convenait de revoir la façon de mener cette discussion fortuite.

Il était maintenant si proche d'elle qu'il aurait suffit de tendre le bras pour glisser une lame sous son cou. Et vice versa, évidemment. Elle soutint le regard du Basque, miroir parfait du sien, fait du même bleu sombre, et calquant sa mine sur celle de son vis-à-vis, elle lui rétorqua


Oui, des menaces. J'étais sûre que vous apprécieriez.
Vous comme moi savons qu'icelieu mon rang ne vaut rien et ne me sauvera de rien. Et je suis que trop au fait que vous croiser justement maintenant me place dans une situation fort incommode, comme vous le soulignez.
Tout comme je sais fort bien qu'il y aura plus de monde pour se réjouir de ma mort que pour la pleurer...
Voyez, vos menaces m'effraient tout autant que vous, les miennes.


Ce petit baroud d'honneur était uniquement destiné à ménager la fierté d'Agnès. Il était à présent temps de feindre la capitulation, il n'y avait rien d'autre à faire pour l'heure.

Je n'ai pas toujours été noble et les bas-fonds ne m'effraient guère. Maréchaussée et prévôté m'en on fait fouler leurs crasseuses ruelles plus que de raison.
Et puisqu'il ne vous sera pas difficile de soutirer à Maître Sonneur ce que je suis venue chercher, évitons à ce brave homme un probablement douloureux entretien avec vous.


Réduisant encore la distance qui la séparait d'Iban, le regard animé d'une lueur trouble, elle s'avança jusqu'à le frôler pour glisser à son oreille

Votre franchise est une erreur, Iban, vous le savez ? Mais vos flatteries me vont droit au coeur, n'en doutez pas. Quoique j'aurai grandement préféré susciter chez vous moins d'intérêt.
Il n'y a rien de plus efficace pour supporter l'air vicié des salles de conseil que les promesses d'oubli et d'abandon que procurent certains poisons. Et une fois que l'on y a goûté, rien n'est plus difficile que de résister au suave appel des paradis artificiels. Voudriez-vous y goûter ?

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Iban
N’est il pas des plus mystérieux que l’une des armes les plus efficaces qui soient à la portée d’une femme, soit sa capacité à feindre la capitulation, cet art de prétendre se livrer ? L’attitude et les mots de la Comtesse déjouaient tous les ingénieux stratagèmes qu’avaient échafaudés en début de discussion la malice du Basque.

Oubliant ses questionnements sur la raison de la présence de la Comtesse en ce lieu sordide, Iban ne pouvait chasser de son esprit troublé la pureté de ces yeux qui avaient anéanti les menaces des siens, l’odeur suave de sa joue qui venait de frôler la sienne lorsqu’elle lui avait chuchoté des paroles que dans son émoi, il crut comprendre trop clairement et interpréta de ce fait trop hâtivement. « Le suave appel des paradis artificiels… » Elle avait susurré ces mots à son oreille avec tant de saveur… Son ton doux et sinueux contenait à lui seul la quintessence de la féminité voluptueuse. Sa dernière question enfin, s’était glissée dans l’oreille d’Etxegorry comme la plus scandaleuse et la plus adorable des propositions.


« Moins d’intérêt ? Ne me soyez point si cruelle, Comtesse…»
répondit-il d’une voix mi-honteuse, mi-pressante, mais qui s’avérait particulièrement douce pour le brutal mercenaire « Vous me jugez trop sévèrement… Et quand bien même je serai aussi vil et de mauvais sang que vous le supposez sans doute, n’est ce pas envers la misère matérielle et morale que des personnes de votre qualité se doivent de montrer le plus de charité ? »

Mais, malgré le sourire qu’Iban esquissa ensuite pour paraitre amusé et serein, cette dernière saillie spirituelle était bien l’ultime défense du Basque, tout entier captivé et asservi désormais à cette bouffée soudaine et imprévue de sensualité. Cette femme qui naguère lui était apparu comme un chef de guerre, qu’il n’avait pas hésité à frapper au visage, voila qu’elle se transformait dans ce décor sordide en une sulfureuse créature qui lui inspirait à présent un violent désir de possession. Ce changement soudain n'inspira pourtant aucune méfiance à Etxegorry, à la fois trop troublé et trop sûr de son fait.

L’audace avait toujours été la principale qualité comme le principal défaut du mercenaire. Sans même songer un instant qu’il ait pu se méprendre sur les dires de la belle, il se laissait attirer par ce visage qui semblait secrètement lui intimer de céder à la tentation. Et, sans plus se préoccuper du cadre ténébreux ou de la possible arrivée de Sonneur, il porta lentement sa bouche de prédateur jusqu’à cette gorge parfaite qu’il avait menacé un instant plus tôt à peine de trancher.

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Gnia
Au ton dont il avait usé pour lui répondre, sa joue effleurant toujours celle du Basque, Agnès esquissa un sourire carnassier. Et lorsque ses lèvres se posèrent sur la peau fine de son cou, ses yeux se plissèrent de contentement. Telle le félin rassasié de sa proie, elle en aurait ronronné de satisfaction si un frisson qui n'avait rien de feint ne lui avait arraché un soupir ténu. Sa main était venue saisir le tissu qui recouvrait l'épaule musculeuse du mercenaire tandis qu'elle abandonnait sa gorge à ses lèvres avides.

De l'ambiguïté de la proposition qui avait été faite à Iban, il avait choisi son idée propre des paradis artificiels et dévoilait dès lors sa faiblesse. La Saint Just exultait tout en conservant à l'esprit que la partie était loin d'être gagnée. Avisant Maître Sonneur qui revenait de l'arrière-boutique, elle chuchota à l'oreille du Basque


Allons Iban, il n'est nullement question de charité ici. En auriez-vous eu pour moi ?

Et lentement, de la main qu'elle avait posé sur son épaule, elle s'écarta et se tourna vers le comptoir et l'artisan qui vaquait à ses occupations, sans un regard en arrière.
Souffler le froid et le chaud et assurer sa prise.

Et comme si l'instant d'avant n'avait jamais existé, comme si Iban Extegorry n'avait jamais été dans cette sordide échoppe, elle prit livraison de sa commande, écoutant avec attention les explications de l'apothicaire qui lui murmurait la posologie à observer quant aux spécifiques demandes qu'elle avait fait plus tôt.
Elle assura ses achats dans la besace qu'elle portait sous sa longue cape puis se tourna enfin à nouveau vers Iban, posant sur lui un regard à l'expression indéfinissable avant que la main replaçant soigneusement le capuchon ne lui masque.


Aviez-vous encore à faire ou bien m'escorterez-vous hors de ces lieux maudits ?
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Iban
Aussi soudainement qu’elle était venue, cette débauche de sensualité se dissipa comme fumée dés qu’Agnès de Saint Just eut quitté ses bras, ne laissant au Basque dont les sens étaient maintenant en alerte que l’impression désagréable de s'éveiller au cours du songe le plus agréable qui soit. Il ressentit bientôt un intense sentiment de frustration. Se jouait-elle de lui ? Les doutes commencèrent lentement à agacer son crâne empli d'impatience et de concupiscence. Mais l’instant avait été si délectable qu’il s’accrochait encore à cette proposition si délicieuse et à cet abandon inattendu, et ne pouvait que se persuader que ce changement soudain s’expliquait par la nature si mouvante et capricieuse des femmes. Son désir était encore trop brûlant pour être étouffé par la vexation. Après quelques instants de méfiance, celle-ci n’eut d’ailleurs pour effet que de l’attiser davantage. Se refuser après lui avoir suggéré qu’elle s’offrait à lui, voila qui allumait le cœur d’Etxegorry d’appétits profonds et violents.

"Je vous raccompagnerai à bon port, Comtesse". lui répondit il de sa voix rauque, "Voyez comme je montre de charité à votre égard… "

Cette entretien imprévu avec la Comtesse lui avait fait perdre de vue la cause de sa venue chez Sonneur.

" Maître Sonneur, dite à votre père que je reviendrai chercher demain la préparation que je lui ai commandé. Cela lui laisse assez de temps pour que j’évite de perdre le mien ce soir."


Sans rien ajouter de plus, il rabattit lui aussi le capuchon de son ample mantel écarlate sur son sombre faciès et céda le passage à la Saint Just en l’invitant d’un geste affable à s’avancer vers la sortie.

Les ruelles étaient désertes à cette heure avancée de la nuit. Seuls le sourire de la lune et la luisance des étoiles prodiguaient à ce quartier sinistre un tant soit peu de lumière. Les cieux étaient particulièrement clairs et le mercenaire ne savait s’il fallait voir dans ce scintillement peu ordinaire le présage d’une nuit délicieuse ou le sarcasme des éléments face à sa désagréable situation. Et tandis que ces deux âmes remontaient les artères de Tarbes pour gagner le cœur de la ville, le Sans-Nom, grand Prince de ce monde, devait rire, caché par le silence de ses obscurités, de cette curieuse tragédie qui venait de commencer. La Comtesse s'engagait sur une voie efficace mais fort périlleuse pour elle comme pour le mercenaire. Ses insinuations avait été conçues par le Basque comme autant de promesses; or les promesses non tenues, dans cette Euskadi si proche, se rachètent bien souvent par le sang.

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Gnia
D'aucuns auraient trouvé la présence du mercenaire, dans ces entrelacs de ruelles sombres, plutôt rassurante en cas de mauvaise rencontre. Cela aurait été omettre que la mauvaise rencontre, c'était justement le Basque.

A présent qu'une brise légère - quoique porteuse de quelques effluves malodorantes - remplaçait l'atmosphère confinée de l'échoppe de l'apothicaire, Agnès mesurait enfin à quel point elle s'était enferrée dans un piège duquel il serait difficile de se délivrer.
Elle avait pensé urgence et instant présent et avait de fait complétement ignoré les conséquences. Certes, la curiosité d'Iban avait été détournée, mais ce vers quoi elle l'avait été serait autrement plus délicat à faire oublier.

D'abord, il fallait quitter les venelles des bas fonds, retourner vers la ville ceinte, prendre l'avantage du terrain et revenir vers les quartiers proprets du centre ville où s'élevait l'ostau familiale.
Tandis qu'il traversaient les faubourgs de Tarbes, elle observa un silence de rigueur et qui ne paraissait point déplacé dans ces lieux lugubres où il valait mieux ne point attirer l'attention sur soi. Instant de silence mis à profit pour retourner dans tous les sens la meilleure manière pour éconduire le Basque en délicatesse et si possible sans affrontement. Vaste problématique qui n'avait toujours pas trouvé de résolution alors qu'ils passaient le poste de guet sous l'oeil nonchalant du garde auquel l'on avait graissé la patte.

A mesure que l'on se rapprochait de la fin du voyage, Agnès appréhendait l'inéluctable issue de cette escapade nocturne qui avait mal tourné. Dans le silence de la ville ponctué quelque fois d'un ronflement, d'un grognement laissant présager quelques activités nocturnes, parfois de l'aboiement d'un chien, elle interrogea son escorte imprévue.


Vous avez quitté Montauban ?

Puis sans attendre de réponse, la voix laissant poindre quelques traces de fébrilité, elle poursuivit

Pour ma part, je quitte Tarbes dès demain et prends le chemin de Montauban. Si vous avez prévu de faire la route également, un homme de plus dans notre escorte ne serait pas de trop.

A ces derniers mots, elle s'était arrêtée non loin de la porte de service qui menait à l'office de la demeure qu'elle avait occupé tout le temps qu'elle avait vécu en Béarn. Une maison qui avait enfin trouvé preneur et qu'elle quittait sans regret aucun, tant elle lui rappelait un passé pas si lointain dont elle aurait voulu tout oublier.
Triturant nerveusement la lourde clef qui lestait le fond de l'une des poches de sa robe, elle finit par lever le regard sur Iban et elle tenta


Si la proposition vous intéresse, soyez ici demain avant nonce.


Puis sans attendre de réponse, elle tira la clef de sa poche et la glissa dans la serrure, tout en priant le Très Hauct pour qu'elle s'en tire à si bon compte.
Et rien n'était moins sûr.

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Iban
Elle se moquait de lui. Cela était certain à présent. Cet empressement qu’elle mettait à rentrer, la nervosité dont témoignaient ses gestes, la précipitation de ses questions, son regard fuyant qui avait eu tant de mal à se poser enfin sur le sien, tout trahissait dans son attitude un désir fébrile de se débarrasser le plus promptement possible de l’encombrant mercenaire qu’Iban représentait à ses yeux. Se faire éconduire de la sorte relevait de l’humiliation et l’humiliation était une de ces choses que le Basque ne savait souffrir. L’envie et la vexation lui inspiraient toutes sortes d’idées violentes et haineuses. Si la tentation de la déshonorer lui vint à l’esprit, la dame était trop puissante pour qu’on puisse se permettre de lui faire l’outrage suprême tout en lui laissant la vie sauve sans craindre de terribles représailles. Etxegorry ne l'ignorait pas, mais n’envisageait cependant pas de rendre les armes si tôt. Agnès de Saint Just, par sa conduite, venait de commettre l’erreur de dévoiler trop vite son petit jeu. Elle avait arraché de ses propres mains le masque de volupté qui la couvrait jusque là et révélé trop violemment au Basque la fausseté de l’intérêt qu’elle semblait lui témoigner. Le Lynx, échaudé, craindrait à l’avenir l’eau froide. C'était désormais à son tour d'avancer ses pions.

Le poing ganté de rouge du mercenaire s’abattit brutalement sur la porte, au dessus de la tête de la Comtesse, qui se retourna en un sursaut avant d’avoir pu ouvrir la lourde porte de son ostau.


« Comtesse, comtesse… » dit doucement le Basque d’un air faussement navré, « N’allez tout de même point manquer à ce qui me semble la moindre des attentions pour votre humble serviteur. Me congédier si rapidement serait me mettre bien en peine, et payer fort chichement le prix de mes bons et loyaux services… Je serai évidemment fort aise de vous escorter demain, mais pourquoi nous quitter si vite ce soir ?»

De son capuchon écarlate ne paraissaient que quelques boucles noires et menaçantes de sa chevelure désordonnée.

« Ne m’avez-vous point vous-même proposé de goûter à ces paradis artificiels dont vous étiez en quête ? Eh bien, j’accepte avec joie… »

Le mercenaire se rapprocha de la Saint-Just. Il pouvait percevoir à présent les palpitations de son aimable buste. Sa main droite ne portait plus de gant. Ses deux griffes de métal vinrent frôler la joue de la Saint Just en un jeu cruellement sensuel. La dame lui semblait si frêle, et si vulnérable, acculée entre la porte de bois sombre et ses bras résolus. Elle était à proprement parlé entre ses griffes. Ses yeux aux couleurs marines interrogeaient quant à eux en un curieux ultimatum le regard de la Comtesse. « Ne tuez point mes espérances et ma pitié pour vous d’un même coup, belle Agnès, pensait-il en secret, cela vous serait fatal. »

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Gnia
On l'avait dit, il n'était pas commun que la Saint Just batte en retraite. De fait, sa tentative de fuite avait été maladroite, peu réfléchie et, il fallait l'avouer, se soldait surtout par un navrant échec.

Quand bien même elle s'était attendue à une réaction de la sorte, le poing abattu sur le bois de la porte la fit sursauter et elle dût à nouveau faire face à Iban.
Faire face, voilà qui lui seyait mieux finalement. Elle n'était point en position d'espérer l'emporter mais c'était face à l'adversité que la Saint Just développait les plus ingénieux stratagèmes, poussée par la prudence et l'instinct de survie. Toute la difficulté de l'instant présent était sa méconnaissance et son incompréhension du subtil jeu de la séduction, domaine qui restait résolument hermétique à la vision utilitariste de la vie et l'esprit si pragmatique de l'artésienne.
A jouer avec le feu sans savoir le maîtriser, l'on se brûle.

Quoiqu'il en fut, le Basque n'entendait pas la laisser filer. L'occasion qu'elle lui avait offert était probablement trop belle pour dédaigner à jouer avec sa proie, tel le chat, ne serait-ce que par simple cruauté .
Alors le regard fuyant l'instant d'avant se fit résolu et soutint celui d'Iban tandis qu'il parlait. La détermination que l'on pouvait y lire ne faiblit pas lorsqu'il effleura sa joue des armes effilées qui remplaçaient ses doigts manquants. Ce fut à peine si elle tenta de se dérober à ce licencieux contact, sa mâchoire se crispant imperceptiblement tant il lui en coûtait d'avoir à le supporter.
Il était hors de question de lui procurer l'intense plaisir de la voir se débattre ou avoir peur.

Enfin, elle desserra les dents et daigna répondre au curieux regard que le mercenaire avait posé sur elle.


Cessez de me menacer, Iban. Je vous l'ai dit plus tôt, votre franchise était une erreur. Vous l'avez vous-même avoué, je vous intrigue trop pour que vous songiez à vous débarrasser si vite d'une proie avec laquelle il vous plaît de jouer.

La voie rauque mâtinée des intonations du Nord perdit de la dureté avec laquelle elle avait prononcé ces derniers mots pour reprendre, après un léger soupir.

Ces paradis dont j'étais en quête n'ont rien de commun avec l'idée que vous vous en êtes faite. Certes, je vous ai laissé vous méprendre, mais Iban, voyons... Vous savez que ce que vous désirez comme rétribution est par trop élevée au regard des services rendus. La peau satinée de comtesse vaut plus qu'une simple escorte, vous en conviendrez.

Sans lui laisser le temps de répondre, son visage se fit plus conciliant, le regard s'allumant d'une lueur de tacite accord.

Toutefois, si vous voulez véritablement savoir quel est cet appel porteur de promesses d'oubli et d'abandon auquel je ne parviens point à résister, et bien soit, je vous y ferai goûter.

Si la tentation d'encore duper le Basque lui avait évidemment effleuré l'esprit, elle n'en fit rien. Il aurait été aisé de lui faire croire à des propriétés fallacieuses de la thériaque pour mieux endormir ses ardeurs. Mais cela aurait été encore repousser au lendemain une situation qui ne pouvait que s'envenimer plus encore. Dès lors, Agnès avait abattu ses dernières cartes et ce fut à présent à son tour de guetter une réponse dans le regard sombre que l'on devinait sou le capuchon écarlate.
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Iban
Le mercenaire, qui venait d’écouter les paroles de la comtesse dans le plus grand silence, partit soudain d’un grand éclat de rire grave.

Lui, Iban Etxegorry, le jouisseur Gascon, lui qui croyait connaître le jeu séducteur de la femme mieux que bien des ternes mâles qu’il côtoyait au cours de ses périlleuses missions, lui qui s’était si souvent laissé prendre au jeu de la catin aux œillades grossières comme à celui, bien plus subtil, de la noble à la feinte innocence, venait de se faire berner par une femme qui, cela était maintenant flagrant, ne maîtrisait guère les cordes de cet arc perfide qu’est le simulacre amoureux de la séduction. La Saint Just, en avouant avec la sincérité d’un enfant espiègle pris en flagrant délit la ruse dont elle avait usé grâce à un malheureux quiproquo, était du même coup redevenue Gnia, ce chef de guerre déterminé et fier qu’il avait rencontré il y avait maintenant des années de cela. Qu’il s’était montré idiot ! Sa propre bêtise déclencha chez lui ce rire moqueur.


Les paradis trompeurs qu’elle avait évoqué chez Sonneur n’étaient donc sans doute suscités que par les quelques articles qu’elle était venue chercher chez l’apothicaire. Iban, client connu de cette maison, savait l’efficacité onirique et plaisante de certaines drogues dont Antoine avait le secret et ne se privait pas de faire commerce. Tout devenait fort limpide à présent. Une fois son calme retrouvé, le Basque, tout sourire, répondit à la Saint Just :


« Je comprends mieux à présent, Dame, la raison de votre présence chez Sonneur, et vous remercie pour votre gracieuse invitation. Mais, je me dois de la décliner : je ne voudrais point vous priver d’une part de vos précieux articles, et, de surcroît, je craindrai à présent de vous importuner. Cependant, avant que nous nous quittions, il me faut évoquer un de vos propos qui m’intrigue profondément. Je vous parle d’amour et vous voulez y mettre un prix, voila qui est fâcheux… »


Il resta un moment silencieux, observant avec un intérêt renouvelé les prunelles sombres de la Saint Just.


« Dénudée, en effet, la comtesse se donne comme la fille de joie, et l’enlacement amoureux semble un intrigant miroir de la chaîne macabre et dansante qui nous attend tous un jour. S’il fallait que les us et coutumes viennent perturber le commerce amoureux, celui-ci perdrait bien de son intérêt. L’étreinte est d’autant plus savoureuse, souvent, que le glaive des conventions pèse sur ses bras fébriles. La bergère dans les bras du prince, le berger dans ceux de la reine : nos contes n’ont-ils rien énoncé de plus fascinant… »

Ses paroles éveillèrent dans l’esprit du Basque les souvenirs encore intenses du temps où il était l’amant de la Baronne d’Arausio… ce temps béni qui avait duré jusqu’à ce qu’il plonge sa navaja de fer en son sein selon les souhaits de son commanditaire. L’expérience n’en avait pas moins été des plus enivrantes.

« Bien sur, cela nécessite que l’on outrepasse ces mêmes conventions… mais je puis vous garantir que les plaisirs que l’on goûte en les bafouant surpassent de bien loin la peine que l’on s’est donné pour se faire. Vous êtes d’une race aventureuse après tout… et le simulacre de séduction que vous avez su déployer tantôt révèle en vous une féminité fort intrigante. »

Suivit un silence ambigu.

Enfin, ne pouvant résister à la tentation de cette dernière témérité, le mercenaire posa ses lèvres sur celles de la comtesse en un baiser furtif, et s’en fut.


« Bonne nuitée, gente Agnès ! » la salua-t-il avec un sourire étrange, « Vous me voyez navré de n’avoir su susciter en vous autant d’intérêt que je vous en porte. Mais il faut savoir perdre. N’ayez nulle crainte quant à votre escorte jusqu’à Montauban, je saurai me montrer sage. »

Et, sans plus un mot, l'ombre rouge disparut bientôt dans la ténèbre, laissant seule à sa porte Agnès de Saint Just.

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Gnia
Au rire qui résonna dans la nuit en réponse à ses derniers mots, la Saint Just souleva un sourcil interrogateur. Elle n'avait pas souvenir d'avoir usé de quelque bon mot qui mérite telle réaction. Et surtout, ce n'était absolument pas là le genre de réaction à laquelle elle s'était attendue. Fallait-il y voir un bon ou mauvais signe ?

Sa mine se fit encore plus surprise lorsqu'il parla enfin, s'emberlificotant dans ses affirmations quant aux bienfaits des étreintes inavouables et interdites. Le front plissé, la comtesse écoutait, attentive, tâchant de conserver un air sérieux et se retenant à son tour d'éclater de rire tant elle n'avait nullement besoin de leçons quant aux répréhensibles amours. Elle en connaissait parfaitement le moindre frisson que provoquaient l'interdit et le danger qui en découlait. Mais c'était encore là une chose que le Basque n'avait nullement besoin de savoir.

Ce brusque revirement de situation lui semblait toutefois fort étrange. Sentiment qui s'intensifia lorsque le mercenaire lui vola un baiser et qui ne la quitta point, même lorsque son mantel écarlate eut été absorbé par la pénombre. La mine perplexe, Agnès resta un instant appuyé à la porte de bois, avec pour seuls témoins de ses questionnements quelques étoiles éparses dans le ciel sombre.

Ultime soupir et haussement d'épaule avant de se résoudre à afin faire tourner la clef dans la serrure. Et un murmure à elle-même, à l'instant où elle entrait chez elle.


Parler d'amour... Quelle idée saugrenue ! M'enfin, même l'amour a un prix...

L'huis se referma sur ces paroles offertes au vent. La comtesse avait d'envahissantes chimères à poursuivre pour les quelques heures de nuit qu'il restait et entendait bien consacrer toute son attention à cette onirique chasse à l'oubli.

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Iban
[Le lendemain]

Tarbes était désormais loin. La petite troupe de cavaliers avait chevauché bon train vers les frontières du Béarn et galopait à présent dans les vignobles de l’Armagnac. Les cieux leur avaient été jusque là favorables. Le soleil de cette fin d’août dardait ses rayons splendides sur les vignes d’un vert éclatant et les plaines dorées par les blés, qui frémissaient en cadence sous une brise légère. Aucun nuage ne venait blanchir l’azur admirable du ciel. Les voyageurs n’avaient croisé en chemin que peu de monde : une charrette remplie de foin, menée par un fermier jovial, quelques jacquets rythmant paisiblement de leurs cantiques leur marche vers les riches collines de Galice, des enfants turbulents se rendant aux champs ou à la pêche, poussant des cris de joie et frappant le sol poussiéreux de baguettes de bois, et un pendu de plusieurs jours tout putréfié, et becqueté de méchante façon par les corbeaux. Leur route s’était déroulée en silence, ponctuée seulement par l’aboiement d’un chien ou le jacassement d’oiseaux.

Depuis cette nuit étrange, Iban n’avait adressé la parole à la Comtesse que pour la conseiller sur l’itinéraire à suivre ou partager ses considérations sur le temps et la fréquentation de leur route. Le mercenaire, qui avait l’expérience de la traque pour en avoir été souvent l’objet, connaissait les signes des sentiers et les secrets des pistes, et se révélait un bon compagnon de voyage lorsqu’il était nécessaire de trouver un point d’eau ou quelque met à se mettre sous la dent. Du reste, le chemin se passait sans encombre, aussi la Comtesse ne désirait elle pas, malgré les scrupules du Basque trop méfiant, perdre du temps à brouiller les traces de leur passage. Les trois gardes de la Comtesse qui les accompagnaient semblaient peu rassuré de la présence du mercenaire. Sans doute la Saint Just leur avait elle demandé de garder un œil bien ouvert sur l’imprévisible Gascon. Ce dernier n’avait cependant eu encore aucune attitude anormale.


Si le temps était appréciable, voyageurs et chevaux, après des heures de chevauchée diligente, commençaient à ressentir le besoin d’un repos plus conséquent que les brefs arrêts qu’ils s’étaient accordés jusque là pour reprendre un peu de leurs forces. Non, loin de l’endroit où ils se trouvaient à présent, Iban avait repéré lors de sa descente jusqu’à Tarbes une bicoque de pierre vide dont les paysans se servaient pour surveiller leurs champs. Ils trouveraient là de quoi abreuver et nourrir les bêtes. Le Basque les y conduisit donc et la petite troupe fit halte.

« Ce voyage m’est fort agréable, Comtesse » s’exclama Iban lorsqu’il fut descendu de sa cavale, qui, sans attendre de directive de la part de son maître, s’en fut tout droit à l’abreuvoir, « Auch n’est plus loin désormais…Nous pouvons nous y arrêter pour la nuit mais met avis que nous devrions poursuivre et bivouaquer plus tard, nous gagnerions ainsi du temps. Je sais les routes incertaines dans cette contrée comme ailleurs, mais à cinq mains armées, nous devrions dissuader les larrons de s’en prendre à notre troupe. Qu’en pensez-vous ? »

Au moment même où Gnia allait répondre, le Basque remarqua que quelqu’un les épiait, recroquevillé derrière le mur de l'abris. Il tira derechef sa navaja de son fourreau et s’approcha à grand pas de l’indiscret, sans plus prêter attention à la réponse de la comtesse.

Là, appuyée sur une canne de mauvais bois, une petite vieille au visage plus ridé que l’écorce d’un vieux chêne, observait de ses petits yeux qu’on aurait pourtant dit éteints, les cinq voyageurs.


« Hola, l’ancienne ! » la héla Etxegorry, rassuré, en rangeant sa lame, « Semblons nous donc des bêtes venues d’un autre monde pour que tu nous regardes ainsi ? Va donc chercher du pain noir ou quelque fromage pour nourrir mes compagnons. »
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--Sorgina
La vieille ricana, dévoilant une bouche à demi édentée où seuls demeuraient de rares chicots gâtés.

Agur mutiko. Mias....Tout doux mon beau, tout doux.... Je n'suis point là pour vous nourrir mais pour vous parler... Dakienak, dakien adina esaten du

L'ancêtre releva la tête. Dans son visage parcheminé, tanné par les ans et les vents, ses yeux brillaient maintenant d'une lueur étrange tandis qu'elle promenait alternativement son regard du basque à la femme restée à quelque distance, avec le reste du groupe.

Que dis-tu de ça Etxegorry? Et toi Saint-Just? Allez-vous écouter la Sorgina?
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