[Vendredi 8 Novembre 1461]
Toulouse ces derniers temps avait un petit air angevin qui amenait le borgne à se souvenir de la belle époque où il arpentait le royaume, épée à la main, fournissant sa lame au plus offrant et profitant du bon temps avec ses camarades. Cette ambiance bien quil ne lavouait que rarement lui manquait mais cela ne lui faisait pas oublier pour autant la grande cause quil servait à présent
La vraie foi aristotélicienne, laristotélisme réformé.
Le cyclope pasteur passa tranquillement derrière son lutrin et attendit tranquillement que le calme sinstalle dans la bâtisse. Après quelques prêches dans ce même lieu il avait appris à patienter et profita de ce moment pour ouvrir à la page quil souhaitait le livre des vertus.
" AHEUM "
Quelques toussotements, des grincements de vieux bancs
Lattention était enfin là.
" Bien ! Le bonjour à vous mes chers coreligionnaires, amis et curieux
Une fois de plus, je ne peux que me montrer satisfait de voir que notre culte na toujours pas souffert de persécutions ou de sabotages, puisse le Très Haut nous accorder le fait que cela demeure ainsi. "
Un sourire (oui oui !) safficha sur la trogne balafrée du pasteur.
" Avant de rentrer dans le vif du sujet, jai quelques annonces à faire
Jai ouïe dire et je lavoue cela ne ma guère enchanté, quun prélat papiste était arrivé dans notre belle cité. Il est recommandé que nous autres huguenots nécoutions pas la messe papiste et je vous encourage à demeurer sur cette position
Espérons mes chers coreligionnaires que cet hérétique, suppôt du pape, ne propage pas lidolâtrie et lerreur en Toulouse
Continuons à propager le vrai message et la vraie foi et ne nous laissons jamais avoir par ces escrocs de Rome.
Sont Altesse Agnès de Saint-Just, femme de feu le roi Eusaias, que le Très Haut le bénisse mille fois pour avoir montré son séant au pseudo pape, cherche du personnel pour sa mesnie. Que ceux qui sont ou seraient intéressés par le fait de travailler pour une noble dame la contactent au plus tôt. Promis elle ne mord pas
Quoi que !
Autre sujet, mais non moins important, jaimerais si cela vous sied, féliciter le sieur Herian, habitué de ces lieux, pour ses fiançailles. Bien que sa compagne soi, de ce que jen sais, dans lerrance papiste, souhaitons à cette demoiselle, quimporte le temps que cela prendra, quelle rejoigne un jour les rangs solides et grossissants de la vraie foi aristotélicienne.
Enfin, je souhaiterais éclaircir un point car plusieurs fois ces dernières semaines, ce sujet est tombé lors de mes échanges avec quelques fidèles. Quil soit su de tous quà mes yeux, du moins mon il en loccurrence, le baptême nest en aucun cas obligatoire et que le fait de ne pas lêtre nempêche en rien le fidèle dentrer dans la communauté, se marier ou je ne sais quoi dautre encore. Libre à vous denvisager cela comme il vous conviendra, pour ma part, le baptême nest point obligatoire mais simplement recommandé comme pacte supplémentaire avec notre Créateur. Pacte qui viendra plus ou moins tôt ou tard selon le cheminement personnel de chaque croyant
Merci pour votre écoute, nous pouvons commencer
Accrochez vous, cest long. "
Le dAssay posa son index sur le bouquin posé devant lui et se racla un peu la gorge avant de commencer sa lecture.
Citation:" La Création, Chapitre I, " Lunivers " :
Au commencement, il ny avait que Dieu.
Il ny avait encore ni matière, ni énergie, ni mouvement. Il ny avait même pas le vide, comme celui qui aujourdhui sépare le monde des étoiles, car même le vide est quelque chose. Non, ce qui Le composait alors, cétait le Néant. Cela ne se définit pas comme labsence de toute chose car, lorsque lon dit de quelque chose quil est absent, nous avons conscience de la possibilité de son existence. Le Néant, cest lorsque même lidée de lexistence est impossible. Sauf pour Dieu.
Mais Dieu est supérieur à tout, y compris au Néant. Il na pas de commencement ni de fin. Il est donc lInfini et lEternel. Il est lÊtre Parfait, sur qui rien na de prise, rien ne peut agir, rien ne peut interférer. Il Lui suffit dune simple pensée pour que quelque chose passe du Néant à lExistence et dune autre simple pensée pour que cela retourne de lExistence au Néant. Tout Lui est donc possible et tout Lui doit donc son existence.
Dieu est la Matière Première à partir de laquelle tout est créé. La matière, lénergie, le mouvement et le temps sont eux-mêmes composés de Lui. Ceci fait que tout ce qui existe, ainsi que le Néant lui-même, fait partie de Lui. Il est aussi le Créateur de toute chose. Cest Lui qui crée tout ce qui existe et lui donne sa forme et son contenu. Il est enfin le Très Haut, car Il est la cause même de lexistence de toute chose, y compris du Néant.
De ce fait, Dieu sait tout, car le savoir même fait partie de Lui, est créé par Lui et trouve sa cause en Lui. On dit ainsi quIl est omniscient. De plus, Il est partout car, aussi loin que lon aille, on se trouve toujours en Lui. On le qualifie donc domniprésent. Enfin, Il peut agir partout car, étant partout et sachant tout, rien ne peut entraver Son action.
Dieu pensa et un point minuscule apparut. Ainsi, par la création de cet unique minuscule point, Il venait de faire disparaître le Néant. Dorénavant, Il serait composé de lExistence et du vide, mais plus du Néant. Il décida de nommer ce point minuscule univers et le fit exploser en une myriade détoiles, qui vinrent peupler le vide. Jamais plus, elles ne cessèrent de resplendir au firmament céleste.
Alors Dieu créa les deux mouvements : les choses lourdes iraient vers le bas et les choses légères vers le haut. Il créa également les quatre éléments. Le plus lourd était la terre. Puis venaient leau, le vent et le feu. Il les disposa dans lordre hiérarchique de leur pesanteur. La terre se trouvait donc au centre. Elle fut recouverte par leau, elle-même recouverte par lair. Enfin, le plus léger des éléments, le feu, vint couvrir le tout.
Cette boule de matière, Dieu la nomma Monde. Afin que mouvement se fasse, Il entreprit de défaire lordre hiérarchique des éléments. Il plaça le feu au centre de la terre et leau dans le ciel, au-dessus de lair. Les éléments bougeaient, alternant ordre et désordre, retournant systématiquement du désordre à lordre. Dieu se plaisait à voir comment Sa création se mouvait pour correspondre à lordre hiérarchique de leur pesanteur. "
Le borgne soupira et tourna délicatement une page de son gros bouquin.
" Mais cela mes amis, nétait que le commencement et il importe que nous passions au chapitre suivant pour que nous ayons une vision globale de la chose
"
Paf ! Exit la mouche qui lennuyait depuis le début de sa lecture
Le borgne fit comme si de rien était.
Citation:" Chapitre II, " La vie " :
Mais Dieu était parfait, alors que Sa création était imparfaite. Alors quIl était conscient de Lui-même, Sa création ne pensait pas. Alors quIl choisissait ce quIl faisait, Sa création ne faisait que sadapter. Alors quIl était capable de créer, Sa création ne faisait que se suffire à elle-même. Alors quil voulait aimer Sa création et être aimé delle en retour, elle en était incapable.
Dieu réunit alors lamour quIl avait en Lui. Il en fit lesprit, qui ne pouvait être ni touché, ni vu, ni senti, ni goûté, ni entendu, car il était différent de la matière. Lesprit contenait lintelligence, composée de la raison et des sentiments. Dieu y avait mis le plus de Lui-même: la capacité de choisir et celle de ressentir. Le Très Haut associa la matière à lesprit, pour que ce dernier puisse exister en harmonie avec le monde, et nomma le tout vie.
Mais la vie était imparfaite. Bien que créée par Dieu et composante de Lui, elle nétait pas Lui tout entier. Sa capacité de choisir était partielle, car son savoir et son pouvoir nétait pas illimités. Sa capacité de ressentir était tronquée, car elle était composée de matière, neutre et impersonnelle. Mais Dieu voulait aimer la vie et que la vie laime en retour.
Mais, pour que Dieu et la vie puissent saimer mutuellement, il fallait que cette dernière sefforce constamment de se rapprocher de la perfection divine. Car elle était incapable de légaler. Le Très Haut créa donc le troisième mouvement: les choses supérieures iraient vers Dieu. Ainsi, la matière dont la vie était composée étant une chose lourde, elle fut posée sur le monde, car elle allait vers le bas. Mais, comme elle était aussi composée desprit, qui était une chose supérieure, elle tendrait vers la perfection divine.
Et sur le monde, la vie prit une multitude de formes, des plus petites aux plus grandes. Les végétaux semplissaient de la lumière des étoiles, couvrant ainsi le monde dune couche de verdure. Les animaux gambadaient ou voletaient entre les végétaux. Ainsi, alors que Dieu semblait immobile, la vie se manifestait par un mouvement incessant. En effet, Dieu, étant éternel, nétait pas soumis à ce besoin perpétuel de mobilité qui faisait que la vie était sans cesse en activité. Il paraissait ainsi être immobile. Mais cest cette action ininterrompue que Dieu aimait par dessus tout observer dans Sa création.
Mais Dieu navait pas conçu le mouvement de la vie comme une force infinie et, pour quil se perpétue, il fallait que lanimal broute le végétal, que le prédateur dévore la proie, et que les cadavres danimaux pourrissent pour nourrir les végétaux. Ainsi, la mort faisait partie intégrante de la vie. Mais, pour que cela ne détruise pas Ses créatures, Dieu partagea chaque espèce en deux principes complémentaires, quil appela masculin et féminin. Tous deux étaient égaux et devaient se rechercher pour sunifier, et ainsi perpétuer la vie.
Ainsi, de la vie Dieu créa le temps, où la mort succède à la vie, la vie à la mort, et la progéniture à ses géniteurs. De même, leau rejoignait le ciel pour descendre sur terre et alimenter les rivières, et le feu sortait des volcans pour alimenter la terre, qui saccumulait pour nourrir le feu en son sein. Le monde tout entier était uni dans un mouvement perpétuel de vie, alors que Dieu paraissait immobile, échappant aux contraintes du temps. "
Cette fois-ci il referma sèchement le livre et dévisagea lassemblée.
" Certains se demandent peut être où je veux en venir après cette longue lecture
Jy viens ! Bien trop nombreux sont les gens qui tournent le dos au Très Haut voir pire ! Réfutent son existence ou son pouvoir ! Nest-ce pas crime mes chers amis de renier notre Créateur alors que par amour Il a tout créé ? Nest-ce pas ingrat de vénérer et remercier autre que Lui alors quIl est à la base de tout ? Je pense que si. "
Une petite pause, histoire de reprendre son calme.
" Mes frères et surs aristotéliciens, en dénonçant ces pécheurs ou ces égarés, je nappelle point à la haine ou à la persécution comme le feraient sans nul doute ces hérétiques de Rome
Non jamais au grand jamais
Deos jugera le moment venu et selon Sa vision des choses, selon Ses propres règles qui dépassent, que dis-je surpassent le commun des mortels. Je vous appelle à rester fermes et droits mes amis, gardez confiance en notre Seigneur, aimez le comme Il vous aime et noubliez jamais ce que nous Lui devons
Bien entendu certains me diront quIl nous a aussi donné le libre arbitre et la volonté, cela nempêche qu'il ne nous faut pas être ingrats ! Louons notre Créateur et gardons foi en Lui
Et pour ce qui est des égarés, il est de notre devoir, non pas de les pousser, mais de leur indiquer le chemin pour quils y cheminent aussi. Ne valent pas mieux que les mauvais et les païens, ceux qui ne se soucient que deux même et se fichent de voir leurs voisins sur le mauvais chemin et ou dans lerrance. "
A trop parler, le pasteur eut dun coup une grosse soif. Il tendit le bras et attrapa une petite fiasque quil déboucha avant dy boire au goulot. Ceci fait, il porta une fois de plus son regard sur lassemblée et attendit réactions ou questions avant de réciter le crédo.
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Adieu Fab'