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[RP] L'amour est enfant de Bourgogne

Aimbaud, incarné par Blanche_


***

J'ai FAAAAIIIIIM !

Les vitraux de Donges vibrèrent.

Qu'est-ce qu'on mange, en Bretagne ?
Moi je veux des crêêêpes !


Les sièges grincèrent.
De part et d'autre d'une grande table, les deux lurons s'assirent. L'une enfoncée dans son siège comme un pacha décadent, avec son petit menton boudeur renfermé dans le col. L'autre avachi sur la table, deux coudes aux antipodes, entamant un petit tam-tam impatient sur le bois. Sous le sable, et le sel séché, sous leurs vêtements fripés qui poquaient le cheval, leurs deux estomacs criaient d'être vides. Une jeune fille en fleur (et en jurons) et un blanc-bec en pleine croissance, ça carbure, voyez-vous. Jérémiades, piou-pious, grognements, mais diable ! Qu'on apporte la BOUFFE.

Le petit dej' c'est important pour bien grandir.


OooOOOoohh.... AaaAAAahh...

Les napperons se déroulèrent, les plateaux d'argent s'acheminèrent, les coupes s'emplirent, les crêpes se plièrent, les quatre-quarts se découpèrent, les bols éclaboussèrent, les fruits se tranchèrent, les compotes s'étalèrent, les deux amants se goinfrèrent, et nananère.

Gnmché goutu.
Vous crouvech ?
Pourgn 'gnchsûr.


Ils s'observèrent entre deux postillons de brioche et goulées de pommes pressées. Lumière du matin sur tableau de maître. Pas encore rassasié, mais déjà la première vague de faim bien enrayée, Aimbaud mâchonna plus lentement, les fossettes creusées, toisant la cible de son béguin. Elle s'empiffrait, encore plus puérile que lui, avec une effronterie ravissante. Jetant un coup d'oeil aux serviteurs postés près de la porte, puis à la confiture qui rougissait la lèvre de Blanche, il écarta sa gamelle pour se pencher sur la table, appuyé sur les coudes entre deux coupelles de chouquettes...

Embrassez-moi, voulez-vous ?

Voix-basse. Regard discret. Pour pas réveiller les crêpes.
_________________
Blanche_
Ordre ou supplication ?
Occupée à lécher d'un air entendu son index sali de rouge, elle le sortit de ses lèvres, et ne prit pas le temps de déglutir. Sa salive devint aussi sucrée que celle, étonnante et maladive des diabétiques boulimiques. Le reste cependant changeait beaucoup : ni graisse, ni bouche grosse et ronde. Juste une paire fendue de deux grosses pétales roses, élargies par le sucre, qu'elle effaça avec tendresse pour les rendre plus naturelles.
Elle posa le mouchoir tâché sur la table. Abandonné de ses mains, aux motifs blancs et gris, c'était Pannecé posé sur la table. Et l'hermine, qui sans pudeur, ou alors celle qui lui faisait limiter ses mouvements, grimpait un genou entre les assiettes.

Elle repoussa du coude les verres devant elle. Une pomme roula, chut au bout de la table comme au bord d'un précipice ; et les chiens, excités par le mouvement autour, eurent tôt fait de la croquer. Mais l'instant était si fort qu'ils stoppèrent leur course net, coupés dans leur élan, et couinèrent en reniflant le sol. Faute de croquer le fruit, ils restèrent là, à battre de leur queue de bâtard, sauf le petit cavalier qui dressait un nez intelligent en caressant le sol de ses longs poils roux. Il aboya, Blanche lui répondit en jetant dans sa direction un nouveau fruit, et il finit par se taire, subjugué, abasourdi, happé par la beauté d'une situation déconcertante.


Ordre ou supplication ?

Elle flétrit sa main sur le bois râpeux ; écrase ses genoux et ses jupons salés ; choque ses souliers l'un contre l'autre, avant qu'ils ne chutent au sol. Elle ruine ses bas en les peignant en rouge ; s alope sa robe au coulis de crêpe ; pervertit ses lèvres aux siennes.
Là, un baiser. Volé, offert, trahison à leur promesse. Là, un baiser.
Ordonné ou supplié ?
Elle démolit ses convictions, saccage ses valeurs, rabroue une éducation entière et de toutes nouvelles idées de religion. Aristote, au cul ! Blanche baise la bouche d'Aimbaud.
Un coup de pied au fauteuil la propulse entre ses bras.
Elle perd sa respiration à l'embrasser encore.

Là, une main d'homme écarte les plats derrière elle. Elle sent l'ombre d'une crêpe pré-disposée sur le bois, quand il l'allonge à même la table. Elle a faim.
Son ventre réclame, le sien semble faire de même. Dès lors, après que l'évidence s'impose, là, le moment parfait, entre les tranches de pain et les cris des nouvelles mouettes, avec cette odeur de cheval et sa peau qui gratte par le sel, elle se met à sourire.


Ordre, ou supplication ?
_________________
Aimbaud, incarné par Blanche_


Breton ou Bourguignon, les pouls battent à la même vitesse. Tambour, et souffles. Tintements d'argent quand les fourchettes dégringolent. Deux voix à l'unisson, se taisent et s'entremêlent. L'heure du grand chaos a sonné. Maître-amour sur une table perché, tenait en son sein de pauvres fous.
Il ne fallait qu'une étincelle pour faire péter la poudre sur le terrain de la raison. Détonation d'une rencontre. Le destin n'avait qu'à pas jouer au petit chimiste avec ces deux éléments instables. Le Métisse et la Pur-Sang, à mille lieues de distance l'un et l'autre ! C'était sans compter que lui, ferait la route...

    Je suis venu de loin.
    Je suis venu te voir.

    Sans peur de regarder
    Ce qui me fait pleurer...


Blanche cruelle, et Reyne. Ne sait-elle pas, que même quand d'un geste il la chavire au milieu des coupelles pour l'aborder maladroitement, il reste son asservit ? À la mort, disent ses dents qui lui dévorent le cou. À la viiie, dit sa bouche qui remonte au front de la sienne. À tout, à toi, à ta guise ! disent ses gestes tout feu tout flamme dans les sévices qu'il cause aux vêtements tachés de lait et de fruits, craquants de sable.
Dans le jargon commun, c'est de la dévotion.

    Et autant que je sache
    J'ai banni le pouvoir
    Que je pouvais sur toi

    Si encore je me cache, viens accompagne moi.
    Sans peur de t'y trouver... Je serai là pour toi.


Il n'est plus de pudeur qui la blesse. Pour rien au monde.
Il ne fuit plus, ton Aimbaud, vois. Bats, insulte-le. Non plutôt, laisse-lui te faire la paix.
Ils perdent l'équilibre dans une dégringolade, sur le tapis de leur émoi. On pourrait presque croire qu'ils se battent... Mais il n'est rien de plus amoureux. La tendre ronde de deux âmes en armes... en pleine parade de trêve.
Ils roulent et quelques attaches se dégrafent dans des souffles affolés. Les mains empressent perles et broderies.
Frappe ! Frappe, coeur.
Relevez-vous, païens.
Le tapis se froisse dans leur fuite. Ils s'échappent en se heurtant, en se retenant. Courant, trébuchant. Leurs têtes parfois, comme des museaux de chats, lutinent, se cherchent. Ils se happent à nouveau. Un éclat de rire langoureux résonne dans l'escalier en colimaçon quand le satin s'y couche en perdant la maîtrise de ses pas. L'on y perd des boutons de pourpoint ! Une manche y est retournée. Ils gravissent le reste, l'un marche à reculons pour ne pas quitter la bouche adverse, sa captive. Sous leurs pas, leurs gestes, les chandelles choient, les meubles se cognent, les portes presque, s'enfoncent ! Ils déboulent, ravageurs, presque déchirés dans leurs habits en pagaille, pour s'échouer au pied d'un couvre-lit. Aveugles à tout.

La vie, entre eux, palpite. Ne sentez-vous pas, ma foi, qu'il se passe en cet instant quelque chose de primordial ?

Une sorte de grande, et d'invisible... Détonation.
Croisement d'éléments instables.

    À parler comme ça
    À sentir tout de toi
    La mort nous fait le beau
    Sachant qu'elle n'aura
    Jamais mon dernier mot

    Je suis venu de loin.
    Je suis venu te voir...

_________________
Blanche_
L'escalier est de bois. C'est un ouvrage de pauvre noble, en colimaçon, emprunté d'ordinaire par les domestiques.
Mais il était proche de la grande salle, et bien plus discret, ne trahissant leur passage que par l'écho d'un rire étouffé, de soupirs langoureux, et la traîtresse résonance des planches qui craquent. Elle caresse le mur de son étoffe salée et tiède, à chaque fois qu'un tournant est pris, et que lui, Corbigny, la pousse contre les lambris bruts.
Rien n'est travaillé ; l'escalier est plat, irrégulier, aux marches même parfois de tailles différentes. Blanche les survole, happée qu'elle est par les bras étonnamment fort de son futur amant.
Lorsqu'ils arrivent en haut, le couloir sans fenêtre est agréablement sombre. On y voit une lumière filante, les menant vers la chambre principale. Et c'est, dans un rire, un pan de mur qui se dérobe pour les emmener, elle, lui, vers la chambre des seigneurs.
La pièce est bien plus riche que leurs derniers horizons. Elle trône en haut de la bâtisse, sous une partie de l'étage qui ne souffre à leurs oreilles aucun bruissement domestique au dessus. Deux grandes fenêtres avec du verre poli, si différent et si noble comparé au papier huilé des autres pièces ; celle-ci est plus chère, plus française.
Presque parisienne.
Il y a plein de meubles ramenés de Rohan, là où logeaient les parents de Blanche lorsqu'ils étaient ducs. Le lit en son centre, très symbolique ; avec à sa tête une licorne dardant sa corne vers le plafond, dans une ruade féérique.
Au pied du lit, c'est un renard. Un oeil adepte des contes nordiques en comprendra le sexe féminin, et la double signification ; puisqu'il est l'exacte réplique de celui de ses parents, et de sa soeur. A la différence du renard et de l'hermine rajoutés aux pieds, dans un bois blanc qui tranche d'avec l'ossature sombre.

Tout ça c'est symbolique. Tout ça c'est breton.
Elle mène par la main un sanglier dans son lit brun ; la robe de l'hermine caresse le bois blanc. Elle a chaud, mais c'est une sensation menteuse : ses joues son pâles à crever. Le choc de tout à l'heure, de la table au sol, a écarté et libéré ses cheveux de sa coiffe ; l'épingle est presque tombée. On y voit maintenant la perle, en larme, qui pendouille en tintant à une oreille unique. Et qui répond à la rangée triple, et blanche, dévoilée sous son corsage.
Cette seconde chute au pied du lit a complètement saccagé ses cheveux.
Ils sont bigrement longs, et cachent tout. On dirait une flopée d'algues exotiques, un peu ondulées, qui vient protéger un corail précieux.


- Embrassez-moi, voulez-vous ?

D'une main qui englobe ses cheveux fins, elle découvre sa gorge. Là, elle tire et rabroue les insolents, les rattache d'un noeud blond. Et dans la continuité de ce mouvement précis, la main revient à son visage d'homme, déterminée, pour y caresser les reliefs de l'âge, et les pommettes plus marquées.
La pulpe des doigts palpitant par l'angoisse...
Et l'envie.
Ce monstrueux désir qui déchire ses limites, la pousse à la trahison. Un geste, un autre, qui secoue tout leur décor. Tout à coup ce coeur qui ne savait plus battre, se met à cogner un tam-tam scandaleux. Le rythme pousse le long de son bras jusqu'à la main, jusqu'aux doigts, et se perd dans ses cheveux bruns. C'est ainsi, que d'une coiffe à une autre, d'une couronne à une autre, la main bretonne trace un trait d'union invisible.


- J'aime bien cette déclaration française, Corbigny, répond t'elle simplement, morte de trouille, quand une expansion territoriale a forcé le sanglier à la hisser avec lui sur le lit. Cette chaleur étouffante la pousse à dire des mots sans aucun sens.
Délire et folie, d'une envie en overdose. Qu'importe, les mots de la junkie n'ont plus la moindre importance...
Elle a chaud, si chaud, si chaud... Le sang palpite dans des endroits incroyables. C'est des fourmis qui survolent son corps et en prennent possession après qu'il y ait apposé une marque.


Il a du miel sur ses doigts, aussi dans sa voix. Blanche, elle est toute velours, entourée de perles qui tombent vers lui quand elle se penche et baise le son de sa bouche.
Il lui dit désir, plonge les mains sous le velours de sa robe ; elle répond crainte, angoisse et lointaine patience... Cédant en accordant un bout de terrain et en ajoutant la peau de son torse à ses propres conquêtes.
Impeccables images... Elle a la gorge plus blanche qu'il n'est possible d'imaginer. Et elle bat plus vite, aussi, de plus en plus vite, comme il est évident à cette peau tendue qui se soulève, et fait bomber son sein.
Blanc, tout est blanc, la chemise si fine qu'elle en est presque transparente est blanche aussi, tout comme les perles, tout comme le collier de dentelle et le galon précieux qui protège en dernier rempart la peau de Blanche des mains d'Aimbaud. C'est un bout de paradis blanc. C'est sa pureté prouvée à ses yeux.

Elle sait déjà ses mains. Le contour de son cou. Le cambré de ses reins qu'elle a maté en douce. Par coeur le dessin de sa nuque, dans sa tête l'image de son corps qui s'impose.
Lui découvre les codes, et les bons mots de passe... Elle guide ses doigts pour qu'ils passent les examens avec une lenteur scandaleuse. Plusieurs fois elle a arrêté le geste et fait durer l'instant dans un désir insupportable...
Encore un peu d'école...! et que tombent les cuirasses... Livrer les clés de ce corps pour qu'enfin les peaux s'embrassent... Oh !
Leur temps s'arrête, s'arrête... Chut !

Faites durer la grâce...


[Le ballet]
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Aimbaud, incarné par Blanche_


La belle marchande de suspens.
Elle l'arrête, apeurée. D'une main qui appuie sur la sienne. Petit coup de sabot, et ruade ! L'animal sauvage. Dans le satin qui fait leur bonheur, il n'entend rien de ses deux oreilles. Tout feu tout flamme, à cheval sur un désir tranchant qui — marionnettiste et lui, pantin — l'anime jusqu'à plus souffle.

C'est la première fois. Fébrile, hors de lui.
Tant aimant qu'il n'en peut mai. Elle le brûle, Blanche !... Elle l'endiable de toute sa poitrine, sous la fine-laine d'été qui s'élève comme un drapeau au sommet de leurs bras, s'échappant des poignets à la cime d'un oreiller, pour terminer jetée plus loin dans la pagaille, boule blanche et flétrie comme un pétale de marguerite qu'on aura baptisé "Un peu", "Beaucoup" ou "Passionnément"...

Elle l'agrippe. Cela veut dire doucement.
Il sait, mais il ne peut pas...! Tire les rênes d'un cheval fou, ça n'est pas dit que ça l'arrêtera. Tout juste maltraité par le mord il rechignera et s'emballera de plus belle. Mais les rênes insistent. Les mains posées sur son visage le contraignent, fraîches. Ralentis, idiot ! Veux-tu nous tuer tous deux de ta fureur ? Un courant d'air passe dans le charnier de leurs vêtements.
Accalmie dans les braises et leurs gestes suspendus à la tête du lit.
Il faut apprendre à non pas se ruer, mais à cheminer. À non pas se goinfrer, mais à déguster. Aimbaud ! On ne brise pas les jouets précieux en miette, ni ne les jette du haut des remparts pour vérifier s'ils flottent à la surface des douves ! Impatient ! Gaspilleur. Oh mais... Soit... Il courbe l'échine et obtempère pas après pas. Sent-elle bien entre deux respirations affamées, qu'il se fait violence pour mieux lui plaire ?

Tension suspendue. Haleines frémissantes.
Vient l'instant où l'on ne pense qu'à soi, tout environné par l'autre. Au coeur de la cible... Au plus cru de ce qu'ils sont, de ce qu'il est. Ce n'est plus un péché... C'est une vérité qu'ils prononcent de leurs corps, ainsi que les mains de la nature les ont modelé. Qu'elle soit nue, avec lui... La saison est propice à la cueillette de nouveaux idéaux, ils poussent partout aux branches des jeunes années. C'est ce qui se murmure en secret, sur l'humidité de leurs lèvres et dans leur chaleur qui s'entrelace. Tant qu'ils se croiront innocents, ils ne seront pas en faute... C'est écrit sur leurs peaux. Dans leurs peaux. Dans la seule chair qui fait eux deux.
À présent.

Le présent est bien bon.
Alors...

Ils se le partagent.

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Clemence.de.lepine
Ils ne l'ont pas vue, elle est invisible, elle l'est oui depuis qu'il est arrivé. Pensait-elle, Blanche, la Délicate, l'Hermine, pure et sans tâche, ô non, sans tâches aucune... pensait-elle, donc, qu'on ne les verrait pas ? Elle ne le pensait pas : le voulait-elle seulement ? Clémence pour Blanche était venue en Bretagne. Aimbaud pour Blanche l'y avait rejointe à son tour. Ce qui en soit était plus noble, bien plus noble, car il était venu quand on ne l'y attendait pas, seul et impudent, mais surtout seul ce qui ajoutait à la beauté, à la candeur de l'acte - non ? .

Tu m'as volé ma Bretonne quand j'étais là pour elle, avec elle. Tu me l'as volée comme à chaque fois. Ne crois-tu pas que je ne t'avais pas vu à Decize ?

Il était partout, et elle le jalousait, elle le détestait, car désormais, même pendant ses absences il serait toujours là, accroché aux souvenirs de Blanche, accroché à ses pensées, et tout au fond de son regard.

Et elle était donc là aussi, elle les avait vus s'en aller, agrippés l'un à l'autre, terriblement accordés, affreusement libérés. Vomir... vomir cette affection, vomir cette douleur, vomir cette injustice. Et puis, pleurer, un peu, quelques larmes, juste assez pour s'en brûler les yeux et les joues, juste assez pour s'en gercer les lèvres. A peine.

Etait-ce Blanche, l'égoïste, ou était-ce elle, qui à trop attendre et vouloir - désirer - de cette petite Bretonne s'en était cogné le coeur ? La déception lui étreignait les sens. Pouvait-elle garder assez de contenance pour ne pas ouvrir avec fracas la porte derrière laquelle ils s'étaient réfugiés, et crier au drame, à l'outrage, au sacrilège ? Elle serait Némésis, parce qu'elle se refusait à incarner Invidia, si laide et si primaire. Fléau, punition, au service de la Justice - ou de la Vengeance, son synonyme.


Si je suis Némésis… souffla-t-elle alors que la paume moite de sa main tremblante reposait contre le bois de la porte, si je suis Némésis alors tu es Hermès, voleur ! L’insulte cingla, sifflante, entre ses dents. Et si tu es Hermès, elle ne peut être qu’Aphrodite…

La tentation était forte, d’actionner la poignée, de pousser le battant, et de hurler à Blanche l’inconséquence de ses actes. La raisonner. La protéger. Lui dire que l’amour d’un homme ne dure pas… Mais…

Son front partit en avant et cogna contre la porte, un bruit sourd, étouffé par l’épaisseur du bois. C’était idiot, de vouloir intervenir. Clémence de l’Epine n’intervenait jamais aussi directement, elle préférait mûrir ses réflexions et s’efforcer de taire, comme d’habitude, son impulsivité latente. Et puis, elle avait peur de ce qu'elle pourrait voir, surprendre, la chétive pucelle.

Plus tard, alors… En attendant, allons vomir.

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Blanche_
Il y a bien un bruit derrière la porte.
Blanche y prête attention une seconde, redressant le nez puis le buste, avec cette sculpture de marbre qui se détache sous la couverture. Elle a les bras nus, la gorge naturelle, et l'émotion distincte d'une toute nouvelle et première fois.
Madame découvre l'amour.
L'acte, de ce qu'il avait de répugnant dégagé, la passionne comme un roman. Elle regarde Aimbaud, voit Lancelot ou Tristan, et l'assurance de cette félicité personnelle fait d'elle une femme ordinaire vivant un instant parfait.
Après quelques instants, à garder le corps au dehors des draps, alors qu'Aimbaud, le jeune Aimbaud frémissant et passionné est là, sous elle, et s'est redressé aussi pour guetter la porte, elle se met à pouffer de rire. C'est beau, la descente d'une vieille qui retourne à l'âge d'or. C'est beau. C'est tellement... Juste.

- Je crois... murmure t'elle en repoussant l'homme de deux mains autoritaires à ses épaules. ...que c'était Mathilde et qu'elle nous aura laissé un second petit déjeuner.

Défaite de ses peurs, dénudée, dévoilée, brute. A peine sa phrase est-elle finie qu'un accolement de leurs lèvres l'empêche de poursuivre. Pourtant, elle en avait des choses à dire !
Mais l'imposante déclaration de ces deux dialectes qui se trouvent et s'abandonnent, se cognent l'un à l'autre aboutit à l'évidente création d'un nouveau : des soupirs, des joies, des peaux qui tremblent et se collent, comme s'il eut fallu à un silence remplacé, la douce résonance d'un frottement donnant écho à leurs sens. Chaque mot vibre ; c'est eux qui parlent. Syllabes murmurés, abandonnées sur un oreiller.
Il faut vite inspirer pour en dire une nouvelle.
Les objets parlent aussi : le matelas n'a de cesse de grincer et de gémir, à ces lents ou violents coups qui le poussent contre le mur. Parfois un soupir le rejoint, souvent d'Elle, et prend une tonalité aiguë indescriptible.


Quand elle s'allonge près de lui, les reins en creux glissés contre les siens, elle a en mémoire l'empreinte de sa peau sur la sienne. C'est une chaleur douce, incroyable, qui fond ses résistances et la rendent guimauve et bête.
Elle prend sa main, veille à ce qu'il reste près d'elle. Ils se sont perdus cent fois dans les vapeurs et la colère. Ils se perdront encore, tout un tas de fois. Et ils se retrouveront. Elle en est certaine. Là, ici. Coincés entre un édredon et une couverture aux poils bruns. Emboîtés l'un dans l'autre.
Somnolant, grisés, au sommet de leur récréation.
Heureux.

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Aimbaud, incarné par Blanche_


Les mains s'entrelacent quand les corps se reposent. Peau contre peau, respiration contre peau... Aimbaud ne bougera plus à moins d'un tremblement de terre. C'est la plus grande accalmie qui lui ait été donné de vivre. L'harmonie du silence et de la chaleur, de la lumière et de la femme tout contre lui. Nulle ombre sur le tableau. Plus une seule peine ou souffrance. Il lui semble que son âme est devenue immense, en ce petit matin...
Il y pense en enfouissant le front contre le cou de Blanche, fermant définitivement les paupières qui depuis un instant s'amenuisaient. Dans l'odeur d'elle et l'obscurité qu'elle lui procure, ses lèvres étouffées prononcent :


Je veux devenir breton.

Pas sûr qu'elle ait entendu. Lui, sa décision est prise. Bourgogne, France, adieu mes amies... Il ne remettra plus le pied ni le sabot sur les terres de Corbigny, il reniera la Reyne s'il le faut. Plus de vignes, plus de vallons giboyeux, plus d'étés secs, plus de terre sous ses pieds... du sable ! Adieu mon père. Le duc sera furieux, mais point trop étonné... L'aîné qu'il est n'a jamais été son favori dans la fratrie. Le plus douloureux sera de ne plus voir Yolanda, mais elle, grande à présent, n'a plus tant besoin de lui pour être heureuse... Adieu Cassian... Adieu Digoine...
Blanche.

Blanche, amour, les vaut tous. Sa seule patrie dorénavant. Sa contrée, sa justice, sa cause. Dès lors il ne brandira les armes pour aucune autre valeur. Elle. Point. Il commande la paix perpétuelle, et que l'instant qu'ils vivent dure toujours. S'il faut pour cela s'arracher de tout dans un monstrueux sacrifice, il le fera et avec le sourire.
Jeune, complètement irresponsable et un peu fêlé. Amoureux, surtout.

Une idée en catapultant une autre, comme des étincelles sous les cheveux bruns, le voilà qui se serre contre sa belle pour l'encercler dans un étau de bras. Le nez contre sa gorge... Quel pot de colle.


Épousez-moi. Épousez-moi. Épousez moi... épousez-moi...!

Flash back narratif...
— Je veux la nouvelle cithare-hero.
— Fils. Trêve de caprices.
— La cithare-hero. La cithare-hero. La cithare-hero... la cithare héro...!

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Blanche_
Ouvrir les yeux sur cette explosion soudain. Ils ont fauté, ils retournent en enfance. Loin d'eux l'Enfer pourtant promis, Blanche n'a de chaleur en elle que celle qu'Aimbaud lui a offerte ; elle se sent bien, désirable, désirée, et absolument entière. Tout contre lui, dans cette position qui lui était inconnue, elle semble avoir trouvé le dessein divin, et le destin qu'On avait voulu pour elle.
Si Dieu l'a gardée en vie toutes ces années, lui a épargné une mort prompte à la naissance, une autre au saccage de Rohan, encore après lorsqu'elle a voulu, Ophélia, gagner le marécage brumeux de Brocéliande et s'y enfoncer, tous ces efforts ne menaient qu'à cet instant précis. L'accession à son trône de chair, ainsi posée, nue entre des draps tièdes, respirant l'odeur de l'amour et la sienne. Elle est couronnée par ses cheveux éparses, et porte en collier son bras d'homme entouré autour d'elle.
Aurait-elle pu rêver meilleur sacre ?

Le sentir respirer contre sa peau. Profiter de chaque instant.
Son ventre qui n'a plus connu de possesseur depuis des mois la tire un peu ; elle y sent son passage, et cette chose aussi, si étonnante et grisante, dont l'odeur rosée grimpe à ses narines en contrat de propriétaire. C'est inscrit en elle ; elle est à lui, à nul autre, et toutes ses tripes en rugissant et la faisant souffrir, gueulent qu'elles ne veulent plus que lui.


- Tu peux, si tu décides de te reconnaître breton. On ne naît pas breton, Aimbaud.
Elle roule sur le ventre, cogne son nez contre le sien doucement. C'est une manière comme un autre pour la domestiquée créature de témoigner à son unique maître sa respectueuse salutation. Et puis, là recroquevillée, à le regarder sans aucune pudeur, même à toucher du bout des doigts, pour la découverte, un torse presque adulte et fripé par les plis des draps.
Rouges traces des couvertures. Sa main s'y enfonce, glisse sous les pans blancs. Deviens audacieuse. Jusqu'à une douceur inattendue.


- L'appartenance à la Bretagne est une qualité facultative, que l'on peut parfaitement renier ou méconnaître. Je l'ai d'ailleurs longtemps fait.

Elle baise ses lèvres, se redresse brusquement, nappée d'un drap qu'elle arrache au lit.
Courbes cachées.
Ventre aussi.
Là-dessus, quelque chose a mal et tire. Muscles, sang, chair, brusqués dans leur virginité et leur pudeur de l'amour, toutes ces choses braillent un appétit inconnu.


- Je vais chercher quelque chose fait elle en ouvrant la porte.
Clémence.
Recroquevillée.
Sol. Ô ma Clémence !

-... à manger.

C'est pas moi j'ai rien fait, disent ses yeux en refermant la porte. Mais drapée comme une Reine de Sodome et Gomorrhe.
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Clemence.de.lepine
Le front posé sur les genoux enserrés par ses bras maigres, découverts, dénudés, blancs et frissonnants. Elle ne porte qu’une trop fine chemise, blanche elle aussi, et sur la longueur, à ses pieds, repose une levrette attentive dont les oreilles se dressent quand s’ouvre la porte. A ses côtés git une couronne, marquisale, ruine de ces courtes heures écoulées avec lenteur, offrant au tableau une touche solennelle quand le tout est si simple et si pur. L’icône est virginale, les cheveux tombent et se perdent, farouchement désordonnés, mais c’est de l’or qui pudiquement vient couvrir les épaules chastes et nues de cette pucelle somnolente.

Car elle ne dort pas.

Elle relève la tête et ses yeux clignent une fois, deux fois, avant que Blanche ne lui apparaisse tout à fait.


Demat… Gwenn… articule-t-elle avec difficulté. Sa bouche est pâteuse, sa langue colle au palais, et cela la fait sourire, tandis que sa nuque se détend et vient cogner contre le mur, derrière. Elle ferme à nouveau les yeux et inspire. Elle ne sait plus vraiment comment finalement elle est arrivée ici mais elle a passé quelques moments paisibles et fascinants. On lui avait appris que cela calmait les colères, l’hystérie, et les douleurs.

Tu en avais laissé… dans ma chambre. Et je crois bien qu’il m’en reste dans les dents… Elle grimace et sourit à nouveau.

Puis elle se relève, en appui contre les pierres, froides mais qui ne lui font rien. Fiora la regarde, et Clémence la scrute en retour. Elle laisse un instant de silence et reprend :


Aléanore et moi, nous voulions être sûres que tu irais bien. Pour te… protéger. Pour être là si tu… criais. Qu’il ne te traite pas comme… l’autre bâtard à qui l'on a malheureusement donné la place de Dauphin.

La Marquise n’a pas l’air d’une Marquise, dans sa tenue et sa posture négligées, avec ces phrases incohérentes qu’elle ne finit pas, et ce regard fuyant et volatile qui ne se fixe pas. Mais elle rayonne, pourtant, car elle est là, elles sont là, et tout va bien. Enfin, elle s’arrête sur Blanche et ses yeux bleus lui sourient à leur tour, tendres et aimants comme ils ne l’ont jamais été. Les sourcils ne se froncent qu’à peine, quand elle remarque sa vesture – Blanche qui des siècles avant invente le saut du lit élégamment enveloppée d’un drap aisément attrapé, à l’american-movie.


Merci oui, j’ai vraiment très faim. Fait-elle alors en réponse à ces seuls mots qu’elle ait pu saisir lorsque la Bretonne sur le seuil est apparue.
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Aimbaud, incarné par Blanche_


Épousez-moi.

Seul, étalé comme une crêpe au froment au beau milieu du lit tout retourné, sans drap, Aimbaud de Josselinière regardait fixement le plafond du lit à baldaquin et semblait lui adresser un très sérieux discours. Un des avant-bras étendus de part et d'autre se releva avec une immense paresse, pour décrire un mouvement absorbé de la main. Le menton imberbe fut grattouillé. Puis le poing se ferma.

Non... Hm... Épousez-moi !

Le ton était plus enflammé. Le plafond resta de glace. La main continua de s'agiter dans l'air, tantôt décrivant des cercles charmeurs, tantôt se brandissant, parfois saisissant le crâne du Bourguignon dans un élan de colère. Soliloque d'un grand instant de solitude...

Épousez-moi... euh. Épousez-moi. S'il vous plaît...
S'il vous plaît, épousez-moi. Non...
Meeerde !
Voulez-vous m'épouser ? S'il vous plaît. On se marie.
Hé...! Un mariage ?...
Vous voulez, s'il vous plaît ? M'épouser. Épousez-moi. Épousez-moi ? S'il vous p... RAAAAH. Comment j'aurais dû le dire ?... PUTAIN.


Les poings frappèrent dans les édredons de plumes.
Aimbaud cessa de marmonner, l'oeil noir d'exaspération et d'incertitudes. Il bouda le plafond en enfouissant le visage dans son oreiller à elle pour y respirer à pleins poumons, avachi comme une grosse loque sur ce terrain de jeu de lin, de laine et de fourrures qui sentait elle tout entière. La trace de son séant même, était encore creusée dans le mou du matelas, il y abandonna la main.
Mais qu'est-ce qu'elle faisait ?

Pourquoi fallait-il qu'elle prenne autant de centaines de milli-secondes à n'être pas là, à portée de main ? Ne pouvait-elle pas rester, sage, bibelot, tranquillement là, deux minutes ? Deux siècles même plutôt, puisqu'il le commandait. C'était quoi ces velléités d'indépendance ? Non mais, elle avait cru à la journée de la femme ou quoi ?

Il se redressa soudainement sur les coudes, le cheveux en bataille, l'air tout à fait furieux. A-bu-sé.
Ça faisait au moins une minute cinquante-quatre là maintenant il en était certain, il avait égrainé les secondes en pianotant des doigts. Si elle croyait qu'il n'avait rien d'autre à faire qu'à l'attendre...! Il était un type très surchargé d'occupations, il lui ferait dire. Il n'était pas son petit caniche-wah-wah, qu'on abandonne des MINUTES entières, pour aller faire des choses dénuées d'intérêt, extrêmement LONGUES, dans une autre pièce du château. C'était QUOI ce comportement PUÉRILE et ÉGOÏSTE. ÇA COMMENÇAIT À LE TANNER GRAVE.

En bon gros parano qu'il était, Aimbaud de Josselinière sauta donc hors du lit et ramassa son caleçon de petite-laine bouffant (très d'époque), déterminé à l'enfiler à cloche-pied, jusqu'à la porte de la chambrée qu'il ouvrit avec fracas. L'élan qu'il s'apprêtait à prendre pour marcher en direction de sa belle, l'obligea à se stopper net en se tenant aux plinthes. On ne bouscule pas les dames.


Euh ?

Sitting dans le couloir ?
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Blanche_
Situation compliquée, voire désastreuse, à la vue de l’Épine avachie au sol comme une lopette à trois-mille balles. Blanche écarquille les yeux, sent un arrière goût d'opium lui vriller la langue, comme un fumet délicat provenant des lèvres de la pucelle de Nemours. Pouah.
Elle rehausse son manteau impérial, et puis plonge, miséricordieuse pour tirer Clémence vers le haut.


- La vache, grommelle t'elle en haussant le ton. T'es plus lourde que t'en as l'air, p utain.

On priera pour que la drogue ait troublé les capacités auditives de Nemours.

- Nan mais qu'est ce qui t'a pris de venir là ? C'est ma chambre d'accord. Ma... Chaaam-breeee.
Elle glisse une main sous l'épaule de la Marquise, avec Fiora qui piétine le sol en leur tournant autour. La seule entrée d'Aimbaud dans le couloir empêche la barbare d'envoyer bouler la misère poilue contre les lambris sombres.

- Ah ! Vous voila mon...


Chéri.
Amant.
Amour.
Plan cul de l'heure dernière ?
Tout un tas de statut dont aucun n'est bon ; ni utilisable devant Clémence. Aussi, la neutralité du "Cher" gardera Blanche loin d'une céphalée prompte à revenir.

... Cher. Clémence a... un peu forcé sur ma réserve personnelle d'Opium... Thérapeutique, l'opium.
Chuchote la junkie en forçant un sourire. Lentement elle guide la blonde loin de la chambre et de cette agréable odeur de... chair qui s'en dégage. Aucun doute sur ce qui s'est passé. Et s'il persiste cependant pour des esprits purs comme l'est celui de l'Epine, suffit de voir la mignardise emmitouflée dans son drap qui tortille des jambes. A y avoir glissé une petites souris qui courrait entre ses genoux. Ou quelque chose qui coule.

Effroyablement gênée, elle bénit l'arrivée d'une domestique qui aide la Marquise à tenir debout seule. Alors, tournant un visage brusquement moins impassible à son amant, car il l'est désormais, c'est le cas de le dire, elle lui tire une grimace déconfite et honteuse.
Bouuh la vilaine dro-guéée !

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Clemence.de.lepine
Quoi ? Quoi ? Qu’est ce que j’ai fait de mal ?

Etourdie, elle se laisse faire, elle tente tant bien que mal de comprendre ce qu’on lui reproche. Elle ouvre la bouche, lamentablement, sur une plainte muette tandis que son regard stupéfait vient se fixer dans celui de Blanche.


Mais… mais…


Mais je n’y suis pas entrée, dans TA chambre !

Vainement, elle s’essaye à une sortie, remue mollement les bras pour se dégager de l’étreinte de la Bretonne. Pourquoi étais-tu là, déjà ? Ah… pour la protéger, dis-tu ? Sérieusement… Dans ton état, tu ne pourrais pas même écraser une de ces minuscules araignées inoffensives, aussi immobile soit-elle, aussi morte pourrait-elle déjà l’être. La porte s’ouvre à nouveau, et de Blanche le regard fuse vers celui qui à son tour apparait.


AH ! Elle a envie de hurler mais les mots se bousculent au fond de son crâne. Elle veut lever un doigt triomphant et clamer « je le savais ! » mais elle ne fait que remuer l’index et seule son épaule parvient à tressaillir un peu. Au lieu de cela, elle se laisse mener docilement et part se réfugier dans les bras de cette domestique qu’on lui attribue sans rien lui demander. De là, elle les voit encore, tous les deux, à moitié nus, et un éclair de lucidité semble percer le brouillard opaque qui lui teintait jusque là les prunelles – à moitié nus ?!

Monsieur ! Vous étiez avec elle dans SA chambre ! Sa… Chaaam-breeee ! Elle singe, malgré elle, la réplique précédemment utilisée par la Blonde Hermine. Elle secoue la tête et, pendue au cou de la servante, quasiment nez contre nez sans que cela ne la gêne nullement, elle la regarde au fond des yeux en secouant la tête d’un air profondément navré.

Elle a recommencé… ?s’exclame-t-elle, son ton outré dix fois amplifié par l’opium qui lui embrouille encore le cerveau. Pourtant, je lui avais bien dit qu’il ne fallait pas… ah ça on ne pourra pas dire que c’est de ma faute ! Elle s’exclame et elle opine du chef, elle opine encore, attend l’assentiment de cette femme qui ne lui dira rien mais continue pourtant à la lorgner de très près, le regard plein d’espérance. Finalement elle s’arrête et lève les yeux au ciel. Franchement totalement dénués de toute cervelle, par ici. Grogne-t-elle pour elle-même.
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Aimbaud, incarné par Blanche_
Le scandale éclata dans chaque parcelle du château de Donges, des combles aux mansardes, au gré des cris suraigus que poussait Clémence de l'Épine tandis qu'on l'emmenait / la traînait / la retenait / la remorquait / l'empêchait de s'agripper aux meubles de style néo-gothique / lui refusait une petite dose en rab' d'opium prétendument thérapeutique / lui chantait une berceuse / l'attachait à son lit / lui souhaitait une mort prompte afin d'avoir enfin un peu de calme.

Rayez les mentions que vous jugerez inutiles.



Ce fut un grand ramdam de cris outrés et de paroles suppliantes, d'appels à Dieu et à la raison, d'exhortations théâtrales et de chuchotements hystériques, auxquels Blanche et Aimbaud répondaient en accompagnant le cortège, en perdant l'une son drap, l'autre son sang-froid. Nous passerons rapidement sur les "C'est à moi qu'vous parlez ? C'est à moi qu'vous parlez ?!" (avec un léger accent angloys) et les "Vous voyez bien que vous fatiguez Blanche !" ou les "C'est MOI qui la fatigue ? moi ? MOI ?" ou encore les "Mais faites la taire !" ou bien les "Vous n'aviez aucun droit de la séduire !" ou même les "Je ne l'ai pas séduite ! Espèce d'ignorante !" ou carrément les "Vous insinuez qu'elle s'est d'elle même laissée prendre dans vos filets ? Il faudrait être folle, pour ça !" ou pour terminer, les "Si vous n'étiez pas femme, et si... — où est mon fourreau ?... — Prenez garde, ma dame !" ou, un petit dernier pour la route, les "Jetez moi donc un gant, je vous le ferai manger !"...



Bref.



Cela ne prit fin que lorsqu'on referma la porte de l'Epine sur le passage d'une servante qui lui portait un bouillon de poule ainsi que des tisanes. Cure de soin pour les grands drogués. Noblesse décadente... Un dernier murmure étouffé par une gorgée de soupe, et l'épaisseur de la porte :




Il faudra bien qu'il t'épouse, maintenant !..



Assis parmi les marches de l'escalier en attendant patiemment que le silence retombe, Aimbaud se rongeait le bout des doigts dans l'agacement. Clémence de l'Épine... Ce sac d'os de marquise, la figurante "Meilleure copine à tout jamais jusqu'à la mort, juré craché sur la vie de mon journal intime !", bref l'emmerdeuse finie qui venait braquer son oeil indiscret par dessus la haie d'un jardin par trop intime... Notre amant énamouré sentait venir l'orage... Car il est déjà malaisé de se fermer les yeux sur sa culpabilité, quand on est pieux bien qu'incapable de résister... Mais comment les fermez quand une autre, elle, en ouvre un, furieux et très attentif ? Dame morale personnifiée ! Il soupira en remontant la crête de ses doigts sur son crâne. La voix blanche parla dans la coursive.



Je ne peux pas épouser Aimbaud, parce que je l'aime et que sa famille n'accepterait jamais.



Froid.



Blanche.



Les pas s'enchaînent sur les dalles en carreaux. Ocre. Noir. Ocre. Noir. Et le bras nu du garçon vient par derrière pour poser une main ferme sur le visage féminin, bavard et blême. Le souffle se coupe dans sa paume. Il la bâillonne d'un geste froid et passionnel ! Mais amoureux, ooooh, amoureux, si elle savait. Silence... Ah, le silence ! On entend bien assez d'inepties dans ce monde qui laisse pulluler les hérétiques et les faiseurs de ragots. Blanche, merveilleugnifiquorable Blanche, amour, aimée, lumière de sa vie, essence de ses nuits, poudre à canon de sa testostérone :



Arrêtez de dire des conneries.



Hé mais c'est qu'il deviendrait vulgaire, à force d'avoir de mauvaises fréquentations...

On fait la paix, et on oublie.

Quelques minutes plus tard dans les dédales de la demeure, après bouderie et réconciliation et un éclat de rire étouffé contre une peau.




N'empêche... Vous avez des amies vraiment, vraiment... Spéciales.



Le mariage... On y reviendrait. Au moment opportun, il saurait bien être assez têtu pour la faire céder. Et mettre tout cela en règle, pour le bien de leurs âmes...
Blanche_
Le mariage...
Il y était revenu.
Une fois.
Deux fois.
Un milliard de fois.
Et elle, sa douce elle, obstinée et têtue, n'avait de cesse de dire non, puis de taper du pied, non, non, Non ! Etait-il idiot qu'il ne comprenait pas ? Non, non, non ! Pas de mariage, pas d'erreur supplémentaire, les Josselinière nous tuerait, c'était non, c'était dit.
Le matin au petit déjeuner, alors qu'il tendait une main innocente et caressait son cou, un coude au goût de beurre salé s'en dégageait et répondait. "Non, mon cher, on ne s'épousera pas."
Le midi, en lisant un chevalier au Lion, un autre à la charette, elle tournait ses pages, et sans qu'il prononce le moindre mot, avant qu'il n'ouvre la bouche, elle déballait une armada de négations superbes.
"Non, n'y pensez pas." Et puis elle tournait sa page. S'il lui prenait l'envie d'ouvrir la bouche à nouveau, elle soupirait. "Je vous ai déjà dit". Et le Graal, et Excalibur, et elle retournait à la vraie vie.

Mais Aimbaud était un soldat ; il avait déjà fait quelques batailles, une espèce de guerre en somme, et débordait de subterfuges pour l'attaquer à ses instants de faiblesse. Gageons, que s'il n'avait écorché ses lèvres d'une réponse moins fragile une nuit, il n'aurait plus essayé jamais de la convaincre... Mais Il avait voulu qu'un soir, une nuit, emplie de sommeil elle eût répondu avec moins de force. Presque, de la faiblesse.
"Nous verrons", chuchota-t'elle alors.
Il sauta sur l'occasion. Sursautant presque, tremblant complètement, la serrant entre ses paumes de soldat, ses muscles d'homme il la laissa dormir, mais le mal était fait. Ni de oui, mais pas de non, c'était tout sauf un abandon, c'était une capitulation.
La première pierre de la forteresse était tombée ; le reste viendrait avec le temps. Une pierre après l'autre, par l'endurance et l'effort, il trouvait moyen de transformer un non, en un peut-être, et un oui bientôt viendrait.

Ca n'était, somme toute, qu'une question de temps avant qu'elle ne rende les armes. Aimbaud le savait ; elle en avait conscience autant que lui. C'était les derniers efforts d'une créature prise au piège de son Créateur. Ca n'avait plus rien de romantique que cette ultime débandade, où la proie prisonnière perdait sa superbe dans l'angoisse et le sang. Adrénaline aux tempes. Sucs au ventre. Odeur, même, de l'échec dans la bouche, et cette idée persistante qu'elle avait trouvé son maître en la personne d'un petit garçon.
C'était gore comme toutes les victoires ; c'était moche et angoissant de conséquences.
L'ouverture du Paradis avait un horizon terriblement inquiétant.


- T'façon je m'en fous, je vous préviens, ça va pas marcher, c'est couru d'avance.

C'est Clémence qui l'a dit.
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