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[RP] Puisqu'elle a promis...

Roman.
Quelques heures s'étaient écoulées depuis la grande cavalcade qui avait ému toute la ville (en bien comme en mal, selon si l'opinion tendait à compatir plutôt vers les chevaux ou plutôt vers le maquignon). Roman et Fanette avaient repris leur route, l'Italien juché sur Brume qu'il avait finalement conservée, Fanette oscillant timidement sur sa nouvelle monture, qu'elle n'avait pas encore nommée. Elle se débrouillait très honorablement, bien que Roman pût deviner sans difficulté la tension de son dos qui gardait ses muscles bandés afin d'assurer son équilibre. Il viendrait prochainement un temps où elle saurait se détendre pour se laisser aller plus instinctivement aux mouvements de la croupe et du dos du cheval.

Ils avaient rejoint l'ensemble du petit groupe : Gabriele, Tigist, Lili, Fallone, Aubépine - qu'il avait décidé de nommer Mina, à défaut d'avoir un prénom à lui donner, et Cassia. Le soir venu, chacun s'était installé autour du feu pour partager un repas, puis les marcheurs s'étaient couchés, chacun avec ses préoccupations. Roman, comme probablement son frère gabriele, s'inquiétait pour l'état de santé de leur père blessé, qui ne donnait guère de nouvelles. Il finit cependant par s'assoupir.

À l'aube, il se leva pour remplacer Gabriele dans son tour de garde. Installé sur un tronc d'arbre, l'oeil aux aguets pendant un bon moment, il finit par décider qu'il était temps de profiter du sommeil des autres pour répondre tranquillement à la lettre de Nannou. Il utilisa le côté rigide d'une de ses fontes en cuir pour poser le vélin, et il commença à écrire...


Citation:

Dame,

Nous n'avons, hélas, il est vrai, pas pu trouver le temps de discuter lors de notre brève étape commune, notre départ ayant été décidé rapidement. Votre lettre ne m'offusque pas, vous pouvez être directe avec moi. Cela me convient bien mieux que les mensonges, même ceux qu'on appelle mensonges de politesse. On sait ainsi à qui on a à faire.

Il est vrai que je n'ai pas bien rempli mon contrat en tant que garde du corps. Je ne suis pas à l'aise avec ce genre de métier, je m'y sens inutile lorqu'il s'agit de protéger simplement les jupons d'une dame alors qu'elle est déjà entourée de ses amis et que des hommes sont déjà autour d'elles prêts à tirer l'épée pour la défendre. Peut-être maniaient-ils l'épée moins bien que moi, mais ils étaient beaucoup plus proches d'elle que je ne pouvais l'être. Je ne me suis pas senti réellement à ma place : garde du corps n'est pas mon métier.

Ce qui me mène à répondre à votre question : je n'ai pas participé à des pillages avec ma famille ni avec leurs associés, non. Il m'est arrivé de brigander sur les routes, mais peu de fois. Cependant mon métier m'a déjà amené à tuer plusieurs fois. Votre amie le sait depuis le début de notre relation, je puis vous en assurer. Je ne souhaitais pas la laisser dans l'ignorance et dans la naïveté. Je ne me cache guère d'être un assassin. En revanche, il est de mon devoir et de ma sauvegarde de ne pas parler des contrats que j'effectue. Il n'est pas réellement gênant que les gens sachent quel métier j'exerce, mais il est impératif que l'on ne sache pas qui est responsable d'une mort : la vieillesse, la fatalité, le hasard, le malheur, ou moi.

Je suis au service d'une famille influente de mon pays natal. J'effectue des contrats liés à la politique en faveur de cette famille. Vous demandiez dans quelles circonstances j'avais tué : il s'agit bien sûr de discrétion et d'agissements en solitaire, ainsi que de dissimulation. Je ne juge pas nécessaire de vous expliquer mes méthodes.

J'aurais apprécié avoir le temps d'en discuter plus directement avec vous. Je compte sur votre compréhension pour brûler cette lettre une fois lue. Vous noterez qu'elle ne contient de toute façon aucun nom ni mention géographique, au cas où elle soit lue par quelqu'un à qui elle n'était pas destinée.

Sachez que mes courriers pourraient être interceptés, de même que les vôtres à destination de ma personne. Soyez consciente que dans mon métier, nous sommes parfois rivaux, et que si je suis un danger pour certains, je suis une cible pour ceux qui doivent ou souhaitent les protéger.

Recevez mes sincères amitiés.

R.


Le jeune homme se relut pour vérifier qu'il n'avait effectivement laissé aucune mention de lieux ou de personnes. Son discours était assez clair à son goût, et honnête. Il n'avait pas besoin de cacher son métier, et il avait décidé d'en informer Fanette dès le début de leur relation, pour qu'elle ne se voile pas la face et qu'elle sache avec qui elle avait décidé de partager sa route... et donc, pour le moment, sa vie.
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Lison_bruyere
Quelque part dans le Berry, le 26 mai 1465

Le périple normand était repoussé de quelques jours, ou quelques semaines, qui pouvait le dire ? Roman avait retrouvé son frère à Orléans, et les nouvelles familiales étaient suffisamment alarmantes pour que l'italien accepte de le suivre.
S'il était une étape dangereuse, ils y étaient. Cette nuit, ils avaient franchi les frontières du Berry en dépit de l'interdiction. L'aîné des Corleone était confiant. Ils ne s'attarderaient pas, et emprunteraient des sentiers sous le couvert des forêts, prenant soin de se tenir éloignés des cités ou des hameaux. Fanette les avait suivi de son plein gré en taisant ses craintes. Les souvenirs du voyage qu'elle avait fait l'année précédente lui étaient revenus en mémoire. Il s'était fallu quelques semaines pour qu'on lui fasse bien sentir qu'elle n'était pas assez affûtée, trop peu mordante et la belle aventure s'était transformée en cauchemar pour Bambi, ainsi que se plaisait à l'appeler le seul qui l'avait toujours acceptée telle qu'elle était.

Les montures avaient besoin de repos. Ils avaient chevauché une bonne partie de la nuit précédente, et ne s'étaient arrêtés que bien plus tard, après que le soleil ait passé le zénith. La jeune fille n'était guère habituée. En quittant Nevers, Roman l'avait tenu en selle devant lui, à présent, elle voyageait sur la jolie jument baie qu'il avait volé pour elle. Fanette en était ravie, mais son dos était moulu et il lui semblait toujours, en sautant à bas de Siena que ses jambes refuseraient de la porter. Elle l'avait débarrassé de sa selle, ôté le mors de sa bouche, puis l'avait emmené brouter le long du petit ru qui serpentait entre les arbres. La jument avait bu tout son saoul, entraînant Fanette à sa suite dans l'onde claire, tant qu'elle en avait trempé bottes et bas. Plus tard, sa bête attachée à une branche souple, elle était revenue bavarder avec Fallone et Cassia. L'une après l'autre lui avait posé une question qui n'avait pas manqué de la mettre dans l'embarras. Quand elle s'était retrouvée seule, à faire sécher ses bottes auprès du feu, en cherchant le sommeil, son esprit avait suivi le cheminement de la bordelaise. Un sourire rêveur s'était emparé de ses lèvres, et ce n'était sans doute pas que la chaleur des flammes qui avaient fardé de rouge ses pommettes.

Le ciel lentement s'embrasait au dessus des arbres, en un crépuscule d'or et de sang quand elle avait rouvert les yeux. Chacun vaquait à quelque occupation, ou à un peu de repos encore, et le feu crépitait doucement, berçant un silence que nulles paroles ne venaient troubler. Les doigts dans ses cheveux redonnaient un semblant d'ordre à ses boucles dorés qui n'en connaissaient guère. Elle avait noué ses mains pour étirer ses bras au dessus de sa tête, chassant dans un bâillement les dernières brumes du sommeil. C'est là que Roman était arrivé, la besace pleine des simples qu'il venait de cueillir dans les bois alentours.
La jeune fille observait la haute silhouette aux épaules solides, se défaire de la bandoulière du sac de cuir. Le jeune homme avait ensuite lentement dégrafé son baudrier pour poser son épée au sol, et ôté le pourpoint de cuir bordé de fourrure. Le flammes dansantes illuminaient ses cheveux bruns de reflets châtains. Elle lui sourit quand il posa sur elle son regard de lichen, venant s'asseoir tout près après avoir effleuré ses lèvres d'un baiser.

Fanette se sentait plus à l'aise avec lui, même s'il l'intimidait encore parfois, mais le voyage les avait contraint à une proximité qui sans doute, rendait les choses plus évidentes. Elle se posa dans ses yeux pour y percevoir, au delà de l'air déterminé qu'il affichait souvent, la douceur dont il savait faire montre avec elle. Elle ferma les paupières un instant, révélant à ses lèvres l'esquisse d'un sourire, avant de les rouvrir, gagnée par l'envie de lui faire partager le secret de son cœur. Je vous aime n'étaient pas des phrases qu'elle pouvait prononcer aisément tant il lui semblait que beaucoup en galvaudait le sens.

Cassia m'a posé une question ...

Elle le regarda, prête à rompre le silence, puis hésita à nouveau. Il n'était pas si simple de parler de sentiments quand ils prenaient d'autres teintes que celles de l'amitié.

Elle m'a demandé si j'étais amoureuse, finit-elle par lui dire.

Etonnamment, un fugace instant, les traits de l'homme marquèrent un peu de gêne, au lieu de son assurance coutumière.

En vérité Roman, je ne sais pas répondre à une telle question, je n'ai pas trop l'habitude.

Elle s'arma de courage pour poursuivre, n'osant affronter son regard.

J'ai répondu à Cassia que mon cœur s'emballait à chaque fois que vous me frôliez, et que, après cette merveilleuse soirée à Thouars, où vous m'avez troublée, je guettais impatiemment vos courriers que je prenais tant de plaisir à lire, et je languissais ce jour où vous reviendriez vers moi.

Elle releva doucement les yeux vers lui.

Elle a répondu que oui, que c'est bien de cela dont il s'agissait.

Roman avait sourit, de ce sourire si doux qui étirait à peine le coin de ses lèvres et ne révélait pas l'émail immaculé de ses dents. Il acquiesça d'un geste discret du menton et Fanette répondit à son tour, d'un sourire confiant, soulagée de s'être acquittée de cet aveu pudique
.
C'est un sentiment à la fois exquis et ... elle laissa sa phrase en suspens, le temps de trouver le mot le plus approprié ... intimidant.

Un silence venait de s'installer et la jeune fille ne savait plus guère comment le briser, mais ce fut Roman, qui d'une voix douce et posée continua.

Je comprends ce que vous voulez dire, pardonnez-moi si je ne réponds pas comme vous l'espériez. Je ne suis pas habitué à ce genre de phrases mais ... ça me fait plaisir de l'entendre.


Fanette baissa les yeux, presque confuse tout à coup, s'appliquant à fixer les brins d'herbe sur laquelle elle était assise et que sa main, nerveusement caressait.

Oh ! Non ! Je n'espère pas de réponse en particulier, je ne suis pas plus habituée à ce genre de choses, comment pourrais-je savoir ce que vous devriez dire en pareil cas ? Non .. c'était juste que ..je .. j'avais envie de vous le dire.

L'italien ne semblait plus savoir que répondre en effet, et la jeune fille était presque déstabilisée de le sentir troublé tant elle le connaissait déterminé et sûr de lui. Mais il eut une toute autre réponse, bien capable de dire les choses autrement qu'avec des mots. Lentement, sa main glissa sous son menton, la forçant à relever vers lui son minois embarrassé, et ses lèvres virent s'emparer de celle de la jeune fille, l'attirant un peu plus contre lui. Elle se plongea dans ce baiser, comme si plus rien autour n'existait, que la douceur de cette bouche mêlée à la sienne dans la tiédeur d'une étreinte. Et voilà qu'elle renouait à nouveau avec cette sensation, ce frisson né de cette main, posée fermement au creux de sa taille, et qui vertèbre après vertèbre, remontait le long de son échine.

Elle le laissa faire quand il l'emporta un peu plus loin, en dehors du halo des flammes alors que la nuit était irrémédiablement tombée. Mais là, dans l'obscurité du sous bois, abrité d'une couverture, Fanette cru que son cœur allait exploser, déchirant sa poitrine, fracturant ses côtes, tant il venait de s'affoler. Du bruissement des tissus, des lippes caressantes, d'un bras qui l'enveloppait quand l'autre doucement, pourrait laisser la main glisser le long de sa joue, à sa gorge claire, elle voulait tout prendre, tout connaître, se laisser aller enfin à la brûlure qu'elle sentait se répandre, de la surface de sa peau jusqu'au creux de son ventre.
Elle s'arracha pourtant à ses lèvres, effrayée d'un désir auquel elle n'avait jamais cédé. Les autres n'étaient pas loin, et il serait bientôt temps de reprendre la route. Ce n'était pas l'endroit, pas le moment, et elle avait tant de questions encore...
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Lison_bruyere
Cada pichot aucelo a son pichot coratge


Comté du Limousin et de la Marche, le 5 juin 1465

L'azur s'emparait du ciel dans son entier, refoulant sous l'horizon le mauve des dernières lueurs de l'aube. Les oiseaux, indifférents à la jeune fille qui courait à en perdre haleine sous le couvert des arbres, voletaient de branches en branches, couvrant son souffle de leurs notes flûtées. Elle avait remisé sa jupe à l'auberge, pour remettre ses frusques de voyage, celles que portent les hommes et qu'elle n'apprécie guère car elles dévoilent d'une manière bien trop évidente ce que ses amples jupes cachent. Elle avait beau courir, les paroles de l'abyssinienne résonnaient encore dans sa mémoire.

Il semblerait que nous soyons confrontés à un problème vous concernant ... Vous êtes faible ... et cela m'inquiète, car il nous faudra vous défendre s'il y a une complication et Roman se mettra en danger pour vous.

La lame de l'épée, pendue au baudrier de cuir qui lui ceignait les hanches, battait sa cuisse au rythme de sa course. A ses côtés, le dogue de son oncle avait allongé le trot. Les muscles secs roulaient sous le pelage ras, et les épaisses babines couvraient et découvraient les crocs blancs à chaque foulées.

Vous ne pouvez pas vous laissez aller à la faiblesse, aux sanglots, ou à ce que vous voulez, même si c'est difficile. Je le sais, mieux que quiconque.

Une seule fois Tigist avait eu l'occasion de voir le regard de Fanette se voiler de larmes retenues, et c'était précisément pour ce qu'elle lui avait dit. Elle avait bien eu d'autres raisons de pleurer, mais si l’abyssinienne, son époux ou quiconque d'autre en avaient été la cause, elle avait su attendre d'être seule pour les laisser couler. Elle attendait toujours d'être seule.

Je n'envie vraiment pas cette place qui est la votre, la place de celle qui va devoir laisser de côté sa légèreté et son son innocence pour être toujours attentive, toujours à surveiller ses arrières.

Elle courait encore, refoulant dans les pleurs la colère qui lui nouait la gorge. Pourquoi lui demander d'abandonner ce qu'elle était, cette part d'elle, insouciante et rêveuse, puisque c'était précisément ainsi qu'elle parvenait à échapper à la violence, aux peurs et aux souffrances. De son enfance, la jeune fille n'avait appris qu'à endurer les coups, à s'y soustraire, mais jamais à les rendre.

Soyez forte !

Elle s'efforçait de l'être, et c'était là sans doute la raison de sa colère, l'amer constat de son échec, et s'il en était besoin, les larmes qui inondaient ses joues suffisaient à le lui dire, la faisant rager plus encore. Elle obliqua soudainement sur sa gauche, dévalant une sente pour stopper sa course derrière un bouquet d'arbres qui rendait la berge invisible depuis le chemin en contre-haut.

Et bon sang, arrêtez de vous sentir fautive, de vous en vouloir, ou vous mourrez, pas à cause d'une lame, mais à cause de votre cœur qui n'aura de cesse de vous le rappeler.

Elle était tout aussi en colère contre cette femme à la peau d'ébène, car s'il fallait admettre une chose, aussi difficile soit-elle à entendre, elle n'avait pas tort. Elle ne la connaissait pas, mais elle avait sondé la profondeur de son âme aussi facilement que si elle était un livre ouvert.
Elle s'adossa au tronc épais d'un saule, les pommettes écarlates, le front perlé de sueur, légèrement penchée en avant, les mains sur ses genoux pour reprendre sa respiration. Le revers de manche passé fébrilement sur son visage venait d'effacer les sillons de sels que ses yeux rougis trahissaient encore. Et le chien haletant s'était jeté dans les eaux de la Naute.
L'abyssinienne lui avait démontré dans un conte, qu'à écouter ses peurs on ne fait que se précipiter plus sûrement au devant des dangers. Fanette s'en était défendue, elle n'était pas le petit singe de l'histoire.

Jamais une fois quand je n'étais pas seule je ne me suis dérobée. Si la peur m'a tenu le ventre, à chaque fois que mes compagnons de route ont eu à sortir leurs lames du fourreau, j'ai moi aussi sorti la mienne. Jamais une fois je ne les ai laissé affronter seuls les dangers.

La jeune fille venait de dégainer l'épée que lui avait offert son oncle. Les deux mains serrées sur son arme, elle se retourna pour frapper l'arbre qui l'instant d'avant lui servait d'appui.

Mais ça ne sert à rien, vous êtes faible quand il vous faudrait être forte !

C'était une arme d'estoc, courte, au talon large. La lame était allégée d'une cannelure qui se perdait dans son dernier tiers. La poignée, était gainée d'un cuir de chevreau, au grain fin, qui assurait une meilleure prise en main. Les quillons de la garde, sobres, étaient recourbés vers la lame et son pommeau était rond et lourd, pour en équilibrer le poids.
Elle frappa de toutes ses forces, à en ressentir le choc remonter le long de ses bras, jusqu'à ses épaules.

Imaginez que vous soyez pris à partie par des soldats, vous et Roman, que se passerait-il ? Il vous défendrait bien sûr, chacun de nous le fera s'il le peut, nous sommes désagréables et cyniques, mais nous sommes loyaux. Mais s'il y a trop de soldats, si Roman est blessé ? Vous ne pourrez l'aider, il mourra, et vous mourrez aussi. Voilà ce qui m'inquiète, je veux que Roman vive.

L'arme, plus légère que bien d'autres épées plus longues, l'était encore que trop peu pour Fanette, mais elle asséna un second coup à l'arbre, entamant à peine les profonds sillons de l'écorce. Et pourtant, le choc, comme précédemment remonta jusqu'à ses épaules.

Entraînez-vous, ne restera que la peur, et elle s'apprend aussi.

Un troisième coup succéda au précédent, puis un autre, et encore un autre, avec à chaque fois les mêmes effets. Parfois quelques lambeaux d'écorce chutaient au sol, et la jeune fille cherchait à nouveau le courage de soulever l'acier et de l'abattre encore, et encore, malgré la sueur qui coulait à ses tempes, ses mains qui se tétanisaient, et ses épaules douloureuses.

Vous avez souffert, j'ai souffert aussi, regardez-nous. Quand je me vois dans le reflet de l'eau, je ne vois pas la souffrance, je vois une femme qui est toujours là.

Quand je me vois dans le reflet de l'eau, je ne vois pas la souffrance, je vois mes espérances, lui avait répondu Fanette.

C'est bien la preuve que la souffrance n'est pas définitive, ni insurmontable, alors pourquoi la craindre ?

Et les coups d'estoc s’abattaient sur le tronc du saule, et à chaque coup, l'épée semblait plus lourde encore, et ses appuis moins solides.

Battez-vous contre un arbre, quand il saignera, vous saurez.


Et l'arbre ne saignait pas, et la jeune fille puisait dans sa rage pour trouver la force de soulever l'acier encore, alors que l'acharnement, la sueur ou les larmes brouillaient sa vue.
Roman n'avait que faire de sa force ou de son courage, il lui avait dit, il ne voulait que ses sourires et sa bonté. Si Gabriele Corléone n'appréciait pas la jeune vagabonde, c'est précisément pour ces mêmes raisons que Roman s'était attaché à elle. Et s'il se trompait, si Tigist avait raison... Si elle le mettait en danger...

A moins d'une lieue de là, par delà les remparts de la cité, le clocher sonnait tierce, et Fanette ne savait plus rien de tout cela. Elle ne pensait plus à présent, elle ahanait, et ses muscles tendus, douloureux répétaient inlassablement les mêmes gestes, pour faire saigner l'arbre.


Dialogue amplement tiré d'un RP en taverne avec jd Tigist - Merci à elle de ce moment sans aucun doute plus agréable pour la joueuse que pour la petite Fanette
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Nannou
[ Loin de là, à Nevers]

Abasourdie était restée Nannou! Les révélations de Roman l'avait laissée sans voix (sans plume plus exactement) durant plusieurs jours.
Elle avait préféré ne pas réagir sur l'instant car son instinct semblait ne pas s'être trompé sur les sentiments de la jeune fille pour le Corléone. Elle savait que toute réaction indignée n'aurait aucun effet hors celui d'éloigner Fanette d'elle.

Aussi elle avait réfléchit, et enfin trouvé l'argument, le seul qui fut valable finalement.




Messire Roman

Je ne vais pas perdre de temps à vous dire que tuer des gens, ce n’est pas bien, j’imagine que vous le savez déjà. Inutile aussi d’en appeler à la religion, mes propos ne seraient pas sincères car je n’y crois pas, du moins pas à la version officielle romaine, de plus j’imagine que bien d’autres plus légitimes ont dû essayer avant moi.

Et puis finalement, qu’est-ce qui me dérange ? Je ne représente aucune menace pour une quelconque famille influente italienne, ni d’un autre royaume, ni pour personne à moins de s’aventurer à goûter ma cuisine.

Bref, je ne suis en aucune façon concernée par vos activités, et je suis bien consciente que ce n’est pas demain que je changerai le monde. Alors finalement, en quoi votre métier m’importerait-il ?

La réponse est simple : Parce que vous semblez vous rapprocher d’une amie qui m’est chère. Quand je dis semblez… Il s’agit en fait d’une certitude, je le sais, je l’ai vu dans son regard, et les quelques nouvelles que j’ai eu depuis ne font que confirmer ce que j’ai deviné depuis un moment.

Si vous êtes autant attachée à elle qu’elle l’est a vous, alors vous vous devez de ne plus raisonner comme un être solitaire. Vous être deux Roman, et désormais chacun porte une part de la responsabilité des actes de l’autre. Chaque fois que vous ôterez la vie, Fanette ne serait-ce que pour ne pas vous en avoir empêché, sera impliquée. Fanette, que je n’ai vu que vouloir faire le bien autour d’elle, se lancer sur les routes pour aider les autres… Comment l’imaginer soutenant un homme qui assassine ?
Sans compter le danger que vous lui faite courir. Car votre métier n’est pas sans danger, aussi doué que vous soyez, vous n'êtes pas à l’abri des aléas !

Messire Roman, reconvertissez-vous ! Vous avez d’autres dons à exploiter, j’en suis certaine ! Bon garde du corps ce n’est pas pour vous, je l’ai bien compris, mais vous trouverez bien un métier qui vous plaise. Par affection pour Fanette, considérez ma demande, je vous en conjure ! Si vous n'avez pas d'idée précise, vous pourriez envisager un bilan de compétences, cela se pratique il parait.

J’espère que votre voyage se passe bien à part ça. Je ne sais pas où vous vous trouvez, la dernière missive de Fanette date un peu et je n’y ai pas encore répondu. Dites-lui que je ne vais pas tarder à le faire.

Amicalement,
voyez combien je tiens à Fanette pour être votre amie malgré vos activités.

Nannou
Roman.
Les routes du Limousin faisaient en ce moment quelques détours pour les Corleone et affiliés qui cherchaient à atteindre Châteauroux... Châteauroux, où leur patriarche, et père de Roman et Gabriele, était retenu contre son gré à cause de graves blessures occasionnés par l'armée berrichonne. Les fils d'Amalio avaient pris la décision de venger leur père, mais cela entraînait dans leur sillage ceux qui les accompagnaient, donc la délicate Fanette.

Roman avait passé bien des crépuscules à tourner et retourner dans sa têtes les différents avenirs proches possibles... devait-il demander à Fanette de rester les attendre à l'abri, à Guéret ? C'était probablement la solution la plus raisonnable : elle y serait à l'écart des éventuels combats et ne serait pas impliquée en cas de procès. Mais il ne parvenait pas à envisager avec enthousiasme l'idée de la laisser seule sur place, sans protection, et surtout loin de lui. Non, décidément, il ne parviendrait pas à lui soumettre cette demande. Il fallait donc réfléchir au moyen le plus sûr d'emmener Fanette sans la mettre en danger.

Un peu avant de partir pour le Berry, ils en avaient discuté tous les deux et finalement, l'accord avait été conclu de la sorte : Fanette les accompagnerait, mais à bonne distance, de manière à être toujours à portée de vue et de voix de Roman, mais aussi à pouvoir nier accompagner les frères vengeurs.

Fort heureusement pour la conscience de Roman, tout s'était bien passé, et comme convenu, Fanette avait attendu dans la forêt, sous la bonne garde de Molosse, le retour des Corleone. Il avait tout de même été soulagé de la voir saine et sauve...


(Pas eu le temps de finir de rédiger, ce sera édité plus tard pour la suite, ou sur un post suivant)

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Lison_bruyere
Bourganeuf, le 13 juin 1465

Auberge du chêne de Chabrière,

Etendue sur le côté, un bras remonté, servant d'appui à sa joue, Fanette lui tournait le dos, le souffle régulier, les paupières closes sur le jour qui commençait à poindre doucement à travers les épais volets qu'une main masculine avait poussé au soir. Les murs de torchis et de bois préservaient la petite pièce de l'humidité des nuits limousines, et la chaleur des deux corps endormis l'un contre l'autre avait amplement suffit pour faire glisser au sol le drap qui les avait protégés au début de la nuit. La chemise légère laissait deviner le galbe d'un corps féminin encore inexploré. Pourtant, Fanette ne s'inquiétait plus de savoir si près cet homme qui s'appliquait patiemment à n'attendre d'elle que ce qu'elle était prête à donner. Un pas après l'autre, il la conduisait doucement à vaincre ses dernières résistances. Et il en était une dont elle se souciait encore. Parfois, il découvrait sa peau, d'une main tiède et caressante qu'elle l'autorisait à glisser sous l'étoffe d'un vêtement, mais la trouverait-il encore jolie quand elle se laisserait dénuder ?

- Tu ne voudrais pas voir mon dos,
lui avait-elle assuré quelques soirs plus tôt.
- Oh! Fanette, si tu savais à quel point je rêve de te voir sans tout ces tissus ! Lui avait-il répondu aussitôt.

Pourtant, ce matin là, si la fine toile de lin s'échancrait bien trop discrètement pour laisser apparaître les traces désordonnées qui couvraient ses omoplates, elle laissait entrevoir sans pudeur deux jambes asymétriques. La senestre était joliment dessinée, d'une délicate cheville, remontant sur un mollet rond et blanc, pour terminer par une cuisse fuselée et ferme, apanage sans doute de son jeune âge, autant que de ses habitudes quotidiennes de marche ou de course, mais la dextre était bien moins gracieuse. Le souvenir violacé d'un fer coiffait les malléoles et une vilaine marque, creusée dans le muscle d'un mollet, était soulignée d'une ligne boursouflée, de part et d'autre de laquelle on distinguait nettement la trace de sutures grossières.
La jeune fille ensommeillée flottait encore entre songes et conscience, et le sourire qui s'ébauchait sur ses lèvres trahissait la douceur de cet abandon. Trois jours qu'ils avaient laissé derrière eux une vengeance en Berry, et un clan soudé autour de l'aîné et dans lequel elle avait eu tant de mal à trouver sa place. Le temps était à nouveau aux projets, aux promesses et aux rêves.

- Ti voglio bene ... lui avait-elle glissé au soir précédent, fière et heureuse de le surprendre, par ces quelques mots si doux prononcés dans sa langue.

Lentement, elle avait glissé son bras dans son dos, aventuré sa main sur le matelas de laine, à la recherche de celle de l'italien. Et le contact tiède des doigts qui venaient de se nouer aux siens l'appelait doucement à sortir des limbes, diffusant dans ses veines la chaleur d'une étreinte promise, jusqu'à l'envahir en entier d'une lave brûlante. Elle laissa échapper un soupir, mêlant sans doute autant de désir que d'appréhension.
Au dehors, les oiseaux insouciants annonçaient déjà une belle journée, mais dans le clair-obscur de la petite chambre, Fanette, immobile, moite et tendue, s'efforçait de calmer le fracas soudain de son cœur de peur que le responsable de son émoi ne s'en aperçoive. Serait-il donc vraiment ce beau diable de la chanson de la Saint-Jean qu'il lui avait chanté un soir ? Celui dont le regard brillait d'un tel éclat qu'une jouvencelle avait accepté de le suivre jusqu'au brasier et avec lui, était entrée dans les flammes.
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Roman.
Tel un agneau était le diable dans son sommeil, lascivement étendu sur un drap de lin beige, son corps si bien tourné dévoilé par la chute de celui qui les avait couverts... Sa main s'était nouée à celle de Fanette lorsque celle-ci avait cherché son contact. Leurs doigts entremêlés partageaient peaux et battements de coeurs. Assoupi, les traits déliés, les muscles relâchés, l'Italien se montrait dans toute sa vraie beauté, son visage abandonné au sommeil à présent dénué du moindre rictus de moquerie ou de l'apparence de la dureté. Roman était, c'était certain, un homme dangereux : un assassin. Mais une douceur sensible, héritée de sa mère, restait vierge de toute la perversion de son sang Corleone, et l'on eût pu croire en le voyant ainsi offert qu'il n'était autre qu'un noble prince au coeur pur.

Le léger mouvement de Fanette le fit émerger du sommeil le temps de quelques secondes, durant lesquelles il se tourna de côté pour mieux se rapprocher d'elle et enlacer son corps contre le sien, torse contre dos, tibias contre mollets, un bras replié sous sa tête, l'autre s'installant à la taille de sa compagne pour mieux savourer sa présence. Il se rendormit ainsi, le nez enfoui dans la chevelure blonde, et nul n'aurait pu dire alors qu'il avait un homme à tuer à l'aube.

Quelques minutes passèrent encore avant que la lumineuse clarté du petit jour ne tire le jeune homme de son sommeil. Roman rouvrit les yeux et prit conscience de la proximité de leurs corps, du dos de Fanette moulé contre son abdomen, de la courbe subtile de ses seins qui effleurait à peine, et dans la plus parfaite innocence du sommeil, le dos de la main qu'il avait un peu plus tôt passée à sa taille. Un sentiment puissant de bonheur et d'envie submergea son coeur et ses sens, lui faisant prendre une plus forte inspiration tandis qu'il se repaissait de l'odeur d'elle....

À regrets, il quitta cette trop peu chaste position, écartant de la vierge jouvencelle le témoin trop visible à présent du désir qui le consumait à chacune de leurs nuits, et à vrai dire, à chacun de leurs jours. Il tourna le dos à la jeune fille, le temps de sortir entièrement du sommeil, puis se redressa lentement sur le lit, prenant soin de ne pas encore l'éveiller. Il se tourna vers elle et ses yeux s'arrêtèrent sur les jambes dénudées que la chainse de nuit ne cachait plus, relevée, impudique, sur les cuisses blanches. Les cicatrices, hideuses, balafraient la peau très pâle de la cheville au genou. Il resta silencieux et immobile, tandis qu'il analysait rapidement les marques dont l'origine pouvait se deviner... La colère remplaça le désir : ces marques étaient celles de la torture et des mauvais traitements médicaux. Quelle cruauté que d'avoir laissé des fers marquer si profondément une jeune chair ! Quel incapacité avait été celle du médecin qui avait fait ces sutures immondes !

Dans la pénombre de la pièce, tout juste éclairée par les rais de lumière matinale filtrant sous les volets de bois, l'assassin se leva, sans un bruit, et se prépara à tuer.

Et ce matin-là, tandis que Fanette dormait encore, il dut se faire violence pour ne pas torturer le pauvre bougre qu'il égorgea à l'arrière d'une écurie, comme le stipulait son contrat : cela devait ressembler à n'importe quelle bagarre entre un tire-laine et sa cible. Les doigts de la main droite serrés autour du manche de sa dague, la lame trancha net et vivement à la carotide tandis que son autre paume maintenait violemment le menton relevé de sa victime. Le pauvre hère s'effondra avec un gargouillis étouffé et trouva la mort dans une paix relative, l'assassin ayant parachevé son oeuvre en l'assommant, à la fois pour laisser de fausses traces de bagarre et pour abréger la terrible conscience de la mort prochaine et irrévocable. Ce n'était qu'un muletier de bas étage, un contrebandier qui profitait de ses voyages pour fournir en armes françaises la garnison privée d'un noble et riche propriétaire italien... un bourgeois que la famille florentine à laquelle était inféodé Roman souhaitait voir rapidement décliner.

Il essuya sa lame dans l'herbe puis déguerpit sans attendre, abandonnant là le cadavre encore chaud, tandis que les chevaux commençait à hennir et piaffer sous l'odeur écoeurante du sang qui allait bientôt les affoler. Il s'éloigna à grands pas et prit la direction de la rivière, où il lava son corps et son esprit du méfait cruel qu'il venait d'accomplir.

Et Fanette le retrouverait, alors, beau, propre et bien rasé, souriant, plein d'attentions et de douceur pour elle, alors que les mains qui la caressaient avaient ôté la vie d'un homme dans le village où ils se trouvaient encore...

Le beau diable que voilà...

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Lison_bruyere
Campagne poitevine, nuit du 20 au 21 juin 1465

Roman avait revendu sa grise, légèrement boiteuse, pour jeter son dévolu sur un bel animal à la robe presque noire et à la peau si fine qu'elle laissait apparaître le réseau veineux qui courait sous le poil ras et luisant. Ce cheval là avait du sang et piaffait impatiemment en attendant que Fanette se remette en selle sur sa jument. La lune décroissante éclairait faiblement les chemins qui longeaient les bocages. Les grands peupliers qui les clôturait accrochaient parfois des ombres inquiétantes sur la campagne endormie, alors la jeune fille pressait ses mollets contre les flancs de la douce Siena pour ne pas se faire distancer par la foulée longue et énergique du fougueux destrier de l'italien. Elle était plus à l'aise à présent, et pouvait même se laisser aller aux allures de sa monture, sans constamment se soucier de sa position, ni même de tenir la selle, l'âme bohémienne libre de divaguer sur la nuit qui les enveloppait, rêvant de voyages à venir ou d'étreintes lascives.

Mais ce soir là, elle se contentait de suivre, aux prises avec un silence un peu préoccupé, qu'elle tentait de dissimuler au mieux, d'un sourire qu'elle offrait au Corleone quand il se tournait vers elle.

Améthyne craignait qu'elles n'aient la lèpre.
- Tu demanderas à Roman, lui avait-elle conseillé. Fanette ne l'avait pas vraiment prise au sérieux. Elle n'était pas comme cette femme qui était venue s'asseoir auprès d'elle un soir, dans une taverne limougeaude, et Amy n'en avait touché aucune non plus. Elle s'était contentée de tenir dans ses mains un courrier qui aurait pu être envoyé par une probable lépreuse.
- Mais si ça se trouve, ça peut suffire, affirmait-elle, les miasmes se propagent dans l'air, donc pas besoin d'être en contact.
La jeune fille avait opposé à l'idée l'état de sa peau, lisse, souple et douce, mais là encore, la brune avait un argument. La maladie ne se déclarait pas tout de suite. A force d'en parler, d'échafauder toutes les hypothèses possibles, elle avait fini par ébranler l'assurance de Fanette. Alors, si elle avait raison ? Si elles avaient contracté la lèpre ? S'il n'existait vraiment aucun remède ? Elle ne voulait pas y penser, personne n'aime les lépreuses. Il faudrait pourtant qu'elle ose poser la question à Roman si elle voulait pouvoir rassurer Améthyne, ou, pour être toute à fait honnête, si elle voulait pouvoir se rassurer aussi.

Mais là n'était pas l'unique raison de son silence. Limoges était derrière eux et Fanette n'était pas très fière. Surtout quand son regard s'attardait sur le bracelet qu'elle portait au poignet. C'était un jonc de cuivre jaune, ciselé de motifs géométriques, dans lequel était serti un disque de corail, de moins d'un pouce de diamètre. Outre le pouvoir de protection bien connu de cette gemme, le bijou avait appartenu à sa mère, et Dalerand venait de lui en faire cadeau, quelques jours plus tôt.
Dalerand, cet oncle, impossible, joyeux, volubile et goguenard, mais qui la couvait affectueusement. Cet oncle sur lequel les blessures de la vie, même les plus terribles, semblaient n'avoir aucune prise. Celui qui pourtant, quelques jours plus tôt, s'était laissé allé un court instant à évoquer son chagrin en voyant disparaître sa jeune sœur, et l'attachement d'autant plus fort qu'il avait pour elle qui en était la fille. Et le cœur de Fanette s'était ému, peut-être parce qu'elle s'était crue longtemps sans aucune famille et qu'il était bon de compter pour un proche. Sans doute aussi parce qu'elle n'avait guère l'habitude de voir son oncle révéler ainsi ses sentiments.

Et pourtant, elle s'était enfuie ... plus ou moins ... enfin plus que moins. La contrariété s'était glissée sur les traits de Roman, quand l'oncle avait imposé sa présence dans leur voyage. L'expression était furtive, et n'avait duré que le temps qu'elle la saisisse, mais elle s'en était trouvée démunie. Il lui était impossible d'écarter son oncle, elle l'aimait et prenait toujours plaisir à le revoir, mais elle entendait aussi les inquiétudes de Roman, quand il voudrait enrouler son bras autour de sa taille, ou mêler sa bouche à la sienne. Elle les partageait. C'est que Dalerand avait beau jouer de son charme ténébreux auprès des donzelles de toutes conditions, il semblait tenir à ce que Fanette conserve sa vertu, et l'italien au sourire enjôleur était une menace.

Alors, au dix-neuvième soir du mois de juin, sachant son oncle encore occupé à traiter quelques affaires, Roman et elle étaient discrètement sortis de la ville, par une poterne dissimulée dans la muraille, en tenant les chevaux en main. Fanette ne s'était jamais sentie aussi vivante. Son cœur battait à tout rompre quand elle s'était remise en selle, et un sourire rieur avait étiré ses lèvres jusqu'au matin, follement heureuse de suivre ce beau diable au regard de lichen qui l'avait étourdie un soir d'avril.

Ce n'est qu'au lendemain qu'un oiseau poussif était venu se poser au devant des chevaux. Et quand elle avait reconnu le vieux pigeon, son insouciance s'était un peu ternie. L'oncle s'était mis en route, Molosse, truffe au sol, prenant parfois le vent, suivait leurs traces. Mieux valait se résoudre à l'attendre.
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Lison_bruyere
Poitiers, auberge de l'Alea Percha Ouest

Debout derrière le carreau d'une coquette chambre, Fanette regardait la dentelle de pierre de l'église en face. Elle en connaissait chaque détail, chaque statue blottie au fond des arches, chaque grimaçante gargouille. Elle aurait presque dessiné de mémoire les arabesques de l'arbre de Jessé ou la frise qui ornait le tympan. Sept longs jours durant, elle était restée là, barricadée craintivement, à n'avoir pour seule distraction que l'observation de Sancta Maria Major. Sept longs jours sans mettre le nez dehors, sauf cette fois où le bourgmestre, prévenu elle ne savait comment, l'avait emmené d'autorité chez cette grande femme au maintien un peu roide, qui avait recousu ses plaies, de ses doigts noircis par la forge, en maugréant qu'on ait tardé pour faire appel à elle. Elle avait promis une probable amputation. A avoir ainsi attendu, les humeurs malsaines se seraient sans doute répandues dans les chairs. Fanette regarda ses deux pieds qui dépassaient du tissu léger d'une belle teinte émeraude. Malgré sa frêle apparence, la jeune fille était sans doute plus solide qu'il n'y paraissait.

La claquement de la porte la tira subitement de ses pensées. Le sourire de remerciement arrivait bien bien trop tard. Lanie, maîtresse des lieux, venait de la laisser, après avoir savamment lacé le bustier, dont les ganses du ruban retombaient sur sa jupe. Elle chercha à apercevoir son reflet dans le carreau de la fenêtre. Elle languissait de se retrouver face à Roman. Elle guetterait la surprise sur ses traits, et peut-être aussi cet éclat un peu particulier qu'elle lisait parfois dans son regard. Elle voulait voir ses lèvres s'étirer quand il la découvrirait dans cette jolie robe, taillée dans un taffetas léger et cousue de fils d'or. Svan avait raison en la lui offrant, la teinte s'accordait à merveille à ses cheveux, qui hésitaient entre le doré et le roux. Les fleurs brodées remontaient le long du jupon, et le corset était finement ajouré en haut du décolleté, par une délicate dentelle qui laissait entrevoir la naissance de la poitrine. Fanette s'était efforcée de dégager sa nuque en rassemblant ses boucles indociles dans un chignon, tenu par le petit peigne d'ivoire. Les quelques mèches s'échappaient de part et d'autre de son visage, rappelant la sauvageonne qu'elle était, il n'y a pas si longtemps encore. Elle avait achevé sa coiffure en y piquant quelques fleurs fraîches, puis, avait refermé la porte pour rejoindre la salle commune. Elle ferait alors fi de ce terrible mois de novembre, qui se rappelait à elle à chaque retour dans la cité pictave, et elle se fabriquerait d'autre souvenirs.

Demain ou le jour suivant, son oncle les aurait rejoint, alors, en attendant, cette soirée n'appartenait qu'à eux, et elle entendait bien en profiter.
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Lison_bruyere
Un peu plus tard

L'Alea Percha Ouest résonnait encore de quelques voix. La cervoise et l'alcool de poire local avaient empli généreusement les chopes, et l'atmosphère, tamisée par les chandelles trop peu nombreuses, rendait l'endroit feutré et intimiste. Pourtant, c'est une Fanette toute apprêtée dans sa jolie robe aux couleurs du printemps qui suivait Roman dans les ruelles. Sa main droite relevait ses jupons pour éviter de les souiller sur le sol sablonneux, tandis que l'autre s'était glissée dans celle de l'italien. Un mince quartier de lune voilait la cité d'un pâle éclat diaphane et les hautes façades, accentuées par les étages en encorbellement rendaient chaque étroite venelle plus obscure encore. Le Corleone n'en avait cure. Il y a bien longtemps qu'il avait apprivoisé les ombres, jusqu'à parfois en devenir une, lui-même. Il marchait d'un pas assuré, ses doigts fermement serrés sur ceux de Fanette, s'amusant parfois à la pousser dans une encoignure de porte pour lui dérober un baiser, que la jeune fille, rieuse et confiante lui offrait sans s'offusquer.
Quelques instant plus tard, ils passaient la porte de la Tranchée, flanquée de ses deux tours rondes. On distinguait un chemin clair qui descendait en pente douce le long d'un petit vignoble, puis il obliquait sur la droite pour suivre le cours du Clain, dont les eaux noires reflétaient les myriades d'étoiles de cette douce nuit d'été. Mais un tumulte étouffé attisa leur curiosité. Un peu plus haut, en amont de la rivière, le ciel au dessus d'un petit escarpement, semblait s'être embrasé. Fanette glissa ses pas dans ceux de l'italien qui marchait déjà vers ce qui semblait être un immense brasier. Ils n'étaient plus qu'à quelques toises à présent, tandis que tambourins et violes jetaient dans la nuit leurs notes joyeuses, émaillées des rires des danseurs qui enroulaient une farandole autour des flammes.

Oh ! Roman, c'est la Saint Jean ! On la fête aussi chez toi ?

Fanette se souvenait des feux qu'on allumait dans les campagnes autour de la ferme des Messonier. Enfant, elle s'allongeait à plat ventre dans les tiges légères de folle avoine pour regarder les jeunes gens danser autour des flammes. Ainsi dissimulée, la tête posée dans ses deux mains, elle luttait souvent contre le sommeil, espérant veiller encore quand le feu perdrait de sa vigueur et que les plus hardis sauteraient au dessus, certains de s'attirer ainsi les bonnes grâces du destin. Les paysans venaient y chercher d'abondantes récoltes, les célibataires pensaient trouver l'amour, les couples espéraient s'aimer toute l'année, ou avoir des enfants ... La fillette était toujours déçue de voir les damoiselles lancer dans le feu les si belles guirlandes d'armoise qui ceignaient leurs têtes ou leurs tailles. Elle aussi rêvait un jour de danser autour des flammes et de porter dans ses boucles la couronne de fleurs d'un violet soutenu, mais elle ne serait pas si sotte, elle ne jetterait pas si jolie coiffure.

Ses ambitions de petite fille étaient loin, mais la main de Roman était toujours nouée à la sienne. Les noisettes posées sur leurs doigts enlacés, remontèrent le long du bras, survolant l'épaule pour retrouver un menton volontaire, deux lèvres charnues et un regard de lichen. Et en cet instant, elle réalisa qu'aussi loin que remonte ce rêve, elle allait ce soir le concrétiser. Un sourire étira ses lèvres, et l'expression doucement pensive de ses traits s'anima d'un éclat malicieux. Tant pis pour la guirlande d'armoise, mais elle danserait avec les autres, et qui sait ... peut-être sauterait-elle au dessus des flammes, pour peu qu'une main tienne toujours la sienne.
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Roman.
Ils allaient comme deux ombres vives, contours indistincts lorsque les corps s'emmêlaient un instant dans la pénombre d'un porche pour échanger quelques baisers ou chastes caresses... La taille délicate de la jeune fille se trouva un moment maintenue par les mains de l'Italien, qui d'une poussée tendre la bloquait encore le temps de quelques battements de coeur, dos à un mur, et l'embrassait sans plus cacher la passion qui faisait vivre son âme. Sous ses paumes, le tissu n'empêchait pas la subtile chaleur de la peau de Fanette de rejoindre celle de Roman, au creux de ses mains. Il la maintenait doucement, aimant, et fermement à la fois, comme pour être certain que l'oiselle ne s'envolerait pas à tire-d'ailes.

- Ma fleur du soir...


Et de ses doigts agile, il parcouru ses formes, ses hanches, son dos et le creux de ses reins, jusqu'à frôler la pudique naissance de ses fesses qu'il se retint d'aller caresser. Son désir pour elle était plus vivace que jamais, aiguillé par la douceur de cette soirée qui s'annonçait festive... La Saint Jean était gage de bien des amusements, de rêves et d'espoirs. Mais aussi, de jeux entre amants et amoureux...

Sur son torse se posaient, légères, les mains de la pucelle, effleurant le pourpoint de peau de daim qui couvrait sa chemise et soustrayait aux regards les formes discrètes de deux dagues fines, cachées dans un fourreau bien plat cousu sur le côté de sa poitrine. Il lui retira doucement les mains pour ne pas qu'elle ait le temps de sentir ses armes... Pour donner le change, il la ramena au milieu de la ruelle pour marcher dans le maigre clair de lune. Ils allaient d'un bon pas et Fanette bavardait gaiement, relançant la conversation dès que l'Italien ne trouvait plus les mots pour répondre dans sa langue. Du coin de l'oeil, parfois, il surveillait les coins des rues devant lesquelles ils passaient, juste au cas où....


- Chez moi, on fête San Giovanni, il y a souvent de grandes festivités à Rome. On fait griller des viandes et on danse très tard ! Les autres villes le font aussi, à leur échelle.

La fête de la Saint Jean avait débuté et déjà la musique et les voix se portaient aux oreilles des deux marcheurs, qui se hâtèrent de rejoindre les lieux des réjouissances.

- Regarde, ils ont déjà allumé le bûcher. Ils n'ont vraiment pas peur de mettre le feu à la prairie...

Dubitatif, Roman resta un instant à observer de loin, puis il entraîna Fanette dans la foule qui commençait à se rassembler là. La musique était plus forte et d'autres danseurs avaient déjà commencé à former une ronde qui entourait le bûcher naissant. Il saisit sa jeune compagne par la main et attrapa celle d'une inconnue à sa gauche, qui lui saisit la paume en lui adressant un regard joyeux.

- Viens, dansons ! dit-il à Fanette, et il emboîta le pas aux autres participants, embarquant sa dulcinée dans la première ronde de la soirée.
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Lison_bruyere
Dire que Fanette était souriante était encore en dessous de la vérité. Tout en elle respirait la joie de l'instant présent, ses lèvres gracieusement étirées, son regard pétillant, son pas claquant joyeusement, et même son rire, léger et insouciant. La prairie, le temps d'un soir, s'était muée en un allègre tumulte, où farandoles et rondes s'enroulaient et se déroulaient autour du brasier. Même le feu se mêlait à la fête. Ses escarbilles incandescentes fusaient à grand renfort de crépitement, comme pour rivaliser avec les musiciens, et ses flammes ondulaient vers les cieux, semblant suivre leurs notes. Une douce lumière orangée enveloppait les danseurs osant s'approcher au plus près, laissant le soin à la nuit d'envelopper les plus timorés, ou les plus amoureux.

La jeune fille dansait. Peu importait qu'elle ignore les pas. Pour suivre une farandole, il ne suffisait que de deux mains, pour tenir celles qui se présentaient à soi, d'un peu d'entrain, et la foulée, sans effort, sautillait en suivant la partition enjouée. Et la musique se répandait en elle, comme le sang dans ses artères, le tambourin était devenu le battement de son cœur, et il battait ce soir pour l'italien qui lui tenait la main. Son sourire lui appartenait, ses yeux n'avaient d'éclat que pour lui. Grisée par les danses qui se succédaient, Fanette ne faiblissait pas. Les fleurs brodées de ses jupons tournaient autour d'elle, dévoilant parfois une cheville, la couvrant aussitôt, et elle se moquait de laisser entrevoir ou non quelques parcelles de sa peau, puisqu'elle dansait avec le plus beau diable de la Saint Jean.

Et quand les musiciens abandonnèrent rondes et farandoles pour entamer une saltarelle, Fanette recula de quelques pas dans la pénombre en tirant sur la main de son cavalier, et se laissa choir dans l'herbe, haletante et heureuse. Elle se coula contre lui, laissant ses doigts parcourir sa joue, lui offrant ses lèvres qui d'une douce caresse se firent soudain plus audacieuses, mêlant sa bouche sans retenue, les sens échauffés par la fête, ou peut-être par le souvenir des mains tièdes qui, un peu plus tôt parcouraient le tissu de sa robe en éveillant un frisson léger sur sa peau.

Puis, les pommettes rosies par l'effort, ou par la passion du baiser qui venait de l'embraser, elle s'écarta doucement pour poser un regard émerveillé sur la saltarelle. Cette danse italienne était la préférée de Fanette, mais elle était sans doute bien trop difficile pour elle qui n'avait avant ce jour dansé qu'une seule fois.
Les couples enchaînaient les pas en sautillant, dans une cadence effrénée et joyeuse. Hommes et femmes se rapprochaient, leurs bras s'enlaçaient, dans un sens ou dans l'autre, avant de se séparer de nouveaux, d'un saut léger. Ils virevoltaient autour du feu, prenant soin de n'en laisser qu'un seul d'entre eux au plus près des flammes, qui tournait l'espace de quelques mesures, agile et gracieux, cédant ensuite sa place au suivant qui semblait vouloir rivaliser de prouesses dans la réalisation des pas et des figures. Puis, deux danseurs, bien plus intrépides que les précédents, tournoyèrent jusqu'aux flammes, et c'est à peine si la cavalière eut le temps de relever d'une main gracieuse ses jupons, qu'ils sautèrent au dessus du brasier, arrachant un cri admiratif à Fanette.

Elle se mit promptement à genoux, face à Roman, venant saisir ses mains en se penchant vers lui. Elle ne savait pas danser la saltarelle, c'était un fait avéré, mais elle savait courir et sauter. Alors, si d'autres passaient au dessus des flammes, elle voulait le faire aussi. Ses lippes effleurèrent la joue parfaitement rasée du Corléone, et vinrent murmurer à son oreille.
- Me feras-tu entrer dans les flammes mon beau diable de la saint Jean ?

Roman alors se leva, sourire vissé au coin des lèvres, vint cueillir un baiser et l'entraîna autour des flammes, tournoyant joyeusement au rythme des instruments, puis, guetta dans le regard de la pucelle son approbation, largement consentie par un sourire radieux. Alors, doigts fermement serrés sur la fine main blanche, c'est avec elle, et d'un bond au-dessus du brasier qu'il accéda à sa demande.

De l'autre côté, Fanette se perdit dans un rire, et tournait encore sur elle-même, surprise et joyeuse de ce qu'elle venait de faire, mais le Corleone lui, avait ancré ses pieds au sol et la couvait d'un regard brûlant. Les rires, la musique, la liesse de cette fête ne lui suffisaient plus, c'était d'une autre danse qu'il voulait jouir à présent. Quand elle se rapprocha, légère et virevoltante, tel un papillon accrochant son vol hasardeux à la lumière, d'un bras rapidement enrouler à sa taille, il l'attira à lui. Sa main libre enveloppait sa joue piquée de son, se glissa à sa nuque, et les lippes italiennes murmurèrent au creux de son oreille :
- Viens ...
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Lison_bruyere
Le Mans, le 2 septembre 1465

L'automne se disputait à l'été finissant. L'herbe reverdie par les pluies, s'étalait le long des chemins, au pied des remparts, et même sur les berges sablonneuses de la Sarthe. Les températures pourtant étaient encore bien douces, alors que ce jourd'hui, de lourds nuages gris s'étaient accrochés au bois de Pannetière, dissimulant dans leurs brumes la silhouette des arbres qui dominaient la cité. Fanette s'était pressée de rejoindre l'auberge avant que le ciel ne crève en une pluie drue et régulière.
La salle commune était encore déserte à cette heure. Elle prit place derrière un carreau, donnant sur une ruelle peu passante. Devant elle, le cabaretier vint poser une infusion fumante, embaumant les parfums chauds de la cannelle.
Ses doigts, comme à son habitude vinrent se nouer autour du gobelet de terre, et ses noisettes se posèrent, songeuses, sur l'anneau d'argent finement ciselé. Ces derniers jours avaient été à l'image des derniers mois, mais dans les joies qui succédaient aux chagrins, il y avait toujours Roman.

Les prunelles s'étaient accrochées au bijou, mais les souvenirs s'égaraient vers une autre taverne, dans une cité animée, ou au fil d'une rivière. Les neiges de l'hiver, peu à peu s'étaient évanouies dans le tourbillon du temps, entraînant avec elle l'âme vagabonde au fil des sentiers, des épreuves et des petits bonheurs. Mais depuis Limoges, cette première fois où il n'avait guère prêté attention à elle, il était devenu ce petit air envoûtant, resté en mémoire, sans même qu'elle en ait conscience.
Puis le hasard l'avait remis sur sa route, à Thouars, le temps d'une merveilleuse soirée de printemps, où il avait fait virevolter les dentelles d'une jolie robe orangée. Elle chérissait ce souvenir, le contact doux de ses lèvres à sa joue, et la main glissée à sa taille.

- Votre présence est comme la lumière d'une bougie dans la pénombre. Elle attire d'abord l’œil, puis l'esprit, et lorsqu'on s'en rapproche, elle capte l'élan du cœur.

Et l'élan de son cœur n'avait eu de cesse que de l'entraîner vers lui, quand bien même leurs routes s'éloignaient. Puisqu'il avait fallu attendre encore, l'impatience et les espérances, pudiquement évoquées s'étaient déliées dans l'encre, jusqu'à ce jour tant attendu où il était venu la chercher.
Rêveusement accoudée à la table, Fanette revivait chacune de leurs étapes, de la Bourgogne à l'Orléannais, du Berry en Limousin. Peut-être n'avaient-elles eu d'autres buts que de le laisser l'apprivoiser, lui, son bel italien qui disait être le Diable. Un sourire étira discrètement les lippes roses.

- Me feras-tu entrer dans les flammes mon beau Diable ?

Elle se souvenait parfaitement de cette phrase, une nuit de juin, à Poitiers, alors que violes, luths et tambourins couvraient les rires de notes allègres. Il avait accédé à sa requête, mais elle ignorait encore à quel point les flammes cachaient un brasier qui pourrait la consumer. Il avait tenu fermement sa main, et ils avaient sauté au-dessus du feu de la Saint-Jean. Et il brûlait encore quand Roman avait entraîné Fanette le long d'une berge discrètement abritée de bouquets de saules nains. La fête n'était plus qu'une clameur lointaine et étouffée, portée par les eaux du Clain, bien moins bruyante que le tumulte qui déferlait dans les artères de la jeune fille. Son cœur manquait un battement, à chaque fois que, lentement, il délaçait une passe de son corsage. Pourtant, elle l'avait laissé faire cette fois-ci, elle lui avait offert la clarté laiteuse de la lune sur sa peau claire, révélant jusqu'aux stigmates qu'elle aurait préféré cacher. Quand il avait fait tomber les vêtements qui le couvraient encore, dévoilant sans pudeur son désir pour elle, elle avait détourné les yeux, mais un index assuré sous son menton l'avait invité à les relever. Alors, ils s'étaient appris d'un regard caressant, avant de se frôler, de laisser bouches et mains se découvrir encore. Puis seulement, son cœur déjà acquis, il avait pris ses lèvres et son ventre, avec l'infinie douceur qui sied à la première fois, n'ignorant pas que la douleur s'emparerait des sens de la pucelle, bien avant de les abandonner au plaisir.

Elle l'avait suivi dans les flammes et depuis qu'elle était devenue sienne, tendresse et passion se disputaient leurs nuits autant que leurs jours. Pouvait-elle penser alors que de son Diable, elle allait entrevoir les ténèbres, jusqu'à brûler son âme. Les yeux distraitement perdus ne voyaient plus la bague. Sa main serrait toujours le gobelet de tisane dont les volutes parfumées embaumaient l'air autour d'elle, mais le sourire sur ses lippes rosées venait de s'estomper, troublant ses traits d'un voile de tristesse.

Quinze jours plus tôt à Vendôme, elle avait souillé ses mains du sang d'un homme. Elle avait vu la vie s'étioler dans les pupilles dilatées par l'effroi. Elle ne pouvait depuis oublier l'irrémédiable crime dont elle s'était rendue coupable. Elle ne parvenait à s'absoudre, mais ce qui l'effrayait plus encore, c'est que, pour l'amour de son diable, elle le commettrait de nouveau s'il lui était donné de revivre la même scène. Comme souvent lorsqu'elle était seule depuis ce maudit jour, une larme suspendue au coin de ses cils, roula le long de sa joue, la ramenant à la réalité de cette salle commune presque vide. Elle l'essuya discrètement, s'efforçant de remiser au fond de sa mémoire le terrible souvenir qu'était venu adoucir la dernière soirée qu'ils avaient passé à Montmirail, le jour précédent.

- J'ai pris la décision de cesser mes activités.

La phrase ne lui était pas adressée, mais pourtant, à peine prononcée, il avait tourné vers elle un regard tranquille, tandis que Melissandre et Léorique s'étaient astreints à une bienveillante distance.

- Voudrais-tu être à mes côtés pour toutes les années à venir ?

Déjà surprise par la révélation qu'il venait de confier à la Princesse, Fanette, trop émue, peinait à comprendre. Son cœur lui, avait saisi bien avant sa raison, bondissant dans sa poitrine et ses mains tremblantes s'étaient faites moites tandis qu'il passait à son doigt le fin anneau d'argent orné d'une délicate ciselure. A cet instant, la chape qui pesait sur ses épaules et broyait sa conscience venait de s'alléger, s'évanouissant dans le lichen du regard qui la couvait tendrement.


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Victoire.
[Jour J. Limoges, le 18 novembre 1465. Dix heures du matin.
Jour J. Joie ou jérémiades ?]


Pour une fois, Svan avait séché la milice. Elle s'y était inscrite mais n'avait pas participé. Les autres miliciens l'excuseraient certainement de par son état. Lucus, le meilleur ami de ... comment l'appeler ? du géniteur de la petite Tartine, était arrivé en ville la veille et ils s'étaient retrouvés en taverne. Il s'était montré comme à son habitude quand ils n'étaient que tous les deux, gentil, agréable, rieur et souriant, même prévenant avec elle et la petite fille qui grandissait dans son ventre. Elle en avait donc grandement profité et avait même dormi chez lui. Elle ne pouvait pas décemment continuer à dormir avec Fanette alors que Roman était revenu de son périple. Et pour une fois, ce ne sont pas deux petits pieds froids qui la réveillaient. Les yeux s'ouvraient sur le dos de son ami contre lequel elle avait dormi en boule toute la nuit. Au loin, tierce sonnait. Elle se glissa hors du lit et novembre laissait passer sous la porte son froid mordant.

Quitter ce lit, cette sécurité d'une nuit fut assez difficile. Parce que lorsqu'on est enceinte, on se trouve facilement vulnérable. Mais aussi très agressive. Et là, elle avait pu se radoucir, se laisser aller à ne pas être sur ses gardes et le laisser les protéger. Mais elle devait y aller car Fanette devait se marier. Ce qui sous-entend que Svan devait aller l'aider à se préparer. Elle avait encore le temps puisque le cérémonie n'aurait lieu que le soir mais elle devait récupérer sa robe et s'occuper un peu d'elle avant de retrouver son amie. Elle rapporterait aussi de quoi déjeuner pour remercier Lucus et ensuite, elle pourrait enfin aller au Hanap pour aider Fanette à se préparer. La préparation vestimentaire et la coiffure, ça irait tout seul. Mais le souci venait du futur marié. Il ne semblait pas vraiment ... enfin plus ... aussi ... comment dire ? aussi enclin à se marier. Avec Fanette ? Ou se marier tout court ? La jeune future mariée semblait inquiète parce qu'hier, il paraissait distant. Svan avait tenté de la rassurer en lui expliquant que tous les mariés étaient ainsi à quelques heures du grand saut dans l'inconnu. Mais comment pourrait-elle le savoir ? Ses frères s'étaient mariés avec joie, les danois sont des gens fidèles et trouver l'amour de sa vie était un événement qu'on se devait de fêter. Elle-même avait épousé Zilofus qui n'avait absolument pas semblé plus inquiet que cela le jour venu.

Oui, la journée allait s'avérer très longue.

Après avoir déposé de quoi manger chez Lucus ainsi qu'un mot de remerciements, le laissant dormir comme un bienheureux, la danoise alla chercher sa robe. Il n'était pas aisé d'en trouver une pour une seule journée et encore moins une pour laisser passer son ventre. Alors une qui lui plaisait, cela releva du miracle. Mais la robe vert foncé cousu de fils d'or qu'elle porterait ce soir était exactement celle qu'elle voulait. Elle coutait un peu cher mais elle avait envie de se sentir belle ce soir. Allez savoir pourquoi.

Puis elle se rendit au Hanap, sa robe sous le bras, le matériel pour coiffer Fanette sous l'autre et s'y posa en attendant que la nerveuse future mariée se décide enfin à sortir de son lit d'étoupe.

Lison_bruyere
Celui qui ose, qui s'expose
Que la passion envahit
Ouvre la fenêtre à la douleur aussi*


L'office des laudes avait succédé aux prières de vigiles sans que Fanette ne soit parvenue à fermer l’œil. Le matin s'était levé enfin, amenant un froid sec et un ciel étonnamment bleu. Elle avait attendu que les venelles s'emplissent à nouveau de vie et que le soleil entre pleinement dans la chambre pour finalement céder ses inquiétudes à quelque sommeil. Puis, les onze cloches de la cathédrale Saint-Etienne répondirent aux airains de Saint-Michel-des-lions, et les six coups de sexte réveillèrent la vagabonde assoupie.
L'italien avait déserté la chambre, depuis longtemps sans doute, et la danoise n'était pas encore arrivée. Alors, elle avait profité du début de l'après-midi pour se couler dans l'eau tiède d'un cuvier, parfumé d'une de ces essences que la princesse gardait à disposition de ses nobles invités. Si Fanette ne faisait pas partie de ces derniers, au moins bénéficiait-elle de la part de l'aubergiste, de semblables faveurs. Elle avait même pu délaisser le savon gallique au profit d'un savon d'Alep, que la Malemort faisait ramener de Syrie par des marchands vénitiens. Elle s'en était frotté peau et cheveux, se délectant de l'onctuosité de sa mousse comme du parfum si particulier de l'huile de laurier et d'olive.

None sonnait le glas de l'astre du jour, qui semblait vouloir accélérer sa chute vers l'horizon, pour embraser le ciel de ses teintes d'or et de mauve dès vêpres annoncées. Le temps égrenait cruellement son cours vers ce moment tant attendu, ou tant redouté. Fanette ne savait plus rien. Roman avait balayé trois semaines de silence et de questionnement d'une promesse qui avait empli le cœur de la jeune fille d'un nouvel espoir. Mais la veille, la distance du Corleone, et surtout la réponse qu'il avait faite à une question avaient de nouveau érodé sa confiance. Alors, elle tentait de se persuader de ce qui devait être sans doute la vérité. Il était simplement préoccupé et déçu des réactions pourtant attendues de sa famille. Elle ne doutait plus de son amour, ni de sa fidélité, et elle l'aimait tout autant, terriblement. Mais alors ?

Saurait-il s'affranchir des liens familiaux qui désapprouvaient plus ou moins explicitement cette union ? Saurait-il accepter que la part de ténèbres qui tenait son âme puisse un jour de nouveau faire vaciller celle qu'il appelait tendrement la lumière de sa vie ? Ne risquait-il pas, une fois encore et malgré sa promesse, de la laisser sur le bord du chemin, pour se sauver, ou la sauver elle ? Toutes les questions qu'elle tournait et retournait dans sa tête depuis la veille au soir avaient finalement repoussé la fébrile impatience qui devait être de mise à quelques heures de prendre époux, et quand Svan, au moment de la faire belle, avait surgi, les bras chargés, Fanette était persuadée qu'elle ne se mariait pas ce soir pour les bonnes raisons.

Elle était perdue. Depuis l'instant où elle avait laissé l'italien délacer son corsage, perdue pour l'honneur, mais gagnée de son amour, elle le croyait encore. Alors il n'était plus de questions à se poser, plus aucune hésitation à avoir. Mais si elle l'épousait précisément ce soir, c'est qu'elle préférait, s'il devait encore s'enfuir, être une épouse délaissée qu'une gourde qui se serait laissé engrosser par un séducteur patenté. Quoi qu'il advienne à présent, que l'avenir soit fait de larmes, ou de bonheur, son enfant ne serait pas un bâtard.

Elle tourna vers la brune un regard pailleté d'or, et cette précieuse présence raviva le sourire sur ses traits pâlis du manque de repos.

- Je veux être heureuse ce soir Svan, je veux faire mentir sa famille, mes amis, et même mon oncle.

Et l'amusement de la brune finit par la gagner, du moins à l'heure de se faire belle.

- Tu as du travail si tu veux faire d'une vagabonde une princesse !

Elle passa ses mains dans sa tignasse dorée qui, en séchant, bouclait plus encore, mais elle ne doutait pas.
A l'heure de se présenter devant le prêtre, son amie aurait lacé sa jolie robe de dentelle et de soie, elle aurait dompté la chevelure indocile, ajuster les rubans et même embellit sa coiffure du délicat bijou d'argent si finement ouvragé que portait sa mère au jour de son mariage.


* Urban trad

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