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Info:
Mort de Gaborn de Hennfield

[RP] Les Yeux Noirs d'un Ténébreux seront clos à jamais

Mariealice
[Sémur. Les retours ne seront donc jamais heureux....]

Il y avait longtemps désormais qu'elle savait que ce jour arriverait. Longtemps qu'elle s'attendait à ce qu'un homme portant livré des Hennfield se présenta à elle pour le lui annoncer. Depuis qu'il s'était refermé sur lui-même, avant même qu'il ne soit parti dans ce monastère sans même un mot d'au-revoir... Oui elle savait. Mais lire ces mots là sur un parchemin écrit par le Prieur du monastère n'en avait pas été moins difficile.

Sa Grasce Gaborn de Hennfield s'est éteint dans son sommeil cette nuit. Pour l'heure il est veillé par nos frères dans l'attente des souhaits de la famille.

Eteint... Veillé... Un de plus... Encore entre ces fichus murs qui, malgré sa foi, commençaient à lui donner une furieuse envie de vomir, de fuir, d'abattre, de détruire, de brûler. Pourquoi toujours en cet endroit... Pourquoi? Pourquoi ne pouvaient y entrer pour mieux en sortir, heureux de vivre, rassérénés, ayant envie de la retrouver? Qu'avait-elle donc fait de si grave, de si monstrueux pour que tous la fuient ainsi. Bien sûr qu'elle savait au fond d'elle que ce n'était pas sa faute, qu'elle n'y était pour rien mais toujours cette douleur revenait, ne lui laissant nul répit et guère le temps de souffler entre deux deuils. Elle avait perdu le compte des gens perdus, des pleurs versés, des heures à se demander pourquoi encore tenir.

Elle avait dû rédiger un courrier à son tour pour Gabrielle, fait de même pour Theodomir. Comment faire pour Soraya, où la joindre? La Lybie, patrie de leur mère était si loin, si grande...Coucher sur un vélin cette nouvelle ne l'avait rendue que plus tangible encore mais elle n'avait pas le choix. Puis Armoria. Sa soeur. Du moins c'était ainsi qu'ils se considéraient et la brune ne le savait que trop bien. Rien qu'à l'idée de ce qu'elle ressentirait si Enguerrand venait à rejoindre le Très Haut, le coeur de Marie se serrait à l'étouffer. Elle ne pouvait songer à cela sinon autant aller à son tour s'enfermer entre ces murs et n'en plus en sortir.

Une fois les missives rédigées et parties, elle vint se placer devant la croisée et observa le jardin noyé sous les feuilles mortes qui s'amoncelaient ça et là. L'automne, saison où la nature semblait faire son deuil du printemps et de l'été pour se préparer au long sommeil de l'hiver. Bientôt un autre reposerait au coeur de la terre, d'un sommeil éternel mais lui ne se réveillerait plus en ce monde. Les paupières du Ténébreux resteraient closes et plus jamais elle ne verrait les deux puits sans fond qui avaient parfois aspiré son âme.

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Armoria
Un vendredi soir, à Tonnerre :

Elle le savait. Elle s'y attendait. Ô combien cette fin était écrite. Combien de fois, par miracle, ils avaient réussi à la repousser. Et au bout du compte, une lettre. Quoi de plus banal qu'une lettre ? Combien dans sa vie en avait-elle reçu, envoyé ? Celle-ci lui donna dès les premiers mots l'impression qu'elle étouffait. Dès les premiers mots. Elle le savait. Elle s'y attendait.

L'écriture de Marie Alice.


Citation:


Votre Altesse,

La missive présente n'est hélas pas une de celles que j'aime à envoyer et, sans nul doute, pas une de celles que l'on aime à recevoir mais hélas, je n'ai guère le choix.


Elle avait violemment rejeté la missive sur la table, avec un geste qui aurait pu passer pour du dégoût aux yeux d'un observateur. Et la nausée était là, bel et bien. Elle avait fermé les yeux, croisant ses bras sur sa poitrine comme pour se bercer, ses lèvres esquissant un "non" qui demeurait bloqué au fond de sa gorge, de son coeur qui se gonflait, comme lesté d'un roc.

Non.

Pas lui.

Seigneur, pourquoi était-elle seule pour affronter ce monstre, cette lettre qui la blessait au plus profond de l'âme ? Et sa tête reprenait le refus, dans un geste esquissé. Une main tremblante se porta à ses lèvres ; l'autre parvint à reprendre le funeste message. Comme un écho, la voix de Gaborn l'y poussait, la poussait à ne pas reculer, à boire la coupe jusqu'à la lie. Sa voix tendrement grondeuse, sa voix qu'un amour fraternel si fort, oh mon Dieu ! si fort que parfois il s'était contraint à la blesser pour qu'elle ne se perde pas. La douleur finit par sortir, amère, sous forme d'une larme roulant sur une joue pâlie. La première. La plus déchirante. Qui serait suivie de combien d'autres ?


Citation:


Voici deux jours que j'ai reçu une lettre de la part de l'abbé du monastère dans lequel s'était retiré le Duc de Louhans. Il est décédé dans son sommeil et a rejoint son épouse.

J'ai pris sur moi d'annoncer la nouvelle à sa fille Gabrielle ainsi que de lui offrir mon soutien et mon aide pour toutes les formalités à accomplir. Je pense qu'elle est encore sous le choc... Nous serons d'ici peu à Sémur, après-demain pour être précis si tout va bien, je suis en compagnie d'Eusaias, de deux de ses hommes et de mon époux qui nous a rejoint en Bourgogne pour y vivre. J'essaierai alors de la trouver et de lui parler de vive voix.

J'aimerai dire que je ne m'y attendais pas et que son silence a depuis longtemps fait taire tout sentiment à son égard mais c'est faux... Oui je savais que cela finirait ainsi et les sentiments qui n'animent désormais sont la colère et le dépit. Je prie néanmoins pour lui...

Qu'Aristote veille sur Vous.

Marie Alice


Elle avait lu. Jusqu'au bout. Elle l'avait bue, la foutue coupe. La première, là aussi. Doux Christos, combien d'autres encore ? Elle avait lu, et devait à présent répondre. Soutenir, réconforter. C'était son rôle de tous temps. Soutien et réconfort. Sa main reposait sur un parchemin vierge. Pas la force. Vide. Au-delà de toute expression. Cette fois, le gouffre était trop profond, il n'y avait plus rien à y puiser... Rien que le froid, le froid minéral de cette pierre tombée sur son coeur. Elle ne pouvait tout simplement pas.

Citation:


J'arrive


Deux mots, une écriture tremblée. Une signature ? Elle ne s'en souvenait pas, quand, quelques instants après, elle monta à cheval.

Elle retardait, ordonnait dans sa détresse au temps de suspendre son cours. Repousser, refuser, nier. Mahefik... Elle devait le prévenir. Elle ne pouvait pas.

Appeler à elle ses souvenirs, le faire vivre encore un peu...

Une scène orageuse, dans sa salle de danse, à Arnay, le bruit mat, presque insignifiant, d'une claque sur une joue. Gaborn qui la bousculait, la poussait vers la vie. Un grenier, dans Chalon, des mots durs, de ceux qui jamais ne s'effacent, pour le faire réagir, et écarter de lui l'Ankou qui déjà se réjouissait de cette proie offerte. Deux détresses aveugles et sourdes l'une à l'autre, après la disparition de Persan, deux détresses qui enfin s'étaient trouvées comme deux naufragés ballottés dans les flots menaçants, et dont l'on ne sait qui sauve l'autre.

Gaborn. Gaborn qui jamais ne jugeait, Gaborn qui jamais ne manquait. L'un de ces rares frères que le destin miséricordieux lui avait offert.

Gaborn.

Mon Dieu, Gaborn.

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Vous pouvez utiliser mes lettres RP.Héraldique
Aleanore
Etait-il père, confident ? Etait-il bon, juste, et conciliant ? Etait-il .. Gaborn, Gaborn, pourquoi ce nom revient sans cesse dans l’esprit fragile de la jeune fille. Et les larmes voilent le regard noisette, de nouveau, la boule dans la gorge, la bouche entrouverte, elle aspire avec difficulté un air trop vicié. Du prie-dieu, elle se lève, pour s’écrouler plus encore sur le sol froid de sa chambre en proie à une crise de nerf plus intense que les autres. Jamais. La paix.. Le repos, est-ce si dur à obtenir ? Comme elle aimerait hurler, le désespoir, sa haine des murs glacés des monastères, comment peuvent-ils tuer ces lieux de recueillement.. Elle aimerait pouvoir crier à s’en casser la voix, à en perdre la raison, comme ceux qu’elle aime ont perdu la vie, mais en bas, en bas, sa mère est là, qui souffre elle aussi.

Haletante, la jeune fille s’appuie sur les bords de son lit et se redresse, revoyant en songe, l’annonce de la mort de cet homme qui avait aimé sa mère, qui l’avait fait sourire. Le sourire de sa mère.. Parlez à l’enfante des soieries les plus précieuses de Venise et Florence. Parlez lui des bibliothèques de Rome, toujours son cœur se tournera avec ferveur vers cette merveille qui illumine ses jours, le sourire de sa mère. D’aucun auraient préféré parlé du château de leur mère, ou même de la gloire de leur père, Aleanore leur préfère de loin, cet éphémère et rare moment de bonheur qui glisse, fugace sur le visage délicat de celle qui lui donnât la vie.

Et Gaborn les a quittées, et de nouveau, le sourire de sa mère s’envole à la manière des papillons qui avec l’hiver disparaissent. Sanglots éperdus mais silencieux, les ongles se referment sur les draps, cris étouffés dans un coussin. Pourquoi cette ronde funèbre ? Lentement la jeune fille se relève. Se diriger vers la fenêtre, observer comme ailleurs, cela ne la regarde plus vraiment. Une pensée pour Gabrielle. L’absence d’un père. Comme toujours, son esprit part à la recherche des mèches rousses du Gardon tandis que les doigts, eux préfèrent le souvenir tangible d’un père disparu. Sonner le cordon pour appeler Clarisse. Mante, fourrure, direction l’Eglise. Prier. Dans les rues de Sémur, l’Alterac Junior lève les yeux vers les cieux, plus de larmes.


-« Veillez sur lui.. Elle l’a aimé autant que Nous. »
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Armoria
Mais au bout du compte, on se rend compte qu'on est toujours tout seul au monde :

Quelle qu'avait été la force de sa volonté, le temps avait passé, les pas de son cheval l'avait rapprochée avec une inéluctable cruauté de l'instant où il faudrait parler à vive voix de cette mort, où en parler lui donnerait toute son ampleur. Se bercer de l'illusion que tout n'était qu'un mauvais rêve avait un confort malsain dont elle avait bien dû finir par sortir. Gagner du temps, encore un peu. Un tout petit peu, Seigneur, laissez-moi encore un tout petit peu de temps. Elle avait évité l'entrée de la ville qui l'aurait contrainte à passer devant le monastère. Comme dans les jeux d'enfants où, à se masquer les yeux, l'on pense que nul ne nous voit. Le silence était son rempart : le silence qu'il avait fallu briser en taverne, quand enfin, deux jours après son arrivée, elle s'y était rendue pour rejoindre Marie Alice. Toutes ses autres actions, celles qu'elle aurait dû faire, avaient été comme gelées, le temps comme arrêté, jusqu'à ce que les mots furent prononcés à voix haute.

Elle en était sortie pour écrire - enfin - à Mahefik.


Citation:


Messire Mahefik, le bonsoir,

Cette lettre, je l'ai remise plusieurs fois ces derniers jours, et ce soir encore, c'est d'une main tremblante que je me décide à l'écrire. Dieu sait que j'aurais préféré que le destin décide d'une autre nouvelle à vous annoncer, tout sauf celle qui à présent me fait verser de ces larmes qui vous déchirent jusques aux entrailles...

Tout mais pas cela.
Et voici qu'à ce point de mon courrier, vous savez déjà au fond de votre coeur ce que j'ai à vous dire... Gaborn, Gaborn, notre ami, Gaborn, notre frère, s'est éteint. Nous ne sommes point restés sans lutter contre cette sombre humeur qui peu à peu s'emparait de son coeur, lentement mais sûrement, devant nos yeux impuissants et notre âme qui le sentait et n'y trouvait nul remède.

Je porte près de ma dague de corsage cette boule de bois qu'il avait faite pour moi, et dont jamais ne me sépare, mais depuis vendredi soir, j'ai surtout une pierre en mon coeur. Une pierre lourde et froide. Une de plus. Une de trop, peut-être.

Que vos prières accompagnent l'âme de notre frère Gaborn, et que Dieu vous garde.

Armoria de Mortain


Elle soupira devant la lettre qu'elle venait de sceller, la donna au messager, et, sur le point de l'envoyer sur les routes, se ravisa et le fit encore attendre.

Citation:


A la Duchesse de Bourgogne,
A la noblesse de Bourgogne,
Au Conseil de Bourgogne,
Aux Toisonnés,

En ce funeste jour, il me revient hélas de vous faire part du trépas du Duc Gaborn de Hennfield, survenu en le monastère sis non loin de Sémur. Ses proches vous feront part des cérémonies prévues ; en attendant, daignez prier pour cette âme, noble entre toutes, qui ne saurait se diriger nulle part ailleurs qu'au Paradis solaire.

Armoria de Mortain


Cette fois, le messager partit. Quant à elle, elle se revêtit de grossière toile blanche, marquant le début de son deuil, et se rendit au monastère : il convenait de veiller, lui apporter dans ce dernier sommeil, ce que les moines, dans toute leur piété et leur dévouement, ne pouvaient lui donner. Tendresse. Pleurs.

Une fois parvenue devant la porte de la cellule monastique où il reposait, elle ne put se résoudre à entrer et resta là longuement, le front appuyé contre le bois de la porte où ses mains reposaient à plat, comme pour l'empêcher de s'ouvrir sur l'image de ce corps inerte.

Pas plus qu'elle ne pouvait réconforter, elle ne pouvait trouver de réconfort : c'était toujours vers Gaborn qu'elle se tournait, dans ces cas-là. Qui, à présent ? Personne. Lui parti, elle était seule dans sa douleur.

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Mariealice
[Peu importe ce qu'on fait, ce qu'on veut, la vie n'est au final rien de plus qu'un vaste sablier et nous, un grain de sable.]

J'arrive....

Voilà tout ce qu'avait pu répondre Armoria à sa lettre. Et que dire d'autre de toute façon? Quel besoin de mettre des mots sur une douleur qui ne pouvait être expliquée, qu'aucun ne pourrait jamais décrire avec toute l'acuité voulue? Oui, ceux là suffisaient et elle comprenait. Parce qu'elle ne connaissait que trop bien ce sentiment si intense que vous aviez l'impression qu'à chaque inspiration votre coeur allait se briser, craquer sous l'air qui entrait et le gonflait, faisant s'ouvrir ce qui n'était jusque là que des fêlures avec lesquelles on avait pris l'habitude de vivre. De toute façon le choix était simple.. Vivre avec ou mourir.

Une journée était passée depuis les réponses reçues, Jusoor lui avait écrit également pour la soutenir, les soutenir. Les nouvelles allaient si vite. Tant mieux d'un côté, ainsi elle n'aurait pas à se retrouver perdue derrière un tas de parchemins à envoyer. Surtout qu'elle ne connaissait pas la plupart de ses amis. Elle avait été sa compagne, en retrait certes, presque cachée la plupart du temps mais avait partagé un peu de sa vie et elle ne les connaissait pas. Peut-être était-ce un signe après tout. Non. Là elle essayait juste de se rassurer, de trouver une raison à tout ceci, douce illusion, juste une de plus dans un océan. Plop. Illusion coulée à peine émise.

Elle finit par sortir de la torpeur qui avait pris possession de son être pour se diriger vers la cape qui l'attendait sur un siège. Sa vieille cape de voyage, cadeau d'un autre homme, souvenir d'un lointain passé désormais, simple cadeau, un peu comme la boule de bois qui était désormais enfermée dans la bourse à sa taille, toujours attachée à son lien de cuir. Marie la posa sur ses épaules et se dirigea vers l'écurie où elle avait demandé qu'on tienne sa jument prête. Sémur n'était pas loin, le monastère non plus mais elle n'avait pas le courage de s'y rendre à pieds.

La Vicomtesse ne regarda rien sur son trajet, juste droit devant elle, ce clocher qu'on pouvait voir de loin, ce lieu dans lequel il reposait. Ce lieu dans lequel elle allait se faire violence pour entrer et le voir, le veiller, prier. Alors que la colère qui remontait en elle depuis peu lui soufflait à l'oreille de le brûler pour n'en laisser que des cendres. Comme ce qu'elle avait cru être un amour. Rictus venant tirer ses lèvres. Un amour.... Un roc... Laisse-moi être ton arbre, ton roc... Des paroles, envolées, dites un soir alors qu'ils avaient eu une terrible dispute. Elle aurait dû fuir ce soir là, le laisser là. N'était-ce pas ce qu'il avait fait finalement lui?

Elle laissa Alestria à un serviteur des moines et en silence parcourut le corridor qui menait à la cellule. Un instant elle s'arrêta en voyant qu'une silhouette se trouvait devant puis elle finit par avancer quand elle reconnut qui était là. Sa main se posa sur la poignée tandis qu'elle murmurait.


Bonjour Armoria. Je sais que c'est dur mais il nous attend.

Main toujours sur la poignée, elle attendait, silencieuse, tâchant de faire taire la lave en ses veines.
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Armoria
Ici, tout s'arrête :

Elle avait entendu les pas s'approcher ; elle avait senti et reconnu la fragrance. Pour autant, elle n'avait pas bougé, n'avait pas rouvert les yeux.

Encore un peu. Juste encore un peu. Tant que je ne franchis pas cette porte, il vit encore... Juste encore un peu de temps, quelques secondes, quelques minutes.

Oh, évoquer encore ce visage... S'en souvenir dans ses rires, dans ses larmes, dans ces jours où il était marqué par la douleur et les doutes. Respirer lentement, calmement.

Si vous saviez combien je m'en veux de cette dernière fois où nous nous sommes vus, où enfin il avait parlé de cette fêlure qui le rongeait... Combien je m'en veux d'être repartie ce soir-là en pensant que ce que nous avions fait était suffisant. Combien je sens ce poids d'avoir repris la route ensuite.

Elle prit une autre inspiration, lente, profonde, et s'écarta enfin de cette maudite porte. Elle plongea deux doigts dans son décolleté, et en sortit la petite boule de bois, accrochée par sa chaîne à son étui de dague. Enroulant ladite chaîne autour de son poignet, comme elle l'aurait fait d'un chapelet, elle regarda Marie.

Je suis prête.

Quel mensonge... Plus à elle-même qu'à Marie, d'ailleurs. Elle ne serait jamais prête.

Il était là. Le visage paisible mais figé, pâleur répondant à la blancheur de sa mèche au milieu de la tignasse noire d'encre, mains reposant, croisées, sur la poitrine, ses longues mains fortes et si habiles à travailler le bois de son cadeau fétiche, celui qu'il n'offrait qu'aux plus chers des siens.

Elle restait comme paralysée sur le pas de la porte, à le regarder. Dieu qu'il fut dur, ce premier pas vers lui ! Hésitant, ce pas, comme ceux qui le suivirent... Elle tomba plutôt qu'elle ne se mit à genoux, près du lit, prenant l'une des mains glacées dans les siennes et venant y courber son front sans un mot.

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Gabrielle36
A Cosnes


Un courrier, des larmes puis la colère. La lettre de la vicomtesse était restée sur le bureau de sa chambre, froissée. L’encre avait coulé par endroit, la peine avait laissé place à un flot de larmes. La nouvelle était de taille et elle était seule. Elle n’avait pas mis un pied dehors depuis quelques jours, relisant chaque mot, chaque ligne écrite par celle qui l’avait élevé comme sa propre fille.

Non, rien ne pouvait être vrai, le cauchemar devait prendre fin. Debout devant la fenêtre, elle espérait encore le voir, le toucher une dernière fois mais tout cela restait un songe.

Reprenant peu à peu ses esprits, elle se dirigea vers le bureau, s’installa puis trempa sa plume avant d’écrire quelques mots sur une feuille. L’écriture était loin d’être nette et elle se retenait pour ne point mouiller la missive. Le courrier, adressé à son frère Théodomir, qui résidait à Châteauroux, dans le Berry. Malgré leur lien fraternel, ils communiquaient très peu.

Boule à l’estomac, le regret de ne point avoir de meilleur nouvelle à annoncer, elle referma le pli, envoya un domestique et se replaça devant la fenêtre. Les heures passèrent et la douleur continuait à s’amplifier.

La vie semblait injuste, il avait remué ciel et terre pour la retrouver, emportant avec lui quelques personnes, avant de la laisser de nouveau seule. Une seule question revenait en boucle dans sa tête « Pourquoi ? »


Le passé revenait sans cesse, laissant à chaque fois un coup de plus dans ce petit cœur fragile qui battait pour tous.

Tu es une Hennfield sois forte.

Ses mots, il les avait prononcés plusieurs fois, sans s’en rendre compte son poing s’était refermé sur sa paume laissant ses ongles pénétrer sa chair. Aucune douleur physique ne l’atteignait, les larmes continuaient à rouler tandis que son corps restait figé.
Mariealice
[Toi qui entre ici abandonne tout espoir]

Même si le murmure avait été faible elle avait entendu mais son silence avait répondu pour elle. Rien à dire, rien à faire. Juste attendre qu'elle se sente assez forte, qu'elle se pense prête. Qu'elle le fût c'était bien autre chose mais Marie ne dirait rien, resterait juste là, les yeux sur la Princesse, la main sur le bois. Un moment, court, long, elle n'aurait pu le dire avant qu'une boule de bois ne devienne presqu'un chapelet et qu'elle n'obtienne la permission d'ouvrir la porte.

Derrière la Vanillée elle ne vit pas l'intérieur tout de suite, la laissant prendre le temps qu'il lui fallait pour arriver à faire le premier pas, celui vers le corps allongé là et l'acceptation du simple fait qu'il était bel et bien mort et ne reviendrait pas. Que ce soit dur ne changeait rien, le nier non plus.

Courage à puiser en elle, un peu plus, encore, elle pouvait le faire, marcher à son tour à l'intérieur. Inspiration lente, sentir l'air entrer en elle, le sang couler en ses veines, la vie se diffuser en elle. Elle quitta le cadre de bois et regarda la cellule. Expiration lente, sentir l'air sortir d'elle, comme si ce faisant il expulsait tout ce qui lui pesait à cet instant. Un pas. Puis un autre. Chacun lui coûtant tout autant que le précédent. Qui avait transformé sans lui dire ses bottes de cuir en plomb? Est-ce que ses pas faisaient autant de bruit que son coeur qui cognait douloureusement en sa poitrine? Tout le monastère allait arriver sur l'heure en ce cas.

Comment elle finit le trajet jusqu'à la couche où il reposait? La brune n'aurait su le dire mais elle se retrouva de l'autre côté de celle-ci, les yeux rivés sur le visage de Gaborn, incapable de faire un autre mouvement, jolie statue de marbre dont elle avait la couleur, tout sang s'étant retiré. Elle était là, droite comme un i, ses mains crispées sur sa robe, le tissu faisant écran entre ses ongles et ses paumes, à le regarder, étendu là. A cet instant la seule différence entre eux était que sa poitrine à elle se soulevait et s'abaissait lentement et que deux sillons humides traçaient leur chemin silencieusement sur une peau aussi glacée que celle du bourguignon étendu là.

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Dnapo
[A Dijon, au conseil des Toisonnés ... puis à Hennfield, puis monastère]

Le Seigneur de Lavault était en train de débattre et voter sur les prochaines personnes qui allaient recevoir une toison. Les débats allaient bon train, les votes s'enchainaient, lorsqu'un coursier entra dans la salle timidement. Il déposa une missive sur la table, mais personne ne prit la peine de la regarder. Dnapo demanda à ce qu'on la lui fasse passer, curieux comme toujours, et déroula le parchemin. Il reconnut la signature de la Princesse Armoria et se demanda de quoi il s'agissait ...

Lorsqu'il lut le message, son teint changea, il blemit et lacha le parchemin ... Un vote avait été lançé, c'était à son tour de voter, il ne s'en rendait pas compte, le temps s'était arreté ... Il revint à lui car on criait son nom, on lui criait qu'il devait voter ... Il fit une abstention ... Il ne savait plus de quoi on parlait ...

Après s'être repris, Dnapo se leva, s'excusa auprès de tous les toisonnés, il devait les quitter. En se levant, il ramasse la parchemin qu'il déposa sur la table. Le Préfet enfila son mantel et sortit ... Il descendit toutes les marches et se retrouva dans la rue, figée au milieu, sur les pavés. Il tourna la tête autour de lui, vit de nombreuses personnes qu'il ne connaissait pas acheter des produits aux différents étals. Il ne connaissait presque plus personne, bon nombre de ses amis avait quitté la Bourgogne ou était partis pour l'autre monde, un de plus aujourd'hui ...

Il connaissait bien le chemin pour se rendre chez son ami, il avait contoyé la famille des Hennfields, que ce soit Gaborn ou son épouse, il avait passé de bons et nombreux moments avec ... Il alla donc récupérer sa monture dans les écuries de la ville destinées aux toisonnés. Il enfourcha son cheval et prit la direction du domaine de son ami. Il avait du mal à croire en ce qu'il arrivait. Gaborn, son ami, qu'il n'avait plus vu depuis un moment, Dnapo voulait bientôt lui rendre visite en plus ... Il ne s'attendait pas que ce soit de cette façon.

Il arriva enfin, après un trajet qui lui parut interminable, au domaine des Hennfields. Il laissa sa monture à un cocher présent sur place, et entra dans la demeure en enlevant son chapeau. Il se dirigea sans soucis, il connaissait bien ces couloirs, il y a travaillé un peu. Il déboucha enfin dans le couloir des chambres, il s'arreta devant la chambre de son ami, puis recula à la fenêtre du couloir, le regard dans le vide, ne pouvant pas y croire ...

C'est alors qu'un page lui signala que c'était au monastère qu'il fallait aller et que Gaborn, son maître se trouvait là bas. Le Seigneur de Lavault ressortit du chateau, récupéra son cheval et partit vers le monastère, que de voyages aujourd'hui, mais peu importe, la raison est bien plus importante. Il arriva enfin au monastère, il entra et aperçut la Princesse Armoria, sa suzeraine, et la Vicomtesse, Marie Alice. Il les salua en s'inclinant, puis, en se relevant, se recula un petit peu, restant dans le silence ...
Armoria
Que sont mes amis devenus, que j'avais de si près tenus, et tant aimés ?

Abîmée dans ses prières, ses souvenirs, elle n'avait pas remarqué l'arrivée discrète de Dnapo. Cependant, quand un moine entra dans la cellule, lui touchant doucement l'épaule, elle le vit, et le remercia de sa présence d'une inclinaison de la tête. Le moine, en silence, lui tendit ce qu'il était venu lui apporter : trois parchemins fermés et scellés. Celui du dessus portait son prénom, d'une écriture ô combien connue. Les deux autres : un pour Marie, un pour Gabrielle. Elle se redressa, et son visage revêtit cet aspect marmoréen derrière lequel il cachait, depuis toujours, ses pires douleurs. Ce visage que Persan lui avait reproché à la mort de Bynarr... Ce barrage.

A Marie, elle remit la sienne, de lettre, et celle de Gabrielle. Elle regarda longuement celle qui lui était destinée, cette fois encore ne se résolvant pas à franchir le pas, cette fois encore, cherchant inconsciemment à gagner du temps... Elle ferma les yeux, prit une profonde inspiration, et finalement rompit le scel.


Citation:


Ma sœur,

Si tu lis ces mots, c’est que ma fin est passée depuis belle lurette maintenant. Je t’imagine auprès de ma couche, auprès de ce corps que je ne vais pas manquer de quitter dans peu de temps… J’imagine ta tristesse. Je la comprends et la respecte. Peut être même que dans mon égoïsme, je dois avouer que je ne t’en aime que plus…
Ma vie est donc finie… C’est difficile pour moi de l’imaginer alors qu’aujourd’hui j’écris ces mots sur ce parchemin pour ton regard. Enfin, si mes mots perdurent alors je ne serais pas totalement mort.
Nous avons vécu tout deux nos vies. Suivant nos chemins, accomplissant nos destins. Je n’ai aucun regret si ce n’est celui de n’avoir pas été plus souvent près de toi. Tu m’as longuement manqué alors que tu étais par mont et par vaux et moi ailleurs… Tu ne peux le voir, mais je souris en écrivant ces mots. Je n’ai nul regret, juste de l’amour. L’amour d’un frère pour sa sœur.
Tu m’as accompagné plus longtemps que ma famille de sang et j’aurais aimé naître près de toi. Je n’en aurais été que meilleur sans nul doute. Mais je chéris toutes ces années qui nous ont fait nous côtoyer. Depuis notre première rencontre à aujourd’hui. Tous ces moments de douleurs, de doute, de colère, de joie, d’amour, d’humour même… Tant de vie… Ma sœur, Armoria… Nous avons tant partagé… J’ai été honoré de te servir puis de devenir ton ami et enfin ce frère que je me plaisais à être… Je chéris chaque jour dans le silence de mon être deux période de ma vie. La première est celle qui me fit vous servir à Arnay, Persan et toi. Ce fut une période de grande amitié et de joie. Je ne l’ai jamais oublié. Pas plus que je n’ai oublié ces milliers de raisons qui m’ont fait t’aimer et aimer Persan… Ah que tout cela m’apparaît loin… que c’était alors un temps dépourvu de complication… Un nouveau sourire fleurit sur mon visage, j’espère qu’il en sera de même pour toi… que le souvenir de ces jours plus heureux te permettra d’effacer un peu de la douleur provoquée par un frère fichtrement trop lâche pour vivre….
Cela fait maintenant plusieurs mois que je suis ici. Ce monastère près de Semur… J’ai l’impression d’y avoir passé tant de temps depuis que l’Ankou m’a relâché il y a maintenant un an… enfin relâché… Je ne nous mentirai pas, ni à toi, ni à moi. Il ne m’a jamais vraiment laissé partir. Mais j’ai eu un an pour accomplir certaines choses… J’ai pu mettre ma fille, ce sang qui est mien, à l’abri. C’est le plus important. Et j’ai offert un sourire ou deux à une belle brune de nos amis…
Aujourd’hui je suis toutefois mortellement fatigué. Ennuyé peut être même. Las sans aucun doute. Je t’imagine fort bien commençant à te reprocher toute sorte de choses… Là aussi un sourire fleuri sur mon visage, bien qu’il s’agisse cette fois d’un sourire de tristesse… Tu n’aurais rien pu faire ma sœur. Rien. Que cela soit une lueur dans ton affliction. Rien n’y personne n’aurait pu s’opposer à la tristesse qui est la mienne. Le départ de Djemilée a été un coup plus fatal que je n’aurais cru possible. Toute ma tendresse, tout l’amour que j’ai eu ensuite pour Marie n’a rien pu y faire. Je suis mort en même temps que ma Djinn et le départ de Soraya. Alors, tu vois… Tu n’aurais rien pu y faire. Rien ma sœur.
Allons point de tragédie ni de tristesse, je ne te quitterais jamais vraiment. Tu sentiras souvent mon souffle sur ta nuque et ma main sur ton épaule lorsque tu commenceras à agir comme tu ne le devrais pas… Tu me connais. J’ai suffisamment de force et opiniâtreté pour revenir te veiller au besoin… même si ma mort peut laisser supposer le contraire aujourd’hui.
Voilà, je viens d’éclater de rire pour la première fois depuis plusieurs semaines. Je viens de m’imaginer en train de te surveiller… Les larmes ont perlé et coulé, de rire et de tristesse mêlés… Je veillerais sur toi, comme je l’ai toujours fait. Tu ne te débarrasseras pas de mon âme. Mon corps pourrira sans aucun doute, mais mon âme sera là pour te rappeler qui tu es si jamais tu devais l’oublier dans la tourmente de ton destin… Tu me connais, je n’arriverai pas à me priver de ce petit plaisir…. Et puis, si je puis t’être utile et continuer à te servir, même mort, ce sera un plaisir pour moi. Comme l’impression que je n’aurais pas tout à fait rompu mes serments…
Quand tu auras besoin de soutien et d’amour, enserre la bille de bois, alors je serais près de toi, comme je le fus de mon vivant. Toujours présent pour toi.

Le temps file et je vois les étoiles naître dans le ciel tandis que les moines chantent doucement… Les bougies qu’ils m’ont permis de conserver m’aideront à rédiger cette missive… J’aurais besoin de ces lumières, de toutes ces lumières pour être sûr de ne rien oublier… Je crois que ce sera ma dernière lettre, ce serait dommage de rester sur ma faim, ou la tienne en l’occurrence…
J’aimerais que tu fasses en sorte de faciliter la vie à Gabrielle. Je crains de n’avoir pas fait de testament, mais elle a été reconnue à la hérauderie. Elle devrait hériter de tout ce qui est en ma possession. J’aimerais donc qu’elle ait à sa charge le Duché de Djemilée et ma Baronnie… J’ai préparé une lettre pour elle, j’espère juste qu’elle n’aura aucune difficulté. Je sais que si tu peux tu l’aideras en souvenir de ton vieil ami… La pauvre enfant a suffisamment souffert, et je m’apprête à lui porter un coup de plus…. Si elle t’apparaît comme méritante, aide là. Qu’elle fasse perdurer le nom des Hennfield, même si celui-ci s’éteindra avec moi… Mon fils ayant choisi la voie de Dieu, personne ne portera plus mon nom… C’est triste, car c’était là un beau nom…. Aide là à choisir un bon mari ma sœur, qu’elle puisse être aussi heureuse que son père et sa mère le fut…
C’est là la seule volonté dont j’aurais l’outrage de t’affubler. Rien d’autre n’a vraiment d’importance maintenant…

Lorsque le moment sera venu, que mon corps reposera en cette cellule sans vie, les moines te donneront trois lettres. Une pour toi celle-ci, une pour Marie et une pour Gabrielle.
Lisez les au calme, et prêtez moi un peu de votre amour. Pardonnez moi également d’avoir choisi la fuite.
Devant ce corps qui est le mien, permettez moi de ne pas sentir de courroux en vous, mais simplement de la pitié pour ce que je suis devenu. Puissiez vous m’aimer un peu. Puisses tu m’aimer un peu encore ma sœur, moi qui ai eu si peur de te perdre, si peur de ne pas avoir été à ta hauteur.

Je vais cesser là cette missive, ma dernière, car les larmes coulent de mes yeux. J’espère que je présenterais un visage paisible à la mort. J’ai épuisé pour le reste de ma vie la peur et la honte. Je t’aime Armoria. Rien ne pourra jamais te faire comprendre combien grand était mon amour de toi. Si je t’ai blessé, si je t’ai offensé, je te demande pardon. Si je t’ai déçu, je te supplie de trouver en toi la force de me pardonner. Je n’ai jamais rien voulu d’autre que ton bonheur et ta joie, même si parfois mes actes ne furent pas à la hauteur. J’espère avoir été un bon frère et que tu m’aimes aujourd’hui.
Je t’attendrais, le plus tard possible, et j’espère que nous pourrons alors rire et pleurer dans les bras l’un de l’autre.
Sois heureuse et vis ta vie comme tu l’as toujours fait. Libre. Puisses tu trouver le repos et cessez de devoir te protéger contre tout et tous…
Je t’aime.

Gaborn de Hennfield,
Duc de Louhans et Baron de Château-chinon,
Ton frère à travers la vie et dans la mort.



Les plus grosses tempêtes naissent de quelques gouttes de pluie.

Plic. Ploc.

Quelques gouttes que rien ne distinguent pourtant, et qui parfois annoncent la colère du ciel déchaîné. Quelques gouttes, avec un bruit banal, à peine audible.

Les premières larmes furent silencieuses. Un murmure, comme le vent mauvais s'annonçant :


Tu ne m'as jamais blessée, que ce jour où tu me laisses...

Le vent montait. Il s'enflait en bourrasques violentes dans sa poitrine, cherchant à s'échapper. Et enfin, la délivrance, quand elle se jeta sur le lit, serrant de toutes ses forces contre elle ce corps où la vie avait cédé ses droits impérieux. Et enfin, le mal, la peine, la douleur, la déchirure s'exprimèrent dans un cri, dans un hurlement de bête sauvage et blessée.

Elle disait, elle criait, elle hurlait non, sans fin, et seuls les sanglots parvenaient à interrompre ce cri.

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Vous pouvez utiliser mes lettres RP.Héraldique
Ingeburge
[L'Artemisium - Autre deuil, fraternité dans la souffrance]


La porte de sa chambre s'ouvrit à nouveau, dans son grincement caractéristique mais elle ne tourna pas la tête. Elle était assise sur une banquette située devant l'une des croisées de la pièce et son regard mort errait sur le paysage automnal qu'elle ne voyait pas. Depuis plusieurs jours déjà, elle se tenait ainsi, ne sortant pas de ses appartements et ne répondant pas aux sollicitations de ses gens. Elle se contentait d'écouter d'une oreille distraite ce qu'on lui rapportait des nouvelles du duché, ne réagissant à rien ou à peine. Les domestiques étaient d'ailleurs les seuls à pouvoir forcer sa porte, tout visiteur étant systématiquement prié de faire demi-tour, la duchesse ne recevait pas. Le seul moyen de pouvoir se faire remarquer était donc d'envoyer une lettre qui serait ensuite lue par un secrétaire à qui invariablement elle présenterait le dos. L'homme attendrait une réaction, durant une minute, puis repartirait, emportant parfois avec lui une missive qu'elle avait daigné écrire les rares fois où elle s'arrachait à son indifférente contemplation.

Cette fois donc, encore une fois, le secrétaire entra et brisa le silence planant dans la chambre de sa maîtresse :

— Votre Eminence, une lettre de Son Altesse Armoria de Mortain a été reçue par le conseil ducal, lettre vous étant notamment adressée.
L'homme hésita avant de poursuivre puis se lança finalement :
— Y est annoncé le décès du Duc de Louhans, survenu dans le monastère où il faisait retraite depuis plusieurs semaines déjà. Pour l'heure, nulle date n'a été fixée pour les funérailles...
Il s'interrompit car la duchesse tournait maintenant vers lui son visage plus pâle que d'ordinaire. Il en resta saisi, tant par ce mouvement auquel il ne s'attendait pas que par la vue du teint blafard de la jeune femme.

C'est qu'elle avait frissonné en entendant ce mot, décès, ce mot qui l'avait plongée dans une langueur quelques jours plus tôt et sur lequel elle s'attardait désormais. Puis, le délaissant, elle se concentra un instant sur ce mort qu'elle avait à peine connu, ayant échangé quelques lettres avec lui et s'étant rendue, une fois, sur ses terres. Elle frissonna à nouveau, constatant que la Bourgogne perdait depuis quelques temps ses grands hommes. Après Coluche et Persan, c'était Gaborn qui disparaissait.

Elle remua encore un peu, l'effort la faisant grimacer quelque peu et songeuse, elle leva les yeux sur son employé qui la regardait, incrédule.
Ainsi donc, c'était la mort qui l'avait tirée de son immobilité presque maladive, elle qui ne bougeait plus depuis des jours, tentant de réfréner les houles de douleur qui meurtrissaient son cœur et son corps. Et elle eut un sourire malheureux, notant que la vie définitivement, continuait car inexorable, elle produisait chaque jour son nombre de trépas.

Au secrétaire qui demeurait là, ébahi, elle déclara simplement :

— Je compte sortir aujourd'hui.
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Poupounet
[A Dijon, Salle des Toisons]

Elle écoutait les discussions d'une oreille distraite, ses pensées vagabondant vers d'autres lieux, en rien magiques ou agréables. Non, elle pensait à ses bilans, à sa correspondance avec Rome, avec Sens, bref à tous ce qui l'attendrait tantôt dans son bureau. Aussi, elle ne vit pas le pli arriver, passer de main en main. Dnapo semblait mal et partit précipitamment, surement une affaire urgente pour la mairie. Elle haussa les épaules se disant que ça pouvait bien attendre la fin des votes, enfin … Le pli arriva à elle …

Au départ ce n'était qu'un bout de parchemin comme un autre mais quelque chose la troubla. Son corps se figea, ses mains crispées sur le papier. Non ! Ce n'était pas possible. Il ne pouvait être mort. Soudain son passé défila devant ses yeux, elle se revit arriver à Cosne, où elle fit la rencontre d'une grande dame, feu Djemilée de Hennfield, qui accepta d'être sa marraine devant le Très Haut.

Elle découvre peu à peu cette famille lors de ses diverses visites en leurs domaines. Une amitié se créer entre Djé, So et Poup. Une amitié qui la pousse à être là quand on a retrouvé Gaborn presque mort dans la forêt, comment ne pas aider cette famille si généreuse, comment ne pas les soutenir dans ses moments là. Impossible …

Vint le temps des grossesses, de son mariage, du cadeau merveilleux que lui fit Djé, lui dessiner une robe. Gabrielle arriva peut après. La naissance d'un enfant est toujours une chose merveilleuse. Malheureusement, Gaborn n'était toujours pas remis, il sortait peu.

Un jour pourtant, il lui fit la surprise de se présenter au Val. Il était blanc comme un linge mais il était sortit au grand bonheur de sa fille adoptive, Soraya. Pendant cette période elle le vit plus souvent, le plus souvent en fait. Ensemble ils rencontrèrent une femme qui parlait de voyage et d'écriture. Gaborn trouvant son projet merveilleux, la finança. Il était son mécène. Il ne connaissait la personne ni d'Eve ni d'Adam et pourtant il voulait l'aider. Il faisait parti de ses nobles qu'on avait envie de respecter et qui le méritait.

Elle le vit peu ensuite, juste au baptême de Théodomir et de Gabrielle, qu'elle officia en leur domaine. Ce fut un honneur pour elle. Et ce fut le dernier moment où elle vit Djémilée en vie. La première page de sa relation avec cette famille c'était refermé à la mort de sa marraine.

Cette famille déchirée par la mort et les blessures de la vie, retrouva le bonheur grâce à la présence de la Vicomtesse Marie Alice. Cette femme avait redonné le goût de vivre à Gaborn, sa transformation était spectaculaire ; et autre miracle Gabrielle avait retrouvé la parole. Le bonheur renaissait pour ses personnes méritantes. Jusqu'à aujourd'hui …

Elle serrait le parchemin dans sa main, refusait de lâcher le papier, comme si cela pouvait le faire revenir. Que faire ? Où aller ? Rentrer à Cosne voir Gabrielle ? Se précipiter à Louhans ? Elle pleurait …

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En deuil d'un être extraordinaire ...
Porteuse de la toison d'airain
Gabrielle36
Départ de Cosne


Les yeux toujours rivés sur la fenêtre, Gabrielle laissait ses souvenirs reprendre vies. Parfois des larmes puis des sourires animaient son visage mais la souffrance était bien là et rien ne pourrait lui enlever.

Un coup sur la porte, des pas, elle ravala ses larmes avant de se tourner vers un domestique. Main tendu vers elle avec deux missives. D’un geste machinal, elle prit les plis puis le remercia d’un signe de tête avant qu’il disparaisse de la chambre.

L’écriture de la Vicomtesse Marie Alice apparaissait sur la première, après ouverture elle parcourut les lignes. Elle s’inquiétait pour son état et se demandait si elle avait besoin que l’on vienne la chercher. Marie … toujours là quand il le faut. Elle ouvrit la seconde, Théodomir avait pris soin de lui répondre. La guerre faisant rage dans son duché il ne pouvait prendre le risque de venir mais il lui promettait de faire tout ce qui était en son pouvoir. Il lui conseillait aussi de parler à quelques personnes de sa connaissance si le besoin se faisait, les noms étaient cités et un seul était connu l'abbesse Poupounet de Cosne. Aliénor, la dernière entrevue remontait à très loin.

Elle prit le soin de répondre à Marie Alice afin de lui annoncer son départ et de la rassurer à son tour. Elle donna ensuite le pli à un de ses domestiques puis prit le temps de se laver et d’enfiler une robe très sombre. Les malles étaient prêtes, il était temps de prendre la route pour rejoindre l’endroit où avait vécu son cher père.



Au monastère


Le temps semblait s’être arrêté dans le coche, Gabrielle assise regardait toujours dans le vide, le visage toujours aussi pâle. Pas un mot n’était sorti de sa bouche depuis l’annonce. Souffrir en silence. Les roues de la voiture s’arrêtèrent et la porte s’ouvrit. Elle descendit et jeta son regard vers cette grande porte qu’elle maudissait déjà. Pourquoi était il parti se réfugier ici laissant la faucheuse l’emporter.

Traversant un long couloir qui paraissait ne point avoir de fin, elle suivait un moine. Un arrêt, un signe de tête et une nouvelle porte. Main posée sur celle-ci, elle hésita sentant cette boule grandir de nouveau dans son estomac. Elle prit une profonde inspiration ravalant les larmes qui commençaient à remonter.

Sa conscience lui disait à nouveau d’être forte, elle passa la porte. Elle s’inclina auprès des personnes présentes et essaya d’éviter le regard de Marie. Elle savait qu’elle souffrait autant qu’elle et qu’elles devraient affronter ensemble la peine d’avoir perdu un être cher.
MarieAlice., incarné par Aleanore
[No more I love you's]

Marie restait là, comme incapable de bouger, comme si telle la femme de Loth elle avait été transformée en statue de sel. Si à l'extérieur elle pouvait paraître insensible, anesthésiée, à l'intérieur l'ouragan commençait à pointer le bout de son oeil. Comme lors de l'une de leurs dernières discussions, la dernière à vrai dire où ils avaient vraiment parlé, le vent se remettait à souffler et les arbres se tordaient sous la violence de ce dernier.

A peine se rendit-elle compte de la présence du Seigneur Dnappo qu'elle avait rencontré à quelques reprises pas plus qu'elle ne fit réellement attention au moine qui vint remettre trois missives à Armoria. Son regard ne pouvait quitter ce visage sans qu'elle sût pourquoi. Pensait-elle qu'il allait se lever ou ne serait-ce qu'ouvrir les yeux? Non, bien sûr que non.... Elle ne pouvait juste rien faire d'autre. Jusqu'au moment où la Princesse vint lui poser entre les mains deux des trois courriers et qu'elle posa alors les yeux sur celui qui lui était destiné. Après avoir rangé celui de Gabrielle, elle inspira et ouvrit le sien pour le lire.


Citation:
Marie, Mon Emeraude Violette,

Si tu lis ces mots toi aussi, c’est que je dois être décédé maintenant. L’Ankou est venu réclamer son tribut.
J’imagine que tu dois me haïr maintenant… J’ai agis à l’inverse de ce que je t’avais promis. Une fois de plus, un homme t’a abandonné… Je suis désolé… C’est bien faible, sans nul doute… Je n’avais envie que d’une chose, te faire rire et sourire. Toutefois, cette envie n’a jamais su enrayer ce travail de la mort dans mon corps. Je t’ai aimé, tu as été la lueur de ces derniers mois, ce qui m’a permis de ne pas flancher plus tôt… Mais au final, je n’ai su que faire preuve de lâcheté et t’abandonner. Ca a été un terrible fardeau que celui que je t’ai mis entre les bras. Que celui que je t’ai imposé… Je n’aurai jamais dû…
Et pourtant. Pourtant je ne regrette pas tout. Je ne regrette pas ces sourires qui ont fleuris sur ton visage, cet amour que tu m’as porté et auquel je tachais de répondre de mon mieux. Non tout cela je ne le regrette pas.
Tu as été une tempête, une émeraude, un souffle d’air dans la déliquescence qui était la mienne après la perte de Djemilée. Je t’ai aimé, peut être comme on aime une amie au début, et puis ces sentiments se sont renforcés devant toutes tes qualités. J’ai fini par aimer la femme que tu es, avec force. Je cuide que tu ne me croiras peut-être pas, mais c’était pourtant le cas. Ces derniers mois en ta compagnie furent un vrai bonheur, malgré tout. Tu as su m’apporter beaucoup.
Je ne puis que prier que tu puisses à ton tour connaître le bonheur et la joie d’être soutenu. Mieux que tu ne le fus par moi en tout cas. Si regret je dois confesser ce sera celui de n’avoir pas été à la hauteur de ce que tu méritais. Tu mérites tant. Tu mérites de sourire et de rire. Tu mérites de ne plus avoir besoin de porter de masque. Tu mérites d’être aimé et choyé.
Si je le puis, j’intercéderai afin que tu puisses obtenir ce que tu mérites. Je tacherai de convaincre qui de droit… Si tant est que je le puisse bien évidemment. Et si tant est que je ne finisse pas sur la Lune…
Mais quoi qu’il en soit, même si je devais finir là bas, je ne regretterai rien… Qu’importe…

Voilà que je digresse… c’est tout moi n’est ce pas ? Sans doute est ce là l’effet de la honte qui est la mienne de te laisser seule. Je pense que j’ai la crainte que tu ne saches trouver en toi la force de pardonner à un homme comme moi. Je crois que j’en ai peur car je ne suis pas bien convaincu de mériter ton pardon. Je n’ai pas été… très chevaleresque avec toi… Aurais je la force de pardonner en l’occurrence ? Je ne sais pas.
Je ne te demanderais donc pas pardon. Je ne crois pas le mériter. Je tacherais de me racheter en veillant sur toi de là haut. Puisses tu simplement ne pas porter trop de colère en ton cœur contre moi. Je ne t’ai pas voulu de mal, jamais.

Peut être mon corps te donnera t’il envie de crier et de me maudire, je ne te le reprocherais pas. Si tu en as besoin fais le. Que m’importe tout cela si tu peux grâce à ça aller mieux… Déteste moi si cela doit te permettre de continuer. Ou qu’à chaque fois que tu portes ta main à ta bourse et que tu sentes cette boule de bois, sache que je t’aimais et que cela t’aide à avancer… Je ne veux rien pour moi. Je ne désire qu’une chose, et elle est pour toi. Que tu puisses trouver la paix et l’amour que tu mérites…

Mon domaine qui devrait passer à ma fille te sera toujours ouvert. Puisse t elle continuer à t’y accueillir au besoin. Même si j’intuite que tu n’auras pas envie d’y retourner…

Je t’ai aimé Marie, avec force et lenteur, comme l’arbre qui explore le sol de ses racines. Je ne te l’ai peut être pas toujours montré, mais je te suis reconnaissant de tout ce que tu fis pour Gabrielle et pour moi. Pour cette présence qui fut la tienne et ce soutien que tu nous offris sans faille.
Je fus celui que tu nommas ton Ténébreux. Je le fus et le resterais jusqu’à ce dernier souffle qui passera ma poitrine. Tu m’offris ce surnom comme on offre un cadeau, tu n’as jamais su combien le fait que tu m’en donnes un me toucha et m’emplit de joie. Tu m’as fait là un bien beau cadeau, mon Emeraude Violette… Je chéris ce surnom, et tout ce qu’il représente, de la même manière que je chéris les cailloux des chemins. Avec malice et humour et avec surtout un amour infini.


Je t’aime
Gaborn, ton Ténébreux.


Si Armoria réagit en venant s'abattre sur le corps sans vie tout en hurlant ce non qui ne pouvait plus rien changé, Marie elle resta à nouveau droite. Un nouveau mouvement attira son attention et les noisettes se posèrent sur une chevelure aussi sombre que celle de Gaborn, mèche blanche en moins. Sa main se leva et doucement le parchemin se glissa entre celles de Gabrielle tandis que les jambes de la Vicomtesse fléchissaient jusqu'à ce que ses genoux rencontrent la pierre froide du sol de la cellule. A nouveau l'ouragan se levait en elle, à nouveau la rage l'emportait sur la douleur, à nouveau en dehors elle paraissait inerte alors qu'en elle tout s'effondrait.

Et les mots couchés sur le vélin, les mots dits, tout tournait dans sa tête alors que son coeur se broyait un peu plus. Lui aussi avait abandonné, l'avait abandonnée. Alors que pour lui elle avait tout laisser derrière elle de ce qui avait fait sa vie jusque là, il avait préféré laisser la mort gagner, il lui avait préféré la mort. Plutôt que la chaleur du rire de Gabrielle et d'elle, il avait choisi le froid silence de ses murs. Plutôt que le partage d'une famille aimante, il s'était renfermé dans sa solitude. Alors il avait beau jeu le bourguignon d'écrire l'avoir aimée... S'il l'avait réellement fait, il aurait été là, vivant.

Elle le haïssait. Oui c'était le mot exact. De la haine à l'état pur et brute, de la haine comme jamais encore elle n'en avait ressentie. Et ne pouvait plus relever la tête alors que sa main se refermait non sur la boule de bois sagement rangée dans sa bourse mais sur la poignée de sa dague qu'elle rêvait à cet instant de planter dans le coeur mort de l'homme étendu là
Armoria
Il y a des adieux... :

Le frôlement d'un tissu ? De légers pas sur le sol de la cellule ? Tout simplement un vague instinct ? Elle releva la tête, soudain. Une jeune fille était là, une jeune fille qu'elle n'avait fait qu'apercevoir par le passé, et les mots de Gaborn, dans sa dernière lettre, lui vinrent à l'esprit comme une claque. Faciliter la vie de Gabrielle... Etait-ce en lui montrant le spectacle de sa douleur qu'elle y parviendrait ? Cette enfant se retrouvait seule : avait-elle besoin de voir une femme qui s'emmurait dans sa souffrance, au-delà de tout, au bord de la folie ?

Elle se redressa tout à fait, replaça avec une infinie tendresse les mains de la dépouille, ses vêtements que les épanchements avaient dérangés, remit un peu d'ordre dans la tignasse d'encre. Douce. Elle se releva ensuite, tendant une main à la jeune fille.


Viens. Ne reste pas seule : viens.

Bientôt viendrait le temps des démarches qui étourdissent, tout ce qu'il fallait faire lors d'un décès, cet opium contraignant à faire taire les hurlements d'un coeur en lambeaux.
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