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[Rp] La mémoire dans les Tresses....

Insanius
Un petit avant-propos Hrp avant de commencer...
Ceci est un Rp de la dernière chance. L'ennui d'un joueur qui trimballe une marionnette depuis... ouf... longtemps.
Tellement longtemps que même si je finis par me lasser de lui, il m'est quasiment impossible de le laisser mourir comme ça...
Disons que c'est une thérapie de couple entre lui et moi et si ça foire, on divorcera.
Tout le monde peut y participer, je suis ouvert à tout, mais n'hésitez pas à me contacter par MP avant...
J'aime être surpris, mais faut pas que ça parte en cacahuète...


[Quelque part, la Provence ou ailleurs....]


Au début tout n'était que néant. Pas l'ombre d'un mouvement, d'une clarté, d'un esprit. Pas de couleur, pas de noir, rien ne semblait vivre, rien ne semblait même pouvoir exister.
Puis une naissance.
Une petite étincelle, comme une présence vacillante. Le début d'une pensée incertaine, bribe d'existence, fragment d'un être.
Une intelligence qui petit à petit se développait, prenant conscience d'elle même avant de s'étendre vers l'extérieur.

Elle se sentait croitre, consciente que d'un point de départ qu'elle prenait pour son identité s'étendait désormais des filaments. Excroissances fouineuses qui venaient se greffer à son être. Qui la renseignait sur ce qui l'entourait.
Elle n'était pas seule, elle découvrait le monde. Puis soudain vint la conviction qu'elle n'était pas que pensée. Ces excroissances c'était elle. On appelait cela un corps. Avec un corps on pouvait bouger. Avec un corps on pouvait ressentir, on pouvait voir...
Oui voir, mais pour ça il y avait quelque chose à faire. S'ouvrir.
Mais pour le moment elle n'y arrivait pas. Elle ne se souvenait plus....

Se souvenir... Encore une chose d'ailleurs qu'elle croyait connaitre. Pour se souvenir il fallait avoir déjà vécu. Était ce son cas?
Non... Elle avait beau penser, elle n'avait pas conscience d'avoir eu une existence... Pourtant, elle savait déjà des choses... Sur elle même, sur le monde... Elle savait avoir un corps... Mais comment?

Comment avoir conscience de soi, quand on ne sait pas ce que l'on est?

Choc des idées, des paradoxes, elle était heurtée de tous les côtés. elle avait envie de crier pour ne plus avoir à réfléchir...
Crier... Oui! Crier! Cela lui revenait! Il fallait contracter des muscles pour produire un son...
Un son... Elle se souvenait maintenant... Le monde c'était ça aussi... Une musique, des accords... Mais alors pourquoi n'entendait elle plus rien?

Si vivre c'était sentir, voir, entendre... Où était elle? Et plus grave encore, cette question... De ru tranquille, elle se changeait en fleuve puissant, charriant les pierres de son âme dans un tumulte d'écumes et de grondements....

Qui suis je...

Torrent d'interrogations qui déferle, elle est submergée, son esprit panique, elle ne comprend plus, elle ne sait plus et soudain avec la violence d'un cheval lancé au triple galop vint l'explosion...


[Toulon, devant la ville, un champs de bataille. Au même instant, le XIXème jour de Mars.]

Éclair blanc qui délimite son corps, elle ressent, elle entend, elle comprend.

Sur elle, un poids; étendu comme une chape de plomb; compressant son souffle; pesant sur ses muscles.
En elle, la douleur, diffuse. Dans chaque membre et dans chaque muscle elle sent la cuisante meurtrissure... Lame froide qui déchire ses chairs...
Elle tente de bouger, mais ses membres sont raidis elle sait qu'elle est entravée, mais elle ne comprend pas ce qui lui arrive....

Ses oreilles se sont éveillées, elle capte un monde assourdi. Un bruit régulier, comme quelque chose qui frappe, sans relâche et sans faiblesse... son cœur... Oui c'est ça, son cœur bat à tout rompre. Elle peut l'entendre, mêlée à sa respiration, couvrant les autres bruits...
Au loin, des froissements, des petits cris... Comme mille oiseaux qui recouvriraient le monde...

Elle sait maintenant qu'elle existe, mais n'est pas plus rassurée pour autant... Elle sait qu'elle devrait voir, elle sait qu'elle devrait être libre de bouger, elle sait qu'elle ne devrait pas avoir mal... De nouveau, la peur, la terreur se saisissent d'elle...
Elle hurle... Cri sortant de sa gorge comme celui que pousserait un nourrisson venant au monde...
Cri interrompu dans un hoquet... Elle s'arrête, surprise... La découverte de sa gorge a chassé la peur... Elle commence à retrouver la façon de contrôler son corps...
Elle se calme, elle sait que si elle panique, elle n'arrivera plus à rien.
Au bout de son corps, il y a des mains. Elle se rappelle qu'elle peut les utiliser, que grâce à elles elle pourra se dégager. Peut être même pourra t elle retrouver la vue...
Lentement elle leur ordonne de pousser. Et malgré la douleur qui fuse en elles et dans leur prolongement dont elle ne se rappelle plus le nom, elles continuent. Elle sent le poids sur elle glisser...
Elle redouble d'effort, soufflant tel un bœuf, suant, elle sait qu'elle doit y arriver....
Elle pousse, elle grogne et soudain, la masse bouge...
Nouvelle sensation que l'air frais sur son visage... Elle a réussit...

A plein poumon elle inspire, l'air sent mauvais... Il est chargé d'un relent qu'elle semble bien connaitre, sans toutefois pouvoir l'identifier...
Qu'importe...

Elle prends aussi conscience qu'elle peut voir... Enfin...
Le ciel est sombre, tacheté de petites lumières qu'elle reconnait comme des étoiles. Une plus grosse que les autres nimbe le paysage autour d'elle d'un pâle éclat.
Lune... c'est son nom. Elle semble se rappeler de ce qui l'entoure, elle connait des noms, elle comprends des choses... Mais elle ne sait toujours pas ce qu'elle est... Poussant sur cette partie de son corps qu'elle sait être des coudes, elle se redresse...
Ses balayent ce qui l'entoure sans qu'elle puisse parvenir à comprendre... Des corps... Des cadavres fraichement tués.
Sa bouche se remplit d'un goût déplaisant... Métallique, puant, froid et désagréable... Le goût du sang...
Que c'est il passé ici? Pourquoi tant de morts? Pourquoi est elle là? Pourquoi est elle vivante? A t elle tué?

Usant de ses forces vacillantes elle repousse le poids qui lui servait de tombeau... Le corps d'un homme, transpercé de part en part. Le visage figé dans un expression de douleur...

Elle vomit, souillant le cadavre plus qu'il ne l'était déjà. Puis elle se redresse aussi vite qu'elle le peut... Dégoutée, paniquée... Ses jambes se dérobent, elle tombe sur un autre corps... Crie... Se relève... Prends la fuite...

Ses pas désordonnés et lourds vont s'envoler une nuée de corbeaux qui se repaissaient des pauvres hommes tombés... Elle comprend mieux les sons qu'elle a pu entendre... Elle sait désormais que le bruit des pattes courant sur les cadavres, que les froissements d'ailes des oiseaux voletant pour se nourrir la hanteront à jamais...

Elle fuit... Cherchant un abri pour se cacher de sa panique... Elle fuit loin... Pauvre petite pensée devenu être humain... Elle ne sait plus qui elle est, elle ne sait plus ce qu'est la vie. Venue au monde dans la mort, elle a peur...

Sa course folle l'emmène loin, elle évite le mur de pierre derrière elle. Tremblant à l"idée du monstre cruel qui pourrait s'y cacher. Elle le tient pour responsable du massacre dont elle a émergé. Si il la trouve, elle sait qu'il la dévorera... Il est un corbeau géant, affamé d'hommes...

Épuisée, elle ne sait quelle distance elle a parcouru, elle ne sait si elle est à l'abri. Mais ses forces la quittent... Elle s'écroule près d'un arbre et s'y adosse. Autour d'elle, la nuit est paisible.
Reprenant une respiration lente, elle essaye de réfléchir... Sa tête est douloureuse... Elle y porte une main et tressaille. Les chairs sont douloureuses, poisseuses. La ramenant devant ses yeux, elle y voit du sang. Elle clôt ses paupières et soupire. Elle n'en a que trop vu aujourd'hui... Mais très vite, elle les ouvre à nouveau. Un détail la perturbe. Sa main couverte de sang est étrange, différente de l'autre... Il y manque deux doigts... Pourtant elle n'a pas mal... Elle l'essuie sur son pantalon et remarque que la peau a recouvert l'emplacement où ils auraient du se trouver. La blessure est donc ancienne... Il ne sait pas comment il le sait, mais c'est la dans sa tête...

Il... Pourquoi se définit il comme "il" maintenant? Jusqu'à présent, il se croyait pensée... Mais étrangement il a la certitude d'être autre chose... D'être... un homme... Oui, c'est le mot qui le définit... un homme... C'est ce qu'il est...

Il en sait un peu plus désormais... Il a un corps, il a un nom.. Homme... Il existe... Mais il est épuisé... Il s'endort...

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Insanius
Tout cela n'avait été qu'un mauvais rêve.
Le trouble s'est dissipé, le calme l'entoure à nouveau. Nimbée d'un pâle halo elle flotte...
Elle a repoussé loin d'elle ces visions macabres, elle s'est détaché de ce cauchemar qui l'a enfermé dans une prison de douleur et d'horreur...

Petite émotion frôlant la surface d'un lac sombre et doux, elle se laisse aller.
Quelle folie l'a prise... Comment a t elle pu imaginer tout ça? Quel démon a t il pu lui inspiré l'idée de se retrouver prisonnière d'un carcan de sensations?
Quels être sauvages auraient bien pu vouloir vivre ainsi?

Glissant sur l'eau, elle laisse dans sa danse un sillon dans lequel elle abandonne peu à peu la peur qu'elle a pu éprouver. Elle redevient insouciance, calme et innocence; ne se préoccupant plus de l'instant et de l'espace, elle est tout comme elle n'est rien.
Diffuse ou concentrée, elle est ce que l'être que son rêve lui avait apporté ne peut comprendre.
Elle n'a plus de consistance, elle est libre d'imaginer, de croire...
Lumière, ténèbres, tout n'est modelé que par sa décision.
Maitre de son monde, parce que ce monde c'est elle. Rien n'existe sans elle...

Mais...

Non, ça ne peut pas être vrai... Elle doit surement dormir encore...
Sinon elle ne pourrait pas ressentir cette chaleur... Désagréable picotement sur son visage... Visage... Non... non, elle n'est pas lui, elle n'est pas Homme... Ce n'est pas elle... Elle n'est que pensée... Pas ça...
Non...


PAS ÇA!!!


Il halète... Pensée s'est trompée... Il existe... Il n'a fait que de la rêver...
Pourtant comment être sûr? Comment un monde rempli de douleurs et sensations si déplaisantes peut être la vérité? Qui est vivant, qui ne l'est pas...
Et cette chaleur qui l'envahit. Une chaleur désagréable qui ébloui ses yeux... Brulante et claire elle semble venir de cet astre dans le ciel.
Il a un nom lui aussi, un nom moins doux que Lune... Il est Soleil... Celui qui brule, celui qui assèche, destructeur...

Il doit bouger, se mettre à l'abri avant qu'il ne le réduise en cendre... Il sait que c'était impossible.
Mais la Lune au fond de lui est apeurée... Elle sait qu'elle ne rêve plus maintenant. Il est vrai...

Lentement, il réussi à étendre ses muscles endoloris, puisant dans sa connaissance propre, les mécanismes de son corps. Il ramène ses appendices appelées jambes, sous lui et se lève.
Chancelant d'abord, il croit chuter, mais un réflexe lui fait agripper l'arbre de sa main mutilée. Il grimace... Sans l'avoir voulu...
Son corps agit donc de lui même... Il est une chose qu'il ne peut contrôler...

Assuré de tenir debout, il porte sa main devant ses yeux. La douleur qui lui a valu cette grimace s'en va doucement... Horrible sensation que d'avoir mal. Horrible sensation que d'être face à une chose qu'on ne peut arrêter...
Sa tête tourne, il croit à nouveau tomber, mais cette fois c'est sa main droite qui le retient. Sans douleur...

Perplexe il l'examine... En dehors des doigts supplémentaires, elle ne semble pas différente... Il ne sait pourquoi, mais l'une est difficile à utiliser, l'autre non. Il faut s'en rappeler. Les mains gauches font mal, les droites non...
Il sait qu'il a perdu des connaissances sur lui même, sur le monde... Mais petit à petit il va les remplacer.

Il marche maintenant, sans vraiment savoir pourquoi, il avance, posant le regard autour de lui. Il mémorise ce qu'il voit, cherchant quelque fois au fond de lui les noms que portent ce qu'il voit. Arbres, herbe, nuage, rochers...

Soleil s'est fait plus doux, il ne blesse plus... Il lui accorde même un doux bien être, caressant sa peau. Pourtant au fond de lui, Pensée est toujours apeurée par l'astre...
Il ne sait comment la calmer, il ne sait comment la réconforter...
Il la sent s'agiter en lui, elle se fait violente... Sa panique frappe dans son corps, tambour qui résonne dans sa poitrine...

Soudain il s'arrête de marcher... Devant lui, a quelque distance il aperçoit des formes se mouvoir. Debout sur des appendices appelées jambes, elles avancent vers lui...
Il reste stupéfait... Il n'est pas le seul de son espèce. Intrigué il veut avancer vers elles, mais c'est trop demandé à la petite Pensée... Elle hurle de terreur et a son grand étonnement, elle prends possession de lui...

Sans pouvoir réagir, il se sent faire demi tour et courir...

Courir, courir... Pensée se fait fuyante....

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Virginia_
La silhouette se déplaçait lentement, très lentement, trop lentement, peut-être. Depuis un moment déjà, elle avait l’impression de porter tout le poids du monde sur les épaules. Depuis quand ? Elle ne s’en souvenait plus avec exactitude. Cela remontait à … oui, probablement jusque là … peut-être même plus loin encore…

Les yeux fermés, elle leva la tête, savourant pleinement ce moment en solitaire. La fraicheur de la nuit toulonnaise lui rappelait celle de sa terre natale qu’elle avait quittée bien des années auparavant pour … pourquoi au juste ? Cela avait-il encore de l’importance après tout ce temps … non, pas vraiment … enfin, peut-être que oui finalement …

Le souffle était régulier, les inspirations profondes, les expirations lentes. L’organisme avait été meurtri au plus profond de son être, saigné à vif, recousu pour penser ce qui était visible. L’âme avait été malmenée, s’était tourmentée, avait douté. Retrouver la paix, celle de l’esprit mais du corps aussi. Cela était-il encore possible ? Une partie avant envie de dire « non », impossible, trop de choses ont été vécues … l’autre « oui », tout est possible, il suffit d’y croire … vers laquelle pencher …

Elle avait toujours recherché la Lumière, toujours cru en elle, toujours vécu par elle. Depuis peu, elle recherchait l’obscurité, l’oubli dans la noirceur de la nuit. C’était comme une rémission pénible et douloureuse. Serait-elle complète et totale … partielle et divisée … Elle ne savait pas, elle ne savait plus …

L’opacité nocturne l’apaisait, la réconfortait même parfois. Elle avait pris l’habitude de se promener durant ce moment de la journée ou tout n’est que flou, nébuleux, indistinct. Il était rare de croiser des gens pendant ces heures sombres, ce qui l’arrangeait fortement. Cela lui évitait de regarde la réalité en face, de se regarder en face, de voir sa réalité. Mais peut-on échapper aux évidences ? A la vérité ? Est-ce possible … encore possible …

Elle secoua la tête lentement, tout lui semblait si lent, tellement lent en ce moment, à cet instant. Elle voulait effacer à tout pris les derniers jours, les dernières semaines, les derniers mois. Oh, pas tout, non, loin de là, il y avait eu des instants heureux, des passages miraculeux, mais tellement de souffrance face à ceux-là, tellement d’horreur, tellement de larmes qu’elle ne voulait plus en verser de peur de ne pouvoir jamais s’arrêter. Ses Princesses et ses Anges face à tout cela faisaient-ils le poids ? Encore ce maudit partage … encore des choix à faire … des décisions à prendre … D’un côté la pureté et l’innocence … De l’autre le bourbier et la culpabilité …

Sans s’en rendre compte, elle avait marché, parcouru une certaine distance hors de la ville. Le temps, encore lui, avait filé comme à son habitude. La nuit avait laissé place au jour, l’heure était venue pour la jeune femme de rentrer, se reposer un peu avant de recommencer … mais recommencer à quoi ? Lutter pour sa survie … Se battre pour la vie … Pour les deux, qui sait …

Les ombres étaient devenues des formes, les formes des objets, les objets des être humains. Le regard azur chercha un endroit où se réfugier, où se cacher pour ne pas être vue, pour ne pas voir aussi, peut-être… Elle était trop exposée à son gout, trop visible, trop tout simplement … Elle allait se mettre en mouvement lorsqu’une des formes attira son attention … Un homme, à n’en pas douter, courait … courait vers où … vers quoi … vers qui …

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Ysaure
Toulon, Aux portes de la ville.

- Jean ! Sont-ce bien les portes de Toulon que nous voyons au loin ? Pourquoi y a t il des corps partout ? Quelle horreur !
- Ah vous voilà réveillée Damoiselle Ysaure ! C’est bien Toulon que nous voyons là-bas et visiblement, il y a eu une bataille ici.

Le vieux cocher soupira se demandant quand cette guerre cesserait. Il avait l’impression que le conflit dans lequel s’était engagé la Provence durait depuis une éternité. Il jeta un regard en arrière et vit la tête d’Ysaure qui dépassait de la fenêtre du carrosse, sa mine curieuse, contemplant le triste spectacle.

- Mais voulez-vous rentrer votre tête ; ce n’est guère convenable pour une jeune fille !
- OOhh Jean ! Il y a peut être des blessés ! Il faudrait aller les secourir !
- Damoiselle, c’est hors de question ! Vous n’y pensez pas ! Votre père sera furieux si jamais je vous laissais faire cette folie ! Laissez donc ces macchabées !
- Jean, il est de notre devoir d’aristotéliciens de venir en aide à ceux qui peuvent être encore sauvés.


Le cocher poussa à nouveau un énorme soupir. Du haut de ses seize printemps, la damoiselle avait réponse à tout
Depuis le couvent où il était allé la chercher, la jeune fille de Maître Guillet n’en avait fait qu’à sa tête. Restée longtemps sous l’emprise des sœurs du couvent, et soudain libérée de ce carcan, elle semblait s’éveiller à la vie et s’émerveillait de chaque chose. Sa candeur et sa fraîcheur l’avaient tellement charmé qu’il avait cédé à chacun de ses caprices. Cette fois encore, le minois enjôleur d’Ysaure eut raison de lui. Il tira sur les rênes d’un mouvement souple et déjà la jeune fille ouvrait la porte et sauta prestement du marchepied.
De mauvaise grâce, il la laissa se pencher sur les corps ensanglantés tout en gardant un œil vigilant alentour.

Ysaure passait d’un corps à l’autre, un pan de sa cape remonté jusqu’au nez. Il régnait une telle puanteur. La vision de ces cadavres empilés les uns sur autres, de ces corps mutilés, de ces membres arrachés, souleva le cœur de la jeune fille.
Elle regretta soudain de n’avoir pas écouté Jean mais elle se refusait à remonter dans le carrosse, qui malgré sa vétusté n'en était pas moins plus rassurant. Par fierté sans doute mais aussi parce que son bon cœur et tous les préceptes que lui avaient enseigné l’abbesse lui dictaient de venir au secours des soldats blessés, si tout au moins, il restait des survivants. Son regard balaya le champ de bataille..un vrai carnage.. Alors qu’elle scrutait l’horizon, elle vit une silhouette au loin.
Image furtive d’une vie cherchant à échapper à son destin..


Sans vraiment savoir pourquoi et sans plus écouter les appels de Jean, Ysaure ramassa ses jupons d’une main et se mit à courir, sans se douter qu'une autre personne avait aussi les yeux rivés vers la silhouette qui s'enfuyait …Courir vers cette âme qui avait échappé à une mort certaine…courir vers la Vie !
Virginia_
Elle … Elle était perdue, ne savais plus quoi faire…

Pendant longtemps, elle avait pris des décisions, pas forcément les meilleurs, mais pas non plus les pires, du moins elle l’espérait. Elle avait dirigé, persuadé en douceur comme sa nature profonde l’y incitait, dicté avec fermeté, ce qu’elle reprouvait sans jamais l’avoir montré, arbitré, prenant le coté positif de part et d’autre. Elle avait assuré, assumé les charges, les fonctions, les mandats sans jamais faillir en public ou alors si peu.

Contre toute attente, un jour elle avait abandonné tout ce qui avait compté et comptait encore plus que tout à ses yeux pour partir loin des siens, de sa famille, de ses amis et ne plus écouter que les ordres qu’on lui donnait, obéir tel un bon petit soldat qu’elle était devenue.

Pour ne plus sentir la pression qui l’étouffait à petit feu, pour ne plus éprouver les doutes qui la rongeaient insidieusement de l’intérieur, pour ne plus s’occuper des affaires politiques qui ne l’intéressaient plus, pour oublier tout simplement, elle avait renoncé à tout, même à être celle qu’elle était jusqu’il y a peu.

Et pourtant … pourtant, elle avait l’impression que tout recommençait, de suivre simplement les ordres, elle en était venue à les attendre pour les transmettre, de les transmettre, elle en était arrivée à en discuter, à question, à vouloir apprendre. A nouveau, elle passait ses nuits à essayer de comprendre, de trouver une issue favorable et la moins pénible possible pour chacun. Elle tournait et retournait les problèmes dans sa tête comme si la solution était là, évidente, à portée de main et pourtant inaccessible.

Confusément, elle sentait qu’elle recommençait à se perdre à nouveau, à chercher à fuir en s’anesthésiant par le travail, à échapper aux gens, détournant les questions qui lui étaient posées pour ne pas y répondre, cachant, dissimulant ce qu’elle ressentait exactement au fond de son cœur.

Fuir … toujours fuir … encore fuir … tout n’était donc qu’une fuite en avant dans sa vie ? N’avait-elle jamais fait que cela … fuir ? En voyant la silhouette courir, cette envie la pris à nouveau, celle de fuir le plus vite possible, le plus loin possible, pour ne plus blesser, pour ne plus être blessée, pour se protéger, maintenir cette carapace qu’elle s’était forgée au fil du temps, pour nier la réalité parfois si cruelle.

Elle fit un pas, deux, puis se mit à accélérer dans la direction opposée de celle de la silhouette. « C’est ainsi que tu fais face ? C’est ainsi que tu désire ta vie ?» Cette voix dans sa tête la ramena à la réalité du moment, un homme avait peut-être besoin d’elle, peut-être était-il en danger, peut-être … Il y avait tant de « peut-être » possible.

Elle s’arrêta brusquement, lentement se retourna. Observant à nouveau la scène qui se déroulait devant elle. Un nouvel acteur, ou plutôt une nouvelle actrice y était entrée, une jeune fille, à peine sortie de l’adolescence, lui semblait-il. Celle-ci avait surgit d’un carrosse qui avait certainement connu des jours meilleurs mais qui s’en souciait ? Pas elle en tout cas.

Vinou ne put que constater leurs différences, la jouvencelle semblait porter à elle seule l’insouciance de la jeunesse, l’enthousiasme de ses jeunes printemps, la candeur aussi mais surtout l’espoir de la vie. Qu’avait-elle, elle, à apporter face à cela ? Son désenchantement face à la vie, son écœurement suite aux innocents, aux estropiés, aux écorchés vifs qu’elle avait vu tomber sur le champ de bataille, son dégout qu’elle ressentait au plus profond de ses entrailles pour ce à quoi elle avait assisté et provoqué depuis tous ce temps qu’elle était partie au combat.

Les mensonges, la duplicité, les excuses, elle s’en était servie depuis qu’elle était arrivée sur le sol provençal, niant appartenir à l’armée française, disant être de passage et ne connaissant pas la situation politique et militaire de l’endroit où elle se trouvait. La réalité était tout autre, elle s’était engagée pour la croisade contre les Lions de Judas, volontairement, bénévolement. Elle avait continué à suivre lorsque la mission les avaient mené en Provence, elle avait continué à combattre, à blesser, à tuer des soldats mais peut-être aussi des innocents. Cela elle ne le savait pas, elle ne voulait pas le savoir, encore et toujours se voiler la face …

Surprise, elle s’était réveillée un matin dirigeant l’une des armées française, elle en avait éprouvé une certaine fierté, elle ne pouvait le nier, un nouveau monde s’était ouvert devant elle, un monde qui l’intriguait, qui la fascinait, un monde dont elle avait encore tellement à apprendre, elle n’était encore qu’une novice en la matière et ne demandait qu’à en apprendre toujours plus.

La question n’était pas là, à cet instant, il s’agissait de la vie d’un homme, c’était cela l’important et si elle pouvait apporter son aide, elle le ferait. Soldat ou civile, roturier ou noble, provençal ou français, cela n’entrait pas dans les considérations de la jeune femme. S’il avait besoin d’elle, elle serait présente.

Elle l’avait décidé, elle avait fait un nouveau choix qui la mènerait elle ne savait pas où mais elle ne faiblirait pas. Elle ne ferait pas le premier pas vers lui, elle n’en avait tout simplement pas le courage mais elle ne ferait pas non plus demi-tour, elle n’aurait pas cette lâcheté. Elle attendrait et verrait ce qu’il allait se passer.

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Ewaele
[Quand les évènements s’enchainent]

Plongée dans ses souvenirs, elle n'entendit pas les pas se rapprocher discrètement dans son dos. Ce ne fut qu'au bout de quelques minutes qu'elle ressentit la présence d'une personne derrière elle. Ses yeux se rouvrirent et sa voix devint de plus en plus faible, jusqu'à devenir un murmure inaudible.
Immobile, elle écouta la respiration de l'inconnu, n'aimait pas qu'on reste dans son dos. Elle ferma le livre avec fracas, déchirant le silence. La rouquine se leva, sans pour autant lui faire face, et remit le livre dans sa besace. Elle cacha son visage derrière une barrière de cheveux roux et jeta un discret coup d'œil en direction de l'autre. Elle croisa l'éclat bleu des yeux de Vinou.

Ses doigts se mirent machinalement à caresser le cuir de sa tunique, elle attendait. Quoi au juste? Qu'elle brise le silence, qu'elle tousse? Qu'elle s'en aille? Alors qu'attendait-elle ? Avait-elle peur? Sans se retourner, elle fit quelques pas et attendit simplement.

En fin de compte, elle aurait peut-être préféré qu'elle ne parle pas. Surprise par les propos de sa vassale, elle se retourna brusquement et la fixa avec un étonnement mêlé de peur. Était-elle folle?
La Comtesse examina avec attention mère et enfant. Ewa s'approcha d’elle, se pencha, et quelques mèches de ses cheveux vinrent caresser les joues du bébé. Machinalement et sans répondre elle la prit dans ses bras, la leva plus haut que sa tête un peu comme une offrande en direction de la lune qui pointait… Puis lentement elle vint la presser contre sa poitrine, Vinou savait que sa suzeraine ne refuserait pas, même si sur les traits de la rouquine on pouvait voir un vent de panique, un moment d’absence. Ses émotions avaient été mises à rude épreuve. Et pour la rousse, cela prenait une ampleur importante, ne serait-ce que sur son état physique et moral : elle était éreintée. Fatiguée par ses nerfs qui lui jouaient des tours, quand la nuit tombait et qu'ils se relâchaient, Ewaële plongeait littéralement dans un profond sommeil, si impénétrable qu'elle ne se souvenait pas d'avoir rêvé, et le lendemain, dur était le réveil. Mais le plaisir de vivre et de voir de nouvelles choses lui redonnaient une forme nouvelle qui s'éteindrait sans nul doute lorsque la journée toucherait à sa fin. Alors pour l’heure s’occuper d’un bébé… Mais elle avait dit oui et avait regardé son amie partir sans un mot de plus, toutes deux n’aimant pas les au-revoir.


[Pratiquement un mois plus tard…]

Le soleil, brillant d'un éclat timide dans la fraicheur de l'après midi, se voila un instant. Dans l'herbe rabougrie subsistant encore en cette fin d'hiver, de petits animaux effrayés s'enfuirent, courant se terrer dans leurs abris souterrains. Tête levée vers l'immensité, la jeune femme retenait sa cape, malmenée par le vent glacé qui s'était levé peu après leur départ de Brignoles. Le voyage lui avait semblé une éternité, affrontant sans broncher les bourrasques tranchantes qui hurlaient furieusement à travers la plaine, les même qui paraissaient actuellement vouloir lui arracher la maigre protection que constituait sa cape de laine. Il lui semblait presque pouvoir entendre des voix au sein de la tourmente, murmurant insidieusement des promesses d'un âge obscur. Ses lèvres se rejoignant en une ligne fine, ses iris émeraudes brillant intensément dans son visage un peu trop pâle, une main levée pour maintenir à leur place les mèches folles avec lesquelles s'empressait de jouer le vent, Ewaële se pencha silencieusement sur le panier qu’elle avait attaché devant elle et où reposait Maëlya, bercée par la cadence de sa monture.

Elle avait regardé Vinou partir… C'était désormais au tour de la jeune femme d'aller au devant des forces du destin. Il n'était pas toujours bon de connaître ce que nous réservait le futur, car, quoi qu'on fasse pour le changer, il était rare qu'on puisse éviter sa destinée. Modifiez le déroulement des évènements, empruntez un autre chemin de vie, et inévitablement, au détour d'un tournant, elle vous rattraperait, au moment où vous vous y attendiez le moins. Elle devait, avant de quitter définitivement le sol Provençal, permettre cette rencontre. Un pas après l'autre, inlassablement, le regard fixé sur l'étroite corniche qu'elle empruntait, la jeune femme progressait, tournant et retournant ses angoisses dans son esprit fiévreux. Un rire joyeux d'enfant retentit soudain, résonnant en écho contre les murs de pierre. De la lumière se déversant par les petites ouvertures traversant la roche, une forme fantomatique surgit, s'évaporant juste après son passage au sein de la pénombre. S'entremêlant à lui, un rire de femme, chaud et maternel, se fit entendre, brièvement, avant que le silence ne se fasse de nouveau, à peine troublé par la respiration régulière de la rouquine, et le frottement de ses cuissardes sur les flancs de son cheval. Surprise, s'arrêtant pour reprendre son souffle, Ewa baissa un regard incertain vers la princesse qui reposait… Et pensa en elle-même : Je t’en fais la promesse je vous permettrai de vous revoir au moins une fois avant de quitter ces terres…


[Pas loin des portes de la ville de Toulon]

Elle descendit lentement de sa monture et prit le licol en main, laissant la petite fille dans son panier bien recouverte et attacha son cheval à un arbre, au loin scintillait les lumières de la ville… Mais son regard fut attiré ailleurs… Un homme… Ses mains jointes tremblaient contre le sol et sa tête bien enfouie entre ses épaules n'osait se relever. Son corps était entièrement pris de spasmes produits par la peur qui le tiraillait? Recroquevillé sur lui, tremblant de tous ses membres, il avait l'air d'un homme qui suppliait son bourreau de ne pas le tuer. On aurait dit qu’il ne pouvait rien faire contre cela, que c'était plus fort que lui. Cette hantise de l'autre monde, de ce qui se trouve derrière cette autre barrière, était incontrôlable. Etait-ce son imagination qui lui jouait des tours, peut être était-ce dû à l'atmosphère des lieux, mais elle avait l'impression que l'air était devenu froid, que des souffles glacials caressaient sa peau, faisant naître un frisson qui lui parcourait l'échine. Son souffle ne produisait plus aucun bruit. Ses yeux jusqu'alors fermés, s'ouvrirent. Il était là… Elle le sentait s'approcher de son pas spectral, silencieux, à la limite de la lévitation. Il s'approchait de plus en plus. Elle sentit une grosse boule se former dans sa gorge, l'empêchant de déglutir. Elle n'entendait rien à part le froissement des tissus produit par la course de l’homme qui lui arrivait dessus. Elle sentit son souffle lui flatter la nuque. Ses cheveux et ses poils se dressèrent, comme parcouru par un éclair. Elle hurla tout en se redressant à moitié et se laissant tomber sur son séant, puis il recula à l'aide de ses mains et de ses jambes, comme un enfant apeuré par la punition de son père. Ils étaient tous les deux au sol, il venait de la percuter de plein fouet. Elle scruta l’inconnu aux faibles rayons de l'astre qui flottait dans le ciel. Du sang, voilà tout ce qu’elle voyait. Elle ne le connaissait pas, aucune couleur sur lui ne pouvait donner un indice sur ce qu’il était, qui il était. Elle rampa jusqu'à lui pour l’approcher doucement, ne pas l’effrayer plus que nécessaire, un peu comme si elle avait à faire à un animal sauvage qu’il fallait apprivoiser. Elle plongea son regard dans le sien et comme si un courant passait entre les deux elle lut en lui et se mit à lui parler d’une voix basse et douce.

Ça commence par un moment de flottement quand le soleil recule, un parfum d'hésitation qu'on appelle le crépuscule. Les dernières heures du jour sont avalées par l'horizon, pour que la nuit règne sans partage… Ce miracle quotidien, le perpétuel mystère qui fait qu'en quelques secondes on passe du coté obscur de la terre, ce moment d'obscurité qui met en lumière nos fissures.*

Elle l’avait tutoyé sans le connaitre, et elle était là maintenant face à lui, tendant une main pour l’aider à se relever, mais le regard hagard de l’homme lui échappait déjà, qu’allait-il faire maintenant? Se remettre à courir encore? Ou attraper cette main qu’elle lui tendait? Elle lui avait parlé pour rien dire, ses mots n’étaient même pas rassurant. Mais qu’avait-elle donc en tête alors qu’un bébé toujours perché sur le dos de sa monture dormait tranquillement? Elle, elle défiait une ombre venue de nulle part et qui pouvait être son pire ennemi sans le savoir.


[*La nuit - Grand Corps Malade]
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Insanius
[Homme]

Il est à bout de souffle...
Son corps n'est que douleur, déchirement... Pensée l'oblige, Pensée le contrôle, l'emmenant avec elle dans une fuite éperdue, une fuite vers la nuit...
Il aimerait la calmer, il aimerait la bercer, qu'elle s'endorme et fasse taire ce tambour violent qui cogne en lui.
Mais lorsqu'il se tourne vers elle, elle ne fait que hurler. Refusant le contact d'un monde qu'elle ne connait pas, elle s'emmure dans sa propre démence...

Elle est maître de lui, Pensée devenue folle de voir ses choses qu'elle a oubliée... Elle le rejette lui aussi, pourtant il sait qu'ils sont liés... Comment ça il l'ignore encore, mais au fond de lui il comprend qu'ils ne devraient être qu'un...
Pour devenir autre chose.. Pour devenir ce qu'ils étaient...

Ses jambes lui font mal, déjà meurtries, la course les malmène...
A chaque foulée, une onde douloureuse remonte de son pied, se diffusant en lui. A chaque saut, il craint de les voir céder sous lui...
Sa poitrine le brule a chaque bouffée d'air prise... Son cœur va éclater, il le sent, c'est devenu une certitude...

Il doit s'arrêter. Il doit la maitriser, lui faire comprendre qu'ils vont mour....

Choc... Sans comprendre ce qu'il se passe, il se retrouve au sol...


[Pensée]

Elle les a vu, ses choses étranges, ses choses qui semble se mouvoir, qui lui rappellent celles qui étaient allongées autour d'elle à son éveil.
Elle ne sait pourquoi, mais elle en a peur... Alors elle a réagit, elle à balayer l'autre et s'en est servit...
Elle a actionné cette extension d'elle même pour s'éloigner, sans trop savoir comment, sans trop savoir pourquoi. Mais maintenant elle ne sait plus quoi faire. Alors elle hurle, elle s'entoure de ce cri pour ne plus voir, pour ne plus entendre.
Elle veut retourner à la nuit, retourner à son lac sombre où elle se sent si bien. Elle veut cesser de rêver et de vivre...

Elle pleure aussi, déboussolé par ce qui l'entoure, elle n'arrive même plus à penser, elle n'arrive plus à vouloir, elle se sent envahit par la terreur... Elle n'est plus que ça... Un être apeuré, désœuvré, un être qui n'a sa place que dans la solitude...

Soudain, elle réalise qu'elle s'est arrêtée de fuir. Elle n'a pas conscience de son corps, elle n'a pas conscience de ses sens. Jusqu'au moment où il reprend le dessus et que par ses yeux...


[Homme]

... il voit devant lui, une forme. Un autre être doté d'un corps. Pensée a couru sur elle, ils se sont heurtés.
Mais cette fois, il garde le contrôle. Il ne ressent pas la peur, juste de la curiosité.
Qu'est ce donc?
Étrange sensation... L'autre corps est face à lui... Le regarde fixement... Et soudain il entend...

Une musique vient résonner dans sa tête. Un son doux et enivrant. Il ne comprends pas tout de suite qu'elle ne fait que parler. Pour lui les mots ont un sens qui lui échappe, il ne s'ouvre qu'a l'harmonie qu'ils dégagent. Insensible à leur histoire...

Il voit... une main venir vers lui, une main à laquelle il ne manque aucun doigt. Une main plus fine que la sienne... Est elle douloureuse celle là?
Il regarde la sienne maintenant et se demande s'il devrait la tendre lui aussi...
Il hésite...
Puis finalement...



[Pensée]


Non!
Il ne doit pas faire ça! Il faut l'empêcher... Elle panique... Elle lutte pour reprendre le dessus, pour qu'il ne lève son bras et approche sa main de cette chose en face d'eux...
Elle hurle à nouveau, se débat...
Elle ne veut pas, elle ne peut pas....

Ils se relèvent, vifs et ils fuient à nouveau, laissant l'apparition derrière eux... Filant droit vers une jeune fille qu'ils ne voient pas....

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Ysaure
Le vieux cocher de Maître Guillet observait d’un air désolé la jeune Ysaure courant au devant d’une silhouette. D’un homme ou d’un spectre, il n’aurait su le dire. Sa première intention fut de laisser le carrosse en plein milieu du champ de bataille et d’accompagner la jeune péronnelle mais le lieu ne lui inspirait guère confiance. Des françois pouvaient surgir d’un instant à l’autre et faire main mise sur le vieux carrosse. C’était le seul et unique coche que possédait le père d’Ysaure et il se devait de le ramener à son maître. Avec sa fille à l’intérieur si possible…

Cette dernière courait toujours vers l’homme qui avait attiré son regard quelques instants auparavant. Une main en visière pour se protéger des lueurs du soleil, l’autre tenant un pan de sa robe écarlate, les joues rougies par la course, Ysaure offrait un improbable spectacle. Une adolescente à peine pubère qui trottinait en plein milieu d’un champ maudit, morne et tragique où seule la mort semblait régner en maîtresse des lieux.
Mais de cela, Ysaure ne se souciait. Elle n’était pas du genre de ces demoiselles qui se regardent bouger, pour voir l’effet que cela peut produire sur les autres.
Iil lui sembla que l’homme heurtait une masse sombre. Un cri effroyable retentit alors dans le pâle silence de l’étendue sinistre. Ysaure s’arrêta net. Eblouie par le soleil, elle ne parvint pas à voir la scène. Elle ne voyait pas non plus cette autre personne, à quelques pas de là, dont le regard si bleu mais abattu suivait les évènements depuis un bon moment.
Elle n’osait plus désormais aller au devant de cet homme. Le hurlement l’avait saisie d’effroi. C’était comme si ce cri venait de lui faire prendre conscience de l’horreur qui l’entourait. Qu’est ce qui lui avait pris de descendre de voiture ? Elle se posait la question mais n’avait nul doute sur la réponse. Elle avait passé huit années de sa vie enfermée dans un couvent. Elle désirait ardemment goûter à la vie, au bonheur d’aller ça et là sans avoir de compte à rendre à personne. Pour l’heure, il semblait tout de même que la jouvencelle avait mal choisi son moment pour batifoler dans la campagne. Pourrait-elle d’ailleurs le faire plus tard ? Le pays était en guerre. Tout n’était que massacres, pertes humaines et matérielles, tristesse et désarroi…
Elle se tourna vers le carrosse, qui lui parut bien éloigné d’elle. Jean devait toujours l’attendre patiemment. Cela la rassura et elle se remit en marche.
L’homme, qui avait dû se relever de sa chute, s’avançait maintenant vers elle. Elle le distinguait mieux maintenant. Couvert de sang, les cheveux tressés, l’allure sauvage, le regard fuyant, il fonçait droit devant lui. Il ne semblait même pas la voir. A se demander lequel des deux était devenu fantôme ?
Avant même qu’il ne s’approche, elle le héla :

Ehh, vous !! Etes-vous blessé ? Avez-vous besoin d’aide ?
Virginia_
Un homme … trois femmes …

La situation lui en rappelait une autre … en d’autres lieux … en d’autres temps … pas si lointains en y réfléchissant bien … un léger rire amer sortit de sa gorge. Elle ne voulait plus cela, plus être la seconde, la troisième, la … quantième encore … qui savait vraiment …

Elle allait définitivement quitter cet endroit lorsque son attention fut attirée par une nouvelle silhouette. Les saphirs profonds de son regard scrutaient maintenant l’étendue avec vigilance. Cette démarche, ce maintient, cette posture lui semblait plus que familière. Elle eut la certitude quant à l’identité de la nouvelle venue lorsqu’elle perçu le feu de la chevelure. Ainsi, Ewa, son amie, sa Suzeraine était encore en Provence …

Elle ne le savait pas, n’avait pas vraiment voulu le savoir, n’avait plus reçu ni pris aucune nouvelle depuis leur dernière rencontre, lorsqu’elle lui avait confié ce qu’elle avait de plus précieux en ces terres dévastées par les atrocités des différents combats. A n’en pas douter, les stigmates resteraient visibles pendant encore de longues saisons. Il n’y aurait pas que ce qui était visible, il y aurait aussi l’invisible, l’imperceptible, l’indiscernable, le secret caché au fond de chacun des participants.

Mais … si Ewa était là … où était … sa lumière en ce lieux ? Où était sa source de réconfort ? Où était son espoir d’une autre vie ? Où ? Est-ce possible que … ? L’insupportable s’était-il produit sans qu’elle en soit avertie, sans qu’elle ne l’ait senti au plus profond de ses entrailles ? Pourrait-elle encore vivre si tel était le cas ?

Une angoisse, sourde, profonde, fourbe monta en elle. Elle la sentait se diffuser dans tout son corps tel un poison mortel se distillant dans son sang. Sa respiration se fit plus saccadée, moins aisée, manquant de la faire suffoquer. Ses yeux agrandis par la douleur lui mangeaient pratiquement tout le visage. Ses membres tremblaient sans qu’elle s’en rende compte, de la sueur naquit sur son front, ses jambes refusèrent de lui obéir, elle était figée, statufiée sur place, ne sachant que faire, que penser …

Se ressaisir … reprendre possession de sa dépouille … retrouver ses esprits … se raccrocher à … oui mais à quoi … Voilà ce qu’elle devait faire, redevenir impassible, froide, inébranlable, inhumaine… Elle glissa la langue sur ses lèvres sèches, ferma lentement les yeux et s’exhorta au calme. Elle ne pouvait faillir, elle ne pouvait montrer de faiblesse, elle devait être forte et lucide. Elle entendit un hennissement … un signe … un appel … cela pouvait être tant de choses à la fois … Cela valait-il une pointe d’espoir ? Cela ne valait-il rien ? Cela valait-il la peine d’aller vers ce bruit qui l’attirait ? Oui ? Non ? Peut-être …

Tel un fantôme qu’elle était presque devenue, elle se mit en marche vers ce cri animal. Elle ne savait pas pourquoi, ni comment elle le fit mais elle y allait inexorablement. Sans plus se poser de questions, sans plus rien ressentir, elle avançait. Vers … vers quoi ? Elle ne le savait pas, elle ne le savait plus …

La monture était là, attachée par le licol à un arbre. Sur celle-ci, un panier reposait. Dans ce panier, il y avait … Qu’y avait-il dans ce panier ? Un nourrisson ? Un corps ? Des restes ? Non, elle secoua vigoureusement la tête, refusant de farouchement d’envisager ces derniers cas de figure. Elle ne pouvait tout simplement pas les concevoir, elle ne pourrait pas y survivre, de cela elle en avait la certitude.

Les paupières se refermèrent à nouveau, la tête se pencha, les lèvres remuèrent en une prière fervente mais silencieuse, les pieds se mirent en marche comme guidés par une vie qui leur était devenue propre.

Arrivée près du coursier, Vinou posa la main sur la croupe de celui-ci. Elle cherchait sa chaleur, sa force, sa puissance qui lui fourniraient le courage de regarder à l’intérieur du panier. Elle avala à nouveau sa salir, s’humecta les lèvres et fit face. Un très large sourire apparut sur son visage, un rire éclatant d’une joie, si longtemps retenue, se fit entendre. La combattante laissait place à la femme, la femme à la mère …

Les paumes jointes, les doigts effleurant sa bouche, elle contempla sa fille, sa princesse, sa lumière, sa vie, sans oser encore la toucher. Des larmes d’émotion glissèrent sur ses joues, elle ne fit rien pour les sécher, elle admirait ce miracle de la nature qui était sorti de son ventre en plein champ de bataille. Enfin, elle avança sa main gauche pour lui caresser la joue délicatement, veillant à ne pas l’effrayer.

Un regard aussi azuré que le sien l’observait, une si petite menotte agitée vers elle, des gazouillis mélodieux eurent vite fait de briser rapidement ses dernières réserves. Plongeant les mains dans le panier, elle en sortit Maëlya, la serra contre elle durant un moment qui lui semblait si long et si court à la fois. Elle l’embrassa encore et encore, s’enivrant de son odeur, cette senteur caractéristique des nouveau-nés, entre ses larmes et ses baisers, elle lui avouant de sa voix douce des mots qu’elle avait retenus jusqu’à maintenant.


Tu es ma lumière … Tu es ma vie … Tes frères et sœurs êtes tout pour moi … Vous êtes ce pourquoi je me bats aujourd’hui … Vous êtes notre avenir … Je vous aime tant … Je te jure … je vous jure … que je reviendrai vers vous … je vous retrouverai où que vous soyez … je t’aime … je vous aime … n’en doute jamais … n’en doutez jamais …

Elle savait qu’elle n’avait plus beaucoup de temps devant elle, elle savait que ces instants volés étaient limités et devaient avoir une fin, comme pour beaucoup de choses à ce bas monde. A contre cœur, elle la recoucha dans son lit d’appoint, se baissa pour lui faire un dernier baiser sur le front et l’admira encore un si fugace instant.

Fouillant dans sa besace, elle en sortit sa bible qui ne la quittait jamais depuis qu’elle était enfant, elle l’ouvrit à la page du « Te Deum ». Elle ne voulait pas le lire, le connaissant par cœur, elle ne voulait pas le réciter non plus, elle voulait simplement y retrouver les pétales de rose qu’elle y avait glissé avant de partir en croisade. Ceux-ci avaient été séchés avec soin, ils étaient pour la jeune femme, la seule évocation de ses enfants qu’elle avait pris avec elle. Ils étaient là pour qu’elle puisse se souvenir du pourquoi elle était là, pour pouvoir y tiré la force et le courage lorsque ceux-ci venaient à lui manquer. Ils étaient là pour la guider à leur façon. Vinou en déposa un, bien en évidence sur la couverture dont elle avait bien enveloppé sa fille. Elle savait qu’Ewa saurait.

Lentement, à regret, elle se détourna de sa fille, du panier, du cheval, un léger sourire flottant sur les lèvres. Elle se sentait apaisée, presque bien, presque qu’heureuse. De cet instant magique pour elle, elle avait tiré le meilleur, tout ce dont elle avait besoin pour continuer. Vinou poussa un long soupire, presque un soupire de bien-être, elle était prête à retourner d’où elle venait, elle se sentait déterminée, plus déterminée que jamais.

Le temps de son absence, la silhouette avait bougé, il lui semblait qu’elle s’était éloignée de la Rouquine. Il lui semblait ressentir un vent de panique en sa provenance. Elle s’approcha un peu plus de celle-ci pour lui venir en aide lorsqu’elle entendit la jouvencelle interpeler l’individu.

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Ewaele
[Lui]

Ce voyage avait été étrange. Telles étaient les pensées d’Ewaële.

Le soleil était déjà présent, rond et lumineux, alors qu’elle se trouvait assise par terre, regardant le ciel à s’en découdre le cou. Elle aurait eu le pouvoir de s’envoler qu’elle serait partie pour se trouver au plus proche des cieux. Les connaissances accumulées n’étaient rien face à ce qui était à venir et, maintenant qu’elle se trouvait sur le chemin de sa destinée, elle en venait à douter de celle-ci. Pourquoi l’aurait elle guidée sur la pente où elle se trouvait désormais? Devait-elle se fondre dans l’obscurité ou au contraire se tenir à ses pensées, tel l’arbre enraciné depuis déjà des millénaires? Comme si les raisonnements guidaient son monde, elle voyait une fissure naitre sous ses pieds. Ce fut dans l’illusion de la chute que son cœur se mit à battre et que ses yeux s’ouvrirent sur cette main qu’elle tendait toujours. Bientôt, la vision de l’homme lui revint. Les secondes s’écoulaient et la réalité s’engouffrait en elle par tous ses pores. La jeune femme observait les traits de son vis à vis comme s’il appartenait à un rêve. La rudesse du sol où elle se découvrait la maintenait en place comme un serpent entoure sa proie. L’astre brulait sa peau, les mélanges abimaient ses sens et les présences l’inquiétaient. Elle voulait s’éloigner et ce désir se mua en force. La volonté devint un devoir : elle devait aller dans un endroit où elle serait en sécurité. Loin de lui, de ces attributs qui n’étaient les siens.

Alors qu’elle observait cette main et qu’il allait s’en saisir, un haut le cœur la prit et l’amena à une douleur plus intense. Elle connaissait cette sensation... Elle n’avait besoin de poser réellement son regard sur lui qu’elle savait ce qu’il était. Grondait en elle sa colère et elle détailla celui qui l’avait faite tomber. Leurs pupilles se croisèrent l’espace d’un instant bien suffisant pour que la flamme qui brûlait en son être soit perceptible par l’autre. Sans doute l’homme n’était habité par aucune animosité réelle car il la laissa approcher légèrement. Elle ne songea point à la possibilité où il aurait décidé d’être agressif. Alors qu’elle croisait son regard, ses yeux verts réveillèrent des souvenirs enfuis et, un instant, l’eau prit possession de ses yeux. L’océan s’y mêla et amena la vie à y transparaitre. Les évocations se mêlèrent et Ewa songea à la douleur qui pouvait naitre s’il était blessé. Ses pensées s’étaient détournées et, un vague instant, l’illusion prit possession d’elle. L’homme perdait son unicité car il pouvait être deux. La rousse, qui s’était tant plu à se conditionner, sans s’en rendre compte, se trouvait face au dilemme qui déjà l’avait dévorée. Pouvait-elle tuer cet être si nécessaire? Un instant, alors que ses pensées s’entrechoquaient avec le même bruit du métal retentissant, une voix résonna en sa tête. Elle imaginait des hommes mourir de par sa faute. Non, elle ne pourrait pas tuer l’humain, sauf s’il s’en prenait à Maëlya. Une image d’un enfant lui parvint et il pleurait. Comme l’écho de ses propres doutes…

L’homme lui portait une attention réduite, comme s’il pensait à autre chose. Cela énerva quelque peu la demoiselle. La Comtesse voyait peu à peu apparaître pour l’homme en face d’elle trois possibilités distinctes. La première, la plus évidente et la plus agréable, serait qu’il disparaisse, tout bonnement fauché comme le blé, son corps et son esprit se rabattant dans la terre qui les avait créés. La deuxième possibilité était qu’il soit comme des ennemis n’hésitant point à manigancer l’un contre l’autre dans les bras de la mère manipulation. La dernière possibilité, la moindre, était qu’ils finissent alliés tout simplement. Mais elle n’eut pas le temps de dire ou faire quoi que ce soit de plus, déjà il se levait et repartait en courant comme un fou vers un ailleurs. Il aurait tout aussi bien pu hurler dans sa fuite, son cri déchirant l’instant comme un éclair aurait déchiré le ciel.


[Elle]

Elle entendit dans son inconscience, dans le monde de l'Entre-deux où elle flottait, une voix douce qui s'exprimait dans une langue inconnue. Douce comme une caresse, à peine perceptible dans le souffle glacé qui battait. La jeune femme sentait une présence tout autour d’elle, dans ses cheveux, soufflant et apportant des effluves suaves d'une présence qui semblait si réelle.

Mais que faisait-elle là ?
Ewa se leva et arpenta l'étendue, plantant ses talons dans la matière délicieusement élastique qui la tapissait. Le silence régnait en maître ici. Le vent soufflait doucement, soulevant des paillettes étincelantes sous la lumière tremblante d’un soleil en fin d’hiver. Les cheveux de la rousse étaient ébouriffés et le vent froid l'obligeait à plisser les yeux. Quel froid? Un froid imaginaire, intérieur, mordant, piquant, qui s'insinuait partout dans son corps, tremblant sous l'effet de cette douleur lancinante, obsédante. Solitude.

Où allait-elle ?
Nulle part. Mais que voulait dire nulle part dans ce lieu étrange et troublant? Nulle part, elle y était déjà. Mais elle était appelée, tractée par une force invisible qui se faisait de plus en plus douce et de plus en plus familière. Ewaële accéléra le pas. Et le vent gelait tout son corps, ses pieds, son museau et ses oreilles la tiraillaient. Mais elle ne s'arrêtait pas. Elle avait l’impression que son haleine évanescente se transformait en fleurs de givre, la sueur de son corps en cristaux de glace, mais qu'importait. Elle devait la rejoindre, cette force, cette voix.

Elle riva son regard aux yeux verts, cherchant un début de réponse à ses questionnements mais une adorable frimousse revenait sans cesse devant ses yeux, les sourcils arqués et le nez plissé. Où l'emmenait-elle dans le doux bercement des vagues qui semblaient l'inviter à sombrer dans l'oubli? Mais la rouquine résistait aux bras du sommeil, secouée d'étranges sensations, troublée par la vision de la petite silhouette qui l'emportait … Vers son destin… Maëlya.


[L’enfant]

Né des Ombres, né des Cendres. L’enfant ne s’imaginait pas être le jouet d’une force bien plus grande que lui. Il savait juste que le monde était beau. Mais sa vision de son monde à lui était restreinte. C'était un de ces matins où un soleil pâle brillait dans l'azur glacé du ciel. Un froid mordant avait chassé la brume de l'aube. Elle se précipita vers sa monture, elle ne l’avait laissée que trop longtemps, la panique pouvait se lire sur son visage, dans ses yeux, ne s’était que trop éloignée sans vraiment le vouloir, son cœur battait à tout rompre alors qu’elle faisait chemin inverse. La peur lui donnait des ailes. Elle courait, courait à en perdre haleine, les yeux fermés. Comme si une meute la suivait, la talonnait avec acharnement. Derrière elle, Ewa crût entendre un rire mélodieux mais teinté de folie éclatée. Le rire de celle-qui-veillait… La mère de l’enfant. Elle accéléra, foula la terre dévastée dans un ultime effort quand elle rencontra tout à coup une surface dure devant elle. La rousse la tâtonna malhabilement, toujours décidée à garder les yeux clos. Serait-ce l’arbre? Elle comprit qu’elle était arrivée, enfin. Elle se retourna, le dos contre l’arbre. Alors, elle ouvrit les yeux. Tout s'effaça. Elle était là, elle l’entendait gazouiller… La jeune femme soupira.

Lentement elle prit le panier, le détacha et s’installa au pied de l’arbre… Un miroir se brisa en silence dans le néant. Ses éclats formèrent comme une toile sur le sol noir, une toile d'argent. Un doigt blanc et effilé, plein de grâce, se promena sur la couverture. Il semblait hésiter, tournoyer, virevolter entre les différents fragments de tissus. Puis, finalement, la main prit le pétale, là, posé. Rouge. Troublant. Apparemment satisfaite, le regard de la Comtesse se mua en une vague forme, une volute de brume tourbillonnante et chavirant. Une vive douleur déchira ses entrailles. D'un bond, elle se releva et, sentant la panique l'envahir, elle fit le tour d’elle-même pour observer l'endroit où elle se trouvait. Elle ne voyait nulle part trace de Vinou. Serait-ce juste un rêve, un cauchemar? Non, c'était trop réel. Alors, elle regarda à l'est, où se dressaient de majestueuses montagnes, puis à l'ouest. Elle leva les yeux et contempla pour la première fois un astre doré dans un ciel bleu : le soleil. Doucement elle reprit l’anse du panier où des yeux azur la regardaient, elle vint le poser en appui sur un de ses bras… Sourit au bébé puis lui murmura :


Tu es l'oiseau, tu es la fleur, tu es l'innocence et la naïveté, tu es belle. La beauté émane aussi du rayonnement qu’on a en soi quand on est tourné vers le monde plutôt que de tourner autour de son nombril. On ne vit pas seul, on vit parmi, la nuance est énorme. Le rayonnement vient de cela et donne alors à l'être sa beauté singulière. La vie en elle-même est beauté. C'est ce qu'en font les hommes qui la ternit. Ne l’oublie jamais jolie princesse. J’ai tenu ma promesse, je ne sais comment, toi seule pourrait me le dire, mais hélas tu ne le peux pas encore, et plus tard, de ce moment que tu as échangé avec ta mère, tu ne t’en souviendras même plus. Mais elle était là, je le sais, et elle t’a vu, c’est tout ce qui compte. Maintenant nous pouvons partir et reprendre notre route, rentrer enfin chez nous, un endroit que tu ne connais pas encore, mais que tu découvriras par toi-même. Ici tu oublieras, même moi tu m’oublieras, du moins ce que nous aurons partagé jusqu’au jour où ta maman décidera de te récupérer. Dors maintenant mon ange, dors Aël, notre route et longue, mais je ne te quitterai plus, je te le promets.
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Insanius
[Pensée]

Mais quel est ce monde?
Elle n'en peut plus, elle est épuisée, effrayée, elle ne souhaite qu'une chose, que tout s'arrête, que tout s'éteigne. Retrouver l'obscurité de son monde, en finir avec ces sensations...

Comme un animal en cage, elle suffoque, elle se jette sur le rempart de chair qui l'empêche de sortir.


[Homme]


La folle cavalcade a reprit... L'espace d'un instant, il s'est cru à l'abri.
Il avait trouvé un autre être comme lui, il aurait pu comprendre, il aurait pu... Il ne sait pas vraiment ce qu'il aurait pu, mais il sait qu'il a loupé une occasion...

Il commence à la détester, cette chose étrange qui le ronge, qui le pousse à aller contre ses envies, à aller contre sa nature. Il ne comprend vraiment ce qu'elle est, mais il a la certitude qu'ils sont liés, qu'ils ne devraient pas lutter l'un contre l'autre...

A cet instant, une autre musique vient à ses oreilles... Tournant la tête, il voit d'où elle provient... Un autre être.. Plus petit, plus frêle...
Et cette fois, il comprend le sens de ce chant qu'elle semble lui lancer...

De l'aide... Oui, c'est ça, c'est qu'il aurait pu trouver si Pensée n'avait pas fuit...
Cette fois, il doit la contrôler.. Il doit inverser les rôles...


[Pensée]

Encore... encore... Si Lui semblait attiré par ce chant ce ne fut pas son cas...
Elle n'en peut plus. Devrait elle fuir encore longtemps ainsi?
Elle jette l'éponge... Elle allait mourir, s'éteindre, dormir... tout serait plus souhaitable que sa place ici...
Il aura ce qu'il veut... Elle relâche son contrôle et court se blottir au plus profond de ce monstre de chair... Elle attend sa mort...


[Homme]


Il sourit...
Elle a lâché prise, elle s'éteint au fond de lui, son hurlement mourant a mesure qu'elle s'éloigne... Son cœur ralentit et alors qu'il est tout près de l'être chantant, il arrête la course de ses jambes alors qu'il est tout près de l'être chantant...
Mais il se contrôle encore mal, sa tête tourne, ses jambes flageolent et il voit alors sol foncer sur lui... Il sent le choc... Il sent la douleur qui immédiatement ressurgit et le noie...
Il grogne, il souffre et inconsciemment il parle...
Une voix enrouée, une voix qui jadis chantait l'Oc...

Aidez... moi.. aidez nous...

Ça y est... Il a fait ce qu'il croit être le mieux. Ses paupières retombent sur ses yeux apaisés...
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Ysaure
Toujours assis sur le siège avant du carrosse, rien n’échappait à la vigilance de Jean. Alors que l’homme, se relevant d’une chute, se dirigeait toujours vers Ysaure, il vit une autre silhouette s’enfuir. Une silhouette toute de noir vêtue, telle ces corbeaux qui hantent les lieux picorant les cadavres et leur chair mutilée et qui s’envolent en croassant sur son passage.
Elle ne fut bientôt qu’un point noir et Jean reporta rapidement toute son attention sur Ysaure.
L’homme se rapprochait de la jeune fille. Rien de bien menaçant n’apparaissait dans sa démarche. Au contraire, l’homme avançait tête baissée et continuait sa course folle tel un animal apeuré fuyant un quelconque prédateur. Il espéra juste qu’il ne s’agissait pas d’un françois. De loin, il n’arrivait pas à voir d’attribut prouvant son appartenance à une armée.
Le visage du cocher reflétait une réelle inquiétude ; il resta néanmoins à son poste d’observation, pensant que l’homme ne représentait pas de réel danger pour Ysaure.
L’individu parvenu au niveau de la jeune fille tourna la tête vers elle et s’effondra.
Egoïstement, Jean en vint à espérer sa mort, désirant maintenant rentrer au plus vite dans la demeure de Maître Guillet, le père d’Ysaure. Il avait hâte de retrouver les petits plats mijotés de Noémie, même si, depuis le déclenchement de la guerre contre le Royaume de France, les morceaux de viande se faisaient plus rares dans la marmite.
Attentif aux moindres gestes d’Ysaure, il la vit s’agenouiller près de l’homme étendu.


Aidez... moi.. aidez nous... fit l’homme blessé qui venait juste de s’écrouler devant elle, d’une voix semblant venue d’outre-tombe.
Elle se précipita vers lui et murmura d’une voix hésitante :


- Messire…Messire..où êtes-vous blessé ?

Elle n’ose le toucher. Son corps est couvert de sang ; son visage n’est pas mieux. Le sang a séché laissant des traces noirâtres. Pourtant, un contraste troublant la frappe. Sous les taches sombres, elle perçoit la blancheur extrême de la face de l’homme.
Le tressé ne bouge plus. Ses paupières closes restent immobiles. Il ne l’a pas entendue. Soudain, un air froid la saisit. Elle frémit. Une étrange lueur pâle auréole l’homme au teint blafard et terne. A ce moment, les légendes entendues au coin de l’âtre dans la maison de son père, alors qu’elle n’était qu’une petite fille, lui reviennent en mémoire. Ces histoires qui évoquaient la Dame Blanche, fantôme d’une femme emmurée vivante par un mari jaloux. Ysaure sait ce que cela veut dire. La Dame Blanche apparaît pour annoncer la mort.
Un cri en elle se fait. Cet homme ne doit pas mourir ! Elle est là pour le sauver. Le Très-haut n’a pas mis ce guerrier sur son chemin sans raison. Il doit vivre ; il ne peut en être autrement !

La phrase prononcée par le tressé lui revint à l'esprit. Pourquoi avait-il dit "aidez-nous". Y-avait-il quelqu'un autre avec lui ? Elle leva la tête, fixa l'horizon. Rien ne bougeait. Seuls les volatiles continuaient à tournoyer au-dessus des cadavres en poussant d'horribles cris.

Elle posa alors une main frêle et tremblotante sur l' épaule de l'inconnu et le frôlant à peine descendit jusqu’au poignet. Son regard se teinta d’horreur lorsqu’elle remarqua les deux doigts manquants. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’elle voyait un homme d’armes mutilé. Le couvent, sanctuaire protégé, recueillait les malades et les blessés et Ysaure avait souvent soigné et lavé des plaies béantes. Mais, elle ne s’y était jamais vraiment habituée.
S’enhardissant, elle se saisit de cette main sans vie et murmura tout en exerçant une légère pression :

Messire, m’entendez-vous ?
Virginia_
Elle était là, elle était toujours là …

Ne sachant toujours pas pourquoi elle ne pouvait partir, la jeune femme continuait d’observer la scène qui se déroulait devant elle. Elle s’était pourtant juré de rentrer dans ses quartiers mais elle n’avait pas pu. Pourquoi … Pourquoi … Pourquoi … Ce simple mot résonnait dans sa tête comme une interrogation de plus en plus forte.

Elle contemplait cet endroit, il lui semblait le découvrir avec un regard neuf. Celui qu’elle avait ouvert sur la petite lumière de vie en un plus tôt y était-il pour quelque chose ? La pulsion de vie, de survie, était-elle plus forte que la pulsion de mort ? Eros plus grand que Thanatos ?

Elle secoua lentement la tête. Cet endroit lui semblait hors du temps, perdu entre deux mondes telle une bulle flottant dans un liquide qui ne sait pas si elle doit se laisser tomber au sol pour y éclater et n’y rencontrer que du vide ou au contraire, s’élever vers la surface pour ne plus faire qu’un avec l’air ambiant.

L’homme s’était définitivement éloigné de la Rouquine qui semblait avoir repris son chemin. Vinou espérait que celle-ci avait décidé de regagner le Royaume de France, là où la chair de sa chair et son amie, sa presque sœur, seraient en sécurité. Cette guerre n’était pas la leur, ce combat ne leurs était pas destiné. Mais alors, à qui l’était-il vraiment ?

Sans réellement s’en rendre compte, elle avait fait quelques pas dans la direction de la jouvencelle qui lui semblait si jeune pour avoir à vivre cela. Son instinct de mère prenait-il le dessus sur son penchant de combattante ? Tant de questions, si peu de réponses …

Le tressé … il porte des tresses … Vinou venait-elle seulement de le découvrir ou n’avait-elle pas enregistré ce détail, elle n’aurait su le dire. Le tressé s’était mis à courir, une de ces courses folles telle une cavalcade pour échapper à on ne sait quel danger, quelle folie, quel effroi …Allait-il s’en prendre à la jouvencelle ou lui demander de l’aide ? Elle n’aurait su le dire, instinctivement, elle accéléra l’allure prête à parer à toute éventualité.

La jeune femme n’était plus qu’à quelques pieds d’eux. Elle hésitait encore lorsqu’elle le vit tomber, comme s’il capitulait ou que quelque chose en lui rendait les armes. Ses dernières incertitudes volèrent en éclat, elle ne pouvait l’abandonner, les abandonner, elle devait agir.

Rapidement, elle parcouru la distance qu’il restait entre le « couple » et elle. Se plaçant du côté où n’était pas la jeune fille, elle s’agenouilla à son tour sans ce soucier de savoir qui ils étaient, d’où ils venaient … Cela lui importait peu finalement face à une vie.

Vinou regarda la jeune vierge avec un sourire, elle détacha sa gourde en cuir de sa ceinture, sa voix douce et chaleureuse se fit entendre.


Il doit avoir soif.
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Insanius
[Pensée]

Tout s'éteint lentement... L'obscurité remplace la peur, elle s'y prélasse...
Au loin, des sensations s'agitent mais elle n'en a plus rien à faire...


[Homme]

Une douce caresse...
Il est allongé sur une douce caresse...
Les yeux clos il n'a plus aucune force, il n'a plus aucun courage.
Son corps lui fait mal, son crâne est brulant mais il est presque heureux.
Pensée s'est tue, d'autres êtres s'occupent de lui. Bientôt il retrouvera la paix, il en est persuadé...

Sous sa nuque, un chatouillis le fait sourire. Le sol est recouvert d'une chose étrange, verte et douce... Ça le démange, mais c'est plaisant...
Une chose attrape sa main. De la douceur, de la chaleur, il s'en étonne . Ce n'est pas désagréable, bien au contraire.

Un chant discret, le même chant que celui qui lui a tant plu quelques instants auparavant, vient à ses oreilles. Jeune mais puissant, inquiet mais doux...
Puis un deuxième le rejoint, différent, mais pas pour autant moins agréable...
Il se force à ouvrir les paupières, il doit voir quels êtres peuvent instiller tant de douceur en lui.

D'abord floues, les silhouettes qui l'entourent semble sorties d'une autre vie. D'une époque oubliée où il avait eu une place dans ce monde...
Puis à mesure que leurs contours deviennent nets, il se rappelle... Une femme... Un brin de souvenir, une poussière de rire, une blondeur, une candeur...

Il ferme les yeux, il a cru se rappeler, mais se souvenir, insaisissable est déjà loin... Il veut dormir maintenant, il est épuisé...

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Ysaure
Il doit avoir soif.

Ysaure sursauta et leva son museau tel un animal surpris par un bruit soudain.
A cet instant, peu de choses la différenciait de la fouine, avec son petit nez en avant, ses yeux couleur noisette, et son drôle d’air curieux.
Face à elle de l’autre côté de l’homme étendu, se trouvait une femme.
Ysaure fut de suite captée par le bleu profond de ses yeux. Ses traits tirés n’altéraient en rien le charme de la dame aux cheveux sombres.
La jouvencelle lui rendit son sourire et hocha la tête, le regard en direction de la gourde.


Oui, il doit avoir soif.

Elle avait toujours la main de l’homme dans la sienne et reporta son attention sur lui. Il lui sembla percevoir un mouvement léger de ses paupières mais sans réelle certitude.
Réalisant soudain que cette belle dame au visage bien las devait certainement être la compagne de l’homme étendu, elle retira sa main doucement et demanda :

C’est..c’est ..votre mari ?

En les prononçant, ses paroles lui semblèrent saugrenues et elle ressentit le besoin d’ajouter :

C’est à dire que..enfin, il m’a dit « sauvez-nous » juste avant de tomber sans connaissance..j’ai pensé qu’il était accompagné..

S’ empêtrant un peu dans son explication, elle se mit à rougir et tenta de dissimuler sa gêne en adressant un sourire franc à la dame et précisa à nouveau sans attendre qu’on lui pose la question :

Je m’appelle Ysaure. Je rejoins mon père qui vit à Toulon.
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