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[RP] Quand une vie en remplace une autre... L'azur s'éteint.

Cerridween
[ Quand toute lumière s'éteint]

La nuit coule lentement...
Elle est là dans l'obscurité, à la lueur vacillante des quelques bougies encore allumées et du feu qui crépite.
Les yeux ouverts... grands ouverts.
Le sommeil cette fois n'est pas au rendez vous. Morphée la trompe encore dans d'autres bras, sur d'autres oreillers, d'autres lieux que cette pièce qui lui semble de plus en plus froide au fur et à mesure que la fatigue s'insinue dans sa peau et ses os. Enlacée dans sa cape licorne, elle attend. Les épées ont retrouvées leur place à ses côtés, marquant de leurs silhouettes longiligne dextre et senestre. Le couteau lui, en bienheureux objet sans âme, tant qu'il n'est pas dans sa main, dort dans sa gangue de cuir, lové dans le creux de son dos. Marqué sur le manche, des traces des souffrances d'Apolonie, incrustées dans le bois. Assise sur une chaise dans un coin, non loin du lit, en ombre silencieuse, immuable. Les traits impassibles qui reflètent la faible clarté mouvante de l'âtre qui luit.
Elle attend...

Y a-t-il pire chose en ce monde ?
Attendre la fin. Attendre que cela passe, que cela trépasse... sans pouvoir rien faire. Elle, la combattante, elle qui n'a depuis des mois, des années, pris aucun repos, aucune minute vraiment pour elle, elle qui agit toujours plus qu'elle ne parle. Elle est réduite à être là, sans bouger, à devenir un simple pantin, une simple spectatrice de la souffrance. Elle a dû rendre les armes... elle a dû s'avouer vaincue...
L'impuissance. L'impuissance totale d'être sans ressource, face à un mal qui la dépasse. La colère sous jacente, de ne pouvoir totalement honorer une promesse. Voilà encore une fois, Pivoine, tu as sous les yeux l'étendue de tes limites, de tes failles. Ça fait mal n'est ce pas ? Mais tu le sais déjà, Pivoine. Tu l'as déjà vécue... cette impression dévastatrice. De n'être rien, rien d'autre qu'un fétu de paille sans aucun contrôle des éléments, de ce destin qui te nargue, qui te fait des croches pattes, qui se joue de tes efforts désespérés, qui te laisse te débattre, avant de t'échouer devant l'évidence, cette évidence qui te saute à la gorge pour la nouer. Déjà il y a quelques mois... déjà, la même scène. Presque le même lieu. Le même thème. Le même dénouement. Seuls les acteurs ont changés Pivoine.
Il y a eu pire... n'est ce pas... oui c'est cela... oui... ce soir de janvier, ce jour où la neige recouvrait le sol qui s'est teinté de rouge. Ce jour où la cuisse striée, le flanc lacéré par un poignard, tu n'as pas couru assez vite. Ce jour où tu n'as pas su le sauver. Si tu avais été plus rapide, Pivoine.... peut-être que le malandrin n'aurait pas eu le temps d'abattre sa hache. Il serait en vie, ce soleil blond qui réchauffait ton âme. Il ne serait pas sous les dalles froides de l'église de Beaumont. Son sourire lorsqu'il a rendu l'âme en te tenant la main ne te hanterait pas. Tu aurais pu le sauver, Pivoine. Comme tu aurais pu la sauver surement, la brune qui s'agite devant tes yeux.

La rousse se lève précipitamment pour s'approcher d'une des fenêtres pour faire taire cette petite voix, qui lui susurre assassine à l'oreille. Non.... non... non... ce n'est pas pareil. Elle n'a pas pu la sauver... trop faible, trop fatiguée, trop fragile. Lui c'était... différent.... mais oui chaque échec à sauver une vie ravive cette douleur lancinante, cette douleur enfouie, celle de ne pas avoir été à la hauteur, de n'avoir pas su, de n'avoir pas pu... honorer son serment de le protéger. Ce serment fait deux fois. Elle ne se refermera donc jamais cette plaie. Jamais.
Les sinoples se perdent vers le lointain où commencent à poindre les rayons du jour. Le seul qui pourrait lui apporter un peu de réconfort, ses deux ambres sont loin. Quelque part au delà des monts d'Auvergne... une bouffée de mélancolie la reprend, entre ses murs inconnus. Une envie de ses bras qu'elle n'avait pas sentie depuis bien longtemps, qui lui monte des entrailles jusqu'au cœur. Licorne d'or, comme son coeur malgré les ombres qui le parcourt encore... le bout de ses doigts viennent caresser un instant le verre. L'envie de voir les ambres qui brulent de leur paisible lueur tendre et qui lui parlent doucement... Sa main qui souligne sa joue... si peu... et tellement... un peu de lumière dans sa noirceur. Un peu de bleu dans son ciel. Le seul qui lui est accordé sans contre partie, sans prix à payer. Les émeraudes finissent par se cacher derrière leurs paupières servant d'écrin. Elle fuit la réalité... un instant, rien qu'un instant... pour le retrouver un peu, se fondre dans son souvenir, se rappeler sa présence pour se réchauffer un peu... comme les rayons du soleil qui viennent lentement caresser sa peau diaphane.
Sortir...
Oublier...
Un peu....
Juste un peu....

Le choc.
Le bruit de l'huis qui percute le mur.
L'onde du coup qui passe dans sa peau.
Son coeur qui s'arrête.
Son instinct qui se réveille.
L'alerte donnée par sa conscience.
Les sinoples s'allument pendant que les pupilles se rétractent.
La main se porte à la garde de Miséricorde, son épée longue et l'enserre.
La silhouette noire se retourne pendant que la cape suit la volte, suspendue un instant dans l'air.

et....

Le geste qui s'arrête lorsque l'image de la scène vient lui vriller les prunelles.
Il y a un géant agenouillé... il y a un homme aux mêmes armes que la vicomtesse à ses côtés. Il y a sa main qui tient la sienne comme si c'était le plus beau joyau du monde. Il y a les deux azurs qui sont les siens se perdant dans l'eau de son regard comme pour s'y noyer. Il y a son visage blême proche du sien, si proche... il y a la tendresse qui respire dans le souffle grave de la voix qui vacille pour elle... et il y a les mots qui ne font que dire ce qui se voit déjà...


Bonjour Apo, mon autre… J’suis enfin là…

La rousse reste pétrifiée. On ne peut comprendre réellement dit-on que ce qu'on a vécu. Et elle, la Pivoine noire, a déjà compris...
Il est son frère. Ce géant qui lui rappelle le sien. La blondeur des blés en moins, les azurs en acier tranchant équivalents.
Il est son frère. Et elle sent l'amour qu'il a pour elle. Cet amour un peu étrange au delà du lien fraternel qui tient deux âmes, deux cœurs, de corps, liés au delà du sang.
Lentement le gouffre qui s'était refermé dans son ventre s'ouvre comme pour l'engloutir. La morsure du souvenir qui l'avait effleuré quelques instants auparavant s'empare de son coeur et le serre, le broie, le déchiquète. Prise au dépourvu, elle reste là, muette, la bouche ouverte, ne cherchant même pas l'air qui devrait rentrer dans ses poumons, la main sur la garde de son épée, alors qu'elle subit une charge émotionnelle digne d'une compagnie de cavalerie lourde qui se rue au galop.
Un éclair...
Tout revient dans un éclair la hanter.
Son visage, ses rires qui rebondissaient sur les murs des tavernes de la Rouge, ses coups d'œil taquins, les cours d'épée, les discussions au coin du feu dans ses bras, la Guyenne, les douces soirées dans les jardins, son serment sous ses yeux dans une clairière éclairée de torches, les remparts de Montmirail, la neige, la hache, le serment de vivre, le souffle, le dernier qui se perd, volute de fumée dans le froid de janvier, son hurlement qui n'en finit pas, la pierre tombale ouverte dans laquelle elle voudrait se jeter, le deuil...

Il ne l'a pas vue...
Ils sont maintenant seuls au monde, comme elle l'a été avec lui lorsqu'il était encore vivant. Deux êtres liés l'un à l'autre, qui ne se soucient pas du monde entier, parce qu'ils n'ont besoin que d'eux.
La caresse du géant sur le visage de la mourante vient finir de la crucifier, ses mots servant de clous qui s'enfoncent à chaque coin de son âme.


Tu m’as manqué… Mais je suis là maintenant, on va pouvoir rester ensemble…

Elle sent l'implosion proche, la rupture, le néant qui la guette... lentement elle s'éclipse comme un fantôme. Elle ne peut pas voir ça. Elle ne peut pas. Elle regagne la porte comme un funambule.
De l'air.
De l'air.
Le cœur haletant, la respiration entrecoupée, elle marche vivement vers la sortie.
Elle se faufile entre les corps, ne distinguant plus bien, sentant les murs qui se rapprochent comme pour l'étouffer, le noeud dans sa gorge essayant de l'asphyxier...
Les larmes ne sont pas loin...
Le flot arrive...
Pas ici, pas maintenant...
Dehors, dehors, dans les jardins qu'elle a aperçu …

Elle commence à descendre les escaliers... quand Jacques un peu affolé l'arrête. Une missive. Un homme d'arme dans la cour. Un parchemin qui se tend. Sceau qu'elle reconnaitrait entre mille et qui fait rater un battement à son coeur déjà malmené.
Enguerrand...
La main tremblante se reprend à deux fois pour décacheter le pli et l'ouvrir avant que les mots se dévident sous ses yeux, malgré la lecture difficile d'une écriture torturée et d'une main tremblante...


Citation:
Bonjour douce et chère Cerrid.

A l'heure où je prends la plume l'émotion me submerge tant que c'est à peine si je parviens à tracer convenablement ces quelques mots.
Une terrible nouvelle me doit de t'être rapportée.

Nouvelles d'un frère honteusement et traitreusement abattu par tireur dissimulé.
Nouvelles d'un frère en cet instant cruel où je t'écris en train de lutter entre vie et mort quelque part aux abords de la frontière entre les deux mondes.

Le Chevalier Stannis, notre frère, notre ami, git sur sa couche, mortellement blessé par trait empoisonné, sans que l'on ne sache encore s'il survivra.

Je suis resté à ses côtés aussi longtemps que possible mais je crains que la situation ne soit désespérée à ce point qu'il ne soit plus possible dès lors de rêver le voir un jour encore râler et faire valoir ses opinions comme il nous avait si souvent été habitué de le voir faire.

Je suis des plus marri de devoir être celui qui t'apportera cette nouvelle épreuve.
Sache que je pense de tout coeur à toi et espère pouvoir prochainement te voir pour t'apporter si besoin aide et soutien.

Prends grands soins de toi.

Tendresses

Engue


La dextre cherche un appui sur le mur... les escaliers vacillent... les ongles s'effoncent dans le mur... les dents mordent les lèvres pour retenir un cri. Les larmes affluent inondant les joues au teint devenu cire. Et le destin se marre assis dans un coin, d'un rire sardonique et cruel.
Stannis... celui qui comme elle, avait fait le grand saut de l'errance à la chevalerie à ses cotés. Stannis. Tombé. Loin. Elle n'a pas vu. Mais elle ressent. Le trait dans son cœur qui la transperce, le poison du désespoir qui s'infiltre. La douleur. L'air qui la quitte. Le sang qui se glace. Le poing libre broie la missive en retombant à ses côtés. La colère s’épand, aussi violente que déchirement de son cœur. Nouvel assaut de cette putain d’impuissance qui remonte.
Elle tremble à en crever, secouer comme une feuille morte dans la tourmente qui vient de s'abattre en quelques secondes, infimes...
L'intendant se retire sans dire un mot...
Son corps de répond plus...
Trop...
Trop de tout...
Pas assez de rien...
Les paupières serrées, comme chaque muscle...
Statue... pétrifiée par une gorgone...
Elle n'est plus qu'une vaste peine...
Noyée de chagrin, la Pivoine noire, ne bouge plus...

_________________
Apolonie
Le délire, la fièvre… Depuis des heures, crescendo, montant toujours plus, grignotant les dernières forces d’une mercenaire qui ne ferait plus peur au moindre paysan gascon, ni même à un vagabond moulinois. Elle n’a plus rien d’impressionnant, la vicomtesse, allongée, les traits creusés de sillons de sueur, les cheveux dérangés dans la dernière bataille qu’elle aura à mener. Les mots de la Rousse résonnent encore à ses oreilles, simples, concis… A l’image de l’herboriste. Au milieu de la confusion, ils résonnent.

S’imprimant sur ses rétines, ses papilles, se respirant dans les quelques bouffées qu’elle parvient à arracher à l’air si brûlant qui l’entoure, gravés dans la pulpe fébrile de ses doigts, fourmillant sur sa peau… Aussi oppressants que les fantômes qui viennent la hanter. Mourir, elle va mourir… Plus de place pour un espoir qui l’avait pourtant fuie ces derniers mois, revenant dans une bourrasque moulinoise, pour s’éteindre dans cette chambre. Ainsi, elle ne survivra pas.

La Rousse le lui avait dit, la veille au soir… Ou tout à l’heure ? Apolonie ne sait pas, ne sait plus. Elle sait qu’elle l’a lu aussi dans leurs yeux… Ceux de Grid, ceux de Lilou… Elle l’a entendu dans les phrases silencieuses de Thea… Elle l’a compris dans le baiser d’adieu d’Arthur… Mais si la lune s’est levée, l’azur ne s’efface pas pour autant, pas tout de suite…

La nuit a filé dans un brouillard qu’elle n’a pu trancher à coups de dagues imaginaires… Elle a combattu, la fière mercenaire, mais n’aura rien vaincu si ce n’est sa dernière énergie. Devant elle, toute la nuit, les souvenirs ont afflué… Sa vie… Si remplie, si vide… Dans une chambre habitée par une maitre d’arme épuisée, la Sentinelle aura affronté ses démons…

Et là-bas en Gascogne, Willen lui avait écrit qu’Aristote n’était pas prêt à la recevoir, qu’elle devait s’amender… L’avait-elle fait ? Etait-elle pardonnée ? Avait-elle racheté ses fautes ? Sans doute pas, mais le temps comme le souffle lui manquent désormais. L’aube présente ses lueurs déjà, et Apolonie arrive au crépuscule. L’azur vidé de sa substance distingue à peine ce qui l’entoure…

Son corps, autrefois musculeux, entrainé, rodé à l’exercice, fort et vivant, ardent parfois, plus rarement câlin, marqué mais résistant, est épuisé. Les yeux bouffis par la fièvre qui la dévore, mèches auburn éparses sur un oreiller trempé de sueur, la peau il n’y a pas si longtemps parée de l’or qu’offre une vie passée sur les routes ensoleillées se teinte d’un blême qui ne s’accorde que les ecchymoses, violacées, comme parcelles de couleur.

La force, l’animation, les grimaces, les mouvements brusques sont derrière elle, épave de ce qu’elle fut, elle gît sur son lit, trop grand pour elle, draps chahutés par ses combats délirants.

Les balafres sur son corps… Cicatrices distendues sur son ventre, l’étoile qui pare sa gorge, sa paume traversée de rose pâle, marques visibles de ses victoires, de ses défaites… Et la dernière invisible… Qui signe sa perte… Celle qui jamais n’aura le temps de cicatriser, elle le sait maintenant. Elle a donné la vie, on lui reprend la sienne…

Sont-ils vraiment passés, eux tous qui ont fait sa vie, ce qu’elle est ? Les a-t-elle vraiment vus ? Les a-t-elle remerciés pour ce qu’ils lui ont apporté ? Leur a-t-elle dit ? Et les autres, tant d’autres… Les absents… Larme cuisante qui s’échappe de ses cils torturés. Varennes, l’Auvergne, les auvergnats… Et même quelques tourangeaux, et même un berrichon qui ne veut pas en être un, et même… Pas où est la limousine ? Où est le chinonais ? Où est le gascon ? Où est la béarnaise ? Et… Où est l’angevin ? Hein ?

Plus sûre de rien… Secondes de lucidité qui s’effacent rapidement, précipitant la brunette dans une de ses dernières tempêtes. Revenue au temps de ses débuts, revenue à Bourbon, revenue au moment de son départ… « Tu pollues la halle… » « T’as qu’à partir… » « Si, ton nom est inscrit au dessus de ta tête… » Apolonie, dans son délire, ne part pas… Poursuivie, elle esquive, elle frappe, elle pourfende à coups de ballades les piliers de comptoir, elle chasse à travers champs un Acherpé qui semble vouloir prendre toute la place, elle court, s’essoufle…

Respirer, je veux respirer ! Je veux vivre…

Vingt ans… Elle a vingt ans. Si, si. Même qu’elle sait très bien comment elle les a fêtés… Dans le coma, sur la table d’une roulotte bringuebalante, à Labrit, pendant que Libertad prenait la ville, veillée par une Fourmi et tout un camp de mercenaires. Aaaaaaah ! Un gascon s’approche. Elle ne bouge pas. Sont cons les gascons, z’essaient de passer dans le camp pendant qu’on dort… Comme si on dormait nous ! Et hop, un de moins… Sourire qui éclot sur les lèvres desséchées de la mercenaire. Parce qu’elle est fière, elle l’a terrassé, elle qui ne peut plus lever un bras qu’en hallucination tellement il lui pèse…

L’aube se lève et l’azur s’épuise. Elle hurle, elle a soif. Elle a chaud. Elle frissonne. Ce que personne ne voit, ce sont les poches de pus qui petit à petit prennent place dans ses organes. Bien planquées en elle, grignotant un peu plus de place à chaque heure qui passe, elles entament leur travail de sape depuis un moment… La maladie s’attaque plus sûrement à Apo que ne l’avaient fait les épées, auvergnates ou gasconne. On choisit sa vie mais pas sa mort n’est ce pas ?

La tête se tourne vers les fenêtres, les rideaux laissent filtrer une lumière agressive pour les pupilles, mais si un accouchement peut la tuer, elle refuse de baisser le regard devant les rayons qui se faufilent dans la pièce. L’attente est terminée, elle n’y croit plus. Mais alors qu’elle laisse les paupières recouvrir un azur qui a fini d’espérer, la porte s’ouvre, les gonds hurlant leur douleur sous la forte pression qui leur est imposée, le bois cognant le mur, claquement dans l’air chaud de la chambre.

Les prunelles exténuées ont du mal à distinguer… La nuque raide couine sous l’effort qu’elle produit pour tourner la tête. Lui , c’est Lui. Dans la nuit noire, sous un capuchon, dans le brouillard, malade, aveugle, elle le reconnaitrait… Entre mille. Le cœur se lance dans une embardée qui manque la tuer, avant de rattraper un battement plus régulier bien qu’accéléré jusqu’à l’impossible. La gorge se serre. Le regard d’Eikorc la rattrape au vol, elle s’y accroche, désespérément, comme à sa vie. Pas maintenant… Il est revenu, pas maintenant.

Une Rousse ébranlée comme le chambranle qui s’échappe, s’enfuit, l’adieu elles se le sont fait. Seul Lui compte désormais…

Les pognes du colosse enserrent les mains glacées d’Apolonie. Comme il a l’air mal, comme il semble fatigué lui aussi… Ses mains, son souffle, ses doigts. Il chasse tout. Il est là. Son autre, son double, son âme sœur. Eikorc… Celui que tout le monde craignait… Alors qu’elle se pousse, difficilement, laborieusement, creusant une place pour lui sur le matelas, l’appelant avec elle, se nichant, la voix rauque, murmure qui glisse jusqu’à elle, les jointures de ses blanches de serrer les mains de son frère… elle le voit.

Comme elle l’avait vu au début… Impressionnant. Jeune sentinelle propulsée libertad, alors compagne d’un Bireli qui déjà s’éloignait d’elle. Libertin devant l’éternel, elle avait commencé par répondre pour lui aux courriers des gascons excédés, puis avait joué les recruteuses, avant de recueillir les confidences éplorées des donzelles éconduites au lendemain d’une nuit avec le colosse. La complicité née d’un « Je suis folle » « J’aime ma folie aussi. » … Il venait d’enterrer sa femme, elle venait de perdre frère parrain et amis. Liés, dès le départ…

Et la ressemblance. Une taille peu commune, un azur perçant, des mots parfois durs, des fous rires qu’ils partagent sans gêne. Pas de séduction entre eux, rien que le plaisir d’être ensemble. Les combats, sa blessure… Ils avaient lancés qu’ils étaient jumeaux, pour rire. Ils avaient fini par être appelés frère et sœur, même par leurs proches qui pourtant savaient qu’il n’en était rien. Ce lien…

Construit au fil du temps. D’une absence qui n’en est pas une. D’une présence qui s’apprécie toujours plus au hasard de rencontres programmées. De trio ils passent à duo après la trahison d’une Lune qui ne le méritait pas… Chacun sa vie, mais ils donneraient chacun la sienne pour celle de l’autre. Plus besoin de le dire quand ils se retrouvent à Moulins en septembre. Le « Pour toujours et à jamais » a pris une place qui ne se démentira plus. Le Périgord les éloigne, elle l’y retrouvera, afin que soit gravé en eux cette devise qu’ils se sont appropriée, sur un dos, sous un bras... Ce lien…

Ni le libertinage d’Eikorc, ni le mariage d’Apo ne l’aura ne serait-ce qu’ébranlé… Au contraire, toujours plus fort, toujours plus important. Et pourtant… Il ne se l’est avoué qu’il y a peu. Elle ne le comprend que maintenant. Lui, bien sûr… Lui…


« Bonjour Apo, mon autre… J’suis enfin là… Déso… Désolé de ne pas être arrivé plus tôt…
Tu m’as manqué… Mais je suis là maintenant, on va pouvoir rester ensemble… L’emménagement va pouvoir se faire… Hein ? Ça tiens toujours n’est-ce pas ? »


Sa voix traduit son inquiétude plus encore que les saphirs qu’il pose dans ses azurs depuis son arrivée. Parce que c’est lui, parce que c’est elle, elle se niche contre lui, tout contre, lovée dans l’étreinte rassurante. Parce qu’elle s’en veut de ne pas lui sauter au cou comme d’habitude. Parce qu’ils sont le couple impossible, parce qu’elle comprend seulement maintenant qu’ils en sont un… Parce qu’elle veut y croire. S’il a pu arriver à temps, alors les miracles existent. La fièvre s’échappe déjà, elle le sent bien… Ce n’est pas… Non, rien de délirant. Il est là et elle se calme.

Oui… Oui ça tient… Oui…
Tu seras là hein ? On sera tous les deux… Juste tous les deux hein ?


Lovée contre un colosse épuisé, elle se laisse aller, elle sourit même, doucement. Levant la tête, doucement, effleurant les joues sales de ses lèvres. Il est des traditions qui ne se perdent pas. L’azur soudain apaisé se pose limpide dans son écho. Ilot secourable au milieu d’une tempête qu’elle oublie. Si la température a chuté, la fièvre continue son travail.

Mais Apolonie, souriante, retrouve un instant son visage habituel. Fugace apparition. Et d’imaginer… Leur maison, leur blason, leur vie. Leurs corps, mêlés, leurs idées menées à terme, leur pouvoir, une fois réunis, leurs voyages, les chevauchés, ses bras, toujours autour d’elle, ses doigts sur sa nuque au tatouage aussi indélébile que ceux qu’elle arbore… Imaginer ce que serait la vie avec son double. Ensemble. Pour toujours… et à jamais.
Eikorc
[Quand la descente se précise…]

Il est colosse qui découvre son âme-sœur devenu fétu de paille… Où est la jeune femme pleine de vie qui était venu le chercher en Gascogne ? Où est la mercenaire pleine d’entrain avec qui il avait chahuté et plaisanté sur leurs points communs ? Et en fixant l’azur teinté de l’Apolonie, les craintes qui, depuis quelques jours déjà, s’étaient emparées de son cœur et de son esprit se voient confirmer… Les sentiments se bousculent dans une carcasse dites insensible, la caboche retournée par des vagues de tristesse alors qu’il fixe le visage au teint cireux de celle qu’on appelle sa sœur…

Celle qui s’était imposé dans sa vie sans que rien ne l’y prépare… D’abord une jeune femme pétillante qu’il avait rencontrée après un nouveau coup dur… Perte d’un enfant mort-né et de celle qu’il avait épousée et aimée quelques temps après… Lui qui cherchait à broyer du noir, à plonger dans les bas-fonds, lui qui n’était plus que rage… Elle avait réussi à le détourner de ses pensées… Un soleil comme on l’appelait là bas…

Et un soleil elle a été pour lui… Alors qu’elle tombait sur les remparts de Labrit, il avait senti qu’il n’était pas aussi insensible qu’il le croyait… Il tenait à elle plus qu’il n’y croyait, fraternellement, un peu, mais déjà le lien qui se créait était plus fort… Une fois il a réussi à l’arracher à la mort… Et elle le lui a rendu… C’est pour elle qu’il n’a pas complètement sombré alors que tout lui criait d’abandonner, que tout son corps hurlait sa douleur… De cette épreuve son corps gardait les plus mauvaises cicatrices… Celles qui continuait à délivrer mal et souffrance alors que tout semble guérit…

Montagne de muscle qui se sent impuissant devant l’air éreinté de son autre… Elle se déplace presque gémissante pour lui faire une place, il réprime une grimace, serrant légèrement les mâchoires, et se glisse à ses côtés, contre elle… Ses larges mains abandonnent les siennes, beaucoup plus fines, pour que son bras droit vienne s’enrouler autour de ses épaules… Il l’attire contre lui, contre son torse, pour la sentir tout contre son corps, contre sa peau…

Pourquoi alors qu’il rêvait de ces retrouvailles, de la sentir contre lui, de sentir sa présence contre son corps, pourquoi sent-il une boule se former dans le creux de son ventre ? Pourquoi les mots gravés sur son biceps semblent tout à coup brûler alors qu’ils ne le dérangent jamais ? La douleur lancinante de sa nuque se met à pulser au rythme de son cœur qui s’accélère doucement… Pourquoi alors qu’il a enfin rejoint la femme qu’il aime, la femme qui devait vivre avec lui, tout ne vas pas comme il faut ?

On lui a demandé de vivre parce qu’il restait prostré dans l’inquiétude… La libertadienne l’a coincé en taverne, claques et beignes ont été échangées… Comment pouvoir vivre alors que celle qui fait notre vie est sur son lit de mort ? Mais comment expliquer aux autres le lien qui les unis ? Comment ?!?

Alors qu’il laisse le métal froid envahir son regard, les mots sonnants étrangement à ses oreilles… Des lèvres douces viennent effleurer sa joue… Les paupières se ferment alors qu’un long frisson traverse son échine… Juste tous les deux… Fin sourire qui vient étirer le coin de ses lèvres alors que les paupières s’ouvrent sur un azur plus tendre… Visage qui se penche, menton qui effleure le front suivit de peu par les lèvres… Elle est là pour le moment, c’est le principal, non ?

L’étreinte se fait plus puissante, la collant plus encore contre lui… Rien d’autres que sa présence ne compte, même pas les bruits de pas qui résonnent alors qu’une ombre inconnue s’enfuit… Nouveau baiser, sur sa joue cette fois… Il garde son regard plongé dans le sien alors qu’il lui sourit tendrement… Colosse que tout le monde prend pour un Diable et qui en cet instant montre la partie qu’elle l’une des rares à connaître…

« Juste tous les deux… Oui…
Pour toujours et à jamais… »


Murmure qui s’échappe entre ses lèvres alors qu’il la regarde, l’azur brillant… Tristesse ? Amour ? Peut-être les deux, sûrement même… Mais l’étincelle qui brûle au fond des pupilles est différente… La montagne de muscle s’en veut… Culpabilité qui depuis des jours le ronge et qui enfin fait surface… Pourquoi n’a-t-il pas empêché ce mariage alors qu’il se savait fou d’elle ? Pourquoi ne l’a-t-il pas forcé à contacter la blonde panthère qui l’aurait débarrassé de ce chiard qui l’avait mis dans cet état… D’ailleurs, où est-il celui là ?

Paupières qui se ferment, encore une fois… Tempête tumultueuse qui se décide à éclater dans le crâne du colosse… Il aurait dû aller plus vite… Il aurait dû tout plaquer et foncer dès qu’il avait reçu la lettre… Il aurait dû… Mais il n’a rien fais… Parce qu’il refusait de croire qu’il pouvait lui arriver quelque chose… Parce qu’il ne pensait pas que la douce Apolonie pourrait succomber, parce qu’il refusait qu’elle soit mal alors qu’il était loin…
Mais c’est toujours la même chose… A chaque fois qu’il s’éloigne… A chaque fois quelque chose lui arrive… Et à chaque fois il arrive trop tard pour la protéger…

Et si cette fois était la dernière ? Gorge qui se noue, plus encore… Et les paupières se soulèvent, sur des azurs cette fois encore plus humides… Rivières salées qui menacent de s’échapper en torrent sur les joues sales du Seigneur de Vautorte… Non elles ne couleront pas, parce qu’elle ne le quittera pas… Elle ne peut pas, alors qu’ils viennent juste de se retrouver…

Le cœur palpite un peu plus… Tempo qui s’accélère, il déglutit… Une fois… Deux fois… Vague de chaleur qui traverse son corps… Pourquoi les mots qu’il a si souvent pensé, qu’il a si souvent écrit, sont-ils si durs à prononcer ? A nouveau les lèvres se posent, tendrement… Glissant jusqu’au coin de ses lèvres…

Une fois de puis les mots ne sortiront pas… Mais le regard à nouveau parlera à sa place… Depuis le début elle lit en lui comme dans un livre ouvert… Elle est lui, il est elle… Ils sont un. Et pas besoin d’ouvrir la bouche pour parler… Montagne de muscle qui attire le corps de son autre contre son torse, la serrant plus fort encore… Il ne veut pas la perdre… Non… Pas alors qu’ils se retrouvent enfin…

Main libre qui vient caresser sa joue, effleurant la peau du bout des doigts… Et il esquisse un sourire… Doucement, tendrement… Et il vient caler son front contre celui de son âme-sœur, la laissant sonder son regard alors qu’il se laisse bercer par le rythme de sa respiration, essayant de calmer les battements de son cœur affolé…

_________________
Apolonie
Ses yeux sur elle, cet azur qu’elle a percé depuis si longtemps, parlent à leur écho fébrile… Ses lèvres au coin des siennes, ses doigts calleux sur sa joue creusée… Humidité qui se niche sous les paupières… de joie.

Elle est heureuse, Apolonie. Il est là. Ils vivront ensemble une vie rêvée… A son bras, elle se sent capable de tout. Elle s’en rend compte maintenant… comment a-t-elle pu être si aveugle ? Quand il lui avait dit, en août, que si elle le lui demandait, il serait fidèle pour elle, elle n’avait rien répondu… Parce qu’il est ce qu’il est, parce qu’elle refuse qu’on change pour elle… Ce qu’elle n’avait pas compris, ce qu’elle vient de découvrir, ce qu’elle ne savait pas… c’est qu’ils seraient heureux ensemble… C’est qu’elle l’aime. Comme elle n’aura jamais aimé…

Des jours, des semaines, des mois, à ne faire que se croiser, à n’attendre que de se revoir, profitant de chaque occasion pour resserrer ce lien qui les unit… Moulins, d’abord… Puis le Périgord… Ce tatouage qui habille un bras, un dos… Pour toujours et à jamais, pourquoi n‘ont-ils pas compris plus tôt ? Pourquoi n’ont-ils pas vécu ensemble, dès l’été, quand le soleil brulant de la Gascogne réchauffait encore leurs carcasses qui se découvraient ?

Et cette nuit… La seule qu’ils ont partagée, l’unique… Baignée par une lune estivale, haute et pleine… Leurs corps mêlés, leurs désirs exacerbés, les sueurs mélangées au gré des baisers, des bouches caressantes, de leurs reins avides de l’autre… Sans que pour autant ils ne réalisent … Sans qu’ils ne lui donnent suite…

Dans ses bras, redevenue sa sœur, son amie, son amante, son amoureuse, son âme sœur, à Lui, elle lui appartient, corps, âme et cœur… Ensemble, réunis, enfin… Soupir doucement expiré… Elle est si bien, là, dans ses bras, contre lui… Heureuse. La fièvre, la maladie, tout est envolé, ils ne sont qu’eux, perdus dans l’immense chambre, oasis isolée où enfin ils peuvent être eux-mêmes. Elle ne sent plus la sueur couler dans sa nuque, elle n’entend plus les tambours vriller son crâne… Seule dans le refuge des bras du colosse elle est persuadée de vivre, encore… Pour lui, parce qu’ils le valent bien, parce qu’ils se le doivent, parce qu’il le faut, ça ne peut pas se finir comme ça…

Et elle les voit… Parcourant les routes, revenant à Moulins régulièrement… Ou alors montant une liste ensemble, elle duchesse, lui capitaine, faisant du Bourbonnais Auvergne un duché sûr et fier… Couple exceptionnel qu’ils formeraient, formeront… Elle y croit, elle les voit déjà… Elle se voit…. Avec lui… Les mots qui ne franchissent pas les lèvres d’Eikorc mais que l’azur jumeau lui hurle s’échappent des siennes, comme un cri du cœur, quelque chose qui doit être dit…


Je t’aime Eikorc de Nerra, je t’aime et t’aimerai, pour toujours et à jamais. Je t’aime comme je n’ai jamais aimé, comme je n’aimerai plus. Je t’aime et je te veux, je nous veux… Eik… Je suis à toi.

Ils n’ont que rarement parlé d’eux. Laissent glisser les pensées à travers leurs regards, leurs habitudes. Une brunette pendue à son cou, les genoux du colosse en siège naturel dans toutes les tavernes du royaume… Tout le monde les croit frère et sœur, en couple, ils ont toujours été entre les deux… Tout le monde sachant mieux qu’eux ce qu’ils méritent. Aveugles jusqu’à ce soir…

Mais maintenant tout est possible n’est ce pas ? Tout s’ouvre à eux… Elle va guérir, se remettre… Le sourire s’esquisse sur ses lèvres, elle s’enfouit plus profondément dans l’étreinte, se serrant contre le large torse de son colosse, noyant l’azur dans leur reflet métallique. Loin de la réalité de l’instant, Apolonie veut y croire… Et erre dans l’idée d’un avenir simple et heureux… Ponctué de combats où ensemble ils seraient invincibles, veillant sur les arrières l’un de l’autre…

Alors pourquoi… pourquoi cette ombre là ? Qui se faufile, du parquet jusqu’au lit… Pourquoi grimpe-t-elle si facilement jusqu’à elle, ses orteils, ses pieds, ses chevilles… Froid glacial qui l’envahit peu à peu… Elle tremble maintenant… Les paupières se referment sur des iris épuisés et pourtant si pétillants de joie et de bonheur de l’avoir retrouvé… Il est venu, il n’est pas trop tard… La vie reprend…

Et s’éteint.

D’un battement de cœur qui s’oublie… Comme ça… soudainement… Sans prévenir… L’ombre a grimpé sur ses mollets, remontant le long des cuisses violacées, parcourant son ventre, gagnant la poitrine, gelant sur son passage la vie qui courait dans ses veines. Le cœur s’arrête, simplement. Son dernier souffle s’exhale doucement, dans la paix de l’instant. Son visage retrouve une expression tranquille, celle qu’il n’aurait jamais du quitter…

Apolonie… frêle dépouille entre les bras musclés d’un colosse qui aspire la chaleur qu’elle dégage encore… Apolonie… certains danseront sur sa tombe… Ravis que la voix de stentor de la brunette ne vienne plus déranger les magouilles et arrangements d’un pouvoir établi… Heureux que l’idéaliste soit morte d’avoir trop combattu pour sa vision des choses plutôt que de se battre pour elle-même… Ils souriront d’avoir gagné ce combat… Elle sourit d’être morte dans ses bras…

D’autres peut-être se souviendront … De ce qu’elle a été… De la gamine aux pommettes rougissantes qui posait des questions sans fin dans les tavernes bourbonnaises, le pourquoi accroché à ses lèvres comme la poussière aux chausses des gueux qui parcourent les chemins d’un royaume qu’elle rêvait d’améliorer… Ils se souviendront peut-être de la tribun active qui avait donné envie à plusieurs de se bouger pour leur duché, qui avait tenté de transmettre cet amour de l’Auvergne qui toujours l’aura faite avancer… Legowen, Rexanne, font partie de ceux qu’elle aura accueillis, celles qu’elle aura aimées… Et puis… Crategos… son « parrain »… qui aura pillé son village tandis qu’elle était partie en Bourgogne… Et la jeune fille qu’elle était alors avait ramené bois, farine et viande de son périple… Et fin août elle avait fait ses premiers pas à la Chancellerie. Cette institution qu’elle aura servi jusqu’à sa mort, défendant contre vents et marées le Bourbonnais-auvergne, vantant sans détour sa grandeur, sa justesse…

Et la rencontre… Un article à écrire pour une gazette de village… Ceux qui l’ont connue à l’époque se rappelleront sans doute le rose qui ornait ses joues, les étoiles qui brillaient alors dans ses yeux quand elle évoquait celui qui alors était duc… Sa première histoire d’amour… Plusieurs mois avant qu’il ne se rende compte qu’elle existe… Entre temps, elle était devenue soldat, secouant les garnisons de Bourbon puis de Moulins… Et il l’avait vue…. Enfin… Sous ses yeux elle s’était sentie fondre. Elle n’avait rien à l’époque de la mercenaire bravache qui vient de rendre l’âme… Jeune fille timide, elle l’aurait suivi au bout du monde. Pour le coup, elle s’était arrêtée à Moulins…

Certains se rappelleront de son arrivée… Tavernière des Perles à peine deux jours après son débarquement, promue responsable des animations juste ensuite… Sa première loterie, le Tape-Cochon, inspirée d’une idée de Merlyin. Son baptême dans la cathédrale de Clermont, célébré par Ivrel, Melkio, son parrain, lui plongeant la main dans le bénitier alors qu’elle se brulait avec le cierge…

Et puis… Et puis janvier, et le combat compagnies franches contre Ordres royaux… Et son frère, Shura, blessé à Vendome. Un voyage qui s’engage, avec Grid, son ami, son confident. Ils avaient parcouru du chemin… Certains peut être se souviendront d’une brunette riant dans un troubagîte, proche d’un chambellan orléanais et d’un Perce Neige, déjà…

D’autres ne se souviendront que de la Sentinelle qui en était revenue, avec un étrange équipage qu’elle avait mené jusqu’en Provence… Libertad à chaque lever de chope… Seul Bireli pourra se rappeler des discussions nocturnes, d’une facette qu’elle découvre… De la chaleur des bras masculins qu’elle apprend à son contact… Mais d’autres auront mémoire pour ramener à la surface comme elle avait grandi, Apolonie, pendant ce voyage… Un langage plus rude, des manières moins diplomates, et le maniement des armes… toujours plus forte, toujours plus aguerrie, la mercenaire….

Hijikata racontera comme il l’avait rencontrée à Chinon alors qu’ils voulaient prendre la mairie dont il était le maire… Il vous montrera comme elle aimait aligner des miettes devant elle, dessinant arabesques et volutes sans sens sur les tables de France… Korydwen ou Seleina vous parleront, elles, d’Angers, de Varades… De l’attitude hébétée d’une auvergnate face à une autre… De la première rencontre d’une lame avec son corps, sa peau, lacérée par le métal auvergnat… Des tripes et du cœur déchirés quand elle avait compris que la main qui tenait l’arme était une menotte amie… Un des souvenirs qui l’aura toujours menée...

Et la descente en enfer, la ruée vers le Sud… Barbecue programmé d’un Coucou qu’ils ne veulent pas rater… Déliquescence d’une conscience qui s’éparpille… Apolonie qui devient Apo, le langage n’a plus rien de commun ou de correct, mais le rire, sardonique, résonne encore aux oreilles d’une Johanara qu’elle a enlevée un après midi près de Tulle… Et puis Dax… Déjà ville franche… des amis doivent arriver… Et la rencontre… Eikorc…

Ses bras, si protecteurs, où elle repose, dernier refuge d’une sentinelle qui a toujours cru qu’un jour elle serait heureuse…

Et Mimizan… La roulotte… Tangue y Roulotte. Les gascons seront bavards sur le sujet. Comment ça riait et se moquait chez les mercenaires, pendant que la nuit ils plantaient ceux qui tentaient un passage à travers leur camp…. Ceux qui en sont revenus vous diront qu’Apo distribuait pains et sourires avec la joie de vivre d’une enfant. Toujours prête, oreille attentive, des surnoms pour chacun… Une rouquine, un Ange, une Blonde, un Noir aux émeraudes perçantes, une Minette, un Lézard, un Bire, une Oiselle, Ermy, son Borgne, sa Lune… son Frère…

Et la chute, la première. L’anniversaire, le premier, le dernier… Tous, autour d’elle, Moineau, sa Souris, son Ange, son Frère, son Doc, son Oiselle… Apolonie et ceux qu’elle aura toujours appelé les siens… Parce qu’en leur appartenant, elle prend un peu d’eux…. Et se relever, toujours… Seule, elle avait guéri… Soutien d’un grognon, puis un Andalou venu faucher son cœur encore faible, l’emmenant découvrir les champs de blé, découvrant avec elle les étangs gascons… Et l’Auvergne, impérieuse, qui rappelle son enfant…

Pour mieux la voir chuter… Un pari, une mairie dont elle prend la tête, sans trop savoir, sans trop comprendre… Mais elle a assuré, parce que c’est Apo, parce qu’elle le doit, parce qu’elle ne peut pas décevoir, parce qu’elle doit les rendre heureux, parce qu’elle…. Se fait faucher. Par une épée auvergnate… Trahison subie, et dont on l’accuse. Poignard qui se retourne dans la plaie… qui cicatrisera, avec du temps. Eikorc déjà est reparti… Fab l’a suivi… Les moulinois maintiennent en vie une sentinelle bien abattue. Et puis la vie suit son cours. La diplomatie n’a plus lieu d'être. Agressive, arrogante, hautaine, froide, elle n’a cure de ce dont on l’affuble, celle qui est devenue noble sans vraiment le vouloir…

Malgré cela… Une filleule, flamme d’espoir dans ce royaume… Une amie, un soutien, sa précieuse conscience… Et d’autres qui petit à petit franchissent les barrières barbelées qu’Apo dresse autour d’elle. Des surprises, de bonnes surprises… Des amis… Des moulinois…

D’autres terres, d’autres amitiés renforcées… Varennes… Ce fief consenti par son ami, son suzerain. La meilleure récompense de l’auvergnate, et son tombeau… Il en aura vu, le manoir… De la demande en mariage d’Alayn jusqu’à la naissance mortifère de l’héritier… Et en fond, toujours, son colosse… Et les voyages, les rencontres… Un mariage surprenant, et pourtant… Vicomtesse, Apo ne l’est que dans les faits, certes pas dans l’allure. Un noble ça défend, ça se bat, ça ne se pavane pas…

La disparition, la grossesse… Apolonie avait cru pouvoir être heureuse, avait cru qu’elle réussirait cette fois, malgré les avertissements… Et il s’était évaporé, un jour, sans prévenir. Elle l’avait trouvé, des semaines plus tard, décomposé dans une ruelle de Clermont… Et était rentrée chez elle.

Moulins. Son havre.

Près d’eux, chez elle… Enfin chez elle… Des élections gagnées mais qu’on lui avait fait perdre. Le ventre toujours plus rond qui commence à peser, et le poste le plus lourd d’un conseil qu’on lui impose… Grommellements et acceptation. Elle a découvert tout un univers, une famille… Un monde qu’elle ne connaissait pas et qu’elle apprécie… Invectives et a priori ne l’empêcheront pas d’avancer. Prévôt…

Mais les voyages et allers retours incessants, l’enterrement qui se prépare… Apolonie est lasse, si lasse… Et pourtant… Elle a voulu croire, jusqu'au bout, qu’elle saurait être heureuse, qu’elle pouvait. Il l’a encouragée, Arthur, il lui a fait croire qu’elle n’était pas maudite, qu’elle pouvait sourire sans que quelqu’un qu’elle aime meure dans l’instant… Il a eu tort… Elle a souri… Elle en est morte. Elle a aimé, ils en sont morts…

Fin.

Apolonie repose dans les bras d’un angevin qu’elle aura aimé plus que tout. Son dernier souffle lui aura été consacré. Un sourire habille ses lèvres. On dira, des siècles plus tard, que l’âme pèse 21 grammes, et que le corps perd ce poids au moment de la mort… Alors Apolonie aura perdu quelques kilos, parce son âme pèse lourd de tous ces souvenirs et de tant d’autres… L’ombre qui l’entraine avec elle et dans laquelle elle retrouve certains des siens emporte avec elle nombre d’actes et d’anecdotes, de détails et grandes choses….

La brunette de sourire niaisement en les quittant, laissant flotter derrière elle un merci qui n’a d’égal que l’amour qu’elle leur porte… Et l’azur s’éteint.
Arthurdayne
[Nulle part...]

Le corps était là, mais pas les pensées. Ses jambes touchaient ce sol absurde, ses épaules découpaient le contour de sa silhouette dans l’éclairage ténu du couloir. Mais son esprit était parti, prisonnier quelque part d’une douleur abjecte. Elle était sur le point de larguer les amarres. Il ne pouvait pas même donner forme à cette pensée. Chaque parcelle de son corps le refusait, même si sa raison avait abandonné la partie. Un vague regard à l’assemblée, les visages étaient flous, brouillés derrière les larmes. Des larmes, il en pleuvait d’autres. Grid, sur l’épaule de Lilou. Ses amis… Grid, qui lui avait dit, lorsqu’il l’avait trouvée arrogante, hautaine et agressive, « apprends à la connaître »… Il avait appris. Bien plus qu’il ne l’aurait cru. A l’apprécier, d’abord. Puis à l’aimer, passionnément, sans borne, sans barrière… Elle qu’il allait perdre. Elle qui emportait avec elle, vers le pays de l’envers du décor, un morceau de son âme, de son cœur, de sa chair. Son horizon…

Fracas au bout du couloir. Bruits de pas précipités. Un type grand, une masse, pour faire autant de bruit. Ses sens, malgré la déchirure qui transperçait son corps, ne l’avaient pas trompé. Un colosse apparu, fendit leur petit groupe, et ouvrit la porte à la volée.

Le voilà donc. Cet Eikorc qui vibre au fond de ton regard. Ton frère, ton âme sœur. Celui que jamais je n’aurais pu remplacer. Arrivé à temps. Venu recueillir ton dernier souffle.

Jamais il n’aurait cru pouvoir souffrir plus. L’ébauche de l’idée qu’Apo, son horizon, allait s’éteindre, ne plus jamais venir se nicher contre lui dans une taverne, ne plus jamais partager le froissement des draps d’un lit trop petit pour eux, était une douleur telle qu’il ne croyait pas pouvoir lui trouver de souffrance supérieure. Mais le voir se précipiter au chevet de sa guerrière, et surtout, savoir qu’elle l’y accueillera, lui, son frère, marqué à même sa peau… Celui pour lequel elle avait toujours soigneusement pesé les mots en parlant de lui à Arthur. Celui pour lequel elle avait éludé certaines de ses questions. Le voir entrer ici, l’imaginer rejoindre la frêle silhouette perdue dans les draps moites de sueur maladive…

Elle mourrait sur les lèvres d’un autre. Il le savait, tout son corps le lui hurlait. Il recueillerait son dernier souffle. Une envie soudaine, accueillie comme une libération comparée à la douleur insupportable qui le tenaillait, lui monta du fond des tripes. Une pulsion de mort, terrible, comme il n’en avait pas connu depuis des lustres. Le colosse l’écraserait, peut être. Sans doute. Il n’avait plus combattu depuis tant d’années, à l’exception de cette attaque de pillards sur Moulins. Et là, il n’avait pas démérité. La chance avait été de son côté, mais…

Arrête, pauvre fou. La douleur t’aveugle. Que cela t’apporterait-il ? Qu’il te tue ou qu’il trouve la mort de ta main, serait-ce honorer Apolonie ? Egoïste boursouflé d’orgueil, Arthur, quand tu penses avec tes braies, ne cherchant qu’un combat de coq pour te prouver l’impossible. Il est à plaindre, au final, ce colosse d’Eikorc. Il n’a pas su l’aimer quand il fallait. Il n’a pas su renoncer à ce qu’exigeait de vivre entre les bras d’Apo. Même si elle le porte dans son cœur, même s’il est en elle bien plus que tu ne l’es toi-même, ce n’est pas Eikorc qui a partagé le bonheur de ces derniers jours. La tendresse de son regard, la chaleur de sa peau. Ses peurs, ses craintes les plus profondément enfouies. Tout cela n’avait été qu’une étincelle. Une illusion de bonheur. Belle, passionnée, une étincelle qu’ils avaient brûlé tous deux sans penser au lendemain.

Il avait cru pourtant qu’ils pourraient être heureux. Il l’avait été, un peu. Un bonheur aussi puissant qu’il fut éphémère. Un amour né aux mauvaises saisons. Il avait compté sur le temps pour guérir ses blessures, pour lui prouver qu’elle n’était pas maudite. Qu’elle pouvait aimer, tout simplement. Il lui aurait fallu un peu de temps… Qui étaient ces dieux dont tout le monde parlait pour leur refuser ça ? Pour lui refuser ça ? Pour la lui arracher alors qu’il ne demandait rien d’autre qu’un peu de temps pour qu’elle l’aime, lui et personne d’autre ?

Qu’avais-tu cru, Arthur Dayne, toi qui crois avoir tant vu ? Tu as traversé des mers, connu des guerres, servi des rois et des princes. Foutaises… Tu n’es rien face au temps. Comment as-tu pu croire, une seule seconde, t’en faire un allié pour l’aider à guérir ? Le temps détruit, ne construit pas. Le temps arrache, ne donne pas. Il n’est pas un allié. Il n’est pas un ennemi. Il est juste au-delà des considérations humaines. Tu n’es qu’un petit insecte, Arthur Dayne, une chose dont le nom se perdra, et le temps se fiche de tes amours.

Elle mourrait sur les lèvres d’un autre, qui n’avait pas su l’aimer à temps. Il était là, tout près, dans cette chambre, derrière cette porte. Avec elle. Cueillant son dernier souffle. Pars, Arthur, pars. Plus rien ne te retient ici. Tu n’es plus son unique, tu l’as été un instant, futile et éphémère, et pourtant si délicieux, et pour lequel tu aurais tout perdu. Mais tu dois céder la place. Pour elle. Parce que tu sais, tu le déplores, cela te déchire, te brise, te détruis, mais tu sais que c’est lui qu’elle attendait.

Pars, Arthur, loin de ce couloir, de ces gens que tu ne connais pas, que tu ne reconnais plus. Suis ce couloir sombre, sors à l’air libre.

De l’air… Il avait besoin d’air. A nouveau, il atterrit hors du château, sans trop savoir comment. De l’air… il n’y en avait pas ici. L’air qu’il lui fallait se mourrait dans des bras trop grands. Sa gorge se déchirait, ses poumons tombaient en lambeaux. Son cœur n’existait plus. Ses bras le brûlaient, ses jambes le glaçaient. Besoin d’air. Besoin de détruire, de frapper, de vaincre quelque chose. Pour se rappeler qu’il était vivant. Pour se rappeler qu’il pouvait ressentir quelque chose, qu’il existait une autre souffrance que celle qui irradiait du fond de son âme.

Un arbre. Un tronc majestueux, immobile, qui semblait tenir tête au temps. Le temps, toujours lui, qui passe quand on ne s’en rend pas compte. Qui nous fait croire… puis qui nous poignarde. Un poing frappa durement. Puis un autre. Tour à tour, obéissant à la rage qui déborde d’Arthur. Rage sourde, incontrôlable. Ses poings tapèrent, frappèrent. Le sang poissait sur ses doigts, une, puis deux phalanges se brisèrent. Puis d’autres. Les muscles se tendaient jusqu’à la rupture. La blessure à son épaule, coup d’épée reçut lors de l’attaque des pillards, se rouvrit, la suture céda. Du sang… pas de l’air, du sang. Il avait besoin de sang, de douleur, pour faire barrage à l’autre, que rien ne peut endiguer. Les larmes, terribles, dévoraient ses yeux, ravageaient ses joues de sillons rougeoyants.

Combien de temps continua cette danse enragée ? Combien de minutes volées à leur bonheur illusoire ? Arthur finit par s’affaler sur le tronc, imbibé du sang de ses mains, lui collant désormais au visage. Il glissa, s’assit contre l’arbre, qui n’avait pas bougé. Pas souffert. Les sanglots étaient moins violents, mais toujours aussi douloureux. Arthur n’était plus qu’une carcasse ensanglantée, pleurant la rage, une chose sans vie, qui avait perdu sa flamme.

Il resta là, amèrement conscient de la cruauté d’un destin qui l’avait fait aimer deux femmes et choisir celle qui n’aura jamais pu l’aimer autant qu’il l’aurait voulu. Un destin qui l’avait laissé en briser une, pour mieux lui arracher l’autre. Son baluchon jeté, gisait près de lui. Le morceau de bois taillé convulsivement, dans la brume de ses dernières heures, depuis le parvis de l’église jusqu’à ce couloir atroce, qui hanterait longtemps ses nuits, en dépassait, gracieux, toute en courbes harmonieuses qu’il n’aurait plus qu’à adoucir. Une silhouette au ventre arrondi, une jeune femme nue, perdue dans le brouillard de songes qui n’appartenaient qu’à elle.

A qui songes-tu, statuette de bois, éphémère comme les pauvres mains qui t’ont fait naître ? A qui songes-tu, Apolonie mon horizon, à l’heure où tu regagnes l’autre rive ? Peut-être que, en passant la rivière, tu auras une pensée pour celui qui n’a demandé qu’une chose, t’aimer et t’aider à guérir tes blessures, à apaiser tes craintes. Pour cet Arthur qui n’est plus qu’une bête solitaire et perdue.
Alethea
[ Le lendemain de la naissance ... le colosse est en haut]

Nouvelle nuit à varenne. Mi-éveillée mi-assoupie. Parsemée de cauchemars … les plus terribles qui soient … ceux qui vous font croire, espérer un instant que tout s’est arrangé puis qui laissent le poignard de la vérité vous éveiller d’un coup sec dans les entrailles…

Après avoir goûté plusieurs fois à ce supplice Théa se lève et quitte le salon pour marcher un peu vers les jardins. Avant d’arriver à la porte elle voit Jacques qui se dirige dans sa direction, marmonnant, une missive à la main. Lorsqu’il passe à côté d’elle, elle distingue quelques-uns de ses borborygmes … « pas lire … dans son état… devoir … impossible » Elle l’interroge alors et comprend qu’une lettre est arrivée pour Apolonie, un courrier privé non scellé qu’elle récupère. Il vient de Neils. Lentement, la filleule continue son avancée vers les jardins. Elle ne sait que faire de cette missive. La main qui la tient la tape, machinalement, dans la paume de l’autre main, au rythme de ses interrogations. Apo n’est pas en état de la lire alors, quand bien même on la lirait pour elle, que ferait-elle de son contenu ? Mais Neils … elle sait qu’il n’a pas donné de nouvelles depuis longtemps, Apo le lui a confié. Peut-être ne sait-il rien ? Finalement elle décide d’en prendre connaissance.


Citation:
Apo,
Je suis mort d’inquiétude vous concernant, si vous me lisez donner moi un signe, si vous qui me lisez n’êtes pas la destinataire de cette courte missive, répondez moi…dites moi…

Neils


Elle revient sur ses pas à la recherche d’un bureau. Mais l’écrire c’est insupportable. Ce que les regards se suggèrent depuis la veille, l’indicible, ce qui lui coupe la respiration, elle va devoir le tracer, l’inscrire sur le vélin. Les paumes viennent se plaquer sur ses yeux pour empêcher les larmes de sortir. Elle inspire profondément. Neils n’a pas besoin de savoir, c’est pas urgent. Rien n’est sûr, il attendra bien un peu qu’elle aille mieux. Les talons pivotent, les mains retombent, elle reprend la direction de la porte.

Neils, l’écuyer, le premier écuyer d’Apo. Ils l’avaient veillée ensemble après sa blessure sur les remparts de Moulins alors qu’elle refusait les soins et que la fièvre, déjà la menaçait. Neils s’était senti responsable de cette blessure. Ne pas avoir été éveillé, ne pas avoir empêché Apo d’y aller ou combattu à ses côtés…Absurde ! Et pourtant là… Théa ruminait les mêmes remords. Elle était partie, elle avait voyagé… au lieu d’être auprès d’elle de l’obliger à se reposer. Elle avait fui la tristesse au lieu de s’occuper de sa marraine, tout juste veuve, enceinte et prévôt, de l’aider dans son deuil et dans les lourds préparatifs de l’enterrement. Elle n’avait pas vu la colère, l’épuisement, le désespoir qui lui faisaient croire que tous devaient la quitter de cette façon, de Willen à Alayn en passant par tous les autres. Elle n’était pas revenue assez vite enfin….

Une fois encore, la brune repart vers l’intérieur, Neils mérite de savoir. La culpabilité de Théa ne doit pas le priver de ce droit. Elle s’installe à un bureau, pose la courte missive devant elle et répond :


Citation:
Cher Neils,

Il est hélas à ma charge de vous transmettre la plus triste des réponses. Apolonie, notre Apolonie est au plus mal. Je ne sais si vous avez su qu’elle était mariée au vicomte d’Ambert et qu’elle attendait son enfant. Hélas, elle est, à présent, veuve. L’enfant vient de naître mais, malgré la sollicitude dont elle est entourée, la fièvre qui a suivi ses couches persiste et s’aggrave.

Elle semblait, ces derniers temps, de plus en plus éprouvée par ses charges mais n’a eu de cesse de les assurer sans se donner aucun repos et je crains qu’elle n’y ai perdu la force de supporter cet accouchement. Je ne cesse d’implorer Aristote pour qu’il n’en soit rien.

J’ai le souvenir encore vif de l’attachement que vous aviez pour celle qui était alors simplement Dame d’Orval. Je n’ai pas oublié non plus la tristesse que nous avions partagée lorsqu’elle avait été blessée sur les remparts de Moulins. Je ne doute donc pas que ce que je vous livre là ne vous laisse dans le même désespoir que moi.

Neils, s’il vous est possible de nous rejoindre, je serai, en ces heures sombres, touchée de vous voir auprès d’elle.

Bien à Vous
Alethea


Le pli est confié à un valet mais la brune à besoin de retrouver les autres et repart vers le salon.
_________________
Eikorc
[Que la chute est douloureuse quand on tape le fond du gouffre…]

Regards ancrés l’un dans l’autre… Âmes fixées l’une à l’autre… Corps soudés l’un contre l’autre… Il profite de cet instant, le voulant le plus long possible pour profiter de cette âme-sœur qu’il a découverte que bien trop tard… Qui aurait pu deviner que cette rencontre somme toute banale aurait mené à ce lien aussi fort qui aujourd’hui les unit ? Qui avait remarqué que derrière la relation qui se nouait se cachait un tout autre amour que celui qu’ils pensaient montrer ? Certainement tout le monde…

Tout le monde sauf eux. Trop tard, beaucoup trop tard il avait compris l’amour qu’il portait à cette jeune femme pleine de vie… D’abord le lien lui avait sauté au visage lorsqu’il l’avait vue sombrer des remparts Gascons… Oui il y avait quelque chose entre eux, bien qu’il s’était promis de ne plus s’attacher, bien qu’il criait à tous et à toutes que personne n’arriverait à s’immiscer dans son cœur de glace… Conneries… Sa place elle se l’était faite, plus que ça même.

De jour en jour, d’heure en heure… Elle s’était imposée dans sa vie, comme si de rien était… Et pourtant, il avait dû attendre de presque mourir pour se rendre compte de la place qu’elle avait prise… Oh oui elle était sa sœur et déjà son autre… Mais quand les lames poitevines et périgourdines s’étaient abattues sur lui, c’est là qu’il avait compris qu’elle était bien plus que ça… Que c’était pour elle qu’il devait vivre, pour pouvoir la protéger et tout simplement être à ses côtés…

Il s’était décidé à le lui dire, à lui avouer comme il se l’était avoué… Mais une fois de plus il était arrivé trop tard… Dans cette même demeure elle lui avait présenté l’homme qui lui volait la vedette et la femme de sa vie… Jalousie exacerbée qui l’avait prise aux tripes alors qu’il se rendait compte qu’il avait été trop lent, trop aveugle… Elle ne pouvait pas l’aimer comme lui l’aimait…

Un mariage qui lui avait broyé le cœur, il a essayé de lui faire sentir, de lui faire comprendre… Mais elle est restée auprès du vicomte qu’elle avait décidé d’épouser… Trop tard pour le colosse, pas assez rapide, une fois de plus… Et lorsqu’ils s’étaient croisés, alors qu’elle venait de perdre l’abruti qui n’avait pas daigné rester en vie pour s’occuper d’elle et de son héritier, il avait espéré pouvoir prendre la place qu’il espérait tant…

Cette place il aurait dû l’obtenir ce jour, à cet instant... Et il le sait, elle lui confirme… Par son regard, clé de leur lien, clé de leurs âmes… Et par ses mots… Ses simples mots qui semblent résonner dans la pièce alors que tout simplement ils tournent et retournent dans le crâne du colosse… Inlassablement…

« Je t’aime Eikorc de Nerra, je t’aime et t’aimerai, pour toujours et à jamais. Je t’aime comme je n’ai jamais aimé, comme je n’aimerai plus. Je t’aime et je te veux, je nous veux… Eik… Je suis à toi. »

Et au fur et à mesure, l’estomac se noue, la gorge serrée devient presque étouffante tellement la vague d’émotion qui s’empare de lui est forte… Le flot amer des larmes vient brûler les azurs étincelants, gonflant les yeux plus qu’il ne le voudrait… Elle sourit… De ce sourire qu’il a tant aimé découvrir, qu’il a tant apprécié… Et lui serre les dents, pour ne pas lâcher prise… La pressant de toutes ses forces contre son torse alors qu’elle tremble…

Non… Elle ne peut pas partir… Non… Ce n’est pas son dernier sourire… Non… Ce n’est pas son dernier soupir qui vient réchauffer et faire frissonner la peau de son torse… Non… Ses mains se mettent à trembler, ses mâchoires se contractent spasmodiquement alors que lentement les paupières se ferment, libérant les larmes qui coulent sur ses joues, traçant des sillons dans la poussière qui les recouvre…

Il la berce contre son torse, déposant une myriade de baiser sur son front, sur ses joues, sur ses tempes… Il dévore son visage angélique de ses lèvres… Non, ce n’est pas possible… Et ce que son esprit refuse d’accepter ses lèvres le prononcent…


« Non…
Non…
NON…
NOOOOOOOOOOOOOOOOON !!!!!! »


La gorge plus que nouée libère enfin le hurlement qui montait en lui… Terrifiant, affreux, bestial… Comme celui d’un animal blessé… La tête est renversée en arrière alors que les larmes s’écoulent inlassablement le long de ses joues… La dépouille de la défunte Apolonie est pressée contre son cœur, contre son corps… Pour toujours et à jamais…

Ils étaient un… Elle était cette partie de lui qu’il cachait… Cette partie de tendresse, de gentillesse… Cette part de lui-même qui était une minorité, celle qui faisait qu’il ne sombrait pas totalement dans le chaos… Son âme… Ils étaient liés… Ils étaient un… Il est seul maintenant…

Et alors qu’il s’en rend compte, il a l’impression que son cœur est arraché de son torse par des mains gelées… Broyé, déchiré, déchiqueté… Et Grognement bestial suit le hurlement… Le corps entier tressaille alors que les muscles se contractent… Il les berce maintenant tout deux… Comme s’il voulait l’intégrer à lui, l’ancrer dans son corps…

Lentement les paupières se soulèvent… Dévoilant un métal flamboyant… Un azur entouré de rouge… De sang… Un frisson traverse son échine… Pour toujours et à jamais… On vient de lui arracher ce qui restait d’âme… Il n’est plus qu’une coquille vide, plus qu’un corps sans vie… Il ne lui reste plus qu’à partir, à son tour…

Lentement il relâche la pression de ses bras, libérant le corps frêle de celle qui était son tout… Il l’allonge, tendrement… Main droite qui s’envole, attrapant la dague qui est glissé dans sa ceinture… Il n’a plus qu’à la rejoindre, comme il l’avait dit… Comme il se l’était promis… Parce qu’il ne peut vivre sans elle… Les yeux s’abaissent sur l’arme qui semble brûler sa paume… La lame se pose dans la main gauche alors qu’à nouveau il regarde le visage de sa sœur, souillé par ses larmes…

On l’appelait le diable… Il ne l’était pas entièrement… Aujourd’hui l’âme arrachée vient de réveiller la noirceur de ce qui sommeillait en lui depuis des années… Une moue de tristesse se transforme en rictus de haine… Oui la haine, ce sentiment qui l’habite depuis cette nuit en Anjou où son meilleur ami avait lui aussi péri…

Les doigts se referment brusquement sur la lame, entaillant la chair… Douleur ? Non… Le liquide de vie vient glisser le long de ses doigts, gouttant sur le sol… Les mots tatoués sur son bras semble le brûler plus que jamais… L’esprit est loin, très loin… Lorsque la hargne remplace la raison… La rage qu’il connaît si bien… Celle qu’elle contenait par sa présence…

La dague est abandonnée alors qu’il tourne sur lui-même, s’emparant du meuble qui se trouve le plus proche… Le fauteuil est attrapé… D’un coup de rein il est envoyé violemment contre le mur alors qu’un autre cri s’échappe de la gorge du colosse… La montagne de muscle n’est plus que haine… Les mâchoires se serrent à nouveau, tout comme les poings…

Il va mourir, il va la rejoindre… Il ne peut vivre sans elle… Mais avant… Avant il terrassera celle qui n’a pas pu la sauver… Car comme lui, elle n’a rien pu faire… Cette ombre qui a quitté la chambre alors qu’il prenait son âme dans ses bras…. Le nez se fronce alors que les yeux se plissent…

Quelques pas esquissés, sa silhouette se dessine dans l’embrasure de la porte… Le visage se tourne, lentement, comme au ralenti… Du monde… Trop de monde… Qu’est-ce qu’ils foutent là ceux là ? Elle est morte… Elle est morte !! Les yeux passent sur les personnes présentes, sans les voir… Ce n’est pas eux qu’il cherche, pas eux qu’il veut…

D’un coup il part en courant, bousculant violemment les gens qui se trouvent devant lui… Les épaules musculeuses frayant le chemin à leur propriétaire… L’intendant a été découvert… Lui saura le mener à l’Ombre… La main musculeuse et ensanglantée se referme sur le col de Jacques… Un coup de rein est donné pour qu’il s’envole et se plaque contre le mur… Une silhouette en contrebas…

Le visage se tourne alors que la main relâche son emprise… Le regard flamboie alors que ça lui semble évident… Cette rouquine là en bas… Il ne l’a jamais vue, il ne la connait pas… C’est elle qui est responsable ! Quelques secondes seulement se sont écoulées depuis sa sortie de la chambre… Et déjà il s’élance dans les escaliers, de toute la puissance de ses jambes musculeuses…

Montagne de muscle qui dévale les marches trois par trois… Il ne cherche pas à être discret… Non… Qu’elle voit qui vient la tuer… Qu’elle sache qui lui arrachera la vie… Elle s’est tournée vers lui, sa main droite s’envole, les doigts serrés… L’énorme poing s’élance à toute vitesse vers le visage de celle qui n’a pas pu sauvé la femme qu’il aime…


« Tu l’as tuée !!! »

Alors que son cri s’échappe de sa gorge, son poing entre en contact avec la peau de son adversaire… Peu importe qu’il s’en brise les doigts… Peu importe qu’elle réussisse à se défendre… Il veut faire mal… Il veut la tuer… Et toute la puissance de sa rage est venue la cueillir en plein visage pour qu’elle s’envole à travers la vitre qui recouvre le mur…

La haine pulse dans les veines du colosse alors que le corps de la rousse traverse le verre… Quelques éclats s’envolent et se brisent à ses pieds… Il n’en a pas assez… D’un bond il s’élance derrière elle en grognant comme un ours en chasse… Tuer… Tuer avant de mourir… Il aura sa peau…



[hrp : Avant que quelqu'un ne s'interpose entre Eikorc et Cerridween, j'aimerais qu'elle puisse répondre à mon post... Merci d'avance à tous. Et j'en profite pour remercier toutes les personnes qui ont participé à ce rp pour donner à la rôliste derrière Apolonie, le dernier rp qu'elle méritait. ]
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Alethea
[Il redescend, le colosse comme une sombre tornade…]

Le frère ! Croisé, recroisé, jamais abordé… Une autre bulle, une autre sphère, d’autres couleurs que seule l’Apo sait combiner. Le frère que la filleule a vu agressif, blessé, malheureux, désespéré…. Mais jamais, jamais comme elle le voit là alors qu’il se précipite dans les jardins.

L’angoisse commence à s’imprégner en elle, l’effroi grandit alors que les pas du colosse raisonnent dans l’entrée, jusqu’à ces mots qui la déchirent.


« Tu l’as tuée !!! »

Son esprit tente de lutter un instant. « Il s’est trompé ! … quelqu’un de compétent… » Mais elle sait l’amour qu’il lui porte.… Alors commence le grondement sourd du désespoir qui s’insinue en elle et l’oppresse. Un frisson glacé la parcoure, tressaillement qui emporte avec lui sa force, son sang. Appuyée contre le mur froid, elle se laisse glisser au sol. Sa main se pose tremblante sur ses lèvres brutalement asséchées. Quelques larmes, au bord des yeux, s’écoulent alors qu’elle ferme les paupières sur son chagrin. Mais rien ! Rien de plus ! Elle est juste Anéantie.
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Cerridween
[ Descente... aux enfers... ]

Les larmes descendent encore et toujours sur les joues devenue marbre.
Vertige...
Vertige pendant qu'elle chute les yeux fermés...
Le néant s'ouvre de plus en plus grand pendant qu'elle s'accroche d'une main aux pierres, les phalanges blanchies de trop serrer, d'agripper, les ongles commençant à se teinter de gouttes pourpres. Le vélin n'est plus qu'une masse informe qui brûle sa main senestre.
Les sinoples sont recroquevillées derrière leur voile de chair.
Comme la Pivoine est recroquevillée sur elle-même.
Au bord de l'abime, dans ces escaliers de pierres, elle n'ose faire un pas.
Pourquoi le destin s'acharne-t-il... qu'a-t-elle fait... qu'a-t-elle fait... de toute sa vie entière, qu'a-t-elle fait pour qu'il s'acharne ainsi, même dans des terres inconnues, des murs qui ne sont pas les siens, marqués d'aucune trace d'un passé qui lui aurait été propre. Qu'a-t-elle fait pour vivre un purgatoire alors qu'elle est encore du monde des vivants ? La question tourne et valse, retorse, assassine dans ses pensées folles et désespérées, à travers les souvenirs qui la crible de coups à chaque fois qu'ils passent devant les prunelles qui pourtant s'étaient fermées.
En deux coups... en deux coups seulement... deux simples pions poussés sur l'échiquier devant elle.
Echec et mat, Pivoine. Toutes les défenses savamment mises en place, toutes les fondations patiemment construites, pierres par pierres ces derniers mois, viennent de tomber en poussière, soufflée par une simple brise.
Où peut-elle fuir pour ne pas revivre sans cesse cette blessure, si elle ne peut pas poser un pied sans croiser son reflet ? Où peut elle aller si à chaque détour de chemin, elle l'aperçoit dans d'autres ? Que faire quand les têtes tombent une à une comme dans un cauchemar autour d'elle sans qu'elle puisse arrêter le couperet ?
Elle cherche un instant son souffle entre deux hoquets de sanglots. Elle a déjà la réponse. Mais elle est inenvisageable. Cette solution qu'elle a envisagé à chaque pas en retournant à Beaumont, transportant le corps de son frère sur sa monture, hagarde, blessée, au bord d'une folie sans borne. Elle aurait tant de moyens... tant... de faire taire toutes les douleurs, de faire s'arrêter la roue du temps. De se reposer enfin. Les falaises de Ryes étaient si accueillante, proche de la mer et de l'horizon où elle voudrait se fondre. Le poison serait si doux. La lame si tentante. Un simple geste. Une simple pression. Un verre avalé. Un pas en avant.
Se serait si facile... trop... c'était sans compter sur la dernière promesse faite à ce soleil blond qui est mort avec le sourire en la regardant, paisiblement. Vivre.
Vivre...
Survivre serait le mot plus approprié dans son cas et à l'instant.
Survivre pour ne pas être parjure.
Pour ne pas se présenter devant lui en ayant failli.
Elle étouffe, elle étouffe, la Pivoine qui tente d'endiguer le souvenir et l'annonce d'une mort de front. La poitrine se soulève au rythme anarchique de ses pleurs, douloureuse. Elle monte, elle monte la douleur, étincelle allumé dans une poudrière de plaies.
Elle part de son ventre, de ses entrailles et grimpe dans sa trachée...
Mais le cri de douleur qui se répercutent sur les murs de Varennes n'est pas le sien.

Il la transperce de part en part. Il fait écho au sien, ce hurlement viscéral, inhumain, qui lui avait ricoché sur les troncs d'une forêt pétrifiée par l'hiver. Elle sait. Elle sait la sensation au delà de la douleur elle même. L'impression qu'on a ouvert sa poitrine à vif, fouillé entre les cottes et pris à main nue son coeur palpitant avant de l'arracher d'un coup sec. Le néant qui le remplace. Le trou béant qui reste. L'impression de vacuité sans fond qui s'empare du corps, puis de l'esprit. Elle sait. Et elle revient par ce cri, dans le froid, ce jour où on lui a arraché une partie d'elle devenue bête, masqué de sang et de boue, perdue, éperdue.
Les mâchoires se serrent...
Elle ne peut pas souffrir plus...
Ou elle s'effondre là sur les pierres.
Lente descente, pas à pas... dehors elle aussi elle pourra hurler. Hurler sans retenue, la mort d'un ami, d'un frère d'arme, hurler son impuissance, sa peine, sa rage. Faire écho aux souvenirs qui lui ont sauté au visage.
Funambule, elle arrive tant bien que mal sur le pas de la porte.
La main se referme sur la poignée, encore tremblante. Dans un instant l'air, dans un instant la liberté, dans un instant la nature, ses bras. Un endroit où pleurer, où se fondre.

La main reste accrocher à l'huis.
Il approche. Les pas heurtent les escaliers comme des béliers. Ouragan en approche. Elle sent le vent de la furie derrière elle, le vent de la haine.
Volte face.
Elle a mal calculé le temps d'approche. Trop de fatigue, trop d'émotions qui brouillent ses sens, qui brouillent ses perceptions. Il est déjà bien trop proche. Déjà elle voit les saphirs taillés à vif, injectés de sang, qui s'emploient déjà à la déchiqueter à distance. Elle voit les traits durs, acérés, sur lesquels s'impriment au fer rouge la haine et la souffrance. Le visage déformé par la douleur, féroce, autre, démoniaque qui fonce déjà sur elle. Elle lit. Elle lit la menace affichée, criée par le regard qui la percute.
Les émotions, les heurts, la douleur s'effacent comme on souffle une bougie.
Instinct. Celui de la survie, primaire, aussi viscéral que les liens du sang, qui se déverse en une pulsion dans son corps et dans ses veines.
Instinct de fauve, instinct obscur, bestial.
Son coeur s'emballe, son corps se tend.
Les genoux ploient, appuis se vissant dans la pierre, prête à bondir, en fauve.
La main senestre s'engage vers la garde de sa dague, celle qui est le pendant de métal de Miséricorde, la grande épée longue frappée licorne, symbole de la devise qu'elle sert. Celle qui est le reflet de son côté obscur, insignifiante lame courte parée de jusquiame. Une entaille et son alliée obscure se déliera dans son sang.
Trop tard, bien trop tard.
Le poing est déjà armée et s'avance vers sa tête. Déjà trop proche.
La main senestre se retracte et tente vainement de dévier l'attaque pendant que la dextre vient à son secours.
Il aurait fallu... une fraction de seconde... une fraction de seconde de plus... pour éviter.

L'impact.

Rude, dru et violent, à peine amorti d'un mouvement de tête qui se recule.
Les doigts viennent s'écraser sur sa pommette gauche. Elle sent son corps qui décolle vers l'arrière.
Un instant, elle se sent flotter, un instant infime qui lui paraît une éternité pendant que la douleur commence à percuter ses tempes.
Son dos heurte la verrière pendant que ses mains protègent sa tête. Le cliquetis du verre résonne à ses oreilles dans une symphonie discordante.
Nouvel impact au sol. Le froid du matin vient l'envelopper avant que les dalles de la cour la réceptionne violemment. Son corps roule, avant de s'immobiliser. Douleur au bras gauche et dans le flanc, liquide chaud qui commence à s'écouler sur le tissu.
Les murs dansent, dansent, dans une ronde infernale. Déjà le corps de géant est devant elle, flou, distendu.
L'adrénaline alors fait son office, criant à tous les membres de se rebeller, muselant la douleur, les hématomes et les éraflures. Les pensées deviennent pragmatiques, traits, ordres instinctifs, impulsions animales. Plus de bras gauche. Plus de dague. Pas de couteau de lancer trop inefficace. Miséricorde en seul échappatoire. Pour cela gagner du temps.
Entre les images dansantes, elle entraperçoit le deuxième poing qui s'élance vers sa tête. Le corps roule, paquet de nerfs, sur le côté pendant que la main s'explose sur la pierre à quelques centimètres de sa cible. Impulsion des mains, pour jeter son corps sur ses appuis avant que la dextre s'empare de la garde de l'épée longue qui sort de sa gangue dans une chuintement métallique. Il est tout proche. Le bras esquisse un revers. La lame en estoc s'avance vers sa gorge, menaçante et fatale.
Mais vient effleurer la peau, la marquant d'une emprunte rouge, d'une éraflure, pendant que le corps de la maitre d'arme se déporte à senestre pour ne pas prendre l'assaut de front.
Volte face des combattants.
Azurs contre émeraudes qui brillent maintenant d'une lueur inhabituelle.
Ours contre lionne.
Une seconde de latence, une seconde de répit.

L'avertissement goutte sur la peau du brun haineux vers sa chemise et à travers les sinoples qui ne cillent pas et roulent.
Je ne veux pas te tuer. Pas avec ce que je sais. Pas avec ce que je sens transpirer de tes prunelles, de ton être, de ton coeur et qui me rappelle ce que j'ai été.
Je ne veux pas te tuer. Je n'en ai pas le motif, je n'en ai encore moins l'envie. Si tu savais comme tu me ressembles... si tu savais que s'il existe quelqu'un sur cette terre qui peut entrapercevoir ta peine, ton désespoir et ta souffrance, elle se trouve devant toi.
Mais j'ai fait une promesse. Celle de vivre et de me battre à celui qui était pour moi, celle que tu pleures.
J'ai fait un serment. Celui qui est inscrit dans l'animal qui pare ma lame, celui du sang des armes, de ne jamais abandonner un frère, même mort, de chercher vengeance pour que justice soit faite. Et je ne peux pas mourir, avant d'avoir honorer celui là.
Alors si tu frappes, De Nerra...
Si tu frappes encore....
Je ne retiendrai plus mes coups.

_________________
Liamchaa
[En chasse... de rien]

Ils étaient là.
Près du domaine.
Une blonde, un noir.
Emmitouflés.
En lisière de bois.
Ils observaient depuis une journée ou deux.
Chevaux, carrioles.
Du bruit sur la route toute proche.
Un groupe qui était arrivé.
Un colosse.
Sourire furtif du black.
Des personnes qu’ils peuvent voir.
Les mines sont graves.
Il ne s’était point trompé.
Il peut la sentir.
Comme en Gascogne.
Comme en Périgord.
Comme en Toulouse.
Champs de batailles
Cette Ombre.
Elle tourne, vire.
La Mort.

Il casse une branche.
Se met à la dépiauller.
Lentement.
Regard vert comme les feuilles.
Direction le fief.
La blonde est assoupie.
La route.
Les champignons.
La fatigue accumulée.
Faudrait bien qu’ils se posent.
Un cri à peine étouffé.

NOOOOOOOOOOOOOOOOON !!!!!!

Tête qui se redresse.
Yeux qui se plissent.
Il a compris.
Frissons dans le dos.
Poils dressés.
Boules coincées dans le gosier.
Maudite Ombre.
Il a beau vivre à côté.
Il ne s’y fait point.
Branche jetée.
Il serre les poings.
Aurait bien couru là bas.
Trop de monde pour lui.
Trop de titrés.
Jamais été son truc.
La messe est dite.
La messe…
Non pas la messe.
Une page se tourne.
Une de ces rares amies vient de partir.
Un chapitre se termine.
Le livre lui… s’écrit
Encore et toujours.
Felina
Et après ... ?

Attente … éternité qui passe dans ce sombre couloir empli d'inconnus … Défilé incessant dans la chambre, portes qui s'ouvrent, se ferment …

A leur entrée, les visages sont inquiets, les corps tendus et frissonnant, mais à leur sortie, ils sont ravagés, dévastés par la tristesse, n'acceptant pas la douloureuse vérité qui s'est imposée à eux entre ces quatre murs. La mort … la mort est bien là … sur le point de faucher à nouveau. Ils sont tous là pour ça … dire adieu, affronter cette réalité que tous refusent … Certains s'effondrent dans le couloir, le mur restant alors leur seul support pour ne pas sombrer plus encore, d'autres, tels des automates quittent le lieu maudit sans un regard, murés dans leur malheur alors que l'implacable vérité s'emparent de tout leur être, s'insinuant inexorablement dans leur veines. La brunette qu'elle a suivit depuis le Berry est de ceux là, qui fuient au dehors, chercher l'air qui leur manque, s'éloigner pour laisser libre cours à leur peine.

Là, derrière cette porte, une âme a rejoint l'Ombre. Qui était elle ? Tant de monde autour d'elle pour ses derniers instants, celle qui n'est plus devait être quelqu'un d'aimée et de choyée pour réunir un si grand nombre de personne pour son dernier voyage.

La Féline est restée tout ce temps, immobile, impassible … aucune émotion ne transparaissant sur son visage, fermé, dur. Seul son regard sombre se voile au rythme du flot des entrées-sorties, le cœur de la sauvageonne cognant toujours plus fort dans sa poitrine, souvenir d'une douleur qu'elle ne connaît que trop bien. Résister, ne pas se laisser envahir, ce sont tous des inconnus, rien à faire de leur tristesse, déjà bien assez dur de supporter la sienne. Qu'ils aillent au diable. Égoïsme, instinct de protection, survivre quoiqu'il arrive, indifférente en apparence, froide, inhumaine. Dissimuler au monde le feu de révolte qui boue en elle, ce refus de la mort qui la poursuit sans relâche … Ne pas se laisser envahir, repousser toujours plus loin ses sentiments, pour vivre, survivre … Cœur de glace qui ne saigne plus, regard froid, iris sec, la source de ses larmes est tarie depuis longtemps ...

Et soudain, des bruits de pas sur le pavé qui résonnent dans Varennes, une arrivée fracassante, un géant crasseux, effrayant, imposant fend l'assemblée, jetant à peine un regard sur quelques personnes. Il sait où il va, il ne demande rien, non, il prend ce qui lui revient de droit et personne ne s'oppose à lui … Le bois qui le sépare de celle qui va mourir ne résiste pas longtemps, et dans un grincement des gonds il s'engouffre dans la pièce.

Temps qui suspend son vol, funambule aux boucles couleur feu qui ressort de la pièce et traverse, silencieuse le couloir morbide. Un fantôme, le corps est là mais l'esprit sombre dans le Néant.
Secondes, minutes, heures qui s'égrainent … combien de temps depuis qu'elle est entrée ici, sans aucune raison … cela n'a plus d'importance. Le silence oppressant fait si mal, quelques regards suivent l'ombre de la rousse qui s'enfuit … soupirs .. têtes qui se secouent, pantins désarticulés, rares murmures.

Brusquement un cri qui déchire l'aube de ce jour naissant et fait tressaillir la brune. Ses yeux se ferment, sa mâchoire se crispe, ses poings se serrent jusqu'à lui faire mal. Se mordre la langue presqu'au sang pour ne pas crier … Ce « Non » résonne en elle encore longtemps après avoir été hurlé … faisant écho à sa propre douleur. Rien à faire, elle s'entend hurler ce même mot lorsque la dague maudite s'est fichée dans la poitrine de son frère, lorsque, à peine quelques secondes plus tard, il a rendu son dernier souffle dans cet escalier. Lui souriant pour la toute dernière fois, alors que le monde s'écroulait autour de la jeune mercenaire, et qu'elle sombrait dans l'abîme.
En cet instant ce n'est pas la chagrin qui envahit la sauvageonne, mais la colère, sourde rage qui s'insinue insidieusement en elle … Maudite soi tu toi qui emporte tout sur ton passage, ne laissant aucune chance à personne, aucun échappatoire … Pourquoi … Le combat est inégal face à toi,, l'issue connue d'avance ...tant de souffrance, pourquoi ..

Trop … c'en est trop.
La rage qui explose dans la chambre de la mort ne parvient que de façon diffuse à l'esprit de la Féline qui déjà n'est plus là … perdue, noyée dans ses souvenirs.

Mais la tornade qui ressort de la pièce la fait sursauter et reprendre brutalement pied avec le monde réel. Elle évite de justesse la montagne de muscles qui parcourt en sens inverse le chemin effectué peu avant dévastant tout sur son passage. Vengeance … il crie vengeance … elle se sait, elle le ressent dans chaque pore de sa peau, jusqu'au tréfonds de son âme. Tout comme elle a voulu tuer le meurtrier de son frère, le colosse a besoin de tuer celui ou celle qu'il croit être responsable de son malheur. Cet homme qui traverse le couloir et se rue dans les escaliers n'a plus rien d'humain, . Frisson de frayeur qui lui dresse l'échine, la première pensée de la sauvageonne va vers le responsable vers qui cette fureur est tournée… Il est déjà mort, condamné par un géant qui réclame son du, le prix du sang.

Il va tuer … mais qui … où ?

En bas, bruit sourd d'un poing qui rencontre un corps, sinistres craquements, fracas de verre qui se brise en contrebas. La rage se déverse sur la victime, le bourreau commence son office … Le couperet tombe, implacable … Réagir, il faut réagir … la mort vient de faucher, mais elle doit cesser là son office … La mort ne doit pas appeler la mort, il faut que tout cela cesse, maintenant.

La vengeance n'apporte pas le repos de l'âme et Félina le sait … De Blayac est mort, pourtant elle n'en a tiré aucun soulagement, aucune paix … Rien … la douleur est toujours là, l'absence toujours aussi insupportable … rien n'y a fait … Seul le temps a su estomper légèrement les effets de cette disparition, et encore, elle n'est plus que l'ombre d'elle même depuis ce funeste jour … errant sans but, plus d'avenir, pas de présent … un passé qui la ronge, elle est morte ce jour là elle aussi.

Instinctivement, la Féline décide ne pas rester planter là. Envie d'action, curiosité. Si elle le peut, sauver la victime désignée des griffes du colosse. Dague déjà en main, doigt serré sur la garde …. Foutaise … elle ne fera jamais le poids. Pourtant elle ne peut pas le laisser faire. La voilà donc qui dévale à son tour les escaliers, sans avoir aucune idée de ce qu'elle va faire. Regard qui balaye la scène qui se joue devant elle. Dans le vestibule, une femme prostrée contre le mur. Au sol, des débris de verre, derniers vestiges de ce qui avait été autrefois une verrière. A l'extérieur, la rousse, épée en main, joue déformée par le coup qu'elle vient de prendre, tache rouge sur le flanc, qui grandit toujours plus, fait face au géant enragé.

Stoppée dans son élan, la Rastignac s'arrête en bas de l'escalier, arme au poing, sans savoir quoi faire. De quel droit interviendrait elle entre ces deux là, elle qui n'a même rien à faire ici ? Qu'ils s'entretuent après tout, en quoi ça la regarde, elle n'a qu'à partir, fuir loin de ces gens qu'elle ne connaît pas et les laisser décider aux mêmes de leur avenir. Mais rien à faire, elle reste plantée là, à les regarder.

Ne faites pas ça ...

Les mots sont à peine murmurés alors qu'elle voudrait les leur hurler. Impuissance ... A l'aide, à l'aide ... ils faut les empêcher. Mais plus un son ne parvient à franchir les lèvres de la sauvageonne.
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Juliuz a dit : "Felina, que j'ai convertie aux joies du brigandage, une vraie perle de franchise et d'humour"
Kar1
[De retour en Auvergne]

La charrette est plus légère. Le Noir et Blondine sont maintenant berrichons. A voir si c’est de manière provisoire mais l’emplacement est idyllique. Plusieurs siècles plus tard, cette région sera appelée Centre. Ce n’est pas pour rien bien sûr. En plein milieu du Royaume, le Berry est un carrefour permanent pour les marchandises. Le duché est entouré de bois touffus, de forêts moins denses et de plaines propices à l’agriculture. Ce paysage permet à l’automne d’être magnifique grâce au mélange surprenant de couleurs orangées que l’on peut apercevoir le long des chemins de traverse.

Pour le moment, c’est le printemps. Le jour de son anniversaire même. Le jour d’un âge bien avancé même s’il n’est pas vraiment défini. Un premier procès pour elle. Première fois qu’elle se retrouve face à un juge à devoir se défendre corps et âme pour éviter de se retrouver en prison. Chose faite, la blonde est relaxée. Certains disent que son charme y est pour quelque chose. Karine n’en est que fière et puis c’est tout. Elle rayonne tandis que les montagnes verdissent chez les bourbonnais. C’est comme un renouveau pour la faune et la flore. Une naissance, une mort dont elle ne se doute pas encore.

Tout n’est pas tout rose malheureusement. Le Noir s’inquiète. Depuis qu’ils ont quitté cette région vallonnée, il est soucieux, silencieux parfois. Elle le regarde du coin de l’œil, et ce régulièrement, n’osant lui poser les questions qui risquent d’être fatidiques. Il n’y a rien de pire que de ne pas savoir. Parfois, quelques murmures sortent de la bouche de son homme. "Apo" qu’il dit. Blondine est bien curieuse et fera en sorte de connaître le pourquoi du comment. Le balluchon est prestement rempli. Ils se nourriront un temps d’eau et de pain sec.

Karine plisse du nez, première fois qu’elle voit le Noir comme ça. Elle se fait tendresse, un chat, une courbe. Elle se veut facile à vivre, concessions permanentes, auprès de lui, douceur. Il veut.. Elle fait..


[Chasse aux nouvelles d’une amie commune]

Une Apo mal en point. Ca y est, Karine l’a compris. Face au domaine de la nobliote, il y a grabuge, du monde. Et eux, suite à une chasse aux champignons des plus vides de sens et de gain, ils sont postés au sol et cachés. Elle dort.

Elle s’est assoupie au beau milieu de la nuit, quelques temps après avoir rencontré un donneur de champignons avariés. Liam veille semble-t-il, bien trop aux aguets. Moment bien trop tragique. Elle s’en voudra Blondine d’ailleurs lorsqu’un énorme cri sortira d’une fenêtre ouverte au monde extérieur. Elle sursaute en faisant bruisser le sol sous son ventre.

Un frisson parcourt le bas de son dos. Un mauvais présage, une naissance difficile, Liam ne s’était pas trompé. Quand est-ce qu’il se trompe. Elle lance un regard jaloux. Karine est bien trop insouciante pour appréhender. Elle n’aime pas y penser et occulte. Bien trop de gens la quittent, meurent régulièrement. Elle se fait forte essayant de ne pas montrer son dégout profond pour cette Ombre. Ombre à laquelle elle n’a jamais pensé, vu ou connu.

Une image effrayante défile tout à coup devant ses yeux. Un visage déconfit se forme. Karine a besoin d’un bras protecteur, ses yeux le supplient.

Une peur..

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Karine de Pommières.
Arthurdayne
[Quelque part au pied d'un arbre... puis aux pieds du nouveau né]

Le sang séché maculait sa chemise. L’autre sang, où pulse la vie, continuait d’inonder ses doigts d’où irradiait la douleur. Une bien faible douleur, mais dont il pouvait appréhender la cause, contrairement à l'autre, immense, terrifiante et cruelle. Perdu dans la contemplation de ses poings meurtris, qui avaient catalysé sa rage, Arthur sourit. Un sourire vague, amer, désabusé. Elle ne lui servirait plus à rien, ces palmes dérisoires, qui n’avaient d’adresse que sur le corps d’Apolonie. A quoi lui serviraient ses doigts mal taillés s’il ne pouvait plus effleurer sa joue, les mêler à la natte qui plongeait jusqu’à la naissance de ses reins ? Avoir des mains lui parut tellement absurde, d’un coup. Des poings pour se faire croire qu’on peut se battre. Des doigts pour avoir l’illusion qu’on pouvait toucher du bout d’eux un morceau de bonheur. Quelle vanité…

Faisant tourner sur eux mêmes ces objets curieux qui prolongeaient son corps, Arthur nota boursouflures, hématomes et gonflements de toute sorte sous le sang rouge et brun, noir parfois, qui pleurait des éraflures profonde ou superficielles, à chaque mouvement minime de ses doigts ou de ses poignets. Il n’en avait cure. Mal ? Ce n’était rien à côté du vide qui, il en était sûr à présent, signifiait qu’il n’avait plus ni cœur, ni âme. Une plaie béante en lui, d’où s’écoulait bien plus que des pleurs ou du sang. Il n’était plus qu’un pantin sans but, dont chaque membre défiait les autres de sa crasse inutilité. Des bras ? A quoi bon, s’il ne peut plus entourer ses épaules. Des yeux ? A quoi bon, maintenant qu’elle s’évanouit. Et pour voir quoi ? L’autre, son autre, recueillir ses derniers instants ? Des oreilles ? Pour entendre ce cri absurde, ce « non » qui avait arraché la gorge du colosse et sonné jusqu’ici, contre cet arbre ? Des lèvres… alors que plus rien n’a de goût. Des jambes ? Pour le porter où ? Plus d’horizon, nulle part. Vers où aller, désormais…

Vers cette petite chose… cette flamme naissante, où existait encore un peu d’elle. Guidé par cette pensée, se fixant à elle comme une branche de salut l'empêchant de sombrer dans la folie, comme étant la seule idée cohérente qu’il avait depuis de longues heures, Arthur se releva, quitta le tronc de l'arbre baptisé de son sang. Futile, peut-être… aussi illusoire que tout le reste, mais cela avait un sens. Obscurément, au fond de lui, ce qui lui restait de raison avait acquiescé. Va le voir.

Des pas sans substance, un trajet déjà oublié. Un passage aux cuisines. Quelques vagues chiffons déposés là pour endiguer le sang, pour enrubanner ses pauvres mains amorphes et tuméfiées. Puis des marches. Peut-être avait-il demandé son chemin, il ne savait plus. Les autres étaient des ombres qui décoraient les limites de son champ visuel. Des cris, là bas. On se battait, peut être. Qu’importe. La guerre n’était plus pour lui, il était las des combats perdus d’avance. Une porte, qu’il entrouvrit. Une lumière douce. Un havre de sérénité perdu au milieu d’un château de souffrances. Un visage se tourna vers lui. Joli ? Encore un mot absurde, qui n’avait pas de sens. Effrayé. Oui, de la peur, là, dans ses prunelles. Des yeux en qui manquait cruellement l’azur. Des yeux qui ne valaient pas qu’on s’y arrête. Dur ? Non. Désabusé, simplement.

Mais il pouvait comprendre qu’elle ait peur. Les bandages de fortune qui enserraient ses mains meurtries étaient déjà noyés de rouge. Du sang pas encore tout à fait sec chatoyait sur une partie de son visage, recueilli là lorsque ses pleurs avaient rencontré le dureté de tronc d’arbre qu’il venait de baptiser des meurtrissures de ses mains. Des yeux dans lesquels ne brillait plus rien, même pas la rage et la folie. Des yeux vides, comme tout le reste. Et pourtant, il ne voulait pas lui faire peur. Il n’était pas là pour faire du mal. Le mal, il l’avait reçu de plein fouet, l’avait fait sien, commençait à accepter qu’il ronge son cœur. Mais l’en faire sortir, non. Plus jamais.

Je… je veux juste le voir. S’il vous plait…

Regard où l’inquiétude remplaça la peur. Elle sembla fouiller un moment dans l’infime étincelle qui prouvait que l’être qu’elle avait devant lui était vivant. Qu’il n’était pas fait que de chaire morte. Qu’il n’était pas guidé par la colère, la folie, ou quelque sentiment qui, après avoir torturé la moindre parcelle de son corps, s’étaient retirés comme se retire la marée.

Quoiqu’elle ait pu voir en lui, elle finit, après une légère hésitation, par s’écarter et le laisser entrevoir un berceau. Peut-être dit-elle quelque chose. Peut-être les mots se fraieraient-ils un chemin jusqu’à ses oreilles inutiles.

La petite chose qui dormait paisiblement semblait fragile. Comme une Apo qui n’aurait pas encore installé ses barrières. Fragile, mais sereine, bercé par la lueur ténue et protectrice de la chambre. Petite chose qui était un garçon. Ce serait donc Gaspard, elle le lui avait dit. Et il avait eu raison. Ventre pointu, petit couillu... Une triste ébauche de sourire naquit sur ses lèvres.

Tu avais commencé à l’accepter, doucement, cette présence en toi. Qui devait naître de ta chair. Lorsque tu m’as dit, ce soir là, que notre avenir s’écrirait à quatre. Quatre et plus, m’étais-je dit… mais j’ai gardé cette pensée au fond de moi, de peur de t’effrayer, de crainte que tu ne recules plus vite que ce timide pas que tu avais fait vers l'acceptation. J’aurais tant voulu, mon horizon, au profond de ton ventre faire plus belle la terre...

Perdu dans la contemplation stupide, mais fugitivement rassurante, de ce petit être de chair qui avait un peu de sa guerrière, Arthur sentit une main sur son épaule. Avait-elle dit quelque chose ?
Rexanne
[Chambre d’Apo]

Ravie de te voir qu’elle dit… Ravie… Ravissement… Non décidément, ce sentiment là n’a aucun écho chez la brunette pour l’heure… Ravie elle ne l’est surement pas de voir son amie là, allongée, faible, blafarde, tremblante et transpirante… Ravie, ah ça non ! Loin de là.
Et pourtant elle sourit, bravement, à cette amie dont elle emprisonne la main. Ne pas montrer tout ce qu’elle ressent, ne pas montrer que pour une fois, une des premières, la Peur fait connaissance avec ses tripes, les tétanisent.

Si elle l’a vu le rejeton qui l’a mise dans cette état ? Non. Tout juste aperçu. Par ce que lui il va bien et qu’il n’est pas l’urgence. Lui il doit pioncer après avoir bouffer comme un bienheureux, parasite d’une seconde femme après avoir terrassé la première sans vergogne.
Rexanne tu divagues… Le gosse n’y est pour rien. Reprends-toi. Souris, réconforte, et ne te laisse pas aller à l’injustice que la Terreur immisce en toi.


– Vu oui. Rapidement avant qu’il n’aille rejoindre sa nourrice. Il est superbe ma belle. T’as bien bossé, comme d’habitude.

Qu’elle aurait préféré qu’elle bosse moins bien pour le coup et qu’elle soit en meilleure ça elle le tait. Elle n’a de toute façon guère le temps de le dire. Tout juste de le penser.

Le visage de l’Apo se déforme, déjà plus que l’ombre de lui-même, le voilà qui revêt un masque de terreur qu’elle ne lui a jamais connu.
Une Apo qui réclame les armes, plus blafarde encore que les minutes précédentes. Plus fébrile aussi.

C’est limpide. La fièvre progresse. Elle fabule.

Un regard paniqué cherche celui de l’écuyère. Que faire ? Mais que faire mon Dieu ? Que penser ?

Rien d’autre que changer la chemise détrempée par l’accès de fièvre soudain. Et se tordre les mains d’angoisse. Attendre. Etre là. Prier peut-être même pour une fois. Exceptionnellement. Parce qu’une fois n’est pas coutume. Parce que tous les espoirs sont bons à prendre.
La médicastre revient. Abreuver leur amie malade. D’autres souhaitent voir Apo. De résignation elle sort, l’âme en peine et l’esprit au tourment.

Des visages, des figures.

Toujours des gens dans le couloir. Des gens qu’elle ne voit pas. Un véritable ballet d’entrées et de sorties dans la chambre de la nouvelle mère. Un ballet emprunt de pathos, qui prend des allures d’adieux lors d’une veillée mortuaire…

Et finalement un cri. Un râle plus qu’un cri qui vient déchirer le silence lourd à en être palpable qui s’est abattu dans le hall.
Un cri avant le chao.
Un cri avant qu’un corps émerge de la pièce tel un boulet de canon.
Une douleur tellement évidente sur les traits que l’évidence s’impose. Limpide. Impitoyable.
La cible du canon tiré à vue, elle s’en moque comme d’une guigne.
Eperdue elle se précipite dans la chambrée désertée de toute âme, perles de rosée roulant sur ses joues qui se réunissent soudainement en un torrent tumultueux alors que la confirmation de ses craintes lui apparait au travers de sa vision brouillée. Un corps frêle git, inanimé, perdu au milieu des draps. Dans de beaux draps…

Anéantie, le cœur faisant une embardée à chaque sanglot fébrile qui lui échappe, elle vient retrouver sa place au coté de son amie, pressant sa main comme plus tôt avec toute la force du désespoir.

Seul le désespoir.

Incompréhension, sentiment d’injustice, la rejoindront après.

Pour l’heure elle pleure une amie perdue trop tôt. Abasourdie.

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Lycia
Entre le feuillage, les nuages défilent et s'enfilent les uns à la suite des autres. Ils se mêlent, s'emmêlent, s'aiment sans fond, sans fin, dans un concert de hurlements jouissifs. Le vent s'engouffre entre les branches, les caresses et les fait trembler, tandis que l'air se charge d'électricité, prêt à se déchirer, à exploser en pluies odorantes.
Boulasse, qu'elle aimait le printemps. L'odeur de la terre humide, des fleurs nouvellement éclosent, du soleil timide qui petit à petit reprend sa place dans son nid douillet.
Les bras croisés sous sa nuque, elle mâte son plafond mouvant, hypnotisée. Longue route pour s'amuser, longue route de faîtes pour retrouver les siens et se battre. Elle n'était là que pour ça. S'amuser, tempérer les uns, éveiller les autres, bousculer le monde, les emmerder, les saluer, les embrasser, les baiser et les emmerder toujours et encore plus fort.
Les souvenirs en ébullition, elle se revoit encore en taverne à trinquer avec le sosie de celle qu'elle haïssait. La part d'elle qu'elle pouvait à la limite supporter. Le temps d'un verre, c'est déjà ça. Il n'y a pas si longtemps que ça, mais ça remontait si loin pourtant. Fou ce que le temps passe vite lorsqu'on décide d'oublier les tâches du passé. Un coup d'éponge,
histoire d'effacer l'ardoise du patron et d'aller vider quelques verres de plus, ailleurs.
Un soupire s'échappe de ses lèvres tandis qu'elle revoit l'ombre dans le regard du Crok, assombrissant chaque jour un peu plus son regard. Imaginer ce qu'il devait ressentir en la trouvant ainsi, mourante. L'envie que tout ça ne soit qu'un mauvais rêve, qu'un baiser et une caresse sur un visage suffisent à effacer les angoisses de la nuit passée. Pour ne pas que la folie envahisse tout et détruise l'homme. En l'occurrence, pour ne pas que celle ci envahisse son ami.

Elle se redresse, s'assied, dos callé contre le tronc, elle choppe une fleur blanche et attends que le temps passe, arrachant un à un les pétales.

Elle meurt
Un peu
Beaucoup...

Elle en rêvait depuis si longtemps, elle l'avait imaginé tant de fois vaincue à jamais. Elle avait souhaité l'occire elle même, plonger sa lame dans son ventre afin qu'une cicatrice de plus apparaisse, puis voir la lueur s'éteindre dans l'Azur que le vioc avait contemplé autrefois, lâchant un dernier râle.
Mais le destin en avait été autrement. Elle n'était pas le bourreau. Mais elle s'en contenterait.

Passionnément
A la folie
Pas du tout...

Elle ne savait pas si elle devait se réjouir de la situation. Après tout la faucheuse lui jouait un sale tour, elle devait passer la bure et prendre la faux elle même pour l'emmener dans l'au delà. Au lieu de ça elle se retrouvait assise sous un arbre, attendant de voir les nouvelles sur le visage du Crokie qui finirait bien par sortir de là.
Il n'y a rien de plus beau qu'un corps envahit par la rage, l'esprit embrumé de haine, l'envie de tout abattre sans pitié, les larmes roulant sur les joues tandis que sortent par la bouche déformée de colère les cris de guerre. Dans ces moments là, elle se jetait avec plaisir dans la masse, recevant les coups, en en distribuant à la volée, pour se défouler de tout ce qu'elle ne montre pas, qui dort en elle profondément en attendant d'exploser.
Mais elle savait qu'il allait souffrir. Que peut être il ne s'en remettrait pas. Alors même si l'imaginer haineux ne la gênait pas, le fait qu'il souffre la perturbait.
Elle le comprenait de trop.
Perdre quelqu'un que l'on aime, sentir son coeur être arraché à vif, sans être prévenu, d'un coup sec... Même si c'est quelqu'un comme elle...

Elle meurt
Un peu
Beaucoup...

Elle la haïssait. Depuis toujours. Depuis les premiers jours. C'était plus fort qu'elle. Elle la revoit, en taverne, jouant avec ses miettes de pain. Si jeune alors, buvant son thé, savourant son miel. Si candide, si pure encore. Alors qu'elle n'était que noirceur contenu par les mains du Bireli. Qu'elle même à peine plus âgée qu'elle à l'époque semblait paraître dix ans de plus. Et le perdre, lui, qui l'avait préféré à elle.
Elle aurait voulu la tuer sur le champ, mais il l'avait prévenu. Si elle faisait ça, elle le perdait à jamais. Au final, elle l'avait totalement perdu. A cause d'elle.
Et partout où ils étaient passés, elle était celle que tout le monde aimait. Lycia n'était que la chieuse présente pour casser les bourses à tous. Ils se pâmaient pour sa petite tronche de Minette, tandis que Lycia devait insulter toujours plus pour qu'on la remarque.
Elle la haïssait. C'était viscéral. Son nom lui faisait horreur, sa voix lui donnait la gerbe, ses miettes de pain, son miel, et sa subite passion pour la bière. Et ses soudains changements pour devenir l'autre part d'elle même. Avoir l'impression que celle qu'on détestait si fort soit devenue son parfait reflet la dégoutait encore plus. Elle se haïssait et la haïssait pour ça.
Partout où elle allait, seule ou pas, elle entendait parler de la jeunette. En bien, en mal, peu lui importait, elle en entendait parler, et ça c'était intolérable. Où qu'elle soit, où qu'elle fuit. L'autre était là.

Passionnément
A la folie
Pas du tout...

Et là, à quelques mètres de l'endroit où elle devait agoniser, elle les imaginait tous, pleurant à son chevet comme si elle était le Roy de France. Même le Roy à sa mort n'aurait certainement pas tant de monde à ses côtés.
Un grognement s'échappa de ses lèvres tandis qu'elle sentit tomber sur elle les premières gouttes de pluie. Il était grand temps d'en finir.
Elle contempla sa fleur pensive et entendit hurler au loin le cri déchirant de l'homme ravagé de douleur.
Ainsi elle avait trépassé.
Elle arracha le dernier pétale et se releva, avant d'écraser du talon la tige dépouillée.
Un soupire glissa entre ses lèvres. Un poids s'envolait avec l'âme de la brune. Un sourire glissa sur les lèvres de Lycia.
Elle ne la regretterait pas. Il en fallait bien une dans son lot d'admirateur.


Elle meurt...

Sifflotant, elle s'éloigna de son emplacement, elle avait un coup à boire. Elle retrouverait le Crokie plus tard, pour se battre avec lui. Il aurait besoin de se défouler, elle serait son mur pour qu'il se décharge. A prêt tout, elle lui devait bien ça, elle l'avait tant souhaité, sa mort....
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