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[RP]Sémur, ces murs, nos murs.

Anne_marie_d_aupic
[Le couvent au petit matin]

Un rayon de soleil s'enfila par une fenêtre de la grande salle à manger pour venir me chatouiller la joue. Pour le nombre de femmes présentent lors de ce petit déjeuner c'était fort calme. Comme chaque année les soeurs allaient annonçer les filles se devant de quitter le couvent. Pour certaines c'était le début d'une grande liberté et un désir insoutenable de claquer la porte à la méditation et à l'introversion. Pour d'autres, c'était une nostalgie immense, pensant que le seul endroit où elles avaient vraiment leurs places était ici. Je fais partie de ces autres. Le silence est de mise, non pas pour se recueillir et respecter la grandeur de Dieu mais parce que chacune attend d'entendre les prénoms cités. Evidemment nous avons toutes une petite idée de celles qui vont quitter les lieux, puisque les critères pour partir sont énumérés à chaque entrée de nouvelles "fille".
Je ne cesse de regarder la mère supérieur, guettant le moindre faits et gestes, et finalement le moment que tout le monde attendais le plus arriva: la mère supérieur s'essyua la bouche avec parsimonie et se leva avec difficulté dû à son grand âge. Elle n'eut point besoins de faire instaurer le silence puisqu'il y régnait déjà.

Raclement de gorge et....



Mes filles, comme vous le savez il est temps pour certaines d'entre vous de nous quitter. Puisse Dieu vous protéger à chaque moment de votre vie. Puisse que vous trouviez votre chemin dans la recherche de vertu...

Quelques chuchotis de certaines bien loingtaine d'accéder à la vertu mais bien plus attirer par mille péchés vinrent interrompre la mère supérieure. Ses yeux tirant vers le bleu foncé, étaient signe de colère et de récurage de latrines pour les coupables. Telle une incarnation du Très haut, elle voyait tout, entendait tout, ce qui procurait chez moi une certaine inquiétude envers notre mère. Celle-ci repris:

Pour certaines, l'accompagnement des soeurs et moi même dans votre apprentissage de la vie se termine. Cela signifie que vous êtes dans la capacité d'assumer vos choix et vos responsabilités.

Pas un mot de plus concernant les sentiments, les années passés, les joies et les peines...Non, pas un mot sur le coeur, simplement sur la raison et la foi. Quelque part au fond de moi je suis persuadée que les soeurs et la mère supérieure s'attachent à nous mais elles se gardent de le montrer pour ne point rendre les choses plus dure que ce qu'elles le sont déjà. C'est ainsi que les prénoms défilèrent dans la bouche de la mère supérieure pendant que je priait le Très-Haut de me garder ici:


Clea, Isabelle, Elisabeth, Antoinette, Armonya, Anne-Marie....

Mon prénom est sortie ou ce n'est qu'une terrible illusion? J'allais donner un léger coup de coude à ma voisine quand je vis les regard envieuse de certaines qui me souriait et me faisait signe "oui" de la tête! Pour elles ce "oui" était une victoire, la liberté, l'air pur.... pour moi c'était le début d'un long cauchemard...

La petit déjeuner se termina dans l'euphorie, les échanges des filles, les déceptions les larmes de joies, de tristesse et pour moi un profond mutisme qui semblait coller à la peau de génération en génération. Le visage dépourvu de toute expression, ne laissant paraître aucun sentiment, je me levais, replaçait machinalement une mèche inexistante dans mon chignons très serré et me déplaça vers ma chambre pour plier mes bagages. La mort dans l'âme et la nostalgie me prenant de pleins fouet je me remémora ces 10 années de couvent.

Entrée à 5 printemps j'en ressort aujourd'hui à 15. J'ai tout de suite aimé cet endroit verdoyant, immense et spacieux. Les soeurs nous donnaient chaque matin des leçons de vie, chaque après midi des recueillements sur le Très-haut. Bien qu'elles ne pouvaient pas nous baptiser, les soeurs nous racontaient l'histoire d'Aristote et de Christos, elles nous apprenaient les prières, les credos et des chants. Nous recevions une éducations, de la nourriture et des soins sanitaire mais point d'amour. Cela ne me manqua pas puisqu'avant mes 5 ans, ma mère ne nous offrait que peu de marques d'affections. Ici j'étais presque dans un certain paradis mais dehors que trouverais-je?


L'avancée vers la sortie était lente mais réelle, une drôle d'impression me chatouilla le creux de l'estomac. Je m'arrêtais et rejoignis le groupe qui allait dire aurevoir pour la dernière fois aux soeurs et à la mère supérieure. Un aurevoir et c'est tout pas de beaux discours ni autres palabres qui donneraient les larmes aux yeux. Chacune notre tour nous prononçâmes un "Aurevoir" enjoué, triste ou neutre. Lorsque mon regard se posa sur cette lourde porte d'entrée du couvent je me reposai la question de ce qui m'attendrait dehors.

Nous sortons, et je découvre une rue que je ne connaissais pas. Le couvent était tellement immense que nous n'avions pas besoin de sortir hors du couvent pour vivre. Comme une amnésique je marchais vers nulle part me demandant cruellement ce que j'allais devenir. Je me sentais seule, terriblement seule et puis ma mémoire revint: j'avais une famille. Enfin j'avais une mère, un frère et une nourrice. Trois personnes qui ne m'ont jamais donné de nouvelles d'ailleurs! De rage et de tristesse une larme coula malgré moi sur une joue rougit par les émotions. Je ne la sentais pas, j'étais obstinée par ce manque d'attention de mes proches.
"Je dois frenchement pas leur manquer"
"Quelle indigne famille"
"J'enrage, personne ne m'aime donc?"

Ce que je ne savais pas, c'est que les soeurs nous privèrent soigneusement des missives nous étant destinées. Ceci dans le but de ne point entraver notre concentration sur les apprentissages de la vie, les règles, les moeurs et la foi. Me voilà fourré dans un malentendu jusqu'au cou. Je marche donc argneusement vers ma maison où surement personne ne m'attendrait.


[Devant la maison vers midi]


Voilà, après quelques renseignements auprès de braves gens sur le lieu de résidence de Anne de Culan, je me retrouve face à un grand portail que je reconnais. Le pincement au coeur me procure la chaire de poule, étonnant contraste avec les quelques gouttes de sueurs qui perlent à mon front de par l'effort intense de la marche. Finalement la maison de Culan était bien loin du couvent, j'en ai vu des rues et des ruelles et des grandes avenues avec des charettes pleines manquant de vous écraser les pieds au passage. J'avais peur devant ce portail, peur de pas plaire et peur de trouver ou retrouver ou ne pas trouver ce qu'il y avait derrière. Je sortit un mouchoir de mon corsage couleur gris fonçé pour m'essuyer le visage. Je le pliais correctement et le remis dans une poche de mon jupon lui étirant les plis au passage. Mes mains passèrent sur les côtés de ma tête pour étirer les cheveux couleurs des blés déjà tirés au maximum et vérifia que le chignon était parfait. Une fois que ma présentation me parraissait correcte j'hélà plus faiblement que je ne le pensais à qui m'entendrait:


Bonjour, Ily a quelqu'un?
Anne_blanche
Il y avait eu l'impatience. Chalon, les longues journées à attendre les renforts venus de toute la Bourgogne, à tuer, à défaut d'ennemis qui n'en étaient pas, un temps bien trop long : échanges de courriers avec le chambellan du conseil autoproclamé, qui prétendait lui donner des leçons d'Etiquette - à elle, fille de Maryan d'Ambroise ! - en sus de celles concernant son Office.

Il y avait eu l'espoir. Une marche nocturne vers Dijon, puis au-delà des frontières, puis de nouveau sur Dijon. Et de nouveau l'attente, et l'arrivée d'un prince des Lys.


Celui-là est franc comme un âne qui recule...

C'était ce qu'elle disait à qui lui posait la question. Elle avait suivi de trop près les "exploits" du mercenaire Namay, à l'époque où elle dirigeait les Services Secrets, pour lui accorder une demi-once de confiance. Elle s'était tue, parce qu'elle se doutait que Sa Grasce François et Son Altesse Armoria étaient parfaitement au courant, et qu'elle jugeait inutile d'effrayer la population en décrédibilisant le prince.

Il y avait eu l'incrédulité, la déception, la peine. Sylvain partait. Au lieu de rester à ses côtés et de porter haut l'épée de feu son père, il filait sur les routes à la remorque de sa fiancée.
Il avait fait pire.
Il avait exprimé tout son amour filial.
Anne n'avait su répondre. Elle se sentait, depuis, immensément fragile. Elle l'avait toujours été. On ne grandit pas à la va-comme-je-te-pousse, entre une mère tout juste préoccupée d'apparences, un cocher ivrogne incapable de dire "non", et une servante endormie, sans que ça laisse des traces, durables, ancrées. Walan, Marie-Alice étaient restés, havre de solidité dans l'océan des erreurs.
Anne avait passé sa vie à s'enrober d'une carapace plus dure que l'onyx, rejetant toute main tendue, préférant d'autrui la haine à l'amour, la crainte à l'estime, par peur d'être de nouveau trahie, comme avec Terwagne, par terreur de souffrir encore, comme avec Gabriel, HdB, Draguione, Antoine...
Sylvain avait fait voler en éclats la carapace.
Anne était restée debout au milieu du camp, à le regarder partir, incapable de rappeler ce fils devenu homme alors qu'elle-même n'était encore qu'une toute petite fille.

Il y avait eu l'horreur. L'assaut nocturne contre la poignée de défenseurs réunis par les félons à coups de promesses et de contre-vérités. Deux de ces malheureux étaient venus s'embrocher sur l'épée qu'Anne tenait devant elle en espérant que quelqu'un aurait l'idée de la lui arracher des mains et de la lui enfoncer dans le corps.
Elle s'en était sortie indemne, comme d'habitude. Pas une égratignure. Mais les yeux encore plus grands, encore plus creux.

Il y avait eu l'amertume. Comme elle le prévoyait, le prince s'était installé dans le château comme chez lui, au mépris du droit des Bourguignons, allant jusqu'à tenir un plaid... Son mépris et son arrogance restaient en travers de la gorge de bien des gens, dont Anne. Encore comprenait-elle ce qui se passait. Mais les gens qu'elle croisait en taverne, les Bourguignons qui tentaient d'approvisionner les marchés et de garder leur dignité, ne savaient plus à quel saint se vouer. La propagande des amis d'Eusaias se répandait jusqu'à la colline de Fourvière, le réseau de la Mirandole étant un modèle du genre.

Anne ne luttait plus, ni contre cela ni contre le reste. Elle avait besoin de faire le point. Le nouveau maire lui avait retiré les clefs du bureau de tribun pour les donner à son épouse. Dame Anaée saurait en faire bon usage, elle apprenait vite et posait les bonnes questions.
Anne avait besoin de temps. Le Très-haut venait de lui en accorder à suffisance. Un séjour au couvent. Voilà ce qu'il lui fallait. Quelques jours ou semaines dans un environnement sans fioritures, aux heures réglées, au milieu de femmes qui toutes lui prêteraient, au besoin, une oreille attentive.
Les courriers reçus de son fils et de sa fiancée, elle les laissa sans réponse. Comment répondre à ses enfants quand on ne sait plus qui l'on est ? Ils ne firent que la conforter dans son désir de retraite.

La décision était prise. Elle irait seule, à pied, et s'arrangerait pour arriver entre la fin de tierce et le début de sexte, pour ne pas déranger la tourière dans ses dévotions. Apaisée, elle passa la matinée à guetter la montée du soleil dans le ciel, et à rédiger une courte note à l'adresse de Bacchus.
Quand l'heure fut venue, elle sortit dans la grande cour pavée, traversa, tira la porte piétonne ménagée dans la lourde porte cochère.


Bonjour, il y a quelqu'un?

Anne faillit tomber à deux genoux. Son saisissement ne devait rien à la peur. Des gens passaient tout le jour par ce portail, commis des fournisseurs, filles de cuisine courant chercher au marché le pied de céleri ou la poignée d'orge manquants, lavandières de retour de l'Armançon, courriers en provenant de La Mure, d'Aupic, de Culan, envoyés du Louvre, huissiers de l'Académie Royale, garnements expédiés là par le Maire.
Mais la toute jeune fille qui se tenait là ressemblait trait pour trait à Maryan d'Ambroise.
Sauf que jamais Maryan n'aurait ainsi tiré ses cheveux, jamais elle ne se serait habillée de gris, préférant, même en son deuil, les soieries brochées et les lainages pastel.
Anne eut alors un geste inconsidéré. Sans réfléchir, elle prit la jeune fille dans ses bras, la serra contre elle, en une étreinte presque farouche.


Anne-Marie !
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Je voyais ce grand portail et mesurait l'immensité qu'il y avait derrière. L'accueil serait neutre voire froid et pleins de reproches. C'est comme cela que je voyais ma mère et c'est comme cela que je serai accueillis. Pas l'ombre d'un doute, comment pourrait-il en être autrement. J'ai failli à mes responsabilités, ce qui me coûterait une voire plusieurs remontrance, je n'avais donné aucune nouvelles et vraisemblablement eux non plus. Au fond de moi j'espèrai que ce serait mon frère qui viendrait parce que, dans mes souvenirs, ils disaient les choses avec le coeur et il n'avait pas cette carapace que mère s'était construite. Visiblement le portail est ouvert, j'empoigne la poignée et j'entre dans la cour. Il y avait de la vie et du passage.

Une dame pas très grande aux fins traits s'avança dans la cour. Elle ne semblait pas m'avoir vu alors que moi je la reconnu tout de suite. Anne n'avait pas changé et portait le blanc qui lui attendrissait le visage souvent fermé. Il la rendait plus douce et moins sévère. Mère n'avait pas changé, pas vieilli, à ma grande surprise. Une sensation étrange bien que familière s'empara de moi: j'avais à nouveau 5 ans. Je pensais être insensible à cette personne que je ne connaissais pas et que les moeurs voulaient que l'on appelle mère, et en fin de compte d'inombrables sentiments se bousculèrent dans mon coeur. Je sentais encore les larmes monter et de colère je m'empêcha d'être aussi faible, serrant les poing, ravalant ma nostalgie je me fermais. Il ne fallait pas que j'oubli que je lui en voulais terriblement, de ne pas m'avoir affectionner comme on cajole les enfants, de ne pas m'avoir montré qu'elle était fière de moi bien que je fasse tout pour la convaincre et enfin qu'elle m'ait autant effrayé. Le visage de la baronne changea lorsqu'elle m'aperçut.....enfin!

Anne fut rapidement à ma hauteur me prenant dans ses bras avec une fougue que je n'aurai jamais pu imaginer. Je refermais mes bras autour d'elle, sans trop comprendre ce qui se passait et complètement abasourdie. Un souffle plein d'émotions dont je ne pu les décrire s'échapa de la bouche de ma mère. Je reconnus mon prénom. Dit de cette manière, ils me rendirent fragile et faible, trop faible. Mais ne comprenant pas l'attitude de ma mère, je restais trop interloquée pour laisser mes sentiments éclater en ruissellement de larmes. Trop de questions bourdonnaient dans ma tête:
"que lui est-il arrivé?"
"Quel grand changement s'est-il produit ici?"
" Ai je raté un évènement ou un drame important?"

Je ne pu rien laisser passer de mon étreinte, ni tendresse, ni affection, ni tristesse tant j'étais perdu. Je m'attachais tout de même à ne pas paraître raide et froide, ne voulant pas blesser ma mère. A cet instant précis je fis le parallèle 10 années en arrière où l'enfant que j'étais ne voulait pas non plus décevoir Anne de Culan. Je fus affligé de voir à quel point son emprise sur moi était restée de taille malgré toutes ces années. Intérieurement je fulminais et surement aidée des hormones qui changent à mon âge je me promis une révolte à moi même pour changer les règles.

Je me détache doucement de ma mère pour la regarder dans les yeux. Elle avait l'air apaisé, chose rare pour la baronne de Culan. Je ne savais plus quoi dire, quoi faire, je cherchais dans ma tête une phrase digne de ce nom mais mon cerveau avait décidé de ne point approvisionner ma bouche. Alors tan pis je l'ouvris quand même et je verrai bien ce qu'il en sortirait.


Bonjour mère. Comment vous portez vous?

Je marquais un temps pour analyser ma réplique qui me semblait simple mais correcte pour un début. Je parlais de façon neutre et calme. J'avais finalement beaucoup de choses à lui demander mais j'étais finalement très angoissée, un peu comme quand les soeurs nous interrogées sur les différentes prières. Mes main;, ces traitresses; lissaient inlassablement les plis de mon jupon dévoilant mon réel état de stress. Mes yeux n'atteignaient jamais l'état de sasiété et s'abreuver sans cesse des détails de mère.
Anne_blanche
La douceur de l'étreinte d'une mère et de son enfant, Anne ne se rappelait l'avoir connue qu'une fois. Elle retrouvait, intacts, l'étonnement et le besoin d'abandon qu'elle avait ressentis alors, quand sa mère, après des mois de séparation, s'était trouvée prise d'un soudain prurit d'affection à son égard. Comme elle lui en avait voulu, alors !
Et comme elle s'en voulait, maintenant, d'avoir à son tour tant négligé ses enfants. Oh ! elle s'était toujours trouvé d'excellentes raisons : sa trop grande jeunesse - même pas 14 ans - à leur naissance, le service de la Couronne, l'Académie, le Duché de Bourgogne... Elle avait pris le pli de comparer ces raisons à celles de Maryan - désir de plaire, refus de vieillir, goût pour les soirées et le monde, les soieries et les parures - et de les en trouver bonnes.
Tout faux, une fois de plus.
Tout faux d'avoir porté son père au pinacle, d'en avoir fait un dieu alors qu'il n'était qu'homme.
Tout faux de vivre avec les morts, d'exalter les souvenirs de Gabriel, de HdB, de ne voir du présent que les douleurs et du passé que les douceurs.
Tout faux...

La petite baronne n'en était pourtant pas encore à l'âge où l'on se retourne sur sa vie pour en tirer bilan. Mais elle avait toujours tout fait trop tôt.

Sa fille se détacha d'elle, alors qu'elle aurait voulu prolonger l'instant. Anne aurait pu lui en vouloir. Mais elle accepta - elle n'eut d'autre choix que d'accepter ! - que sa fille et elle étaient deux étrangères. Il faudrait du temps pour s'apprivoiser l'une l'autre.


Bonjour mère. Comment vous portez vous?

Anne recula d'un pas, pour mieux contempler sa fille, qui le lui rendait bien. Son regard s'arrêta sur les mains incapables de rester en place, sur les grands yeux emplis de curiosité, sur l'impeccable chignon. Elle eut un léger sourire, appréciateur. Anne-Marie semblait à même de garder son sang-froid en toute circonstance, et Anne aimait ce trait de caractère.

En cet instant précis où les deux femmes se regardaient, étrangères de même sang, de même chair, Anne décréta la confiance. Ce serait une expérience nouvelle.


Je me rendais, ma fille, en un couvent. Mais puisqu'enfin vous consentez à sortir du vôtre, allons ensemble sur la terrasse. Nous y causerons plus à l'aise. Vous fera-t-on porter céans votre bagage ? Ou dois-je le faire prendre au couvent ?

Montrant le chemin, elle traversa la cour pavée en sens inverse, monta les trois marches du perron, franchit l'immense vestibule pour sortir de l'autre côté, sur la première des trois terrasses qui s'étageaient jusqu'à l'Armançon.

Venez çà, Anne-Marie. Il nous faut parler. De votre frère, bien sûr, qui me donne bien du tourment.


Elle s'étonnait elle-même, d'être ainsi capable d'ouvrir son cœur sans en rien cacher.

Et de vous, au premier chef. De votre avenir.

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Anne_marie_d_aupic
Citation:
Je me rendais, ma fille, en un couvent. Mais puisqu'enfin vous consentez à sortir du vôtre, allons ensemble sur la terrasse. Nous y causerons plus à l'aise. Vous fera-t-on porter céans votre bagage ? Ou dois-je le faire prendre au couvent ?


J'en reste quoite devant l'envie d'Anne de retourner au couvent. Je ne sais ce qui me choque le plus: est ce le fait que ma mère puisse trouver une plus grande envie que de participer pleinement à la vie politique de sa ville et surtout de son duché? Ou le fait que l'on puisse avoir un point commun, celui de l'amour pour le couvent? Je rétorque presque malgré moi.

Le couvent, n'est-il pas le plus doux endroit qui puisse exister? Quel dommage que nous soyons obligés d'y être arrachés.

La question de mère me laissa perplexe un moment. J'avais presque oublié depuis ma sortie du couvent que je descendais rang noble. Ainsi les moeurs veulent qu'un coursier porte mes bagages et non pas mes mains moites. C'est donc un peu confuse que je fis un pas sur le côté laissant apparaitre ma besace posée derrière mon jupon à mon arrivée. Ne préférant rien répondre et laisser Anne juger de mon attitude douteuse, j'espérais me protéger ainsi d'une réplique digne de la baronne de Culan qui vous remet à votre place. Ou dans le pire des cas vous laisse un goût de honte qui vous colle à la peau jusqu'à vous ronger la moelle.

Je la suivais donc dans sa demeure qui devais être aussi la mienne mais qui pour le moment me laissait une sensation d'invité dans une demeure étrangère. Le lieu était impeccable, immaculé d'un parfum qui vous retourne l'estomac. Rien n'avait changé, les sentiments pouvaient ainsi se bousculer et livrer batailles: étrangère ou familiarisée? Je n'en savais trop rien, et je n'avais pas envie de me pencher sur la question. Peut être que je n'avais pas envie de me sentir chez moi encore trop révoltée contre ma mère, et peut être qu'au fond de moi j'étais l'enfant la plus heureuse de retrouver ses marques d'antan. Anne prit place m'invitant à en faire de même. Elle joigna son geste à la parole voulant me parler de Sylvain...... Il lui causait du soucis et à moi me coupait le souffle. Je crevais d'envie de tout savoir sur ce qu'il était devenu et où il était. J'aurais tout donner pour oublier la jeune fille noble que j'étais et me jeter dans ses bras comme j'aimais le faire petite. Loin dans ma reflexion je distinguais tout de même l'envie de savoir ce qu'il en était pour moi et le besoin de parler d'avenir.



L'avenir, serait le sujet le plus douteux au jour d'aujourd'hui. Je me sent tellement perdu dans ce qui se passe actuellement que je ne peux me projeter dans mes ambitions. Lesquelles? Aucune idée, si je lui dis qu'il y a encore quelques heures je ne pensais qu'à retourner au couvent définitivement et cela signifiait faire voeux de chasteté. Je crois que j'éviterai soigneusement de lui parler de ce projet, préférant ne pas lui provoquer une attaque dès nos retrouvailles. Je reviens à la terre et continue à détailler ma mère inchangée physiquement. Son comportement m'étonne tout de même, cette envie de me livrer ce qu'elle a sur le coeur me laisse penser qu'il y a eu du changement. Une certaine curiosité s'empare alors de moi de tout savoir ce que j'ai raté pendant tout ce temps. Ma langue qui voudrait assomer Anne de question est toutefois maîtrisé par ma raison, et l'envie d'épater ma mère me fait amorcer la discussion de manière calme et posée.

Eh bien mère, nous voici bien installées. Je suis toute prête à vous entendre au sujet de mon frère. Pourquoi vous cause-t-il tant de tourments?
Anne_blanche
Anne ne perdait rien des gestes de sa fille. Elle s'était souvent enquise de ses progrès, par devoir bien plus que par réelle affection, auprès de la mère supérieure. La digne femme répondait franchement aux questions posées, mais ne faisait rien ni pour les susciter, ni pour dévoiler plus que le strict nécessaire. Anne savait dont que sa fille avait fait montre d'une appétence réelle pour la vie conventuelle. Elle avait craint d'avoir à revivre les affres qui avaient précédé les vœux définitifs de sa jumelle Blanche. Mais ce qui l'unissait à Blanche, cette douceur qu'il y a à se trouver une seule âme en deux corps, jamais elle ne le connaîtrait de nouveau. L'idée que sa fille puisse suivre le chemin de sa tante ne l'effrayait pas. Elle l'acceptait, comme la volonté du Très-haut, alors que lorsqu'il s'était agi de Blanche toutes les fibres de son être s'étaient révoltées.

Or Blanche avait bel et bien pris le voile, et Anne-Marie se tenait là, devant elle.
Anne s'approcha de la balustrade, s'y appuya, dos tourné à la pente vertigineuse sur l'Armançon, et attendit que sa fille s'approche.


Eh bien mère, nous voici bien installées. Je suis toute prête à vous entendre au sujet de mon frère. Pourquoi vous cause-t-il tant de tourments?

La jeune fille était bien calme. Trop calme, conclut Anne. Lui revint soudain en mémoire le voyage de retour de Bretagne, quand elle était allée chercher la petite dans son premier couvent, à Rieux, où elle l'avait placée pour qu'elle fût instruite dès sa prime enfance dans la langue bretonne - langue de feue sa mère Maryan, mais surtout langue de l'ennemi, qu'il vaut toujours mieux bien connaître. Elle se souvint des efforts désespérés de la fillette pour se faire aimer, et de sa propre indifférence, qui la poussait à s'agacer du moindre sourire, du moindre silence, du plus anodin propos de sa fille.
Rien n'avait changé, au fond : Anne-Marie était toujours ce chiot égaré qui tente avidement de comprendre au plus vite les codes de sa nouvelle meute pour se faire accepter par le chef. Sa survie en dépendait. A nouveau, Anne posait sur l'application de sa fille un regard froidement lucide, portée par l'indifférent intérêt de l'entomologiste. La seule différence, c'est que toute cette dissimulation ne l'agaçait plus. Elle n'y voyait plus la fausseté de l'enfant qui cherche à plaire par tout moyen, mais la maîtrise de soi d'une toute jeune fille qui s'attache à se glisser dans le moule de sa condition. L'on ferait quelque chose de cette petite...

Votre frère, pour ce que j'en sais, est quelque part en Provence, ma fille. Il a fait la connaissance d'une jeune personne qui a là-bas ses attaches familiales. Il était promis à un brillant avenir, tant par son rang que par ses capacités, et voici qu'il se laisse porter par d'aussi s...

Elle s'interrompit net, et tourna le dos à sa fille, pour regarder l'horizon, au-delà duquel s'étendait le Berry.

Voyez-vous, Anne-Marie, toute ma vie j'ai cru que nous autres, nobles, devons tout à notre sang, à notre rang. Que "noblesse oblige", en quelque sorte. Toujours avant d'agir j'ai interrogé mon devoir, toujours me suis-je conformée à sa réponse... Et voici que votre frère... Bref !


Elle se pencha un peu pour cueillir une feuille du pêcher qui poussait ses derniers rameaux jusqu'au ras de la balustrade, et la froissa entre ses doigts, la porta à ses narines, huma un instant les fragrances qui lui rappelaient Vienne et le courtil où elle faisait pousser elle-même toutes sortes de plantes, en son enfance sauvageonne.

J'ai failli dire qu'il se laisse porter par d'aussi sottes fadaises que l'amour... Je suis, ma fille, le plus mauvais juge que l'on puisse trouver en cette matière, il m'a fallu près de trente ans pour m'aviser qu'elle pouvait présenter un quelconque intérêt, je m'abstiendrai donc de juger. Toujours est-il que votre frère est amoureux autant qu'on peut l'être, et que désormais c'est son amour qui gouverne sa vie, au mépris des devoirs dont le chargent son nom et la noblesse de France. Il a choisi sa voie, puisse le Très-haut lui permettre de la suivre sans faillir.


Il y aurait eu bien des choses encore à dire, mais Anne n'avait pas fini de faire la paix avec elle-même sur le brûlant sujet du devoir. Elle oscillait encore bien trop entre colère et compréhension pour pouvoir déjà exposer à Anne-Marie ce qu'elle pensait de l'attitude de Sylvain.

Et vous, ma fille ? Quelles sont vos inclinations ? De quelle façon imaginez-vous votre contribution à notre société ?


A la façon dont Anne-Marie avait déposé presque en catimini une simple besace, avant de suivre sa mère sur la terrasse, à celle dont elle gardait ses distances, à celle dont elle s'habillait et coiffait, Anne pressentait une réponse soigneusement modeste. Dévierait-elle une seconde fois sur le sujet de son frère, ou accepterait-elle la balle lancée dans son camp ? Paupières un brin étrécies, Anne s'était de nouveau adossée à la balustrade, et s'apprêtait à peser chaque mot de la réponse.

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J'écoutais avec attention les propos que porta ma mère sur mon frère. Sa situation m'intéressait énormément bien que je fusse en colère contre lui et Anne pour l'absence de missives de leur part. Aussi c'est un poignard qui s'enfonça lentement mais surement dans mon coeur quand j'entendit mère parler du départ de Sylvain. Je me refusais à démontrer quoi que ce soit à cette inconnue qui se tenait devant moi et dont je n'arrivais à interprêter son regard, malgré tout mon teint blême trahissait la souffrance qui s'imposait à moi. Un artifice de question se bousculaient à mon esprit alors que mes oreilles bourdonnaient. Ciel qu'il faisait chaud en cette après-midi printannière. Je passais nerveusement ma main dans mes cheveux et plaçait une mèche imaginaire fermement dans mon chignon serré. Je n'osais la regarder... la porteuse de mauvaise nouvelle. Vient ensuite la précision que celui-ci se détournait de ses responsabilité pour se vouer entièrement à l'amour. Si Anne avait voulu m'assomer, elle n'avait nullement besoin d'aller chercher un outil, ses paroles venaient de me porter un coup à la tête et au coeur dont j'avais du mal à me relever.

Un tourbillon de sentiments livraient intense bataille au creux de mon ventre. Cela est étrange, j'étais persuadé que les sentiments sortaient du coeur et non des tripes.... me serais-je fourvoyé? Il faut dire que les leçons d'anatomie ne m'inspiraient guère, et si Soeur Helène était là, elle saurait me dire "tu vois si tu avais un peu plus écouté pendant mes lesçons jeune fille!" Et elle n'aurait pas tord! D'abord je lui en voulait terriblement, parce que finalement c'était le seul qui m'avait apporté une once d'amour étant petite. Je crois que j'espérais quelque part qu'il soit là à attendre ma sortie et qu'il me dirait ô combien il m'aime et ô combien je lui ai manqué. Chose dont j'étais certaine que jamais mère ne prononcerai ou même ne penserait. Avais-je tord? Seul le Très-Haut le sait. Ainsi Sylvain n'était pas la à m'attendre pour présenter de plates excuses de ne pas avoir pris de mes nouvelles, bien trop pris par ses responsabilités...Est ce à quoi j'espérais? Oui je crois. Finalement mon frère s'est fait volé son coeur par une inconnue qui le détourne du droit chemin! La jalousie pousse les autres sentiments et se fait une grande place! Oh la vilaine! Quelle est laide! Et pourtant elle me fend le coeur....

Je respire tentant de garder la tête froide alors que je me sens fiévreuse. Comme les choses ont changé, sauf ma colère! Mon esprit garde précieusement chaque parole d'Anne comme des révélations plus ou moins joyeuse. Mon esprit décroche de cette jalousie intense lorsque je me repasse en boucle la phrase de mère:


Code:
Voyez-vous, Anne-Marie, toute ma vie j'ai cru que nous autres, nobles, devons tout à notre sang, à notre rang. Que "noblesse oblige", en quelque sorte. Toujours avant d'agir j'ai interrogé mon devoir, toujours me suis-je conformée à sa réponse... Et voici que votre frère... Bref !


Au fond de moi je savais que l'on ne devait pas vivre sa vie que pour ses responsabilités. Min frère l'avait compris oubliant même ses responsabilités, ce que je n'approuvait pas du tout. Mais de là à ce que mère le comprenne... l'avait-elle compris? Je tique sur le "j'ai cru". C'était donc du passé? Ne le croyait-elle pas encore? Pourtant ce qui s'en suivait était révélateur du contraire, elle ne comprend toujours pas le sens profond de l'amour. Et s'ajoute à ma colère fraternelle, la colère maternelle. Parce qu'après 10 ans de séparation, 10 années où Anne aurait pu prendre du recul de ses erreurs, elle ne me regardait pas comme je l'espérais tant. L'étreinte du premier abord n'était que mirage, illusion et laissé place à un désarroi immense. J'ai esperé qu'elle avait changé et qu'elle se montrerait plus aimante, j'ai espéré que cette étreinte soit réelle et pleine d'amour et devant se regard incompréhensible dépourvu de la moindre affection, mes espoirs retombent. Elle, la dame de Culan ne comprend pas et ne semble toujours pas approuver l'amour que son fils a pour cette demoiselle.

La raison pour laquelle moi je ne l'approuve pas c'est par pure jalousie. Je me rend compte que la jalousie est un péché, de peur je me signe deux fois rapidement et baisse les yeux. Dans ma tête et pour le Très-Haut j'adresse un:
"je vous demande pardon "
Malgré tout ma jalousie ne désemplifie pas.... Je porte à présent mon regard sur Anne, un regard dur et accusateur. Si je me refuse de montrer la moindre émotion, je me refuse de mentir. Je sais qu'au fond de moi le Très-haut insite les humains à aimer bien plus que toute autre chose. Parce qu'en aimant on accomplit de grandes choses. Mais cet amour me faisait terriblement souffrir, c'est ce manque d'amour de mère qui me détruit. C'est parce que je n'ai que l'amour du Très-Haut que j'ai peur de vivre dans cette vie. Et au fond de moi, à cet instant, je perçois une pointe de compréhension envers Sylvain.... Mère me pose alors la question ultime: mon avenir? Je me lève alors lui tournant le dos, assurant une récompense à ce que j'interprète un manque de politesse et me lance dans une réponse que je voulais froide. Seulement ma voix tremblottante montre ma faiblesse...


Tout d'abord je n'approuve paaas... le choix de Sylvain délaissant ses responsabilités....

Je me rendais compte à quel point je tâchais de maîtriser mes émotions et mes paroles. Tout cela pour quoi? Pour plaire à la personne à qui j'en voulais tellement. N'était-ce pas une récompense que de lui offrir cette discussion comme elle voulait l'entendre? J'enrage tout à coup de me mettre à l'imiter pour lui plaire, je fait donc volte face et plonge mon regard sincère dans celui de Anne. Je sais me tenir, certes, mais là il s'agit de ma mère Aussi je fais le choix de livrer ce que j'ai sur le coeur , parce que je repense aussi à tous ce que les soeurs m'ont inculqué au couvent et la sincérité envers sa famille en fait partie! Soit:

Vous dites avoir cru mère qu'il fallait faire passer les responsabilités de son rang avant tout le reste.Pourtant j'ai le sentiments que c'est encore cela que vous attendez de Sylvain...Et moi, mère, voyez-vous j'ai cru que vous auriez appris de vos erreurs et que vous seriez aller vous confesser au Très-Haut!

Je reprenais ma respiration, c'était difficile d'affronter quelqu'un dont on ne connaissait pas les réactions. Je devenait de plus en plus blême, tant cela me coutait. Bientôt je serai transparante et il sera aisé de reprendre mes leçons d'anatomie.

Mon avenir, mais quel avenir mère? Ai-je un avenir ici?

Mon dieu, était ce un péché ce comportement? Il faudrait aller me confesser suite à la discussion.

Je ne voulais pas sortir du couvent, parce qu'au moins là-bas on avait l'amour du Très-Haut et les bonnes soeurs nous portaient un quelquonque intérêt. Je ne voulais point quitter le couvent, parce que je ne savais pas ce que je trouverais ici. J'espérais de vous, je crois à tord, un peu plus d'amour. Alors à quoi bon? M'investir dans la société, auprès de vous qui me regardait comme l'on regarde n'importe qui excepté sa descendance, ce serait trop de souffrance mère. Pour m'investir il faudrait aussi que je connaisse un peu cette société, or à peine sortit du couvent j'ai tout à découvrir. Il me faut un peu de temps et surtout il faut que je réfléchisse à tout ceci car cela ne dépendra pas que de moi.

Sur les dernières paroles je la regardais d'une façon dont elle saurait que je compte aussi sur elle. J'appréhendais sa réaction, je n'avais jamais osé parler ainsi. Mais la colère trop forte et la déception si immense avaient pris le dessus sur ma timidité. Les larmes me montèrent aux yeux, encore de la faiblesse que je lui offrait sur un plateau d'argent. Tant pis, mère en profiterait pour m'enfoncer un peu plus, et ce sera bien la dernière fois qu'elle aura à le faire. J'en fais le serment. Mon chagrin me donna une voix enfantine dont je n'en entendait pas la sonorité fluette. Deux larmes roulèrent sur mes joues translucides, pas plus:

Et puis ni vous ni Sylvain n'avaient daigné m'écrire pour prendre de mes nouvelles...

C'était dit. Tout était dit. J'ai vidé mon sac débordée par mes émotions trop intense. Car après 10 ans, c'était presque un choc que de recevoir toutes les informations que je venaient d'avoir. Le comportement de mère n'empirait que les choses. D'autres questions se bousculèrent encore et encore pour Sylvain je voulais tout savoir mais je me retenait. Je scrutais mère, bien que ma vue se troublait légèrement. Un mélange de larme et de malaise naissant, surement à l'origine de cela.
Anne_blanche
Dire qu'Anne s'attendait à ce qu'elle vit en se retournant serait pur mensonge. Elle était si habituée à traiter de toutes sortes de sujets avec des gens qu'elle agaçait, qui l'agressaient même parfois, qu'elle n'avait pas pris de gants avec Anne-Marie. Elle avait parlé calmement et sans acrimonie, comme à l'accoutumée, mais ses paroles, pour froides qu'elles étaient, n'en portaient pas moins une charge contre ce qui fait l'ordinaire de la plupart des couventines : l'Amour. Amour du Très-haut, vécu ou recherché, amour rêvé du futur prince charmant, amour maternel déjà ressenti alors que sans objet...

Anne-Marie tremblait. Elle était pâle comme une morte, ses yeux s'inondaient. Elle avait ce tic de remettre en place une mèche folâtre purement imaginaire, exactement comme Anne elle-même, qui vérifiait à la moindre contrariété qu'aucun cheveu ne s'évadait de sa guimpe. Celui de se signer, aussi, à deux reprises. Anne le faisait quand son interlocuteur avait péché en paroles. Aussi analysa-t-elle rapidement ses derniers propos, sans y trouver rien qu'aucun confesseur eût pu lui reprocher. Donc, soit Anne-Marie avait mal interprété quelque phrase ou expression, soit elle se signait pour adresser au Créateur une prière muette. Cherchait-elle auprès du Très-haut un encouragement pour affronter sa mère ?


Tout d'abord je n'approuve paaas... le choix de Sylvain délaissant ses responsabilités....

Un bon point, qui fut notifié d'un simple hochement de tête approbateur, à peine un abaissement du menton. Effectivement, on pouvait comprendre, admettre, mais pas approuver. Anne-Marie savait cela, et elle se faisait manifestement violence pour l'énoncer.

Vous dites avoir cru mère qu'il fallait faire passer les responsabilités de son rang avant tout le reste.Pourtant j'ai le sentiments que c'est encore cela que vous attendez de Sylvain...Et moi, mère, voyez-vous j'ai cru que vous auriez appris de vos erreurs et que vous seriez aller vous confesser au Très-Haut!


A partir de cet instant, il y eut face à Anne-Marie deux Anne. La petite ne le saurait jamais. Mais c'était un fait. Au premier plan, il y avait Anne Cornedrue d'Ambroise-Culan, Baronne de Culan, Dame de La Mure, ex Commandeur des Services Secrets de Sa Majesté, Grand Académicien Royal, Secrétaire d'Etat, droite comme un i malgré le poids des colliers honorifiques et des responsabilités passées et présentes, dont elle ne reniait rien, dont elle ne renierait jamais rien. Celle-là était en proie à la fois à l'amusement et à la colère. Elle n'admettait guère qu'une fillette à peine sortie du couvent puisse lui parler ainsi, mais elle s'amusait du courage de la gamine. Pas au sens de la moquerie. Au sens du plaisir que l'on prend à contempler quelque chose de beau. Cette Anne-là était au spectacle. Son esprit exercé depuis des années à chercher la vérité dans chaque être, à amener chacun à se fouiller pour mettre en oeuvre toutes ses capacités, à suivre patiemment les cheminements les plus secrets pour aboutir enfin à la Connaissance, se délectait de ce qu'il trouvait en cette révoltée qui prétendait donner à sa mère des leçons d'Amour.
Et puis il y avait, cachée derrière, Anne-Blanche, fille de Maryan, fragile enfant enfouie quelque part au tréfonds de son âme, en un lieu si secret, si volontairement oublié qu'elle-même n'y avait plus accès depuis des lustres. Celle-ci ressentait dans chaque fibre la douleur d'Anne-Marie. Celle-ci ne se contentait pas d'observer et de prévoir, de compiler et de déduire, d'intuiter et induire. Elle vivait, souffrait, refusait de souffrir encore.

Les deux Anne écoutèrent, chacune à sa façon. Il n'y avait pas de lien entre les deux. C'étaient deux personnes bien distinctes, qui se regardaient l'une l'autre exister, et n'avaient en commun que leur étonnement à découvrir, en découvrant l'autre, leur propre identité. La deuxième Anne vint peu à peu se placer à côté de la première, qui fit pour s'en débarrasser des efforts insensés. Anne Cornedrue d'Ambroise-Culan avait la partie belle. Elle avait sur Anne-Blanche des années d'expérience, et elle était aidée par son refus de la souffrance.
Mais la douleur de son enfant, peut-on lutter là-contre ?
A mesure qu'Anne-Marie parlait, la deuxième Anne prit le devant de la scène. Et la seconde s'effaça, victime consentante de sa propre lucidité.

Anne eut un geste d'une infinie douceur, cueillant du dos de l'index, au ras des cils de sa fille, une larme à peine née. Son pouce revint en arrière, et dans le même mouvement traça sur le front durci une rapide bénédiction.


C'est justement au couvent que je me rendais quand vous êtes arrivée...


Chercher la paix, par tout moyen, à commencer par la confession.

Tout le monde ne sait pas dire son amour, Anne-Marie. Tout le monde ne sait pas le montrer.

Elle eut un petit soupir, ses mains se saisirent de celles de sa fille.

Il y a bien pire encore : certains ne savent même pas qu'ils aiment. Je suis ... j'étais de ceux-là.

Et de glisser l'index entre guimpe et peau. On ne foule pas aux pieds tant d'années de pudeur inconsciente.

L'amour était bien là, même sans être dit, même si je ne le savais pas. Soyez-en assurée. Je n'ai que ma parole de l'instant à vous offrir.

Et le regret poignant de n'avoir pas offert plus, et l'intense surprise de n'être pas en rage contre qui vous prend en flagrant délit d'erreur.

Me croyez-vous, Anne-Marie ?

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