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Fantou
Voici donc aujourd’hui la dernière partie de mon exposé concernant ceux que l’on appelle troubadours, trouvères ou jongleurs ! Je vais vous parler des ménestrels ! Les nobles en quelque sorte de la jonglerie, l'élite !
Bientôt je me consacrerai à un autre sujet je pensais à l'origine de l'utilisation de pigeons pour porter des messages, mais c'est beaucoup de travail de recherches diverses et variées ....




Le ménestrel qui veut dire au sens propre chargé d’un ministère, d’une fonction est un mot qui désigne au départ l’ensemble des serviteurs d’une maison la ménie.
Progressivement il a été attribué à la seule fonction de musicien-conteur, signe de l’importance donné par les châteux et la cour à ces personnages.


Les ménestrels seront, de fait, mieux considérés que les jongleurs et ces derniers pour se donner de l’importance, chercheront à s’approprier le titre à défaut de la fonction. Car l’ambition de tous est de se faire repérer et engager comme ménestrel dans un château pour y séjourner même temporairement et s’assurer ainsi une qualité de vie sans commune mesure avec ce qu’ils pouvaient avoir sur les places ou les tavernes.

Il faut dire que dans une cour les bons ménestrels sont rétribués parfois en monnaie, mais toujours ils sont assurés d’avoir le gîte et le couvert, des vêtements, un chevalet (petit cheval) , son entretien et parfois même si le seigneur les apprécient particulièrement un fief avec des revenus, un nom et même un titre.
Cette exceptionnelle distinction récompensant un talent ou des services dépassant le rôle d’amuseur.
En effet, chargé de distraire son hôte de ses soucis et difficultés, le ménestrel se devait dans un premier temps d’apprendre à les connaître et à les partager avant de tenter de les chasser.
Engagé comme agent de divertissement, il acquiert là le rôle de confident, nouveau degré dans l’échelle de la hiérarchie auquel s’ajoutent pour certains celui de compagnon ou même de conseiller.
On comprend bien que cette ascension sociale fera rêver plus d’un jongleur itinérant !
Selon les circonstances, le ménestrel écrit et compose pour divertir son protecteur, mais il sait aussi, à l’occasion chanter ses louanges, conter sa geste et rédiger ses messages. Le rôle se fait alors publicitaire, politique et littéraire. Ecrire devient une fonction, un métier indépendant de celui du spectacle, qui annonce la formation d’une figure nouvelle : l’homme de lettres.


Le développement de l’instrumentarium coïncide exactement avec l’apparition des troubadours et des trouvères.

En effet, jusqu’au XIe siècle, la musique vocale et monodique, est totalement dominée par l’Eglise qui tolère les rares instruments à cordes issus de l’Antiquité, la harpe et la lyre, et l’orgue hydraule (dans lequel l’air insufflé dans les tuyaux est produit par pression hydraulique), mais condamne les instruments à vent considérés comme diaboliques car ils monopolisent le souffle du musicien.

Avec les troubadours, la musique savante n’est plus seulement religieuse et fait appel pour son accompagnement à de nouvelles sonorités instrumentales.

L’apparition, avec les trouvères, de la polyphonie et de la musique instrumentale donne aux musiciens l’occasion de se constituer un répertoire spécifique et indépendant de la musique religieuse qui les conduit à réhabiliter des formes anciennes tout en multipliant les emprunts et les inventions.
Ainsi se construit un instrumentarium d’une variété et d’une richesse extraordinaires qui profite du développement des techniques, de l’extension du commerce et des croisades.

Les musiciens distinguent les « hauts » et les « bas » instruments, non pour leur registre mais pour leur intensité sonore et l’utilisation qui en est généralement faite.
Ainsi les « hauts » instruments, ceux qui sonnent haut et fort : chalémie, cornemuse, chifonie, trompette, tambour et cymbales, servent pour la guerre, la chasse et la danse de plein air.

Les "bas" instruments accompagnent la chanson et le récit, à l’intérieur des murs, ils ont des sons bas et doux : gigue, flûtes, psaltérion, harpe, guitare, citole, vièle et luth.

Ceux qui viennent écouter des chansons de troubadours savent qu'une part de leurs racines profondes, celles qui touchent au coeur, se trouvent derrière ces vers obscurs chantés sur une mélodie hiératique , solennelle.
La découverte déroute, provoque une surprise souvent égale à l’idée préconçue que l’on se fait de cette musique elle va de pair avec l’image stéréotypée du troubadour évoquée plus haut.
Démythifier l’une comme l’autre permet de pénétrer sous la surface, d’approcher de la lettre, du sens de cette oeuvre.
Musique éloignée de nous par les strates successives de l’évolution polyphonique, obligeant notre oreille à un effort, elle nous invite pourtant à un retour aux sources.
Quelque chose nous touche instantanément dans la simplicité de la mélodie. Les sonorités elles-mêmes, brutes et franches, sont celles qui perdurent dans la tradition musicale.
Mais l’oeuvre nous touche surtout indirectement par sa signification profonde, même si au premier abord elle présente une difficulté d’approche.

Je vais aussi vous expliquer succintement les mots particuliers employés en poésie et musique, la liste n'est pas exhaustive il en existe bien d'autres encore mais le lieu n'est que de définir les mots utilisés dans les exposés.



PETIT LEXIQUE DES MOTS EMPLOYES POUR LA POESIE ET LA MUSIQUE

- Allitérative : allitération n.f (mot savant formé avec le lat. ad et littera, lettre). Répétition de
mêmes lettres, surtout des consonnes, ou des mêmes syllabes, dans des mots qui se suivent pour produire un effet d’harmonie initiative ou suggestive (ex : les souffles de la nuit flottaient sur Galgala. Victor Hugo ).

- Assonancée : assonance : (du latin assoneras, faire écho). Répétition à la fin de deux ou plusieurs vers de la même voyelle accentuée (ex : sombre, tondre ; peindre, cintre ; âme, âge)

- Ballade monodique : chanson de danse popularisante à une seule voix. (monodie : du grec monodia : chant seul. Musique constituée d’une seule voix) .

- La Canso : désigne la chanson d’amour dans la lyrique occitane elle se compose généralement de quatre à huit strophes égales. Les vers se terminent par des rimes qui se répondent avec habileté d’une strophe à l’autre.

- Chansonnier : désigne, en musicologie médiévale, des recueils de chansons profanes manuscrits et, à la Renaissance, imprimés.

- Chanson à Toile (ou chanson de toile) : souvent nommée chanson de femme, ou « romance dont elle est une variété », la chanson de toile est caractéristique du « registre popularisant » de la lyrique d’oïl. Elle met en scène une jeune héroïne. La jeune fille, belle par convention, est dépeinte en train de coudre.

- Chevalet : petit cheval.

- Conductus : originairement monodique, le conductus est probablement dérivé du trope d’introduction, et il servait principalement à accompagner des processions à l’intérieur de
l’église (entrée, évangile, offertoire, etc...).

- Contrafactat : (du latin contrafactum). Ce procédé d’inventions s’observe dans nombre de cultures orales du bassin méditerranéen. Il consiste à réutiliser le cadre métrique et musical
d’un chant pour créer un nouveau poème.

- Cortezia : (espagnol) Courtoisie, politesse.

-Descort : genre lyrique occitan puis français qui se définit par sa nature désaccordée, peut être moins long que le lai avec lequel il présente des similitudes, tout y est désordonné, aussi
bien le poème que la musique. Chaque strophe possède une formule métrique et une mélodie propres. C’est en quelque sorte une «Antichanson », l’envers de la canso avec sa strophe isométrique où tout est équilibre et convenance. Néanmoins, le sujet du poème traite de
fin’amor, d’amour courtois.

- Hiératique : (du grec hiératikos) Qui concerne les choses sacrées. Qui est conforme aux normes d’une tradition liturgique.

- Lai : sans doute issu de loid, attesté en irlandais au IXe siècle, le mot désigne plusieurs genres se développant du milieu du XIIe siècle jusqu’au XVe siècle et couvre des hamps sémantiques très larges : chant, musique, narration…
Les quatre types principaux : le lai,le narratif, le lai-descort, les lais lyriques et enfin le « grand lai » du XIVe siècle.

- Manichéisme : doctrine des disciples de Manès, des manichéens, fondée sur la coexistence des deux principes opposés du bien et du mal.

- Médiolatine : latin du Moyen Age, latin médiéval.

- Motets : morceaux de musique religieuse, assez court, écrit sur des paroles en latin qui ne font pas partie de l’office.

- Onomatopée : n.f (bas latin, onomatopoeia). Mode de formation de mots qui fait d’un son vocal le représentant d’un bruit naturel ou d’un son produit par un être animé ou une chose
(ex : coucou, toc toc, crac etc….)

- Organum : (latin) Le mot recouvre plusieurs acceptions techniques. L’organum libre, ou diaphonie, est le plus ancien procédé polyphonique attesté. Il perdurera jusqu’au XIIe siècle : il s’agit de l’embryon de la future pratique du déchant (style note-contre-note)

- Polyphonie : n.f (du grec poluphônia) Grand nombre de voix ou de sons dans l’Antiquité grecque, assemblage musical de voix ou d’instruments quelle que soit leur nature.

- Reverdie : chant de trouvère qui exalte le renouveau de la nature.

- Rondet de carole [/b]: chant d’origine cléricale, comme en témoignent les rondets latins de l’école de Notre-Dame. Il séduira les trouvères par son caractère populaire : la chanson de la
Belle Aeliz, fréquemment recopiée à l’époque, montre à quel point le genre était apprécié en France du Nord à la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe.

- [b]Sémantique
: n.f (du bas latin sémanticus, significatif, grec sêmantikos). Qui signifie, qui indique, faire connaître, faire savoir, expliquer.

- Strate : (latin stratum, couverture, lit, couche). L’un des niveaux d’une substance quelconque qui se présente sous forme de couches successives.

- Le trobar leu : genre poétique simple, immédiatement accessible à tous.

- Le trobar ric : recherche l’habileté technique dans le vocabulaire, le style et les sonorités.

Le trobar clus : ne peut être compris que par quelques personnes. Il est réservé à des « spécialistes » qui connaissent parfaitement la poésie et la société noble de l’époque.

- Virelai : son étymologie semble devoir être recherchée dans les différentes formules allitératives vireli, virela, virelai.
Formées à partir du verbe virer (tourner), elles évoquent peut-être l’usage des onomatopées pour marquer les refrains de la danse. La structure musicale du virelai est intermédiaire entre celles du rondeau et de la balada. Comme dans cette dernière, le refrain y est utilisé en tant que tel.


Sources multiples comme indiqué au début de cette partie de topic concernant les troubadours.
Texte rédigé par Fantou

_________________
Antoine_de_cosne
Grand merci Fantou pour toutes ces précisions, et ton lexique m'a appris nombre de choses !

Je vais maintenant vous conter les légendes venues de la terre pleine de faerie de Bretagne, composant le cycle du "Voyage vers le Soleil."
En voici la première, "La fille qui se mariat à un mort"...



Un jour, un mendiant arriva chez un roi, et demanda l’aumône, au nom de Dieu. La fille du roi le remarqua, et elle dit à son père qu’elle voulait avoir ce mendiant-là pour mari. Le roi pensa d’abord que c’était pour plaisanter que sa fille parlait de la sorte. Mais, quand il vit qu’il n’en était rien et qu’elle parlait pour de bon et sérieusement, il lui dit :
— Il faut que vous ayez perdu la raison, ma fille, pour vouloir vous marier à un mendiant, la fille d’un roi comme vous l’êtes !
— Il n’y a pas à dire, mon père, il faut que je l’aie pour mari, ou je mourrai de douleur.
Le roi aimait sa fille par-dessus tout et faisait tout ce qu’elle voulait. Il lui dit donc qu’il la laisserait prendre le mendiant pour mari. Mais, le mendiant demanda que la princesse, ainsi que son père, sa mère et ses deux frères fussent baptisés, avant le mariage, car ils étaient tous païens. Ils furent tous baptisés, et le mendiant servit de parrain au prince aîné. On célébra alors les noces, et il y eut un grand festin.
Quand les noces furent terminées, le mari dit :
— Je vais, à présent, retourner chez moi, avec ma femme.
Et il prit congé de son beau-père, de sa belle-mère et de tous les gens de la noce. Avant de partir, il dit encore aux deux jeunes princes ses beaux-frères :
— Quand vous voudrez faire visite à votre sœur, rendez-vous auprès d’un grand rocher qui se trouve dans le bois voisin, frappez dessus deux coups en croix avec cette baguette, et je viendrai à votre rencontre.
Et il leur donna une baguette blanche, et partit aussitôt avec sa femme, sans que personne sût où ils étaient allés.
Quelque temps après ceci, le plus jeune des deux princes dit, un jour :
— Il faut que j’aille voir ma sœur, afin de savoir comment elle se trouve là où elle est.
Et il prit la baguette blanche donnée par son beau-frère et se rendit au bois. Quand il fut près du grand rocher, il frappa dessus deux coups en croix, et le rocher s’entrouvrit aussitôt, et il vit dessous son beau-frère, qui lui dit :
— Ah ! C’est toi, beau-frère chéri ? Je suis bien aise de te revoir ; mais, tu désires, sans doute, voir ta sœur aussi ?
— Oui, je veux voir ma sœur, pour savoir comment elle se trouve.
— Eh bien ! Suis-moi, et tu la verras.
— Où ?
— Dans mon palais ; descends et suis-moi.
Le jeune prince hésitait à descendre dans le trou noir qu’il voyait devant lui ; mais l’autre reprit :
— Viens avec moi, et sois sans crainte ; il ne t’arrivera pas de mal.
Il descendit dans le trou, et ils pénétrèrent tous les deux profondément sous la terre, jusqu’à ce qu’ils arrivèrent à un château magnifique. Dans ce château, le jeune prince vit sa sœur, dans une belle salle, magnifiquement vêtue et assise sur un siège d’or. Ils éprouvèrent une grande joie de se revoir. Le maître du château s’en alla, et les laissa tous les deux ensemble.
— Comment te trouves-tu ici, sœur chérie ? demanda le frère à la sœur.
— Je me trouve bien, frère chéri ; tout ce que je peux souhaiter m’est accordé sur-le-champ. Il n’y a qu’une chose qui me déplaît ; mon mari ne reste pas avec moi. Tous les matins, il part en voyage, au lever du soleil, et, pendant toute la journée, je suis seule.
— Où va-t-il donc de la sorte ?
— Je ne sais pas, frère chéri, il ne me le dit pas. — Je le lui demanderai, demain, pour voir.
— Oui, demande-le-lui.
Le lendemain, le prince se leva de bon matin, et il parla de la sorte à son beau-frère :
— Je voudrais aller aussi avec vous, pour me promener, beau-frère ?
— Je le veux bien, cher beau-frère.
Mais, à peine furent-ils sortis de la cour, que le maître du château demanda à son beau-frère :
— As-tu fermé la porte à clef sur ta sœur ?
— Non vraiment, répondit-il.
— Eh ! bien, va fermer la porte, vite, et puis, reviens.
Le prince alla fermer la porte ; mais, quand il revint, son beau-frère déjà était parti. Il se mit en colère, en voyant cela, et se dit :
— Eh bien ! Puisqu’il en est ainsi, je m’en reviens à la maison, tout de suite.
Il avait avec lui sa baguette blanche ; il en frappa deux coups en croix sur un grand rocher
Qui fermait l’entrée du souterrain, auprès du château, et le rocher s’entrouvrit aussitôt, et il entra dans le souterrain. Quand il arriva à l’autre extrémité, il frappa deux autres coups en croix sur le rocher qui le fermait de ce côté, lequel s’entrouvrit aussi, et il se retrouva sans mal à la maison.
Tout le monde s’empressait autour de lui, pour lui demander des nouvelles de sa sœur. Il raconta tout ce qu’il avait vu et entendu.
— Jésus ! Dirent le père et la mère, qu’est-ce donc que cet homme-là ?
— Moi, dit le prince aîné, je veux aller aussi voir ma sœur, et, avant de m’en retourner, je saurai ce qu’est cet homme.
Et il prend la baguette blanche des mains de son jeune frère, se rend au bois et frappe deux coups en croix sur le rocher.
Le rocher s’entrouvre aussitôt, et il voit dessous son beau-frère, qui lui dit :
— Ah ! Bonjour, filleul ; descends et partons, vite.
Le prince descend dans le souterrain, et son beau-frère le conduit jusqu’à sa sœur, puis il s’en va. Comme son frère, il fut étonné de voir sa sœur assise sur un siège d’or et richement parée.
— Tu te trouves bien ici, à ce qu’il semble, chère petite sœur ? Lui demanda-t-il.
— Oui, frère chéri, je suis assez bien ici…..
Il n’y a qu’une seule chose qui me contrarie.
— Qu’est-ce donc, chère petite sœur ?
— C’est que mon mari ne reste pas avec moi ; chaque matin, il part de la maison, et me laisse seule, tout le long du jour.
— Où donc va-t-il de la sorte, tous les jours, petite sœur ?
— Je ne sais pas, frère chéri.
— Je lui demanderai de l’accompagner, demain matin, pour voir.
— Oui, demande-lui, frère chéri ; mais, prends bien garde qu’il ne t’arrive comme à notre jeune frère.
— Oh ! Sois tranquille, je ne serai pas pris ainsi, moi.
Le lendemain matin, aussitôt le soleil levé, le maître du château était sur pied, et son beau-frère aussi. Celui-ci lui demanda de lui permettre de l’accompagner.
— Volontiers, lui dit-il, mais, partons vite, car il est temps.
Et ils sortirent ensemble du château. Mais, à peine eurent-ils fait quelques pas :
— As-tu fermé la porte à clef sur ta sœur ? demanda le maître du château.
— Oui, oui, parrain, je l’ai fermée, répondit le prince.
— C’est bien, partons, alors.
Ils passèrent, peu après, par une grande lande aride où il n’y avait que de la fougère et de l’ajonc maigre ; et pourtant on voyait couchées parmi la bruyère et l’ajonc deux vaches grasses et luisantes. Cela étonna le prince, qui dit :
— Voilà des vaches bien grasses et bien luisantes, sur une lande où elles ne trouvent rien à brouter !
Son beau-frère ne répondit pas ; mais, les vaches dirent :
— Dieu vous bénisse !
Et ils continuèrent leur route. Ils passèrent, alors, par une belle prairie où il y avait un pâturage excellent, et, au milieu de l’herbe, qui leur allait jusqu’au ventre, on voyait deux vaches, mais si maigres, si maigres, qu’elles n’avaient que les os et la peau. Et le prince, en voyant cela, dit encore :
— Voilà deux vaches bien maigres ; et pourtant elles sont dans l’herbe jusqu’au ventre !
— Dieu vous bénisse ! Lui dirent les deux vaches, comme les deux autres ; mais, le beau-frère du prince ne dit rien.
Et ils continuèrent leur route. Un peu plus loin, ils passèrent par un chemin profond et très étroit, où deux chèvres se heurtaient la tête l’une contre l’autre, et si violemment, que le sang en jaillissait autour d’elles.
— Jésus ! s’écria le prince, voilà deux pauvres bêtes qui se tueront ! Comment passerons-nous ? Elles obstruent tout le passage.
Son beau-frère ne répondait toujours point ; mais, les deux chèvres aussi dirent : « Que Dieu vous bénisse ! » Et elles cessèrent de se battre, et les deux voyageurs purent passer, sans mal.
Plus loin encore, ils arrivèrent à une vieille église en ruine, et y entrèrent. Elle était pleine de monde, mais c’étaient tous des morts, et il n’en subsistait que les ombres seulement.
— Me répondrez-vous la messe, puisque vous êtes chrétien ? demanda au prince son beau-frère.
— Je le veux bien, répondit-il, bien étonné ; mais il n’était pas peureux.
Et l’autre revêtit, alors, des habits de prêtre, puis il monta à l’autel et se mit à célébrer la messe, comme un véritable prêtre. Quand il fut à l’élévation, il se mit à vomir des crapauds et autres reptiles hideux…, et tous les assistants faisaient comme lui.
Quand la messe fut terminée, tous ceux qui étaient dans l’église, le prêtre à leur tête, vinrent au prince,
et lui dirent :
— « Vous nous avez délivrés ! Merci ! Merci ! » Puis ils s’en allèrent.
— Retournons, à présent, à la maison, dit au prince son beau-frère.
Et ils s’en retournèrent. Mais, ils ne revirent plus les choses extraordinaires qu’ils avaient vues d’abord, et, chemin faisant, le prince demanda à son beau-frère l’explication de tout cela. Alors, il lui parla de la sorte :
— A présent, je puis parler, et voici ce que signifie tout ce que vous avez vu : Les deux vaches grasses et luisantes, sur la lande aride, où il n’y avait que de la bruyère, de maigres ajoncs et des pierres, sont de pauvres gens qui vivaient honnêtement, quand ils étaient sur la terre, donnaient l’aumône, quoique pauvres, et étaient contents de leur condition, et, à présent, ils sont sauvés. Les deux vaches maigres et décharnées , au milieu d’un excellent pâturage, étaient des gens riches, qui ne faisaient qu’amasser des richesses et convoiter le bien de leurs voisins, ne donnant pas l’aumône au pauvre, et, quoique riches, ils étaient malheureux. Ils étaient, là où vous les avez vus, dans le purgatoire, et, pour leur pénitence, ils se trouvaient au milieu de l’herbe haute et grasse, sans pouvoir en manger. Les deux chèvres qui se battaient avec tant d’acharnement, dans la chemin étroit et profond, étaient deux voleurs, qui ne cherchaient que noise et bataille, et Dieu, pour les punir, les force à présent de se battre ainsi, depuis bien longtemps.
— Pourtant, tous m’ont remercié, quand nous avons passé près d’eux.
— C’est parce que vous les avez tous délivrés. Il avait été dit par Dieu qu’ils resteraient en l’état où vous les avez vus, jusqu’à ce que vînt à passer une personne qui ne fût pas morte et qui eût pitié d’eux ; et ils ont attendu longtemps !
— Et ce que j’ai vu dans la vieille église, qu’est-ce que cela signifie ?
— J’ai été un mauvais prêtre, pendant que j’étais sur la terre ; j’ai dit beaucoup de mauvaises messes, et commis un grand nombre d’autres péchés, et il avait été dit par Dieu que je ne serais sauvé, moi, ainsi que tous ceux que vous avez vus dans l’église, et qui m’avaient aidé à pécher et péché eux-mêmes avec moi, que lorsque j’aurais trouvé la fille d’un roi pour m’épouser, bien qu’habillé comme un mendiant, et un prince en vie pour me répondre la messe, ici ; j’ai attendu bien longtemps ! Les reptiles hideux que vous m’avez vu vomir, comme tous les autres qui étaient dans l’église, étaient autant de diables qui nous torturaient. A présent, nous sommes tous délivrés, grâce à vous.
— Et ma sœur, peut-elle retourner avec moi à la maison !
— Non, votre sœur, qui a contribué à me délivrer, comme vous, viendra, à présent, avec moi au paradis, et vous-même, vous nous y rejoindrez, sans tarder. Mais, il faut qu’auparavant vous retourniez à la maison, pour raconter à votre père et à votre mère et à votre frère tout ce que vous avez vu et entendu ici. Voici une lettre que vous leur remettrez, pour leur dire qu’ils ne soient pas inquiets au sujet de leur fille et sœur, car elle se rend avec moi au paradis, et si elle n’avait pas été ma femme, elle aurait été la femme du diable !
Le prince retourna, alors, à la maison et donna la lettre à lire à son père et à sa mère, et leur raconta tout ce qu’il avait vu et entendu durant son voyage. Il mourut, peu après, comme il lui avait été annoncé, et il alla rejoindre sa sœur et son beau–frère, là où ils étaient, pour rester avec eux à jamais (1).


_________________
Antoine_de_cosne
Comme promis voici le deuxième conte du cycle du "Voyage vers le Soleil.", contes rassemblés en Bretagne par le même Folkloriste, François-Marie Luzel...

Cette histoire a été contée par Françoise Ann Ewenn, femme Trégoat, de Pédernec (Côtes-du-Nord ou Côtes d'Armor actuellement ) et traduite en français comme l'ensemble de ces contes ensuite.






La Femme Du Trépas (1)

Il y avait une vieille fille restée sans mari, sans doute parce qu’elle n’en avait jamais trouvé. Elle avait passé la quarantaine, et on lui disait souvent par plaisanterie :
— Vous vous marierez encore, Marguerite.
— Oui, oui, répondait-elle, quand le Trépas viendra me chercher.
Un jour du mois d’août, elle était seule dans la maison, occupée à préparer à manger aux batteurs, quand un personnage qu’elle ne connaissait pas entra soudain et lui demanda :
— Voulez-vous me prendre pour mari ?
— Qui êtes-vous ? Lui dit-elle, bien étonnée.
— Le Trépas, répondit l’inconnu.
— Alors, je veux bien vous prendre pour mari.
Et elle jeta là son bâton à bouillie, et courut à l’aire à battre :
— Venez dîner, quand vous voudrez, dit-elle aux batteurs, pour moi, je m’en vais, je me marie !
— Ce n’est pas possible, Marguerite ! S’écrièrent les batteurs,
— C’est comme je vous dis ; mon mari, le Trépas, est venu me chercher.
Le Trépas, avant de partir, lui dit qu’elle pouvait inviter aux noces autant de monde qu’elle voudrait, et qu’il reviendrait exactement au jour fixé.
Quand vint le jour convenu, le fiancé arriva, comme il l’avait promis. Il y eut un grand repas, et, en se levant de table, il dit à sa femme de faire ses adieux à ses parents et à tous les invités, car elle ne devait plus les revoir. Il lui dit encore d’emporter une croûte de pain, pour la grignoter, en route, si elle avait faim, car ils devaient aller bien loin, et de dire à son plus jeune frère, qui était son filleul, encore au berceau, de venir la voir, quand il serait grand, et de se diriger toujours du côté du soleil levant.
Marguerite fit ce qu’on lui recommandait, et ils partirent alors.
Ils allaient sur le vent, loin, bien loin, plus loin encore ; si bien que Marguerite demanda s’ils n’arriveraient pas bientôt au bout de leur voyage.
— Nous avons encore un bon bout de chemin à faire, répondit le Trépas.
— Je suis bien fatiguée, et je ne puis aller plus loin, sans me reposer et manger un peu.
Et ils s’arrêtèrent, pour passer la nuit, dans une vieille chapelle.
— Grignote ta croûte de pain, si tu as faim, dit le Trépas à sa femme ; pour moi, je ne mangerai point.
Le lendemain matin, ils se remettent en route. Ils vont encore loin, bien loin, toujours plus loin, si bien que Marguerite, fatiguée, dit de nouveau :
— Dieu, que c’est loin ! N’approchons-nous pas encore ?
— Si, nous approchons ; ne voyez-vous pas devant vous une haute muraille ?
— Oui, je vois une haute muraille devant moi.
— C’est là qu’est ma demeure.
Ils arrivent à la haute muraille, et entrent dans une cour.
— Dieu, que c’est beau ici ! s’écria Marguerite.
C’était là le château du Soleil-Levant. Tous les matins, il en partait, pour ne revenir que le soir, et ne disait pas à sa femme où il allait. Rien ne manquait d’ailleurs à Marguerite, et tout ce qu’elle souhaitait, elle l’avait aussitôt. Pourtant, elle s’ennuyait d’être toujours seule, tout le long des jours.
Un jour, qu’elle se promenait dans la cour du château, elle aperçut quelqu’un qui descendait la montagne voisine. Cela l’étonna, car nul autre que son mari n’approchait jamais du château. L’inconnu continuait de descendre la montagne, et il entra dans la cour du château. Alors, Marguerite reconnut son filleul, son jeune frère, qui était dans son berceau, quand elle partit de la maison de son père. Et ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, en versant des larmes de joie.
— Où est aussi mon beau-frère, que je lui souhaite le bonjour ? demanda le jeune homme, au bout de quelque temps.
— Je ne sais pas où il est, mon frère chéri ; tous les matins, il part en voyage, de bonne heure, pour ne revenir que le soir, et il ne me dit pas où il va.
— Eh bien, je lui demanderai, ce soir, quand il rentrera, pourquoi il te laisse ainsi seule, et où il va.
— Oui, demande-le-lui, frère chéri.
Le maître du château arriva, à son heure ordinaire, et il témoigna à son beau-frère beaucoup de joie de sa visite.
— Où allez-vous ainsi, tous les matins, beau-frère, lui demanda le jeune homme, laissant ma sœur toute seule
à la maison ?
— Je vais faire le tour du monde, beau-frère chéri.
— Jésus, beau-frère, c’est vous qui devez voir de belles choses ! Je voudrais bien aller avec vous, une fois seulement.
— Eh bien ! Demain matin, tu pourras m’accompagner, si tu veux ; mais, quoi que tu puisses voir ou entendre, ne m’interroge pas, ne prononce pas une seule parole, ou il te faudra retourner aussitôt sur tes pas.
— Je ne dirai pas un mot, beau-frère.
Le lendemain matin, ils partirent donc tous les deux de compagnie, et se tenant par la main, ils allaient, ils allaient !… Le vent fait tomber le chapeau du frère de Marguerite, et il dit :
— Attendez un peu, beau-frère, que je ramasse mon chapeau, qui vient de tomber.
Mais, à peine eut-il prononcé ces mots, qu’il perdit de vue son beau-frère, et il lui fallut s’en retourner, seul, au château.
— Eh bien ! Lui demanda sa sœur, en le voyant revenir seul, as-tu appris quelque chose ?
— Non vraiment, ma pauvre sœur : nous allions si vite, que le vent a fait tomber mon chapeau. Je dis à ton mari d’attendre un peu, pour me le laisser ramasser ; mais, il continua sa route, et je le perdis de vue. Quoi qu’il en soit, demain matin, je lui demanderai de me permettre de l’accompagner encore, et je ne dirai pas un seul mot, quoi qu’il arrive.
Quand le maître du château rentra, le soir, à son heure ordinaire, le jeune homme lui demanda de nouveau :
— Me permettrez-vous de vous accompagner encore, demain matin, beau-frère ?
— Je le veux bien ; mais, ne dis pas un seul mot, ou il t’arrivera encore comme ce matin.
— Je me garderai bien de parler, soyez-en sûr.
Ils partent donc encore de compagnie, le lendemain matin. Ils vont, ils vont… Le chapeau du frère de Marguerite tombe encore, mais, cette fois, dans une rivière, au-dessus de laquelle ils passaient, et il s’oublie encore et dit :
— Descendez un peu, beau-frère, pour que je ramasse mon chapeau, qui vient de tomber dans l’eau !
Et aussitôt il est encore déposé à terre (car ils voyageaient à travers les airs), et se retrouve seul. Et il retourne au château, tout triste et tout confus.
Le lendemain matin, son beau-frère lui permit encore de l’accompagner, mais pour la dernière fois. Ils vont, ils vont, à travers les airs… le chapeau du jeune homme tombe encore ; mais, il ne dit mot, cette fois.
Ils passent au-dessus d’une plaine où la terre était toute couverte de colombes blanches, et au milieu d’elles étaient deux colombes noires. Et les colombes blanches ramassaient de tous côtés des brins d’herbe et de bois secs et les entassaient sur les deux colombes noires ; et quand celles-ci en furent couvertes, elles mirent le feu aux herbes et au bois.
Le frère de Marguerite avait bien envie de demander ce que cela signifiait. Il ne dit rien pourtant, et ils continuèrent leur route.
Plus loin, ils arrivèrent devant une grande porte, sur la cour d’un château. Le mari de Marguerite entra par cette porte, et dit à son beau-frère de l’attendre, dehors. Il lui dit encore que, s’il se lassait d’attendre et que l’envie lui vînt d’entrer aussi, il n’aurait qu’à casser une branche verte et à la passer sous la porte, et cette envie lui passerait aussitôt.
Pendant que le jeune homme attendait à la porte, il vit une troupe d’oiseaux s’abattre sur un buisson de laurier, qui était près de là ; et les oiseaux y restèrent quelque temps, chantant et gazouillant. Puis, ils s’envolèrent, emportant dans leur bec chacun une feuille de laurier, mais qu’ils laissèrent tomber, à une faible distance.
Un instant après, une autre troupe d’oiseaux s’abattit sur le même buisson de laurier, et ils chantèrent et gazouillèrent un peu plus que les premiers, et plus longtemps, et, en s’en allant, ils emportèrent aussi dans leur bec chacun une feuille de laurier, qu’ils laissèrent aussi tomber, mais un peu plus loin que les précédents.
Enfin, une troisième troupe d’oiseaux s’abattit sur le buisson, un instant après, et ils gazouillèrent et chantèrent mieux et plus longtemps que les autres, et, en s’en allant, ils emportèrent aussi dans leur bec chacun une feuille de laurier ; mais, il ne les laissèrent pas tomber à terre.
Le frère de Marguerite, étonné de ce qu’il voyait, se disait en lui-même : « Que peut signifier tout ceci ? » Comme son beau-frère ne revenait pas, il se lassa de l’attendre, et, ayant cassé une branche de chêne toute couverte de feuillage vert, il la fourra sous la porte, comme on le lui avait dit. Aussitôt la branche fut consumée jusqu’à sa main. « Holà ! s’écria-t-il, en voyant cela, il paraît qu’il fait chaud là dedans ! » Et il ne désirait plus entrer.
Son beau-frère sortit enfin, quand son heure fut venue, et ils s’en retournèrent de compagnie. Chemin faisant, le frère de Marguerite demanda à l’autre :
— Dites-moi, beau-frère, je vous prie, ce que signifie ce que j’ai vu, pendant que je vous attendais, à la porte du château : j’ai vu d’abord une troupe d’oiseaux s’abattre sur un buisson de laurier, et, après y avoir chanté et gazouillé quelque temps, ils se sont envolés, en emportant dans leur bec chacun une feuille de laurier, qu’ils ont laissée tomber à terre, à une faible distance.
— Ces oiseaux représentent les gens qui vont à la messe, mais, qui y sont distraits, prient peu et laissent tomber à terre leur feuille de laurier, c’est-à-dire la parole divine, là où ils oublient leur Dieu.
— Et la seconde troupe d’oiseaux qui se sont ensuite abattus sur le laurier, qui ont gazouillé et chanté un peu plus longtemps, et ont aussi laissé tomber à terre leurs feuilles de laurier, mais un peu plus loin ?
— Ceux-là représentent les gens qui vont à la messe et y sont plus attentifs et prient plus longtemps que les premiers, mais, qui, néanmoins, laissent aussi tomber à terre leur branche de laurier, c’est-à-dire oublient la parole de Dieu.
— Et la troisième troupe d’oiseaux, qui ont gazouillé et chanté beaucoup plus longtemps et mieux que les autres, et ont aussi emporté chacun sa feuille de laurier, mais, qu’ils n’ont pas laissée tomber à terre ?
— Ceux-là représentent les gens qui ont bien prié, du fond du cœur, et n’ont pas oublié la parole de Dieu, avant d’être arrivés chez eux.
— Et les colombes blanches que j’ai vues, dans une plaine, amassant des herbes et du bois secs pour brûler deux colombes noires qui étaient au milieu d’elles ?
— Ces deux colombes noires étaient ton père et ta mère, que l’on passait par le feu, pour les purifier de leurs péchés. Ils sont, à présent, au paradis.
En ce moment, ils arrivèrent au château.
Peu après, le frère de Marguerite dit à son beau-frère :
— Je veux m’en retourner, à présent, à la maison.
— T’en retourner à la maison ! Et pourquoi, mon pauvre ami ?
— Pour voir mes parents, et vivre avec eux.
— Mais, songe donc qu’il y a cinq cents ans que tu les as quittés !
Tous tes parents sont morts, il y a bien longtemps, et là où était autrefois leur maison, il y a, à présent, un grand chêne tout pourri de vieillesse !…

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(1) En breton, la mort personnifiée « Ann Ankou » est du masculin ; c’est pourquoi l'auteur emploie le mot Trépas, au lieu de la Mort.
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Antoine_de_cosne
Voici comme promis la suite de ce cycle qui rapellera quelque autre légende à grand nombre d'entre nous...

Elle est composée d' une légende en deux parties dont la deuxième reprend une image désormais familière à l'auditeur, celle de l'Ankou, image de la mort en Bretagne, qui revient dans de forts nombreux contes...
Voici donc celles narrant l'histoire de Marguerite et de son mari " Le Prince Turc Frimelgus"




" Le Prince Turc Frimelgus"


I


Il y avait une fois une jeune fille qui demeurait avec son père et sa mère, lesquels faisaient valoir une bonne métairie et vivaient à leur aise. Cette fille, nommée Marguerite, était fort jolie, et tous les jeunes gens du pays, un peu riches, se fussent estimés heureux de l’avoir pour femme. Mais, si Marguerite était jolie, elle était aussi coquette et fière, et elle dédaignait les fils de paysans qui voulaient lui faire la cour, même les plus beaux et les plus riches. Son père et sa mère voyaient cela avec peine, et ils lui disaient parfois :
— Qui prétends-tu donc avoir pour mari, que tu ne trouves personne à ton gré ?
— Un prince, répondait-elle ; je ne veux me marier qu’à un fils de roi.
Elle avait deux frères à l’armée, deux cavaliers, deux beaux hommes, qui lui avaient parlé du fils de l’empereur de Turquie, qu’ils avaient vu quelque part, et depuis, elle avait l’esprit continuellement occupé de ce prince.
Voilà qu’un jour il arriva à la ferme un seigneur monté sur un beau cheval, et qui n’était pas habillé à la manière du pays. Personne ne le connaissait. Il demanda à voir Marguerite. Dès qu’il l’eût vue et qu’il se fût un peu entretenu avec elle, il s’écria : « Celle-ci sera ma femme ! »
— Sauf votre grâce, Monseigneur, lui répondit la jeune fille, je ne me marierai qu’au fils d’un empereur ou d’un roi.
— Eh bien ! Je suis le fils d’un empereur, et d’un des plus puissants qui soient sur la terre ; mon père est l’empereur de Turquie, et son nom est Frimelgus. Il y a longtemps que je voyage, à la recherche d’une femme qui me convienne, et nulle part, je n’en ai trouvé une qui me plût comme vous. Je le répète : je n’aurai jamais d’autre femme que vous.
Il lui donna de riches parures de perles et de diamants, puis, il donna aussi à son père et à sa mère des poignées d’or et d’argent, si bien qu’ils étaient tous contents et heureux. Les fiançailles se firent dès le lendemain, les noces, dans la huitaine, et il y eut de grands festins, des danses et des jeux, pendant plusieurs jours.
Quand les fêtes furent terminées, le prince Frimelgus fit monter sa femme dans un beau carrosse doré, et partit avec elle pour son pays.
Marguerite vécut heureuse et sans souci aucun avec son mari, pendant six mois. Tout ce qu’elle souhaitait, elle l’obtenait aussitôt, beaux habits, riches tissus, parures de perles et de diamants ; et, tous les jours, de la musique, des danses et des jeux de toute sorte.
Au bout de six mois, elle se sentit enceinte, et en ressentit une grande joie. Son mari, au contraire, loin de témoigner quelque satisfaction à cette nouvelle, la reçut avec mécontentement. Il devint triste et soucieux et rien ne pouvait plus le distraire.
Un jour, il dit à sa femme qu’il lui fallait entreprendre un long voyage, pour aller voir un autre prince de ses amis, je ne sais dans quel pays lointain. Avant de partir, il lui remit toutes les clefs du château (il y en avait un grand trousseau) et lui dit qu’elle pouvait s’amuser et se distraire, comme elle l’entendrait, en attendant son retour, et aller partout dans le château, à l’exception d’un cabinet qu’il lui montra et dont la clef était pourtant avec les autres, dans le trousseau.
— Si vous ouvrez ce cabinet, ajouta-t-il, vous vous en repentirez bientôt. Promenez-vous dans les jardins, visitez, comme il vous plaira, toutes les chambres, et les salles, de la cave aux greniers, mais, je vous le répète, gardez-vous bien d’ouvrir la porte de ce cabinet.
Elle promit de ne pas ouvrir la porte, et Frimelgus partit.
Marguerite se mit alors à parcourir le château, qui était très vaste, et à visiter les salles et les chambres où elle n’était jamais entrée, jusqu’alors. Elle marchait d’étonnement en étonnement, car les salles et les chambres étaient toutes plus belles les unes que les autres, et pleines d’or, d’argent, et de riches parures de toute sorte. Son trousseau de clefs à la main, elle ouvrit toutes les portes, entra partout et vit tout, à l’exception pourtant du cabinet défendu. A chaque fois qu’elle passait auprès, elle se disait : — Que peut-il donc y avoir là dedans ? Et cela la’ préoccupait beaucoup et excitait vivement sa curiosité. Elle regarda plus d’une fois par le trou de la serrure, et ne vit rien ; elle y introduisit même la clef… mais, alors, les paroles de son mari lui revenaient à la mémoire, et elle avait peur, et s’éloignait. Il y avait huit jours que le prince était parti, lorsqu’un jour, ne pouvant résister plus longtemps à la tentation, elle introduisit encore la clef dans la serrure, la tourna, toute tremblante d’émotion, et entr’ouvrit la porte, tout doucement…. Mais, au premier regard qu’elle jeta dans l’intérieur du cabinet, elle poussa un cri d’effroi et recula d’horreur. Sept femmes étaient là, pendues chacune à une corde fixée à un clou dans une poutre, et se mirant dans une mare de sang ! C’étaient les sept femmes que le prince Frimelgus avait épousées, avant Marguerite, et qu’il avait toutes pendues dans ce cabinet, quand elles étaient devenues enceintes.
Marguerite était tombée sans connaissance sur le seuil. Quand elle revint à soi, elle ramassa son trousseau de clefs, qui était tombé dans le sang, puis elle referma la porte du cabinet. Elle lava d’abord ses clefs avec de l’eau froide, et le sang qui les souillait disparut sur toutes, à l’exception de celle du cabinet défendu. Ce fut en vain qu’elle lava celle-ci avec de l’eau chaude et la racla avec un couteau, et la frotta avec du sable, la maudite tache ne disparaissait pas !
Voilà Marguerite désolée. En apercevant ce sang, se disait-elle, mon mari saura que je lui ai désobéi, et que j’ai ouvert le cabinet défendu !…
Pendant qu’elle était encore occupée à laver et à frotter la clef, Frimelgus arriva.
— Que faites-vous là, ma femme ? demanda-t-il, bien qu’il sût déjà la vérité.
— Rien, répondit la jeune femme, toute troublée, et en essayant de dissimuler les clefs.
— Comment, rien ? Montrez-moi ces clefs-là ! Et il lui arracha le trousseau de clefs des mains, et, prenant la clef du cabinet défendu et l’examinant :
— Ah ! Malheureuse femme, s’écria-t-il, tu ne vaux pas mieux que les autres, et tu auras le même sort qu’elles !
— Oh ! Ne me tuez pas ! Ne me tuez pas ! Ayez pitié de moi, je vous en prie ! Criait la pauvre femme.
— Non, point de pitié !
Et Frimelgus la jeta à terre, et, la saisissant par ses longs cheveux blonds, il se mit à la traîner jusqu’au cabinet fatal, pour l’y pendre, comme ses sept autres femmes. La pauvre Marguerite criait de toutes ses forces : Au secours ! Au secours !…
En ce moment, on entendit sur le pavé de la cour le bruit des pieds de deux chevaux arrivant au galop. Deux cavaliers venaient, en effet, d’y entrer. C’étaient les deux frères de Marguerite, qui venaient la voir. En entendant des cris de détresse, ils descendirent promptement de leurs chevaux, et entrèrent dans le château. Ils virent Frimelgus qui traînait leur sœur par les cheveux, et, dégainant leurs sabres, ils tombèrent sur lui et le criblèrent de blessures. Puis, prenant Marguerite en croupe, ils quittèrent aussitôt le château, et s’en retournèrent avec elle à la maison, après avoir, pourtant, rempli leurs poches d’or et de pierres précieuses (1).



II


Quelque temps après le retour de Marguerite chez son père, quand on connut qu’elle était veuve, de nouveaux prétendants à sa main se présentèrent de tous côtés, de riches marchands et de nobles seigneurs. Mais, elle n’avait pas oublié la manière dont l’avait traitée le cruel Frimelgus, et elle répondait invariablement à tous qu’elle avait fût serment de ne jamais se remarier à homme qui vécût. C’était leur dire clairement qu’elle ne voulait pas se remarier.
Un jour, pourtant, vint un seigneur magnifiquement vêtu, monté sur un cheval superbe, et que personne ne connaissait, dans le pays. Il demanda à parler à Marguerite. Celle-ci le reçut poliment et lui dit, comme aux autres, qu’elle avait fait serment de ne jamais se remarier à homme qui vécût.
— Je ne suis pas un homme vivant, lui répondit l’inconnu.
— Comment, vous n’êtes pas un homme vivant ; mais, qui êtes-vous donc, alors ?
— Un mort, et vous pouvez m’épouser, sans manquer à votre serment.
— Serait-il possible ?
— Croyez-m’en, rien n’est plus vrai.
— Hé bien ! s’il en est ainsi, je ne dis pas non.
Elle brûlait d’envie de se remarier, il faut le croire.
Bref, ils furent fiancés et mariés promptement, et il y eut un grand festin de noces.
En se levant de table, le nouveau marié se rendit dans la cour avec sa femme, et, montant sur son cheval, il la prit en croupe et partit aussitôt, au galop, sans dire à personne où il allait. Tout le monde en fut étonné. Un des frères de Marguerite, voyant cela, monta aussi sur son cheval, et voulut les suivre. Mais, quelque bon cavalier qu’il fût, il ne put les atteindre. Il jura néanmoins qu’il ne retournerait pas à la maison, avant d’avoir su où était allée sa sœur.
Le cheval qui emportait Marguerite et son nouveau mari voyageait à travers les airs, et il les porta dans un château magnifique. Rien ne manquait dans ce château de ce qui peut plaire à une jeune femme, ni riches tissus de soie et d’or, ni diamants et perles, ni beaux jardins remplis de fleurs aux suaves parfums et de fruits délicieux. Et pourtant, elle ne s’y trouvait pas heureuse, et elle s’ennuyait. Pourquoi donc s’ennuyait-elle ? Parce qu’elle était toujours seule, tout le long des jours. Son mari partait, tous les matins, de bonne heure, et ne rentrait qu’au coucher du soleil.
Elle l’avait souvent prié de l’emmener avec lui, dans ses voyages, et toujours il avait refusé.
Un jour qu’elle se promenait dans le bois qui entourait le château, elle fut bien étonnée de voir un jeune cavalier qui venait par la grande avenue, car depuis qu’elle était là, aucun étranger n’était encore venu lui faire visite. Son étonnement augmenta encore, lorsqu’elle reconnut que ce cavalier était son plus jeune frère. Elle courut à lui et l’embrassa et lui témoigna une grande joie de le revoir. Puis, elle le conduisit au château et lui servit elle-même à manger et à boire, car il était épuisé et fatigué d’un si long voyage.
— Où est aussi mon beau-frère, sœur chérie ? demanda-t-il, au bout de quelque temps.
— Il n’est pas à la maison, pour le moment, mais, il arrivera ce soir, au coucher du soleil.
— Tu me parais être plus heureuse ici avec lui que tu ne l’étais avec Frimelgus ?
— Oui vraiment, mon frère, je suis assez heureuse ici, et pourtant, je m’y ennuie beaucoup.
— Comment peut-on s’ennuyer, dans un si beau château ?
— C’est que je suis seule, tout le long des jours, frère chéri ; mon mari n’est jamais avec moi, que la nuit, et il part tous les matins, aussitôt que le soleil se lève.
— Où donc va-t-il ainsi, tous les matins ?
— Au paradis, dit-il.
— Au paradis ? Mais pourquoi ne t’emmène-t-il pas avec lui, alors ?
— Je l’ai souvent prié de m’emmener avec lui, mais il ne le veut pas.
— Hé bien ! Je lui demanderai aussi, moi, de me permettre de l’accompagner, car je voudrais bien voir le paradis.
Tôt après, le maître du château arriva. Sa femme lui présenta son frère, et il témoigna de la joie de le revoir. Puis, il mangea, car il avait grand’faim. Le frère de Marguerite lui demanda alors :
— Dites, beau-frère, où allez-vous donc ainsi, tous les matins, de si bonne heure, laissant votre femme toute seule à la maison, où elle s’ennuie beaucoup ?
— Je vais au paradis, beau-frère.
— Je voudrais bien aussi, moi, voir le paradis, et si vous consentiez à m’emmener avec vous, une fois seulement, vous me feriez grand plaisir.
— Hé bien ! Demain matin, vous pourrez venir avec moi, beau-frère ; mais, à la condition que vous ne m’adresserez aucune question, ni ne direz même pas un seul mot, pendant le voyage, quoi que vous puissiez voir ou entendre, autrement, je vous abandonnerai aussitôt en route.
— C’est convenu, beau-frère, je ne dirai pas un mot.
Le lendemain matin, le maître du château était sur pied de bonne heure. Il alla frapper â la porte de son beau-frère, en disant :
— Allons, beau-frère, debout, vite, il est temps de partir !
Et quand il se fut levé et qu’il fut prêt, il lui dit encore :
— Prends les basques de mon habit et tiens bon !
Le frère de Marguerite prit à deux mains les basques de l’habit de son beau-frère, et celui-ci s’éleva, alors, en l’air et l’emporta par-dessus le grand bois qui entourait le château, avec une telle rapidité, que l’hirondelle ne pouvait les suivre. Ils passèrent par-dessus une grande prairie, où il y avait beaucoup de bœufs et de vaches, et, bien que l’herbe fût abondante autour d’eux, bœufs et vaches étaient maigres et décharnés, au point de n’avoir guère que les os et la peau. Cela étonna fort le frère de Marguerite, et il allait en demander la raison à son compagnon de voyage, lorsqu’il se rappela à temps qu’il avait promis de ne lui adresser aucune question, et il garda le silence.
Ils continuèrent leur route et passèrent, plus loin, au-dessus d’une grande plaine aride et toute couverte de sable et de pierres ; et pourtant, sur ce sable étaient couchés des bœufs et des vaches si gras, et qui paraissaient si heureux, que c’était plaisir de les voir. Le frère de Marguerite ne souffla mot encore, bien que cela lui parût bien étrange.
Plus loin encore, il vit un troupeau de corbeaux qui se battaient avec tant d’acharnement et de fureur, qu’il en tombait sur la terre comme une pluie de sang. Il continua de garder le silence. Ils descendirent, alors, dans un lieu d’où partaient trois routes. Une d’elles était belle, unie avec de belles fleurs parfumées, des deux côtés ; une autre était belle et unie aussi, mais moins que la première, pourtant ; enfin, la troisième était d’un accès difficile, montante et encombrée de ronces, d’épines, d’orties et de toutes sortes de reptiles hideux et venimeux. Ce fut cette dernière route que prit le mari de Marguerite. Son beau-frère, s’oubliant, lui dit, alors :
— Pourquoi prendre cette vilaine route, puisqu’en voilà deux autres qui sont si belles !
A peine eut-il prononcé ces mots, que l’autre l’abandonna, dans ce mauvais chemin, en lui disant :
— Reste là à m’attendre, jusqu’à ce que je m’en retourne, ce soir.
Et il continua sa route.
Au coucher du soleil, quand il repassa par là, il reprit son beau-frère, tout rompu et tout sanglant, et ils retournèrent ensemble au château. Le frère de Marguerite remarqua, chemin faisant, que les corbeaux se battaient toujours, que les bœufs et les vaches étaient aussi maigres et décharnés que devant, dans l’herbe grasse et haute, aussi gras et luisants, dans la plaine aride et sablonneuse, et, comme il pouvait parler, à présent, il demanda l’explication des choses extraordinaires qu’il avait vues, durant le voyage.
— Les bœufs et les vaches maigres et décharnés, au milieu de l’herbe abondante et grasse, lui répondit son beau-frère, sont les riches de la terre, qui, avec tous leurs biens, sont encore pauvres et malheureux, parce qu’ils ne sont jamais contents de ce qu’ils ont et désirent toujours en avoir davantage ; les bœufs et les vaches gras et heureux, sur le sable aride et brûlé, sont les pauvres contents de la position que Dieu leur a faite, et qui ne se plaignent pas.
— Et les corbeaux qui se battent avec acharnement ?
— Ce sont les époux qui ne peuvent pas s’entendre et vivre en paix, sur la terre, et qui sont toujours à se quereller et à se battre.
— Dites-moi encore, beau-frère, pourquoi vous avez pris le chemin montant et rempli de ronces, d’épines et de reptiles hideux et venimeux, quand il y a là, à côté, deux autres chemins qui sont si beaux et si unis, et où il doit être si agréable de marcher ?
— Ces deux chemins là sont, le plus beau et le plus large, le chemin de l’enfer, et l’autre, le chemin du purgatoire. Celui que j’ai suivi est difficile, étroit, montant et parsemé d’obstacles de toute sorte ; mais, c’est le chemin du paradis.
— Pourquoi donc, beau-frère, puisque vous pouvez aller tous les jours au paradis, n’y restez-vous pas, et n’y emmenez-vous pas ma sœur avec vous ?
— Après ma mort, Dieu me donna pour pénitence de revenir tous les jours sur la terre, jusqu’à ce que j’eusse trouvé une femme pour m’épouser, quoique mort… (2)



(1) C’est jusqu’ici, comme on le voit, une variante du conte de Barbe-Bleue de Ch. Perrault. Doit-on croire à une réminiscence ou à une imitation directe de cet auteur ? Je ne saurais le dire, mais, je dois faire remarquer que mon conteur ne savait ni lire ni écrire. Cette première partie du conte semble du reste parfaitement étrangère à la seconde, qui appartient à un autre cycle et à un tout autre ordre d’idées; mais, comme toujours, j’ai cru devoir reproduire intégralement le récit de mon conteur.
(2) Le conte ne paraît pas tout à fait terminé, mais mon conteur n’en savait pas davantage.
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Antoine_de_cosne
Le même conteur a recueuilli celui-ci, sur le même thème du trépas, différent cependant des précédents.
Il s'agit toujours de matière de Basse-Bretagne, où les contes de ce type sont fort nombreux, composant ce qui est comunément nommé "La légende de la mort", ensemble de contes forts populaires dont les racines remontent fort loin dans la mythologie celtique...

Voici donc "Le chateau de cristal..."





Il y avait une fois deux pauvres gens, mari et femme, qui avaient sept enfants, six garçons et une fille. Le plus jeune des garçons, Yvon, et la fille Yvonne, étaient un peu pauvres d’esprit, ou du moins le paraissaient, et leurs frères leur faisaient toutes sortes de misères. La pauvre Yvonne en était toute triste, et ne riait presque jamais. Tous les matins, ses frères l’envoyaient garder les vaches et les moutons, sur une grande lande, avec un morceau de pain d’orge ou une galette de blé noir pour toute pitance, et elle ne revenait que le soir, au coucher du soleil. Un matin que, selon son habitude, elle conduisait ses vaches et ses moutons au pâturage, elle rencontra en son chemin un jeune homme si beau et si brillant qu’elle crut voir le soleil en personne. Et le jeune homme s’avança vers elle et lui demanda :
— Voudriez-vous vous marier avec moi, jeune fille ?
Voilà Yvonne bien étonnée et bien embarrassée de savoir que répondre.
— Je ne sais pas, dit-elle, en baissant les yeux ; on me fait assez mauvaise vie, à la maison.
— Eh bien ! Réfléchissez-y, et demain matin, à la même heure, je me retrouverai ici, quand vous passerez, pour avoir votre réponse.
Et le beau jeune homme disparut, alors. Toute la journée, la jeune fille ne fit que rêver de lui. Au coucher du soleil, elle revint à la maison, chassant devant elle son troupeau et chantant gaîment. Tout le monde en fut étonné, et l’on se demandait :
— Qu’est-il donc arrivé à Yvonne, pour chanter de la sorte ?
Quand elle eut rentré ses vaches et ses moutons à l’étable, elle se rendit auprès de sa mère, et lui conta son aventure et demanda ce qu’elle devait répondre, le lendemain.
— Pauvre sotte ! Lui dit sa mère, quel conte me faites-vous là ? Et puis, pourquoi songer à vous marier, pour être malheureuse ?
— Je ne le serai jamais plus qu’à présent, ma mère. Sa mère haussa les épaules, et lui tourna le dos.
Le lendemain matin, aussitôt le soleil levé, Yvonne se rendit, comme à l’ordinaire, à la grand’lande, avec ses vaches et ses moutons. Elle rencontra, au même endroit que la veille, le beau jeune homme, qui lui demanda encore :
— Eh bien ! Mon enfant, voulez-vous être ma femme ?
— Je le veux bien, répondit-elle, en rougissant.
— Alors, je vais vous accompagner jusque chez vos parents, pour demander leur consentement.
Et il alla avec elle chez ses parents. Le père et la mère et les frères aussi furent étonnés de voir un si beau prince, et si richement paré, vouloir épouser la pauvre bergère, et personne ne songea à dire non.
— Mais, qui êtes-vous aussi ? demanda pourtant la mère.
— Vous le saurez, le jour du mariage, répondit le prince.
On fixa un jour pour la cérémonie et le prince partit, alors, laissant tout le monde dans le plus grand étonnement, et l’on s’occupa des préparatifs de la noce.
Au jour convenu, le prince vint, avec un garçon d’honneur presque aussi beau que lui. Ils étaient montés sur un beau char doré, attelé de quatre magnifiques chevaux blancs ; et ils étaient si parés et si brillants, eux et leur char et leurs chevaux, qu’ils éclairaient tout, sur leur passage, comme le soleil.
Les noces furent célébrées avec beaucoup de pompe et de solennité, et, en se levant de table, le prince dit à la nouvelle mariée de monter sur son char, pour qu’il la conduisît à son palais. Yvonne demanda un peu de répit, afin d’emporter quelques vêtements.
— C’est inutile, lui dit le prince, vous en trouverez à discrétion, dans mon palais.
Et elle monta sur le char, à côté de son mari. Au moment de partir, ses frères demandèrent :
— Quand nous voudrons faire visite à notre soeur, où pourrons-nous la voir ?
— Au Château de Cristal, de l’autre côté de la Mer Noire, répondit le prince. Et il partit aussitôt.
Environ un an après, comme les six frères n’avaient aucune nouvelle de leur sœur, et qu’ils étaient curieux de savoir comment elle se trouvait avec son mari, ils résolurent d’aller à sa recherche. Les cinq aînés montèrent donc sur de beaux chevaux et se mirent en route. Leur jeune frère Yvon voulut aussi les accompagner, mais ils le forcèrent à rester à la maison.
Ils marchaient, ils marchaient, toujours du côté du soleil levant, et demandant partout des nouvelles du Château de Cristal. Mais, personne ne savait où se trouvait le Château de Cristal. Enfin, après avoir parcouru beaucoup de pays, ils arrivèrent un jour sur la lisière d’une grande forêt, qui avait au moins cinquante lieues de circonférence. Ils demandèrent à un vieux bûcheron qu’ils rencontrèrent s’il ne pouvait pas leur indiquer la route pour aller au Château de Cristal. Le bûcheron leur répondit : — Il y a dans la forêt une grande allée que l’on appelle l’allée du Château de Cristal, et peut-être conduit-elle au château dont vous parlez, car je n’y suis jamais allé.
Les cinq frères entrèrent dans la forêt. Ils n’étaient pas allés loin, qu’ils entendirent un grand bruit, au-dessus de leurs têtes, comme d’un orage passant sur les cimes des arbres, avec du tonnerre et des éclairs. Ils en furent effrayés, et leurs chevaux aussi, au point qu’ils eurent beaucoup de peine à les maintenir. Mais, le bruit et les éclairs cessèrent bientôt, et ils continuèrent leur route. La nuit approchait, et ils étaient inquiets, car la forêt abondait en bêtes fauves de toute sorte. Un
d’eux monta sur un arbre, pour voir s’il n’apercevrait pas le Château de Cristal, ou quelque autre habitation.
— Que vois-tu ? Lui demandèrent ses frères, d’en bas.
— Je ne vois que du bois, du bois…. de tous les côtés, au loin, au loin !…
Il descendit de l’arbre, et ils se remirent en marche. Mais, la nuit survint, et ils ne voyaient plus pour se diriger dans la forêt. Un d’eux monta encore sur un arbre.
— Que vois-tu ? Lui demandèrent ses frères.
— Je vois un grand feu, là-bas !
— Jette ton chapeau dans la direction du feu, et descends.
Et ils se remirent en route, dans la direction où était le feu, persuadés qu’il devait y avoir là quelque habitation humaine. Mais, bientôt ils entendirent encore un grand bruit, au-dessus de leurs têtes, beaucoup plus grand que la première fois. Les arbres s’entrechoquaient et craquaient, et des branches cassées et des éclats de bois tombaient à terre, de tous côtés. Et du tonnerre ! Et des éclairs !… c’était effrayant !… Puis, tout d’un coup, le silence se rétablit, et la nuit redevint calme et sereine.
Ils reprirent leur marche, et arrivèrent au feu qu’ils cherchaient. Une vieille femme, aux dents longues et branlantes, et toute barbue, l’entretenait, en y jetant force bois. Ils s’avancèrent jusqu’à elle, et l’aîné d’entre eux lui parla de la sorte :
— Bonsoir, grand’mère ? Pourriez-vous nous enseigner le chemin pour aller au Château de Cristal ?
— Oui vraiment, mes enfants, je sais où est le Château de Cristal, répondit la vieille ; mais, attendez ici jusqu’à ce que mon fils aîné soit rentré, et celui-là vous donnera des nouvelles toutes fraîches du Château de Cristal, car il y va tous les jours. Il est en voyage, pour le moment, mais, il ne tardera pas à rentrer. Peut-être même l’avez-vous vu, dans la forêt ?
— Nous n’avons vu personne, dans la forêt, grand’mère.
— Vous avez dû l’entendre, alors, car on l’entend ordinairement où il passe, celui-là….Tenez ! Le voilà qui arrive : l’entendez-vous ?
Et ils entendirent, en effet, un vacarme pareil à celui qu’ils avaient entendu deux fois, dans la forêt, mais plus effrayant encore.
— Cachez-vous, vite, là, sous les branches d’arbres, leur dit la vieille, car mon fils, quand il rentre, a toujours grand’faim, et je crains qu’il ne veuille vous manger.
Les cinq frères se cachèrent de leur mieux, et un géant descendit du ciel, et, dès qu’il eut touché la terre, il se mit à flairer l’air et dit :
— Il y a ici odeur de chrétien, mère, et il faut que j’en mange, car j’ai grand’faim !
La vieille prit un gros bâton, et, le montrant au géant : — « Vous voulez toujours tout manger, vous ! Mais, gare à mon bâton, si vous faites le moindre mal à mes neveux, les fils de ma sœur, des enfants si gentils et si sages, qui sont venus me voir. »
Le géant trembla de peur, à la menace de la vieille, et promit de ne pas faire de mal à ses cousins.
Alors, la vieille dit aux cinq frères qu’ils pouvaient se montrer, et les présenta à son fils, qui dit :
— Ils sont bien gentils, c’est vrai, mes cousins, mais, comme ils sont petits, mère !
Enfin, en leur qualité de cousins, il voulut bien ne pas les manger.
— Non seulement vous ne leur ferez pas de mal, mais, il faut encore que vous leur rendiez service, lui dit sa mère.
— Quel service faut-il donc que je leur rende ?
— Il faut que vous les conduisiez au Château de Cristal, où ils veulent aller voir leur sœur.
— Je ne puis pas les conduire jusqu’au Château de Cristal, mais, je les conduirai volontiers un bon bout de chemin, et les mettrai sur la bonne voie.
— Merci, cousin, nous n’en demandons pas davantage, dirent les cinq frères.
— Eh bien ! Couchez-vous là, près du feu, et dormez, car il faut que nous partions demain matin, de bonne heure. Je vous éveillerai, quand le moment sera venu.
Les cinq frères se couchèrent dans leurs manteaux, autour du feu, et feignirent de dormir ; mais, ils ne dormaient pas, car ils n’osaient pas trop se fier à la promesse de leur cousin le géant. Celui-ci se mit, alors, à souper, et il avalait un mouton à chaque bouchée.
Vers minuit, il éveilla les cinq frères et leur dit :
— Allons ! Debout, cousins ; il est temps de partir !
Il étendit un grand drap noir sur la terre, près du feu, et dit aux cinq frères de se mettre dessus, montés sur leurs chevaux. Ce qu’ils firent. Alors, le géant entra dans le feu, et sa mère y jeta force bois, pour l’alimenter. A mesure que le feu augmentait, les frères entendaient s’élever graduellement un bruit pareil à celui qu’ils avaient entendu dans la forêt, en venant, et, peu à peu, le drap sur lequel ils étaient se soulevait de terre, avec eux et leurs chevaux. Quand les habits du géant furent consumés, il s’éleva dans l’air, sous la forme d’une énorme boule de feu. Le drap noir s’éleva aussi à sa suite, emportant les cinq frères et leurs chevaux, et les voilà de voyager ensemble, à travers Pair. Au bout de quelque temps, le drap noir, avec les cinq, frères et leurs chevaux, fut déposé sur une grande plaine. Une moitié de cette plaine était aride et brûlée, et l’autre moitié était fertile et couverte d’herbe haute et grasse. Dans la partie aride et brûlée de la plaine, il y avait un troupeau de chevaux, gras, luisants et pleins
d’ardeur ; au contraire, dans la partie où l’herbe était abondante et grasse, on voyait un autre troupeau de chevaux maigres, décharnés et se soutenant à peine sur leurs jambes. Et ils se battaient et cherchaient à se manger réciproquement.
Le géant, ou la boule de feu, avait poursuivi sa route, après avoir déposé les frères sur cette plaine, et il leur avait
dit :
— Vous êtes là sur la bonne voie pour aller au Château de Cristal ; tâchez de vous en tirer, à présent, de votre mieux, car je ne puis vous conduire plus loin.
Leurs chevaux étaient morts en touchant la terre, de sorte qu’ils se trouvaient, à présent, à pied. Ils essayèrent d’abord de prendre chacun un des beaux chevaux qu’ils voyaient dans la partie aride de la plaine ; mais, ils ne purent jamais en venir à bout. Ils se rabattirent, alors, sur les chevaux maigres et décharnés, en prirent chacun un, et montèrent dessus. Mais, les chevaux les emportèrent parmi les ajoncs et les broussailles qui couvraient une partie de la plaine, et les jetèrent à terre, tout meurtris et sanglants. Les voilà bien embarrassés ! Que faire ?
— Retournons à la maison, nous n’arriverons jamais à ce château maudit, dit un d’eux.
— C’est, en effet, ce que nous avons de mieux à faire, répondirent les autres.
Et ils retournèrent sur leurs pas ; mais, ils évitèrent de repasser par l’endroit où ils avaient rencontré la vieille femme qui entretenait le feu, et le géant son fils.
Ils arrivèrent enfin à la maison, après beaucoup de mal et de fatigue, et racontèrent tout ce qui leur était arrivé, dans leur voyage. Leur jeune frère Yvon était, selon son ordinaire, assis sur un galet rond, au coin du foyer, et, quand il entendit le récit de leurs aventures et tout le mal qu’ils avaient eu, sans pourtant réussir à voir leur sœur, il dit :
— Moi, je veux aussi tenter l’aventure, à mon tour, et, je ne reviendrai pas à la maison sans avoir vu ma sœur Yvonne.
— Toi, imbécile ! Lui dirent ses frères, en haussant les épaules.
— Oui, moi, et je verrai ma sœur Yvonne, vous dis-je, en quelque lieu qu’elle soit.
On lui donna un vieux cheval fourbu, une vraie rosse, et il partit, seul.
Il suivit la même route que ses frères, se dirigeant toujours du côté du soleil levant, arriva aussi à la forêt et, à l’entrée de l’avenue du Château de Cristal, il rencontra une vieille femme qui lui demanda :
— Où allez-vous ainsi, mon enfant ?
— Au Château de Cristal, grand’mère, pour voir ma sœur.
— Eh bien ! Mon enfant, n’allez pas par ce chemin-là, mais par celui-ci, jusqu’à ce que vous arriviez à une grande plaine ; alors, vous suivrez la lisière de cette plaine, jusqu’à ce que vous voyiez une route dont la terre est noire. Prenez cette route-là, et, quoi qu’il arrive, quoi que vous puissiez voir ou entendre, quand bien même le chemin serait plein de feu, ne vous effrayez de rien, marchez toujours droit devant vous, et vous arriverez au Château de Cristal, et vous verrez votre sœur.
— Merci, grand’mère, répondit Yvon, et il s’engagea dans le chemin que lui montra la vieille.
Il arriva, sans tarder, à la plaine dont elle lui avait parlé, et la côtoya tout du long, jusqu’à ce qu’il vît la route à la terre noire. Il voulut la prendre, suivant le conseil de la vieille, mais, elle était remplie, à l’entrée, de serpents entrelacés, de sorte qu’il eut peur et hésita un moment. Son cheval lui-même reculait d’horreur, quand il voulait le pousser dans ce chemin. Comment faire ? Se dit-il ; on m’a pourtant dit qu’il fallait passer par là !
Il enfonça ses éperons dans les flancs de son cheval, et il entra dans la route aux serpents et à la terre noire. Mais, aussitôt, les serpents s’enroulèrent autour des jambes de l’animal, le mordirent, et il tomba mort sur la place. Voilà le pauvre Yvon à pied, au milieu de ces hideux reptiles, qui sifflaient et se dressaient menaçants autour de lui. Mais, il ne perdit pas courage pour cela ; il continua de marcher, et arriva enfin à l’autre extrémité de la route, sans avoir éprouvé aucun mal. Il en fut quitte pour la peur.
Il se trouva, alors, au bord d’un grand étang, et il ne voyait aucune barque pour passer de l’autre côté, et il ne savait pas nager, de sorte qu’il était encore fort embarrassé. — « Comment faire ? Se disait-il ; je ne veux pourtant pas retourner sur mes pas ; j’essayerai de passer, arrive que pourra. »
Et il entra résolument dans l’eau. Il en eut d’abord jusqu’aux genoux, puis jusqu’aux aisselles, puis jusqu’au menton, et enfin par-dessus la tête. Il continua d’avancer, malgré tout, et finit par arriver, sans mal, de l’autre côté de l’étang.
En sortant de l’eau, il se trouve à l’entrée d’un chemin profond, étroit et sombre et rempli d’épines et de ronces qui allaient d’un bord à l’autre de la route, et avaient racine en terre des deux bouts. — « Je ne pourrai jamais passer par là, se disait-il. » Il ne désespéra pourtant pas. Il se glissa, à quatre pattes, par-dessous les ronces, rampa comme une couleuvre et finit par passer. Dans quel état, hélas ! Son corps était tout déchiré et tout sanglant, et il n’avait plus le moindre lambeau de vêtement sur lui. Mais, il avait passé, malgré tout.
Un peu plus loin, il vit venir à lui, au grand galop, un cheval maigre et décharné. Le cheval, arrivé près de lui, s’arrêta comme pour l’inviter à monter sur son dos. Il reconnut alors que c’était son propre cheval, qu’il avait cru mort. Il lui témoigna beaucoup de joie de le retrouver en vie, et monta sur son dos en lui disant : — « Mille bénédictions sur toi, mon pauvre animal, car je suis rendu de fatigue. Je n’en puis plus. »
Ils continuèrent leur route, et arrivèrent alors à un endroit où il y avait un grand rocher, placé sur deux autres grands rochers. Le cheval frappa du pied le rocher de dessus, qui bascula aussitôt et laissa voir l’entrée d’un souterrain, et il entendit une voix qui en sortit, et dit : — « Descends de ton cheval, et entre. »
Il obéit à la voix, descendit de cheval et entra dans le souterrain. Il fut d’abord suffoqué par une odeur insupportable, une odeur de reptiles venimeux de toute sorte. Le souterrain était, de plus, fort obscur, et il ne pouvait avancer qu’à tâtons. Au bout de quelques moments, il entendit derrière lui un vacarme épouvantable, comme si une légion de démons s’avançait sur lui. Il faudra, sans doute, mourir ici, pensa-t-il. Il continua, pourtant, d’avancer de son mieux. Il vit enfin poindre devant lui une petite lumière, et cela lui donna du courage. Le vacarme allait toujours croissant, derrière lui, et approchant. Mais, la lumière aussi grandissait, à mesure qu’il s’avançait vers elle. Enfin, il sortit sain et sauf du souterrain…
Il se trouva alors dans un carrefour, et il fut encore embarrassé. Quel chemin prendre ? Il suivit celui qui faisait face au souterrain, et continua d’aller tout droit devant lui. Il y avait beaucoup de barrières sur ce chemin, hautes et difficiles à franchir. Ne pouvant les ouvrir, il grimpait sur les poteaux, et passait par-dessus. La route allait, à présent, en descendant, et, à l’extrémité, tout lui paraissait être de cristal. Il voyait un château de cristal, un ciel de cristal, un soleil de cristal, enfin tout ce qu’il voyait était de cristal. — « C’est dans un château de cristal qu’on m’a dit que ma sœur demeure, et j’approche, sans doute, du terme de mon voyage et de mes peines, car voilà bien un château de cristal, » — se dit-il avec joie.
Le voilà près du château. Il était si beau, si resplendissant de lumière, que ses yeux en étaient éblouis. Il entra dans la cour. Comme tout était beau et brillant, par-là ! Il voit un grand nombre de portes sur le château ; mais, elles sont toutes fermées. Il parvient à se glisser dans une cave, par un soupirail, puis, de là, il monte et se trouve dans une grande salle, magnifique et resplendissante de lumière. Six portes donnent sur cette salle, et elles s’ouvrent d’elles-mêmes, dès qu’il les touche. De cette première salle, il passe dans une seconde, plus belle encore. Trois autres portes sont à la suite les unes des autres, donnant sur trois autres salles, toutes plus belles les unes que les autres. Dans la dernière salle, il voit sa sœur endormie sur un beau lit. Il reste quelque temps à la regarder, immobile d*admiration, tant il la trouve belle. Mais, elle ne s’éveillait pas, et le soir vint. Alors, il entend comme le bruit des pas de quelqu’un qui vient et fait résonner des grelots, à chaque pas. Puis, il voit entrer un beau jeune homme, qui va droit au lit sur lequel était couchée Yvonne, et lui donne trois soufflets retentissants. Pourtant, elle ne s’éveille ni ne bouge. Alors, le beau jeune homme se couche aussi sur le lit, à côté d’elle. Voilà Yvon bien embarrassé, ne sachant s’il doit s’en aller ou rester. Il se décide à rester, car il lui paraît que cet homme traite sa sœur d’une singulière façon. Le jeune mari s’endort aussi à côté de sa femme. Ce qui étonne encore Yvon, c’est qu’il n’entend pas le moindre bruit dans le château, et qu’il paraît qu’on n’y mange pas. Lui-même, qui était arrivé avec un grand appétit, n’en a plus du tout, à présent. La nuit se passe dans le plus profond silence. Au point du jour, le mari d’Yvonne s’éveille et donne encore à sa femme trois soufflets retentissants. Mais, elle ne paraît pas s’en apercevoir, et ne s’éveille toujours pas. Puis il part aussitôt.
Tout cela étonnait fort Yvon, toujours silencieux, dans son coin. Il craignait que sa sœur ne fût morte. Il se décida enfin, pour s’en assurer, à lui donner un baiser. Elle s’éveilla alors, ouvrit les yeux et s’écria, en voyant son frère près d’elle :
— Oh ! Que j’ai de joie de te revoir, mon frère chéri !
Et ils s’embrassèrent tendrement. Alors Yvon demanda à Yvonne :
— Et ton mari, où est-il, sœur chérie ?
— Il est parti en voyage, frère chéri.
— Est-ce qu’il y a longtemps qu’il n’a pas été à la maison ?
— Non, vraiment, il n’y a pas longtemps, frère chéri ; il vient de partir, il n’y a qu’un moment.
— Comment, est-ce que tu ne serais pas heureuse avec lui, ma pauvre sœur ?
— Je suis très heureuse avec lui, frère chéri.
— Je l’ai pourtant vu te donner trois bons soufflets, hier soir, en arrivant, et trois autres, ce matin, avant de partir.
— Que dis-tu là, frère chéri ? Des soufflets !… C’est des baisers qu’il me donne, le soir et le matin.
— De singuliers baisers, ma foi ! Mais, puisque tu ne t’en plains pas, après tout… Comment, mais on ne mange donc jamais ici ?
— Depuis que je suis ici, mon frère chéri, je n’ai jamais éprouvé ni faim, ni soif, ni froid, ni chaud, ni aucun besoin, ni aucune contrariété. Est-ce que tu as faim, toi ?
— Non, vraiment, et c*est ce qui m’étonne. Est-ce qu’il n’y a que toi et ton mari dans ce beau château ?
— Oh ! Si. Nous sommes nombreux ici, mon frère chéri. Quand je suis arrivée, j’ai vu tous ceux qui y sont ; mais, depuis, je ne les ai jamais revus, parce que je leur avais parlé, quoiqu’on me l’eût défendu.
Ils passèrent la journée ensemble, à se promener par le château et à causer de leurs parents, de leur pays et d’autres choses. Le soir, le mari d’Yvonne arriva, à son heure ordinaire. Il reconnut son beau-frère, et témoigna de la joie de le revoir.
— Vous êtes donc venu nous voir, beau-frère ? Lui dit-il.
— Oui, beau-frère, et ce n’est pas sans beaucoup de mal.
— Je le crois, car tout le monde ne peut pas venir jusqu’ici ; mais, vous retournerez à la maison plus facilement : je vous ferai passer les mauvais chemins.
Yvon resta quelques’ jours avec sa sœur. Son beau-frère partait, tous les matins, sans dire où il allait, et était absent durant tout le jour. Yvon, intrigué par cette conduite, demanda, un jour, à sa sœur :
— Où donc va ton mari ainsi, tous les matins ? Quel métier a-t-il aussi ?
— Je ne sais pas, mon frère chéri ; il ne m’en a jamais rien dit. Il est vrai que je ne le lui ai pas demandé aussi.
— Eh bien ! Moi, j’ai envie de lui demander de me permettre de l’accompagner, car je suis curieux de savoir où il va ainsi, tous les jours.
— Oui, demande-le-lui, mon frère chéri.
Le lendemain matin, au moment où le mari d’Yvonne s’apprêtait à partir, Yvon lui dit :
— Beau-frère, j’ai envie de vous accompagner, aujourd’hui, dans votre tournée, pour voir du pays, et prendre l’air ?
— Je le veux bien, beau-frère ; mais, à la condition que vous ferez tout comme je vous dirai.
— Je vous promets, beau-frère, de vous obéir en toute chose.
— Écoutez-moi bien, alors : il faudra, d’abord, ne toucher à rien et ne parler qu’à moi seul, quoi que vous voyiez ou entendiez.
— Je vous promets de ne toucher à rien et de ne parler qu’à vous seul.
— C’est bien ; partons, alors.
Et ils partirent de compagnie du Château de Cristal. Ils suivirent d’abord un sentier étroit, où ils ne pouvaient marcher tous les deux de front. Le mari d’Yvonne marchait devant, et Yvon le suivait de près. Ils arrivèrent ainsi à une grande plaine sablonneuse, aride et brûlée. Et, pourtant, il y avait là des bœufs et des vaches gras et luisants, qui ruminaient tranquillement couchés sur le sable et qui paraissaient heureux. Cela étonna fort Yvon ; mais, il ne dit mot, pourtant.
Plus loin, ils arrivèrent à une autre plaine où l’herbe était abondante, haute et grasse, et, pourtant, il y avait là des vaches et des bœufs maigres et décharnés, et ils se battaient et beuglaient à faire pitié. Yvon trouva tout cela bien étrange encore, et il demanda à son beau-frère :
— Que signifie donc ceci, beau-frère ? Jamais je n’ai vu pareille chose : des vaches et des bœufs de bonne mine et luisants de graisse, là où il n’y a que du sable et des pierres, tandis que, dans cette belle prairie, où ils sont dans l’herbe jusqu’au ventre, vaches et bœufs sont d’une maigreur à faire pitié, et paraissent près de mourir de faim.
— Voici ce que cela signifie, beau-frère. Les vaches et les bœufs gras et luisants, dans la plaine aride et sablonneuse, ce sont les pauvres qui, contents de leur sort et de la condition que Dieu leur a faite, ne convoitent pas le bien d’autrui ; et les vaches et les bœufs maigres, dans la prairie où ils ont de l’herbe jusqu’au ventre, et qui se battent continuellement et paraissent près de mourir de faim, ce sont les riches, qui ne sont jamais satisfaits de ce qu’ils ont et cherchent toujours à amasser du bien, aux dépens des autres, se querellant et se battant constamment.
Plus loin, ils virent, au bord d’une rivière, deux arbres qui s’entrechoquaient et se battaient avec tant d’acharnement qu’il en jaillissait au loin des fragments d’écorce et des éclats de bois. Yvon avait un bâton à la main, et, quand il fut près des deux arbres, il interposa son bâton entre les deux combattants, en leur disant :
— Qu’avez-vous donc à vous maltraiter de la sorte ? Cessez de vous faire du mal, et vivez en paix.
A peine eut-il prononcé ces paroles, qu’il fut étonné de voir les deux arbres se changer en deux hommes, mari et femme, qui lui parlèrent ainsi :
— Notre bénédiction sur vous ! Voici trois cents ans passés que nous nous battions ainsi, avec acharnement, et personne n’avait pitié de nous, ni ne daignait nous adresser la parole. Nous sommes deux époux qui nous disputions et nous battions constamment, quand nous étions sur la terre, et, pour notre punition, Dieu nous avait condamnés à continuer de nous battre encore ici, jusqu’à ce que quelque âme charitable eût pitié de nous, et nous adressât une bonne parole. Vous avez mis fin à notre supplice, en agissant et en parlant comme vous l’avez fait, et nous allons, à présent, au paradis, où nous espérons vous revoir, un jour.
Et les deux époux disparurent aussitôt.
Alors Yvon entendit un vacarme épouvantable, des cris, des imprécations, des hurlements, des grincements de dents, des bruits de chaînes… C’était à glacer le sang dans les veines.
— Que signifie ceci ? demanda-t-il à son beau-frère.
— Ici, nous sommes à l’entrée de l’enfer ; mais, nous ne pouvons pas aller plus loin ensemble, car vous m’avez désobéi. Je vous avais bien recommandé de ne toucher et de n’adresser la parole à nul autre que moi, durant notre voyage, et vous avez parlé et touché aux deux arbres qui se battaient, au bord de la rivière. Retournez auprès de votre sœur, et moi, je vais continuer ma route. Je rentrerai à mon heure ordinaire, et alors, je vous mettrai sur le bon chemin pour retourner chez vous. »
Et Yvon s’en retourna au Château de Cristal, seul et tout confus, pendant que son beau-frère continuait sa route.
Quand sa sœur le vit revenir :
— Te voilà déjà de retour, mon frère chéri ? Lui dit-elle.
— Oui, ma sœur chérie, répondit-il, tout triste.
— Et tu reviens seul ?
— Oui, je reviens seul.
— Tu auras, sans doute, désobéi en quelque chose à mon mari ?
— Oui, j’ai parlé et touché à deux arbres qui se battaient avec acharnement, au bord d’une rivière, et alors ton mari m’a dit qu’il fallait m’en retourner au château.
— Et, comme cela, tu ne sais pas où il va ?
— Non, je ne sais pas où il va.
Vers le soir, le mari d’Yvonne rentra, à son heure habituelle, et dit à Yvon :
— Vous m’avez désobéi, beau-frère ; vous avez parlé et touché, malgré ma recommandation et malgré votre promesse de n’en rien faire, et, à présent, il vous faut retourner encore un peu dans votre pays, pour voir vos parents ; vous reviendrez ici, sans tarder, et ce sera alors pour toujours.
Yvon fit ses adieux à sa sœur. Son beau-frère le mit alors sur le bon chemin pour s’en retourner dans son pays, et lui dit :
— Allez, à présent, sans crainte, et au revoir, car vous reviendrez, sans tarder.
Yvon chemine par la route où l’a mis son beau-frère, un peu triste de s’en retourner ainsi, et rien ne vient le contrarier, durant son voyage. Ce qui l’étonné le plus, c’est qu’il n’a ni faim, ni soif, ni envie de dormir. A force de marcher, sans jamais s’arrêter, ni de jour ni de nuit, — car il ne se fatiguait pas non plus, — il arrive enfin dans son pays. Il se rend à l’endroit où il s’attend à retrouver la maison de son père, et est bien étonné d’y trouver une prairie avec des hêtres et des chênes fort vieux.
— C’est pourtant ici, ou je me trompe fort, se disait-il.
Il entre dans une maison, non loin de là, et demande où demeure Iouenn Dagorn, son père.
— Iouenn Dagorn ?… Il n’y a personne de ce nom par ici, lui répond-on.
Cependant un vieillard, qui était assis au foyer, dit :
— J’ai entendu mon grand-père parler d’un Iouenn Dagorn ; mais, il y a bien longtemps qu’il est mort, et ses enfants et les enfants de ses enfants sont également tous morts, et il n’y a plus de Dagorn dans le pays.
Le pauvre Yvon fut on ne peut plus étonné de tout ce qu’il entendait, et, comme il ne connaissait plus personne|dans le pays et que personne ne le connaissait, il se dit qu’il n’avait plus rien à y faire, et que le mieux était de suivre ses parents où ils étaient allés. Il se rendit donc au cimetière et vit là leurs tombes, dont quelques-unes dataient déjà de trois cents ans.
Alors, il entra dans l’église, y pria du fond de son coeur, puis mourut sur la place, et alla, sans doute, rejoindre sa sœur, au Château de Cristal (1).


(1) Ce conte et les trois qui précèdent pourraient fournir matière à d’intéressants commentaires, que l’économie matérielle de notre publication m’interdit ici.


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Antoine_de_cosne
Voici la suite de ces légendes, avec celle-ci qui est fort belle.
Elle se situe toujours dans "Le cycle du soleil"...nous comprenons ici pourquoi !
Voici donc "La princesse de Trokonlaine" !





Il y avait, une fois, un vieux charbonnier qui avait fait faire vingt-cinq baptêmes. Il ne trouvait plus de parrain pour le vingt-sixième enfant qui venait de lui naître. Il trouvait bien une marraine. Comme il allait à la recherche d’un parrain, il rencontra un beau carrosse, dans lequel il y avait un roi. Il s’agenouilla sur la route, son chapeau à la main. Le roi, en le voyant, descendit de son carrosse et lui donna une pièce de deux écus.
— Sauf votre grâce, sire, lui dit le charbonnier, ce n’est pas l’aumône que je cherche, mais bien un parrain pour mon dernier enfant, qui vient de naître, et je n’en trouve point.
— Pourquoi donc cela ? demanda le roi.
— C’est que, sire, j’ai déjà fait faire vingt-cinq baptêmes, et tous mes voisins ont été compères chez moi. Je trouve bien une marraine.
— Eh bien ! reprit le roi, retournez chez vous ; venez à l’église avec l’enfant et la marraine, et je serai le parrain, moi.
Et le vieux charbonnier s’en retourna à sa hutte, tout joyeux. On avertit la marraine, et ils se rendirent à l’église avec l’enfant. Le roi y était déjà à les attendre.
Quand le baptême fut terminé, le parrain donna mille écus au père pour élever son filleul et l’envoyer à l’école. Il lui donna encore une moitié de platine pour remettre à l’enfant, qui la lui rapporterait quand il aurait atteint l’âge de dix-huit ans. Puis il partit.
L’enfant avait été nommé Charles.
A l’âge de sept ou huit ans, on envoya Charles à l’école, et il apprenait tout ce qu’il voulait. Parvenu à l’âge de dix-huit ans, son père lui remit la moitié de platine et lui dit d’aller voir son parrain, le roi de France, à sa cour, à Paris. Le jeune homme partit, monté sur un beau cheval, et ayant dans sa poche sa moitié de platine. Il avait vraiment bonne mine. Il rencontra, dans un chemin creux et étroit, une petite vieille femme, qui lui dit qu’un peu plus loin il verrait, auprès d’une fontaine, un individu qui l’inviterait à boire ; — « mais, poursuivez votre route, mon fils, et ne buvez pas, quelque insistance qu’il y mette. »
— C’est bien, grand’mère, je ne boirai pas de l’eau de la fontaine, dit Charles.
Quand il arriva à la fontaine, il vit l’individu assis à l’ombre, comme un voyageur qui se repose un instant, et il lui dit :
— Jeune homme, venez boire un peu d’eau.
— Merci ! Je n’ai pas soif, répondit-il.
— Venez boire une goutte seulement, vous n’avez jamais bu d’aussi bonne eau.
Il insista tant, qu’il s’approcha pour goûter l’eau de la fontaine. Mais, s’étant mis à genoux, pour boire à môme le bassin, l’inconnu lui prit sa moitié de platine dans sa poche, sauta sur son cheval et partit au galop. Charles courut après lui ; mais, hélas ! il ne put l’atteindre, et bientôt il perdit de vue l’homme et le cheval.
— Hélas ! se dit-il, je n’ai pas obéi au conseil de la vieille femme. Que faire, maintenant ? N’importe ! j’irai à pied ; tôt ou tard, j’arriverai aussi à Paris, et alors nous verrons.
Et il se remit en route.
Quand l’homme de la fontaine, le voleur, arriva à Paris, il demanda aussitôt à parler au roi, et lui présenta sa moitié de platine. On rapprocha les deux moitiés, et l’on trouva qu’elles se ressemblaient et s’ajustaient parfaitement ; si bien que le drôle fut le bienvenu auprès du roi, qui le prenait pour son filleul, et il n’avait rien à faire tous les jours que manger, boire, faire bonne chère et se promener.
Quelque temps après, Charles arriva aussi. On le prit au palais comme pâtre. Le faux filleul, voyant cela, eut peur, et chercha les moyens de se défaire de lui et de le perdre. Il dit un jour au roi :
— Si vous saviez, mon parrain, ce que le gardeur de moutons a dit ?
— Qu’a-t-il dit ? demanda le roi.
— Ce qu’il a dit ? Il a dit qu’il était homme à aller demander au Soleil pourquoi il est si rouge, le matin, quand il se lève.
— Bah ! ce n’est pas possible, à moins qu’il n’ait perdu la tête.
— Il l’a dit, sur ma foi, mon parrain, et je pense qu’il serait bon de l’y envoyer.
On appela le gardeur de moutons auprès du roi.
— Comment ! jeune pâtre, vous avez dit que vous êtes homme à aller demander au Soleil pourquoi il est si rouge, quand il se lève, le matin ?
— Moi, mon roi ? Comment aurais-je pu dire pareille chose ?
— Vous l’avez dit, car mon filleul me Ta assuré ; il faut que vous accomplissiez ce dont vous vous êtes vanté, sinon il n’y a que la mort pour vous. Vous partirez demain matin.
Voilà le pauvre Charles bien embarrassé, je vous prie de le croire. Il ne dormit goutte de toute la nuit.
Le lendemain matin, avant de se mettre en route, il fit le signe de la croix, et dit : « A la grâce de Dieu ! »
Il se dirigea vers le levant. Il n’était pas allé loin encore qu’il rencontra un vieillard à barbe blanche, qui lui dit :
— Où allez-vous comme cela, mon fils, et pourquoi êtes-vous si triste ?
— Ma foi, grand-père, où je vais, je ne le sais guère ; et, si je suis triste, ce n’est pas sans motif. Le roi m’a ordonné d’aller demander au Soleil pourquoi il est si rouge, quand il se lève, le matin.
— Eh bien ! mon garçon, faites exactement comme je vous dirai, et vous pourrez réussir. Voici un cheval de bois ; montez dessus, et il vous portera au pays où le Soleil se lève. Vous arriverez au pied d’une montagne très haute ; vous descendrez alors, vous laisserez votre cheval au pied de la montagne et vous monterez jusqu’au sommet. Là, vous verrez un beau château. C’est le château du Soleil. Vous n’aurez qu’à entrer et faire votre commission.
— Merci, grand-père.
Charles monta sur le cheval de bois, qui s’éleva avec lui en l’air, et ils se trouvèrent bientôt au pied de la haute montagne. Charles la gravit seul jusqu’au sommet. Il aperçut alors le palais du Soleil, y entra sans obstacle et demanda :
— Le Soleil est-il à la maison ?
— Non, lui répondit une vieille femme, qui se trouvait là, — sa mère, sans doute ; — que lui voulez-vous ?
— J’ai besoin de lui parler, grand’mère.
— Eh bien ! si vous voulez attendre un peu, il arrivera sans tarder. Mais, mon pauvre enfant, mon fils aura grand’faim, quand il arrivera, et il voudra vous manger. Restez tout de même, car votre mine me plaît, et je l’empêcherai de vous faire du mal.
Bientôt après arriva le Soleil, en criant :
— J’ai faim ! j’ai grand’faim ! ma mère.
— C’est bien, asseyez-vous là, mon fils, et je vais vous donner à manger, lui dit la vieille.
— Je sens l’odeur de chrétien, mère, et il faut que je le mange ! s’écria le Soleil, un instant après.
— Eh bien ! par exemple, si vous croyez que je vais vous laisser manger cet enfant, vous vous trompez joliment ! Voyez quel charmant garçon !
— Qu’es-tu venu faire ici ? demanda le Soleil à Charles.
— On m’a commandé, Monseigneur le Soleil, de venir vous demander pourquoi vous êtes si rouge, le matin, quand vous vous levez.
— Eh bien ! je ne te ferai pas de mal, car ta mine me plaît, et je t’apprendrai même ce que tu désires savoir. La Princesse de Tronkolaine demeure là, dans un château voisin du mien, et il me faut, tous les matins, me montrer dans toute ma splendeur, quand je passe au-dessus de sa demeure, pour n’être pas vaincu par elle en beauté.
Le lendemain, le Soleil se leva de bon matin et commença sa tournée, comme d’habitude, et Charles partit aussitôt que lui. Descendu de la montagne, il retrouva son cheval de bois qui l’attendait. Il monta dessus et fut ramené en peu de temps à l’endroit où il avait rencontré le vieillard. Il était encore là qui l’attendait.
— Eh bien ! mon fils, lui dit-il, avez-vous réussi dans votre entreprise ?
— Oui, vraiment, grand-père, répondit Charles, et la bénédiction de Dieu soit sur vous !
— C’est bien ; quand vous aurez encore besoin de moi, appelez-moi et vous me reverrez.
Et aussitôt, il disparut, il ne sut comment.
Quand Charles revint au palais du roi, tout le monde était étonné de voir comme il était content et joyeux.
— Eh bien ! lui dit le roi, me diras-tu à présent pourquoi le Soleil est si rouge, le matin, quand il se lève ?
— Oui, sire, je vous le dirai.
— Et pourquoi donc ?
— C’est que, non loin du château du Soleil, se trouve celui de la Princesse de Tronkolaine, et il lui faut paraître, chaque matin, dans toute sa splendeur, quand il passe au-dessus du château, pour n’être pas éclipsé par elle.
— C’est bien, répondit le roi. Et il le renvoya à ses moutons.
Peu de temps après, le faux filleul dit encore au roi :
— Si vous saviez, parrain, ce que le gardeur de moutons a dit ?
— Et qu’a-t-il donc dit encore ?
— Ce qu’il a dit ? Il a dit qu’il est homme à vous amener ici la Princesse de Tronkolaine, pour que vous l’épousiez.
— Vraiment ? Dites-lui de venir me trouver, tout de suite.
Le pauvre Charles se rendit auprès du roi, fort inquiet.
— Comment ! jeune pâtre, vous avez dit être capable de m’amener ici la Princesse de Tronkolaine, pour être ma femme ?
— Comment aurais-je pu dire pareille chose, sire ? Il faudrait que j’eusse complètement perdu l’esprit pour parler ainsi.
— Vous vous en êtes vanté, et il faut que vous le fassiez, sinon il n’y a que la mort pour vous.
Le lendemain matin Charles se remit en route, triste et soucieux. « Si je rencontrais encore le vieillard de l’autre
fois ! » se disait-il en lui-même. A peine eut-il prononcé ces paroles, qu’il aperçut le vieillard qui venait à lui.
— Bonjour, mon fils, lui dit-il.
— A vous pareillement, grand-père.
— Où allez-vous ainsi, mon enfant ?
— Ma foi, grand-père, je n’en sais trop rien. Le roi m’a encore ordonné de lui amener à sa cour la Princesse de Tronkolaine, et je ne sais comment m’y prendre.
— C’est bien, mon garçon. Prenez d’abord cette baguette blanche. Retournez vers le roi, et dites-lui qu’il vous faut trois bateaux, dont un chargé de gruau, un autre de lard et le troisième, de viande salée. Le gruau sera pour le roi des fourmis, que vous trouverez dans une île, au milieu de la mer. Quand vous arriverez dans cette île, vous demanderez : — « N’est-ce pas ici que demeure le roi des fourmis ? — Si, vous dira-t-on.
— Eh bien, voici un cadeau que j’ai pour lui, » ajouterez-vous, en montrant le bateau chargé de gruau. Alors, arriveront toutes les fourmis de l’île, et, en un instant, elles videront le bateau.
— « Ma bénédiction soit avec toi ! vous dira alors le roi des fourmis, et si jamais tu as besoin de nous, appelle le roi des fourmis, et il arrivera aussitôt. » — Plus loin, vous trouverez une autre île, où demeure le roi des lions. Vous demanderez encore, en arrivant : — « N’est-ce pas ici que demeure le roi des lions ? — Si, vous sera-t-il répondu, c’est ici. » Et vous ajouterez : — « C’est que voici un cadeau que j’ai pour lui ; » — et vous montrerez le bateau chargé de lard. Alors, vous verrez arriver des lions, de tous les côtés de l’île, et, en un instant, le bateau sera vidé. Le roi des lions vous dira aussi : — « Ma bénédiction soit avec toi ! Si jamais tu as besoin de moi, tu n’auras qu’à appeler le roi des lions, et j’arriverai aussitôt. » — Enfin, vous arriverez ensuite dans une troisième île, où demeure le roi des éperviers. En y abordant, vous demanderez :
— « N’est-ce pas ici que demeure le roi des éperviers ? — Si, vous sera-t-il répondu, c’est ici. — C’est bien, ajouterez-vous, voici un cadeau que j’ai pour lui. » — Et vous montrerez le bateau chargé de viande salée. Aussitôt, arrivera le roi des éperviers, accompagné de ses sujets, et, en un instant, le bateau sera vidé. — « Ma bénédiction soit avec toi ! dira aussi le roi des éperviers, et si tu as jamais besoin de moi, tu n’auras qu’à appeler le roi des éperviers, et aussitôt j’arriverai. » — Le roi, votre parrain, vous fournira les trois bateaux chargés de gruau, de lard et de viande. Avant de vous embarquer, faites une croix avec votre baguette blanche sur le sable du rivage, et aussitôt soufflera un vent favorable pour vous conduire à votre destination. Prenez bien garde à faire tout exactement comme je vous ai dit, et vous réussirez.
— Merci, et ma bénédiction soit avec vous, grand-père, dit Charles.
Et il partit.
Voilà Charles en mer, avec ses trois bateaux. Il arrive dans la première île, où demeure le roi des fourmis, et il demande :
— N’est-ce pas ici que demeure le roi des fourmis ?
— Si, c’est ici, lui répond-on.
— Eh bien, voici un cadeau que j’ai pour lui ; allez lui dire, je vous prie, de venir le recevoir.
On avertit le roi des fourmis, et il vint aussitôt, accompagné d’une infinité de fourmis.
En un instant, le bateau fut vidé, et le roi dit alors :
— Ma bénédiction sur toi, Charles, filleul du roi de France. Tu nous as sauvés ; car la famine désolait mon royaume, et nous allions tous mourir de faim. Si jamais tu as besoin de moi et de mes sujets, tu n’auras qu’à appeler le roi des fourmis, et j’arriverai aussitôt.
Charles continua sa route, et, pour abréger, il arriva dans l’île où demeurait le roi des lions, puis dans celle où demeurait le roi des éperviers ; il fit exactement comme lui avait recommandé le vieillard, et tous lui promirent aide et protection, au besoin. Avant de s’éloigner de l’île des éperviers, il demanda à leur roi :
— Suis-je encore loin du palais de la Princesse de Tronkolaine ?
— Vous avez encore un bon bout de chemin à faire, lui répondit-on ; mais, vous y arriverez sans mal. Quand vous arriverez, vous verrez la princesse auprès d’une fontaine, occupée à peigner ses cheveux blonds, avec un peigne d’or et un démêloir d’ivoire. Prenez bien garde d’être aperçu d’elle, avant que vous l’ayez vue, car elle vous enchanterait. Elle sera sous un oranger, qui est au-dessus de la fontaine. Allez doucement, doucement, grimpez sur l’arbre, cueillez une orange et jetez-la vite dans la fontaine. Alors la. Princesse lèvera la tête, vous sourira, puis vous invitera à descendre et à l’accompagner jusqu’à son château. Vous pourrez la suivre sans crainte.
— Merci, dit Charles au roi des éperviers. Et il continua sa route.
Il arriva sans tarder au pied du château, — un château magnifique. Il vit la Princesse auprès de la fontaine, occupée à peigner ses cheveux blonds avec un peigne d’or et un démêloir d’ivoire, sous un oranger ; il grimpa sur l’arbre, sans être aperçu d’elle, cueillit une orange et la jeta dans le bassin de la fontaine. Aussitôt, la princesse leva la tête, et, voyant Charles sur l’arbre :
— Ah ! dit-elle, Charles, filleul du Roi de France, c’est donc toi qui es là ! Sois le bienvenu. Descends et accompagne-moi dans mon château. Je ne te veux point de mal ; bien au contraire.
Charles la suivit jusqu’à son château. Jamais ses yeux n’avaient rien vu d’aussi beau.

Il y avait quinze jours qu’il était là, au milieu des plaisirs de toutes sortes, quand il demanda, un jour, à la Princesse si elle consentirait à l’accompagner jusqu’au palais du roi de France ?
— Volontiers, répondit-elle, si vous accomplissez trois travaux que je vous désignerai.
— J’essayerai toujours, dit-il.
Le lendemain matin, la Princesse le conduisit dans un grenier, devant un grand tas de graines de toutes sortes. Il y avait là des graines de lin, de trèfle, de chanvre, de navet et de chou, mêlées ensemble. Elle lui dit qu’avant le coucher du soleil, il fallait qu’il eût réuni toutes les graines de même nature dans un même tas, sans qu’il y eût une graine de nature différente dans aucun des tas. Puis elle s’en alla.
Le pauvre Charles, resté seul, se mit à pleurer, parce qu’il ne croyait pas qu’il fût possible à personne au monde d’accomplir un pareil travail. Il se rappela alors le roi des fourmis. Il m’avait dit, se dit-il à lui-même, que, si jamais j’avais besoin de lui et des siens, je n’aurais qu’à les appeler, et ils viendraient à mon secours. Il me semble que j’ai assez besoin d’eux, en ce moment. Voyons donc s’il disait vrai :
— Roi des fourmis, viens à mon secours, car j’en ai grand besoin !
Et aussitôt le roi des fourmis arriva.
— Qu’y a-t-il pour votre service, demanda-t-il, Charles, filleul du roi de France ?
Charles lui fit part de son embarras.
— S’il n’y a que cela, soyez sans inquiétude, ce sera vite fait.
Le roi appela alors ses sujets, et aussitôt il arriva tant de fourmis, de tous côtés, que toute l’aire du grenier en était couverte. Il leur expliqua ce qu’il y avait à faire. Et les voilà toutes au travail. Quand ce fut fini, le roi des fourmis dit à Charles :
— C’est fait.
Charles le remercia, et il partit avec toutes ses fourmis.
Au coucher du soleil, quand vint la Princesse, elle trouva Charles assis et l’attendant tranquillement.
— Le travail est-il fait ? demanda-t-elle.
— Oui, princesse, c’est fait, répondit Charles tranquillement.
— Voyons cela.
Et elle examina tous les tas. Elle prenait une poignée de chacun et l’examinait de près. Elle ne trouva en aucun tas une graine dissemblable et qui ne fût pas à sa place. Elle en était tout étonnée.
— C’est bien travaillé, dit-elle ; allons à présent souper.
Le lendemain matin, elle commanda à Charles d’abattre toute une longue avenue de grands chênes, et elle lui donna pour outils une hache de bois, une scie de bois et des coins de bois. Tous les arbres devaient être à terre pour le coucher du soleil, le même jour.
Voilà encore notre homme bien embarrassé.
— A moins que le roi des lions ne vienne à mon secours, se dit-il, je ne me tirerai jamais d’affaire, cette fois. Et il appela le roi des lions.
— Roi des Lions, venez à mon secours, car j’en ai grand besoin !
Et le roi des lions arriva aussitôt.
— Qu’y a-t-il pour votre service, Charles, filleul du roi de France ? demanda-t-il.
Charles lui conta son embarras.
— N’est-ce que cela ? Soyez sans inquiétude alors, ce ne sera pas long à faire.
Le roi poussa un rugissement terrible, et aussitôt il arriva des lions plein l’avenue.
— Allons ! mes enfants, leur dit le roi, déracinez et mettez-moi en pièces tous ces arbres, et vite !
Et les voilà aussitôt de se mettre à l’ouvrage, et de travailler, chacun de son mieux. Tout était encore terminé, avant le coucher du soleil.
Quand vint la Princesse, elle fut étonnée de voir tous les chênes déracinés et mis en morceaux, et Charles qui dormait ou feignait de dormir, étendu- sur le dos.
— Ah ! voici, par exemple, un homme ! se dit-elle.
Elle s’approcha de Charles, tout doucement, sur la pointe des pieds, et lui donna deux baisers. Charles se réveilla.
— Le travail est fait, à ce que je vois, lui dit la Princesse.
— Oui, Princesse, le travail est fait.
— C’est bien. Allons souper, car vous devez avoir faim.
Le lendemain matin, on lui dit d’aller abattre et niveler une grande montagne, beaucoup plus haute que la montagne de Bré. On lui donna une brouette et une pelle de bois, et le travail devait être terminé avant le coucher du soleil.
Arrivé au pied de la montagne, Charles restait là à la regarder, et il se disait en lui-même :
— Comment faire cela ? Je n’en viendrai jamais à bout. Mais, le roi des éperviers n’a pas encore travaillé pour moi. Il faut que je l’appelle ; je n’ai d’autre espoir qu’en lui.
— Roi des éperviers, venez à mon secours, car j’en ai grand besoin !
Et aussitôt le roi des éperviers descendit auprès de lui.
— Qu’y a-t-il pour votre service, Charles, filleul du roi de France ? demanda-t-il.
— La Princesse de Tronkolaine m’a dit qu’il faudra abattre et niveler cette haute montagne, avant le coucher du soleil, et, si vous ne me venez en aide, je ne sais vraiment pas comment en venir à bout.
— Si ce n’est que cela, soyez sans inquiétude ; cela sera fait, avant le coucher du soleil.
Alors, le roi des éperviers poussa un cri effrayant, et aussitôt les éperviers arrivèrent, et en si grand nombre, que la lumière du soleil en était obscurcie.
— Qu’y a-t-il à faire, notre roi ? demandèrent-ils.
— Transporter cette montagne de là, de manière qu’à sa place il se trouve une plaine unie ; et vite, vite, mes
enfants !
Et les voilà de déchirer la montagne avec leurs griffes, et de transporter la terre dans la mer. Si bien que le travail était encore terminé, longtemps avant le coucher du soleil, et personne n’eût dit qu’il y avait une montagne là, le matin.
Quand la Princesse vint, au coucher du soleil, elle trouva Charles qui dormait, sous un arbre, et elle lui donna encore deux baisers. Il se réveilla aussitôt, et dit :
— Eh bien ! Princesse, le travail est accompli ; voyez, il n’y a plus de montagne. Maintenant, j’espère que vous viendrez avec moi au palais du roi de France ?
— De tout mon cœur, répondit-elle, et partons tout de suite.
Et ils se dirigèrent du côté de la mer. Les bateaux de Charles se trouvaient encore là. Ils s’embarquèrent dessus, et arrivèrent sans encombre en France. Sur la route, ils visitèrent le vieillard, qui dit à Charles :
— Eh bien, mon fils, avez-vous réussi ?
— Oui, grand-père, et la bénédiction de Dieu soit avec vous !
— C’est bien. Allez, à présent, trouver votre parrain ; vos épreuves et vos peines sont terminées et vous n’aurez plus besoin de moi.
Quand Charles arriva au palais du roi, accompagné de la Princesse de Tronkolaine, tout le monde fut étonné de voir comme elle était belle. Le vieux roi en perdit la tête, et voulut se marier avec elle, tout de suite, quoique la reine sa femme ne fût pas encore morte.
— Non, lui dit la Princesse, je ne suis pas venue ici pour vous épouser, pas plus que le diable qui est ici avec vous.
— Un diable ici ! où donc est-il ? s’écria le roi.
— Celui que vous prenez pour votre filleul est un diable, et voici votre véritable filleul, dit-elle en montrant Charles ; celui-ci a eu tout le mal, et c’est à lui qu’est due la récompense, et il sera mon époux.
— Mais comment renvoyer le diable ? demanda le roi.
— Cherchez d’abord une jeune femme nouvellement mariée, et portant son premier enfant. Quand vous l’aurez trouvée, faites chauffer un four à blanc, et jetez-y le diable. Il se démènera et hurlera de rage, et fera son possible pour sortir du four ; mais, la jeune femme l’y maintiendra en lui montrant son anneau de mariage.
On trouva une jeune femme portant son premier enfant ; on chauffa un four à blanc, puis on y jeta le diable. Celui-ci se démenait et poussait des cris épouvantables, et tout le palais en tremblait. Mais, quand il essayait de sortir du feu, la jeune femme lui présentait son anneau à la gueule du four et le faisait reculer. Si bien qu’il dit alors :
— Si j’étais resté ici, une année encore, j’aurais réduit le royaume à un état désespéré.
Mais, il lui fallut crever là.
Alors, Charles fut marié à la Princesse de Tronkolaine. Le vieux charbonnier, sa femme et tous ses enfants furent aussi de la noce. — C’est là qu’il y eut un festin, alors ! Et un tintamarre et un vacarme et des bombances éternelles ! Les cloches sonnant à toute volée, la grande bannière sur pied, et les violons devant (1) !


(1) Ce conte, dans sa seconde partie, se rattache au type de la recherche de la Princesse aux cheveux d’or.

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