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Histoire d'amour et rebondissements plus ou moins heureux entre un loup et une fauvette

[RP] Puisqu'elle a promis...

Roman.
Il avait pris du retard. Bien avant Nantes, l'Italien avait laissé le groupe le distancer, perdu dans ses pensées, laissant sa monture vagabonder tranquillement sur le sentier tandis qu'au loin les voitures s'éloignaient dans un tranquille nuage de poussière. Isaure, Dôn, Léorique, Theodrik, Cassian... de nobles personnes et un autre garde du corps. Etaient-ils en train de devenir des compagnons de route, dans l'esprit solitaire de Roman ? Etaient-ils sur le point de devenir d'éventuels amis ? Le mot semblait un peu fort pour le moment. Mais il devait admettre qu'il aimait être avec eux, qu'il les trouvait sympathiques...

Roman leva les yeux. Les chevaux de tête qui menaient les voitures allaient à un pas qui, sans doute, berçaient leurs passagers, avinés par la soirée précédente, et probablement absorbés par un sommeil de bon aloi. L'aube était à peine levée. Roman se laissa distancer tandis que ses pensées vagabondait. De temps à autre, il reprenait sa concentration pour surveiller les alentours, mais la région à travers laquelle ils passaient actuellement était assez plane et le paysage, dégagé. Pas de brigands à l'horizon. Le temps de réfléchir, dans un silence légèrement troublé par le roulement lointain des voitures aux roues de bois bruyantes, et par le chant des premiers oiseaux du matin.

La plupart étaient encore perchés dans les arbres, au creux des nids, bien au chaud, mais déjà certains commençaient à voleter aux cimes. Roman leva les yeux lorsqu'un autre volatile s'approcha de lui puis, le reconnaissant, il tendit un bout de pain saisi dans sa poche, pour récupérer l'oiseau voyageur. A sa patte, une lettre, qui au vu de sa longueur et donc de son poids en vélin, avait sans doute été très difficile à porter. Il s'arrêta pour la dérouler, tandis qu'au loin s'éloignait le bruit des attelages. Il devina tout de suite l'expéditrice de la missive...

Fanette.

Cette jolie fille, souriante, éclatante de joie simple dans une robe de soieries qu'elle faisait tourner autour d'elle la veille au soir, restait dans ses pensées depuis lors. Il avait failli l'embrasser. Il s'était retenu. Mais comme elle avait éclairé sa nuit ! Ils avaient dansé, rit, bavardé. Roman s'était senti revenir à des jours plus heureux de sa vie, comme lorsque plus jeune, il connaissait à Florence les riches heures de la noblesse italienne, et qu'il passait des nuits entière à danser et à rire.

Cette vie-là, il l'avait quittée. La vie de la famille Medici. Fils bâtard d'un assassin, il avait fini par être peu à peu écarté, au profit d'une éducation plus militaire, dans une caserne éloignée, à Vérone. Fils bâtard du Corleone.

C'était une autre vie. Et l'espace de quelques heures, il l'avait retrouvée.


Fanette a écrit:

    Roman

    Comment débuter un courrier adressé à une personne que l’on connait si peu, peut-être par des excuses ?
    Je suis bien désolée hier soir, par cette légende, d’avoir ravivé un souvenir qui vous semblait pénible. Je me serai abstenue si j’avais su qu’elle voilerait d’une ombre triste votre regard. Je vous ai promis une autre histoire, plus gaie. Je vais tenir promesse, car je crois qu’elles sont importantes, et qu’il faut s’appliquer toujours à les honorer.

    Cette nuit, quand Théo et moi marchions sur Poitiers, je réfléchissais à celle que je vous ferai parvenir. Mais, de toutes ces histoires que la mère du Messonier me contait quand j’étais enfant, je n’en ai trouvé aucune qui ne soit pas teintée de mélancolie, même lorsqu’on peu admettre qu’elles ne finissent pas si mal.

    Alors, j'ai décidé de vous envoyer l’un des trois contes que j’ai écris. Là encore j’ai hésité, peut-être que ce garçonnet rebelle, se rêvant chevalier, et dédaigné par son père vous aurez plu. J’ai finalement opté pour une belle espérance, celle offerte à un pauvre vagabond. Vous savez Roman, cette histoire que vous lirez, je l’ai imaginée à la demande du patriarche d’un groupe de gitans avec qui j’ai fait un merveilleux voyage, du Languedoc à l’Auvergne. Il voulait que je parle d’un manteau, un manteau un peu particulier, que d’autres avait déjà mis en scène avec leurs mots. Alors, j’ai regardé le visage de ceux qui voyageaient avec moi, et c’est aussi d’eux que j’ai parlé dans mon histoire, car ils ont déposé tout au long de mon périple quelques petits bonheurs.

    J’aurais tant voulu en trouver d’autres en voyageant avec vous. Quand Léorique m’a écrit votre chemin, et qu’il m’a dit que Dôn aurait plaisir à ce que je vous accompagne, j’ai tant regretté de ne pouvoir accepter, et bien plus encore quand vous l’avez glissé à mon oreille.

    Fanette s’empressa de raturer la dernière partie de sa phrase, craignant qu’il soit incorrect de l’avouer. Un peu de rouge teinta ses pommettes, alors qu’elle évoquait en souriant les pas de danses, les murmures, la main de son cavalier posée au creux de son dos. et le baiser glissé sur sa joue. Et ses sourcils se froncèrent en réalisant qu’il fallait laisser là ce doux souvenir pour ce qui l’attendait au devant. Elle craignait d’être de nouveau happée dans un tourbillon de violence, ne sachant si elle parviendrait à l’apaiser sans autres armes que ses mots. Dehors, le clocher de Sancta Maria Major sonnait l’office de Sexte, et les cloches de Sainte Radegonde lui répondaient, la ramenant à l’instant présent, et à la lettre qu’elle écrivait. Elle trempa de nouveau la hampe de la plume dans l’encre et traça encore quelques mots.

    Qui sait Roman ce qui m’attend demain, mais si tout se passe pour le mieux, peut-être n’aurais-je point besoin de trop m’attarder à Nevers. Alors, ainsi que je l’ai écrit à Dôn, pourrais-je faire route vers vous. Je sais que votre voyage vous fera faire étape à Blaye. J’ai rêvé plus d’un an de pouvoir découvrir la cité du troubadour, et j’ai pu y aller il y a peu de temps. Si vous saviez combien j’ai engrangé là bas de petits bonheurs, et il serait si plaisant de vous les faire découvrir, plutôt que de les dire.
    J’espère que votre route sera agréable Roman, et que vous ne m’oublierez pas, car moi, je chérirai le souvenir de cette soirée, comme un havre agréable et troublant dans un voyage que j’espérais plus facile. Quel regret de n'avoir pu la prolonger.

    Amitiés
    Fanette


    Voici donc, en bas de page, le conte que je vous ai réservé, j'espère qu'il vous plaira.


    Il furetait le nez au sol, à la recherche d'un rat, du reste d'un repas, ou d'une jolie chienne à qui conter fleurette. C'était un chien courant, pas courant du tout. On le disait ami de deux ou trois lièvres et de quelques lapins. Mais surtout, c'était l'ami d'un homme qu'il avait délaissé, juste le temps de quelque chasse. Sa curiosité aiguisée le mena sous cette porte cochère, où était garée une charrette. Et la truffe intrépide se posa sur le manteau abandonné aux pavés. Qui sait depuis combien de temps, il était là, dissimulé aux regards, abrité de la carriole où quelqu'un l'avait laissé.
    Le chien ne réfléchit pas longtemps car il aimait l'homme, et l'homme n'avait plus de maison, il vivait sous un pont. Six mois déjà, et l'hiver était arrivé, six mois qu'il avait délaissé le confort d'un toit, depuis que sa belle histoire s'était achevée, depuis qu'elle l'avait laissé, après plusieurs années d'un amour sans ombre. Oh ! Il n'était pas malheureux l'homme, c'était un optimiste. Quand on lui demandait pourquoi les histoires d'amour s'achevaient, il répondait toujours, pour que d'autres puissent naître ! N'empêche qu'il dormait dehors et que dehors, il y avait de la neige. Alors le chien qui aimait l'homme fidèlement, saisit le manteau dans sa gueule, et l'emporta vers son ami.


    Et le manteau, une manche coincée dans la gueule de ce chien pas courant qui courrait vers un pont, s'enroula autour de son porteur, pour ne pas se mouiller en traînant dans le froid humide des chemins. L'homme sourit en voyant son compagnon ainsi attifé. Pour cette nuit au moins, cadeau providentiel, ils n'auraient pas froid l'un et l'autre. Il passa le manteau et en souleva un pan pour serrer le chien contre lui, bien à l'abri de l'épaisse toile de laine. Le manteau, pas ingrat d'avoir été arraché au pavé se referma sur le sommeil des deux amis, les enveloppant d'une chaleur bienfaisante.


    L'un et l'autre s'éveillèrent plus tard, reposé et sans qu'aucun frisson ne soit venu contrarier leurs rêves. Alors, chien et homme se mirent en quête d'un repas, ou d'un rayon de soleil pour passer la journée. L'aube était glaciale, et les poches du manteau étaient larges et amples, comme pour inviter à y plonger les mains pour se les réchauffer. Les poings serrés pouvaient se dénouer dans la tiédeur du manteau, et les doigts heurtèrent un objet. Ne parvenant à en deviner la nature, il le sortit pour l'examiner de plus près.
    Quelle ne fut pas sa surprise en trouvant une miniature, pas plus grande qu'un mouchoir, si délicatement peinte que l'artiste n'avait dû utiliser qu'un pinceau à un seul poil. Le chien interloqué de voir son ami se pencher sur le petit tableau vint à son tour le détailler de ses grands yeux bruns.
    C'était un paysage, fait de grands rochers gris savamment assemblés dans une belle sommière. Et au milieu d'eux, une femme semblait danser. Sa longue chevelure oscillait entre le doré et le roux. Non loin, dans ce paysage sauvage au ciel tourmenté, un arbre avait une forme particulière. Mais à y regarder de plus près, seule la viole était de bois, car c'était un homme, et ses doigts animait l'instrument pour faire danser la gracieuse qu'il couvait du regard.


    L'homme se retourna vers son chien.
    - Je crois que tu as pris le manteau d'un troubadour heureux ! Et comment ses doigts pourraient encore courir sur l'instrument s'ils sont perclus de froid ?
    C'est ainsi que l'homme et le chien, persuadés qu'il leur fallait abandonner le confort du manteau pour le rendre à son propriétaire, s'éloignèrent de leur pont pour rechercher les troubadours. Et les jour passaient, la neige tombait, mais le manteau emplissait son office, abritant du froid l'homme, et parfois son chien quand tout deux épuisés, s'asseyaient pour se reposer un instant.

    Croyez-vous que le manteau ait pu guider leurs pas ? Bien sûr que non, il aurait fallu pour cela qu'il soit doué d'une vie propre, et tout le monde sait bien que cela ne se peut. Et pourtant, à chaque croisement, à chaque fourche, quand un nouveau sentier venait couper la route, le manteau se faisait plus pressant, semblant le pousser dans une direction plutôt qu'une autre. Parfois, sa manche s'accrochait à une branche, découvrant une sente étroite dans laquelle le chien s'engageait, devançant son ami à deux pattes.

    Et c'est ainsi qu'un soir d'une longue route, le chien et l'homme aperçurent un feu de camp, et à bien tendre l'oreille, on entendait de la musique. Une viole, répondait à une flûte, et, ce ne pouvait être possible peut-être mais homme et chien aurait juré entendre quelques rossignols mêler leurs doux chant à la mélodie.
    L'homme s'avança, le manteau toujours serré sur ses épaules, la miniature à la main, et son chien sur les talons. Nombreux étaient ceux là, assis autour du feu, à rire et à manger. En vérité, il y avait ici toute une compagnie de gitans, mais le chien ne s'y trompa pas, et d'un joyeux bond, il alla s’asseoir sans aucune hésitation, auprès de la flûtiste, et elle ressemblait trait pour trait à la danseuse de la miniature. A ses côtés se tenait le joueur de viole. Notre vagabond arbora un large sourire en se dirigeant vers eux. Il déposa le tableau de poche dans les mains de la jeune femme et répondit à l'invitation des gitans pour prendre place à son tour auprès des flammes.


    La chaleur l'enveloppa immédiatement, celle du feu de camp bien sûr, mais aussi, celle des sourires, du partage et des bons moments. L'homme et le chien n'avait plus du tout froid, et surtout, ils n'étaient plus seuls. Peut-être même oublieraient ils un moment leur pont, pour suivre les gitans sur les chemins, et partager avec eux la vie de bohème. Alors, sans que l'homme n'y prenne garde, le manteau glissa de ses épaules, abandonnant là celui qui n'avait plus froid. Et au matin, quand l'homme et le chien était repartit, accompagnant les gitans et les troubadours, le cœur gonflé de l'amitié offerte, le manteau resta là, roulé en boule, sur une pierre plate, guettant un nouveau porteur.



Roman s'était arrêté complètement. Il avait mis pied à terre, attaché son cheval, et pris place au sol, sur une couverture, avec sa petite écritoire sur les genoux. Sa plume hésitait, portée au-dessus du vélin vierge, tandis que l'homme cherchait les meilleurs mots pour répondre à la longue lettre de Fanette. Il n'entretenait que rarement des correspondances, et l'exercice lui demandait quelques efforts de traduction.

Roman a écrit:

    Fanette,

    Si vous vous étiez abstenue de raconter cette légende, ma peine aurait simplement gardé le silence au lieu de se permettre de s'exprimer. Je tâche d'habitude de la museler. Mais votre histoire était belle et je ne regrette en rien de l'avoir entendue.

    Je suis ravi de la lecture que vous m'avez offerte ce matin lorsque j'ai trouvé votre lettre, votre histoire est une sage leçon. Je devine aisément que la vie des gitans n'est guère éloignée de la nôtre, Corleone, du moins pour ceux qui, comme moi, vivent plus souvent sur les routes que dans les villes. Aussi, hier, c'est votre rencontre qui fit la chaleur et la lumière d'un feu de camp pour moi...

    Cette soirée restera dans mes souvenirs en attendant que nous nous retrouvions, et je ne peux qu'espérer que votre séjour à Nevers ne vous sera pas trop pénible. Ecrivez-moi lorsque vous serez arrivée, et si vous souhaitez me raconter ce que vous y ferez.

    Quant à moi, je tiens à vous rassurer quant à ma réaction à l'écoute de votre première histoire. Vous parliez de constellations, d'enfants et de mère. Mon histoire récente a fait que mon esprit est allé se perdre un moment dans les étoiles dont vous parliez, et c'est à mon tour de vous la conter, pour que vous me connaissiez un peu. Bien que ce ne soit guère dans mes habitudes, à vrai dire, et que l'écrire en français me cause quelques difficultés d'expression. Cependant je suis certain que votre esprit poète lira très bien mes sentiments même si mes mots ne sont pas toujours les plus parfaits.

    Voici. J'ai été marié, il y a deux ans, et celle qui fut mon épouse a porté deux enfants de moi, mais l'ignorait. Différentes circonstances qui restent pour moi emplies de colère, de douleur et de dégoût, ont fait que ces deux enfants n'ont jamais connu la vie, et que cette femme est à présent perdue dans une vie dégradante. Ainsi, bien que je n'aie plus à me soucier de celle qui pour moi est une traîtresse et une folle, il me reste dans le coeur l'existence, presque imaginaire, de ces enfants qui auraient du être les miens.

    J'ai aimé votre histoire. L'idée de ces constellations dans le ciel nocturne est assez belle pour m'offrir quelques instants de paix à leur pensée.

    Prenez soin de vous, Fanette.

    J'espère vous revoir.

    Roman.

_________________
Lison_bruyere
Un songe, une espérance, suffisent parfois à éclairer un visage inquiet d'un joli sourire. C'était le cas depuis trois jours, depuis ce bal qu'avait voulu une noble dame, le temps d'une étape à Thouars, juste pour elle, la petite vagabonde qui n'avait jamais dansé. Et tout cela semblait si irréel, si extraordinaire, qu'elle était parvenue quelques heures à tout oublier des chagrins et des craintes qui l'attendaient au devant.

Alors comme ça Fanette Petersen, vous vous acoquinez avec un Corleone ?


Adossée à un arbre, jambes pliées au point de pouvoir poser son menton sur ses genoux, elle décelait presque amusée le ton ironique de Svan, souriant au patronyme qu'elle lui avait définitivement attribué. Elles s'étaient séparées en quittant l'Anjou. La danoise avait décidé de suivre Zilofus en Normandie, car dans son plan de vie, il serait le père des huit enfants que Fanette devrait venir mettre au monde, et peu lui importait de savoir si la jeune fille en était capable ou pas, c'était un ordre qui ne souffrait aucune contestation. En attendant de la revoir, elle l'avait laissée repartir avec Théo sur une route différente.
S'il était des amitiés évidentes, celle ci en était une, au point que la brune se plaisait à raconter souvent que la jeune fille qu'elle avait pris sous son aile depuis quelques mois était sa cadette. Il n'était pas de confidence qu'elles ne s'épargnent, et encore à présent qu'elles étaient séparées, l'une et l'autre livraient à de dévoués volatiles le récit de leurs heures, de leur joies et de leurs inquiétudes. Alors Fanette lui avait tout raconté, de la si jolie robe orangée qu'elle avait pu porter de nouveau, du bal, des légendes qui peuplent la voûte céleste, de ses joues qui s'étaient teintées de rouge quand les lèvres du danseur les avaient effleurées, d'un mot agréable murmuré à l'oreille, d'un courrier qui avait reçu réponse, du sourire qui étirait ses lèvres quand elle songeait à ce soir là, à cette danse...

Si les mots qui suivaient pouvaient sembler inquiétants, le ton pourtant ne l'était pas. La Brune était heureuse, curieuse, et voulait tout savoir, quand bien même il n'y avait rien de plus à raconter.

Ce sont sur eux que j'avais peur de tomber entre Angoulême et Rochechouart. Ils ont eu leur grande période faite de meurtres, de pillages, de tortures, de viols. Moins maintenant mais leur nom fait encore trembler certaines pucelles. Dont toi apparemment, mais pas de peur ! Il t'a fait de l'effet dis donc ! Roman, c'est un prénom qui appelle l'amour, je trouve. Tu vois ma Fanette, lui, il t'a troublée alors que vous vous êtes juste effleurés. Tu vois, ton corps réagit devant ce jeune homme alors que Théo ...


Théo... Fanette en quittant Angers avait tenté de lui dire que ce qu'elle ressentait pour lui ne ressemblait pas à ce qu'il attendait. De presque vingt ans son aîné, l'ancien mercenaire s'était montré en bien des occasions un ami sûr et fiable. Il s'était maintes fois réjoui avec elle de ses bonheurs grands et petits, et il avait su être aussi un refuge quand tout autour allait de travers, jusqu'à fomenter avec d'autres un soir dans une taverne angevine, l'assassinat d'un homme qui avait bien failli tuer la jeune fille quelques mois plus tôt en Poitou. Nulle ambiguïté pour celui qui disait ne pas l'aimer moins que si elle avait été sa propre fille, sauf que, depuis quelques semaines, l'homme s'était mis en tête de faire d'elle son épouse, plongeant Fanette dans l’incompréhension et la confusion. Elle était passée du statut de Bambi, à celui de jeune femme désirable. Mais elle avait su, en le retrouvant à Angers quelques jours plus tôt qu'il n'était aucune bonne raison de céder à sa demande, car c'est d'un autre amour qu'elle l'aimait, un amour chaste et tendre, celui qu'une fille pourrait avoir pour un père attentif. Restait juste, comme elle s'en était ouverte à Leorique et Svan quelques jours plus tôt, qu'elle espérait que son refus ne brise pas cette amitié qui lui était précieuse.

Et Svan poursuivait, l'accablant de question, et concluant d'un dis-moi tout, qui là encore fit sourire la jeune fille. Que dire de plus à la danoise que ce qu'elle lui avait confié déjà. Après tout, ce n'était qu'une soirée, une danse, un rire, un murmure, et ses joues qui s'empourprent. Au lendemain, chacun avait repris sa route. Pourtant oui, elle avait envie de sentir encore la main, fermement posée au creux de son dos, elle voulait croiser ce regard assuré, hésitant entre vert et gris, comme ces lichens qui tapissent les rochers de la lande bretonne. Elle avait l'espace d'un fugace rapprochement, senti la caresse d'une barbe nouvelle, rude et douce à la fois, comme ces bruyères où elle aimait glisser ses doigts. Ça elle ne le dirait pas à Svan. Enfin, si, peut-être qu'elle lui dirait qu'il a de si beaux yeux, comme les mousses des landes sauvages qu'elle aime tant. Puis elle lui dira aussi qu'il n'est point utile de s'imaginer des choses qui n'arriveront pas. Après tout, l'autre soir à Thouars, c'était un peu particulier. Isaure l'avait aidé à ressembler à une jolie dame, toute apprêtée dans sa robe de soie et de dentelle, si bien coiffée que pour une fois, ses boucles s'étaient faites dociles et toutes enrubannées. L'aurait-il remarqué si elle avait eu encore ses frusques de voyage, poussiéreuses et élimées ?

Et alors qu'elle se persuadait que tout cela ne serait jamais qu'une halte joyeuse et troublante dans son voyage, secrètement, elle espérait qu'il en soit autrement, et que les derniers mots du courrier de Roman soient des plus sincères, car elle partageait désormais avec lui ce même espoir.

Et finalement, c'est non pas à la danoise que fut adressé le premier courrier du jour, mais à l'italien.




Roman,

Je vous remercie de la confiance que vous me témoignez en me livrant cette douloureuse cicatrice. Peut-être, quelque part sur cette voûte étoilée qui abrite tant de légendes, deux petites âmes peuvent se réjouir d'avoir un père qui ne les oublie pas, et qui, par ce souvenir, fut-il si triste, leur prête le souffle d'une existence. Ils sont les vôtres, et finalement, ils vivent là, blottis tous les deux au fond de votre cœur.

Je crois que je peux comprendre votre douleur. Je l'ai vu déjà. J'étais jeune quand mon père a disparu, mais je garde néanmoins quelque souvenir de lui, un homme triste et le plus souvent aviné. Mon oncle dit que c'est le chagrin qui l'a brisé, et conduit à se détruire, car un an après ma naissance, j'ai eu une sœur, morte avant même d'avoir vécu, et elle a entraîné ma mère dans son trépas. Sans doute n'a-t-il pas su, comme vous, museler sa peine. Sans doute n'étais-je pas suffisante pour la lui faire oublier.

Je n'ai aucune idée de l'endroit où tous les trois se trouvent aujourd'hui, mais je me plais à les savoir réunis, au delà de la mort. Dans quelques jours, j'aurai atteint l'âge de ma mère quand elle a disparu. Je trouve que c'est si jeune pour mourir, et définitivement, je crois que j'aurai toujours du mal à comprendre les desseins que le Très Haut nous réserve. J'espère juste qu'il gardera notre route sûre, à vous comme à moi.

Quelles sont celles que vous avez prises déjà ? Ainsi votre vie se rapproche de celle des gitans de la Kumpania ? J'ai aimé voyager avec eux. Ce n'était pas vraiment un périple ordinaire, ni même une errance. Leur musique, leurs contes, et surtout cette entraide, cette attention que tous se portent les uns aux autres, c'est comme une immense famille dans laquelle ils vous happent sans retenue, comme si vous aviez toujours fait partie vous aussi de cette alchimie. C'était une bien agréable façon de voyager. Il y a tant encore de lieux que je ne connais pas. A-t-on assez d'une vie pour tous les découvrir ? Le savez-vous ? Est-il des endroits extraordinaires dont vous gardez un souvenir ému ? Mise à part ces collines de Toscane dont on m'a vanté les beautés et que je compte bien découvrir de mes propres yeux, en est-il d'autres où vous ayez envie de retourner ?

Après vous avoir quitté l'autre soir, nous avons pris la direction de Poitiers, que nous avons pu atteindre en une seule nuit. A présent, voici deux jours que nous marchons sans trouver de cité sur notre route. Cette nuit cependant, il m'a semblé que nous nous rapprochions du Limousin. Le paysage vallonné s'ouvre sur des pâturages, clos de taillis ou de haies de grands peupliers que le vent berce doucement. Parfois, quand le soleil joue dans leur feuillage, ils prennent des teintes gris argent. Je ne me lasse pas de ces terres Roman, peut-être parce qu'elles me rapprochent de cette Limoges pour laquelle j'ai une tendresse toute particulière. Je vous écrirai de Nevers, et si vous me le permettez, je vous écrirai peut-être même avant.

Si j'ai été pour vous la chaleur et la lumière d'un feu de camp, le temps de cette soirée, soyez assuré que vous êtes à ce moment précis où je réfléchis aux mots que je vous délierai dans l'encre, un golfe aux eaux tranquilles. Il est plaisant d'y faire escale, même un fugace instant, et d'oublier un peu la houle et les cieux tourmentés qui m'attendent.

J'espère que votre chemin cette nuit sera paisible. Il me déplairait de vous savoir attaqué par quelque brigand, même si je n'ignore pas que vous serez nombreux à vous défendre.

J'espère vous revoir moi aussi.

Fanette



Merci jd Svan pour les petits bouts de tes courriers
Lison_bruyere
N'était-elle qu'une eau claire dont on peut voir le fond sans peine ? C'est ce que Fanette finissait par penser, à l'issue des deux jours d'une étape limougeaude, où elle avait eu à rencontrer plusieurs membres de la famille Corleone. Elle n'avait pourtant rien précisé de plus qu'elle avait eu à connaitre l'un des leurs, le temps d'une agréable soirée organisée par une noble dame pour lui permettre de danser, et que, même si c'était là, la toute première fois, elle n'avait jamais rien fait d'aussi passionnant. Mais sans doute, le rouge qui avait glissé sur ses joues à l'évocation du plaisant souvenir avait suffit à dire le reste. Et la jeune fille s'était trouvée bien sotte de ne savoir contrôler l'émoi qui la tenait quand elle songeait à ce soir là. Peut-être l'avait-il déjà oublié alors qu'elle s’émerveillait encore de sa jolie robe, de la musique, des danses et des beaux yeux clairs qui s'étaient attardé sur elle.

- J'ai eu un grand bonheur ce soir là sire Corleone, une fête voulue pour moi, par cette noble dame qui ne me connaissait pas.

Et l'homme, une lueur de malice plantée au fond de son regard vert sombre, n'avait pas manqué de demander qui, de la jeune femme ou de son fils le lui avait procuré.

- Dame Isaure pardi !
C'était-elle défendue.

L'homme ne semblait pas dupe, comme le suggérait le sourire légèrement narquois qui étirait ses lèvres. Alors, il avait évoqué le côté sombre de son fils, de cette famille dont Fanette ignorait tout, et il avait voilé l'agréable souvenir d'une once de danger. Il l'observait, visiblement amusé, scrutant dans son attitude l'aveu de sa confusion. Peut-être l'heure avancée aidait-elle aux confidences, où l'atmosphère rendue feutrée par la lumière tremblante des chandelles et d'un feu qui se mourait dans l'âtre. Les derniers convives s'étaient retirés et rien d'autres que leurs voix venait troubler le silence qui s'était imposé dans la salle commune.

Il évoquait ses fils avec la fierté non feinte d'un père qui a réussi à transmettre le flambeau et Fanette écoutait, cherchant à comprendre qui était ce presque inconnu qui était parvenu à la toucher le temps d'une danse. Plus habituée à se protéger qu'à écouter le chant du cœur, elle avait néanmoins fini par baisser la garde. Elle s'en étonnait, mais elle avait avoué, plus pour elle même qu'au patriarche, combien elle espérait le revoir, et instinctivement, elle s'en blâmait tout autant, craignant de se mettre à découvert en espérant une chose qui n'arriverait peut-être pas. Et si son père parlait d'un loup, Fanette lui assurait que ce n'est sans doute pas l'image que son fils avait voulu montrer de lui, à moins que ce ne soit elle qui n'ai point voulu le voir sous ce jour.

Et le discours du père s'était fait plus rassurant, presque bienveillant.

- Ecrivez-à mon fils, lui avait-il finalement dit.

Elle avait acquiescé d'un hochement de tête. Elle écrirait bien sûr, aussi longtemps qu'il le lui permettrait.
Amalio
Ha, ces histoires de coeur ! Foutus fils. Il n'y en avait pas un pour rattraper l'autre. De ses deux aînés, Amalio ne savait lequel avait le plus ou le moins quémandé son approbation dans l'une ou l'autre de leurs aventures sentimentales. Fort heureusement, seuls Gabriele et Roman étaient assez âgés pour se préoccuper vraiment sérieusement de leurs compagnes, Gianni étant au loin et les autres enfants Corleone ayant encore un peu de marge... l'affreuse Arsène étant, aussi, mariée au trop gentil Nizounet-d'amour d'Amalio. Un brin de jalousie. Là. Niz', c'était son pote ! Arsouille, c'était sa fille, mais tudieu quelle fille ! Une harpie. Mais là n'était pas le sujet. Notre patriarche était donc plongé dans des tergiversations visant à tenter de décider s'il serait de bonne ou de mauvaise volonté.

En quelque sorte, les histoires de coeur de ses garçons lui passaient par-dessus la tête. Autant vous dire qu'il n'en avait à peu près rien à carrer. Mais d'une autre façon, et presque malgré lui, il se sentait assez content lorsque l'un de ses nombreux enfants se confiait un peu à lui et quémandait approbation, conseil ou taloche. La dernière solution était de loin la plus simple à mettre en oeuvre. C'est que l'Italien n'était guère de ces pères que l'on considère comme convenables : jamais présent dans l'enfance de sa nombreuse progéniture, il ne s'était jamais non plus senti concerné par leurs affaires sentimentales. C'était d'ailleurs à son grand désarroi que certains de ses rejetons s'étaient essayés à la confidence à coeur ouvert.

Merde alors. Ils le prenaient pour un vieux sage en peluche, ou quoi ? Amalio Corleone, donner des conseils amoureux ! Quelle déchéance ! Il y avait pour ce genre de chose des bonnes femmes de bien meilleure composition! Lui, son domaine, c'était les poisons, les remèdes, les armes fines et les assassinats. Pas les créatures féminines et les émois qu'elles provoquaient.

Mais il faut savoir qu'Amalio était toujours sensible à la flatterie. Aussi, lorsqu'on savait lui présenter les choses de la plus aimable des manières - lui rappeler à quel point il avait été jadis un excellent courtisan, faire remonter ses souvenirs d'une glorieuse jeunesse auprès de la gente féminine, et surtout vanter sa prestance et sa virilité pleines d'un charme totalement assumé et plutôt provocant, qui avaient conduit à l'enfantement d'une douzaine de petits Corleone - il acceptait assez volontiers de prêter l'oreille à des paroles qui d'ordinaire ne lui faisaient même pas friser un poil de barbe.

En bref, l'homme était, à l'origine, réticent à toute forme de discussion d'ordre affectif ou/et psychologique. Mais, l'âge venant, il se laissait aller à distiller ses conseils d'expérience, et même à se mêler de ce qui ne le regardait pas vraiment, comme la bonne commère qu'il n'était pas bien loin de devenir.

Ainsi en fut-il, ce soir là, avec la jolie Fanette. Ha, la jolie Fanette ! Tu m'étonnes qu'elle ait tapé dans l'oeil de Roman ! Elle avait elle-même vendu la mèche, premièrement par ses paroles, secondement par ses émotions beaucoup trop évidentes. Il faut bien que jeunesse se passe ! Elle parlait d'un grand bonheur. Le père ne manqua pas d'y entendre une connotation bien moins sage que ce que la donzelle pensait certainement, et se retint de rire davantage. Il se contenta d'interroger un peu plus la jeune fille :


- Roman est effectivement très bon danseur, il a eu plus de chance que la majorité de mes enfants car il a grandi à la cour de Florence. Mais il n'est pas que cela : vous a-t-il parlé de sa profession ? Vous a-t-il dit qu'il est un assassin ?

Le sourire, narquois, toujours un peu provocateur. Le pavé dans la mare. Il adorait faire ça : observer, sadique, ce moment où l'innocente biche ouvrait de grands yeux effarouchés et horrifiés en apprenant que le beau et charmant jeune homme qui l'avait étourdie n'était autre qu'un tueur sous contrat.

Pour cette fois, à sa surprise et un peu aussi à sa déception, le patriarche vit devant lui, en réponse à cette pique, un petit menton relevé et des yeux brillants d'espoir : elle était certaine que Roman s'était honnêtement dévoilé. Voilà qui était surprenant, et pas inintéressant : elle avait parlé de facettes qu'il pouvait choisir de montrer, lorsqu'Amalio avait évoqué la différence entre l'éducation noble de Roman et sa profession particulière. Bene... c'était peut-être vrai, après tout. Roman était plutôt sérieux, de l'avis du père. Mais...

Avait-il réellement pris le risque de dévoiler publiquement une attirance réelle ?

Etait-il assez naïf pour croire qu'il ne mettait pas ainsi en danger la vie de la demoiselle ?

Même les faucons ont des prédateurs.

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Roman.
Rennes. Déjà trois jours que la lettre de Fanette subissait déroulements et enroulements au gré des relectures de l'Italien. En pleine campagne depuis trois jours, il n'avait pu donner aucune réponse à la jeune fille car son encrier n'était pas une corne d'abondance, et s'était vidé quelque part entre une réponse à son père et le début de celle pour Fanette.

Et pourtant, depuis ces trois jours, il tournait et retournait dans sa tête les phrases qu'il voulait lui écrire, pour différentes raisons. Comment s'exprimer correctement dans une langue qui n'était pas la sienne ? Il parvenait à écrire en un français tout à fait convenable, mais l'expression de ses sentiments était contrariée par l'usage de mots qui n'étaient pas ceux de sa langue maternelle.

Il était hors de question, pourtant, de faire appel à l'un de ses compagnons de route pour s'assurer de la bonne transcription de ses pensées. Mais les dernières gouttes d'encre avaient été perdues lors de l'écriture de son second brouillon... et le vélin, gâché malgré son prix. Il avait même gribouillé quelques phrases en italien, traduites en français avec plusieurs ratures, au dos de la lettre reçue de son père un peu plus tôt :


Amalio a écrit:

Mon garçon,

J'ai rencontré une certaine Fanette à qui, semble-t-il, tu as fait tourner la tête. Tu lui plais beaucoup. Elle ne m'a pas l'air sotte.

Trève de mondanités. Nous partons ce soir, Gab, moi et d'autres, à la rencontre de Rod. Je ne sais pas si on te croisera ou pas.

Essaye de ne pas être trop gentil avec les français, tu as une réputation à tenir.

A.


Cette lettre-là lui avait procuré un sentiment mitigé d'amusement, de plaisir et d'angoisse... car le patriarche Corleone n'était pas réputé pour sa finesse diplomatique à propos des amours de jeunesse. Bien qu'il se montrât, il est vrai, parfois, de bon conseil.

Roman regrettait un peu de laisser son père et son frère partir ensemble sur les routes mais il avait le sentiment de ne pas pouvoir trouver sa place entre ces deux-là, Gabriele étant le parfait reflet d'Amalio, place à laquelle Roman n'avait jamais pu seulement prétendre. Amalio aimait Gabriele en une sorte d'adoration très égocentrique : Gab était tout simplement lui-même avec trente ans de moins. Les laisser partir ensemble était donc une solution plus confortable que celle de tâcher d'exister entre eux deux, au risque d'avoir le sentiment de tenir la lanterne.

La conclusion de la lettre paternelle était plus à son goût. Elle avait même arraché un sourire à Roman. Mais avant de répondre au père, il voulait écrire à la belle...


Roman a écrit:

Fanette,

J'ai lu et relu les premières phrases de votre lettre, à m'étourdir à l'idée que j'aurais pu être père. C'est la première fois que quelqu'un utilise le mot "père" pour parler de moi.

Je suis navré que le vôtre se soit consumé de chagrin après la disparition de votre mère et de votre soeur... Vous avez perdu toute votre famille. Mais ne dites plus jamais que vous n'êtes pas suffisante pour faire oublier un deuil. Premièrement, un deuil ne s'oublie jamais, que l'on aie ou non époux, femme, enfants ou fratrie à chérir après le décès de la personne. Deuxièmement, votre présence est comme la lumière d'une bougie dans la pénombre : elle attire d'abord l'oeil, puis l'esprit, et lorsque l'on s'en rapproche, elle capte l'élan du coeur.

J'ai beaucoup pensé à vous ces derniers jours. J'aurais aimé danser encore avec vous ces nuits... J'ai pris un peu de retard sur le groupe et j'étais seul à mon campement. J'ai bien assez eu le temps de penser à vous et à vos sourires radieux. Je vous souhaite une très belle vie, lumière que vous êtes, aussi longue que possible.

Mon père m'a même écrit à votre sujet. Vous semblez l'avoir amusé. Je suppose que vous étiez à Limoges à ce moment. Où en êtes-vous de votre voyage ? Vous semblez apprécier la vie sur les routes. Il faudra que vous me racontiez, un jour, vos aventures. Pour entendre les miennes, il vous faudra me voir, car je préfère parler des pays qu'en écrire les paysages, il est plus aisé de rendre le récit vivant !

Je vous emmènerai à Florence si tel est votre désir... ou en Sicile, en Toscane... Où il vous plaira, à vrai dire, en France ou en Italie !

Ma lettre ne saurait être plus longue que la vôtre, vous maniez bien mieux votre langue que moi. Je dois vous avouer aussi que je suis légèrement blessé suite à un rixe avec l'ami Théodrik, mais rien de grave. Seulement, pour ce soir, je suis assez fatigué pour avoir du mal à écrire en français, mais je voulais tout de même vous répondre au lieu de vous faire attendre encore.

Prenez soin de vous.
J'espérerais de vos nouvelles bientôt.

Roman

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Lison_bruyere
Montluçon, le 28 avril 1465

Assise en tailleur dans l'herbe tendre que le printemps avait reverdi, Fanette regardait couler les eaux de l'Amaron, quelques coudées en contrebas du petit promontoire où elle s'était installée. Elle était déjà venue dans la cité bourbonnaise. C'est ici que Nannou, Mortemer, et les gitans de la Kumpania l'avait laissée repartir sur d'autres chemins. Ils s'étaient dit au revoir, s'étreignant en promettant de se retrouver bien vite. Et puis, c'est ici, à cet endroit précis qu'elle avait, le même jour, rencontré la danoise. Elle sourit en se remémorant la brune, qui l'avait tiré de ses rêveries en se laissant choir à côté d'elle, la bousculant d'un coup d'épaule. Elle avait cherché à l'intimider d'abord, mais, sans que la jeune fille ne puisse se l'expliquer, elle avait fini par lui devenir aussi indispensable qu'une sœur, l'accompagnant le temps de bien longs voyages, des bocages limousin à l'Anjou, en passant par les rives de l'océan qui baignent la cité du troubadour. Soudain, le minois de la vagabonde se troubla d'un chagrin, les sourcils se froncèrent tandis qu'elle extirpait de sa besace ce premier des trois courriers reçus, quelques jours plus tôt, à Guéret.
Svan s'était amourachée du pire homme qui soit, et à cause de lui, jamais plus elles ne se reverraient. Fanette ne tiendrait pas la promesse faite à la brune, celle d'assister à son mariage, et d'être là, pour la venue au monde des huit enfants qu'elle avait prévu d'avoir. On doit s'efforcer de tenir ses promesses, et elle en voulait à Zilofus de lui faire renoncer à celles-ci, mais il avait gagné. Elle jeta dans la rivière le vélin couvert d'injures et de menaces à peine voilées qu'il lui avait envoyé, et ferma les yeux un instant.

Derrière elle, dans les bosquets qui s'étalait le long du cours d'eau, le chant d'une fauvette se fit entendre. Fanette voulu y voir un signe, le rappel d'un lien qui ne pourrait se rompre, quand bien même leurs chemins ne se croiseraient plus. Elle chassa sa rancœur dans un soupir et ses doigts effleurèrent l'autre vélin. Ce pli de Roman, qu'elle avait lu, et relu jusqu'à en oublier celui du mercenaire normand. Elle ne parvenait à expliquer l'émoi qui s'emparait d'elle toutes les fois où elle se souvenait de cette soirée à Thouars. Elle ne voulait en oublier aucun détail, même le plus insignifiant, et comme à chaque fois, elle sentait ses joues se farder de rouge.
Par quel sortilège, la jeune fille pouvait sentir son cœur cogner si fort pour un homme qui lui était presque inconnu, plus encore après avoir entendu tout ce qu'on avait pu dire sur lui, et le patriache Corleone en premier lieu. Cette jeune fille, celle qui ne voulait plus croire les mots doux soufflés à son oreille, celle qui s'était tant appliquée à ne rien dire avant d'être sûre, au point d'avoir lassé les jeunes hommes qui s'étaient essayé à la courtiser, celle qui avait finalement eu le cœur brisé par le seul qui lui promettait d'avoir la patience nécessaire, cette jeune fille là, Fanette ne la reconnaissait pas, mais pourtant, c'est d'un sourire conciliant qu'elle la laissait s'emparer de son âme.

Elle allongea ses jambes pour y poser sa besace, sur laquelle elle déroula un vélin vierge. Le petit encrier de voyage bien calé dans l'herbe à ses côtés, elle laissa la plume conter ses souvenirs et ses espérances pour cet italien, qui, parcourant encore sans doute les landes bretonnes, parvenait néanmoins à la troubler.



Roman,

J'espère que mon courrier vous trouvera reposé, et surtout, qu'aucune blessure, aussi infime soit-elle ne vous fera plus souffrir.


Fanette hésita, elle aurait voulu lui écrire, que, peu importe qu'il n'ait jamais pu serrer ses enfants contre lui, que ces deux malheureuses petites âmes se soient éteintes avant de naître, le simple fait de les garder présents dans son cœur suffisait à faire de lui un père, même si personne jamais ne l'avait qualifié de tel. Cependant, elle se ravisa, craignant de raviver encore ce douloureux souvenir.




Oh ! Roman, moi aussi j'aurai aimé danser encore, et encore, chaque soir. Thouars n'était pour moi qu'une cité moribonde, tombeau d'un homme lâche et violent, et vous avez transformé, le temps d'une soirée ce détestable souvenir en un moment des plus heureux que j'ai eu à vivre depuis longtemps. C'est celui là que je garderai désormais, à chaque fois que je franchirai les portes de cette cité, grâce à Isaure, grâce à vous.

Je n'ai aucun mal à comprendre les mots que vous tracez dans l'encre, vos idées, vos sentiments. Rien dans vos lettres ne pourraient trahir votre naissance, hors des frontières de ce royaume, dans ce pays dont la langue sonne comme une mélodie. J'aime vous lire Roman, et si j'osais avouer une crainte, c'est qu'un jour, je cesse de recevoir vos missives. Est-ce trop dire déjà ?

Votre père vous a écrit à mon sujet ? Mon dieu ! Il a dû me trouver bien idiote. Je préfère ne pas imaginer ce qu'il a pu vous raconter, ni savoir ce que vous en pensez. Mais oui, je l'ai croisé à Limoges, le soir de son départ, et du mien également. La veille, j'ai pu faire la connaissance de votre frère, Gabriele, de sa compagne et d'une jeune fille nommée Rose, qui voyage avec eux. C'était une rencontre surprenante que celle de cette femme à la peau d'ébène et à la beauté rare. Elle m'a conté une histoire Roman. C'était captivant d'entendre le rythme régulier, né d'une main sur un instrument de bois, et de la voir danser en parlant de cette princesse, qui un jour à voulu épouser un roi assassin, un roi qui chaque soir, célébrait nouvel hyménée pour au matin, faire tuer sa jeune épouse. Cette danse, c'était celle de cette femme dont parlait la fable, dont la grâce n'avait d'égale que la finesse d'esprit. Celle qu'elle offrait chaque soir à son roi, en lui disant mille et un conte, pour que cet hymen là dure mille et une nuits. L'épouse de votre frère m'a appris tout cela Roman, le conte, la danse, c'était tellement envoûtant.

Ce matin, Théo et moi sommes rendus à Montluçon. Pour l'instant, aucune mauvaise rencontre n'est venue troubler notre route. J'espère que nous aurons pu rallier Nevers dimanche. Et j'espère que ceux pour qui je m'inquiète saurons me rassurer. Dans cette incertitude, il est cependant une nouvelle qui m'apaise, c'est que les gitans de la Kumpania, ceux avec qui j'ai eu l'occasion de faire un bout de chemin devraient être là bas eux aussi.

Je resterai en Bourgogne quelques jours, j'ignore encore combien de temps, mais ensuite Roman, j'écrirai à Dôn pour lui demander votre plan de route, afin de venir vous rejoindre. Ainsi, vous pourrez me raconter de vive voix vos voyages. Je vous partagerai les miens, bien sûr, mais à vrai dire, ils ne sont des voyages que depuis un peu plus d'un an, depuis ce jour où j'ai quitté le Limousin pour retrouver dans le sud un homme, en ignorant qu'il était mon oncle. Avant cela, je ne faisais qu'errer, de cité en cité, dans jamais oser en franchir les portes autrement que pour trouver quelque pitance. Longtemps, je n'ai eu d'autre refuge que la nature, et d'autre toit que la voûte étoilée, peuplée des légendes qui ont adouci mon enfance. Je n'ai jamais eu d'endroit à moi Roman, même dans cette Touraine qui m'a vu naître je n'étais pas chez moi, je n'y ai jamais été que la fille des angevins. C'est peut-être pour cette raison que je me plais sur les routes, peut-être est-ce simplement parce que j'ai oublié comment on faisait pour rester longtemps au même endroit.

C'est vrai Roman, vous m’amèneriez en Toscane, et à Florence ? Le pourriez-vous vraiment ? Votre engagement auprès de Dame Isaure n'est-il que le temps de ce voyage que vous faites ? Oh, votre frère Gabriele, il a parlé de Venise, mais il n'a pas eu le temps de me dire pourquoi il la trouvait plus belle que les collines de Toscane. A défaut de me l'écrire, vous me le direz n'est-ce pas ? Ou, me le montreriez-vous, peut-être ?

J'espère que ce jour arrivera Roman, et d'ici là, faites bien attention à vous.
Le souvenir de cette danse que vous m'avez offerte, celui de vos mots, glissés à mi-voix à mon oreille sont de ces petits bonheurs auxquels j'ai recours pour oublier ce qui m'attend demain.
Vous restez dans mes pensées.

Fanette
Roman.
Une sombre histoire d'os du bras avait occupé la fin de soirée de Roman, en compagnie de Dôn, à qui il apprenait en vérité quelques notions d'anatomie masculine, en toute honnêteté, grâce à des représentations imagées pour ne pas heurter la fausse prude. Isaure était arrivée sur ses entrefaites, et il avait fallu inventer une histoire à dormir debout pour justifier l'imitation potache d'une demi-molle, illustrée par le bras de Roman tendu à demi et abouti par une main abandonnée comme morte. Tout un scénario, donc, qui avait fait le grand amusement de l'italien, aux dépens de la Bretonne qui en rougissait de plus en plus.

Les rires et les gloussements gênés s'étaient finalement calmés pour laisser place à une discussion plus convenable. Lors d'un moment de silence, Roman avait décidé de lâcher une confidence...


Citation:
Roman. : Isaure...
Isaure.beaumont : Oui ?
Roman. : Merci d'avoir fait un bal pour Fanette.
Isaure.beaumont : Ah... il n'y a pas à me remercier. Je me suis fait plaisir avant tout.
Roman. sourit, plus franchement que d'habitude.
Isaure.beaumont lui retourne un petit sourire
Roman. : Elle m'a déjà écrit plusieurs lettres.
Don. : Elle écrit merveilleusement bien.
Isaure.beaumont : Ne lui brisez pas le coeur.
Isaure.beaumont : Et répondez à TOUTES ses lettres !
Roman. : Si vous m'en laissez le temps !
Don. : Faudrait savoir Isaure
Isaure.beaumont : Et bien écrivez, là, maintenant. Vous avez le temps.


Autant vous dire que l'Italien n'avait pas protesté. Il avait saisi sa plume, relu la lettre de Fanette, cherché ses mots en français, tandis qu'Isaure discourait sur la nécessité qu'il se confesse afin de ne point démériter auprès de la demoiselle. Mais il n'avait pas encore réussi à écrire que déjà sa patronne l'interrompait d'un débat théologique sur l'existence de Deos, que Roman contestait, puisqu'il était un assassin et qu'à son sens, s'il y avait un quelconque véritable Dieu, le meurtre ne devrait pas exister. De plus, quel dieu laisserait les assassins aimer et être aimés ? Question instamment posée à Isaure :

Citation:

Isaure.beaumont : C'est lui qui insufle l'Amour de votre coeur.
Roman. : Non. C'est Fanette.


Voilà. Une excellente réponse, à son avis; et la soirée s'était terminée à peu près ainsi, sans lettre achevée. Roman ne pouvait se concentrer sur une écriture décente si on le contrariait. La lettre promise serait sans doute écrite le lendemain... ou le surlendemain, selon les nécessités du voyage.

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Roman.
Le lendemain, donc, en matinée, non plus à Thouars mais à Poitiers.

Roman a écrit:
Douce Fanette,

Nous étions hier à Thouars et mes pensées allaient vers vous, tandis que vous étiez au loin, et que je me tenais là où nous avions dansé il y a déjà presque deux semaines. Je suis bien heureux que mes mots soient assez corrects pour rester compréhensibles, j'ai longtemps étudié le français lorsque j'étais enfant et mon professeur s'exprimait toujours dans cette langue. Cependant, je garde le sentiment de trahir mes pensées en les écrivant autrement qu'en italien. Tant mieux donc si je me débrouille assez pour vous satisfaire !

Je lis que vous craignez de ne plus recevoir mes lettres. Si c'est trop dire ? Je ne pense pas. C'est assez dire pour que je sois assuré de vos sentiments à mon égard. Mes lettres peuvent, en retour, vous assurer des miens. Il est vrai que mon père vous a un peu moquée, mais s'il a écrit à votre sujet, c'est sans doute qu'il a jugé que vous étiez sérieuse, bien que sans aucun doute avec des manières trop légères pour le sérieux de son grand âge. Nous pouvons tout aussi bien nous moquer de lui, bien que je vous défende d'oser le faire devant lui, au risque de provoquer son courroux. C'est un père à sa manière, lui aussi. Fiez-vous à lui pour être honnête dans ses paroles, et s'il vous aime bien, vous serez en sécurité près de lui. Je sais cependant que vous êtes tous les deux repartis de Limoges en séparant vos routes.

J'ai reçu aussi ce matin une lettre de mon frère Gabriele, qui est bien ennuyé finalement de la jeune fille prénommée Rose, qu'il avait pourtant invitée à venir partager leur route. J'ai cru comprendre qu'elle était tombée amoureuse de lui, et il souhaite que je revienne pour l'éloigner. Mais je suis sous contrat avec Isaure et ne pourrais m'éloigner. Je vais donc tâcher de résoudre le problème avec diplomatie, mais je serais fort aise de recevoir votre avis à ce sujet. Peut-être auriez-vous des conseils plus féminin à nous transmettre. J'ai souvent du faire face à ce genre de problèmes, mais là, je ne suis pas sur place, et il ne s'agit pas de moi. De plus, je ne connais pas la demoiselle en question. Je suppose que Tigist n'apprécie pas d'avoir une donzelle amourachée de son mari.

Vous serez peut-être déjà arrivée à Nevers, ou presque, lorsque ma lettre vous parviendra. Vous me raconterez alors vos retrouvailles avec vos amis...

J'ai déjà hâte d'entendre Dôn me dire que nous allons nous rejoindre, vous et nous. Et si vous ne savez plus quel endroit choisir pour rester un moment, choisissez mon côté, et cela me plaira.

Rêvez, Fanette, à nos retrouvailles.
J'y songe déjà bien souvent.

Roman.


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Lison_bruyere
Nevers, le 30 avril 1465

Une pluie fine tombait sans discontinuer depuis mâtines, détrempant les chemins, rendant les ornières glissantes. L'épaisse houppelande de laine qui la couvrait s'était imbibée d'eau et Fanette suivait en silence ses compagnons de route, tête basse, les poings serrés sur ses doigts bleuis par le froid. Ils avaient pressé le pas, vaine tentative pour se réchauffer, et c'était grelottante qu'elle était passée sous l'échauguette de la porte du Croux.

Nevers enfin.


Tobias lui avait écrit de se présenter au palais ducal, qui étirait ses riches façades ocre, flanquées d'élégantes tourelles non loin de la Loire. Si la jeune fille avait aperçu l'édifice, elle n'osa pas s'en approcher. Le jeune noble avait-il oublié qu'elle n'était pas de son rang ? Il le lui avait pourtant tant de fois répété avant de la connaître mieux, ce jour où il s'était porté au secours de sa mule. Craignant de se faire chasser comme une malpropre, elle préféra renoncer. Ils allaient rester quelques jours dans la cité bourguignonne, elle prendrait pension dans une auberge, s'efforcerait de gagner de quoi en payer la couche et le repas, et avertirait celui qu'elle était venue voir.

Un peu plus tard, le feu de la salle commune remplissait son office. Les lèvres de Fanette avait retrouvé une teinte légèrement rosée, et elle ne tremblait plus. Les vêtements mouillés étaient étalés dans une chambre à l'étage. Elle portait à présent sur son chainse une simple cotte, taillée dans une toile de lin claire. Elle avait souligné sa taille fine d'une ceinture d'étoffe dont les extrémités retombait sur le devant, dans les amples replis de la jupe. L'échancrure de son décolleté était dissimulée sous un col de mousseline qu'elle tenait serrée autour de sa gorge et de ses épaules. Bientôt, ses boucles encore humides sécheraient, devenant plus indisciplinées encore.

Debout devant l'âtre, le regard perdu sur le spectacle des flammes qui ondulaient avec grâce, en jetant parfois quelques escarbilles sur les dalles de pierres au devant, Fanette était songeuse.
Elle languissait de savoir ce qui s'était réellement joué ici pour ses amis. Elle voulait être assurée enfin que tout irait bien, même si les propos de Leorique lui revenaient constamment en mémoire ... espérer le meilleur, tout en se préparant au pire. Elle avait eu tout le temps pour y songer, mais pour autant, y était-elle prête ?

Ses pensées dérivèrent vers des instants plus joyeux, vers ce soir où elle avait pu tout oublier de ce qui l'attendait au devant. Un sourire léger vint chasser les doutes qui étreignaient ses traits l'instant d'avant. L'espace d'un courrier qu'elle rédigerait, elle retrouverait ce havre paisible, cette douce accalmie, cette légèreté où elle aimer à dériver, comme un antidote à ses inquiétudes .
Elle s'enquit de son petit nécessaire d'écriture et déroula la lettre de celui dont la seule évocation ne manquait pas de farder ses joues d'une teinte rosée qui lui donnait bonne mine.




Roman,

Je vous remercie de votre courrier et de l'assurance que vous m'offrez d'en lire d'autres. C'est une chose bien étrange, que je peine à comprendre en vérité. Ce n'était qu'une soirée, l'espace d'une danse, d'un sourire que vous m'avez donné, d'un conte que j'ai partagé avec vous, et me voilà à espérer vous revoir encore, et à craindre tout autant que vous ne puissiez dinstinguer en me retrouvant que la petite vagabonde que je suis. Dame Isaure a su faire de moi une jolie dame le temps d'un soir, dans cette robe si belle que je conserve comme un trésor, à la lueur des chandelles, et quand la musique me portait aussi facilement que si j'en étais coutumière. Votre père m'a dit que vous aviez grandi à la cour de Florence. J'imagine qu'il devait y avoir bien plus de fastes que lors de cette soirée si agréable que nous a offert Isaure.
Oh, votre père Roman, jamais il ne me viendrais l'idée de me moquer de lui, même hors de sa présence.


Fanette retint la plume un instant, "s'il vous aime bien, vous serez en sécurité auprès de lui". Et si ce n'était pas le cas ? Cela impliquerait-elle qu'elle soit en danger ? Fanette avait entendu tant de chose se dire depuis qu'elle avait pris connaissance de l'existence de la famille Corleone. Yohanna n'avait pas manqué de s'inquiéter quand elle l'avait vu en compagnie du frère de Roman et de son épouse à Limoges. A croire que le royaume entier les connaissait, sauf elle. Et au fond, ce n'était peut-être pas une mauvaise chose.




Roman, comment se fait-il que vous soyez à Thouars ? Ne deviez-vous pas rallier Bordeaux après la Bretagne ? Puis-je espérer que votre plan de route a été modifié et que vous passerez par la Bourgogne avant de repartir vers l'Aquitaine ? Si tel était le cas, alors oui, j'aimerai me joindre à votre voyage. J'ai été heureuse en allant vers la Guyenne, je suis sûre que je le serai encore, d'autant plus si c'est auprès de vous que j'y retourne.

Nous sommes arrivés ce matin à Nevers. Depuis deux jours, un homme voyage avec nous. Il m'a un peu inquiété hier soir, car il disait que c'est souvent à la frontière de deux duchés que les brigands s'installent pour rançonner les voyageurs et que nous nous apprêtions à parcourir là, la partie la plus périlleuse de notre chemin. Heureusement, il n'en a rien été, tout s'est déroulé pour le mieux, si ce n'est la pluie fine qui nous a accompagné aux dernières heures de notre marche.
Ce matin j'ai trouvé à me faire embaucher pour labourer un champ. Ma bourse était presque vide et le salaire est généreux. Cela me permettra de payer pour quelques nuits une pension dans une auberge de la ville.
Je n'ai pas encore pu revoir Tobias, je l'ai averti de mon arrivée et j'espère qu'il viendra bien vite me rassurer sur le sort de notre ami commun. Je sais que celle qui m'a attendu à Limoges a envoyé des hommes ici, dans le but avoué de tuer celui qu'elle croit responsable du désespoir de son fils. J'espère que je saurai bientôt lui écrire de meilleures nouvelles qui apaiseront sa colère, si cela est encore possible. Je crois qu'il y a déjà eu bien assez de souffrances.

Roman, vous me parez d'une belle confiance en sollicitant mon avis, concernant cette jeune fille qui accompagne votre frère. J'ai peur de ne pas avoir trop grande expérience pourtant pour savoir ce qu'il serait souhaitable d'envisager. Il est arrivé que nous nous retrouvions juste Rose et moi, et nous avons pu un peu discuter. Elle parait sauvageonne de prime abord, mais elle est vive d'esprit, douée d'une grande tolérance et de tout autant de gentillesse. Les sentiments parfois n'en font qu'à leur tête, mais elle n'a pas pu ignorer le lien qui unit votre frère à son épouse. J'en ai perçu la force dans leurs gestes, dans les regards qu'ils s'échangent. Je ne crois pas que cela ai pu lui échapper. Comment pourrait-elle mettre en danger l'assurance des sentiments qu'ils se portent ? Qu'espérait votre frère ? Voulait-il qu'elle s’éprenne de vous, pour se détourner de lui ? Il me semble que c'est votre père qui l'a invitée à faire route avec eux. Peut-être que la franchise serait le meilleur des remèdes, peut-être que quelqu'un devrait lui parler, lui expliquer que certaines choses ne sont pas faites pour arriver et qu'à trop les souhaiter, elle risque de se priver de l'amitié et de la protection de votre famille.

En attendant de vos nouvelles, je vais rêver à nos retrouvailles prochaines oui. Je vais espérer que votre route soit agréable et qu'elle revienne déjà vers la Bourgogne. Et si je dois craindre ici que le ciel de nouveau s'obscurcisse et qu'un tourbillon de violence m'entraîne encore, je vous en prie, saisissez ma main, laissez-moi m'accrocher à votre regard de lichen. Emmenez-moi, si je ne peux le faire.

Il me tarde d'entendre de nouveau votre voix.
Fanette
Lison_bruyere
Nevers, le 10 mai 1465

A peine une dizaine de jours que la jeune fille était arrivée à Nevers, les craintes, les inquiétudes, les retrouvailles, une fuite, bien des événements en vérité qui avaient empoigné son âme, et l'avait souvent tenu éveillée jusqu'aux premières lueurs du jour. A présent, l'heure était à l'apaisement, troubadours et gitans avaient dressé leur campement près d'un vieux Moulin, au bord de la Loire, et Fanette s'était toujours soignée à leur musique et leurs contes. Puis, elle n'était plus exactement une vagabonde. Le sieur Kelmet, le temps de son séjour, lui avait offert le gite, en échange d'un coup de main à l'auberge et elle avait accepté.

Les petits bonheurs, doucement, balayaient les chagrins, et au matin, Fanette avait découvert un courrier qui venait lui en offrir un autre. "... Nous devions passer à Limoges pour déposer les meubles de Dôn. Maintenant, ils sont repartis vers Nevers. Peut-être aurez-vous prochainement le plaisir de les recroiser, je vous le souhaite... "
Fanette avait replié la lettre de Leorique, rêveuse.

Les revoir ... le revoir ...

Ses traits s'étaient éclairés d'un sourire, son regard brillait d'une impatience fébrile.
"Rêvez, Fanette, à nos retrouvailles. J'y songe déjà bien souvent."
Oh ! oui la jeune fille rêvait. Et elle appréhendait tout autant. Quelques jours déjà qu'elle était sans nouvelles, alors que, dans son esprit ses souvenirs tourbillonnaient encore comme une joyeuse saltarelle.

Elle chassa ses doutes d'un revers de main, ce jourd'hui était jour à sourire et à espérer.
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Laure..
Et voilà, impliquée dans une histoire d'amour dont elle était le simple témoin, et un peu le complice, Laure rêvait elle aussi d'une relation sentimentale... En attendant, elle avait accepté de jouer un peu l'entremetteuse, à peine arrivée à Nevers.

Roman. a écrit:
Laure,

Amie voyageuse, je crois me souvenir que vous m’aviez indiqué vous rendre à Nevers avec vos compagnons de route. Après quelques hésitations, je ne résiste plus à l’envie de me permettre de vous demander un service : pourriez-vous m’écrire si vous y rencontrez une demoiselle nommée Fanette ? C’est une charmante jeune fille aux cheveux d’or, au sourire doux et à la conversation facile. Je dois la rejoindre bientôt mais j’ai hélas prit du retard dans mon voyage, aussi suis-je encore à quelques jours de route de Nevers. J’espère qu’elle ne se plaint pas de mon retard, je suis déjà assez honteux à ce sujet, bien que je n’en sois pas cause moi-même. Si elle se plaint de moi, prévenez-moi, que je sache son humeur à mon arrivée, et que je ne me comporte pas comme un goujat. Faisant cela, vous me rendriez un très aimable service. J’espère que vous aussi vous portez bien, et que ce voyage est productif pour vous qui espériez trouver des villes animées. A toute fin utile, je vous dis que je suis repassé par Limoges récemment et que la vie y est bien présente, si jamais vous souhaitiez poursuivre votre voyage.

Mes amitiés,

R.C.



Laure a écrit:
À Roman Corleone,
Le 10 mai 1465.

Ami voyageur, voilà une lettre qui m’a bien amusée ! Vous vous montrez enfin sous un jour presque normal. Sachez que votre lettre est arrivée à point nommé, le volatile a du sentir le moment propice car je me tiens justement en taverne avec votre demoiselle Fanette. Elle se porte bien et parle de vous rêveusement. Elle vous attend, je crois, avec grande impatience, et elle a été rassurée par les quelques phrases de vous que je me suis permise de lui lire.
Apprenez par la même occasion que Nevers est accueillante. Je n’y suis que depuis une journée, mais les gens sont charmants et j’ai déjà discuté davantage qu’en plusieurs semaines à Dijon ! Merci pour l’information sur Limoges, je verrai si je m’y rendrais prochainement ou non.
Hâtez-vous donc de venir rassurer la gente Fanette, elle a l’air tout à fait éprise de vous… Je vous envierai presque ! Me ramènerai-vous un gentilhomme avec qui faire connaissance, en échange de ce service que je vous rends ? Ce serait équitable !
Mes amitiés également.

Laure
Lison_bruyere
Le hasard est bien étrange, et Fanette l'avait déjà vérifié en quelque occasion. Et ce fut encore le cas ce soir là quand Laure, une jeune voyageuse était venue s'asseoir dans la salle commune. Une cervoise offerte, et bien vite, la discussion s'était engagée, autour des charmes de la cité bourguignonne. Melusine parlait de son attachement à la ville, qu'elle avait adopté tout récemment. Fanette elle, était plus évasive, elle n'avait jamais songé à s'installer. Elle ne savait dire pourquoi, mais l'idée d'acquérir une maison, si modeste fut-elle l'effrayait encore. Le patriarche gitan avait peut-être raison ce jour où il lui avait dit qu'elle avait l'âme d'un bohémienne. Et à la question suivante, elle avait évoqué une espérance, celle d'un voyageur au regard de lichen, qui pourrait l'emmener découvrir les collines de Toscane.

- Et, existe-t-il ce voyageur ? Avait demandé la jeune femme.
- Il existe dans un souvenir. Fanette aurait pu préciser qu'il s'agissait sans doute du plus beaux de ses souvenirs, mais elle se contenta d'une moue rêveuse, qui n'échappa sans doute aucunement à Laure.
- Je vous envierai presque, avait-elle conclu, offrant un gracieux sourire à la vagabonde.

Mais c'est Fanette qui à son tour souriait en notant l'expression joyeuse de la jeune fille, découvrant un courrier qu'on venait de lui remettre. Elle s'en était amusée.
- Votre lettre, elle a l'air bien plaisante. Oh ! Je sais, en fait c'est le voyageur au regard de lichen, il est pour vous et non pour moi.

Fanette ne pouvait se douter de ce qui allait suivre, combien de chance existait-il pour qu'elle soit tombée juste ? Mais elle avait blêmi quand Laure avait évoqué l'italien charmant qui lui écrivait, et qui signait ses courriers RC.
Immédiatement, une ombre triste s'étaient immiscée dans son regard. Ainsi donc, elle venait de comprendre pourquoi le dernier courrier de Roman était resté sans réponse. Etait-elle donc sotte ? Après tout, ce n'était qu'un soir, une danse.

C'est alors que la voyageuse, avec un brin de malice, s'était approchée, et sur le ton de la confidence, lui avait lu quelques phrases du Corleone.
Le hasard est bien étrange, mais le sourire, résolument, venait de glisser de nouveau sur les lèvres de Fanette, égayant ses traits d'un espoir retrouvé. Demain, après demain, bientôt …
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Roman.
Non point demain, ni après-demain, mais bientôt, sans aucun doute, le Corleone arriverait-il enfin à sa destination. Les jours avaient passé de ville en ville, de chemins en sentiers, et il avait fini par peu à peu s'éloigner de la compagnie des autres voyageurs. Pensif, sans aucun doute l'était-il. Un peu trop rêveur et ce n'était pas dans ses habitudes... Il était parfois agacé par ses compagnons de voyage, d'autre fois il appréciait leur compagnie. Etait-il donc en train de s'égarer ? En vérité, il n'avait plus guère qu'une chose en tête : retrouver le sourire d'une demoiselle dont les lettres occupaient, par leur relecture, ses moments de repos. Un matin, avant de reprendre la route, et après avoir reçu un message d'une connaissance, il s'attarda pour écrire à son tour...

Citation:
Charmante Fanette,
Voilà enfin de ses nouvelles, allez-vous certainement vous dire ! Avec raison, j'en conviens aisément.
J'ai mis du temps à vous écrire car je me suis éloigné du groupe avec lequel je voyageais. Ils ont pris avec eux un homme dont je ne peux souffrir la vue, aussi ont-ils perdu ma compagnie.
Je me trouve ce jour près de Châteauroux, et j'arriverai demain un peu avant Bourges. Après-demain, je serai passé à l'Est de Bourges, et le jour suivant, je serai enfin à Nevers.
Aurez-vous encore le souhait de m'attendre jusque là ?
Je serai heureux de vous y retrouver et de vous faire danser.
Je pense à vous bien souvent.
Prenez soin de vous et portez-vous bien.
Roman

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Lison_bruyere
Quelques nuages floconneux s'éparpillaient dans l'azur du matin, juste pour rappeler qu'on entrait dans les saints de glace et que le temps n'était pas encore à l'été. Fanette ne s'en souciait guère ce matin. Elle avait reconnu l'écriture sur le dos du courrier que le grouillot lui avait remis au matin, et elle l'avait remisé dans sa besace, se réservant le plaisir de le lire pour plus tard, quand elle se serait acquittée des corvées matinales de l'auberge. Tierce sonnait quand elle avait pu s'échapper. La lettre précieusement serrée dans sa main, besace en bandoulière. Elle était passée sous l'échauguette de la porte du Croux, avait longé le rempart sur une quarantaine de coudées avant d'obliquer vers le sud. Fanette courait, grisée du vent frais sur son visage, qui rosissait ses joues et soulevait ses boucles déjà bien indociles. Ses chausses claquaient sur les pierres du pont de la Loire. Presque deux cents toises à parcourir avant d'atteindre l'autre rive, et une berge tranquille.



Elle trouva refuge sur une petite plage de galets clairs, non loin des monumentales piles en pierre de Saint Eloi. Rassemblant ses jupes, elle s'installa, le dos calé contre un vieux tronc, abandonné à la mousse. Si on pouvait apercevoir la cité s'étendre sous l'ombre de la cathédrale, sur la rive en face, on ne percevait rien du brouhaha de ses rues. L'endroit était paisible, la mélodie de l'eau répondait aux notes joyeuses des oiseaux du printemps. La jeune fille les écouta, guettant le chant des fauvettes qu'elle aimait tant, puis, elle sortit le courrier.

Les noisettes suivaient les lignes, et sans qu'elle n'y prenne garde, ses lèvres venaient de s'étirer en un léger sourire, trahissant la joie qui était sienne en cet instant. Comme si soudain, il semblait possible de prolonger la magie d'un soir de fête. Si la raison lui criait de ne pas s'emballer, ses sens eux, jouaient une toute autre mélodie, puisant dans le souvenir des bras qui l'avaient fait virevolter au rythme de la musique, dans l'éclat d'un regard de lichen, dans le léger accent chantant d'un pays du sud. Ses joues alors, s'étaient fardées de rouge, et elle sentait bien son cœur battre un peu plus vite, appréhendant ces retrouvailles et les souhaitant plus encore.

Besace sur les genoux, tenant lieu d'écritoire de fortune, elle s’attela à une réponse.




Roman,

J'ai attendu votre courrier, et à présent qu'il est là, peu importe le temps qu'il lui a fallu pour venir jusqu'à moi, l'important ne se tient pas dans l'attente, mais dans les mots que vous m'adressez. J'ai regardé sur la carte quel serait être votre chemin, et je le suivrai chaque jour jusqu'à ce qu'il vous ramène à moi. Car oui, Roman, bien sûr que j'ai encore le souhait de vous attendre. Comment pourrait-il en être autrement puisque vous avez vous, le souhait de venir me retrouver ?

J'en suis un peu honteuse mais je dois vous avouer que je n'ai jamais trop eu l'habitude de prier le très haut. C'est donc à vous que je vais adresser mes prières Roman. Je vous en prie, soyez prudent, puisse votre chemin jusqu'à Nevers être paisible. Gardez-vous des brigands qui voudraient vous rançonner ou vous occire. Je vous en prie, faites en sorte qu'aucun malheur de ralentisse votre route, il me tarde tant de vous revoir.

La vie à Nevers n'est pas désagréable, même si les jours qui ont suivi mon arrivée ont été bien difficiles. Je vous en ferai le récit si vous le voulez, quand vous serez là. Mais les amitiés offertes je crois m'ont été salutaires pour affronter les épreuves qui m'attendaient.

Si vous voulez, je demanderai au sieur Kelmet de vous réserver une chambre dans son auberge. Il m'y loge gracieusement, en échange d'un peu d'aide dans la salle commune le temps de mon séjour ici. Je n'avais jamais encore fait cela, mais ça n'est pas déplaisant. Il me laisse néanmoins assez de temps pour vaquer à mes occupations, et les prochaines seront de guetter votre venue, peut-être au matin de dimanche.

Si vous saviez Roman, combien je suis impatiente, et peut-être suis-je aussi un peu troublée.
Fanette

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Roman.
La nuit tombait presque lorsque Roman arrêta sa monture au pied d'une vieille chapelle abandonnée, à quelques lieues au sud de Châteauroux. La fatigue tenaillait ses muscles, des mollets aux cuisses, du dos aux épaules, jusqu'à la nuque... Il s'étira, les yeux mi-clos, avant de se détendre un peu pour se laisser aller au bas de sa selle. D'une main lente, il caressa l'échine de son cheval, dont la sueur commençait à s'évaporer dans l'air froid de la soirée. Il prit le temps de l'étriller et de le couvrir pour ne pas qu'il prenne froid, puis s'affaira à installer un refuge de fortune pour la nuit. Le porche de la chapelle ferait l'affaire, le protégeant du vent sur presque trois côtés. Il s'y blottit, sous une couverture, et après avoir mangé, déroula la lettre de Fanette. Dans sa solitude nocturne, tout juste réchauffé par son petit feu de camp, Roman sourit... Puis, se tournant de son mieux et offrant son flanc au feu pour voir ce qu'il écrivait, il commença à lui répondre.

Citation:
Fanette,

J'ai reçu cet après-midi la lettre de dame Isaure m'annonçant la rupture de notre contrat. Je pense que c'est une bonne chose et j'admets n'avoir pas été à la hauteur de mon devoir, à ma grande honte - seulement pour ma réputation, car personnellement je m'en remettrai bien. Je n'étais pas concentré sur ma tâche. Ce n'est pans dans mes habitudes et je me navre d'avoir failli à mon devoir, mais tant pis. Car c'est par heureuse distraction que j'oubliais de suivre la route de mes compagnons, occupé que j'étais à relire vos lettres et à penser aux pas de danse que je voulais vous apprendre.

Je suis ce soir contre le mur d'une chapelle, avec un feu de camps et mon cheval, mais étrangement je ne me sens pas seul.

Je fais de mon mieux pour vous rejoindre au plus vite.

R.C.

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