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[RP ouvert]L'hôtel de Culan.

Anne_blanche

Matheline ! Eh ! la Matheline ! Annonce Dame Aryan ! Et un peu vite !


Anne, occupée à calculer sur son abaque les implications d'une modification des salaires miniers, sursauta. Les perles soigneusement rangées se déplacèrent, amenant une moue de dépit aux lèvres de la jeune fille.

Eh bien, Matheline !


Mais la servante dormait. La foudre tombant à ses pieds aurait seule pu la réveiller, et encore.

Pourquoi Bacchus hurle-t-il comme ça pour annoncer Mère ?

Anne avait compris "Dame Maryan". Résignée, elle se leva, traversa l'antichambre, et ouvrit elle-même la porte donnant sur l'escalier extérieur. En bas, sous le porche, une jeune femme portant un enfant sur un bras enlaçait de l'autre le gros Bacchus. Mais la chose était si malaisée que l'étreinte ne dura qu'un bref instant. Anne comprit son erreur en reconnaissant Dame Aryan. Elle l'avait vue dans la journée à la taverne, et l'avait reconnue pour l'avoir croisée, dans son enfance, en Berry.
L'homme qui se tenait derrière elle, portant non pas un, mais deux enfants, devait être son compagnon.
La jeune fille rougit en se souvenant des paroles de la dame. Nul prêtre n'avait consacré son union avec le père des enfants. Instinctivement, elle jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, pour vérifier que Gabriel n'avait pas été attiré par la voix tonitruante de Bacchus. Peut-être n'était-il même pas dans la maison, d'ailleurs.


Bacchus, peut être faudrait il d'abord trouver un endroit où on pourrait mettre la carriole et un endroit pour coucher les enfants au calme, ils sont fatigués et ne vont pas tarder à être affamés.


Et elle qui restait figée en haut de l'escalier !
Anne dévala les marches aussi rapidement que le lui permettait sa dignité, et salua les arrivants.


Bienvenue, Dame, Messire.
Bacchus, montez secouer Matheline, je vous prie. Je crois qu'elle devient un peu sourde, elle ne vous a pas entendu. Elle a fait préparer les chambres de Dame Aryan et sa famille.


Elle jeta un rapide regard sur la carriole qui encombrait le passage.


Et faites mener cet attelage aux écuries.


Au moins, avec Bacchus, elle était sûre d'être comprise, et obéie sur-le-champ.
Elle ne savait trop que dire à ces visiteurs quasi inconnus. Mais sa mère lui avait appris que, en pareil cas, le plus simple est d'offrir le boire et le manger. Aussi, d'un geste gracieux copié sur ceux - bien plus naturels - de la vicomtesse, désigna-t-elle l'étage.


Nous serons mieux dans la grand-salle, n'est-ce pas ? Matheline nous y fera porter collation. Vous pouvez lui confier sans remords vos enfants, c'est elle qui m'a élevée.

Elle n'ajouta pas que Matheline avait bien souvent oublié de lui faire porter ses repas, à l'époque où Mère n'était pas encore à Vienne, ni que les soins prodigués par la servante s'étaient bornés au strict minimum.
Elle précéda ses hôtes dans la grand-salle, désigna des sièges.


Le voyage depuis Sancerre n'a-t-il point été trop pénible ? Que vous semble de Vienne ?
Zoyas
Zoyas arrivait, timide devant ce grand hostel. A dire vrai, elle ne s'habituait pas vraiment à ces grandes demeures où l'on se perdait. Du moins, celles pour le travail, tels que le Castel de Lyon, ou encore les châteaux de la diplomatie ducale ou des estrangères, elle n'en faisait pas cas.
Mais les domaines des grandes familles, c'était autrement plus impressionnant pour elle.
Elle avait conscience de l'immense honneur et de la chance qu'elle avait eu d'avoir en octroy le Domaine de Marcieu, et n'y étais encore allé que pour le visiter. Bientôt il lui faudrait l'aménager. Elle en profiterait donc, ici, pour admirer en détail les décorations, tapisseries et meubles. Ainsi que l'agencement des pièces, car si elle ne pourrait pousser les murs ni les enlever, peut être pourrait elle transformer un bureau en chambre ou vice versa.

C'est donc quelque peu émue qu'elle arrivait icelieu, le parchemin d'Anne en main. Sourire aux lèvres, elle se dirigea vers la porte cochère. Elle passa le porche et vit sur la droite l'escalier dont lui avait parlé son hôtesse.
Devait elle monter ?

Ne sachant si c'était bien convenable, elle aperçut finalement quelqu'un descendre et dit rapidement, comme une enfant prise en pleine bêtise :

Bonjour !

Je me nomme Zoyas, Dame de Marcieu, je suis invitée par Demoiselle Anne..


Soudain honteuse, le rouge lui arrivant aux joues, elle ne savait si icelle était vicomtesse comme sa mère, ou autre chose...Ni comment la bienséance voulait qu'elle la nommât.


Baste, elle me pardonnera, j'en suis sûre ! mais il faudra que je lui demande à l'occasion !

Cette pensée la fit sourire encore plus, pensant à ce pourquoi elle lui avait demandé audience.
Elle avait une chose à lui demander.

A elle, car cela s'était imposé comme une évidence.
Et c'était une marque d'une grande confiance que de lui demander cela.
Sans savoir si la demoiselle accepterait ou non, elle regarda la personne qui allait l'accueillir descendre les marches...

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Anne_blanche
A peine arrivés, les visiteurs s'étaient trouvés confrontés à un grave problème de santé de Dame Aryan. Elle avait dû aller se faire soigner au couvent, où les sœurs veillaient si farouchement sur elle que le pauvre Jelubir n'avait pas l'autorisation de l'approcher. Il errait dans Vienne comme une âme en peine, et Anne ne le croisait jamais.

Demoiselle Anne, ya un pigeon qu'a porté ça.

Donnez, Bacchus. Merci.


Les courriers étaient plutôt rares, à l'hôtel de Culan. Anne recevait d'ordinaire les missives soit à la Mairie, soit au Castel. Cependant, elle en attendait une de son parrain depuis plusieurs jours, et s'empara avidement du parchemin tendu par le cocher, cherchant le scel de La Chapelle-Angillon. Mais ce n'était pas son oncle qui lui écrivait.

Citation:

Bien chère Anne,

Cela me fait plaisir de vous annoncer mon arrivée en Vienne.
J'y resterais probablement une nuit ainsi que deux journées entières, pour ne repartir donc que demain soir.
J'espère que je vous verrais tantôt.

Amicalement,

Zoyas


La dame de Marcieu ! Anne venait de passer deux mois à travailler à ses côtés, au Conseil Ducal. La jeune femme et la presque fillette s'étaient bien entendues, chacune appréciant le travail et la disponibilité de l'autre.

Attendez, Bacchus. Je rédige tout de suite la réponse, vous la porterez en mains propres à la Dame de Marcieu.


Ainsi fut fait. Il ne s'écoula guère plus d'une heure avant que le marteau de la porte cochère ne résonnât sous la voûte. Anne fut plus prompte que Matheline, qui comme toujours somnolait en quelque coin de l'hôtel au lieu de se tenir à son ouvrage. Quant à Bacchus, sa mission accomplie, il avait dû rester en quelque auberge s'abreuver de bière ou de vinasse, à moins qu'il ne fût appuyé sur sa binette, au fond du courtil, en train de parler aux oiseaux.

Bonjour !

Je me nomme Zoyas, Dame de Marcieu, je suis invitée par Demoiselle Anne..


Du haut de l'escalier, Anne voyait parfaitement le visage levé vers elle, éclairé en plein par la porte grande ouverte. Mais elle-même était dans l'ombre, et la dame ne l'avait pas reconnue. Elle descendit aussitôt à sa rencontre.


Dame Zoyas ! Quel plaisir de vous voir ici !


La visiteuse souriait, mais Anne nota aussitôt la rougeur qui lui montait au front, et se demanda incontinent ce qui avait pu la provoquer. D'être accueillie par elle, au lieu d'un domestique, comme le voulait l'usage ? Probablement pas. La dame de Marcieu ne lui avait guère semblé très au fait de cette sorte de chose, et Anne devait bien s'avouer qu'elle-même n'y attachait de prix que par égard pour sa mère. D'ailleurs, la vicomtesse eût-elle été en ville que sa fille ne se fût pas permis cette entorse.
Elle glissa familièrement son bras sous celui de la dame, et l'entraîna vers le jardin.


Allons nous asseoir au soleil, si vous le voulez bien. Je passe tant de temps enfermée dans mon bureau du castel ou celui de la mairie que j'aspire à la lumière ! A moins que vous ne préfériez entrer tout de suite ?
Zoyas
Ce fut en fait Anne elle même qui vint à sa rencontre, au grand étonnement de Zoyas, qui avait pensé avoir affaire à une domestique.

Elle fit alors un grand sourire et répondit :

Le plaisir est pour moi Anne !

Je vous en prie, laissez donc le "Dame" de côté, au moins tant que nous sommes enter nous !


Elle la regarda avec une complicité qui l'étonnait elle même. Comment pouvait elle ressentir cela pour une fille qui avait presque deux fois moins son âge, élevée dans une grande famille, avec des idées politiques bien différentes des siennes ?

Pas tant différentes que cela en fait, sur certains points. Mais là n'était pas la question.

Elle regarda le visage de la jeune fille et répondit à son appel de soleil.

Cela me fera le plus grand bien à moi aussi, de prendre l'air et musarder un peu.
Le voyage depuis Embrun fut...Comment vous dire.


Un sourire en repensant aux quelques péripéties déjà arrivées, sa façon de tomber de cheval devant l'auberge..
Tout cela n'allait pas avec sa nouvelle noblesse, elle ne pouvait l'avouer à quiconque.
Mais justement, celle avec qui elle avait projeté de descendre dans les mines...


Alors, j'espère que vous vous plaisiez au nouveau conseil. Dites moi, êtes vous finalement descendue ? Je n'en ai pas eu le temps. Mais aujourd'hui je ne fais rien peut être que...


Le même regard complice qui avait déjà été échangé, elle souriait comme une enfant.

Elle s'assit sur un banc de pierre joliment orné de sculptures, visage face à l'astre céleste qui inondait le jardin de lumière.
Se laissant réchauffer, inspirant cette énergie pour se régénérer...

Il fallait qu'elle lui demande, qu'elle lui parle de la vraie raison de sa venue, même si aller dans les mines plus tard serait un régal et une aventure sans aucun doute amusante...

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Anne_blanche
Le plaisir est pour moi Anne !

Je vous en prie, laissez donc le "Dame" de côté, au moins tant que nous sommes enter nous !


Ça, ça risquait de présenter quelque difficulté. Enfant, Anne n'avait que rarement fréquenté des amis de son âge, à part Antoine, le fils de sa marraine. Et depuis le départ de son père, il travaillait si dur qu'elle ne le voyait plus. La pensée l'attrista, mais elle prit soin de chasser aussitôt toute ombre de son visage : Dame Zoyas n'y était pour rien. Il n'y avait que son frère qu'elle appelât par son prénom, et encore ! Seulement dans l'intimité.
Dame Zoyas la fixait, l'air un peu surpris. Anne était depuis longtemps habituée à ce regard des adultes. Ils oubliaient, dans les rapports de travail, qu'ils avaient affaire à une très jeune fille, et le redécouvraient dans les situations plus ordinaires. Il faudrait encore plusieurs années avant que cela ne passe, elle en avait pris son parti.


Cela me fera le plus grand bien à moi aussi, de prendre l'air et musarder un peu.
Le voyage depuis Embrun fut...Comment vous dire.


Elles marchaient tranquillement, traversaient la cour des écuries, dont les pavés soigneusement balayés luisaient doucement, passaient sous l'arche de clématites en fleur, qui tranchaient somptueusement sur la pierre des piliers auxquels elles s'accrochaient. Dame Zoyas renonça à parler de son voyage, et Anne n'insista pas. Les péripéties de la route, elle ne les connaissait que trop bien, ainsi que l'angoisse latente d'une mauvaise rencontre. Ici, dans ce jardin clos, à l'abri du fracas de la ville et des rumeurs de brigandage, on pouvait se laisser aller à oublier l'état de siège, les ornières, les bêtes égorgées et l'inconfort des mauvaises auberges.


Alors, j'espère que vous vous plaisiez au nouveau conseil. Dites moi, êtes vous finalement descendue ? Je n'en ai pas eu le temps. Mais aujourd'hui je ne fais rien peut être que...


Anne s'assit sur son banc favori, caressant machinalement les feuilles d'acanthe sculptées de l'accoudoir. Il faisait bon.


Le nouveau conseil... Une continuité, au fond. Les personnalités changent, les jaspineurs ne sont plus les mêmes, les sources de rancoeurs non plus, mais vous savez, Dame Zoyas, c'est toujours la même chose : les gens râlent, mais le travail se fait, et consciencieusement, malgré les sautes d'humeur.

Elle n'ajouta pas qu'elle avait souvent l'impression que l'enfant, dans ce Conseil, ce n'était pas elle. A quoi bon ? Ceux qui travaillaient vraiment, on les entendait peu, et le plus souvent à bon escient. Quant aux autres... Dame Zoyas avait vécu cela, inutile de s'y étaler longuement.

Je n'ai pas encore eu le temps de descendre, moi non plus. J'y envoie Bacchus les jours où il ne me conduit pas à l'Université. Il attribue leurs lieux de recherche à ceux qui tentent de découvrir des pépites.


Le soleil incitait à la paresse. Du coin de l'œil, au-delà d'un muret bas, Anne voyait les carrés de terre surhaussée, soigneusement entourés de clisses de châtaignier ; les tiges des oignons sortaient déjà de près de 5 pousses, les rangées de poirée pointaient leur ligne pâle sur le velours brun, le thym commençait à embaumer. Dans le tilleul, les bourdonnements d'abeille prévenaient qu'il serait bientôt temps de procéder à la récolte. Dame Zoyas semblait dans les mêmes dispositions d'esprit qu'elle, visage tourné vers le soleil.

Je vous avoue que je resterais volontiers à l'air libre, aujourd'hui. Nous aurons bien le temps de descendre un jour de grisaille. Dites-moi, Dame...

Une inspiration soudaine, une impulsion la poussa à demander, sans prendre le temps de réfléchir.


Lors de la cérémonie, à Mercurol, vous m'avez dit vouloir me parler. Vous sembliez ...


Avait-elle bien compris ? Rien n'était moins sûr. Tant pis, c'était lancé.

... quelque peu tendue. Y a-t-il quelque souci qui vous pèse, auquel je puisse apporter remède ?


Peut-être était-ce présomptueux de sa part. Mais Anne était encore bien jeune pour en tenir compte. A part Bacchus qui, tout au bout du jardin, s'était remis à sarcler avec ardeur en entendant venir la jeune maîtresse, nul domestique ne traînait par là. Elles étaient seules. Si Dame Zoyas voulait lui faire grief de sa spontanéité, nul n'en saurait rien.
Zoyas
Elle avait sourit lorsqu'Anne avait parlé du conseil. Les enfants n'étaient jamais ceux que l'on croit, et certains qu'elle connaissait bien, elle n'aurait aucun mal à croire qu'ils jouaient parfois d'une immaturité tantôt horripilante, tantôt attendrissante.
Quoiqu'il en soit, elle ne doutât pas que le conseil travaillât.
Elle avait fait une moue et rajouté sur le ton de conversation, qui n'attendait aucune réponse...


Les impôts me semblent plus importants encore que le mandat précédant. Pourtant nous avions relevé les finances...

Ce n'était point un reproche. Mais la jeune femme avait longtemps entendu dire que lorsqu'on quitte le conseil, on a toujours envie de savoir un peu ce qui s'y passe par la suite. Et la situation l'étonnait..
Mais elle ne manquerait pas, plus tard, d'aller poser la question en salle de doléance.

Le bruit d'une mouche qui voletait autour de son oreille commença à exaspérer Zoyas qui n'était que peu patiente. Toujours dans le mouvement, elle avait souvent du mal à se laisser aller à la nonchalance. De gestes courts et nerveux, elle réussit enfin à la chasser tandis qu'Anne parlait des mines.

Elle crut sentir une faible résignation mais ne dit rien.


Lors de la cérémonie, à Mercurol, vous m'avez dit vouloir me parler. Vous sembliez ..... quelque peu tendue. Y a-t-il quelque souci qui vous pèse, auquel je puisse apporter remède ?

Elle sursauta presque. Anne avait ce don, pensait elle, de dire les choses à propos. Et de souvenir de nombreux détails. Elle était fort observatrice.
La rouquine laissa un peu son regard vagabonder au delà, elle regarda Baccus occupé à oter les mauvaises herbes, rejoignant le regard de sa compagne, elle ferma les yeux enfin et inspira le parfum envoutant des nombreuses fleurs du jardin.

Enfin, elle répondit, un peu hésitante...


Ce n'est pas que je sois tendue, ou bien que j'aie un réel problème..


Comment expliquer ce qu'elle ressentait par moments ? Elle se redressa sur le banc, tournant légèrement son corps pour faire face à la demoiselle.

Je n'ai jamais eu d'éducation noble. Bien qu'ayant été élevé dans le respect, le travail et la rigueur, ainsi que la politesse.
J'ai eu la chance d'apprendre à lire relativement tôt grâce à un voisin fort patient.

Mais aucun cours de savoir vivre, pas la moindre notion de l'étiquette, le monde de la noblesse était complètement indifférent à mes parents qui labouraient leur champs. Sans doute jamais n'auraient il pensé qu'un jour j'aurais une terre en octroy !


Elle en venait au but, lentement. Son regard, à nouveau, bascula sur les lianes de vigne vierge qui recouvraient une tonnelle non loin de là, baignant de son ombre bienfaitrice une table et quelques fauteuils.
Elle continua, et chaque mot qu'elle disait l'apaisait, comme si se confier enfin lui faisait déjà du bien.


Depuis que j'ai reçu mes terres, je prend conscience que je ne peux rester la même. Je dois évoluer, apprendre, bien souvent, je suis en face de nobles pour lesquels avant, bien qu'étant fort courtoise, je n'avais pourtant sûrement aucune éducation !


Un sourire furtif. Elle prenait conscience qu'elle était encore une paysanne...


Et je vous avoue, je suis perdue parfois, un peu comme à la réception de l'ambassadrice de Champagne.
Heureusement que vous étiez là !

Toujours est il que je pars à nouveau en voyage diplomatique, et que je serais reçue à des réceptions moi aussi.
Et que je ne sais trop comment me tenir...


Voilà. Elle avouait, simplement, sans honte. Elle devait apprendre. Elle savait bien qu'elle ne pouvait pas devenir la dame de compagnie d'Anne, cette dernière étant bien trop jeune. Se serait en fait Anne elle même, si ce n'était déjà fait, d'aller dans une maison apprendre toutes ces choses. Mais Zoyas gageait qu'elle savait déjà. Et il lui fallait trouver quelqu'un avec qui elle se sente bien, et qui, selon elle, pourrait lui enseigner tout ceci avec bienveillance.

Avant de poser la question franchement, elle attendit de voir la réaction de la fillette.

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Anne_blanche
Lors de la cérémonie, à Mercurol, vous m'avez dit vouloir me parler. Vous sembliez ..... quelque peu tendue. Y a-t-il quelque souci qui vous pèse, auquel je puisse apporter remède ?

Anne perçut un rapide regard de son interlocutrice, avant qu'elle ne se mette à observer vaguement le jardin. Elle profita du moment où Dame Zoyas fermait les yeux pour se rasseoir bien droite, comme on le lui avait appris. Le Père Comis disait toujours que si on discipline son corps, on a l'esprit plus libre pour écouter ou comprendre. Anne avait toujours suivi ce précepte - elle n'avait pas eu le choix, à vrai dire, parce que le digne ecclésiastique ne manquait jamais d'appuyer le bout de sa férule entre ses omoplates quand par hasard elle se voûtait un peu - et ne s'en était pas plus mal portée.
Dame Zoyas se tourna vers elle, et se mit à parler de l'éducation qu'elle avait reçue, d'abord un peu tendue, puis de plus en plus librement. Anne écoutait, impassible. Elle avait souvent pesté contre l'absence de sa mère, le destin qui l'avait privée de père, Matheline et ses exigences absurdes en matière de robes ou de bonnets, ... mais jamais contre le Père Comis, et fort rarement contre Bacchus.
Elle ne savait plus qui lui avait appris à lire, c'était venu tout seul, en écoutant le curé à la messe du matin, et en suivant dans son missel les mots tous les jours répétés. Ecrire, elle n'avait jamais bien su : elle avait appris trop jeune, quand ses doigts malhabiles se refusaient à tracer les courbes élégantes qu'elle voyait dans sa tête, l'amenant trop souvent au bord des larmes.
Le Père Comis lui avait appris tout ce qu'il savait en matière de latin, de grec, d'arithmétique ; il lui avait déclamé des poèmes, l'avait toujours laissée lire n'importe quoi, n'avait jamais refusé d'expliquer un mot, une phrase, un passage, même quand le sujet dépassait ce qu'on tolère habituellement aux enfants.


Toujours est il que je pars à nouveau en voyage diplomatique, et que je serais reçue à des réceptions moi aussi.
Et que je ne sais trop comment me tenir...


Anne laissa le silence s'installer, réfléchissant. Dame Zoyas voulait apprendre, et cela, plus que tout, lui attirait le respect de sa jeune compagne. Apprendre, ça avait toujours été pour Anne aussi nécessaire que boire ou dormir. Apprendre tout et n'importe quoi, dans n'importe quel ordre, s'abreuver à toute source de savoir, boire les paroles du Père Comis ou de Messire Walan, s'imprégner des gestes de Bacchus ou de Flamenque, copier ceux de sa mère, écouter son frère parler d'Aristote ou du Très-haut, et lire... Le Livre de raison de sa tante décédée, ses ouvrages de botanique et de maïeutique, les poèmes de Messire Meschinot, les soties, les farces, l'Histoire du Royaume et des anciens Romains, les traités d'économie de Monseigneur Ingresstar et le Livre des Vertus, les cartes de géographie aux enluminures somptueuses et la sèche comptabilité en double part du tenancier de sa forge.

Vous savez, Dame Zoyas, ce n'est pas bien difficile. C'est un maître de danse engagé par Mère, quand nous étions petites, à Culan, ma soeur et moi, qui nous a appris à faire la révérence.


Elle sourit au souvenir des "grmbl" proférés par le Vicomte d'Ancelle, quand elle accueillait chacune de ses entrées en taverne d'une révérence de cour, à l'époque où il était gouverneur.


Pour le reste, il suffit de ...


Elle s'interrompit. Il suffit de ... Ben oui. Il suffit d'avoir été élevée là-dedans depuis la naissance, d'avoir eu pour mère une vicomtesse, pour tante une Johanara, aussi rousse que Dame Zoyas, et pour cocher un Bacchus, d'autant plus attaché aux convenances qu'il avait porté aux nues son ancienne maîtresse, issue de la plèbe et montée aux sommets. Mais justement, ce n'était pas le cas de la dame.


J'allais dire une bêtise, Dame Zoyas, pardonnez-moi. D'autres prétendraient que rien de tout cela n'a d'importance. Ce n'est pas vrai. Surtout en diplomatie. La plupart des comtes, ducs, vicomtes que vous serez amenés à fréquenter le sont devenus à force de travail, eux ou leurs pères. L'étiquette, c'est pour moi une forme de respect que l'on doit à ce travail.


Le petit visage était grave, les grands yeux bleus fixaient la clématite enroulée à son pilier rigide. Elle n'avait jamais réfléchi vraiment à tout ça, les histoires de préséances et les formulations officielles des courriers, ça coulait de source pour elle. Tout comme le refus des "bisouilles" et "léchouilles", ou du tutoiement, ou des beuveries en taverne.

Ça ne doit pas être facile, pour vous, tout ça. Bacchus m'a dit un jour que mon père et ses cousins, quand ils ont reçu la noblesse, ont dû apprendre tout ça tout seuls. Ça leur a pris des mois. Et encore, ma tante était fille d'un comte. Bâtarde, mais fille de comte.


Elle hésitait. Peut-être Dame Zoyas prendrait-elle en mauvaise part sa proposition. Après tout, elle était beaucoup plus jeune qu'elle, et ces questions d'âge revêtent tant d'importance aux yeux des gens !

Vous savez ce qu'on pourrait faire ? Si vous voulez, je vous montre, pour les révérences, tout ça. Et je vous explique qui on doit saluer en premier, devant qui on ne s'assoit pas, à qui on n'adresse pas la parole sans y être invité, les formules pour les missives... Enfin, tout ce qui facilite bien la vie quand on fréquente les ambassades.


Elle n'ajouta pas que ça resterait entre elles. C'était évident.
Zoyas
Elle s'amusa un peu en écoutant les premières phrases de sa jeune hôtesse. Tout ceci était tellement naturel pour elle !
Mais elle avait comprit qu'il était important pour l'ambassadrice de ne point faire d'impair. Elle représentait le duché, et allait le faire cette fois aux yeux de tous, point seulement dans un château plein d'autres ambassadeurs parfois aussi ignare qu'elle même à toutes ces manières.

Et la Marcieu aussi, de par son nom, se devait à présent de représenter la noblesse dauphinoise de son mieux.
Elle écoutait ce que disait la jeune fille...


D'autres prétendraient que rien de tout cela n'a d'importance. Ce n'est pas vrai. Surtout en diplomatie. La plupart des comtes, ducs, vicomtes que vous serez amenés à fréquenter le sont devenus à force de travail, eux ou leurs pères. L'étiquette, c'est pour moi une forme de respect que l'on doit à ce travail.
mon père et ses cousins, quand ils ont reçu la noblesse, ont dû apprendre tout ça tout seuls. Ça leur a pris des mois. Et encore, ma tante était fille d'un comte. Bâtarde, mais fille de comte.


Oui, je comprend tout cela, j'essaie moi même d'agir noblement, comme aiment à le répéter certains grands de ce duché.
Et je comprend ce qui est bon. Pour moi et pour le duché.

Je vous avoue qu'il y a quelques temps seulement, alors que je n'avais aucune fonction ducale ou mesme avant d'estre maire, je souriait devant les apparats que certains arboraient.
Je m'amusait parfois de leur parler, des révérences que vous faites tous si bien.
Et je ne l'enviait point.
Pensant que tout ce paraître, poudre aux yeux, était de la prétention.
Mais les ronds de jambes sont bien plus que de l'amusement.

Par delà les préjugés, j'ai apprit, par mon travail et par la récompense que l'on m'a faite, qu'à présent je devais, chaque jour que fais Aristote, continuer de la mériter.

Et je vais m'y employer.

A la proposition d'Anne, son visage s'illumina et les prunelles de ses yeux s'agrandirent. Elle avait conscience que c'était un beau cadeau que lui faisait la demoiselle, de donner de son temps pour elle, ainsi.
Noblement.

Elle ne pouvait refuser ce qu'elle était venue chercher et qu'on lui offrait sans qu'elle aie eu à le quémander.


Votre aide me sera précieuse, Anne !
Je commence, à avoir admiré le travail de Dame Espoire en son temps, à savoir manier les mots dans les lettres.
Mais il me manque quelques formules, oui...


Pensive, elle fouillait dans sa mémoire à la recherche de questions qu'elle s'était posées pendant des cérémonies.

Tenez, par exemple, dites moi. Quand je me trouve devant quelqu'un qui n'a pas forcément ses armes. Comment faire pour savoir quelles terres il a ? Comment reconnaitre un Vicomte d'un baron ?
Et comment l'appeler donc ? Messire ?


En fait, une foule de questions affluait à son esprit, et elle savait qu'elle n'aurait point le temps de toutes les poser, d'apprendre tout cela avant son départ.
Elle espérait qu'une correspondance fournie pourrait venir à bout de ses premières interrogations. Mais savait qu'elle ne cesserait d'en avoir, les unes ayant trouvé réponses, d'autres viendraient les remplacer.

Le soleil chauffait agréablement son visage, mais à l'alanguissement des premières minutes succéda une fébrilité qu'elle connaissait toujours lorsqu'elle ouvrait un nouveau document ou apprenait quelque chose.

Un lézard, plus loin, apeuré par un mouvement brusque de son pied rentra dans une fissure du muret. Les oiseaux pépiaient. Le bruit de la rue arrivait si assourdi qu'on eut cru que la ville dormait.
Et elle bouillait d'une soif d'apprendre, d'une vitalité qu'elle n'avait pas connu depuis des semaines.

Elle en oublia même, quelques instants, l'étrange parchemin reçu qui laissait entendre que ses parents ne l'étaient pas, et que son vrai père la recherchait à travers le Royaume.


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Anne_blanche
Assise sur les coussins, dans l'embrasure de la fenêtre, Anne ne faisait rien. Cette inactivité était si rare qu'un observateur en eût aussitôt déduit que quelque chose n'allait pas. Mais pour cela, il aurait fallu qu'il y eût un observateur.
Or, si Matheline était bel et bien présente dans la pièce, elle n'observait pas. Armée d'un fuseau, elle filait en psalmodiant d'une voix de fausset une vieille chanson de toile.


Belle Doette aux fenêtres s'assied,
Lit en un livre mais au coeur ne l'en tient;
De son ami Doon lui ressouvient,
Qu'en d'autres terres est allé tournoyer.
Et or en ai deuil.


Entre ses doigts experts, le fil se créait. De l'autre main, elle étirait la mèche. Quand le fuseau atteignait presque le sol, la servante donnait un coup sec vers le haut, enroulait le fil, et recommençait. Elle avait les yeux dans le vague, les notes incertaines de sa chanson montaient, la voix se faisait plus forte quand la laine s'enroulait. Elle était ailleurs, perdue en quelque monde connu d'elle seule.
Anne regardait, la tête pleine d'images de Parques, incapable de voir dans ce fil autre chose que la vie de sa mère, tremblant quand il devenait si ténu qu'on pouvait croire qu'il allait rompre, reprenant sa respiration quand il reprenait un diamètre normal. Elle voulait partir, faire quelque chose, ne plus voir en Matheline une indifférente Atropos, mais ses membres de plomb lui refusaient tout service.


Un écuyer aux degrés de la salle
Est descendu, a déposé sa malle.
Belle Doette les degrés dévale,
Ne cuide pas ouïr male nouvelle.
Et or en ai deuil.


Non ! Pas de "male nouvelle". Impossible. D'ailleurs, aucune nouvelle ne franchissait jamais les murs de Noirlac. Les bons pères y veillaient. Qui faisait retraite, pour quelque raison que ce fût, ne communiquait plus avec l'extérieur. Mais qui sait ? Peut-être accepterait-on de laisser Maryan lire une missive de sa fille ? Et si elle était trop faible pour lire, peut-être la lui lirait-on ?

Anne s'ébroua comme un jeune chien au sortir d'un lac glacé, et se mit à son écritoire.


Citation:
Mère,

Je ne sais si vous pourrez lire ou vous faire lire la présente. Mais il fallait que je vous dise tout mon amour, et toute la peine que je ressens à être une fois encore séparée de vous.
Votre fille vous supplie, Mère, de vous bien conformer aux prescriptions des mires, et de ne point laisser une santé chancelante nous empêcher de nous mieux connaître.
Me pardonnerez-vous jamais mes colères, l'orgueil qui m'a trop souvent tenue éloignée de vous ?

Votre fille qui vous aime,

Anne


C'était bref, écrit d'un seul jet. Ce fut aussitôt scellé, aussitôt confié, par elle-même, à un pigeon soigneusement choisi.


Belle Doette aussitôt demanda:
"Où est messire que n'ai vu de longtemps?"
Il eut tel deuil que de pitié pleura.
Belle Doette aussitôt se pâma.
Et or en ai deuil.


Depuis le pigeonnier, Anne n'entendit pas ce couplet. Fuyant la fraîcheur de la grand-salle, elle se réfugia sur un banc du courtil, devant une bordure de thym en fleurs.
Gabriel_de_culan
Les jours étaient longs depuis que Maryan était enfermée, infirme, entre les murs de Noirlac. Un miracle avait vu Frère Roger se relever plein d'appétit le jour même de la Saint Arnvald. Peut-être ce miracle de Noirlac se reproduirait pour la mère des jeunes Cornedrue.

Il ne se passait pas une heure, jour comme nuit, sans qu'une prière soit adressée à Sainte Boulasse, Christos, Aristote, et au Très-Haut, pour le rétablissement de la jolie blonde, pourtant si jeune, et promise à un nouveau beau mariage.

Quelques semaines encore avant sa maladie, il se racontait parmi les domestiques que les plus beaux parmi la noblesse, la courtisaient encore. Tel vicomte aurait ainsi, paraissait-il, fait annuler son mariage pour avoir succombé aux yeux pairs de celle qui n'avait jamais épousé, pourtant, que le père de ses trois enfants.

Un courrier frappa à la porte de l'hôtel de Culan, à Vienne. Il fut reçu par Bacchus, et demanda à voir le vicomte, pour lui remettre un pli de main propre.

Quelques minutes plus tard, Gabriel fut au salon, et Anne non loin derrière lui. Il tendit deux écus au courrier qui attendait une éventuelle réponse. Après l'avoir décacheté avec soin, il déroula et lut la missive à voix basse, pour être certain qu'Anne n'entende pas, en cas de trop mauvaise nouvelle.


Citation:
Monsieur,

Je crois de mon devoir de vous informer du transfert de Madame votre mère au castel de Culan. Selon les médicastres de Noirlac, elle en aurait fait la demande elle-même, et personne n'y aurait vu d'objection. Je prie Monseigneur de croire que je la veille chaque jour que Dieu me donne à vivre, avec la plus grande pudeur et la meilleur attention possible. Que monsieur sache également qu'un médecin reste à ses costés tout le jour et partie de la nuit. Un grand cierge a été allumé en la chapelle Sainte-Boulasse.

Que Dieu vous garde, Monseigneur.

Votre dévoué Anicet.


Ils avaient envoyé Maryan à Culan.
Gabriel savait bien ce que cela signifiait. Il se doutait qu'Anne comprendrait aussi. Sans dire un mot, il se tourna vers elle d'un air désolé, n'ayant aucune pensée pour ce courrier qui attendait bêtement en reniflant, de l'autre côté du salon.
Anne_blanche
Ya un courrier qui d'mande après vous, Messire Vicomte.

Quelque chose dans la voix de Bacchus mit Anne en alerte. D'ordinaire, le valet parlait haut et fort. Pas aussi haut et fort que le vieil Anicet, à Culan, certes. Mais tout de même. Cette fois, le son était étouffé. Pas suffisamment, cependant, pour ne pas porter jusqu'à la chambre d'Anne, dont la porte était restée entrouverte, pour que Vignol puisse rentrer quand bon lui semblerait.
Bacchus lui cachait quelque chose.
Cette certitude suffit à pousser la jeune fille hors de sa chambre. Au seuil de la grand-salle, elle rattrapa son frère, qui se portait au-devant du courrier annoncé, avec une célérité tout aussi suspecte que le ton de Bacchus.
Gabriel reçut des mains du courrier une missive cachetée. Au soin que son frère prenait à rompre la cire, Anne sut qu'elle avait eu raison. Gabriel se mit à lire, un peu tourné. On voyait ses lèvres remuer. Toute son attention tendue, Anne tentait de suivre. Elle saisit au passage quelques mots, "Madame", "Culan", "Noirlac", "médecin", "cierge"...
Sans s'en apercevoir, Anne avait entrelacé ses doigts et, les mains crispées devant ses lèvres, elle attendait le verdict en tremblant.
Gabriel releva la tête, la regarda. Les yeux d'Anne s'agrandirent.


Mère n'est pas ... Gabriel ! Dites-moi !

Elle s'empara du parchemin que son frère tenait encore, sans se soucier de le bousculer quelque peu au passage, et lut à son tour.
Gabriel ne disait mot. Elle n'était pas de la même trempe. Elle avait besoin de parler, d'exprimer son refus. Un filet de voix s'échappa de ses lèvres, tandis que le parchemin tombait au sol.


Elle va mieux, n'est-ce pas ? C'est pour ça que les mires de Noirlac l'ont renvoyée à Culan ?


D'ordinaire, Anne se montrait lucide, terriblement lucide, même, en toute circonstance. Mais la lecture de la prose d'Anicet avait déclenché dans sa tête une voix enfantine, une toute petite voix, qui répétait inlassablement "je ne veux pas ! je ne veux pas ! je ne veux pas !... " Et elle l'écoutait. Elle ne voulait entendre qu'elle.
Elle sourit, se pencha pour ramasser le parchemin, qu'elle se mit à lisser machinalement sur la table, du dos de la main.


C'est cela, n'est-ce pas, Gabriel ? Elle va finir de se remettre à Culan. L'air est bon, là-haut. Mère va revenir. Renvoyez donc ce courrier avec une réponse pour Anicet. Et des cierges, aussi. Des cierges de bonne cire, Flamenque en a fait de neufs ce printemps. Sainte Boulasse et Saint Arnvald la protègent. Elle va revenir.

Ses paupières viraient peu à peu au même mauve que ses prunelles. Elle les abaissa un instant, les releva, darda sur son frère un regard horrifié.

Vous ne répondez pas, Gabriel...


Seule la présence du courrier, près de la porte, l'empêcha de tomber.


Vous ne répondez pas !
Terwagne_mericourt
Cela faisait plusieurs jours à présent qu'elle et Hugo étaient arrivés à Vienne... Plusieurs jours durant lesquels Terwagne n'avait guère plus croisé celui avec qui elle avait fait le voyage et à qui elle avait accepté de donner sa main depuis des mois, des mois, et des mois..., que ce qu'elle le croisait en Berry depuis... Elle ne se souvenait même plus depuis quand il était devenu si absent, distant, toujours ailleurs.

Peut-être un jour enfin se déciderait-il à passer à l'acte, à l'épouser, mais pour l'instant, il semblait avoir oublié, ou peut-être avoir de bonnes raisons de repousser, encore et encore.

Quoi qu'il en soit, elle qui s'était dit qu'en quittant le Berry pour commencer une nouvelle vie tous les deux, ensemble, auprès de sa famille à lui, les choses changeraient sans doute, elle était forcée d'admettre que sa déception était à la hauteur de ses désillusions... Rien n'avait changé, et Hugo n'était pas redevenu l'amoureux plein d'attentions qui lui avait demandé d'unir sa vie à la sienne, un soir à Sancerre.

Transparente, elle l'était devenue à ses yeux, qui avaient bien du mal à retenir leurs larmes le soir quand elle se couchait en se demandant si il l'aimait toujours et si réellement cette attitude de sa part à lui n'était due qu'à un manque de temps.

C'est avec toutes ces idées en tête que ce jour-là elle prit son courage à deux mains pour aller se présenter à l'hôtel de Culan, saluer une famille qui était celle de Hugo et dont sans doute elle ne finirait jamais par faire partie... Soit que lui-même ne se déciderait jamais à faire d'elle Madame de Cornedrue, soit que sa patience à elle toucherait à sa fin et la ferait disparaitre de son existence comme elle y était entrée, sans un bruit.

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--Bacchus
Depuis quelques jours, Bacchus marche sur la pointe des pieds. Ce n'est guère aisé, quand on a plus de 260 livres à traîner, mais le moyen de faire autrement ? Personne ne parle plus. On attend.
Un courrier est arrivé, porteur d'une lettre pour Sa Grandeur. Bacchus a senti le malheur à plein nez. Quand on lui a déjà été confronté, à celui-là, on le voit venir de loin. La mine du vicomte, quand il a lu la lettre, lui a donné raison. Depuis le seuil de la grand-salle, où il ne savait que faire de sa grande carcasse, il l'a vu qui regardait la petite demoiselle. Elle, elle s'est mise à parler, parler, parler ... Elle fait tout le temps comme ça, quand elle veut quelque chose. Elle parle, elle parle, et on finit par lui dire oui, parce qu'elle a des grands yeux bleus qui jouent les papillons, même qu'elle ne s'en rend même pas compte.
Mais la camarde, elle n'en a rien à faire, des yeux papillons d'une petite demoiselle de presque 13 ans.
Atterré, Bacchus l'a regardée sans rien dire, sans rien oser. Si ça n'avait pas été la Demoiselle, pour sûr qu'il l'aurait prise dans ses bras, et qu'il l'aurait bercée comme l'enfant malheureux qu'elle était. Pour sûr qu'il lui aurait caressé les cheveux, en lui murmurant des mots de consolation qu'elle n'aurait même pas entendus. Seulement voilà : c'est la demoiselle, et lui, il n'est rien qu'un grand balourd de valet tout juste bon à soigner les chevaux.
Bacchus a poussé dehors, sans ménagements, le courrier qui se mouchait dans sa manche en attendant ses pratiques. Il a refermé doucement la porte, et s'est mis à errer comme une âme en peine à travers le courtil, grommelant des mots sans suite. Il a pris une cuite, une vraie, qui l'a tenu endormi toute la nuit et presque tout le jour. Il pense à Dame Maryan, si belle, si blonde, si jeune, qui ne va point tarder à rejoindre Messire Valatar, Dame Mentaïg, Dame Jazzette et tous les autres. Il fuit Matheline comme la peste. Elle geint tout le temps. Pour sûr qu'elle a peur que le jeune Vicomte la fasse chasser, vu comment qu'elle se donne à son ouvrage, la maraude ! Il ne va plus en ville. A quoi bon ? Pour boire cruche sur cruche et se saouler à côté d'autres poivrots comme lui, alors qu'il a ce qu'il faut sous son galetas pour se se saouler seul ?

Le marteau de la grande porte retentit douloureusement sous son scalp qui pue la mauvaise bière.


Norf de norf ! Qui c'est-y qui vient me faire ... ?

Deux giclées d'eau du puits sur la figure au passage, les doigts qui fourragent dans la chevelure hirsute, histoire qu'on n'aille pas dire partout que les Culan ne tiennent pas leur valetaille, et Bacchus tangue jusqu'à la porte. Au dernier moment, il se redresse bien droit, ignorant les martellements de douze chevaux dans son crâne, tire sur son bliaud, lisse sa moustache, et ouvre majestueusement la porte.

Dame Terwagne !

La dame de Thauvenay se tient là. Elle a la mine de quelqu'un qui ne dort guère. Pas étonnant. Qui dort bien, en ce moment, avec tout ça ?
Sa pomme d'Adam fait le yoyo. La dame arrive du Berry, pour sûr. Du Berry, où se meurt Dame Maryan. Peut-être qu'elle apporte des nouvelles, qui vont encore faire pleurer la demoiselle ?
Bacchus n'ose rien dire de plus, des fois que sa voix lui jouerait des tours, sans parler de son haleine. Il précède la dame dans l'escalier de la grand-salle, pousse la porte.


Dame Terwagne de Thauvenay !
Terwagne_mericourt
Le domestique n'avait pas tellement changé, depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu, en Berry.

Le Berry...

Etrangement, il lui manquait, bien plus qu'elle n'aurait pu le dire, mais surtout bien plus qu'elle n'aurait cru que cela soit possible. Elle qui durant des semaines, au début de son histoire avec Hugo, pestait bien souvent contre cet attachement qu'il avait à cette terre, et auquel elle ne comprenait rien, elle qui ne rêvait que de voyage, de vent, de pluie, et d'aventures, mais qui finalement avait fini par l'aimer au moins autant que lui.

Le Berry, cette terre qui l'avait accueillie lors de son deuil, qui lui avait offert un amour dont elle souffrait aujourd'hui, qui lui avait fait découvrir le sens des responsabilités, l'envie de s'investir toujours plus, le désir de bien faire... Mais le Berry où elle s'était sentie trahie comme jamais, aussi...

Oh! Jamais elle n'en parlerait à Hugo, de ce manque et de cette envie folle qu'elle avait par instants d'y retourner en courant, ne serait-ce que pour s'assoir sur la place de Sancerre et écouter le vent jouer dans les branches des arbres... Jamais, non...

Premièrement, il se moquerait sans doute, et deuxièmement, pour pouvoir lui en parler, il faudrait encore qu'elle parvienne à passer plus de dix minutes en sa compagnie. Ce dont elle désespérait que ça se produise un jour.

Tentant bon gré mal gré d'adresser un sourire à Bacchus, elle aurait souhaité qu'il se soit fait la même réflexion qu'elle-même en ouvrant la porte, à savoir que le temps ne l'avait pas changée elle non plus... Mais elle savait pertinement bien qu'elle ne ressemblait plus beaucoup à celle qu'elle avait été avant : insouciante, souriante, remplie d'énergie, combative...

Lui adressant un simple merci de la tête, elle le suivit sans un mot jusqu'à la grande salle où il l'introduisit.

La première chose qu'elle vit dans la pièce n'en était pas une, c'était...


Damoiselle Anne... Je viens vous avertir de notre arrivée, à votre oncle et moi-même... Je doute qu'il aie eu le temps de vous prévenir.

Idiote, elle se sentait presque gênée pour lui de son manque de savoir-vivre qui n'avait pour excuse que son manque de temps.
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Anne_blanche
L'hôtel était anormalement calme. La nouvelle portée par le courrier berrichon s'était répandue comme une traînée de poudre parmi les domestiques. L'on ne savait si leur silence était la conséquence de la peine, de la peur de perdre leur emploi, de l'angoisse qui saisit tout un chacun à l'annonce de la mort d'une personne jeune et pleine d'avenir, ou du simple respect humain ; toujours est-il qu'ils se déplaçaient à pas feutrés, ne claquaient pas les portes, ne plaisantaient pas entre eux.
Matheline avait débarrassé la grand-salle de sa présence. Elle houspillait les servantes, fourrait son nez partout, défaisait ce que l'une venait de faire, accablait chacune de reproches dont l'objet tirait sa source de sa propre incompétence.
Bacchus, Anne préférait ne pas savoir ce qu'il devenait. Elle aurait dû le gourmander, elle le savait, mais n'en avait pas le cœur.
L'on attendait.
Gabriel avait évoqué la nécessité de partir pour Culan, Anne avait insisté pour que l'on prévînt au plus tôt le Vicomte d'Ancelle. Quand ils n'étaient pas appelés ailleurs par leurs fonctions respectives, le frère et la sœur se tenaient souvent dans la grand-salle, non loin l'un de l'autre, mais chacun réfugié dans ses études ou ses dossiers.

La nouvelle de la mort prochaine de la Vicomtesse était désormais connue de tout Vienne. Personne ne venait plus frapper à la porte de la rue. Le malheur prêtait déjà aux abords de l'hôtel de Culan une aura de mystère que nul ne s'arrogeait le droit de contempler.
Aussi, quand le marteau résonna, Anne releva-t-elle vivement la tête. Elle était en train de lire une missive reçue le matin-même de Paris, longuement attendue, trop tard parvenue. Elle l'abandonna sur son lutrin, releva les deux fils plombés qui l'avaient maintenue déroulée, et se précipita vers le miroir de cuivre appendu au-dessus d'un coffre. Elle se savait la mine défaite, et ne souhaitait pas se présenter ainsi à quelque visiteur que ce fût. Elle battit rapidement des paupières à plusieurs reprises, pour effacer de ses yeux toute trace d'angoisse ou de chagrin, se frotta vigoureusement les joues pour leur redonner un peu de couleur, se tint bien droite au centre de la pièce, mains dans le giron, prête à accueillir l'hôte ou l'hôtesse.


Dame Terwagne de Thauvenay !

Anne attendit une suite qui ne vint pas. Elle savait la Dame en route pour Vienne, puisqu'elle s'était occupée de prévenir de son arrivée le Prévôt des Maréchaux. Mais pourquoi se présentait-elle seule, sans Oncle Hugo ?

Damoiselle Anne... Je viens vous avertir de notre arrivée, à votre oncle et moi-même... Je doute qu'il aie eu le temps de vous prévenir.

Anne salua d'une rapide révérence, comme il sied à une jeune fille face à son aînée, et sourit à la visiteuse, qui semblait quelque peu mal à l'aise.

Soyez la bienvenue, Dame ! J'ai eu la joie de rencontrer furtivement Messire mon parrain à Lyon, en l'hôtel de l'APD, mais j'ignorais en effet que vous fussiez rendus à Vienne.

Elle n'avait que rarement rencontré la fiancée de son parrain. La dernière fois, c'était à Lignières, en Berry, pour les noces de sa tante Johanara. A ce souvenir, elle pâlit notablement. C'était ce jour-là que, au sortir du banquet, Mère s'était trouvée mal.
A la perspective de devoir annoncer la nouvelle à Dame Terwagne et à son parrain, Anne sentit ses doigts se glacer. Elle resta là, comme une statue de cire, à contempler les traits tirés de la visiteuse, pendant quelques secondes qui lui parurent trop longues.


Vous êtes ici chez vous, Dame. Votre voyage fut-il agréable ? Où dois-je faire prendre votre bagage ?

Des mots convenus, prêts à l'emploi, impropres à rendre la joie qu'elle éprouvait de savoir son parrain et sa fiancée à portée de voix, mais parfaits pour donner le temps de reprendre contenance.
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